CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. EVGENI TANCHEV
présentées le 24 octobre 2019 ( 1 )
Affaire C‑578/18
Energiavirasto,
en présence de
A,
Caruna Oy
[demande de décision préjudicielle formée par le Korkein hallinto‑oikeus (Cour administrative suprême, Finlande)]
« Renvoi préjudiciel – Marché intérieur de l’électricité – Directive 2009/72/CE – Champ d’application matériel – Voies de recours – Article 37, paragraphe 17 – Notion de “partie lésée par une décision d’une autorité de régulation” – Qualité d’un client consommateur d’une entreprise gestionnaire de réseau d’électricité – Principe de protection juridictionnelle effective »
I. Introduction
1. Un consommateur qui a saisi une autorité de régulation nationale d’une demande de vérification de la conformité au droit national des modalités de facturation de son distributeur d’électricité peut-il être qualifié de « partie lésée par une décision d’une autorité de régulation » au sens de l’article 37, paragraphe 17, de la directive 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009, concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et abrogeant la
directive 2003/54/CE ( 2 ), de sorte qu’il dispose, aux termes de cette disposition, du droit d’exercer un recours contre cette décision auprès d’un organisme indépendant des parties concernées et de tout gouvernement ?
2. Telle est, en substance, la question centrale soulevée par la demande de décision préjudicielle déférée à la Cour par le Korkein hallinto-oikeus (Cour administrative suprême, Finlande).
3. Pour la première fois, la présente affaire offre à la Cour l’occasion de se prononcer sur l’interprétation de l’article 37, paragraphe 17, de la directive 2009/72 et sur les conséquences qui découlent de son application, le cas échéant, en termes de droit au contrôle juridictionnel.
II. Le cadre juridique
A. Le droit de l’Union
4. L’article 37, paragraphe 17, de la directive 2009/72 dispose :
« Les États membres veillent à ce que des mécanismes appropriés, à l’échelon national, permettent à une partie lésée par une décision d’une autorité de régulation d’exercer un recours auprès d’un organisme indépendant des parties concernées et de tout gouvernement. »
B. Le droit finlandais
5. Aux termes de l’article 2 de la sähkö- ja maakaasumarkkinoiden valvonnasta annetu laki (590/2013) (loi sur la surveillance des marchés de l’électricité et du gaz naturel, ci‑après la « loi sur la surveillance »), ladite loi s’applique, notamment, à l’accomplissement des missions de surveillance et de suivi dont l’Energiavirasto (autorité de l’énergie, Finlande) est chargée par la sähkömarkkinalaki (588/2013) (loi sur le marché de l’électricité), ainsi que par les dispositions législatives et
administratives adoptées sur la base de ladite loi.
6. En vertu de l’article 5 de la loi sur la surveillance, l’autorité de l’énergie est chargée de contrôler l’application des dispositions législatives et administratives nationales et de l’Union européenne visées à l’article 2 de ladite loi et d’accomplir les autres missions qui lui sont confiées par la loi audit article 2.
7. Aux termes de l’article 6, paragraphe 1, point 13, de la loi sur la surveillance, l’autorité de l’énergie est chargée, dans le cadre de son activité en tant qu’autorité de régulation nationale au sens de la législation de l’Union concernant les secteurs de l’électricité et du gaz naturel, de garantir l’effectivité et la mise en œuvre des mesures de protection des consommateurs visant les marchés du gaz naturel et de l’électricité.
8. L’article 57, paragraphe 2, de la loi sur le marché de l’électricité dispose, notamment, que le gestionnaire de réseau de distribution doit proposer aux consommateurs différents moyens de paiement pour régler leurs factures d’électricité. Les options proposées ne doivent pas contenir de clauses abusives ou de conditions discriminatoires pour différents groupes de clients.
9. Aux termes de l’article 106, deuxième alinéa, de la loi sur le marché de l’électricité, l’autorité de l’énergie est chargée de veiller au respect de ladite loi, des dispositions législatives et administratives édictées sur son fondement, ainsi que des autorisations accordées sur son fondement. Selon cette disposition, la surveillance est régie de manière distincte par la loi sur la surveillance. En vertu du quatrième alinéa dudit article, le kuluttaja-asiamies (médiateur des consommateurs,
Finlande) veille à la légalité des clauses des contrats (contrats d’électricité) mentionnés au chapitre 13 de ladite loi, au regard de la protection des consommateurs.
10. Conformément à l’article 114 de la loi sur le marché de l’électricité, un recours visant une décision adoptée par l’autorité de l’énergie sur le fondement de ladite loi peut être formé selon les modalités prévues par la hallintolainkäyttölaki (586/1996) (loi sur la procédure administrative précontentieuse et sur le contentieux administratif). Aux termes de l’article 5, paragraphe 1, de cette loi, on entend par décision susceptible de faire l’objet d’un recours un acte par lequel une affaire est
tranchée sur le fond ou considérée comme irrecevable. Aux termes de l’article 6, paragraphe 1, de ladite loi, un recours contre une décision peut être formé par la personne à laquelle elle est adressée ou par une personne dont les droits, les obligations ou les intérêts sont directement affectés par celle‑ci.
III. Les faits, la procédure au principal et les questions préjudicielles
11. Aux termes de la décision de renvoi, A, qui avait le statut de client consommateur, a conclu un contrat de transport d’électricité avec l’entreprise gestionnaire de réseau de distribution d’électricité Caruna Oy (anciennement Fortum Sähkönsiirto Oy) ( 3 ).
12. Le 5 septembre 2013, A a adressé à l’autorité de l’énergie, agissant en tant qu’autorité de régulation nationale au sens de la directive 2009/72, un courrier électronique lui demandant de vérifier si le système de facturation de ladite entreprise était conforme à l’article 57, paragraphe 2, de la loi sur le marché de l’électricité, selon lequel le gestionnaire de réseau de distribution doit proposer à ses clients différents moyens de paiement pour régler leurs factures d’électricité. Par
conséquent, selon la juridiction de renvoi, la demande formulée par A portait sur le droit du client consommateur de choisir entre plusieurs modes de paiement différents, conformément au point 1, sous d), de l’annexe I de la directive 2009/72. En réponse à cette demande, l’autorité de l’énergie a décidé d’examiner la légalité du système de facturation de Caruna.
