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02/10/2019 | CJUE | N°C-442/18

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général M. P. Pikamäe, présentées le 2 octobre 2019., Banque centrale européenne (BCE) contre Espírito Santo Financial (Portugal), SGPS, SA., 02/10/2019, C-442/18


CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PRIIT PIKAMÄE

présentées le 2 octobre 2019 ( 1 )

Affaire C‑442/18 P

Banque centrale européenne (BCE)

contre

Espírito Santo Financial (Portugal), SGPS, SA

« Pourvoi – Accès aux documents – Accès à la décision de la BCE, du 1er août 2014, suspendant Banco Espírito Santo SA en tant que contrepartie éligible de la zone euro et obligeant cette banque à rembourser une dette de plusieurs milliards d’euros, ainsi qu’à tout document lié à cette décision – R

efus d’accorder l’accès intégral »

I. Introduction

1. Par son pourvoi, la Banque centrale européenne (BCE) demande l’annulat...

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PRIIT PIKAMÄE

présentées le 2 octobre 2019 ( 1 )

Affaire C‑442/18 P

Banque centrale européenne (BCE)

contre

Espírito Santo Financial (Portugal), SGPS, SA

« Pourvoi – Accès aux documents – Accès à la décision de la BCE, du 1er août 2014, suspendant Banco Espírito Santo SA en tant que contrepartie éligible de la zone euro et obligeant cette banque à rembourser une dette de plusieurs milliards d’euros, ainsi qu’à tout document lié à cette décision – Refus d’accorder l’accès intégral »

I. Introduction

1. Par son pourvoi, la Banque centrale européenne (BCE) demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 26 avril 2018, Espírito Santo Financial (Portugal)/BCE ( 2 ), par lequel celui-ci a annulé la décision de la BCE du 1er avril 2015 (ci-après la « décision litigieuse ») refusant partiellement l’accès à certains documents relatifs à la décision de la BCE du 1er août 2014, en ce qu’elle concernait le montant du crédit figurant dans les extraits du procès-verbal actant la
décision du conseil des gouverneurs de la BCE (ci-après le « conseil des gouverneurs ») du 28 juillet 2014 ainsi que les informations occultées dans les propositions du directoire de la BCE des 28 juillet et 1er août 2014.

2. À l’appui de son pourvoi, la BCE invoque un moyen unique faisant valoir que le Tribunal a considéré à tort que, lorsqu’elle refuse l’accès aux informations se rapportant à la conduite de la politique monétaire, elle est tenue de fournir une motivation permettant de comprendre et de vérifier comment, concrètement et effectivement, l’accès à ces informations porterait atteinte à l’intérêt public en ce qui concerne la confidentialité des délibérations de ses organes de décision.

3. Cette affaire donne ainsi à la Cour l’occasion de se prononcer sur la question fondamentale de savoir, du principe de confidentialité ou du principe de transparence, lequel s’applique à l’égard des délibérations d’un des organes de décision de la BCE, dilemme devant être résolu sur le fondement tant de la décision 2004/258/CE ( 3 ) que du droit primaire.

II. Le cadre juridique

A.   Les statuts du SEBC et de la BCE

4. L’article 10.4 du protocole no 4 sur les statuts du Système européen de banques centrales (SEBC) et de la BCE ( 4 ) (ci-après les « statuts du SEBC et de la BCE ») dispose :

« Les réunions sont confidentielles. Le conseil des gouverneurs peut décider de rendre public le résultat de ses délibérations. »

B.   Le règlement intérieur de la BCE

5. L’article 23.1 de la décision BCE/2004/2 ( 5 ), intitulé « Confidentialité des documents de la BCE et accès à ceux-ci », dispose, en substance, que les réunions des organes de décision de la BCE et de tout comité ou groupe créé par eux sont confidentielles, à moins que le conseil des gouverneurs n’autorise le président à rendre public le résultat de leurs délibérations.

C.   La décision 2004/258

6. Aux termes de son article 1er, la décision 2004/258 vise « à définir les conditions et les limites selon lesquelles la BCE donne au public accès aux documents de la BCE ».

7. Selon l’article 2, paragraphe 1, de la décision 2004/258, « [t]out citoyen de l’Union et toute personne physique ou morale résidant ou ayant son siège dans un État membre a un droit d’accès aux documents de la BCE, sous réserve des conditions et des limites définies par la présente décision ».

8. L’article 4 de la décision 2004/258, intitulé « Exceptions », dispose à son paragraphe 1, sous a), et à ses paragraphes 3 et 6 :

« 1.   La BCE refuse l’accès à un document dans le cas où sa divulgation porterait atteinte à la protection :

a) de l’intérêt public, en ce qui concerne :

– la confidentialité des délibérations des organes de décision de la BCE,

[...]

3.   L’accès à un document contenant des avis destinés à l’utilisation interne dans le cadre de délibérations et de consultations préliminaires au sein de la BCE ou avec les BCN [banques centrales nationales] est refusé même après que la décision a été prise, à moins qu’un intérêt public supérieur ne justifie la divulgation du document visé.

[...]

6.   Les exceptions visées au présent article s’appliquent uniquement au cours de la période durant laquelle la protection se justifie eu égard au contenu du document. Les exceptions peuvent s’appliquer pendant une période maximale de trente ans, sauf décision expresse contraire du conseil des gouverneurs de la BCE. Dans le cas de documents relevant des exceptions concernant la vie privée ou les intérêts commerciaux, les exceptions peuvent continuer de s’appliquer au-delà de cette période. »

III. Les antécédents du litige et la décision litigieuse

9. Espírito Santo Financial (Portugal), SGPS, SA (ci-après « ESF ») est une société holding de droit portugais faisant l’objet d’une procédure d’insolvabilité. Elle était l’un des principaux actionnaires de Banco Espírito Santo SA (ci-après « BES »).

10. Soumise à des pressions financières et voyant sa position de liquidité se détériorer, BES a recouru, à partir du mois de mai 2014, aux opérations de crédit de l’Eurosystème et a commencé à recevoir, à partir du mois de juillet 2014, des liquidités d’urgence fournies par Banco de Portugal, la banque centrale du Portugal.

11. Le 23 juillet 2014, le conseil des gouverneurs de la BCE a d’abord décidé de ne pas s’opposer, jusqu’à la réunion ordinaire suivante, à l’octroi de la fourniture de liquidités d’urgence à BES dans la limite d’un certain plafond.

