CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. GERARD HOGAN
présentées le 24 octobre 2019 ( 1 )
Affaire C‑458/18
GVC Services (Bulgaria) EOOD
contre
Direktor na Direktsia « Obzhalvane i danachno-osiguritelna praktika » – Sofia
[demande de décision préjudicielle formée par l’Administrativen sad Sofia-grad (tribunal administratif de Sofia, Bulgarie)]
« Renvoi préjudiciel – Directive 2011/96/UE – Prévention de la double imposition – Notions de “sociétés constituées conformément au droit du Royaume‑Uni” et de “corporation tax” (impôt des sociétés) au Royaume‑Uni – Statut des sociétés enregistrées à Gibraltar et impôts payés à Gibraltar – Liberté d’établissement »
I. Introduction
1. La présente demande de décision préjudicielle concerne l’interprétation de l’article 2, sous a), i) et iii), de la directive 2011/96/UE du Conseil, du 30 novembre 2011, concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’États membres différents ( 2 ), telle que modifiée par la directive (UE) 2015/121 du Conseil, du 27 janvier 2015 ( 3 ) (ci-après la « directive 2011/96 »), et son annexe I, partie A, sous ab), et partie B.
2. Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant GVC Services (Bulgaria) EOOD, établie en Bulgarie (ci‑après la « requérante ») au Direktor na Direktsia « Obzhalvane i danachno-osiguritelna praktika » – Sofia (directeur de la direction « Recours et pratique en matière de fiscalité et de sécurité sociale » pour Sofia de l’administration centrale de l’agence nationale des recettes publiques, ci‑après le « Direktor ») au sujet d’un avis de redressement constatant une dette d’impôt
sur les dividendes attribués et versés par la requérante à sa société mère PGB Limited – Gibraltar, établie à Gibraltar, durant la période allant du 13 juillet 2011 au 21 avril 2016.
3. Cette demande de décision préjudicielle amène une nouvelle fois la Cour à se prononcer sur la question du statut de Gibraltar au sein de l’Union européenne. La juridiction de renvoi limite ses questions à l’interprétation du champ d’application de la directive 2011/96. Toutefois, si la Cour suit mon interprétation de la notion de « société d’un État membre » au sens de cette directive, il me semble qu’elle ne pourra pas éviter d’examiner les questions sous l’angle de la liberté d’établissement.
En effet, le droit de l’Union ne s’oppose pas à l’imposition des dividendes payés lorsque l’opération ne relève pas du champ d’application de la directive 2011/96, à moins qu’une disposition adoptée à cet effet par un État membre ne soit, en soi, contraire à la libre circulation garantie par le traité.
II. Le cadre juridique
A. Le droit international
4. Le chapitre XI de la Charte des Nations unies, signée le 26 juin 1945 à San Francisco, est intitulé « Déclaration relative aux territoires non autonomes ». Son article 73 dispose ce qui suit :
« Les Membres des Nations Unies qui ont ou qui assument la responsabilité d’administrer des territoires dont les populations ne s’administrent pas encore complètement elles‑mêmes reconnaissent le principe de la primauté des intérêts des habitants de ces territoires. Ils acceptent comme une mission sacrée l’obligation de favoriser dans toute la mesure possible leur prospérité, dans le cadre du système de paix et de sécurité internationales établi par la présente Charte et, à cette fin :
[…]
e) de communiquer régulièrement au Secrétaire général, à titre d’information, sous réserve des exigences de la sécurité et de considérations d’ordre constitutionnel, des renseignements statistiques et autres de nature technique relatifs aux conditions économiques, sociales et de l’instruction dans les territoires dont ils sont respectivement responsables, autres que ceux auxquels s’appliquent les Chapitres XII et XIII. »
B. Le statut de Gibraltar
5. Le roi d’Espagne a cédé Gibraltar à la couronne britannique par le traité d’Utrecht conclu entre le roi d’Espagne et la reine de Grande‑Bretagne le 13 juillet 1713, dans le cadre des traités mettant fin à la guerre de succession d’Espagne. L’article X, dernière phrase, de ce traité précise que si la couronne britannique avait jamais l’intention de donner, de vendre, ou d’aliéner par un quelconque autre moyen la propriété de la ville de Gibraltar, elle serait tenue d’accorder la préférence à la
couronne d’Espagne, par priorité sur tout autre intéressé.
6. En droit international, Gibraltar figure sur la liste des territoires non autonomes au sens de l’article 73 de la Charte des Nations unies. Si le Royaume‑Uni assume les relations extérieures de Gibraltar, il faut toutefois souligner que Gibraltar en tant que tel ne fait pas partie du Royaume‑Uni.
7. En droit de l’Union, Gibraltar est un territoire européen dont un État membre assume les relations extérieures au sens de l’article 355, paragraphe 3, TFUE et auquel les dispositions des traités s’appliquent. L’acte relatif aux conditions d’adhésion du Royaume de Danemark, de l’Irlande et du Royaume‑Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et aux adaptations des traités ( 4 ) (ci‑après l’« acte d’adhésion de 1972 ») prévoit toutefois que certaines parties du traité ne s’appliquent pas à
Gibraltar.
8. L’article 28 de l’acte d’adhésion de 1972 dispose :
« Les actes des institutions de la Communauté visant les produits de l’annexe II du traité CEE et les produits soumis à l’importation dans la Communauté à une réglementation spécifique comme conséquence de la mise en œuvre de la politique agricole commune, ainsi que les actes en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires ne sont pas applicables à Gibraltar, à moins que le Conseil statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission
n’en dispose autrement. »
9. En vertu de l’article 29 de l’acte d’adhésion de 1972, combiné avec l’annexe I, partie I, point 4, de celui‑ci, Gibraltar est exclu du territoire douanier de l’Union.
C. La directive 2011/96
10. Le litige au principal a trait à la période durant laquelle la directive 90/435/CEE du Conseil, du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’États membres différents ( 5 ) et la directive 2011/96 étaient applicables. Toutefois, puisque la seconde est une refonte de la première ( 6 ), il suffit de citer ici les dispositions pertinentes de la seconde ( 7 ).