13. Le 31 mars 2014, l’autorité de l’énergie a rendu une décision considérant que Caruna n’avait pas enfreint l’article 57, paragraphe 2, de la loi sur le marché de l’électricité et que, en l’espèce, il n’y avait pas lieu de prendre d’autres mesures. Dans ladite décision, Caruna était désignée comme partie à la procédure et A comme demandeur d’enquête.
14. Par décision du 28 avril 2014, l’autorité de l’énergie a rejeté la réclamation introduite par A contre la décision du 31 mars 2014 comme étant irrecevable, a rejeté la demande de celui‑ci de se voir octroyer le statut de partie à la procédure et a refusé de rectifier sa décision sur le fond.
15. A a saisi le Helsingin hallinto-oikeus (tribunal administratif de Helsinki, Finlande) d’un recours et demandé que lui soit octroyée la qualité de partie à la procédure dans l’affaire traitée par l’autorité de l’énergie. Il a demandé, en outre, l’annulation des décisions adoptées par cette même autorité les 31 mars et 28 avril 2014 et le renvoi de l’affaire à celle‑ci pour qu’elle statue à nouveau.
16. Par jugement du 23 mai 2016, le Helsingin hallinto-oikeus (tribunal administratif de Helsinki) a accueilli les demandes de A.
17. L’autorité de l’énergie a saisi le Korkein hallinto-oikeus (Cour administrative suprême) d’un recours dirigé contre ce jugement. À l’appui de son recours, elle fait valoir que la présentation d’une demande d’enquête devant l’autorité de l’énergie ne fonde pas le droit de A de participer au traitement de sa demande ni d’introduire, devant une juridiction nationale, un recours contre les décisions rendues par l’autorité de l’énergie dans le cadre de ladite demande.
18. Le Korkein hallinto-oikeus (Cour administrative suprême) estime que l’article 37, paragraphe 17, de la directive 2009/72 présente une difficulté d’interprétation concernant la question de savoir si un client consommateur d’une entreprise gestionnaire de réseau d’électricité, tel que A, qui considère avoir été lésé en raison du système de facturation de ladite entreprise et qui soumet cette question à l’autorité de régulation nationale, peut être qualifié de « partie lésée par une décision d’une
autorité de régulation » au sens de cette disposition et peut par conséquent saisir une juridiction d’un recours dirigé contre cette décision.
19. En particulier, le Korkein hallinto-oikeus (Cour administrative suprême) estime que sa jurisprudence ne contient pas de précédents dans lesquels il aurait été considéré qu’un client consommateur ou une autre personne physique ayant la qualité de client auraient été en droit, dans des hypothèses telles que celle décrite en l’espèce, de saisir une juridiction d’un recours dirigé contre une décision d’une autorité de régulation nationale, sachant que la décision adoptée par l’autorité de l’énergie,
en tant qu’autorité de régulation nationale, s’agissant de la conformité de la facturation de l’entreprise gestionnaire de réseau à la loi sur le marché de l’électricité, concernait également une condition relative à la facturation qui figure dans le contrat de transport d’électricité conclu entre l’entreprise en cause et le client consommateur. En outre, le Korkein hallinto-oikeus (Cour administrative suprême) observe que, dans la législation nationale, il a été prévu que la surveillance de la
légalité des contrats d’électricité, du point de vue de la protection des consommateurs, est une mission qui incombe au médiateur des consommateurs et que, en outre, un consommateur a la faculté de porter des litiges devant la Kuluttajariitalautakunta (commission sur les litiges en matière de consommation, Finlande) ou devant les juridictions ordinaires, bien que seule une juridiction de droit commun soit compétente pour se prononcer de manière juridiquement contraignante sur un litige
individuel en matière de consommation, et non une juridiction administrative, puisqu’il n’existe pas, en Finlande, de réglementation procédurale spéciale pour les petits litiges en matière de consommation.
20. C’est dans ces circonstances que le Korkein hallinto-oikeus (Cour administrative suprême) a décidé de surseoir à statuer et de déférer à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) L’article 37 de la [directive 2009/72] doit-il être interprété en ce sens qu’une personne qui est client consommateur d’une entreprise gestionnaire de réseau et qui a saisi l’autorité de régulation nationale d’une plainte contre ladite entreprise doit être qualifiée, au sens du paragraphe 17 dudit article, de “partie” lésée par une décision de ladite autorité et qui disposerait par conséquent du droit d’exercer un recours devant une juridiction nationale contre une décision de cette même
autorité visant cette même entreprise ?
2) Si la personne visée dans la première question ne doit pas être qualifiée de “partie” au sens de l’article 37 de la directive 2009/72, le droit de l’Union confère-t-il, sur le fondement d’une autre base juridique, à un client consommateur qui dispose d’un statut tel que celui du demandeur au pourvoi dans l’affaire au principal, le droit de participer, devant l’autorité de régulation, au traitement d’une demande d’intervention ou le droit de saisir une juridiction nationale de cette affaire,
ou bien cette question reste‑t‑elle régie par le droit national ? »
21. A, les gouvernements finlandais, hongrois et néerlandais, ainsi que la Commission européenne, ont tous présenté des observations écrites. A, l’autorité de l’énergie, le gouvernement finlandais, ainsi que la Commission, ont participé à l’audience qui s’est tenue le 19 juin 2019.
IV. Résumé des observations des parties
22. A, le gouvernement néerlandais et la Commission considèrent qu’un client consommateur se trouvant dans la situation de A peut être qualifié de « partie lésée » au sens de l’article 37, paragraphe 17, de la directive 2009/72, alors que l’autorité de l’énergie et les gouvernements finlandais et hongrois ont adopté la position inverse.