12. Puis, sur proposition du directoire de la BCE du 28 juillet 2014, le conseil des gouverneurs de la BCE a décidé, le même jour, de maintenir l’accès de BES aux « instruments de crédit de la politique monétaire », tout en « gelant » le crédit en cours fourni à BES, à ses succursales et à ses filiales au moyen desdits instruments « au niveau actuel ». En conséquence, le montant du crédit fourni à ces entités au moyen des opérations de crédit de l’Eurosystème a été plafonné au niveau auquel il se
trouvait à la date du 28 juillet 2014.

13. Ensuite, sur proposition du directoire de la BCE du 1er août 2014, le conseil des gouverneurs de la BCE a décidé, le même jour, notamment, de suspendre l’accès de BES et de ses succursales aux instruments de crédit de la politique monétaire pour des raisons de prudence et a ordonné que BES rembourse, au plus tard le 4 août 2014, l’intégralité du crédit octroyé dans le cadre de l’Eurosystème. Cette décision a été consignée dans un procès-verbal, dans lequel figurait également le plafond de la
fourniture de liquidités d’urgence pouvant être accordé par Banco de Portugal à BES.

14. Dans ces circonstances, les autorités portugaises ont décidé de soumettre BES à une procédure de résolution. Par la suite, une procédure d’insolvabilité a été ouverte à l’encontre d’ESF.

15. Par lettre du 5 novembre, ESF a demandé à la BCE l’accès à la décision du conseil des gouverneurs du 1er août 2014, ainsi qu’à tous les documents en la possession de la BCE liés « d’une manière ou d’une autre » à cette décision.

16. La BCE a donné suite à cette lettre et a notamment accordé à ESF un accès partiel aux propositions du directoire de la BCE des 28 juillet et 1er août 2014 ainsi qu’aux extraits des procès-verbaux actant les décisions des 28 juillet et 1er août 2014.

17. Par lettre du 4 février 2015, ESF a adressé une demande confirmative à la BCE, dans laquelle elle a considéré que la motivation fournie par la BCE visant à justifier le refus d’accès intégral à certains documents sollicités était trop vague et générale. En outre, ESF a demandé l’accès, d’une part, aux montants ayant été occultés dans les extraits des procès-verbaux actant les décisions du conseil des gouverneurs des 28 juillet et 1er août 2014 mis à sa disposition, à savoir le montant du crédit
accordé à BES, à ses succursales et à ses filiales ainsi que le montant du plafond de la fourniture de liquidités d’urgence pouvant être accordé à BES et, d’autre part, à certaines informations ayant été occultées dans les propositions du directoire des 28 juillet et 1er août 2014.

18. Par lettre du 1er avril 2015, après avoir prorogé le délai de réponse à la demande confirmative, la BCE a divulgué à ESF des informations supplémentaires figurant dans les propositions du directoire des 28 juillet et 1er août 2014. Pour le reste, en application de l’article 4 de la décision 2004/258, la BCE a confirmé le refus d’octroyer l’accès aux montants occultés dans les extraits des procès-verbaux actant les décisions du conseil des gouverneurs des 28 juillet et 1er août 2014 ainsi qu’à
certains passages supprimés des propositions du directoire des 28 juillet et 1er août 2014.

IV. La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

19. Par son recours, ESF a demandé l’annulation de la décision implicite prise par la BCE le 4 mars 2015, l’annulation de la décision litigieuse, ainsi que la condamnation de la BCE aux dépens.

20. La BCE a conclu au rejet de ce recours et à la condamnation d’ESF aux dépens.

21. Le Tribunal a annulé la décision litigieuse, en ce que la BCE avait refusé l’accès au montant du crédit figurant dans les extraits du procès-verbal actant la décision du conseil des gouverneurs du 28 juillet 2014, ainsi qu’aux informations occultées dans les propositions du directoire de la BCE des 28 juillet et 1er août 2014. Le Tribunal a rejeté le recours pour le surplus.

V. La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

22. Par requête déposée au greffe de la Cour le 5 juillet 2018, la BCE a introduit le présent pourvoi.

23. Tout d’abord, la BCE demande à la Cour d’annuler le premier point du dispositif de l’arrêt attaqué. Ensuite, elle demande à la Cour de rejeter également la requête en ce qui concerne son refus de divulguer le montant du crédit dans les extraits des procès-verbaux consignant la décision du conseil des gouverneurs du 28 juillet 2014 ou, à titre subsidiaire, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour que celui-ci statue sur la requête. Enfin, elle demande de condamner ESF aux deux tiers des
dépens et la BCE à un tiers des dépens.

24. À l’appui de son pourvoi, la BCE invoque un moyen unique tiré d’une erreur de droit commise par le Tribunal dans l’interprétation de l’article 10.4 des statuts du SEBC et de la BCE, et de l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, de la décision 2004/258. Par ce moyen, elle critique les points 124 et 161 de l’arrêt attaqué, lus conjointement avec les points 54 à 56 et 75 à 81 de celui-ci. Plus précisément, la BCE considère que le Tribunal a jugé à tort que, en refusant l’accès aux
informations figurant dans les extraits du procès-verbal actant la décision du 28 juillet 2014, la BCE était tenue de fournir une motivation permettant de comprendre et de vérifier comment, concrètement et effectivement, l’accès à ces informations aurait porté atteinte à l’intérêt public en ce qui concerne la confidentialité des délibérations de ses organes de décision.

25. La BCE soutient, dans son pourvoi, que le principe de confidentialité des réunions du conseil des gouverneurs, consacré, s’agissant du droit primaire, à l’article 10.4 des statuts du SEBC et de la BCE, est réaffirmé à l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, de la décision 2004/258. Elle fait valoir que cette dernière disposition doit faire l’objet d’une interprétation conforme à ce principe.

26. Or, lors de l’audience, la BCE a admis qu’il existe une certaine tension entre l’article 4, paragraphe 1, sous a), de la décision 2004/258 et les dispositions pertinentes du droit primaire. Elle estime qu’il convient de remédier à cette tension en interprétant la décision 2004/258 à la lumière du droit primaire et du principe de confidentialité des délibérations des organes de décision de la BCE.

27. ESF demande à la Cour de rejeter le pourvoi et de condamner la BCE aux dépens.

VI. Analyse

28. Ainsi que cela est exposé plus haut, dans son pourvoi, la BCE soulève un moyen unique tiré d’une erreur de droit commise par le Tribunal dans l’interprétation de l’article 10.4 des statuts du SEBC et de la BCE et de l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, de la décision 2004/258.