11. L’article 2, sous a), de la directive 2011/96 dispose :
« Aux fins de l’application de la présente directive, on entend par :
a) “société d’un État membre” : toute société :
i) qui revêt une des formes énumérées à l’annexe I, partie A ;
ii) qui, selon la législation fiscale d’un État membre, est considérée comme ayant dans cet État membre son domicile fiscal et qui, aux termes d’une convention en matière de double imposition conclue avec un État tiers, n’est pas considérée comme ayant son domicile fiscal hors de l’Union ;
iii) qui, en outre, est assujettie, sans possibilité d’option et sans en être exonérée, à l’un des impôts énumérés à l’annexe I, partie B, ou à tout autre impôt qui viendrait se substituer à l’un de ces impôts. »
12. L’annexe I, partie A, de la directive 2011/96 énumère les sociétés visées à l’article 2, sous a), i). Elle inclut, sous ab), « les sociétés constituées conformément au droit du Royaume‑Uni ». L’annexe I, partie B, de la même directive énumère les impôts visés à l’article 2, sous a), iii), et inclut la « corporation tax au Royaume‑Uni ».
13. Conformément à l’article 5 de la directive 2011/96, « [l]es bénéfices distribués par une filiale à sa société mère sont exonérés de retenue à la source ».
D. Le droit bulgare
14. Les dispositions de droit bulgare pertinentes figurent à l’article 194 du Zakon za korporativnoto podohodno oblagane (loi sur la taxation du revenu des sociétés) (DV no 105 du 22 décembre 2006), qui dispose :
« 1) Sont assujettis à un impôt prélevé à la source les dividendes et les bonis de liquidation distribués (versés) par des personnes morales résidentes :
1. à des personnes morales étrangères, sauf lorsque les dividendes sont perçus par une personne morale étrangère par l’intermédiaire d’un établissement stable établi dans le pays ;
[…]
3) Le paragraphe 1 n’est pas applicable lorsque les dividendes et les bonis de liquidation sont distribués :
3. […] à une personne morale étrangère ayant son domicile fiscal dans un État membre de l’Union européenne ou dans un autre État qui est partie à l’accord sur l’Espace économique européen, sauf lorsqu’il y a distribution cachée de bénéfices. »
III. Les faits au principal
15. La requérante est une société bulgare unipersonnelle à responsabilité limitée active sous la dénomination commerciale de « GVC Services (Bulgaria) EOOD ». Elle a été constituée conformément au Targovski zakon (loi sur le commerce) de la République de Bulgarie. Jusqu’au 1er février 2016, son capital était intégralement détenu par PGB Limited – Gibraltar, une société constituée à Gibraltar. La société bulgare fournit des services de technologies de l’information.
16. Durant la période allant du 13 juillet 2011 au 21 avril 2016, la requérante a distribué des dividendes à sa société mère PGB Limited – Gibraltar et les lui a versés sans retenir ni acquitter d’impôt sur ceux‑ci en Bulgarie, estimant que la société PGB Limited – Gibraltar pouvait être considérée comme une personne morale étrangère ayant son domicile fiscal dans un État membre de l’Union au sens de l’article 194, paragraphe 3, de la loi sur la taxation du revenu des sociétés.
17. Les autorités fiscales compétentes ont au contraire considéré que l’impôt aurait dû être prélevé à la source sur les dividendes distribués et elles ont émis, le 1er décembre 2017, un avis de redressement, qui a été modifié à deux reprises par les avis des 7 et 22 décembre 2017. Cet avis de redressement a constaté des dettes au titre de la retenue à la source à payer sur les dividendes et sur les bonis de liquidation versés à la société mère d’un montant total de 930529,54 leva bulgares (BGN),
dont 669690,32 BGN au titre du principal et 260839,22 BGN au titre des intérêts de retard.
18. L’avis de redressement fiscal a fait l’objet d’un recours administratif devant le Direktor qui l’a confirmé. Un recours a ensuite été formé devant l’Administrativen sad Sofia-grad (tribunal administratif de Sofia, Bulgarie).
19. La requérante a soutenu que la législation de l’Union s’appliquait également à Gibraltar, qui a le statut de territoire de l’Union dont le Royaume‑Uni assume les relations extérieures. Elle s’est appuyée sur l’article 355, paragraphe 3, TFUE et a affirmé que le paiement de dividendes ne relevait pas des exceptions prévues aux articles 28 à 30 de l’acte d’adhésion de 1972. À cet égard, la requérante a estimé que la société mère remplissait les conditions de l’article 2 de la directive 2011/96 :
cette société pouvait être assimilée à une société constituée au Royaume‑Uni et était assujettie à Gibraltar à l’impôt sur les sociétés qui correspond à la corporation tax au Royaume‑Uni visée à l’annexe I, partie B, de cette directive.
20. Le Direktor a indiqué que la directive 2011/96 contenait une liste explicite et exhaustive tant des sociétés (annexe I, partie A) que des impôts (annexe I, partie B) qui relèvent de son champ d’application. Il a considéré que le champ d’application de la directive 2011/96 était défini de façon exhaustive et que celui‑ci ne saurait donc être étendu aux sociétés constituées et assujetties à l’impôt sur les sociétés à Gibraltar, puisque les règles fiscales ne peuvent pas faire l’objet d’une
interprétation extensive.
21. La juridiction de renvoi estime que l’appréciation de la compatibilité de l’avis litigieux avec la directive 2011/96 dépend de la question de savoir si Gibraltar relève du champ d’application de cette dernière et si, en conséquence, la requérante doit être exonérée de la retenue à la source en Bulgarie en sa qualité de filiale d’une société mère constituée à Gibraltar.
IV. La demande de décision préjudicielle et la procédure devant la Cour
22. C’est dans ces circonstances que, par une décision du 5 juillet 2018 parvenue à la Cour le 12 juillet 2018, l’Administrativen sad Sofia‑grad (tribunal administratif de Sofia) a suspendu la procédure et a saisi la Cour des questions préjudicielles suivantes :
« 1) Les dispositions combinées de l’article 2, sous a), i), de la directive [2011/96] et de son annexe I, partie A, sous ab), doivent‑elles être interprétées en ce sens qu’on entend également par “sociétés constituées conformément au droit du Royaume‑Uni” les sociétés constituées à Gibraltar ?
2) Les dispositions combinées de l’article 2, sous a), iii), de la directive [2011/96] et de son annexe I, partie B, doivent-elles être interprétées en ce sens qu’on entend également par “corporation tax au Royaume‑Uni”, l’impôt sur les sociétés dû à Gibraltar ? »
23. La requérante, le Direktor, les gouvernements bulgares, danois et du Royaume‑Uni, ainsi que la Commission européenne ont présenté des observations écrites. À l’exception du gouvernement du Royaume‑Uni, toutes ces parties ont également présenté des observations orales lors de l’audience qui s’est tenue le 11 septembre 2019.