23. A soutient que la demande qu’il a introduite auprès de l’autorité de l’énergie au sujet du système de facturation de Caruna est une plainte susceptible de recours au sens de l’article 37, paragraphe 11, de la directive 2009/72. Les voies de droit ouvertes par le droit finlandais pour le traitement des plaintes de consommateurs ne remplacent pas l’article 37, paragraphe 11, de cette directive, compte tenu, notamment, du temps et des coûts liés à la saisine des juridictions ordinaires, mais aussi
du fait que la commission sur les litiges en matière de consommation rend ses décisions sous la forme de recommandations non contraignantes pour les parties. À l’audience, A a précisé qu’il a déposé une plainte ayant le même objet devant la commission sur les litiges en matière de consommation, mais que, à la suite de la décision de l’autorité de l’énergie, il n’a pas jugé raisonnable de poursuivre cette procédure, car il est peu probable, en pratique, que la commission sur les litiges en
matière de consommation adopte une décision allant à l’encontre de la décision rendue par l’autorité de régulation nationale.
24. L’autorité de l’énergie soutient que l’article 37 de la directive 2009/72 ne s’applique pas aux clients consommateurs et que cette directive n’oblige pas les autorités de régulation nationales à traiter les plaintes des consommateurs. Les demandes d’enquête sont prévues par le droit national et les décisions en cause ne sont pas fondées sur l’article 37, paragraphe 11, de la directive 2009/72. A n’était qu’un informateur. La possibilité de saisir la commission sur les litiges en matière de
consommation ou les juridictions de droit commun garantit une protection juridictionnelle effective ; si l’on devait reconnaître au consommateur au principal un droit de recours devant les juridictions administratives, tous les clients consommateurs potentiels en Finlande bénéficieraient alors des mêmes droits.
25. Le gouvernement finlandais, soutenu, pour l’essentiel, par le gouvernement hongrois, fait valoir que sa législation nationale, prévoyant la possibilité pour toute personne physique ou morale de saisir l’autorité de l’énergie d’une demande d’enquête, constitue une solution purement nationale et n’est pas fondée sur la directive 2009/72. Cette dernière n’impose pas aux autorités de régulation nationales de traiter les plaintes des consommateurs et, eu égard au libellé, à l’origine, au contexte et
à la finalité de cette directive, son article 37, paragraphes 11, 12 et 17, ne s’applique qu’aux entreprises d’électricité. Le gouvernement finlandais souligne que le droit national prévoit des mécanismes de traitement des plaintes des consommateurs, par l’intermédiaire de la commission sur les litiges en matière de consommation et du médiateur des consommateurs, et que les consommateurs peuvent également agir devant les juridictions ordinaires contre les entreprises d’électricité qui
porteraient atteinte aux droits qui leur sont conférés par la loi sur le marché de l’électricité, leur garantissant ainsi une protection juridictionnelle effective.
26. Le gouvernement néerlandais soutient que, conformément à la jurisprudence de la Cour relative à la qualité des parties lésées par une décision d’une autorité de régulation nationale ( 4 ), un client consommateur est considéré comme une « partie lésée » au sens de l’article 37, paragraphe 17, de la directive 2009/72 dans la mesure où cette décision affecte les droits qu’il tire du droit de l’Union. Or, c’est le cas dans l’affaire au principal : A a adressé une demande à l’autorité de régulation
nationale, demande que le gouvernement néerlandais présume avoir été traitée comme une plainte au sens de l’article 37, paragraphe 11, de la directive 2009/72, et la décision de l’autorité de régulation nationale porte atteinte au droit de A de bénéficier du choix du mode de paiement, conformément à l’article 3, paragraphe 7, de la directive 2009/72 et au point 1, sous d), de l’annexe I de cette directive. Le gouvernement néerlandais souligne que l’article 3, paragraphe 13, de la directive
2009/72 doit être distingué de son article 37, paragraphe 11, lequel ne restreint en rien le droit d’accès au juge lorsqu’une décision d’une autorité de régulation nationale atteint le client dans l’un des droits qu’il tire de cette directive.
27. La Commission partage ce point de vue. D’après son libellé et son contexte, l’article 37, paragraphe 17, de la directive 2009/72 s’applique aux clients consommateurs et, comme la Commission l’a souligné à l’audience, il est formulé en termes généraux et a donc une portée plus large que l’article 37, paragraphes 11 et 12, de cette directive. En outre, la Commission fait valoir que l’article 3, paragraphe 13, et l’article 37, paragraphe 17, de la directive 2009/72 créent des obligations distinctes
pour les États membres et que, puisqu’il apparaît que les juridictions de droit commun n’ont pas compétence, en Finlande, pour examiner la légalité d’une décision prise par une autorité de régulation nationale, si le client consommateur ne dispose pas du droit de recours prévu à l’article 37, paragraphe 17, de cette directive, il ne peut pas contester une décision de l’autorité de régulation nationale devenue définitive.
V. Analyse
28. Au cœur des questions déférées par le Korkein hallinto-oikeus (Cour administrative suprême, Finlande) se trouve la question de savoir si la directive 2009/72 et, plus généralement, le droit de l’Union l’obligent à ouvrir, dans les circonstances de l’affaire au principal, ce qui apparaît être une voie de recours qui n’existe pas en droit national.
29. Je considère que, avant de procéder à l’interprétation de l’article 37, paragraphe 17, de la directive 2009/72, il faut commencer par examiner la jurisprudence de la Cour relative à la qualité des parties lésées par une décision d’une autorité de régulation nationale, ainsi que la question de savoir si la décision de l’autorité de l’énergie en cause relève du champ d’application matériel de cette directive.
30. Cela dit, je considère que la seconde question préjudicielle est irrecevable dans la mesure où elle porte sur le droit de A de participer à la procédure qui a conduit à la décision de l’autorité de l’énergie en cause. Les parties n’ont pas présenté d’arguments à ce sujet et la décision de renvoi n’en analyse pas non plus la pertinence. Par conséquent, le dossier ne contient pas d’informations suffisantes sur les éléments de fait et de droit pertinents pour permettre à la Cour de rendre une
décision à cet égard ( 5 ). Étant donné que, pour le surplus, la seconde question préjudicielle concerne le droit au contrôle juridictionnel devant une juridiction d’un État membre, il s’agit d’une répétition de la première question. Je ne répondrai donc qu’à la première question.
31. Je procéderai à une analyse en trois étapes. Tout d’abord, dans une première partie (A), j’examinerai, au regard de la présente affaire, la jurisprudence de la Cour relative à la qualité des parties lésées par une décision d’une autorité de régulation nationale. Ensuite, dans une deuxième partie (B), je me pencherai sur la question de savoir si la décision de l’autorité de l’énergie en cause relève du champ d’application matériel de la directive 2009/72. Enfin, dans une troisième partie (C),
j’étudierai la question de l’interprétation de l’article 37, paragraphe 17, de cette directive au regard des circonstances de l’affaire au principal.
