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26/09/2019 | CJUE | N°C-10/18

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général M. E. Tanchev, présentées le 26 septembre 2019., Mowi ASA contre Commission européenne., 26/09/2019, C-10/18


 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. EVGENI TANCHEV

présentées le 26 septembre 2019 ( 1 )

Affaire C‑10/18 P

Marine Harvest ASA, aux droits de laquelle vient Mowi ASA,

contre

Commission européenne

« Pourvoi – Contrôle des concentrations entre entreprises – Notion de “concentration unique” – Réalisation d’une concentration avant qu’elle soit notifiée et déclarée compatible avec le marché intérieur – Amendes infligées au titre de la violation de l’article 4, paragraphe 1, et de l

article 7, paragraphe 1, du règlement (CE) no 139/2004 du Conseil – Principe ne bis in idem – Principe d’imputation – Principes régissant ...

 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. EVGENI TANCHEV

présentées le 26 septembre 2019 ( 1 )

Affaire C‑10/18 P

Marine Harvest ASA, aux droits de laquelle vient Mowi ASA,

contre

Commission européenne

« Pourvoi – Contrôle des concentrations entre entreprises – Notion de “concentration unique” – Réalisation d’une concentration avant qu’elle soit notifiée et déclarée compatible avec le marché intérieur – Amendes infligées au titre de la violation de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement (CE) no 139/2004 du Conseil – Principe ne bis in idem – Principe d’imputation – Principes régissant le concours d’infractions »

Table des matières

  I. Le cadre juridique
  II. Antécédents du litige
  A. Le rachat de Morpol
  B. La décision d’autorisation et la procédure ayant abouti à son adoption
  C. La décision litigieuse et la procédure ayant abouti à son adoption
  III. La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
  IV. La procédure devant la Cour et les conclusions des parties
  V. Appréciation des moyens du pourvoi
  A. Sur le premier moyen du pourvoi, tiré de ce que le Tribunal aurait commis une erreur en n’appliquant pas l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 139/2004
  1. Arguments des parties
  2. Appréciation
  a) Sur la première branche du premier moyen du pourvoi, tirée de ce que le Tribunal aurait commis une erreur en constatant que l’acquisition de décembre 2012 et l’offre publique d’achat ne constituent pas une concentration unique
  b) Sur la seconde branche du premier moyen du pourvoi, tirée de ce que le Tribunal aurait commis une erreur en interprétant de manière restrictive la raison d’être de l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 139/2004
  B. Sur le second moyen du pourvoi, tiré de ce que le Tribunal aurait commis une erreur en n’appliquant pas le principe ne bis in idem, le principe d’imputation, ou encore les principes régissant le concours d’infractions
  1. Arguments des parties
  2. Appréciation
  a) Sur la recevabilité
  b) Sur le fond
  1) Sur la première branche du second moyen du pourvoi
  i) Sur la violation du principe ne bis in idem.
  ii) Sur la violation du principe d’imputation
  2) Sur la seconde branche du second moyen du pourvoi
  i) Introduction
  ii) Les principes régissant le concours d’infractions dans les ordres juridiques des États membres
  iii) La possibilité de s’inspirer des principes des ordres juridiques des États membres en ce qui concerne la violation, par un seul et même comportement, de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004
  iv) La violation de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 englobe la violation de l’article 4, paragraphe 1, de ce même règlement
  v) Le Tribunal a commis une erreur en confirmant la constatation de la Commission selon laquelle Marine Harvest a enfreint l’article 4, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004
  VI. Conclusion

1.  Par le présent pourvoi, Marine Harvest ASA, aux droits de laquelle vient Mowi ASA, demande à la Cour d’annuler l’arrêt ( 2 ) par lequel le Tribunal a rejeté le recours tendant à l’annulation de la décision de la Commission du 23 juillet 2014, laquelle lui a infligé une amende pour la réalisation d’une concentration en violation des obligations de notification et de suspension (ci‑après la « décision litigieuse ») ( 3 ).

2.  L’adoption de la décision litigieuse fait suite à celle de la décision de la Commission du 30 septembre 2013 déclarant l’acquisition de Morpol ASA par Marine Harvest compatible avec le marché intérieur, sous réserve d’engagements (ci‑après la « décision d’autorisation ») ( 4 ). Cette acquisition a été réalisée en deux étapes : dans un premier temps, Marine Harvest a conclu un contrat d’acquisition d’actions avec l’actionnaire principal de Morpol, obtenant ainsi une participation de 48,5 % dans
le capital de cette société ; dans un second temps, Marine Harvest a lancé une offre publique d’achat pour les actions restantes de Morpol, qui lui a permis de porter sa participation dans cette société de 48,5 % à 87,1 %.

3.  Toutefois, la première étape, à savoir l’acquisition d’une participation de 48,5 % dans Morpol, a été clôturée avant d’avoir été notifiée à la Commission européenne. Selon la Commission, l’acquisition de cette participation suffisait à conférer le contrôle de Morpol et, par conséquent, constituait une concentration aux fins de l’application du règlement (CE) no 139/2004 du Conseil ( 5 ). La Commission a donc constaté, dans la décision litigieuse, qu’en clôturant l’acquisition d’une participation
de 48,5 % dans le capital de Morpol avant que celle‑ci ait été notifiée et déclarée compatible avec le marché intérieur, Marine Harvest avait violé, premièrement, l’obligation de notification prévue à l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 et, deuxièmement, l’obligation de suspension prévue à l’article 7, paragraphe 1, de ce même règlement. La Commission a donc infligé à Marine Harvest deux amendes, d’un montant de 10 millions d’euros chacune, pour la violation de ces dispositions.

4.  Le pourvoi introduit devant la Cour soulève deux questions. Premièrement, la Cour doit déterminer si l’acquisition d’une participation de 48,5 % dans le capital de Morpol constitue à elle seule une concentration, ou si cette acquisition doit être considérée comme constituant une concentration unique avec l’offre publique d’achat consécutive. Deuxièmement, si la Cour considère que l’acquisition d’une participation de 48,5 % constitue à elle seule une concentration, elle devra se prononcer sur le
point de savoir si la clôture de cette acquisition pouvait être sanctionnée par deux amendes distinctes ou si, en infligeant deux amendes, la Commission a violé, notamment, le principe ne bis in idem.

I. Le cadre juridique

5. Le considérant 20 du règlement no 139/2004 est ainsi libellé :

« Il est utile de définir la notion de concentration de telle sorte qu’elle couvre les opérations entraînant un changement durable du contrôle des entreprises concernées et donc de la structure du marché. Il convient par conséquent d’inclure dans le champ d’application du présent règlement toutes les entreprises communes accomplissant de manière durable toutes les fonctions d’une entité économique autonome. Il convient en outre de traiter comme une concentration unique des opérations qui sont
étroitement liées en ce qu’elles font l’objet d’un lien conditionnel ou prennent la forme d’une série de transactions sur titres effectuées dans un délai raisonnablement bref. »

6. L’article 4 du règlement no 139/2004, intitulé « Notification préalable des concentrations et renvoi en prénotification à la demande des parties notifiantes », dispose :

« 1.   Les concentrations de dimension [européenne] visées par le présent règlement doivent être notifiées à la Commission avant leur réalisation et après la conclusion de l’accord, la publication de l’offre publique d’achat ou d’échange ou l’acquisition d’une participation de contrôle.

[…] »

7. Aux termes de l’article 7 du règlement no 139/2004, intitulé « Suspension de la concentration » :

« 1.   Une concentration de dimension [européenne] telle que définie à l’article 1er ou qui doit être examinée par la Commission en vertu de l’article 4, paragraphe 5, ne peut être réalisée ni avant d’être notifiée ni avant d’avoir été déclarée compatible avec le marché [intérieur] par une décision prise en vertu de l’article 6, paragraphe 1, point b), ou de l’article 8, paragraphes 1 ou 2, ou sur la base de la présomption établie à l’article 10, paragraphe 6.

2.   Le paragraphe 1 ne fait pas obstacle à la réalisation d’une offre publique d’achat ou d’échange ou d’opérations par lesquelles le contrôle au sens de l’article 3 est acquis par l’intermédiaire de plusieurs vendeurs au moyen d’une série de transactions sur titres, y compris sur ceux qui sont convertibles en d’autres titres admis à être négociés sur un marché tel qu’une bourse de valeurs pour autant :

a) que la concentration soit notifiée sans délai à la Commission conformément à l’article 4, et

b) que l’acquéreur n’exerce pas les droits de vote attachés aux participations concernées ou ne les exerce qu’en vue de sauvegarder la pleine valeur de son investissement et sur la base d’une dérogation octroyée par la Commission conformément au paragraphe 3.

[…] »

8. À son paragraphe 2, l’article 14 du règlement no 139/2004, intitulé « Amendes », énonce ce qui suit :

« La Commission peut, par voie de décision, infliger aux personnes visées à l’article 3, paragraphe 1, point b), ou aux entreprises concernées des amendes jusqu’à concurrence de 10 % du chiffre d’affaires total réalisé par les entreprises concernées au sens de l’article 5, lorsque de propos délibéré ou par négligence :

a) elles omettent de notifier une concentration conformément à l’article 4 ou à l’article 22, paragraphe 3, avant sa réalisation, à moins qu’elles n’y soient expressément autorisées par l’article 7, paragraphe 2, ou par une décision prise en vertu de l’article 7, paragraphe 3 ;

b) elles réalisent une concentration en violation de l’article 7 […] »

II. Antécédents du litige

A. Le rachat de Morpol

9. Le 14 décembre 2012, Marine Harvest a conclu un contrat d’acquisition d’actions (share purchase agreement, ci‑après le « SPA ») avec Friendmall Ltd et Bazmonta Holding Ltd. Bazmonta Holding est une filiale à 100 % de Friendmall, qui est elle‑même contrôlée par M. M. En application du SPA, Marine Harvest a acquis une participation de 48,5 % dans le capital de Morpol. La clôture de cette acquisition (ci‑après l’« acquisition de décembre 2012 ») a eu lieu le 18 décembre 2012.

10. En vertu du droit norvégien, l’acquéreur de plus d’un tiers des actions d’une société cotée en Bourse ( 6 ) est tenu de faire une offre publique d’achat pour les actions restantes de la société. Le 17 décembre 2012, Marine Harvest a donc annoncé, au moyen d’un communiqué de Bourse, qu’elle allait lancer une offre publique d’achat pour les actions restantes de Morpol, représentant 51,5 % des actions de cette société. Le 15 janvier 2013, Marine Harvest a soumis l’offre publique obligatoire d’achat
pour ces actions (ci‑après l’« offre publique d’achat »). À la suite du règlement et de l’exécution de l’offre publique d’achat le 12 mars 2013, Marine Harvest détenait au total 87,1 % des actions de Morpol. Grâce à l’offre publique d’achat, Marine Harvest a donc acquis des actions représentant environ 38,6 % du capital de Morpol, lesquelles sont venues s’ajouter aux actions représentant 48,5 % du capital de Morpol qu’elle avait déjà obtenues par l’acquisition de décembre 2012.

11. L’acquisition des actions restantes de Morpol a été réalisée le 12 novembre 2013. Le 15 novembre 2013, une assemblée générale extraordinaire a décidé de demander une radiation des actions de la cote officielle, de réduire le nombre de membres du conseil d’administration et de supprimer le comité de nomination. Le 28 novembre 2013, Morpol n’était plus cotée à la Bourse d’Oslo.

B. La décision d’autorisation et la procédure ayant abouti à son adoption

12. Le 21 décembre 2012, Marine Harvest a envoyé à la Commission une demande de désignation d’une équipe chargée de traiter son dossier concernant l’acquisition du contrôle exclusif de Morpol. Dans cette demande, Marine Harvest a fait savoir à la Commission que l’acquisition de décembre 2012 avait été clôturée et qu’elle n’exercerait pas ses droits de vote avant l’adoption de la décision de la Commission.