V. Analyse
24. Par ses deux questions, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à déterminer le champ d’application de la directive 2011/96 et, plus précisément, si cette directive s’applique aux sociétés constituées à Gibraltar. Ces deux questions, qui concernent les éléments constitutifs de la notion de « société d’un État membre » au sens de la directive 2011/96, peuvent donc être examinées conjointement.
25. Toutefois, comme je suis parvenu à la conclusion que les sociétés constituées à Gibraltar ne relèvent pas de la directive 2011/96, je proposerai d’examiner également, dans un second temps, la compatibilité de ce refus de l’exonération de retenue à la source avec la liberté d’établissement en ce qui concerne Gibraltar.
A. L’interprétation de la notion de « société d’un État membre » au sens de l’article 2, sous a), de la directive 2011/96
26. Avant même de se demander si les sociétés constituées à Gibraltar relèvent de la directive 2011/96 ou, en d’autres termes, avant de préciser le champ d’application personnel de la directive ( 8 ), il convient d’en déterminer le champ d’application territorial et d’examiner si elle s’applique à Gibraltar.
1. L’applicabilité de la directive 2011/96 à Gibraltar
27. Il faut tout d’abord rappeler que l’article 355, paragraphe 3, TFUE prévoit que les dispositions des traités s’appliquent aux territoires européens dont un État membre assume les relations extérieures.
28. À cet égard, il est désormais constant que Gibraltar constitue un territoire européen dont un État membre, à savoir le Royaume‑Uni, assume les relations extérieures et que le droit de l’Union s’applique à ce territoire en vertu de l’article 355, paragraphe 3, TFUE. Toutefois, par dérogation à cette disposition, Gibraltar est, en vertu de l’acte d’adhésion de 1972, exclu du champ d’application des actes de l’Union (y compris des actes législatifs) dans certains domaines du droit de l’Union ( 9 ).
29. En vertu des articles 28 et 29 de l’acte d’adhésion de 1972, la politique agricole commune et les actes en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires ne sont pas applicables à Gibraltar et Gibraltar est exclu du territoire douanier de l’Union. Néanmoins, en tant qu’exception à l’application du droit de l’Union sur le territoire de l’Union européenne, ces dispositions doivent recevoir une interprétation qui limite leur portée à ce qui
est strictement nécessaire pour sauvegarder les intérêts qu’elles permettent à Gibraltar de préserver ( 10 ).
30. Selon le libellé du considérant 3 de la directive 2011/96, cette directive a pour objectif d’exonérer de retenue à la source les dividendes et autres bénéfices distribués par des filiales à leur société mère, et d’éliminer la double imposition de ces revenus au niveau de la société mère. Il est donc clair que la directive 2011/96 ne relève d’aucune des exceptions prévues aux articles 28 et 29 de l’acte d’adhésion de 1972. En outre, aucune disposition de cette directive n’exclut Gibraltar de son
champ d’application territorial.
31. Dès lors, il semble évident que, en tant que législation de l’Union, la directive 2011/96 devrait en principe s’appliquer au territoire de l’Union qu’est Gibraltar. La question de savoir si les sociétés telles que PGB Limited – Gibraltar, qui ont été constituées à Gibraltar, relèvent de la définition de « société d’un État membre » visée à l’article 2, sous a), de la directive 2011/96 est toutefois quelque peu différente. C’est cette question que je me propose maintenant d’aborder.
2. L’inapplicabilité de la directive 2011/96 aux sociétés constituées à Gibraltar
32. Conformément à l’article 2, sous a), i) et iii), de la directive 2011/96, pour être une « société d’un État membre » au sens de cette directive, une société doit revêtir une des formes énumérées à l’annexe I, partie A, et être assujettie, sans possibilité d’option et sans en être exonérée, à l’un des impôts énumérés à l’annexe I, partie B, ou à tout autre impôt qui viendrait se substituer à l’un de ces impôts.
33. La Cour a déjà eu l’occasion d’interpréter ces dispositions en ce sens que « les formes juridiques […] couvertes par la directive [2011/96] sont exhaustivement énoncées [à l’annexe I, partie A] de celle‑ci, l’extension de l’application de cette directive par analogie à d’autres types de sociétés […] fussent-elles comparables, ne saurait être admise » ( 11 ).
34. Il est vrai que, alors que la loi française pertinente dans l’arrêt cité au point précédent énumère explicitement les formes juridiques relevant de la directive 2011/96, le Royaume‑Uni a en revanche opté pour une formulation générale puisque l’annexe I, partie A, sous ab), de la directive 2011/96 renvoie simplement aux « sociétés constituées conformément au droit du Royaume‑Uni ».
35. Il convient toutefois d’observer que l’interprétation par la Cour du champ d’application matériel de la directive 2011/96 est indépendante de la méthode choisie par les États membres pour désigner les sociétés qui en relèvent. En effet, selon la Cour, le « principe fondamental de sécurité juridique [s’oppose] à ce que la liste des sociétés fournie [à] l’annexe de cette directive soit interprétée en tant que liste fournie à titre indicatif, lorsqu’une telle interprétation ne découle pas de son
libellé ni du système de la directive 90/435 » ( 12 ), dans sa refonte par la directive 2011/96. Comme l’ont souligné la Cour et l’avocat général Mazák dans l’affaire Gaz de France – Berliner Investissement, la directive 90/435 – tout comme l’actuelle directive 2011/96 – n’a pas pour objectif d’instaurer un régime commun pour toutes les sociétés des États membres, ni pour tous les types de participations ( 13 ).
36. Puisque, dans l’arrêt du 1er octobre 2009, Gaz de France – Berliner Investissement (C‑247/08, EU:C:2009:600), la Cour a expressément exclu toute possibilité d’étendre le champ d’application de la directive 2011/96 par analogie à d’autres formes de sociétés que celles énumérées à l’annexe I, partie A, pour des raisons de sécurité juridique, je ne pense pas que les termes « sociétés constituées conformément au droit du Royaume‑Uni » puissent être interprétés en ce sens qu’ils viseraient également
les sociétés constituées à Gibraltar, d’autant plus que Gibraltar ne fait pas partie du Royaume‑Uni. En outre, il peut également être observé que le gouvernement du Royaume‑Uni reconnaît lui‑même que « les sociétés constituées conformément au droit du Royaume‑Uni ne peuvent inclure que des sociétés qui sont considérées comme des sociétés constituées au Royaume‑Uni par le droit interne du Royaume‑Uni. Or, celui‑ci ne considère pas les sociétés constituées à Gibraltar comme des sociétés
constituées conformément au droit du Royaume‑Uni » ( 14 ).