32. À la suite de cette analyse, je suis parvenu à la conclusion que, dans les circonstances de l’affaire au principal, un client consommateur d’une entreprise gestionnaire de réseau électrique, tel que A, ne peut être qualifié de « partie lésée par une décision d’une autorité de régulation » au sens de l’article 37, paragraphe 17, de la directive 2009/72.
A. La jurisprudence de la Cour relative aux parties lésées par une décision d’une autorité de régulation nationale
33. Comme évoqué dans les observations des gouvernements finlandais, hongrois et néerlandais, ainsi que dans les observations de la Commission, la Cour a déjà examiné la question de la qualité des parties lésées par une décision d’une autorité de régulation nationale, notamment dans ses arrêts Tele2 Telecommunication ( 6 ), T-Mobile Austria ( 7 ), Arcor ( 8 ) et E.ON Földgáz Trade ( 9 ), en ce qui concerne l’interprétation des actes de l’Union relatifs à d’autres marchés réglementés, à savoir ceux
des télécommunications et du gaz naturel. Cependant, j’estime que les circonstances en cause dans ces arrêts diffèrent des circonstances de l’affaire au principal, dans la mesure où la portée matérielle du droit de l’Union n’était en cause dans aucune de ces affaires. Comme je l’expliquerai dans la deuxième partie (B) de l’analyse des présentes conclusions, il s’agit là d’une question centrale pour le règlement du litige au principal.
34. L’arrêt Tele2 Telecommunication ( 10 ) concerne l’interprétation, notamment, de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2002/21/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques (directive « cadre ») ( 11 ). L’affaire au principal portait sur la qualité d’une entreprise à contester la décision d’une autorité de régulation nationale dont une entreprise concurrente était destinataire,
dans le cadre d’une procédure administrative d’analyse de marché engagée par cette autorité en application de ladite directive. En d’autres termes, l’affaire relevait déjà du champ d’application matériel de la directive « cadre » lorsque la Cour a jugé, dans son arrêt Tele2 Telecommunication, que l’article 4 de cette directive et le principe de protection juridictionnelle effective garanti par le droit de l’Union protègent les droits des tiers affectés par la décision en cause dans cette
affaire.
35. Dans son arrêt T-Mobile Austria ( 12 ), la Cour s’est inscrite dans le cadre défini dans l’arrêt Tele2 Telecommunication pour apprécier la qualité d’une entreprise à contester une décision adoptée par une autorité de régulation nationale dans le cadre d’une procédure d’autorisation de modification de la structure de l’actionnariat résultant de la fusion-acquisition de certaines entreprises, conformément à la réglementation de l’Union en matière de télécommunications. La Cour a jugé qu’une telle
entreprise peut être considérée comme étant affectée, au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la directive « cadre », lorsqu’il s’agit d’une entreprise concurrente de l’entreprise ou des entreprises destinataires de la décision de l’autorité de régulation nationale, que celle‑ci se prononce dans le cadre d’une procédure qui vise à sauvegarder la concurrence et que la décision en cause est susceptible d’avoir une incidence sur la position de cette première entreprise sur le marché.
36. Dans son arrêt Arcor ( 13 ), la Cour a adopté une approche similaire concernant l’interprétation de l’article 5 bis, paragraphe 3, de la directive 90/387/CEE du Conseil, du 28 juin 1990, relative à l’établissement du marché intérieur des services de télécommunication par la mise en œuvre de la fourniture d’un réseau ouvert de télécommunication ( 14 ), dont le libellé est pratiquement identique à celui de l’article 37, paragraphe 17, de la directive 2009/72. Comme les arrêts Tele2
Telecommunication et T-Mobile Austria, l’arrêt Arcor porte sur la qualité d’un tiers à contester une décision prise par une autorité de régulation nationale et relevant du champ d’application matériel de la directive 90/387, à savoir une décision concernant l’autorisation des tarifs de l’accès dégroupé à la boucle locale. Dans cet arrêt, la Cour souligne qu’aucun lien contractuel entre le tiers et la partie concernée par cette décision n’est requis pour que ledit tiers puisse bénéficier d’un
contrôle juridictionnel effectif au titre de cette directive et, plus généralement, du droit de l’Union.
37. L’arrêt E.ON Földgáz Trade ( 15 ) porte sur la qualité d’un opérateur sur le marché hongrois du gaz naturel à contester, en tant que titulaire d’une autorisation de transport du gaz, une décision d’une autorité de régulation nationale modifiant les règles du code de réseau gazier applicables aux décisions relatives aux demandes d’attribution de capacités à long terme. La Cour a jugé que, bien que la directive 2003/55/CE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2003, concernant des règles
communes pour le marché intérieur du gaz naturel et abrogeant la directive 98/30/CE ( 16 ) ne prévoie pas de dispositions particulières au sujet des voies de droit ouvertes à un tel opérateur, l’autorité de régulation nationale, lorsqu’elle a adopté sa décision, était soumise à la réglementation de l’Union en matière d’accès des opérateurs du marché au réseau de transport du gaz naturel. En conséquence, la Cour a considéré que cette réglementation et le principe d’une protection juridictionnelle
effective garanti par le droit de l’Union garantissent un contrôle juridictionnel aux tiers potentiellement lésés dans leurs droits par cette décision. Comme les arrêts Tele2 Telecommunication, T-Mobile Austria et Arcor, l’arrêt E.ON Földgáz Trade porte sur une décision d’une autorité de régulation nationale relevant du champ d’application matériel de la réglementation de l’Union pertinente, à savoir une décision relative à l’accès au réseau de transport du gaz naturel.