13. Après plusieurs demandes de renseignements de la Commission et la soumission d’un premier projet de formulaire de notification ( 7 ) le 5 mars 2013, l’opération a été officiellement notifiée le 9 août 2013.

14. Le 30 septembre 2013, la Commission, par la décision d’autorisation, a autorisé l’opération de concentration sous réserve du respect intégral des engagements proposés. Comme indiqué au point 3 des présentes conclusions, la Commission a, dans cette décision, constaté que l’acquisition de décembre 2012 avait déjà conféré à Marine Harvest le contrôle exclusif de fait de Morpol. La Commission a donc indiqué que, dès lors que cette acquisition avait été clôturée, le 18 décembre 2012, avant d’avoir
été notifiée et déclarée compatible, il ne pouvait être exclu que sa réalisation viole l’obligation de notification prévue à l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, ainsi que l’obligation de suspension prévue à l’article 7, paragraphe 1, de ce règlement. La Commission a déclaré qu’il se pouvait qu’elle examine, dans le cadre d’une procédure distincte, s’il convenait d’imposer une sanction au titre de l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 139/2004 ( 8 ).

C. La décision litigieuse et la procédure ayant abouti à son adoption

15. Par lettre du 30 janvier 2014, la Commission a informé Marine Harvest qu’une enquête était en cours concernant d’éventuelles violations de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004.

16. Le 31 mars 2014, la Commission a adressé une communication des griefs à Marine Harvest, à laquelle celle‑ci a répondu le 30 avril 2014.

17. Le 23 juillet 2014, la Commission a adopté la décision litigieuse, par laquelle elle a constaté que Marine Harvest avait violé l’obligation de notification prévue à l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, ainsi que l’obligation de suspension prévue à l’article 7, paragraphe 1, de ce même règlement, et lui a infligé deux amendes de 10 millions d’euros chacune pour ces deux infractions.

18. Dans la décision litigieuse, la Commission a constaté, premièrement, que l’acquisition de décembre 2012 avait conféré à Marine Harvest le contrôle exclusif de fait de Morpol. Par conséquent, cette opération constituait une concentration au sens de l’article 3 du règlement no 139/2004. Deuxièmement, la Commission a considéré que la concentration avait été réalisée le 18 décembre 2012, date de sa clôture, c’est‑à‑dire avant le 9 août 2013, date à laquelle elle a été notifiée, et avant le
30 septembre 2013, date à laquelle la décision d’autorisation l’a déclarée compatible avec le marché intérieur ( 9 ). Troisièmement, la Commission a constaté que l’exemption de l’obligation de suspension prévue à l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 139/2004, n’était pas applicable. La Commission a conclu que, en clôturant l’acquisition de décembre 2012, Marine Harvest avait violé l’article 4, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, et qu’une amende de
10 millions d’euros devait être infligée pour chacune de ces infractions ( 10 ).

III. La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

19. Le 3 octobre 2014, Marine Harvest a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse, ou, à titre subsidiaire, à l’annulation des amendes que cette décision lui a infligées, ou, à titre plus subsidiaire, à une réduction substantielle du montant de ces amendes.

20. Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a écarté les cinq moyens soulevés dans le recours, et rejeté celui‑ci.

21. En particulier ( 11 ), le Tribunal a rejeté le premier moyen, tiré de ce que la Commission aurait commis une erreur de droit et de fait en considérant que l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 139/2004 n’était pas applicable.

22. Premièrement, le Tribunal a souligné que c’est à juste titre que la Commission avait constaté que Marine Harvest avait acquis le contrôle de Morpol par l’acquisition de décembre 2012 et que, par conséquent, Marine Harvest aurait dû notifier cette opération et s’abstenir de la réaliser jusqu’à ce qu’elle soit déclarée compatible avec le marché intérieur. Il était par conséquent nécessaire d’établir si l’exemption de l’obligation de suspension prévue à l’article 7, paragraphe 2, du règlement
no 139/2004 était applicable.

23. Deuxièmement, le Tribunal a considéré qu’en l’espèce, la situation ne correspondait à aucun des deux cas de figure visés par cette exemption, liés, l’un, à une offre publique d’achat ou d’échange et l’autre, à une série de transactions sur titres. L’exemption prévue pour les offres publiques d’achat ou d’échange ne s’appliquait pas, étant donné que la violation de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 ne résultait pas de la réalisation de l’offre publique d’achat, mais de
l’acquisition de décembre 2012. La seconde exemption ne s’appliquait pas davantage, car elle ne couvre que les opérations par lesquelles le contrôle est acquis au moyen d’une série de transactions sur titres et par l’intermédiaire de plusieurs vendeurs, alors que l’acquisition du contrôle de Morpol a eu lieu au moyen d’une seule transaction, à savoir l’acquisition de décembre 2012, et par l’intermédiaire d’un seul vendeur, à savoir M. M.

24. Troisièmement, le Tribunal a rejeté l’argument de Marine Harvest selon lequel l’acquisition de décembre 2012 et l’offre publique d’achat devaient être traitées comme une concentration unique, qui, en tant que telle, relevait du champ d’application de l’exemption de l’obligation de suspension prévue pour les offres publiques d’achat ou d’échange à l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 139/2004. Marine Harvest ne s’est fondée que sur le premier des deux cas de figure dans lesquels,
conformément au considérant 20 de ce règlement, plusieurs opérations peuvent être traitées comme une concentration unique, le premier concernant les opérations qui font l’objet d’un lien conditionnel, le second visant les opérations qui prennent la forme d’une série de transactions sur titres. Or, tout d’abord, il résulte du point 44 de la communication consolidée sur la compétence de la Commission en vertu du règlement no 139/2004 (ci‑après la « communication consolidée sur la compétence ») (
12 ), qu’il ne suffit pas que plusieurs opérations fassent l’objet d’un lien conditionnel pour qu’elles puissent être considérées comme constituant une concentration unique. Il faut également que le contrôle ait été acquis au moyen de plusieurs opérations. Étant donné que Marine Harvest a acquis le contrôle de Morpol au moyen d’une seule opération, ladite opération et l’offre publique d’achat ne constituent pas une concentration unique. Ensuite, l’argument de Marine Harvest selon lequel la
raison d’être de l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 139/2004 est de couvrir les « reprises rampantes » est inopérant, étant donné que la reprise de Morpol n’a pas été « rampante » et que, en tout état de cause, les « reprises rampantes » concernent le second cas de figure envisagé au considérant 20 de ce règlement, qui n’a pas été invoqué par Marine Harvest. Enfin, le fait que l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 139/2004 vise à faciliter les acquisitions et à assurer la liquidité
des marchés boursiers n’implique pas que le champ d’application de cette disposition doive nécessairement être étendu au-delà de son libellé afin de faciliter encore plus les acquisitions.

25. En outre, le Tribunal a rejeté le troisième moyen, tiré d’une prétendue violation du principe ne bis in idem ou du principe dit « d’imputation », ainsi que des principes régissant le concours d’infractions.

26. Le Tribunal a fait observer, à titre de remarque liminaire, qu’une violation de l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 entraîne automatiquement une violation de l’article 7, paragraphe 1, de ce même règlement, mais que l’inverse n’est pas vrai. En effet, lorsqu’une entreprise réalise une concentration avant que celle‑ci ait été notifiée et avant qu’elle ait été déclarée compatible, elle viole les deux dispositions. Toutefois, lorsqu’une entreprise réalise une concentration après que
celle‑ci a été notifiée mais avant qu’elle ait été déclarée compatible, elle viole uniquement l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004. Selon les termes du Tribunal, cela rend le cadre juridique « inhabituel ».

27. Premièrement, le Tribunal a constaté que le principe ne bis in idem n’était pas applicable. D’après la jurisprudence, l’application de ce principe suppose que l’entreprise en cause a été sanctionnée ou déclarée non responsable par une décision antérieure qui n’est plus susceptible de recours. Par conséquent, le principe ne bis in idem ne s’applique pas à une situation dans laquelle une autorité impose deux sanctions dans une seule et même décision, comme c’était le cas en l’espèce. Le Tribunal
n’a pas davantage jugé applicable le principe d’imputation qui, selon la jurisprudence, exige que la Commission, en fixant le montant d’une amende, prenne en compte les sanctions déjà infligées pour le même comportement par l’autorité de la concurrence d’un État membre ; son application suppose en effet, comme pour le principe ne bis in idem, qu’une décision antérieure soit intervenue.

28. Deuxièmement, le Tribunal a rejeté l’argument de Marine Harvest selon lequel, par analogie avec le principe de « conflit apparent » ou « faux conflit » du droit international et du droit allemand, en cas de concours d’infractions, l’infraction plus grave devrait être considérée comme englobant l’infraction moindre, de sorte qu’il ne doit être infligé qu’une seule et unique sanction. Le Tribunal a considéré que, contrairement à ce que prétend Marine Harvest, la violation de l’article 4,
paragraphe 1, du règlement no 139/2004 n’est pas une infraction plus spécifique que la violation de l’article 7, paragraphe 1, de ce même règlement et, partant, qu’elle n’englobe pas cette dernière. En effet, la violation de l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 est une infraction instantanée, tandis que la violation de l’article 7, paragraphe 1, dudit règlement est une infraction continue. Ainsi, le délai de prescription est de trois ans pour la première des infractions
susmentionnées, tandis qu’il est de cinq ans pour la seconde. Par conséquent, si l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 était seul applicable à une entreprise ayant réalisé une concentration avant que celle‑ci ait été notifiée et déclarée compatible, ladite entreprise serait avantagée par rapport à une entreprise ayant réalisé une concentration après l’avoir notifiée, mais avant qu’elle ait été déclarée compatible. Aucune des deux dispositions en cause n’est donc principalement
applicable, si bien que le principe de « conflit apparent » ou « faux conflit » n’a pas été enfreint.

IV. La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

29. Par son pourvoi, Marine Harvest conclut à ce qu’il plaise à la Cour :

– annuler, en tout ou en partie, l’arrêt attaqué ;

– annuler la décision litigieuse ou, à titre subsidiaire, annuler les amendes infligées à Marine Harvest ou, à titre plus subsidiaire, réduire substantiellement ces amendes ;

– condamner la Commission aux dépens et autres frais exposés par Marine Harvest en rapport avec la procédure de pourvoi et la procédure devant le Tribunal ;

– le cas échéant, renvoyer l’affaire devant le Tribunal ;

– prendre toutes autres mesures que la Cour juge appropriées.

30. La Commission conclut à ce qu’il plaise à la Cour :

– rejeter le pourvoi et

– condamner Marine Harvest aux dépens.

31. Lors de l’audience, le 22 mai 2019, Marine Harvest et la Commission ont présenté des observations orales.

V. Appréciation des moyens du pourvoi

32. Marine Harvest invoque deux moyens à l’appui de son pourvoi. Premièrement, elle soutient que le Tribunal a commis une erreur en considérant que l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 139/2004 n’était pas applicable. Deuxièmement, elle fait valoir que le Tribunal a commis une erreur en n’appliquant pas le principe ne bis in idem, le principe d’imputation, ou encore les principes régissant le concours d’infractions.

A. Sur le premier moyen du pourvoi, tiré de ce que le Tribunal aurait commis une erreur en n’appliquant pas l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 139/2004

1.   Arguments des parties

33. Dans son premier moyen, Marine Harvest soutient que le Tribunal, aux points 46 à 233 de l’arrêt attaqué, a commis une erreur en n’appliquant pas l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 139/2004.