37. En concluant en ce sens, je n’ignore pas l’argument avancé par la requérante lors de l’audience du 11 septembre 2019, selon lequel le fait que la directive 2011/96 n’aborde pas explicitement la situation des sociétés constituées à Gibraltar serait un oubli du législateur auquel la Cour devrait remédier par une interprétation téléologique généreuse des dispositions de l’annexe I, partie A, de la directive 2011/96. Il existe sans conteste des situations dans lesquelles il convient de s’écarter de
la formulation littérale d’une mesure législative, notamment lorsqu’il est évident que le résultat final serait absurde ou incompréhensible ou qu’il différerait de l’intention claire du législateur de l’Union. Il me semble cependant que tel n’est pas le cas en l’espèce.
38. Il convient tout d’abord d’observer que le libellé de l’annexe I, partie A, de la directive 2011/96 est particulièrement clair puisque les sociétés visées à l’article 2, sous a), i), de cette directive sont désignées comme « les sociétés constituées conformément au droit du Royaume‑Uni ». Compte tenu de cette formulation, il semble tout simplement impossible que la Cour puisse s’écarter de ce libellé en faveur de l’interprétation téléologique demandée par la requérante. En tout état de cause, la
Cour a déjà clairement rejeté cette approche dans l’arrêt du 1er octobre 2009, Gaz de France – Berliner Investissement (C‑247/08, EU:C:2009:600).
39. Ensuite, le contexte de cette législation présente également une certaine importance. Comme l’a fait observer le gouvernement danois au cours de l’audience du 11 septembre 2019, étant donné la réticence manifeste de certains États membres à conclure des conventions préventives de la double imposition avec Gibraltar, il semble très improbable que le législateur de l’Union ait simplement oublié la situation particulière de Gibraltar vu le caractère sensible de toute cette question.
40. Les conditions énoncées à l’article 2, sous a), de la directive 2011/96 sont cumulatives ( 15 ). La conclusion formulée ci‑dessus suffit dès lors à rejeter l’applicabilité de l’article 5 de la directive 2011/96 à une filiale dont la société mère a été constituée à Gibraltar.
41. Toutefois, par souci d’exhaustivité, j’aimerais ajouter que la condition de l’assujettissement à l’un des impôts énumérés à l’annexe I, partie B, de la directive 2011/96 doit également être interprétée de manière restrictive, et ce pour les mêmes raisons de sécurité juridique. Il en est d’autant plus ainsi que, comme la Commission l’a souligné dans ses observations écrites, le droit de l’Union ne prévoit pas – tout au moins jusqu’à présent – de définition harmonisée de l’impôt sur les sociétés
et que la détermination de celui‑ci relève de la compétence des États membres ( 16 ).
42. Puisque le gouvernement du Royaume‑Uni reconnaît également que, selon le droit interne du Royaume‑Uni, l’impôt équivalent versé à Gibraltar ne constitue pas une « corporation tax au Royaume‑Uni » ( 17 ), il en découle que les termes « corporation tax au Royaume‑Uni » qui figurent à l’annexe I, partie B, de la directive 2011/96 ne sauraient être compris comme incluant un impôt équivalent à Gibraltar ( 18 ).
3. Conclusion intermédiaire : réponse aux questions de la juridiction de renvoi
43. Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles que les dispositions combinées de l’article 2, sous a), de la directive 2011/96 et de son annexe I, partie A, sous ab), et partie B, doivent être interprétées en ce sens qu’une société constituée à Gibraltar et assujettie à l’impôt sur les sociétés à Gibraltar ne saurait être considérée comme une « société d’un État membre » au sens de cette directive.
B. Applicabilité de l’article 49 TFUE en faveur d’une société mère constituée à Gibraltar
1. Remarque liminaire sur la pertinence de l’article 49 TFUE dans la présente affaire
44. La juridiction de renvoi a limité ses questions à l’interprétation de l’article 2, sous a), i) et iii), de la directive 2011/96 et de son annexe I, partie A, sous ab), et partie B. La Cour a cependant jugé à de nombreuses reprises qu’une telle circonstance ne fait pas obstacle à ce qu’elle fournisse à la juridiction de renvoi tous les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui peuvent être utiles au jugement de l’affaire dont elle est saisie, que cette juridiction y ait fait référence ou
non dans l’énoncé de ses questions ( 19 ).
45. Dans ce contexte, j’aimerais rappeler que, même si l’article 5 de la directive 2011/96 ne s’applique qu’aux distributions de bénéfices perçus par une société qui peut être considérée comme une « société d’un État membre » au sens de cette directive, la Cour a souligné que ladite directive n’autorise pas un État membre à traiter de manière moins favorable les bénéfices distribués aux sociétés des autres États membres qui n’entrent pas dans son champ d’application par rapport aux bénéfices
distribués aux sociétés comparables établies sur son territoire ( 20 ). Les États membres ne sont pas autorisés à appliquer des mesures contraires aux libertés de circulation garanties par le traité ( 21 ).
46. Il me paraît dès lors nécessaire d’examiner la législation nationale à la lumière des libertés de circulation et, en particulier, de la liberté d’établissement. En effet, comme cela a déjà été indiqué, Gibraltar est un territoire de l’Union dont un État membre assume les relations extérieures au sens de l’article 355, paragraphe 3, TFUE et auquel les dispositions des traités s’appliquent ( 22 ). Il est également certain et établi que l’exclusion du territoire de Gibraltar de l’application des
actes de l’Union dans certains domaines de droit, prévue par l’acte d’adhésion de 1972, ne vise ni la liberté d’établissement ni la libre circulation des capitaux, consacrées respectivement aux articles 49 et 63 TFUE. En d’autres termes, ces deux articles s’appliquent au territoire de Gibraltar en vertu de l’article 355, paragraphe 3, TFUE ( 23 ).
47. En l’espèce, PGB Limited – Gibraltar détenait une participation de 100 % dans la requérante durant la période en cause dans la procédure au principal. Dans ce contexte, la liberté applicable est la liberté d’établissement puisqu’une telle participation permet à son détenteur d’exercer une influence certaine sur les décisions d’une société et de déterminer les activités de celle‑ci ( 24 ).