38. Ainsi, les affaires en cause dans les arrêts susvisés diffèrent de la présente affaire par au moins deux aspects essentiels. Premièrement, dans toutes ces affaires, un tiers qui n’était pas partie à une décision d’une autorité de régulation nationale faisait valoir son droit au contrôle juridictionnel. En l’espèce, en revanche, A peut être considéré comme destinataire de la décision de l’autorité de l’énergie en cause, puisque c’est lui qui a présenté la demande d’enquête et qu’il est désigné
dans cette décision (voir point 13 des présentes conclusions). Deuxièmement, les circonstances en cause dans les arrêts susvisés relevaient toutes incontestablement du champ d’application matériel de l’acte de l’Union pertinent du fait d’une procédure que l’autorité de régulation nationale était en droit ou était tenue d’engager au titre de cet acte. En l’espèce, cependant, il est nécessaire de déterminer si la décision de l’autorité de l’énergie en cause relève ou non du champ d’application
matériel de la directive 2009/72.
B. L’application de la directive 2009/72 à l’affaire au principal
39. Il est important de rappeler que l’Union ne dispose d’aucune compétence générale, s’agissant des voies de droit qui ne relèvent pas de son champ de compétence matérielle ( 17 ). Étant donné que l’article 37, paragraphe 17, de la directive 2009/72 est essentiellement une disposition prévoyant une voie de droit et identifiant les personnes susceptibles de contester une décision d’une autorité de régulation nationale, la réponse à la question déférée dépend du point de savoir si le champ
d’application matériel de cette directive englobe la décision de l’autorité de l’énergie en cause. Si tel est le cas, les garanties prévues par la directive 2009/72 et, plus généralement, par le droit de l’Union en matière de voies de droit sont nécessairement applicables.
40. En premier lieu, je conclus que, d’après une interprétation littérale de la directive 2009/72, celle‑ci n’impose pas aux autorités de régulation nationales l’obligation d’accueillir les demandes d’enquête, telle celle en cause en l’espèce. Comme le font remarquer l’autorité de l’énergie et le gouvernement finlandais, la possibilité, prévue par le droit finlandais, pour les personnes physiques et morales de saisir l’autorité de régulation nationale d’une demande d’enquête constitue une solution
nationale et n’est pas fondée sur la directive 2009/72.
41. En deuxième lieu, comme le font observer l’autorité de l’énergie ainsi que les gouvernements finlandais et hongrois, le libellé de la directive 2009/72 n’impose pas non plus aux autorités de régulation nationales l’obligation de traiter les plaintes des consommateurs. Comme l’a constaté la Cour ( 18 ), la directive 2009/72 prévoit certaines dispositions relatives à la protection des consommateurs. L’article 3, paragraphe 7, de cette directive dispose que les États membres doivent prendre les
mesures appropriées pour protéger les consommateurs et pour garantir un niveau de protection élevé des consommateurs en ce qui concerne, notamment, les mécanismes de règlement des litiges. En particulier, ladite directive oblige les États membres à veiller à la mise en place de procédures adéquates de traitement des plaintes et de règlement extrajudiciaire des litiges pour les plaintes des consommateurs ( 19 ).
42. Comme indiqué dans certaines dispositions et certains considérants de la directive 2009/72, les autorités de régulation nationales agissent en collaboration avec d’autres autorités compétentes pour garantir l’effectivité et la mise en œuvre des mesures de protection des consommateurs énoncées dans cette directive ( 20 ), en ce compris le traitement des plaintes, le cas échéant. Aux termes de l’article 3, paragraphe 13, de la directive 2009/72, « [l]es États membres veillent à mettre en place un
mécanisme indépendant, comme un médiateur de l’énergie ou un organisme de consommateurs, de façon à assurer un traitement efficace des plaintes et le règlement extrajudiciaire des litiges ». On peut déduire de l’emploi du terme « comme » dans cette disposition que le choix de l’autorité compétente pour le traitement des plaintes des consommateurs et le règlement des litiges relève du pouvoir d’appréciation des États membres. Ce point est également étayé par les observations du gouvernement
finlandais au sujet de l’historique législatif de la directive 2009/72, à savoir que les amendements proposés par le Parlement européen au sujet du traitement des plaintes des consommateurs par les autorités de régulation nationales ont été déplacés de ce qui devait devenir l’article 37 à l’article 3 de cette directive ( 21 ).
43. Il peut être utile de préciser que cette analyse apparaît conforme à la directive (UE) 2019/944 du Parlement européen et du Conseil, du 5 juin 2019, concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et modifiant la directive 2012/27/UE ( 22 ), laquelle abroge la directive 2009/72 à compter du 1er janvier 2021 ( 23 ). Il est intéressant de noter que la directive 2019/944 contient une disposition identique à celle de l’article 37, paragraphe 17, de la directive 2009/72 ( 24
) et qu’elle maintient le rôle de collaboration des autorités de régulation nationales en matière de protection des consommateurs ( 25 ). En particulier, l’article 26, paragraphe 1, de cette directive prévoit le droit des consommateurs à un règlement extrajudiciaire des litiges « par l’intermédiaire d’un mécanisme indépendant tel qu’un médiateur de l’énergie ou une association de consommateurs, ou par l’intermédiaire d’une autorité de régulation» ( 26 ), ce qui tend à confirmer le rôle
facultatif des autorités de régulation nationales.
44. En troisième lieu, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, il n’apparaît pas que la décision de l’autorité de l’énergie en cause constitue une décision relevant de la catégorie du règlement du litige visée à l’article 37, paragraphe 11 ou 12, de la directive 2009/72. Comme le précisent diverses dispositions de cette directive, ledit article 37, paragraphes 11 et 12, porte sur les décisions prises par l’autorité de régulation nationale, agissant en tant qu’autorité de règlement
du litige ( 27 ), en vue de résoudre les litiges horizontaux entre plusieurs parties dans les situations prévues par cette disposition. L’article 37, paragraphe 11, de la directive 2009/72 prévoit une procédure spécifique pour les plaintes soumises par « toute partie » contre un gestionnaire de réseau de transport ou de distribution en ce qui concerne les obligations imposées audit gestionnaire par cette directive ; une telle procédure aboutit à une décision contraignante de l’autorité de
régulation nationale, pour autant qu’elle ne soit pas annulée à la suite d’un recours. L’article 37, paragraphe 12, de la directive 2009/72, quant à lui, concerne les « plaintes de réexamen » portant sur les décisions des autorités de régulation nationales relatives aux tarifs ou méthodes et pouvant être déposées par « toute partie lésée et qui a le droit de présenter une plainte » dirigée contre ces décisions ; il fixe également certaines restrictions procédurales concernant le délai pour le
dépôt et l’absence d’effet suspensif de la plainte ( 28 ).