29. Il y a lieu de relever que les arguments de la BCE, invoqués à l’appui de ce moyen, ne remettent pas en cause la validité de la décision 2004/258 mais se rapportent essentiellement au fait que cette décision ne saurait être comprise comme établissant des modalités d’accès aux documents qui contredisent le droit primaire.

30. Compte tenu des arguments avancés par la BCE, je présenterai, tout d’abord, les dispositions pertinentes du droit primaire en matière d’accès aux documents de la BCE et, plus spécifiquement, aux résultats des délibérations de ses organes de décision. Ce faisant, je circonscrirai le principe régissant l’accès à de tels documents (section A). J’examinerai ensuite, au regard de ce principe, les implications du fait que le conseil des gouverneurs peut décider de divulguer le résultat de ses
délibérations (section B). Enfin, je déterminerai, à la lumière de toutes ces considérations, la portée de l’obligation de motivation en cas d’un refus d’accès aux documents fondé sur l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, de la décision 2004/258 (section C).

A.   Le principe applicable à l’égard de l’accès aux documents de la BCE sur le plan des traités

31. Il me faut observer d’emblée que le principe de transparence est inscrit aux articles 1er et 10 TUE ainsi qu’à l’article 15 TFUE ( 6 ), ces dispositions constituant, s’agissant du droit primaire, le fondement du cadre juridique régissant l’accès aux documents détenus par les institutions de l’Union. En effet, en reprenant le rôle de l’article 255 TCE, l’article 15 TFUE, introduit à la suite de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, a élargi le champ d’application du principe de transparence
en droit de l’Union ( 7 ).

32. Plus précisément, l’article 15, paragraphe 3, premier alinéa, TFUE énonce le droit d’accès aux documents des institutions de l’Union dont dispose tout citoyen de l’Union et toute personne physique ou morale résidant ou ayant son siège statutaire dans un État membre, droit qui est réaffirmé à l’article 42 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Le corollaire du droit d’accès aux documents sont les obligations de transparence qui incombent à ces institutions. Les limites du
droit d’accès aux documents et des obligations de transparence, ainsi que le prévoit l’article 15, paragraphe 3, deuxième alinéa, TFUE, sont fixées par voie de règlements.

33. Toutefois, aux termes de l’article 15, paragraphe 3, quatrième alinéa, TFUE, la Cour de justice de l’Union européenne et la Banque européenne d’investissement ainsi que la BCE ne sont soumises à l’article 15, paragraphe 3, premier alinéa, TFUE que lorsqu’elles exercent des fonctions administratives. Dans ce cadre, la Cour a déjà jugé que les conditions régissant l’accès aux documents qui sont détenus par une des institutions mentionnées à l’article 15, paragraphe 3, quatrième alinéa, TFUE et qui
se rapportent à l’activité non administrative de cette institution ne peuvent pas être établies par des règlements adoptés en vertu de l’article 15, paragraphe 3, deuxième alinéa, TFUE ( 8 ).

34. J’en déduis que les obligations de transparence qui pèsent sur la BCE dans les situations dans lesquelles la BCE exerce des fonctions non administratives doivent être distinguées de celles qui pèsent sur elle dans les situations où elle exerce des fonctions administratives.

35. Le fait que, lorsqu’elle exerce des activités non administratives conformément à l’article 282 TFUE, notamment en matière de conduite de la politique monétaire, la BCE n’est pas soumise aux obligations de transparence telles qu’elles s’appliquent dans les situations visées à l’article 15, paragraphe 3, premier et deuxième alinéas, TFUE est justifié précisément au regard de la nature de ces activités ( 9 ). En effet, il ne faut pas perdre de vue que, en conduisant cette politique, la BCE joue un
rôle considérable dans le maintien de la stabilité des prix et du système financier.

36. En ce qui concerne, plus spécifiquement, le conseil des gouverneurs, c’est à lui que la tâche essentielle de la formulation de la politique monétaire a été confiée ( 10 ). Par ailleurs, ainsi que la présente affaire l’illustre, le conseil des gouverneurs participe notamment aux processus ayant pour objectif l’octroi de fonds, grâce aux opérations de crédit de l’Eurosystème, aux entités en difficulté financière. Rendre certaines données détenues par la BCE disponibles au cours de ces processus
uniquement à ceux qui en ont fait la demande serait susceptible, dans certains cas, de créer un risque de spéculation économique excessive. Ce risque pourrait compromettre les objectifs poursuivis par la BCE ( 11 ).

37. Dans ces circonstances, pour que la BCE puisse exercer ses missions de manière autonome et efficace, il faut aussi protéger le processus décisionnel de ses organes de toute pression externe, ce qui peut être assuré par la confidentialité de ce processus ( 12 ). C’est pour la même raison que le droit de l’Union prévoit également d’autres dispositions qui visent, en substance, à préserver la BCE de toutes pressions politiques afin de lui permettre de poursuivre efficacement les objectifs assignés
à ses missions, grâce à l’exercice indépendant des pouvoirs spécifiques dont elle dispose à ces fins ( 13 ).

38. Par ailleurs, tout en reconnaissant les particularités du rôle exercé par les organes de décision de la BCE, les États membres ont adopté les statuts du SEBC et de la BCE, dont l’article 10.4 prévoit que les réunions du conseil des gouverneurs sont confidentielles et que c’est ce conseil lui-même qui peut décider de rendre public le résultat de ses délibérations.

39. Je déduis de tout ce qui précède que, selon le choix intentionnel des États membres, le processus décisionnel du conseil des gouverneurs n’est pas encadré par des obligations de transparence telles qu’elles s’appliquent dans les situations visées à l’article 15, paragraphe 3, premier alinéa, TFUE. Cela n’implique pas que ce processus se situe en dehors des règles de l’Union en matière d’accès aux documents ( 14 ). Toutefois, conformément aux dispositions mentionnées aux points 33 à 35 des
présentes conclusions, dans ce contexte, le principe de transparence cède la place au principe de confidentialité.