34. Ce premier moyen est divisé en deux branches.

35. Dans la première branche de son premier moyen, Marine Harvest soutient que le Tribunal a commis une erreur en considérant que l’acquisition de décembre 2012 et l’offre publique d’achat ne constituent pas une concentration unique. Marine Harvest fait valoir qu’il ressort du considérant 20 du règlement no 139/2004 que les opérations qui « font l’objet d’un lien conditionnel » doivent être traitées comme une concentration unique, indépendamment du point de savoir si le contrôle de l’entreprise
cible est acquis par la première ou par la dernière opération. Dans le cas présent, l’acquisition de décembre 2012 et l’offre publique d’achat sont liées en droit et en fait et doivent par conséquent être traitées comme une concentration unique.

36. Dans la seconde branche de son premier moyen, Marine Harvest prétend que c’est à tort que le Tribunal a interprété de manière restrictive la raison d’être de l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 139/2004. Marine Harvest fait valoir que la raison d’être de cette disposition, qui est de faciliter les offres publiques d’achat et les reprises rampantes, exige que l’exemption de l’obligation de suspension s’applique à une structure d’opérations qui comporte une offre publique d’achat, même si,
comme c’est le cas en l’espèce, le contrôle a été acquis avant le lancement de cette offre publique. L’octroi d’une dérogation en application de l’article 7, paragraphe 3, du règlement no 139/2004 n’est pas une solution de substitution satisfaisante à l’application de l’article 7, paragraphe 2, de ce règlement. En outre, l’application de cette dernière disposition à l’opération unique décrite ci‑dessus garantit que la Commission examine l’intégralité des effets de l’opération, et non uniquement
ceux de l’acquisition de décembre 2012.

37. Marine Harvest conclut que l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 139/2004 est applicable en l’espèce. L’exemption de l’obligation de suspension est applicable, étant donné que les deux conditions auxquelles elle est soumise sont réunies.

38. La Commission soutient que le premier moyen du pourvoi n’est pas fondé.

39. En ce qui concerne la première branche du premier moyen du pourvoi, la Commission est d’avis que l’acquisition de décembre 2012 et l’offre publique d’achat ne sauraient être considérées comme constituant une concentration unique. La Commission estime que, pour que deux opérations constituent une concentration unique, il ne suffit pas qu’il existe entre elles un lien conditionnel comme l’indique le considérant 20 du règlement no 139/2004. Il faut aussi que le contrôle, au sens de l’article 3 de
ce règlement, soit acquis au moyen de la seconde opération. Lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, le contrôle est acquis au moyen de la première opération, la seconde opération n’est plus pertinente pour déterminer s’il y a acquisition du contrôle et s’il convient donc de suspendre la réalisation de la concentration. Dans un souci d’exhaustivité, la Commission ajoute que l’acquisition de décembre 2012 et l’offre publique d’achat ne sont liées ni en droit, ni en fait.

40. En ce qui concerne la seconde branche du premier moyen du pourvoi, la Commission soutient que le Tribunal a correctement interprété tant le libellé que la raison d’être de l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 139/2004. La Commission fait valoir que Marine Harvest ne se fonde que sur la première des deux situations envisagées par cette disposition, à savoir les offres publiques d’achat ou d’échange et les opérations qui prennent la forme d’une série de transactions sur titres. Or, cette
première situation ne correspond pas au cas présent, étant donné que le contrôle a été acquis avant que l’offre publique d’achat ait été lancée et non au moyen de celle-ci. Il s’ensuit que Marine Harvest ne saurait bénéficier de l’exemption de l’obligation de suspension prévue à l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 139/2004. Peu importe, dès lors, que Marine Harvest ait respecté la condition imposée par cette disposition en n’exerçant pas les droits de vote attachés aux actions acquises.

2.   Appréciation

41. Par son premier moyen, Marine Harvest fait valoir que c’est à tort que le Tribunal a considéré que l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 139/2004 n’était pas applicable, étant donné que, premièrement, l’acquisition de décembre 2012 et l’offre publique d’achat constituent une concentration unique et que, deuxièmement, l’objectif de cette disposition, qui est de faciliter les offres publiques d’achat et les reprises rampantes, exige que celle‑ci soit interprétée comme s’appliquant à une
structure d’opérations qui ne consiste pas exclusivement en une offre publique d’achat, mais qui inclut une telle offre. Marine Harvest estime que les deux conditions prévues à l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 139/2004 sont réunies, car elle a notifié la concentration « sans délai » et n’a pas exercé ses droits de vote dans Morpol, de sorte que l’exemption de l’obligation de suspension est applicable.

a)   Sur la première branche du premier moyen du pourvoi, tirée de ce que le Tribunal aurait commis une erreur en constatant que l’acquisition de décembre 2012 et l’offre publique d’achat ne constituent pas une concentration unique

42. Dans son premier moyen, pris en sa première branche, Marine Harvest soutient que l’acquisition de décembre 2012 et l’offre publique d’achat constituent une concentration unique.

43. J’estime que le premier moyen, pris en sa première branche, est dépourvu de fondement.

44. Aux fins de l’application du règlement no 139/2004, on entend par « concentration » au sens de l’article 3, paragraphe 1, de ce même règlement, « un changement durable du contrôle ». Le « contrôle » est quant à lui défini par l’article 3, paragraphe 2, de ce même règlement comme « la possibilité d’exercer une influence déterminante sur l’activité d’une entreprise ». Selon la jurisprudence, l’acquisition du contrôle d’une entreprise peut être réalisée par le biais d’une, deux ou plusieurs
transactions ( 13 ).

45. Dans le cas présent, Marine Harvest a acquis Morpol par le biais des transactions suivantes : premièrement, l’acquisition de décembre 2012, par laquelle Marine Harvest a acquis une participation de 48,5 % dans Morpol ; et, deuxièmement, l’offre publique d’achat, par laquelle la participation de Marine Harvest dans Morpol est passée de 48,5 % à 87,1 % ( 14 ).

46. Toutefois, le contrôle de Morpol a été acquis uniquement au moyen de l’acquisition de décembre 2012 ( 15 ). Je souligne que cela n’est pas contesté par Marine Harvest. En effet, pour étayer son affirmation selon laquelle l’acquisition de décembre 2012 et l’offre publique d’achat constituent une opération unique, Marine Harvest ne fait pas valoir que le contrôle de Morpol a été acquis par le biais d’une seconde transaction, à savoir l’offre publique d’achat. La raison pour laquelle Marine Harvest
considère que l’acquisition de décembre 2012 et l’offre publique d’achat constituent une opération unique est que celles‑ci font l’objet d’un lien conditionnel.

47. Par conséquent, la question qui se pose en l’espèce est celle de savoir si, dans le cas où une entreprise acquiert une autre entreprise par le biais de plus d’une transaction, mais où la première transaction suffit à elle seule à transférer le contrôle, l’ensemble de ces transactions doivent être considérées comme participant d’une concentration unique, ou si c’est uniquement la première d’entre elles qui constitue une concentration au sens de l’article 3 du règlement no 139/2004.

48. Il convient, à mon sens, de relever que, si aucun article du règlement no 139/2004 ne précise dans quelles conditions plusieurs transactions portant sur la même cible sont réputées constituer une concentration unique, en revanche, son considérant 20 fournit quelques éléments à cet égard. La dernière phrase de ce considérant énonce qu’« [i]l convient […] de traiter comme une concentration unique des opérations qui sont étroitement liées en ce qu’elles font l’objet d’un lien conditionnel ou
prennent la forme d’une série de transactions sur titres effectuées dans un délai raisonnablement bref ».

49. Des indications supplémentaires peuvent être trouvées dans la communication consolidée sur la compétence. En ce qui concerne la première situation envisagée au considérant 20 du règlement no 139/2004 (à savoir, les transactions faisant l’objet d’un lien conditionnel) ( 16 ), le point 43 de la communication consolidée sur la compétence énonce qu’une concentration unique est réalisée lorsqu’« aucune des opérations ne pourrait avoir lieu sans les autres ». Au même point, il est précisé que la
conditionnalité est normalement démontrée dès lors que les opérations sont liées soit en droit (lorsque « les accords eux‑mêmes sont liés par une conditionnalité réciproque »), soit en fait (lorsqu’une évaluation sur le plan économique montre que chacune des opérations dépend de la réalisation des autres).

50. Selon moi, on ne saurait considérer, dans le cas où une entreprise acquiert une autre entreprise par le biais de deux transactions, mais où la première transaction suffit à elle seule à transférer le contrôle, que ces deux transactions constituent une concentration unique. Je vais exposer ci‑dessous les raisons qui m’amènent à cette conclusion.

51. Comme cela a été expliqué au point 44 des présentes conclusions, pour qu’une concentration soit constituée, il faut qu’il y ait un changement du contrôle. Il s’ensuit que, lorsqu’une entreprise acquiert l’intégralité ou la majorité du capital de la cible par le biais de plusieurs transactions, mais en acquiert le contrôle uniquement au moyen de la première transaction, c’est cette première transaction qui constitue à elle seule une concentration. Les transactions suivantes, par lesquelles
l’acquéreur augmente sa participation dans le capital de la cible, ne sauraient être prises en compte pour déterminer si une concentration a lieu, étant donné que le contrôle de la cible a déjà été transféré.

52. Cette approche est, selon moi, conforme à l’arrêt rendu dans l’affaire Cementbouw Handel & Industrie/Commission (T‑282/02, EU:T:2006:64). Dans cet arrêt, le Tribunal a considéré qu’une opération de concentration est constituée en présence d’une pluralité de transactions juridiques formellement distinctes lorsque, premièrement, ces transactions sont interdépendantes, et que, deuxièmement, « le résultat consiste à conférer […] le contrôle » sur l’entreprise cible ( 17 ). Inversement, lorsque
l’acquisition du contrôle n’est pas le « résultat » d’une pluralité de transactions, mais qu’elle est le résultat de la première transaction, c’est cette transaction qui constitue à elle seule une concentration.

53. Cette analyse est également corroborée par le texte qui est à l’origine du considérant 20 du règlement no 139/2004, à savoir l’article 3, paragraphe 4, de la proposition de la Commission qui allait déboucher sur l’adoption de ce règlement ( 18 ). La Commission avait proposé d’insérer à l’article 3 du règlement (CEE) no 4064/89 du Conseil ( 19 ) un quatrième paragraphe, lequel énonçait que « [d]eux ou plusieurs opérations, qui sont conditionnées l’une à l’autre ou qui sont si étroitement liées
que leur rationalité économique justifie de les considérer comme une seule opération, sont réputées constituer une seule et même concentration réalisée à la date de la dernière opération[, à condition que ces opérations, considérées dans leur ensemble, remplissent les conditions énoncées au paragraphe 1] » ( 20 ). Les « conditions énoncées au paragraphe 1 » sont celles qui définissent la concentration comme un changement durable du contrôle. Par conséquent, dans la proposition de la Commission,
deux ou plusieurs opérations étaient réputées constituer une seule et même concentration si, considérées dans leur ensemble, elles procédaient à un transfert du contrôle ou, en d’autres termes, si le transfert du contrôle résultait non de la première opération, mais de toutes les opérations.

54. Certes, l’article 3 du règlement no 4064/89 n’a pas été modifié ainsi que la Commission l’avait proposé. Il est néanmoins permis de tenir compte de l’article 3, paragraphe 4, de la proposition de la Commission pour l’interprétation de la dernière phrase du considérant 20 du règlement no 139/2004, car cette phrase a été introduite lorsqu’il a été décidé de ne pas adopter le nouvel article 3, paragraphe 4 proposé par la Commission ( 21 ).

55. En tout état de cause, même si la Cour considérait que, lorsque le contrôle est transféré par la première de deux transactions, ces deux transactions doivent être traitées comme une concentration unique, cela ne signifierait pas que l’acquisition de décembre 2012 et l’offre publique d’achat doivent en l’espèce être considérées comme une concentration unique.

56. En effet, comme cela a été indiqué au point 49 des présentes conclusions, pour que deux opérations soient considérées comme constituant une concentration unique, elles doivent être liées par une conditionnalité réciproque, soit en droit, soit en fait. Or, ce n’est pas le cas de l’acquisition de décembre 2012 et de l’offre publique d’achat.