45. Si l’affaire se résumait à cela, je n’aurais aucune difficulté à répondre à la première question préjudicielle par la négative. Cependant, comme le souligne la juridiction de renvoi (voir points 12 et 19 des présentes conclusions), la décision de l’autorité de l’énergie en cause porte sur le respect, par l’entreprise gestionnaire de réseau d’électricité, de l’article 57, paragraphe 2, de la loi sur le marché de l’électricité, lequel est fondé sur l’article 3, paragraphe 7, de la directive
2009/72 et sur le point 1, sous d), de l’annexe I de cette directive, aux termes desquels les États membres doivent veiller à ce que les clients consommateurs disposent d’un large choix de modes de paiement ; et cette décision concerne également une condition figurant dans le contrat conclu entre le client consommateur et l’entreprise gestionnaire de réseau dans l’affaire au principal.
46. Par conséquent, il s’agit, en l’espèce, d’une situation complexe dans laquelle, tel que je le comprends, l’autorité de l’énergie n’est pas tenue, selon la législation nationale, de prendre une décision lorsqu’elle est saisie d’une demande d’enquête, mais dans laquelle il apparaît que, en donnant suite à la demande de A et en adoptant une décision portant sur des mesures de protection des clients consommateurs (comme A) relevant de la directive 2009/72, elle a forgé le lien matériel nécessaire
entre sa décision et cette directive. En effet, la décision de l’autorité de l’énergie concerne des dispositions de droit interne qui sont la transposition en droit finlandais de certaines protections conférées aux clients consommateurs par la directive 2009/72. En conséquence, cette décision peut être considérée comme relevant du champ d’application matériel de la directive 2009/72 ; partant, les garanties en matière de voies de droit prévues par l’article 37, paragraphe 17, de cette directive
et, plus généralement, par le droit de l’Union sont applicables.
C. L’interprétation de l’article 37, paragraphe 17, de la directive 2009/72
47. Ainsi, l’originalité de la présente affaire a trait à la question de l’interprétation, à l’égard d’un client consommateur tel que A, dans les circonstances de l’espèce, de l’article 37, paragraphe 17, de la directive 2009/72 et du principe d’une protection juridictionnelle effective garanti par le droit de l’Union. La législation nationale prévoit-elle des voies de recours suffisantes pour garantir le droit du client consommateur à une protection juridictionnelle effective, ou bien le droit de
l’Union exige-t-il que l’État membre crée une nouvelle voie de droit dans le cadre de la procédure administrative relative aux demandes d’enquête dont l’autorité de régulation nationale est saisie ?
48. En vertu d’une jurisprudence constante, le principe de protection juridictionnelle effective constitue un principe général du droit de l’Union, qui découle des traditions constitutionnelles communes aux États membres, qui a été consacré aux articles 6 et 13 de la convention européenne des droits de l’homme et qui a également été réaffirmé à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ainsi qu’à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, selon lequel il incombe
aux juridictions des États membres d’assurer la protection juridictionnelle des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union ( 29 ). Il s’ensuit que, s’il appartient, en principe, au droit national de déterminer la qualité et l’intérêt d’un justiciable pour agir en justice, le droit de l’Union exige néanmoins, notamment, que la législation nationale ne porte pas atteinte au droit à une protection juridictionnelle effective ( 30 ). Il est important de noter, comme la Cour l’a jugé pour
la première fois dans l’arrêt Unibet ( 31 ), que ce n’est que lorsqu’il n’existe aucune voie de recours de droit interne garantissant une protection juridictionnelle effective des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union que les États membres sont tenus d’en créer de nouvelles.
49. En l’espèce, il ressort de décision de renvoi (voir point 19 des présentes conclusions) que le droit finlandais prévoit des voies de recours permettant à un client consommateur de présenter une plainte individuelle dirigée contre une entreprise gestionnaire de réseau d’électricité aux fins de déterminer les obligations de cette entreprise au titre de la directive 2009/72. Ces voies de recours comprennent la faculté pour le consommateur de présenter sa plainte devant la commission sur les litiges
en matière de consommation et devant le médiateur des consommateurs, ainsi que d’introduire une action devant les juridictions de droit commun.
50. À cet égard, il convient de souligner qu’aucune des parties ayant déposé des observations dans la présente affaire n’a réfuté les arguments présentés à l’audience par le gouvernement finlandais, à savoir que, d’une part, le client consommateur peut introduire une action devant les juridictions ordinaires aux fins de déterminer si l’entreprise gestionnaire de réseau respecte la directive 2009/72, ce qui permet de garantir le droit à une protection juridictionnelle effective que lui confère le
droit de l’Union, et d’autre part, les décisions de l’autorité de régulation nationale ne s’imposent ni aux juridictions de droit commun ni à la commission sur les litiges en matière de consommation. Par ailleurs, A ne prouve pas, par son argumentation relative aux inconvénients éventuels liés au dépôt d’une plainte devant la commission sur les litiges en matière de consommation ou à l’introduction d’une action devant les juridictions ordinaires (voir point 23 des présentes conclusions), que le
client consommateur ne peut pas se prévaloir des voies de recours susvisées ou qu’il est privé du bénéfice d’une protection juridictionnelle effective pour toute autre raison.
51. Eu égard aux considérations qui précèdent, j’estime que le principe d’une protection juridictionnelle effective garanti par le droit de l’Union n’oblige pas, en principe, un État membre à créer une nouvelle voie de recours, dans le cadre de la procédure permettant de saisir une autorité de régulation nationale d’une demande d’enquête, lorsqu’il existe d’autres voies de recours effectives permettant au client consommateur de déterminer si l’entreprise gestionnaire de réseau respecte les
obligations qui lui incombent au titre de la directive 2009/72, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer.