40. Or, la lecture de l’arrêt attaqué conduit à penser que, en ce qui concerne les résultats du processus décisionnel du conseil des gouverneurs, la priorité du principe de confidentialité sur le principe de transparence est écartée sur le fondement de l’article 10.4, seconde phrase, des statuts du SEBC et la BCE, lu conjointement avec l’article 4, paragraphe 1, sous a), de la décision 2004/258. En effet, le Tribunal interprète le fait que le conseil des gouverneurs peut décider de divulguer les
résultats de ses délibérations en ce sens que ce conseil doit utiliser la marge d’appréciation dont il dispose, quant au refus d’accorder l’accès aux documents demandés, dans les conditions et les limites de la décision 2004/258. En conséquence, selon le Tribunal, lorsqu’il refuse l’accès à de tels résultats au titre de l’article 4, paragraphe 1, sous a), de la décision 2004/258, le conseil des gouverneurs doit fournir une motivation détaillée permettant au demandeur de comprendre et de vérifier
comment, concrètement et effectivement, l’accès à l’information aurait porté atteinte à l’intérêt public en ce qui concerne la confidentialité des délibérations de ses organes de décision. Il convient d’examiner le bien-fondé des considérations du Tribunal selon lesquelles, d’une part, la marge d’appréciation du conseil des gouverneurs en ce qui concerne la divulgation des résultats de ses délibérations est déterminée par les dispositions de la décision 2004/258, de sorte que leur
non-divulgation ne constitue qu’une exception et, d’autre part, un refus d’accès à de tels résultats doit être accompagné d’une motivation détaillée.

B.   La divulgation des résultats des délibérations du conseil des gouverneurs

41. Aux points 76 à 80 de l’arrêt attaqué, auxquels le point 124 de cet arrêt se réfère, le Tribunal a considéré que les décisions du conseil des gouverneurs – et, par voie de conséquence, également les procès-verbaux transcrivant ces décisions – ne bénéficient pas d’une protection absolue en ce qui concerne leur diffusion, de sorte que leur non-divulgation ne constitue qu’une exception. Le Tribunal a souligné que, en vertu de l’article 10.4, seconde phrase, des statuts du SEBC et de la BCE, le
conseil des gouverneurs peut décider de rendre public le résultat de ses délibérations. En conséquence, la marge d’appréciation dont le conseil des gouverneurs dispose à cet égard devrait être exercée dans les conditions et les limites de la décision 2004/258, dont l’objectif est, a ajouté le Tribunal, d’autoriser l’accès le plus large possible aux documents de la BCE.

42. Je ne suis cependant pas persuadé par cette lecture des dispositions des statuts du SEBC et de la BCE ainsi que de celles de la décision 2004/258.

43. Il convient d’observer, en premier lieu, que, contrairement à ce qu’a considéré le Tribunal, il ressort du considérant 3 de la décision 2004/258 non pas que l’accès aux documents de la BCE doit être le plus large possible mais qu’un accès plus large à ces documents devrait être autorisé. Ce considérant reconnaît également que l’accès aux documents de la BCE devrait être autorisé tout en veillant à protéger, d’une part, l’indépendance de celle-ci et, d’autre part, la confidentialité de certaines
questions touchant à l’accomplissement de ses missions. On peut ainsi arguer que la prémisse sur laquelle s’est fondé le Tribunal n’est pas celle sur laquelle se fonde cette décision.

44. En deuxième lieu, selon le même considérant, les réunions des organes de décision de la BCE sont confidentielles, sauf si l’organe concerné décide de rendre public le résultat de ses délibérations, ce qui fait écho à l’article 132, paragraphe 2, TFUE selon lequel la BCE peut décider de publier ses décisions, recommandations et avis. Cette disposition fait déjà allusion au pouvoir discrétionnaire de la BCE de rendre publiques ses décisions ( 15 ). Dans le même esprit, l’article 10.4, seconde
phrase, des statuts du SEBC et de la BCE et l’article 23.1, in fine, du règlement intérieur de la BCE confirment le pouvoir discrétionnaire de la BCE en ce qui concerne la divulgation de ses décisions. En effet, selon ces dispositions, le conseil des gouverneurs peut décider de rendre public le résultat de ses délibérations.

45. Toutes les dispositions précitées prévoient, il est vrai, un nuancement en ce qui concerne le principe de confidentialité en relation avec les résultats des délibérations du conseil des gouverneurs. En effet, selon l’article 10.4, première phrase, des statuts du SEBC et de la BCE, et l’article 23.1 du règlement intérieur de la BCE, le principe de confidentialité s’applique à l’égard des réunions du conseil des gouverneurs, tandis que, conformément à l’article 10.4, seconde phrase, des statuts du
SEBC et de la BCE et à l’article 23.1, in fine, du règlement intérieur de la BCE, la confidentialité des résultats des délibérations du conseil des gouverneurs présente un caractère relatif. Toutefois, contrairement à ce que le Tribunal a conclu au point 80 de l’arrêt attaqué, cela n’implique pas que le niveau de protection des résultats des délibérations soit, par défaut, inférieur à celui qui est accordé aux délibérations elles-mêmes ou que leur non-divulgation ne constitue qu’une exception.

46. En effet, rien n’indique que, par ces deux dernières dispositions, le législateur de l’Union ait entendu déroger à la confidentialité des délibérations du conseil des gouverneurs. Les dispositions du TFUE et des statuts du SEBC et de la BCE confèrent au conseil des gouverneurs la faculté de décider de la divulgation de tels résultats, sans qu’il soit tenu de le faire.

47. La formulation équivoque de l’article 4, paragraphe 1, sous a), de la décision 2004/258 n’est pas en mesure de remettre en cause cette considération.

48. Certes, il est vrai que, sur le plan linguistique, les termes de la décision 2004/258 peuvent laisser penser que le refus d’accès aux délibérations du conseil des gouverneurs au titre de l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, de cette décision n’est possible qu’à titre d’exception. En effet, l’article 4 de la décision 2004/258 est intitulé « Exceptions ». Le libellé de l’article article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, de cette décision semble également suggérer que, en
principe, l’accès aux documents actant de telles délibérations doit être accordé. Selon cette disposition, la BCE refuse l’accès à un document dans le cas où sa divulgation porterait atteinte à la protection de l’intérêt public, en ce qui concerne la confidentialité des délibérations de ses organes de décision. De plus, l’article 4, paragraphes 5 et 6, de la décision 2004/258 utilise le terme « exception » à l’égard de tous les cas de refus, y compris celui prévu à l’article 4, paragraphe 1,
sous a), premier tiret, de cette décision.