57. Premièrement, l’acquisition de décembre 2012 et l’offre publique d’achat ne sont pas liées par une conditionnalité réciproque en droit. Il est vrai que l’offre publique d’achat est une conséquence nécessaire et directe de l’acquisition de décembre 2012. En effet, en droit norvégien, l’acquéreur de plus d’un tiers des actions d’une société cotée en Bourse est tenu de faire une offre publique d’achat pour les actions restantes de la société. Avec l’acquisition de décembre 2012, Marine Harvest
avait acquis une participation de 48,5 % dans Morpol et elle était par conséquent tenue de lancer l’offre publique d’achat. Toutefois, l’inverse n’est pas vrai. Marine Harvest n’était nullement tenue d’acquérir une certaine participation dans le capital de Morpol avant de lancer une offre publique d’achat.

58. Je souhaite à cet égard souligner qu’il ressort clairement du point 43 de la communication consolidée sur la compétence que la conditionnalité doit être réciproque. En effet, ce point énonce que « [l]a conditionnalité requise implique qu’aucune des opérations ne pourrait avoir lieu sans les autres » ( 22 ). Je souhaite également faire observer que cette phrase est rédigée en des termes très similaires à ceux du point 109 de l’arrêt Cementbouw Handel & Industrie/Commission ( 23 ).

59. Deuxièmement, l’acquisition de décembre 2012 et l’offre publique d’achat ne sont pas liées par une conditionnalité réciproque de fait. Ainsi que le souligne la Commission, Marine Harvest a signé le SPA et conclu l’acquisition de décembre 2012 alors même qu’elle ne savait pas, à ce moment, si l’offre publique d’achat lui permettrait d’acquérir toutes les parts restantes de Morpol ou si elle devrait s’en tenir à sa participation de 48,5 %. En outre, Marine Harvest aurait pu lancer une offre
publique d’achat sans d’abord conclure le SPA.

60. Il s’ensuit que l’acquisition de décembre 2012 et l’offre publique d’achat ne sauraient être considérées comme constituant une concentration unique, et que le premier moyen du pourvoi, pris en sa première branche, doit être rejeté comme non fondé.

61. Dans un souci d’exhaustivité, je souhaite également faire observer qu’au cas où la Cour considérerait que l’acquisition de décembre 2012 et l’offre publique d’achat constituent une concentration unique, il ne s’ensuivrait pas que l’interdiction de mise en œuvre prévue à l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 s’appliquerait uniquement à la seconde opération, c’est‑à‑dire à l’offre publique d’achat, de sorte que la première opération, c’est‑à‑dire l’acquisition de décembre 2012,
pourrait être mise en œuvre avant d’avoir été notifiée et déclarée compatible ( 24 ).

62. En effet, dans l’arrêt Ernst & Young, la Cour a considéré que l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 doit être interprété comme interdisant la mise en œuvre de « toute opération contribuant au changement durable de contrôle sur » l’entreprise cible ( 25 ). Par conséquent, même à supposer qu’elle participe d’une concentration unique, l’acquisition de décembre 2012 devrait être considérée comme contribuant au changement de contrôle et, partant, comme relevant du champ d’application de
l’interdiction de mise en œuvre prévue à l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004.

b)   Sur la seconde branche du premier moyen du pourvoi, tirée de ce que le Tribunal aurait commis une erreur en interprétant de manière restrictive la raison d’être de l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 139/2004

63. Dans la seconde branche du premier moyen du pourvoi, Marine Harvest fait valoir que le Tribunal a commis une erreur en interprétant de manière restrictive la raison d’être de l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 139/2004. Marine Harvest estime que cette disposition doit, compte tenu de sa raison d’être, qui est de faciliter les offres publiques d’achat ou d’échange et les reprises rampantes, être interprétée en ce sens qu’elle s’applique à une structure d’opérations qui comporte une offre
publique d’achat même si, comme c’est le cas en l’espèce, le contrôle de la cible n’est pas acquis au moyen de cette offre publique d’achat ou d’échange, mais par le biais d’une opération qui lui est antérieure. En outre, conformément aux exigences imposées par cet article 7, paragraphe 2, sous a) et b), Marine Harvest a notifié la concentration « sans délai » et n’a pas exercé ses droits de vote dans Morpol. Par conséquent, selon Marine Harvest, l’exemption de l’obligation de suspension prévue
à l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 139/2004 s’applique à l’acquisition de décembre 2012.

64. Je considère que le premier moyen du pourvoi, pris dans sa seconde branche, est dépourvu de fondement.

65. En effet, l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 139/2004 prévoit une exemption de l’obligation de suspension prévue à l’article 7, paragraphe 1, de ce même règlement dans deux cas de figure. Cette obligation, en effet, ne fait pas obstacle à la réalisation d’une offre publique d’achat ou d’échange (premier cas de figure) ou d’opérations prenant la forme d’une « série de transactions sur titres » (second cas de figure), pour autant que les deux conditions suivantes soient réunies :
premièrement, la concentration doit être notifiée sans délai à la Commission ; et, deuxièmement, l’acquéreur ne doit pas exercer les droits de vote attachés aux participations concernées, sauf s’il les exerce sur la base d’une dérogation octroyée par la Commission conformément à l’article 7, paragraphe 3, du règlement no 139/2004.

66. Je souhaite souligner qu’en l’espèce, il convient de répondre à la question de l’applicabilité de l’exemption de l’obligation de suspension prévue à l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 139/2004 uniquement par rapport à l’acquisition de décembre 2012, et non par rapport à l’opération constituée de l’acquisition de décembre 2012 et de l’offre publique d’achat. En effet, comme je l’ai montré précédemment, l’acquisition de décembre 2012 constitue à elle seule une concentration et, par
conséquent, la réalisation de cette seule opération (du fait de sa clôture le 18 décembre 2012, avant qu’elle ait été déclarée compatible avec le marché intérieur) enfreint l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004.

67. De toute évidence, l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 139/2004 ne s’applique pas à l’acquisition de décembre 2012, étant donné que, premièrement, cette opération n’est pas une offre publique d’achat ou d’échange et que, deuxièmement, il s’agit d’une transaction unique, et non d’une « série » de transactions sur titres au sens de cette disposition. Peu importe, dès lors, que Marine Harvest ait ou non respecté les deux conditions imposées par l’article 7, paragraphe 2, sous a) et b), du
règlement no 139/2004.

68. Par conséquent, le Tribunal n’a pas commis d’erreur en maintenant, au point 83 de l’arrêt attaqué, la constatation de la Commission selon laquelle l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 139/2004 ne s’applique pas à l’acquisition de décembre 2012.

69. En tout état de cause, même si la Cour considérait que l’acquisition de décembre 2012 et l’offre publique d’achat constituent une concentration unique et que c’est par conséquent uniquement par rapport à cette concentration unique qu’il faut répondre à la question de l’applicabilité de l’exemption de l’obligation de suspension prévue à l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 139/2004, l’acquisition de décembre 2012 ne relèverait pas pour autant du champ d’application de cette exemption.

70. D’emblée, je souhaite faire observer que, dans la mesure où il prévoit une exemption de l’obligation de suspension définie à l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, obligation à laquelle le législateur de l’Union a accordé une importance primordiale ( 26 ), l’article 7, paragraphe 2, de ce règlement devrait être interprété de manière restrictive.

71. En ce qui concerne le premier cas de figure envisagé à l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 139/2004, à savoir l’exemption des offres publiques d’achat ou d’échange, je note que l’exemption de l’obligation de suspension prévue audit article 7, paragraphe 2, s’applique uniquement aux offres publiques d’achat ou d’échange ou aux opérations prenant la forme d’une série de transactions sur titres « par lesquelles le contrôle […] est acquis ». Il en résulte, selon moi, que, lorsqu’une structure
d’opérations comporte une offre publique d’achat ou d’échange, mais que ce n’est pas au moyen de cette offre qu’est acquis le contrôle de la cible, ladite offre ne relève pas du champ d’application de l’exemption de l’obligation de suspension. Je souhaite souligner, à cet égard, qu’en l’espèce, l’offre publique d’achat ne procède ni ne contribue à un changement du contrôle, étant donné qu’elle a été lancée après l’acquisition du contrôle de la cible. Par conséquent, même si l’on considère
qu’elle participe d’une concentration unique, l’acquisition de décembre 2012 ne relève pas du champ d’application du premier cas de figure envisagé à l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 139/2004.

72. En ce qui concerne le second cas de figure envisagé à l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 139/2004, à savoir les opérations prenant la forme d’une série de transactions sur titres ( 27 ), je ne vois pas comment l’opération constituée de l’acquisition de décembre 2012 et de l’offre publique d’achat peut être considérée comme une opération « par [laquelle] le contrôle […] est acquis par l’intermédiaire de plusieurs vendeurs au moyen d’une série de transactions sur titres ». En effet, en
l’espèce, le contrôle de la cible a été acquis au moyen d’une unique transaction, à savoir l’acquisition de décembre 2012, et non d’une « série » de transactions (indépendamment du point de savoir si deux transactions peuvent être considérées comme une « série » de transactions). Le contrôle a été acquis par l’intermédiaire d’un seul vendeur, à savoir M. M., et non par l’intermédiaire de « plusieurs vendeurs ».

73. Par ailleurs, pour autant qu’en étendant le champ d’application de l’obligation de suspension aux opérations constituées d’une « série de transactions sur titres » ( 28 ), le législateur ait eu pour intention, comme le prétend Marine Harvest, de faciliter les reprises rampantes ( 29 ), je souligne que l’opération constituée de l’acquisition de décembre 2012 et de l’offre publique d’achat ne correspond en aucun cas à une reprise rampante. Encore une fois, le contrôle de Morpol a été acquis au
moyen d’une seule opération, de sorte que la reprise n’a pas été « rampante », ainsi que le Tribunal l’a à bon droit constaté au point 175 de l’arrêt attaqué.

74. Il s’ensuit que, même si l’acquisition de décembre 2012 et l’offre publique d’achat étaient considérées comme constituant une concentration unique, la réalisation de la première de ces deux opérations serait néanmoins exclue du champ d’application de l’obligation de suspension en vertu de l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 139/2004.

75. J’en conclus que le premier moyen du pourvoi, pris en sa seconde branche, est dépourvu de fondement, et qu’il convient de rejeter le premier moyen du pourvoi dans son ensemble.

B. Sur le second moyen du pourvoi, tiré de ce que le Tribunal aurait commis une erreur en n’appliquant pas le principe ne bis in idem, le principe d’imputation, ou encore les principes régissant le concours d’infractions

1.   Arguments des parties

76. Par le second moyen qu’elle invoque à l’appui de son pourvoi, Marine Harvest soutient qu’en constatant, notamment aux points 306, 319, 339 à 344, et 362 de l’arrêt attaqué, que la Commission pouvait infliger des amendes distinctes à la requérante, l’une pour la violation de l’obligation de notification prévue à l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, l’autre pour la violation de l’obligation de suspension prévue à l’article 7, paragraphe 1, de ce même règlement, le Tribunal a
enfreint le principe ne bis in idem, le principe d’imputation, ou encore les principes régissant le concours d’infractions.

77. Le second moyen du pourvoi est divisé en deux branches.

78. Dans la première branche de son second moyen, Marine Harvest soutient que le Tribunal a commis une erreur en considérant que le principe ne bis in idem n’était pas applicable. Selon Marine Harvest, ce principe s’applique même lorsque, comme en l’espèce, deux sanctions sont infligées dans une seule et même décision. À titre subsidiaire, Marine Harvest fait valoir que le Tribunal a commis une erreur en considérant que le principe général d’imputation n’était pas applicable. Selon Marine Harvest,
ce principe, qui s’applique lorsque le principe ne bis in idem n’est pas entièrement applicable, exige de tenir compte d’une sanction antérieure lors de l’imposition d’une sanction.