2. Sur l’existence d’une discrimination
48. Dans la présente affaire, contrairement à la filiale d’une société mère constituée dans un État membre, la requérante ne pouvait pas bénéficier de l’exonération de la retenue à la source. Ainsi que la Cour l’a déjà jugé, « [u]ne telle différence de traitement fiscal des dividendes entre sociétés mères en fonction du lieu de leur siège constitue une restriction à la liberté d’établissement, en principe interdite par les articles [49 et 54 TFUE] » ( 25 ).
49. En effet, la mesure fiscale en cause au principal rend moins attrayant l’exercice de la liberté d’établissement par des sociétés établies à Gibraltar, lesquelles pourraient en conséquence renoncer à l’acquisition, à la création ou au maintien d’une filiale dans l’État membre qui édicte cette mesure ( 26 ). Comme l’a déjà expliqué la Cour, admettre que l’État membre d’établissement de la filiale résidente puisse librement appliquer un traitement différent à ladite filiale en raison du seul fait
que le siège de sa société mère est situé dans un autre État membre viderait l’article 49 TFUE de son contenu ( 27 ).
50. Dans la présente affaire, la différence de traitement n’est pas justifiée par la circonstance que la société mère est établie dans un autre État membre que sa filiale mais par le fait qu’elle serait considérée comme une personne morale étrangère qui n’est pas établie dans un État membre alors que le droit de l’Union s’applique à Gibraltar en vertu de l’article 355, paragraphe 3, TFUE ( 28 ).
51. Dans ces circonstances, puisque la retenue à la source est applicable à toutes les sociétés mères constituées à Gibraltar, sans qu’il soit fait référence au champ d’application matériel de la directive 2011/96 ou à aucun autre motif susceptible de les distinguer des sociétés comparables établies dans d’autres États membres, mais pour la seule raison qu’elles sont établies dans ce territoire, une législation nationale telle que celle en cause au principal entraîne une restriction discriminatoire
à la liberté d’établissement garantie par l’article 49 TFUE ( 29 ).
52. Dans ce contexte, il est de jurisprudence constante que des règles nationales qui ne sont pas indistinctement applicables à toutes les sociétés, indépendamment de leur lieu d’établissement, et qui sont dès lors discriminatoires, ne sont compatibles avec le droit de l’Union que si elles peuvent être justifiées par l’un des motifs énoncés à l’article 52, paragraphe 1, TFUE, à savoir l’ordre public, la sécurité publique ou la santé ( 30 ).
53. L’identification des objectifs effectivement poursuivis par la réglementation nationale relève, dans le cadre d’une affaire dont la Cour est saisie au titre de l’article 267 TFUE, de la compétence de la juridiction de renvoi. Il incombe également à cette dernière juridiction de vérifier, tout en tenant compte des indications fournies par la Cour, si les restrictions imposées par l’État membre concerné satisfont aux conditions qui ressortent de la jurisprudence de la Cour en ce qui concerne leur
proportionnalité ( 31 ).
54. À cet égard, la décision de renvoi ne comporte aucune information sur l’objectif poursuivi par le législateur. Il est dès lors particulièrement difficile de poursuivre cette analyse et il serait sans doute préférable que la juridiction de renvoi introduise une nouvelle demande de décision préjudicielle sur cette question si elle l’estime nécessaire. En même temps, il peut être utile de souligner que la Cour a soulevé la question de la liberté d’établissement dans ses questions aux parties et que
cette problématique a été largement débattue lors de l’audience du 11 septembre 2019.
55. En tout état de cause, il peut être déduit des observations écrites du gouvernement bulgare que l’exclusion, prévue par la loi, des sociétés mères constituées à Gibraltar du bénéfice de l’exonération de la retenue à la source est fondée sur le faible taux d’imposition appliqué à Gibraltar – voire l’absence d’imposition – et sur les difficultés – voire l’impossibilité – d’obtenir des informations en matière fiscale auprès des autorités compétentes. Le gouvernement bulgare a confirmé lors de
l’audience du 11 septembre 2019 que la nécessité d’éviter l’évasion fiscale et la nécessité de sauvegarder la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres constituent des motifs susceptibles de justifier une restriction de la liberté d’établissement. Dans ce cadre, l’objectif de la législation en cause serait d’éviter que les fonds payés à des personnes physiques établies dans d’autres États membres par l’intermédiaire d’une société mère constituée à Gibraltar
n’échappent à toute imposition ( 32 ).
56. À cet égard, j’observerai qu’il ressort d’une jurisprudence constante qu’une mesure nationale restreignant la libre circulation des capitaux ou la liberté d’établissement peut être justifiée par la nécessité de prévenir la fraude et l’évasion fiscales lorsqu’elle vise spécifiquement les montages purement artificiels, dépourvus de réalité économique, créés dans le but d’éluder l’impôt normalement dû sur les bénéfices générés par des activités réalisées sur le territoire national de l’État membre
concerné ( 33 ). De même, la Cour a toujours considéré que la nécessité de garantir l’efficacité des contrôles fiscaux constitue une raison impérieuse d’intérêt général susceptible de justifier une restriction à la libre circulation des capitaux et a rappelé que, dans ce cadre, les contrôles fiscaux visent à lutter contre la fraude et l’évasion fiscales ( 34 ).
57. Dans la présente affaire, les observations écrites du gouvernement bulgare semblent – mais, je le répète, ce n’est pas certain – indiquer que l’objectif de la législation nationale en cause au principal pourrait correspondre à ces raisons impérieuses d’intérêt général et, plus précisément, à la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales.
58. Il convient toutefois de noter que ces objectifs ne sauraient relever de la notion d’« ordre public » puisque la Cour a précisé que cette notion suppose, en tout état de cause, l’existence, en dehors du trouble pour l’ordre social que constitue toute infraction à la loi, d’une menace réelle, actuelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société ( 35 ). Dans ce contexte, la Cour a déjà souligné que des objectifs de nature économique ne peuvent constituer des raisons
d’ordre public au sens de l’article 52 TFUE ( 36 ). La lutte contre la fraude et l’évasion fiscales ne saurait, dès lors, justifier des restrictions à un droit fondamental garanti par le traité ( 37 ).
59. De plus, l’exclusion générale du bénéfice d’une exonération fiscale, telle que la prévoit la législation nationale en cause au principal pour les filiales dont les sociétés mères ont été constituées à Gibraltar, semble disproportionnée, étant donné qu’elle va au-delà de ce qui est nécessaire pour prévenir la fraude et l’évasion fiscales.