49. Or, il me faut observer, tout d’abord, que les règles du droit dérivé en matière d’accès aux documents ne sauraient conduire à ce que l’exclusion de la BCE du nombre des institutions auxquelles s’applique pleinement le principe de transparence, conformément à l’article 15, paragraphe 3, TFUE, soit, en grande partie, privée de son effet utile. Ces règles ne peuvent pas davantage écarter le pouvoir discrétionnaire dont dispose la BCE en vertu de l’article 132, paragraphe 2, TFUE. La décision
2004/258 ne peut donc pas renverser la logique de toutes les dispositions précitées et remplacer le principe de confidentialité par le principe de transparence, de telle sorte que la divulgation des résultats des délibérations du conseil des gouverneurs constituerait le principe et leur confidentialité ne constituerait qu’une exception.

50. Cette conclusion est corroborée par la lecture des considérants 3 et 4 de la décision 2004/258, dont il découle que, en adoptant cette décision, le législateur n’a pas entendu déroger aux dispositions du droit primaire citées au point précédent des présentes conclusions.

51. Il est exact que le considérant 4 de la décision 2004/258 peut faire penser que le refus d’accès au titre de l’article 4, paragraphe 1, sous a), de cette décision ne constitue qu’une exception. Faisant référence à l’idée, énoncée dans la première partie du considérant 3 de ladite décision, qu’un accès plus large aux documents de la BCE devrait être autorisé, ce considérant précise que, toutefois, certains intérêts publics et privés devraient être garantis au moyen d’un régime d’exceptions. Or,
ainsi qu’il peut être déduit de la seconde partie dudit considérant 3, cet accès plus large auquel les exceptions sont autorisées pour la protection de certains intérêts publics et privés ne saurait porter atteinte à l’indépendance de la BCE ou à la confidentialité de certaines questions touchant à l’accomplissement de ses missions, et c’est dans ce cadre que les réunions des organes de décision de la BCE sont confidentielles. La lecture combinée de ces deux considérants montre que, même prise
isolément, la décision 2004/258 n’entend pas assimiler l’exception établie en faveur des délibérations des organes précités aux autres exceptions que cette décision prévoit.

52. Par souci d’exhaustivité, je précise que, à mon sens, l’article 4, paragraphe 6, de la décision 2004/258 ne plaide pas non plus en faveur de l’interprétation que le Tribunal a retenu dans l’arrêt attaqué. Selon cette disposition, les exceptions visées à l’article 4 de la décision 2004/258 s’appliquent uniquement au cours de la période durant laquelle la protection se justifie eu égard au contenu du document. Or, cette disposition ne saurait écarter le pouvoir décisionnel dont le conseil des
gouverneurs dispose sur le fondement du droit primaire quant à la divulgation des résultats de ses délibérations. D’ailleurs, ainsi qu’il ressort du point 51 des présentes conclusions, le cadre que la décision 2004/258 instaure n’assimile pas l’exception établie en faveur des délibérations des organes de décision de la BCE aux autres exceptions que cette décision prévoit.

53. En troisième lieu, l’on pourrait certes s’interroger sur le point de savoir si l’article 4, paragraphe 1, sous a), de la décision 2004/258 peut être considéré comme autorisant en bloc et ex ante la divulgation du résultat de toutes les délibérations du conseil des gouverneurs. En effet, la décision 2004/258 a été adoptée par ce conseil et, conformément à l’article 132, paragraphe 2, TFUE et à l’article 10.4, seconde phrase, des statuts du SEBC et de la BCE, ainsi qu’à l’article 23.1, in fine, du
règlement intérieur de la BCE, ledit conseil peut décider de rendre public le résultat de ses délibérations. Dans ce cadre, l’article 4, paragraphe 1, sous a), de la décision 2004/258 constituerait une autorisation générale de rendre public, par défaut, les résultats de toutes les délibérations.

54. Toutefois, ainsi que l’a observé la BCE lors de l’audience, l’article 10.4, seconde phrase, des statuts du SEBC et de la BCE ne confère pas au conseil des gouverneurs une marge d’appréciation aussi large. Il y a lieu de considérer que cette disposition prévoit une faculté, que le conseil des gouverneurs peut exercer, ex post et in concreto, de manière ponctuelle. Toute autre interprétation permettrait au conseil des gouverneurs de contourner le choix des États membres quant à l’accès aux
documents de la BCE, exprimé à l’article 15, paragraphe 3, quatrième alinéa, et à l’article 132, paragraphe 2, TFUE ainsi qu’à l’article 10.4 des statuts du SEBC et de la BCE.

55. Il ressort de mon analyse que, en ce qui concerne les délibérations du conseil des gouverneurs, celles-ci sont couvertes par le principe de confidentialité. La réserve qui se rapporte au fait que le conseil des gouverneurs peut décider de rendre publics les résultats de ses délibérations et qui figure dans plusieurs dispositions du droit de l’Union ne remet pas en cause cette conclusion. Le conseil des gouverneurs dispose tout simplement d’un pouvoir discrétionnaire pour décider de divulguer de
tels résultats, sans qu’il soit tenu de le faire.

56. Il convient à présent d’examiner un dernier point, à savoir l’incidence sur la portée de l’obligation de motivation en cas de refus d’accès aux documents fondé sur l’article 4, paragraphe 1, sous a), de la décision 2004/258 des considérations qui précèdent, selon lesquelles, en premier lieu, en ce qui concerne le processus décisionnel du conseil des gouverneurs, le principe de transparence cède la place au principe de confidentialité (voir point 39 des présentes conclusions) et, en second lieu,
le conseil des gouverneurs dispose d’un pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne la divulgation des résultats de ce processus (voir point 55 des présentes conclusions).

C.   La motivation du refus fondé sur l’article 4, paragraphe 1, sous a), de la décision 2004/258

57. Il est symptomatique que, en jugeant au point 124 de l’arrêt attaqué que la BCE doit motiver toute décision sur une demande d’accès aux documents prise au titre des exceptions énumérées à l’article 4 de la décision 2004/258, le Tribunal se soit inspiré de la jurisprudence citée aux points 54 à 56 de cet arrêt et ait considéré que celle-ci était applicable à l’égard de l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, de la décision 2004/258 par voie d’analogie.