79. Dans la seconde branche de son second moyen, Marine Harvest soutient que le Tribunal a commis une erreur en rejetant, au point 362 de l’arrêt attaqué, le moyen tiré de la violation des principes régissant le concours d’infractions. Selon ces principes, lorsqu’un même comportement relève de deux dispositions légales, dont l’une prévoit une infraction plus spécifique que l’autre, c’est uniquement cette disposition que ce comportement enfreint, à l’exclusion de l’autre. Selon Marine Harvest, la
violation de l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 est une infraction plus spécifique que la violation de l’article 7, paragraphe 1, de ce même règlement. Il en résulte que Marine Harvest aurait violé seulement la première de ces deux dispositions et qu’elle ne pouvait par conséquent se voir infliger qu’une seule amende.

80. La Commission estime que le second moyen du pourvoi doit être rejeté.

81. Selon la Commission, le second moyen du pourvoi, pris en sa première branche, est partiellement irrecevable et non fondé dans sa totalité. La Commission soutient que le grief tiré par Marine Harvest de la violation du principe ne bis in idem est dépourvu de fondement, notamment parce que celui‑ci ne s’applique pas lorsque plusieurs amendes ont été imposées dans une seule et même décision. La Commission affirme également que le moyen de Marine Harvest tiré de la violation du principe d’imputation
est irrecevable et, en tout état de cause, non fondé. Il est irrecevable parce que le pourvoi ne développe pas les arguments de droit qui l’étayent, ni n’identifie d’erreur spécifique commise par le Tribunal. Il est dépourvu de fondement parce que, dans la décision litigieuse, la Commission a fixé le montant de l’amende à un niveau proportionné à la nature, à la gravité et à la durée de l’infraction, ainsi que l’exige l’article 14, paragraphe 3, du règlement no 139/2004.

82. La Commission estime que le second moyen du pourvoi, pris en sa seconde branche, est dépourvu de fondement. Selon elle, premièrement, les principes régissant le concours d’infractions n’interdisent pas de manière générale de constater qu’un même comportement enfreint deux dispositions juridiques distinctes. Deuxièmement, la violation de l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 ne constitue pas une infraction plus spécifique que la violation de l’article 7, paragraphe 1, de ce même
règlement.

83. Dans son mémoire en réplique, Marine Harvest fait valoir que son moyen tiré de la violation du principe d’imputation est recevable, étant donné que le pourvoi précise quels sont les points contestés de l’arrêt attaqué et qu’il a fourni des arguments à cet égard.

2.   Appréciation

84. Par le second moyen qu’elle invoque à l’appui de son pourvoi, Marine Harvest soutient qu’en constatant que des amendes distinctes pouvaient être infligées, l’une pour la violation de l’obligation de notification prévue à l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, l’autre pour la violation de l’obligation de suspension prévue à l’article 7, paragraphe 1, de ce même règlement, le Tribunal a enfreint le principe ne bis in idem, le principe d’imputation, ou encore les principes régissant
le concours d’infractions.

a)   Sur la recevabilité

85. La Commission soutient que le moyen tiré de la violation du principe d’imputation est irrecevable parce qu’il n’est pas étayé par des arguments de droit et qu’aucune erreur spécifique commise par le Tribunal n’y est identifiée ( 30 ).

86. Selon moi, cette exception d’irrecevabilité ne saurait prospérer.

87. Premièrement, le pourvoi satisfait aux exigences de l’article 168, paragraphe 1, sous d), du règlement de procédure de la Cour, qui impose que celui‑ci contienne les arguments de droit invoqués. En effet, Marine Harvest explique dans le pourvoi que le principe d’imputation est un principe général du droit de l’Union (il est fait référence à l’Anrechnungsprinzip du droit allemand, ainsi qu’aux conclusions de deux avocats généraux) ( 31 ) ; elle indique également ce que ce principe exige (à
savoir, la prise en compte de la première amende lors de la détermination de la seconde) ; et, enfin, elle précise pourquoi ce principe s’applique à la présente affaire (il s’applique lorsque le principe ne bis in idem ne s’applique pas) ( 32 ).

88. Deuxièmement, ainsi que l’exige l’article 169, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, il est clairement indiqué dans le pourvoi que ce sont les points 339 à 344 de l’arrêt attaqué qui sont contestés.

b)   Sur le fond

1) Sur la première branche du second moyen du pourvoi

89. Dans la première branche du second moyen du pourvoi, Marine Harvest fait valoir une violation du principe ne bis in idem ou, à titre subsidiaire, du principe d’imputation. J’examinerai successivement chacun de ces griefs.

i) Sur la violation du principe ne bis in idem

90. Marine Harvest soutient que le Tribunal a violé le principe ne bis in idem en constatant qu’un même comportement, à savoir l’acquisition de décembre 2012, pouvait être sanctionné par des amendes distinctes, l’une pour la violation de l’obligation de notifier une concentration avant sa réalisation, prévue à l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, l’autre pour la violation de l’obligation de suspendre la réalisation d’une concentration jusqu’à ce que celle‑ci ait été déclarée
compatible, prévue à l’article 7, paragraphe 1, de ce même règlement.

91. Selon la jurisprudence, le principe ne bis in idem, qui est désormais consacré à l’article 50 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doit être respecté dans les procédures tendant à l’infliction d’amendes, relevant du droit de la concurrence. Ce principe interdit qu’une entreprise soit condamnée ou poursuivie une nouvelle fois du fait d’un comportement anticoncurrentiel du chef duquel elle a été sanctionnée ou dont elle a été déclarée non responsable par une décision
antérieure qui n’est plus susceptible de recours ( 33 ).

92. Il s’ensuit que le principe ne bis in idem – dont l’application à l’imposition d’amendes pour la violation des obligations imposées aux entreprises par le règlement no 139/2004 découle de la jurisprudence citée au point précédent – a deux composantes : premièrement, il doit s’agir du même comportement (composante « idem ») ; et deuxièmement, la décision antérieure doit être définitive (composante « bis »).

93. J’estime qu’il convient de rejeter le moyen tiré de la violation du principe ne bis in idem. Bien que le même comportement ait été qualifié par la Commission de violation de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, l’exigence tenant à l’existence d’une décision antérieure n’est pas remplie.

94. Comme cela a été indiqué au point précédent, la composante « idem » ne pose aucune difficulté.

95. Selon la jurisprudence, dans des affaires relevant du droit de la concurrence, l’application du principe ne bis in idem est soumise à la triple condition d’identité des faits, d’unité de contrevenant et d’unité de l’intérêt juridique protégé ( 34 ).

96. Premièrement, l’infraction à l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 découle des mêmes faits que l’infraction à l’article 7, paragraphe 1, dudit règlement.

97. Certes, il pourrait être soutenu que l’infraction à l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 provenait de l’absence de notification du SPA après sa conclusion le 14 décembre 2012, alors que la violation de l’article 7, paragraphe 1, du même règlement découlait de la clôture, quatre jours plus tard, de l’acquisition de décembre 2012.

98. Je souhaite toutefois faire observer que l’absence de notification du SPA n’est pas en soi constitutive d’une violation de l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, étant donné que cette disposition exige la notification de concentrations « avant leur réalisation ». La simple omission d’une notification de la concentration « après la conclusion de l’accord » ne suffit pas à enfreindre cette disposition. La violation de l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 découle de la
réalisation d’une concentration qui n’a pas été notifiée. En revanche, sous l’empire du règlement no 4064/89, l’article 4, paragraphe 1, dudit règlement exigeait que les concentrations soient notifiées « dans un délai d’une semaine à compter de la conclusion de l’accord », de sorte que le défaut de notification d’une concentration (dans le délai d’une semaine) était en soi constitutif d’une violation de cette disposition.

99. Par conséquent, l’infraction à l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 a été constituée par la clôture de l’acquisition de décembre 2012, qui a réalisé la concentration avant qu’elle ait été notifiée. Il s’ensuit que ce sont des faits identiques (la clôture de l’acquisition de décembre 2012) qui sont constitutifs de l’infraction à l’article 4, paragraphe 1, et à l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, de sorte que la première condition citée au point 95 des présentes
conclusions, à savoir l’identité des faits, est remplie.

100. Deuxièmement, le contrevenant est dans les deux cas Marine Harvest. Étant donné que cette société a acquis le contrôle exclusif de Morpol, c’est elle qui était tenue de se conformer à l’obligation de notifier la concentration préalablement à sa réalisation, prévue à l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 ( 35 ), ainsi qu’à l’obligation de suspension prévue à l’article 7, paragraphe 1, de ce règlement.

101. Troisièmement, c’est le même intérêt juridique que protègent ces deux obligations, à savoir, conformément aux considérants 5 et 6 du règlement no 139/2004, éviter tout préjudice pour la concurrence susceptible de découler d’une réalisation précoce de concentrations, avant qu’elles soient notifiées et examinées par la Commission ( 36 ).

102. Par conséquent, les trois conditions citées au point 95 des présentes conclusions sont remplies.

103. Toutefois, comme cela a été indiqué au point 93 ci‑dessus, la composante « bis » pose des difficultés, de sorte que le principe ne bis in idem ne s’applique pas à la présente affaire.

104. Il faut en effet, pour que le principe ne bis in idem s’applique, qu’il existe une décision antérieure infligeant une amende à la même personne pour le même comportement. Cela résulte de la jurisprudence citée au point 91 des présentes conclusions, qui subordonne l’interdiction de la double peine à l’existence d’« une décision antérieure qui n’est plus susceptible de recours ». Cela ressort également du libellé de l’article 50 de la charte des droits fondamentaux, qui exige que la personne ait
« déjà été acquitté[e] ou condamné[e] […] par un jugement pénal définitif ».

105. En revanche, lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, il n’y a pas de décision antérieure, et que deux amendes sont infligées dans une décision, le principe ne bis in idem n’est pas applicable.

106. Cela a été confirmé dans un arrêt récent, dans lequel la Cour a considéré que le principe ne bis in idem ne s’appliquait pas dans une situation où l’autorité nationale de la concurrence avait infligé deux amendes dans une décision unique, l’une pour la méconnaissance des règles de concurrence de l’Union, l’autre pour la violation du droit national de la concurrence ( 37 ). Alors même que, en l’espèce, les deux amendes ont été infligées en raison de la violation de deux dispositions du droit de
l’Union, à savoir l’article 4, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, je ne vois pas, compte tenu de mes observations au point 104 ci‑dessus, pourquoi la solution qui a été retenue dans cet arrêt ne devrait pas s’appliquer à la présente affaire.

107. Une telle solution est par ailleurs conforme à l’arrêt qui a été rendu dans l’affaire LG Display et LG Display Taiwan/Commission. La Commission avait adopté une décision constatant que les producteurs d’écrans d’affichage à cristaux liquides à matrice active avaient enfreint l’article 101 TFUE (ci‑après la « première décision »). Toutefois, les fournisseurs japonais de ces écrans avaient été exclus du champ d’application de cette première décision, et la Commission avait ouvert à leur encontre
une autre procédure, laquelle était toujours en cours (ci‑après la « seconde procédure »). Le Tribunal a considéré que le principe ne bis in idem ne pouvait pas être invoqué à l’appui du recours en annulation dirigé contre la première décision ( 38 ). Ce principe ne pouvait être invoqué qu’à l’appui d’un recours en annulation dirigé contre la décision qui clôturerait la seconde procédure. Selon le Tribunal, le « principe [ne bis in idem] ne saurait jouer aucun rôle à l’égard de la [première]
décision […], dont l’existence constitue une condition sine qua non pour que le principe en question puisse être invoqué à l’égard de la seconde procédure » ( 39 ).