60. Il est évident que, comme la Cour l’a récemment confirmé, le constat d’un montage abusif ou frauduleux justifie l’inapplicabilité des libertés fondamentales garanties par le traité FUE ( 38 ). Toutefois, une exclusion de ce genre ne saurait être appliquée d’une manière générale, sur la base d’un critère territorial, s’il apparaît que les sociétés constituées à Gibraltar se trouvent dans une situation objectivement comparable à celle des sociétés établies dans d’autres « États membres », en ce
qui concerne l’exonération de la retenue à la source sur les bénéfices distribués par une filiale à sa société mère.
61. À cet égard, j’observe que, premièrement, l’article 194 de la loi sur la taxation du revenu des sociétés dispose que la retenue à la source ne s’applique pas lorsque les dividendes et bonis de liquidation sont distribués « à une personne morale étrangère ayant son domicile fiscal dans un État membre de l’Union » sans prévoir aucune condition liée au taux d’imposition applicable dans cet État membre. Pourtant, selon l’OECD Tax Database, le taux de l’impôt sur le revenu des personnes physiques
appliqué aux dividendes dans les États membres de l’Union varie entre 7 % et 51 %, ou est même de 0 % dans l’un de ces États ( 39 ).
62. Deuxièmement, d’une part, la Convention concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale, élaborée conjointement par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et le Conseil de l’Europe en 1988 et amendée par un protocole de 2010, s’applique au territoire de Gibraltar depuis le 1er mars 2014 ( 40 ). À cet égard, j’observe que selon l’examen par les pairs de l’OCDE, la situation à Gibraltar est jugée « largement conforme » ( 41 ). D’autre part, et c’est
sans doute plus important, la directive 2011/16/UE du Conseil, du 15 février 2011, relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal et abrogeant la directive 77/799/CEE ( 42 ), s’applique à Gibraltar puisque, conformément à son article 2, paragraphe 4, elle s’applique à tous les types de taxes et impôts qui sont perçus sur le territoire auquel les traités s’appliquent en vertu de l’article 52 TFUE, lequel fait référence à l’article 355 TFUE.
63. En outre, il apparaît que la directive 2011/16, telle que modifiée par la directive 2014/107/UE du Conseil, du 9 décembre 2014 ( 43 ), par la directive (UE) 2015/2376 du Conseil, du 8 décembre 2015 ( 44 ), par la directive (UE) 2016/881 du Conseil, du 25 mai 2016 ( 45 ) et par la directive (UE) 2016/2258 du Conseil, du 6 décembre 2016 ( 46 ), de même que la directive 2010/24/UE du Conseil, du 16 mars 2010, concernant l’assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances relatives aux
taxes, impôts, droits et autres mesures ( 47 ), ont toutes deux été transposées dans le droit de Gibraltar ( 48 ). La Commission a, en tout état de cause, confirmé ce qui précède lors de l’audience du 11 septembre 2019.
64. Dans ces circonstances, il me semble que le refus d’exonérer de la retenue à la source les dividendes versés par les filiales établies dans un État membre à leurs sociétés mères constituées à Gibraltar ne peut pas être prévu par voie de règle générale comme cela a apparemment été le cas dans la présente affaire. Un tel refus ne peut être que le résultat de l’application d’une mesure anti-abus à une situation individuelle. En tant que tel, il doit donc être apprécié de manière individuelle.
65. De plus, il faut rappeler que, selon une jurisprudence constante, une législation nationale n’est proportionnée que si, dans chaque cas où l’existence d’un tel montage ne peut être exclue, le contribuable est mis en mesure, sans être soumis à des contraintes administratives excessives, de produire des éléments concernant les éventuelles raisons commerciales pour lesquelles cette transaction a été conclue ( 49 ).
3. Conclusion intermédiaire sur l’applicabilité de l’article 49 TFUE en l’espèce et ses conséquences
66. Il découle de ce qui précède que les articles 49 et 52 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation d’un État membre qui exclut de l’exonération des impôts retenus à la source, de manière générale et sur la base d’un critère territorial, les dividendes versés par des filiales constituées dans cet État membre à leurs sociétés mères établies à Gibraltar.
VI. Conclusion
67. En conséquence, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par l’Administrativen sad Sofia-grad (tribunal administratif de Sofia, Bulgarie) de la manière suivante :
1) Les dispositions combinées de l’article 2, sous a), de la directive 2011/96/UE du Conseil, du 30 novembre 2011, concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’États membres différents, telle que modifiée par la directive (UE) 2015/121, du 27 janvier 2015, et de son annexe I, partie A, sous ab), et partie B, doivent être interprétées en ce sens qu’une société constituée à Gibraltar et assujettie à l’impôt sur les sociétés à Gibraltar ne saurait être considérée
comme une « société d’un État membre » au sens de cette directive.
2) Les articles 49 et 52 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation d’un État membre qui exclut de l’exonération des impôts retenus à la source, de manière générale et sur la base d’un critère territorial, les dividendes versés par des filiales constituées dans cet État membre à leurs sociétés mères établies à Gibraltar.
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( 1 ) Langue originale : l’anglais.
( 2 ) JO 2011, L 345, p. 8.
( 3 ) JO 2015, L 21, p. 1.
( 4 ) JO 1972, L 73, p. 14.
( 5 ) JO 1990, L 225, p. 6.
( 6 ) Voir, en ce sens, considérant 1 de la directive 2011/96.
( 7 ) En outre, puisque les dispositions pertinentes de la directive 2011/96 dont il est question en l’espèce sont en substance identiques à celles de la directive 90/435, il y a lieu de considérer que la jurisprudence de la Cour relative à cette dernière directive s’applique également à la directive 2011/96 [voir, en ce sens, ordonnance du 14 juin 2018, GS (C‑440/17, non publiée, EU:C:2018:437, point 30)].
( 8 ) Voir, en ce sens, arrêt du 8 mars 2017, Wereldhave Belgium e.a. (C‑448/15, EU:C:2017:180, point 27).
( 9 ) Voir, en ce sens, arrêts du 23 septembre 2003, Commission/Royaume‑Uni (C‑30/01, EU:C:2003:489, point 47) ; du 12 septembre 2006, Espagne/Royaume‑Uni (C‑145/04, EU:C:2006:543, point 19), et du 13 juin 2017, The Gibraltar Betting and Gaming Association (C‑591/15, EU:C:2017:449, points 29 et 30).
( 10 ) Voir, en ce sens, arrêt du 21 juillet 2005, Commission/Royaume‑Uni (C‑349/03, EU:C:2005:488, points 41 à 43 et 51).