58. J’éprouve toutefois des doutes quant à cette analogie.

59. Il convient d’observer, tout d’abord, que les passages de l’arrêt Suède et Turco/Conseil ( 16 ), mentionnés par le Tribunal aux points 54 et 55 de l’arrêt attaqué, concernent uniquement le règlement (CE) no 1049/2001 ( 17 ). Ensuite, ce règlement faisait également l’objet de la majorité des arrêts du Tribunal cités aux points 54 à 56 de l’arrêt attaqué ( 18 ). Enfin, si l’arrêt du Tribunal Thesing et Bloomberg Finance/BCE du Tribunal ( 19 ), mentionné au point 55 de l’arrêt attaqué, concernait
bien la décision 2004/258, c’était toutefois non pas l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, de cette décision mais l’article 4, paragraphe 1, sous a), deuxième tiret, de celle-ci qui faisait l’objet de l’interprétation du Tribunal dans cet arrêt. Là aussi, le Tribunal s’était d’ailleurs référé, par voie d’analogie, à la jurisprudence de la Cour relative au règlement no 1049/2001.

60. À cet égard, premièrement, il y a lieu d’observer que, selon une jurisprudence constante, le règlement no 1049/2001 vise à conférer au public un droit d’accès aux documents des institutions de l’Union qui soit le plus large possible ( 20 ). En ayant recours à une formulation quasi identique, au point 80 de l’arrêt attaqué, auquel il est fait renvoi au point 124 de cet arrêt, le Tribunal a indiqué que la décision 2004/258 vise à autoriser l’accès le plus large possible aux documents de la BCE.
Or, comme je l’ai indiqué au point 43 des présentes conclusions, cette décision vise uniquement à élargir, par rapport aux réglementations antérieures, l’accès aux documents de la BCE.

61. Deuxièmement, on peut déduire de l’arrêt Baumeister ( 21 ) qu’il faut procéder avec prudence lorsque l’on établit des analogies entre, d’une part, le régime d’accès aux documents instauré par le règlement no 1049/2001 et, d’autre part, les régimes prévus par d’autres instruments juridiques du droit de l’Union.

62. Dans cet arrêt, la Cour a jugé que, à la lumière de son objectif de conférer au public un droit d’accès aux documents des institutions de l’Union qui soit le plus large possible, le règlement no 1049/2001 impose, en principe, à l’institution de l’Union qui entend refuser l’accès à un document de fournir des explications quant à la question de savoir comment l’accès à ce document pourrait porter concrètement atteinte à l’intérêt protégé par l’une des exceptions prévues au droit d’accès en cause (
22 ). C’est en des termes quasi identiques que, au point 124 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a reproduit ce passage, pour l’appliquer au refus de la BCE fondé sur l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, de la décision 2004/258.

63. Toutefois, le règlement no 1049/2001 s’applique dans les situations visées à l’article 15, paragraphe 3, premier alinéa, TFUE qui, dans le respect du principe de transparence, consacre l’accès le plus large possibleaux documents détenus par les institutions de l’Union ( 23 ). Or, la demande d’accès aux documents dans la présente affaire se situe dans le champ d’application de l’article 15, paragraphe 3, quatrième alinéa, TFUE.

64. Par ailleurs, dans l’arrêt Baumeister ( 24 ), la Cour a opéré une distinction nette entre le traitement des demandes d’accès aux documents qui se rapportent au règlement no 1049/2001 et le traitement de celles qui se rapportent à l’article 54, paragraphe 1, de la directive 2004/39/CE ( 25 ), intitulé « Secret professionnel ». La Cour a considéré que le règlement no 1049/2001 impose, en principe, à l’institution de l’Union qui entend refuser l’accès à un document de fournir des explications quant
à la question de savoir comment l’accès à ce document pourrait porter concrètement atteinte à l’intérêt protégé par l’une des exceptions prévues au droit d’accès en cause. En revanche, la Cour a considéré que les autorités compétentes, lorsqu’elles estiment que les informations sollicitées sont confidentielles au sens de l’article 54, paragraphe 1, de la directive 2004/39, ne peuvent donner suite à une telle demande que dans les cas limitativement énumérés dans cette disposition ( 26 ).

65. On pourrait ainsi arguer que, tandis que le régime du règlement no 1049/2001 donne la priorité au principe de transparence, celui de l’article 54, paragraphe 1, de la directive 2004/39 part de la prémisse selon laquelle les informations qui entrent dans son champ d’application sont couvertes par le principe de confidentialité. Cette distinction continue de produire ses effets sur le plan de la portée de l’obligation de motivation en cas de refus de donner l’accès aux documents demandés.

66. Cela étant posé, il convient d’observer que l’article 4, paragraphe 1, sous a), de la décision 2004/258, lu conjointement avec l’article 15, paragraphe 3, quatrième alinéa, TFUE, l’article 10.4 des statuts du SEBC et de la BCE ainsi que l’article 23.1 du règlement intérieur de la BCE, part également de la prémisse selon laquelle les délibérations du conseil des gouverneurs sont couvertes par le principe de confidentialité. En conséquence, les différences qui existent, quant à la portée de
l’obligation de motivation en cas de refus, entre les situations couvertes par le règlement no 1049/2001 et celles couvertes par l’article 54, paragraphe 1, de la directive 2004/39 devraient exister également entre, d’une part, toutes les dispositions relatives à la divulgation des résultats des délibérations du conseil des gouverneurs et, d’autre part, le règlement no 1049/2001. Partant, l’analogie relevée par le Tribunal entre la jurisprudence citée aux points 54 à 56 de l’arrêt attaqué et
l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, de la décision 2004/258 ne saurait être retenue.

67. Enfin, troisièmement, la jurisprudence relative au règlement no 1049/2001 montre que, même dans le cadre du régime d’accès aux documents que ce règlement établit, il est possible de reconnaître l’existence de présomptions générales selon lesquelles la divulgation des documents demandés porterait, en principe, atteinte à la protection des intérêts ou des objectifs qui, en application dudit règlement, sont susceptibles de justifier le refus d’accès ( 27 ). Dans un tel cas, il incombe au demandeur
de l’accès de démontrer que le document dont la divulgation est demandée n’est pas couvert par ladite présomption ( 28 ). Ainsi, même si l’on considère que les dispositions pertinentes du droit primaire et du droit dérivé, y compris l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, de la décision 2004/258, n’instaurent une telle présomption que pour le résultat des délibérations du conseil des gouverneurs, le Tribunal ne pouvait pas, en l’absence d’éléments susceptibles de réfuter cette
présomption générale, considérer que la BCE n’avait pas motivé son refus à suffisance.