52. J’en conclus donc que, compte tenu des voies de droit ouvertes à A par le droit finlandais, et conformément aux dispositions susvisées de la directive 2009/72, A ne peut être qualifié de « partie lésée par une décision d’une autorité de régulation » au sens de l’article 37, paragraphe 17, de cette directive, même si les dispositions prévoyant des voies de droit, tel l’article 37, paragraphe 17, de ladite directive, font normalement l’objet d’une interprétation large par la Cour ( 32 ). En effet,
l’interprétation de cette disposition ne saurait perturber le cadre juridique du traitement des plaintes des consommateurs décrit ci‑dessus et exposé dans la directive 2009/72, même lorsqu’une autorité de régulation nationale décide de traiter une plainte susceptible d’être considérée comme impliquant la mise en œuvre de cette directive. Sous réserve que les voies de droit susvisées permettent d’assurer une protection juridictionnelle effective des droits des consommateurs, question qu’il
appartient à la juridiction de renvoi de trancher, ni le libellé de l’article 37, paragraphe 17, de la directive 2009/72 ni son contexte ou son objet ne sauraient justifier que cette disposition soit interprétée comme le préconisent A, le gouvernement néerlandais et la Commission.
53. Je suis conscient du fait que l’article 37, paragraphes 16 et 17, de la directive 2009/72 a été introduit en même temps que de nouvelles dispositions visant à renforcer l’indépendance des autorités de régulation nationales, ainsi que leurs objectifs, leurs missions et leurs compétences ( 33 ). Comme indiqué dans la note interprétative de la Commission sur les autorités de régulation nationales ( 34 ), l’article 37, paragraphes 16 et 17, de cette directive a trait à la question de la
responsabilité juridique des autorités de régulation nationales (question liée à celle de leur indépendance et de leurs responsabilités), à savoir qu’il doit être possible de contester leurs décisions en justice ( 35 ). Cette note attire également l’attention sur la possibilité pour le gouvernement d’un État de contester une décision d’une autorité de régulation nationale ( 36 ). Bien que cela laisse penser que la notion de « partie lésée », au sens de l’article 37, paragraphe 17, de la
directive 2009/72, s’applique en principe à toute partie, quelle qu’elle soit, lésée par une décision d’une autorité de régulation nationale, cette interprétation ne prend pas en considération la situation inhabituelle dans laquelle une autorité de régulation nationale est appelée à prendre une décision qui ne s’inscrit pas dans le système des voies de droit prévu par cette directive et par le droit national.
VI. Conclusion
54. Eu égard à ce qui précède, je propose à la Cour de répondre de la manière suivante aux questions déférées par le Korkein hallinto-oikeus (Cour administrative suprême, Finlande) :
L’article 37, paragraphe 17, de la directive 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009, concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et abrogeant la directive 2003/54/CE, doit être interprété en ce sens qu’un client consommateur d’une entreprise gestionnaire de réseau d’électricité, dans les circonstances de l’affaire au principal, ne peut être qualifié de « partie lésée par une décision d’une autorité de régulation » aux fins de cette
disposition.
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( 1 ) Langue originale : l’anglais.
( 2 ) JO 2009, L 211, p. 55.
( 3 ) Il convient de noter que, dans la directive 2009/72, le client consommateur est désigné par le terme « client résidentiel », selon la définition figurant à l’article 2, point 10, de cette directive, et que l’article 2, point 6, de ladite directive contient une définition du terme « gestionnaire de réseau de distribution ». Dans les présentes conclusions, j’emploierai généralement les termes « client consommateur » et « entreprise gestionnaire de réseau », respectivement, conformément au
libellé de la décision de renvoi.
( 4 ) Le gouvernement néerlandais fait notamment référence à l’arrêt de la Cour du 21 février 2008, Tele2 Telecommunication (C‑426/05, EU:C:2008:103, points 26, 30 et 32).
( 5 ) Voir, notamment, arrêts du 13 décembre 2018, Rittinger e.a. (C‑492/17, EU:C:2018:1019, points 37 à 39), et du 2 mai 2019, Asendia Spain (C‑259/18, EU:C:2019:346, points 16 à 20).
( 6 ) Arrêt du 21 février 2008 (C‑426/05, EU:C:2008:103).
( 7 ) Arrêt du 22 janvier 2015 (C‑282/13, EU:C:2015:24).
( 8 ) Arrêt du 24 avril 2008 (C‑55/06, EU:C:2008:244).
( 9 ) Arrêt du 19 mars 2015 (C‑510/13, EU:C:2015:189).
( 10 ) Arrêt du 21 février 2008 (C‑426/05, EU:C:2008:103, points 2, 12 à 15, 27, 30 à 39, et 43 à 48 notamment).
( 11 ) JO 2002, L 108, p. 33. L’article 4, paragraphe 1, de la directive 2002/21 dispose : « Les États membres veillent à ce que des mécanismes efficaces permettent, au niveau national, à tout utilisateur ou à toute entreprise qui fournit des réseaux et/ou des services de communications électroniques, et qui est affecté par une décision prise par une autorité réglementaire nationale, d’introduire un recours auprès d’un organisme indépendant des parties intéressées. »
( 12 ) Arrêt du 22 janvier 2015 (C‑282/13, EU:C:2015:24, points 12 à 26, 32 à 39, et 46 à 48 notamment).
( 13 ) Arrêt du 24 avril 2008 (C‑55/06, EU:C:2008:244, points 32 à 39 et 171 à 178 notamment).
( 14 ) JO 1990, L 192, p. 1, dans sa version modifiée par la directive 97/51/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 octobre 1997, modifiant les directives 90/387/CEE et 92/44/CEE en vue de les adapter à un environnement concurrentiel dans le secteur des télécommunications (JO 1997, L 295, p. 23). L’article 5 bis, paragraphe 3, de la directive 90/387 dispose : « Les États membres garantissent l’existence, au niveau national, de mécanismes adéquats permettant à une partie touchée par une
décision de l’autorité réglementaire nationale de se pourvoir devant une instance indépendante des parties intéressées. »
( 15 ) Arrêt du 19 mars 2015 (C‑510/13, EU:C:2015:189, points 17 à 29 et 37 à 51).