108. Cette solution s’inscrit également dans la ligne de l’arrêt rendu dans l’affaire Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, dans lequel la Cour a annulé pour des motifs de forme une décision par laquelle la Commission avait infligé une amende en raison de la violation de l’article 101 TFUE. La Cour a considéré que le principe ne bis in idem ne s’oppose pas à une reprise des poursuites par la Commission et à l’imposition d’une nouvelle amende. En effet, dans un tel cas, l’amende imposée par
la nouvelle décision ne s’ajoute pas à celle prononcée par la première décision, mais se substitue à elle. La première amende n’existe pour ainsi dire plus ( 40 ).

109. La conclusion que j’ai énoncée au point 105 ci‑dessus n’est pas remise en cause par les trois arrêts qu’invoque Marine Harvest, à savoir les arrêts qui ont été rendus dans les affaires Beneo-Orafti, Coop de France bétail et viande e.a./Commission, et Transcatab/Commission ( 41 ).

110. Dans ces affaires, plusieurs sanctions avaient été imposées dans une décision unique. Ce n’est pas l’absence de décision antérieure qui a conduit le Tribunal ou, selon le cas, la Cour à conclure, dans chacune de ces affaires, que le principe ne bis in idem n’était pas enfreint, mais l’un des motifs suivants : l’une des mesures en cause ne constituait pas une sanction ( 42 ) ; il n’y avait pas unité de contrevenant ( 43 ) ; et il n’y avait ni identité des faits, ni unité de contrevenant ( 44 ).

111. Contrairement à ce que soutient Marine Harvest, ce n’est pas parce que le Tribunal ou, selon le cas, la Cour ne s’est pas fondée sur l’absence de décision antérieure qu’il faut en déduire qu’il ou elle a considéré que le principe ne bis in idem s’applique lorsque plusieurs sanctions sont imposées dans une décision unique. Cela signifie simplement qu’il n’y avait nul besoin pour eux d’examiner cette question, étant donné que les conditions afférentes à l’identité des faits, à l’unité de
contrevenant, à l’unité de l’intérêt juridique protégé et, enfin, à l’existence d’une décision antérieure qui n’est plus susceptible de recours sont cumulatives. Par conséquent, si, comme c’était le cas dans chacun de ces trois arrêts, une des trois premières conditions n’est pas remplie, il n’y a pas lieu d’examiner si la condition tenant à l’existence d’une décision antérieure est remplie.

112. J’en conclus que le Tribunal n’a pas commis d’erreur en constatant, au point 319 de l’arrêt attaqué, que le principe ne bis in idem ne s’applique pas en l’espèce, car les sanctions ont été imposées dans une seule et même décision.

ii) Sur la violation du principe d’imputation

113. Marine Harvest soutient que la Cour, si elle devait rejeter le grief tiré de la violation du principe ne bis in idem, devrait néanmoins conclure à une violation du principe d’imputation, lequel exige que la première sanction infligée soit prise en compte lors de l’imposition de la seconde.

114. Je considère que ce moyen doit être rejeté.

115. Selon la jurisprudence, la possibilité d’un cumul de sanctions, l’une au niveau de l’Union, l’autre au niveau national, à la suite de deux procédures parallèles dont l’admissibilité résulte du système particulier de répartition des compétences entre l’Union et les États membres en matière d’ententes étant donné la poursuite de fins distinctes, est soumise à une exigence d’équité. Cette exigence d’équité implique que, en fixant le montant des amendes, la Commission est obligée de tenir compte
des sanctions qui auraient déjà été supportées par la même entreprise pour le même fait, lorsqu’il s’agit de sanctions infligées pour des infractions au droit des ententes d’un État membre et, par conséquent, commises sur le territoire de l’Union ( 45 ).

116. Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence citée au point précédent, ce principe, appelé principe d’imputation ou principe comptable, s’applique dans des situations dans lesquelles des procédures parallèles sont menées par la Commission (en application des règles de concurrence de l’Union) et l’autorité de la concurrence d’un État membre (en application des règles nationales de concurrence). Comme cela a été indiqué dans les présentes conclusions ( 46 ), il s’agit de situations dans lesquelles le
principe ne bis in idem ne s’applique pas. L’exigence de prise en compte de la première amende lors de l’imposition de la seconde atténue les conséquences de l’inapplicabilité du principe ne bis in idem.

117. Toutefois, le principe d’imputation ne s’applique pas lorsque des procédures parallèles sont menées par la Commission et l’autorité de la concurrence d’un État tiers. Dans cette situation, la Commission peut prendre en compte des amendes antérieurement infligées par une telle autorité, mais ne saurait y être tenue ( 47 ). C’est le cas même si, dans cette situation, le principe ne bis in idem ne s’applique pas puisque l’intérêt juridique protégé n’est pas le même ( 48 ). Par conséquent, je ne
suis pas d’accord avec l’argument de Marine Harvest selon lequel le principe d’imputation, ou principe comptable, « s’applique à toute situation dans laquelle le principe ne bis in idem n’est pas entièrement applicable ».

118. Je suis également en désaccord avec l’argument de Marine Harvest selon lequel le principe d’imputation serait « un principe général du droit de l’Union ». Je ferai observer, à cet égard, que la Cour n’a pas affirmé ( 49 ), comme l’y invitait l’avocat général Sharpston dans ses conclusions dans l’affaire Kraaijenbrink ( 50 ), sur lesquelles s’appuie Marine Harvest, qu’« il existe, en droit [de l’Union], un principe général d’imputation conformément auquel des peines antérieures doivent être
prises en considération lorsque le prévenu est sanctionné pour les mêmes faits à l’issue d’une seconde procédure ». De plus, même si la Cour avait suivi la proposition de l’avocat général Sharpston et reconnu le principe d’imputation en tant que principe général, cela n’aurait pas d’incidence sur la présente affaire. En effet, selon l’avocat Sharpston, un tel principe s’appliquerait dans la situation où il y aurait une « seconde procédure », ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

119. Il ressort également de la jurisprudence citée au point 115 ci‑dessus que l’application du principe d’imputation suppose la conduite de procédures parallèles, l’une devant la Commission, l’autre devant l’autorité de la concurrence d’un État membre. Lorsqu’il n’y a pas de procédures parallèles, puisque, comme c’est le cas en l’espèce, seule la Commission agit, il n’y a aucune raison que cette jurisprudence s’applique.

120. À cet égard, je souhaite souligner que la présente affaire relève du contrôle des concentrations de l’Union, qui est régi par le principe du « guichet unique », lequel exclut toute possibilité de procédures parallèles devant la Commission et l’autorité de la concurrence d’un État membre ( 51 ). Par conséquent, le principe d’imputation, qui cherche à atténuer les conséquences du système de compétences parallèles pour la mise en œuvre des articles 101 et 102 TFUE, ne saurait s’appliquer. Il
s’ensuit que, lorsqu’un seul et même comportement relève de deux dispositions qui appartiennent au même ordre juridique ( 52 ), la question de savoir si deux sanctions peuvent être imposées devrait être appréciée au regard des principes régissant le concours d’infractions au sein de cet ordre juridique et non au regard du principe d’imputation.

121. J’en conclus que le grief tiré de la violation du principe d’imputation doit être rejeté.

122. Dans un souci d’exhaustivité, je note qu’en réponse à une question de la Cour, Marine Harvest a fait valoir, lors de l’audience, que le principe d’imputation est une expression du principe de proportionnalité.

123. Je suis d’accord avec la Commission pour considérer que le moyen tiré de la violation du principe de proportionnalité est irrecevable.

124. Certes, j’admets que le principe d’imputation soit en dernière analyse une expression de l’exigence de proportionnalité des amendes, mais cela n’enlève rien au fait que, dans son pourvoi devant la Cour, Marine Harvest n’a pas invoqué de moyen tiré de la violation du principe de proportionnalité. Elle n’a pas contesté les points 579 à 631 de l’arrêt attaqué, dans lesquels le Tribunal a rejeté le moyen tiré du caractère prétendument disproportionné des amendes. Cela est contraire à l’article 168,
paragraphe 1, sous d), du règlement de procédure de la Cour, qui exige que le pourvoi contienne les moyens de droit invoqués.

125. J’en conclus qu’il convient de rejeter le second moyen du pourvoi, pris en sa première branche.

2) Sur la seconde branche du second moyen du pourvoi

i) Introduction

126. Dans la seconde branche du second moyen du pourvoi, Marine Harvest soutient que le droit international et les ordres juridiques des États membres reconnaissent des principes régissant le concours d’infractions. Selon Marine Harvest, ces principes exigent que, lorsqu’un même comportement relève de plus d’une disposition légale, dont l’une prévoit une infraction plus spécifique que l’autre, ce soit uniquement cette disposition plus spécifique que ce comportement enfreint, à l’exclusion de
l’autre. Marine Harvest prétend que la violation de l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 est une infraction plus spécifique que la violation de l’article 7, paragraphe 1, de ce règlement, et que c’est donc uniquement la première de ces deux dispositions qui doit s’appliquer à son comportement. Elle en conclut que le Tribunal a commis une erreur en maintenant la constatation de la Commission selon laquelle le comportement de Marine Harvest avait enfreint à la fois l’article 4,
paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 et que des amendes distinctes pouvaient être infligées.

127. Il convient, selon moi, d’accueillir le second moyen du pourvoi, pris en sa deuxième branche. Je vais exposer ci‑dessous les raisons qui m’ont mené à cette conclusion.

128. À titre liminaire, je rappellerai que, ainsi que je l’ai expliqué aux points 98 et 99 des présentes conclusions, c’est le même comportement, à savoir la clôture de l’acquisition de décembre 2012, qui enfreint l’article 4, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004. Le défaut de notification de la conclusion du SPA par Marine Harvest ne viole pas l’article 4, paragraphe 1, de ce règlement puisque le fait de ne pas notifier une concentration après la conclusion d’un
accord ne suffit pas à enfreindre cette disposition. Cette disposition est enfreinte seulement si la concentration qui n’a pas été notifiée est réalisée. Par conséquent, la violation de l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 résulte de la réalisation d’une concentration non précédée d’une notification. Il n’est pas contesté que le même comportement est constitutif d’une infraction à l’article 7, paragraphe 1, du même règlement.

129. Par conséquent, la question est de savoir si, lorsqu’un seul et même comportement (la clôture de l’acquisition de décembre 2012) relève de deux dispositions du droit de l’Union (l’article 4, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004), la Commission peut constater une infraction à ces deux dispositions, ou si elle doit constater une infraction à une seule de ces dispositions.

130. Je ferai observer que, ainsi que le Tribunal l’a constaté au point 348 de l’arrêt attaqué, il n’existe à ma connaissance pas de règles spécifiques concernant le concours d’infractions en droit de la concurrence de l’Union.

131. Toutefois, la législation pénale des États membres prévoit des principes régissant le concours d’infractions. Il convient de se pencher sur ces principes afin d’établir s’il est possible de s’en inspirer pour répondre à la question posée au point 129 ci‑dessus.

132. J’examinerai donc, dans un premier temps, les principes qui régissent le concours d’infractions dans les ordres juridiques de certains États membres. Dans un deuxième temps, j’examinerai s’il est possible de s’en inspirer. À mon sens, lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, un même comportement relève de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, et que la violation de l’une de ces deux dispositions englobe la violation de l’autre, c’est uniquement
cette première disposition qui a vocation à s’appliquer. Dans un troisième temps, j’apprécierai si la violation de l’une de ces deux dispositions englobe la violation de l’autre. Selon moi, la violation de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 englobe la violation de l’article 4, paragraphe 1, de ce même règlement. Dans un quatrième temps, je tirerai les conclusions de cette constatation et proposerai l’annulation de l’arrêt attaqué et, en partie, de la décision litigieuse.

ii) Les principes régissant le concours d’infractions dans les ordres juridiques des États membres

133. Marine Harvest s’appuie sur la doctrine allemande du « conflit apparent » ou « faux conflit » (en allemand : unechte Konkurrenz).