68. Par conséquent, l’arrêt attaqué doit être annulé en raison de l’erreur de droit dont il est entaché et qui consiste en une interprétation inexacte de l’article 10.4 des statuts du SEBC et de la BCE et de l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, de la décision 2004/258, dans la mesure où le Tribunal a fait abstraction des dispositions du droit primaire qui établissent des principes en matière d’accès aux documents de la BCE. Dans ces circonstances, il y a lieu d’accueillir le moyen
unique du pourvoi et d’annuler le premier point du dispositif de l’arrêt attaqué, en tant qu’il a annulé la décision litigieuse en ce qu’elle a refusé l’accès au montant du crédit figurant dans les extraits du procès-verbal actant la décision du conseil des gouverneurs de la BCE du 28 juillet 2014. Dans ce cadre, il convient d’observer que les conclusions formulées par la BCE n’ont pas pour objet le refus de l’accès aux informations occultées dans les propositions du directoire de la BCE des
28 juillet et 1er août 2014. Il y a lieu dès lors de considérer que la BCE ne conteste pas l’arrêt attaqué en tant qu’il a annulé la décision litigieuse en ce qui concerne ces propositions ou, en d’autres termes, que la BCE accepte l’arrêt attaqué en ce qu’il porte sur lesdites propositions.

69. Conformément à l’article 61, premier alinéa, seconde phrase, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, en cas d’annulation de la décision du Tribunal, la Cour peut statuer elle-même définitivement sur le litige lorsque celui-ci est en état d’être jugé. Compte tenu de toutes les considérations qui précèdent, j’estime que le litige est en état d’être jugé, en tant qu’il porte sur le refus d’accorder l’accès au montant du crédit figurant dans les extraits du procès-verbal actant la
décision du conseil des gouverneurs de la BCE du 28 juillet 2014. En effet, contrairement à ce qu’a considéré le Tribunal au point 124 de l’arrêt attaqué, la BCE n’était pas tenue de fournir une motivation lorsqu’elle a refusé l’accès aux informations figurant dans ces extraits.

70. En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle-même définitivement le litige, elle statue sur les dépens. Conformément à l’article 138, paragraphe 1, du règlement susmentionné, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, du même règlement, toute personne qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. En revanche, selon l’article 138, paragraphe 3, du
règlement de procédure de la Cour, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, chaque partie supporte ses propres dépens. Selon mon analyse, le résultat définitif du litige ne sera modifié par le pourvoi de la BCE qu’en ce qui concerne le refus d’accorder l’accès au montant du crédit figurant dans les extraits du procès-verbal actant la décision du conseil des gouverneurs de la BCE du 28 juillet 2014. Il convient ainsi, à mon avis, de statuer non pas en ce sens que les
dépens liés à la procédure de première instance ainsi que ceux liés à la procédure de pourvoi aboutissant à l’annulation de l’arrêt attaqué du Tribunal soient supportés conformément aux modalités déterminées au point 3 du dispositif de celui-ci, selon lesquelles ESF et la BCE supporteraient chacune leurs propres dépens, mais en ce sens que, outre ses propres dépens, ESF supportera un tiers de ceux exposés par la BCE.

71. À titre de remarque finale, je dois indiquer que je suis conscient du fait qu’une partie de la doctrine considère que la BCE devrait accroître son degré de transparence, notamment en rendant publiques les délibérations du conseil des gouverneurs ( 29 ). Toutefois, mon analyse, dans les présentes conclusions, repose sur le cadre juridique en vigueur. Il ressort de ce cadre juridique que, selon la volonté (décision intentionnelle) des États membres, le processus décisionnel de la BCE bénéficie de
la confidentialité et que le pouvoir de décider de divulguer les résultats de ce processus a été confié au conseil des gouverneurs.

72. Cela étant, afin de concilier, d’une part, la confidentialité des délibérations du conseil des gouverneurs et de leurs résultats, et, d’autre part, le souci de crédibilité de la BCE ( 30 ), le conseil des gouverneurs peut, en exerçant le pouvoir discrétionnaire dont il dispose, décider de divulguer seulement une partie des résultats de ses délibérations. En effet, si le conseil des gouverneurs peut décider de ne pas divulguer de tels résultats, il peut, a fortiori, décider de le faire
partiellement. L’article 4, paragraphe 5, de la décision 2004/258 corrobore cette interprétation. Selon cette disposition, si une partie seulement du document demandé est concernée par une ou plusieurs des exceptions susvisées, les autres parties du document sont divulguées. Il convient de souligner que c’est ce que la BCE a fait en l’espèce.

VII. Conclusion

73. Au vu des considérations qui précèdent, j’estime que le moyen unique invoqué par la Banque centrale européenne (BCE) doit être accueilli et je propose à la Cour de statuer comme suit :

1) Le premier point du dispositif de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 26 avril 2018, Espírito Santo Financial (Portugal)/BCE (T‑251/15, non publié, EU:T:2018:234), en tant qu’il a annulé la décision de la BCE du 1er avril 2015 refusant partiellement l’accès à certains documents relatifs à la décision de la BCE du 1er août 2014 concernant Banco Espírito Santo SA en ce qu’elle a refusé l’accès au montant du crédit figurant dans les extraits du procès-verbal actant la décision du
conseil des gouverneurs de la BCE du 28 juillet 2014, est annulé.

2) La requête en ce qui concerne le refus de la BCE de divulguer le montant du crédit dans les extraits du procès-verbal actant la décision du conseil des gouverneurs de la BCE du 28 juillet 2014 est rejetée.

3) Espírito Santo Financial (Portugal), SGPS, SA est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, un tiers de ceux exposés par la BCE en première instance ainsi que dans la procédure de pourvoi.

4) La BCE est condamnée à supporter deux tiers de ses propres dépens en première instance ainsi que dans la procédure de pourvoi.

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( 1 ) Langue originale : le français.

( 2 ) T‑251/15, non publié, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2018:234.

( 3 ) Décision de la Banque centrale européenne du 4 mars 2004 relative à l’accès du public aux documents de la Banque centrale européenne (JO 2004, L 80, p. 42).

( 4 ) JO 2012, C 326, p. 230.

( 5 ) Décision de la BCE du 19 février 2004 portant adoption du règlement intérieur de la BCE (JO 2004, L 80, p. 33), telle que modifiée par la décision BCE/2014/1 de la BCE du 22 janvier 2014 (JO 2014, L 95, p. 56) (ci-après le « règlement intérieur de la BCE »).

( 6 ) Voir arrêt du 9 novembre 2010, Volker und Markus Schecke et Eifert (C‑92/09 et C‑93/09, EU:C:2010:662, point 68).