( 16 ) JO 2003, L 176, p. 57 et rectificatif JO 2004, L 16, p. 74. Dans son arrêt du 19 mars 2015, E.ON Földgáz Trade (C‑510/13, EU:C:2015:189, points 30 à 35), la Cour a jugé que la directive 2009/73/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009, concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel et abrogeant la directive 2003/55/CE (JO 2009, L 211, p. 94) n’était pas applicable ratione temporis, de sorte qu’elle n’a pas eu l’occasion de procéder à l’interprétation
de l’article 41, paragraphe 17, de cette directive, dont le libellé est identique à celui de l’article 37, paragraphe 17, de la directive 2009/72.
( 17 ) Voir, à cet égard, mes conclusions dans l’affaire GRDF (C‑236/18, EU:C:2019:441, point 34 et jurisprudence citée).
( 18 ) Voir, notamment, ordonnance du 14 mai 2019, Acea Energia e.a. (C‑406/17 à C‑408/17 et C‑417/17, non publiée, EU:C:2019:404, point 55).
( 19 ) Voir, notamment, considérants 42 et 54, ainsi que annexe I, point 1, sous f), de la directive 2009/72.
( 20 ) Voir, notamment, considérants 37 et 51, ainsi que article 36, sous g), article 37, paragraphe 1, sous j) et n), et article 37, paragraphe 2, de la directive 2009/72. Voir aussi, notamment, note interprétative de la Commission du 22 janvier 2010 sur les marchés de détail dans les directives 2009/72 et 2009/73 (disponible sur le site https://ec.europa.eu/energy/), sections 3 et 4.5 notamment.
( 21 ) En première lecture de la proposition qui a abouti à la directive 2009/72, le Parlement a proposé d’ajouter un paragraphe à ce qui est devenu l’article 37 : « L’autorité nationale de régulation met en place un service indépendant de traitement des réclamations ou une procédure alternative de recours, comme un médiateur indépendant pour l’énergie ou une organisation de consommateurs. Ce service ou cette procédure assure le traitement efficace des plaintes et se conforment aux critères qui sont
ceux des meilleures pratiques. L’autorité nationale de régulation établit des normes et des lignes directrices quant aux modalités de traitement des plaintes par les producteurs et les gestionnaires de réseau. » Résolution législative du Parlement européen du 18 juin 2008 sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2003/54/CE concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité (JO 2009, C 286 E, p. 106), proposition
d’article 22 quater, paragraphe 13. Cette proposition n’a pas été reprise dans la position commune du Conseil (JO 2009, C 70 E, p. 1) et, en deuxième lecture, des dispositions similaires ont été ajoutées à ce qui est aujourd’hui l’article 3 de la directive 2009/72. Voir recommandation pour la deuxième lecture du Parlement du 2 avril 2009 (A6-0216/2009).
( 22 ) JO 2019, L 158, p. 125.
( 23 ) Voir article 72, premier alinéa, de la directive 2019/944.
( 24 ) Voir article 60, paragraphe 8, de la directive 2019/944.
( 25 ) Voir, notamment, considérant 86, ainsi que article 58, sous g), et article 59, sous r), de la directive 2019/944.
( 26 ) Mise en italique par mes soins. Voir aussi considérant 36 de la directive 2019/944.
( 27 ) Voir, notamment, article 34, paragraphe 4, article 37, paragraphe 3, sous b), article 37, paragraphe 4, sous e), et article 37, paragraphe 5, sous c), de la directive 2009/72. Aux termes de l’article 37, paragraphe 15, de cette directive, les plaintes visées à l’article 37, paragraphes 11 et 12, de ladite directive « ne préjugent pas de l’exercice des voies de recours prévues par le droit [de l’Union ou le droit] national ».
( 28 ) Voir, à cet égard, Cabau, E., et Ennser, B., « Chapter 6. National Regulatory Authorities », in EU Energy Law. Volume I : The Internal Energy Market, sous la direction de Jones, C., 4e éd., Claeys & Casteels, 2016, sections 6.107 à 6.115.
( 29 ) Voir, notamment, arrêts du 13 mars 2007, Unibet (C‑432/05, EU:C:2007:163, points 37 et 38 et jurisprudence citée), et du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême) (C‑619/18, EU:C:2019:531, points 48 et 49 et jurisprudence citée).
( 30 ) Voir, notamment, arrêts du 16 juillet 2009, Mono Car Styling (C‑12/08, EU:C:2009:466, point 49 et jurisprudence citée), et du 19 mars 2015, E.ON Földgáz Trade (C‑510/13, EU:C:2015:189, point 50).
( 31 ) Arrêt du 13 mars 2007, Unibet (C‑432/05, EU:C:2007:163, points 40 et 41 notamment). Voir aussi, notamment, arrêts du 3 octobre 2013, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil (C‑583/11 P, EU:C:2013:625, points 103 et 104), et du 24 octobre 2018, XC e.a. (C‑234/17, EU:C:2018:853, point 51).
( 32 ) C’est en effet ce qui ressort des arrêts de la Cour analysés dans la première partie (A) des présentes conclusions. Voir aussi, notamment, arrêt du 13 octobre 2016, Prezes Urzędu Komunikacji Elektronicznej et Petrotel (C‑231/15, EU:C:2016:769, points 20 et 21).
( 33 ) Voir, notamment, considérant 33 de la directive 2009/72. L’article 37, paragraphe 16, de cette directive dispose : « Les autorités de régulation motivent et justifient pleinement leurs décisions afin de permettre un contrôle juridictionnel. Les décisions sont rendues publiques tout en préservant la confidentialité des informations commercialement sensibles. »
( 34 ) Voir note interprétative de la Commission du 22 janvier 2010 sur les autorités de régulation dans les directives 2009/72 et 2009/73 (disponible sur le site https://ec.europa.eu/energy/), section 5.
( 35 ) Voir, à cet égard, conclusions de l’avocat général Geelhoed dans l’affaire Connect Austria (C‑462/99, EU:C:2001:683, points 43 à 49). Pour de plus amples développements à ce sujet, voir, notamment, De Somer, S., « The powers of national regulatory authorities as agents of EU law », ERA Forum, Vol. 18, 2018, p. 581 à 595, notamment p. 589 à 593.
( 36 ) Voir note interprétative de la Commission du 22 janvier 2010 sur les autorités de régulation dans les directives 2009/72 et 2009/73 (disponible sur le site https://ec.europa.eu/energy/), p. 20.