134. En droit allemand, le même comportement peut être qualifié d’infraction à plusieurs dispositions légales (situation de « conflit véritable », en allemand : echte Konkurrenz). Dans ce cas, une seule sanction est infligée. Selon l’article 52, paragraphe 2, du Strafgesetzbuch (code pénal allemand), cette peine ne peut pas être supérieure à la plus élevée des peines maximales encourues et elle ne peut pas être inférieure à la plus élevée des peines minimales encourues ( 53 ).

135. Toutefois, il se peut qu’un comportement relevant de plusieurs dispositions légales soit considéré comme étant constitutif d’une infraction à une seule de ces dispositions, parce que l’application de cette disposition exclut l’applicabilité de l’autre (situation de « conflit apparent » ou de « faux conflit », en allemand : unechte Konkurrenz). Une situation de « conflit apparent » ou de « faux conflit » survient : premièrement, lorsqu’une disposition légale inclut déjà tous les éléments d’une
autre disposition, plus un (principe de « spécialité », en allemand : Spezialität) ; deuxièmement, lorsqu’une disposition légale exclut soit explicitement, soit matériellement, l’application d’une autre disposition (principe de « subsidiarité », en allemand : Subsidiarität) ; ou, troisièmement, lorsqu’une disposition légale s’inscrit dans le « déroulement typique » de la commission d’une infraction à une autre disposition, si bien qu’elle est généralement enfreinte conjointement à cette autre
disposition (principe d’« absorption », en allemand : Konsumtion). Dans une situation de « conflit apparent », ou de « faux conflit », une seule sanction est appliquée, étant donné que le comportement en cause n’a enfreint qu’une seule disposition ( 54 ).

136. À titre d’exemple, les principes qui régissent le concours d’infractions dans l’ordre juridique français, invoqué parmi d’autres par Marine Harvest, peuvent également être pris en considération.

137. En droit français, lorsqu’un même fait est susceptible de plusieurs incriminations, une seule qualification est normalement retenue ( 55 ). Par exemple, les mêmes faits ne peuvent pas être qualifiés à la fois de viol et de violences volontaires. Seule la qualification de viol sera retenue, à l’exclusion de celle de violences volontaires ( 56 ). Il en est ainsi lorsque les qualifications en conflit protègent la même valeur sociale. La qualification qui est retenue à l’exclusion des autres est
celle qui correspond à l’infraction la plus sévèrement punie (la qualification de viol l’emporte sur celle de violences volontaires) ; ou bien la qualification qui en absorbe une seconde, parce que celle‑ci a été commise avec pour seul but de commettre celle-là, ou parce que la commission de celle‑ci est une étape préalable à la commission de celle-là ( 57 ) ; ou, en application du principe specialia generalibus derogant, l’infraction spéciale. Il en découle qu’une seule peine est prononcée (
58 ).

138. Toutefois, le même comportement peut aussi être considéré comme enfreignant plus d’une disposition légale. C’est le cas, notamment, lorsque les dispositions en cause protègent des valeurs sociales différentes ( 59 ). Dans cette hypothèse, en principe, l’article 132-3 du code pénal français est applicable. Il dispose que, à l’occasion d’une même procédure, une seule peine de même nature ( 60 ) peut être prononcée, dans la limite du maximum légal le plus élevé ( 61 ). À titre exceptionnel, il est
néanmoins possible de déroger au principe de l’imposition d’une seule peine de même nature et d’imposer des sanctions distinctes, mais toujours dans la limite du maximum légal le plus élevé ( 62 ).

iii) La possibilité de s’inspirer des principes des ordres juridiques des États membres en ce qui concerne la violation, par un seul et même comportement, de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004

139. En l’espèce, le comportement litigieux relève à la fois de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004. Par analogie avec les principes des ordres juridiques nationaux décrits ci‑dessus, il me semble que la question est de savoir si l’une de ces deux dispositions englobe l’autre.

140. Si tel est le cas, je proposerai l’application exclusive de la disposition qui englobe l’autre, de sorte que Marine Harvest ne puisse se voir infliger qu’une seule sanction (option 1) ( 63 ). Si tel n’est pas le cas, ces deux dispositions doivent être appliquées dans la présente affaire. Toutefois, dans cette situation, il se pose une autre question, qui est de savoir si des sanctions distinctes peuvent être infligées. Il est possible de considérer que des sanctions distinctes doivent être
imposées, puisque Marine Harvest a commis des infractions distinctes (option 2) ; mais on peut également considérer qu’il n’y a lieu d’imposer qu’une seule sanction, étant donné que ces deux infractions résultent du même comportement (option 3) ; ou que deux sanctions doivent être infligées, à condition toutefois que leur montant total ne dépasse pas le plafond de 10 % prévu à l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 139/2004 ( 64 ), étant donné, une fois encore, que les deux infractions
résultent du même comportement ( 65 ) (option 4).

141. Je souligne que, alors que les options 1 et 3 impliqueraient, si elles étaient retenues, l’annulation de la décision litigieuse dans la mesure où celle‑ci constate une infraction à plus d’une disposition et inflige plus d’une amende, les options 2 et 4 ne conduiraient pas à l’annulation de cette décision, que ce soit en partie ou en totalité. S’agissant plus particulièrement de l’option 4, je note que le montant total des amendes infligées à Marine Harvest, à savoir 20 millions d’euros,
représente moins de 1 % du chiffre d’affaires des entreprises concernées ( 66 ), et qu’il est donc bien en deçà du plafond de 10 % prévu à l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 139/2004.

142. À mon avis, le comportement qui consiste à réaliser une concentration avant qu’elle soit notifiée et avant qu’elle soit déclarée compatible avec le marché intérieur doit être considéré comme constitutif d’une infraction à une seule disposition, à savoir l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004. En d’autres termes, j’estime que, sur les quatre options envisagées aux deux points précédents, seule l’option 1 devrait être retenue. J’exposerai ci‑dessous les raisons pour lesquelles je
suis parvenu à cette conclusion.

iv) La violation de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 englobe la violation de l’article 4, paragraphe 1, de ce même règlement

143. Comme je l’ai indiqué ci‑dessus, je suis d’avis que la clôture de l’acquisition de décembre 2012 est constitutive d’une infraction à l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, et non à l’article 4, paragraphe 1, de ce règlement.

144. Premièrement, ainsi que je l’ai indiqué au point 101 des présentes conclusions, l’article 4, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 poursuivent le même objectif. Ces deux dispositions visent à empêcher la réalisation de concentrations avant qu’elles soient notifiées et déclarées compatibles, afin d’éviter tout préjudice pour la concurrence susceptible de découler d’une telle mise en œuvre précoce. Par conséquent, ces deux dispositions protègent la même valeur et je
ne vois pas pour quelle raison elles devraient être appliquées conjointement.

145. Il me semble, par ailleurs, que tout préjudice pour la concurrence, quel qu’il soit, résulte non de l’absence de notification en violation de l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, mais de la réalisation d’une concentration qui n’a pas été déclarée compatible, en violation de l’article 7, paragraphe 1, de ce règlement. Il s’ensuit que tout préjudice pour la concurrence qui résulte de la réalisation précoce d’une concentration devrait être considéré comme constitutif d’une
infraction à l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, et non à l’article 4, paragraphe 1, de ce même règlement.

146. Deuxièmement, je ferai observer que le défaut de notification d’une concentration est une étape vers la réalisation de cette concentration. En effet, pour quelle raison une entreprise omettrait-elle de notifier une concentration ? Soit elle cherche à éviter que la Commission examine l’opération, soit elle n’a pas conscience du fait que l’opération constitue une concentration de dimension européenne. Dans les deux cas de figure, elle mettra la concentration en œuvre.

147. Troisièmement, j’observe que, tandis que l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 exige que les concentrations soient « notifiées […] avant leur réalisation », l’article 7, paragraphe 1, de ce règlement interdit qu’une concentration soit réalisée « avant d’être notifiée » (première branche) et « avant d’avoir été déclarée compatible » (seconde branche). Par conséquent, l’article 4, paragraphe 1, et la première branche de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 définissent
une infraction identique et visent tous deux la même situation, c’est‑à‑dire la situation dans laquelle une concentration est réalisée avant d’être notifiée ( 67 ).

148. J’observe, à cet égard, ainsi que je l’ai expliqué au point 98 des présentes conclusions, qu’il n’est pas possible d’enfreindre isolément l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 139/2004. À l’inverse, il était possible d’enfreindre isolément la version initiale de cette disposition, telle qu’elle figurait dans le règlement no 4064/89. En effet, l’article 4, paragraphe 1, dudit règlement disposait que les concentrations devaient être notifiées dans un délai d’une semaine à compter de la
conclusion de l’accord. Par conséquent, lorsqu’une concentration était notifiée un mois après la conclusion de l’accord, mais avant sa réalisation, la partie qui avait procédé à cette notification avait enfreint l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 4064/89, mais pas l’article 7, paragraphe 1, dudit règlement. Cela n’est plus possible, dans la mesure où le règlement (CE) no 1310/97 du Conseil ( 68 ) a supprimé le délai de notification d’une semaine (la raison de cette suppression étant
que, « comme il est normalement de l’intérêt des parties d’effectuer la notification le plus tôt possible, afin d’obtenir une décision dans les meilleurs délais » ( 69 ), ce délai a été jugé inutile, d’autant qu’en pratique, la Commission ne l’appliquait pas strictement et accordait des prolongations de manière souple) ( 70 ).

149. Je souhaiterais également faire observer qu’en pratique, la Commission n’a, à ma connaissance, jamais infligé d’amende pour la violation du seul article 4, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 ou no 4064/89. Les amendes infligées par la Commission pour la violation de cette disposition se sont toujours accompagnées, dans la même décision, d’une seconde amende en raison d’une infraction à l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 4064/89 ou no 139/2004 ( 71 ).

150. En revanche, il est possible d’enfreindre l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 sans enfreindre l’article 4, paragraphe 1, de ce même règlement. Lorsqu’une concentration est réalisée après être notifiée, mais avant d’être déclarée compatible ( 72 ), la partie qui procède à la notification enfreint la seconde branche de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, qui interdit la réalisation d’une concentration avant que celle‑ci soit déclarée compatible. Il n’y a pas,
toutefois, infraction à l’article 4, paragraphe 1, de ce règlement. Par ailleurs, selon l’arrêt Ernst & Young, la mise en œuvre, avant la notification d’une concentration, d’une opération contribuant au changement de contrôle, enfreint l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 ( 73 ). Toutefois, dans cette situation, il n’y a pas violation de l’article 4, paragraphe 1, de ce règlement, parce que l’opération, certes, contribue au changement de contrôle, mais sans le réaliser et,
partant, ne constitue pas une concentration devant être notifiée.

151. Par conséquent, l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 contient dans sa première branche tous les éléments de l’article 4, paragraphe 1, de ce même règlement, auxquels s’ajoute, dans sa seconde branche, un élément supplémentaire. Selon moi, il s’ensuit que l’infraction à l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 englobe l’infraction à l’article 4, paragraphe 1, de ce même règlement.

152. J’estime, par conséquent, que la réalisation d’une concentration avant qu’elle soit notifiée et déclarée compatible est constitutive d’une infraction au seul article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004. Elle n’enfreint pas à la fois l’article 4, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de ce règlement.

v) Le Tribunal a commis une erreur en confirmant la constatation de la Commission selon laquelle Marine Harvest a enfreint l’article 4, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004

153. Le Tribunal a rejeté le moyen tiré de la violation des principes régissant le concours d’infractions au motif, premièrement, que l’infraction à l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, et l’infraction à l’article 7, paragraphe 1, de ce même règlement sont soumises au même plafond de 10 %, de sorte qu’aucune de ces dispositions ne pouvait être considérée comme l’emportant sur l’autre (point 350 de l’arrêt attaqué) ; et, deuxièmement, au motif que l’infraction à l’article 4,
paragraphe 1, n’était pas une infraction plus spécifique que la violation de l’article 7, paragraphe 1 (points 351 à 362) ( 74 ).