( 11 ) Arrêt du 1er octobre 2009, Gaz de France – Berliner Investissement (C‑247/08, EU:C:2009:600, point 43). Mise en italique par mes soins. Dans cette affaire, l’interprétation portait sur la directive 90/435. Toutefois, ainsi qu’il a déjà été mentionné, puisque les dispositions pertinentes en cause dans cette affaire revêtaient une portée en substance identique à celle de la directive 2011/96, il y a lieu de considérer que l’arrêt cité est applicable [voir, en ce sens, ordonnance du 14 juin
2018, GS (C‑440/17, non publiée, EU:C:2018:437, point 30)].
( 12 ) Arrêt du 1er octobre 2009, Gaz de France – Berliner Investissement (C‑247/08, EU:C:2009:600, point 38).
( 13 ) Voir, en ce sens, arrêt du 1er octobre 2009, Gaz de France – Berliner Investissement (C‑247/08, EU:C:2009:600, point 36), et conclusions de l’avocat général Mazák dans l’affaire Gaz de France – Berliner Investissement (C‑247/08, EU:C:2009:399, point 31).
( 14 ) Point 40 des observations écrites du gouvernement du Royaume‑Uni. Mise en italique par mes soins. Voir, également, Antón Guardiola, C., Gibraltar : un desafío en la Unión Europea, Tirant Lo Blanch, Valence, 2011, p. 168.
( 15 ) Voir, en ce sens, arrêts du 1er octobre 2009, Gaz de France – Berliner Investissement (C‑247/08, EU:C:2009:600, point 29), et du 8 mars 2017, Wereldhave Belgium e.a. (C‑448/15, EU:C:2017:180, point 27).
( 16 ) Voir, en ce sens, point 22 des observations écrites de la Commission.
( 17 ) Voir, en ce sens, point 41 des observations écrites du gouvernement du Royaume‑Uni.
( 18 ) Voir, en ce sens, Antón Guardiola, C., Gibraltar : un desafío en la Unión Europea, Tirant Lo Blanch, Valence, 2011, p. 168.
( 19 ) Voir, pour des applications récentes de cette jurisprudence, arrêts du 5 juin 2018, Coman e.a. (C‑673/16, EU:C:2018:385, point 22), et du 13 juin 2019, Moro (C‑646/17, EU:C:2019:489, point 40).
( 20 ) Voir, en ce sens, arrêt du 1er octobre 2009, Gaz de France – Berliner Investissement (C‑247/08, EU:C:2009:600, point 59).
( 21 ) Voir, en ce sens, arrêt du 1er octobre 2009, Gaz de France – Berliner Investissement (C‑247/08, EU:C:2009:600, point 60).
( 22 ) Voir, en ce sens, références citées à la note 9 des présentes conclusions.
( 23 ) Voir, en ce sens, ordonnance du 12 octobre 2017, Fisher (C‑192/16, EU:C:2017:762, point 26), et, en ce qui concerne l’article 56 TFUE relatif à la libre prestation des services, arrêt du 13 juin 2017, The Gibraltar Betting and Gaming Association (C‑591/15, EU:C:2017:449, points 30 et 31).
( 24 ) Voir, en ce sens, arrêt du 27 février 2019, Associação Peço a Palavra e.a. (C‑563/17, EU:C:2019:144, point 43 et jurisprudence citée).
( 25 ) Arrêt du 14 décembre 2006, Denkavit Internationaal et Denkavit France (C‑170/05, EU:C:2006:783, point 29).
( 26 ) Voir, en ce sens, arrêt du 14 décembre 2006, Denkavit Internationaal et Denkavit France (C‑170/05, EU:C:2006:783, point 30).
( 27 ) Voir, en ce sens, arrêts du 14 décembre 2006, Denkavit Internationaal et Denkavit France (C‑170/05, EU:C:2006:783, point 22), et du 18 juillet 2007, Oy AA (C‑231/05, EU:C:2007:439, point 30).
( 28 ) Arrêt du 13 juin 2017, The Gibraltar Betting and Gaming Association (C‑591/15, EU:C:2017:449, point 51).
( 29 ) Si l’application de la retenue à la source sur les dividendes versés à une société mère telle que celle en cause au principal avait été justifiée par le fait que cette dernière n’a pas été constituée sous une des formes juridiques visées à l’annexe I, partie A, de la directive 2011/96, la solution aurait probablement été différente. En effet, dans ce cas, la République de Bulgarie aurait simplement tiré les conclusions du choix du Royaume‑Uni de ne pas permettre aux filiales de ces sociétés
de bénéficier des dispositions de la directive 2011/96.
( 30 ) Voir, en ce sens, arrêts du 18 juin 1991, ERT (C‑260/89, EU:C:1991:254, point 24) ; du 29 avril 1999, Ciola (C‑224/97, EU:C:1999:212, point 16) ; du 9 septembre 2010, Engelmann (C‑64/08, EU:C:2010:506, point 34), et du 22 octobre 2014, Blanco et Fabretti (C‑344/13 et C‑367/13, EU:C:2014:2311, point 38).
( 31 ) Voir en ce sens, en ce qui concerne la libre prestation des services, arrêt du 22 octobre 2014, Blanco et Fabretti (C‑344/13 et C‑367/13, EU:C:2014:2311, point 40).
( 32 ) Voir, en ce sens, point 10 des observations écrites du gouvernement danois.
( 33 ) Voir, en ce sens, arrêts du 12 septembre 2006, Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas (C‑196/04, EU:C:2006:544, points 51 et 55), et du 26 février 2019, X (Sociétés intermédiaires établies dans des pays tiers) (C‑135/17, EU:C:2019:136, point 73).
( 34 ) Voir, en ce sens, du 26 février 2019, X (Sociétés intermédiaires établies dans des pays tiers) (C‑135/17, EU:C:2019:136, point 74 et jurisprudence citée).
( 35 ) Voir, en ce sens, arrêt du 26 septembre 2018, Van Gennip e.a. (C‑137/17, EU:C:2018:771, point 58).
( 36 ) Voir, en ce sens, arrêts du 25 juillet 1991, Collectieve Antennevoorziening Gouda (C‑288/89, EU:C:1991:323, point 11), et du 14 novembre 1995, Svensson et Gustavsson (C‑484/93, EU:C:1995:379, point 15).
( 37 ) Voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Saggio dans l’affaire X et Y (C‑200/98, EU:C:1999:280, points 22 et 26), et conclusions de l’avocate générale Kokott dans l’affaire flyLAL-Lithuanian Airlines (C‑302/13, EU:C:2014:2046, point 87).