( 7 ) Voir arrêts du 21 septembre 2010, Suède e.a./API et Commission (C‑514/07 P, C‑528/07 P et C‑532/07 P, EU:C:2010:541, point 81), et du 18 juillet 2017, Commission/Breyer (C‑213/15 P, EU:C:2017:563, point 50).

( 8 ) Voir arrêt du 18 juillet 2017, Commission/Breyer (C‑213/15 P, EU:C:2017:563, point 48).

( 9 ) Voir, en ce sens, Siekmann, H., « The Legality of Outright Monetary Transactions of the European System of Central Banks », dans Rövekamp, F., Bälz, M., Hilpert, H. G. (eds.), Central Banking and Financial Stability in East Asia, Springer International Publishing, Cham, Heidelberg, New York, Dordrecht, Londres, 2015, p. 114.

( 10 ) Voir Hofmann, H. C. H., « Monetary Policy and Euro Area Governance in the EMU », dans Hofmann, H. C. H., Rowe, G. C., Türk, A. H. (eds.), Specialized Administrative Law of the European Union: A Sectoral Review, Oxford University Press, Oxford, 2018, p. 250.

( 11 ) Voir, à cet égard, Dawson, M., Maricut-Akbik, A., Bobić, A., « Reconciling Independence and accountability at the European Central Bank : The false promise of Proceduralism », European Law Journal, vol. 25(1), 2019, p. 82 à 85.

( 12 ) Voir, à cet égard, Curtin, D., « “Accountable Independence” of the European Central Bank : Seeing the Logics of Transparency », European Law Journal, 2017, vol. 23(1-2), p. 35.

( 13 ) Voir arrêt du 10 juillet 2003, Commission/BCE (C‑11/00, EU:C:2003:395, point 134).

( 14 ) Voir Rossi, L., Vinagre e Silva, P., Public Access to Documents in the EU, Hart Publishing, Oxford, 2017, p. 78.

( 15 ) Voir Van Cleynenbreugel, P., « Confidentiality behind transparent doors : The European Central Bank and the EU law principle of openness », Maastricht Journal of European and Comparative Law, 2018, vol. 25(1), p. 54. Au passage, il convient de relever que, en l’espèce, ne se pose pas la question de savoir comment l’article 132, paragraphe 2, TFUE s’articule avec l’article 297, paragraphe 2, TFUE, selon lequel les décisions, lorsqu’elles n’indiquent pas de destinataire, sont publiées au
Journal officiel de l’Union européenne. En effet, la décision du 28 juillet 2014 concernait BES et ne saurait donc être considérée comme une décision n’indiquant pas son destinataire.

( 16 ) Arrêt du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil (C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374, point 48).

( 17 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2001 relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO 2001, L 145, p. 43).

( 18 ) Arrêts du 11 mars 2009, Borax Europe/Commission (T‑121/05, non publié, EU:T:2009:64, point 37) ; du 12 septembre 2013, Besselink/Conseil (T‑331/11, non publié, EU:T:2013:419, points 96 et 99), et du 29 octobre 2015, Lituanie/Commission (T‑110/13, non publié, EU:T:2015:818, point 61).

( 19 ) Arrêt du 29 novembre 2012, Thesing et Bloomberg Finance/BCE (T‑590/10, non publié, EU:T:2012:635, point 42).

( 20 ) Voir arrêt du 16 juillet 2015, ClientEarth/Commission (C‑612/13 P, EU:C:2015:486, point 57).

( 21 ) Arrêt du 19 juin 2018, Baumeister (C‑15/16, EU:C:2018:464, points 41 et 42).

( 22 ) Voir arrêt du 19 juin 2018, Baumeister (C‑15/16, EU:C:2018:464, points 41 et 42).

( 23 ) Voir, en ce sens, arrêt du 18 juillet 2017, Commission/Breyer (C‑213/15 P, EU:C:2017:563, point 49).

( 24 ) Arrêt du 19 juin 2018, Baumeister (C‑15/16, EU:C:2018:464, points 42 et 43).

( 25 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 concernant les marchés d’instruments financiers, modifiant les directives 85/611/CEE et 93/6/CEE du Conseil et la directive 2000/12/CE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 93/22/CEE du Conseil (JO 2004, L 145, p. 1).

( 26 ) Voir arrêt du 19 juin 2018, Baumeister (C‑15/16, EU:C:2018:464, points 42 et 43).

( 27 ) Voir, en ce qui concerne la présomption générale établie au profit des dossiers administratifs dans le cadre de l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001, arrêt du 29 juin 2010, Commission/Technische Glaswerke Ilmenau (C‑139/07 P, EU:C:2010:376, point 61).

( 28 ) Voir arrêt du 29 juin 2010, Commission/Technische Glaswerke Ilmenau (C‑139/07 P, EU:C:2010:376, points 62, 68 et 70).

( 29 ) Voir, notamment, Diana, G., « Transparence, responsabilité et légitimité de la Banque centrale européenne », Bulletin de l’Observatoire des politiques économiques en Europe, 2008, no 18, p. 11 à 13. Voir, également, en ce sens, European Added Value Unit, Towards a genuine Economic and Monetary Union, 2012, www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/note/join/2012/494458/IPOL-JOIN_NT(2012)494458_EN.pdf, p. 12.

( 30 ) Voir, sur cette problématique, de Haan, J., Eijffinger, S. C. W., Waller, S., The European Central Bank. Credibility, Transparency and Centralization, MIT Press, Cambridge, Massachusetts, Londres, 2005, p. 123 à 125.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-442/18
Date de la décision : 02/10/2019
Type d'affaire : Pourvoi - non fondé, Pourvoi - fondé
Type de recours : Recours en annulation

Analyses

Pourvoi – Refus d’accorder l’accès aux décisions du conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne (BCE) – Protocole sur les statuts du Système européen de banques centrales et de la BCE – Article 10, paragraphe 4 – Confidentialité des réunions – Résultat des délibérations – Faculté de divulgation – Décision 2004/258/CE – Accès aux documents de la BCE – Article 4, paragraphe 1, sous a) – Confidentialité des délibérations – Atteinte à la protection de l’intérêt public.

Dispositions institutionnelles

Accès aux documents


Parties
Demandeurs : Banque centrale européenne (BCE)
Défendeurs : Espírito Santo Financial (Portugal), SGPS, SA.

Composition du Tribunal
Avocat général : Pikamäe

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2019:811

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