( 38 ) Voir, en ce sens, arrêt du 26 février 2019, N Luxembourg 1 e.a. (C‑115/16, C‑118/16, C‑119/16 et C‑299/16, EU:C:2019:134, point 177). Il faut également remarquer, à ce propos, que depuis la modification de la directive 2011/96 par la directive 2015/121, l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2011/96 prévoit que « [l]es États membres n’accordent pas les avantages de la présente directive à un montage ou à une série de montages qui, ayant été mis en place pour obtenir, à titre d’objectif
principal ou au titre d’un des objectifs principaux, un avantage fiscal allant à l’encontre de l’objet ou de la finalité de la présente directive, n’est pas authentique compte tenu de l’ensemble des faits et circonstances pertinents ». Conformément à l’article 1er, paragraphe 3, de cette directive, « un montage ou une série de montages est considéré comme non authentique dans la mesure où ce montage ou cette série de montages n’est pas mis en place pour des motifs commerciaux valables qui reflètent
la réalité économique ». Enfin, l’article 1er, paragraphe 4, de la même directive ajoute que « [cette dernière] ne fait pas obstacle à l’application de dispositions nationales ou conventionnelles nécessaires pour prévenir la fraude fiscale ou les abus ».
( 39 ) Voir Table II.4. Overall statutory tax rates on dividend income (https://stats.oecd.org/index.aspx?DataSetCode=TABLE_II4). Le taux de l’impôt sur le revenu des personnes physiques sur les dividendes (bruts) montre le taux marginal supérieur combiné (central et sous-central) de l’impôt sur le revenu des personnes physiques prévu par la loi, y compris la surtaxe (le cas échéant) imposée sur le revenu de dividendes (sur les dividendes bruts lorsque des dispositions de brutage s’appliquent),
avant prise en compte des systèmes d’imputation, crédits d’impôt et déductions fiscales. Bien que la moyenne des taux d’impôt sur le revenu des personnes physiques applicables aux dividendes (bruts) dans les 22 États membres identifiés soit de 25,45 %, il convient de remarquer que, selon le tableau pour 2019, le taux applicable serait de 7 % en Estonie et en Slovaquie et de 0 % en Lettonie tandis que l’Irlande appliquerait un taux de 51 %. Outre cela, il semble que l’argument selon lequel les
revenus « passifs », dont font partie les dividendes, ne sont pas soumis à l’impôt à Gibraltar (observations écrites du gouvernement bulgare, point 57) ne soit plus pertinent depuis juin 2013 et la modification de l’Income Tax Act 2010 (loi sur l’impôt sur le revenu de 2010) (voir décision de la Commission européenne du 19 décembre 2018 relative à l’aide d’État SA.34914 (2013/C), points 28, 33 et 34).
( 40 ) Voir déclaration consignée dans une lettre du secrétaire d’État des Affaires étrangères et du Commonwealth du Royaume‑Uni, datée du 4 novembre 2013, enregistrée au Secrétariat général de l’OCDE le 19 novembre 2013.
( 41 ) Voir OCDE (2014), Global Forum on Transparency and Exchange of Information for Tax Purposes Peer Reviews : Gibraltar 2014 : Phase 2 : Implementation of the Standard in Practice, OECD Publishing (https://read.oecd-ilibrary.org/taxation/global-forum-on-transparency-and-exchange-of-information-for-tax-purposes-peer-reviews-gibraltar-2014_9789264222885-en#page103).
( 42 ) JO 2011, L 64, p. 1.
( 43 ) JO 2014, L 359, p. 1.
( 44 ) JO 2015, L 332, p. 1.
( 45 ) JO 2016, L 146, p. 8.
( 46 ) JO 2016, L 342, p. 1.
( 47 ) JO 2010, L 84, p. 1.
( 48 ) Voir Mutual Legal Assistance (European Union) Act 2005 (loi de 2005 sur l’assistance mutuelle (Union européenne) ; Income Tax Act 2010 (loi sur l’impôt sur le revenu de 2010) ; Taxation (Mutual Administrative Assistance) Act 2014 [loi sur la fiscalité (assistance administrative mutuelle) de 2014] et International Co‑operation (Improvement of International Tax Compliance) Regulations 2016 [règlements sur la coopération internationale (amélioration du respect des obligations fiscales) de 2016].
( 49 ) Voir, en ce sens, arrêts du 13 mars 2007, Test Claimants in the Thin Cap Group Litigation (C‑524/04, EU:C:2007:161, point 82) ; du 5 juillet 2012, SIAT (C‑318/10, EU:C:2012:415, point 50) ; du 3 octobre 2013, Itelcar (C‑282/12, EU:C:2013:629, point 37), et du 26 février 2019, X (Sociétés intermédiaires établies dans des pays tiers) (C‑135/17, EU:C:2019:136, point 87). Il découle de la jurisprudence de la Cour que l’existence d’une telle obligation doit s’apprécier en fonction de la
disponibilité des mesures administratives et réglementaires permettant, le cas échéant, un contrôle de la véracité de tels éléments. C’est également pour cela que, lorsque la réglementation d’un État membre fait dépendre le bénéfice d’un avantage fiscal de la satisfaction de conditions dont le respect ne peut être vérifié qu’en obtenant des renseignements des autorités compétentes d’un pays tiers, il est, en principe, légitime pour cet État membre de refuser l’octroi de cet avantage si, notamment en
raison de l’absence d’une obligation conventionnelle de ce pays tiers de fournir des informations, il s’avère impossible d’obtenir ces renseignements de ce dernier [voir, en ce sens, arrêt du 26 février 2019, X (Sociétés intermédiaires établies dans des pays tiers) (C‑135/17, EU:C:2019:136, points 91 et 92)]. Toutefois, entre États membres, les autorités nationales compétentes ont en principe la possibilité de recourir aux procédures de coopération et d’échange d’informations entre administrations
fiscales nationales mises en place par des actes juridiques tels que la directive 2011/16. Comme il a été indiqué plus haut, sous réserve de son applicabilité temporelle aux faits du litige au principal, cette directive a effectivement été transposée dans la législation de Gibraltar. Enfin, il revient à la juridiction nationale de déterminer si un contribuable a été mis en mesure, sans être soumis à des contraintes administratives excessives, de produire des éléments concernant les éventuelles
raisons commerciales pour lesquelles cette transaction a été conclue.