154. Premièrement, je souligne que le fait que les deux infractions sont soumises au même plafond ne signifie pas qu’aucune des deux ne puisse l’emporter sur l’autre. C’est un élément parmi d’autres à prendre en compte, d’autant que, sous l’empire du règlement no 4064/89, une infraction à l’article 4, paragraphe 1, dudit règlement était seulement passible d’une amende comprise entre 1000 et 50000 euros, tandis qu’une infraction à l’article 7, paragraphe 1, de ce même règlement était soumise au même
plafond de 10 % qu’aujourd’hui. Toutefois, d’autres facteurs devraient être pris en compte afin d’établir si une infraction l’emporte sur l’autre. Il devrait être tenu compte, par exemple, de la nature des infractions (absence de notification ou réalisation précoce) ; ou du fait que, chronologiquement, l’une des infractions (la réalisation précoce) est généralement précédée de l’autre (l’absence de notification) ; et du fait que l’une des infractions s’applique non seulement à toutes les
situations couvertes par l’autre infraction, mais également à d’autres situations. En particulier, la constatation du Tribunal, aux points 294, 295 et 306 de l’arrêt attaqué, selon laquelle la violation de l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 « entraîne nécessairement » une violation de l’article 7, paragraphe 1, de ce même règlement, mais que l’inverse n’est pas vrai, devrait l’avoir mené à la conclusion que cette seconde disposition l’emporte sur l’autre. Toutefois, il n’est
fait aucune référence à cette constatation dans le cadre de l’appréciation, par le Tribunal, du moyen tiré de la violation des principes régissant le concours d’infractions.

155. Deuxièmement, je souhaite faire observer que le Tribunal a examiné la question de savoir si la violation de l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 était une infraction plus spécifique que la violation de l’article 7, paragraphe 1, de ce même règlement. Il n’a pas examiné le scénario inverse, à savoir si l’infraction à l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 était plus spécifique que l’infraction à l’article 4, paragraphe 1, de ce même règlement.

156. La raison de cette omission est que cet argument n’a pas été soulevé. Marine Harvest a fait valoir devant le Tribunal que la violation de l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 était une infraction plus spécifique que la violation de l’article 7, paragraphe 1, de ce même règlement. Elle n’a pas fait valoir que la violation de cette seconde disposition était plus spécifique que la violation de la première ( 75 ).

157. Toutefois, cela n’enlève, à mon sens, rien au fait que le Tribunal ne pouvait pas conclure, au point 373 de l’arrêt attaqué, qu’« en l’espèce, il n’existe pas une disposition principalement applicable » au seul motif que l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 n’est pas « principalement applicable » par rapport à l’article 7, paragraphe 1, de ce même règlement. Pour parvenir à une telle conclusion, il aurait fallu que le Tribunal constate non seulement, comme il l’a fait, que
l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 ne l’emporte pas sur l’article 7, paragraphe 1, de ce même règlement, mais également que cette seconde disposition ne l’emporte pas sur la première, ce qu’il n’a pas fait. La conclusion selon laquelle « il n’existe pas une disposition principalement applicable » suppose d’avoir préalablement constaté qu’aucune des deux dispositions en cause ne l’emporte sur l’autre ( 76 ). Il me semble que le Tribunal, en constatant qu’« il n’existe pas une
disposition principalement applicable » après n’avoir examiné qu’un seul des deux scénarios possibles, n’a pas tiré la conclusion de ses propres constatations aux points 294 à 306 de l’arrêt attaqué.

158. On ne saurait, selon moi, valablement objecter que la possibilité de constater que la réalisation d’une concentration qui n’a ni été notifiée ni déclarée compatible est constitutive d’une infraction à une, et non à deux, des dispositions du règlement no 139/2004 supposerait au préalable de déclarer illégal l’article 14, paragraphe 2, de ce même règlement.

159. À ce propos, je souhaite faire observer qu’au point 306 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a énoncé que, même si « le cadre juridique actuel est inhabituel », Marine Harvest « ne soulève pas d’exception d’illégalité en ce qui concerne certaines dispositions du règlement no 139/2004 ».

160. Lors de l’audience, Marine Harvest a invoqué l’illégalité de l’article 14, paragraphe 2, sous a), du règlement no 139/2004, alors qu’elle n’avait soulevé d’exception en ce sens ni devant le Tribunal ni dans son pourvoi devant la Cour.

161. Comme l’affirme la Commission, cette exception d’illégalité est irrecevable, car elle n’a pas été soulevée devant le Tribunal ( 77 ).

162. J’estime toutefois qu’il n’est pas nécessaire que la Cour déclare illégal l’article 14, paragraphe 2, sous a), du règlement no 139/2004 avant de pouvoir constater que des amendes distinctes ne peuvent pas être infligées en application de cette disposition et de l’article 14, paragraphe 2, sous b), de ce même règlement lorsqu’une concentration est réalisée en violation de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, dudit règlement.

163. En effet, l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 139/2004 ne précise pas si la Commission peut infliger des amendes au titre de ses points a) et b), lorsque les conditions de l’application de chacun de ces points sont réunies (c’est‑à‑dire lorsqu’une concentration est réalisée en violation, respectivement, des obligations de notification et de suspension). Certes, l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 139/2004 ne dispose pas que la Commission peut infliger une amende en application
du point a) ou b) lorsque les conditions de l’application de chacun d’eux sont réunies. Toutefois, cela n’enlève rien au fait que l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 139/2004 n’autorise pas expressément la Commission à infliger des amendes en application des points a) et b) lorsque tous deux sont applicables. Par conséquent, le constat selon lequel la Commission ne peut pas infliger des amendes distinctes pour la violation, par le même comportement, de l’article 4, paragraphe 1, et de
l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, est conforme à l’article 14, paragraphe 2, de ce règlement.

164. J’en conclus que le Tribunal a commis une erreur en constatant, aux points 372 à 374, que la Commission pouvait infliger des amendes distinctes à Marine Harvest pour la violation de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 sans enfreindre les principes régissant le concours d’infractions.

165. Il s’ensuit que le second moyen, pris en sa seconde branche, est fondé.

166. Conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, la Cour, lorsque le pourvoi est fondé, annule la décision du Tribunal. Elle peut alors statuer elle‑même définitivement sur le litige, lorsque celui‑ci est en état d’être jugé. J’estime que tel est le cas en l’espèce.

167. Il résulte des motifs énoncés aux points 143 à 152 des présentes conclusions que la Commission a commis une erreur en constatant qu’en réalisant l’acquisition de décembre 2012 avant qu’elle ait été notifiée et déclarée compatible, Marine Harvest avait enfreint l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, et en lui infligeant par conséquent une amende de 10 millions d’euros pour la violation de cette disposition.

168. Il convient donc d’accueillir le moyen tiré de la violation des principes régissant le concours d’infractions que Marine Harvest a soulevé devant le Tribunal, et d’annuler, premièrement, l’article 1er de la décision litigieuse en ce qu’il constate une infraction à l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, et, deuxièmement, l’article 2 de cette décision, qui inflige à Marine Harvest une amende de 10 millions d’euros pour la violation de l’article 4, paragraphe 1, dudit règlement.

VI. Conclusion

169. Je considère par conséquent que la Cour devrait :

– annuler l’arrêt du 26 octobre 2017, Marine Harvest/Commission (T‑704/14, EU:T:2017:753) ;

– annuler l’article 1er de la décision C(2014) 5089 final de la Commission, du 23 juillet 2014, infligeant une amende pour la réalisation d’une concentration en violation de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement (CE) no 139/2004 (affaire COMP/M.7184 – Marine Harvest/Morpol), en ce que celui‑ci constate que, en réalisant une concentration de dimension européenne pendant la période comprise entre le 18 décembre 2012 et le 30 septembre 2013, Marine Harvest ASA a
enfreint l’article 4, paragraphe 1, du règlement (CE) no 139/2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (« le règlement CE sur les concentrations ») ;

– annuler l’article 2 de la décision C(2014) 5089 final de la Commission, du 23 juillet 2014, infligeant une amende pour la réalisation d’une concentration en violation de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement (CE) no 139/2004 (affaire COMP/M.7184 – Marine Harvest/Morpol) ;

– condamner la Commission à supporter ses propres dépens, ainsi que les dépens exposés par Marine Harvest ASA.

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( 1 ) Langue originale : l’anglais.

( 2 ) Arrêt du Tribunal du 26 octobre 2017, Marine Harvest/Commission (T‑704/14, ci‑après l’« arrêt attaqué », EU:T:2017:753).

( 3 ) Décision C(2014) 5089 final de la Commission, du 23 juillet 2014, infligeant une amende pour la réalisation d’une concentration en violation de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement (CE) no 139/2004 (affaire COMP/M.7184 – Marine Harvest/Morpol).

( 4 ) Décision C(2013) 6449 final en application de l’article 6, paragraphe 1, sous b), et de l’article 6, paragraphe 2, du règlement no 139/2004 (affaire COMP/M.6850 – Marine Harvest/Morpol).

( 5 ) Règlement du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (« le règlement CE sur les concentrations ») (JO 2004, L 24, p. 1).

( 6 ) Avant son acquisition par Marine Harvest, Morpol était cotée à la Bourse d’Oslo (Norvège). Marine Harvest est elle aussi cotée à la Bourse d’Oslo.

( 7 ) Tel qu’il figure à l’annexe I du règlement (CE) no 802/2004 de la Commission, du 7 avril 2004, concernant la mise en œuvre du règlement no 139/2004 (JO 2004, L 133, p. 1).

( 8 ) Voir points 7 à 9 de la décision d’autorisation.

( 9 ) Voir points 85 à 88 de la décision litigieuse.

( 10 ) Voir points 100 à 119 de la décision litigieuse.

( 11 ) Les cinq moyens soulevés devant le Tribunal étaient tirés, respectivement, d’une erreur manifeste de droit et de fait, en ce que la décision litigieuse a considéré que l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 139/2004 n’était pas applicable (premier moyen) ; d’une erreur manifeste de droit et de fait, en ce que la décision litigieuse a conclu que la requérante avait été négligente (deuxième moyen) ; d’une violation du principe général ne bis in idem (troisième moyen) ; d’une erreur
manifeste de droit et de fait commise en imposant des amendes à la requérante (quatrième moyen) ; et d’une erreur manifeste de droit et de fait et d’une absence de motivation en ce qui concerne la fixation des niveaux des amendes (cinquième moyen). Je ne résumerai que l’appréciation du Tribunal concernant le premier et le troisième moyen, car c’est uniquement celle‑ci que Marine Harvest conteste devant la Cour.

( 12 ) Version rectifiée (JO 2009, C 43, p. 10).

( 13 ) Arrêt du 23 février 2006, Cementbouw Handel & Industrie/Commission (T‑282/02, EU:T:2006:64, point 104).

( 14 ) Dans un souci d’exhaustivité (puisque Marine Harvest ne s’appuie pas sur cet élément), j’observe que, à la date du 12 novembre 2013, Marine Harvest était l’actionnaire unique de Morpol (voir point 11 des présentes conclusions).

( 15 ) Comme cela a été expliqué dans la décision litigieuse, bien que l’acquisition par Marine Harvest d’une participation de 48,5 % dans Morpol ne lui ait pas conféré, en droit, le contrôle de cette société, elle lui a conféré un contrôle de fait. Premièrement, en effet, les actions restantes de Morpol étaient largement dispersées entre un grand nombre d’actionnaires ; et, deuxièmement, une simple majorité des actions présentes et votantes lors des assemblées générales suffisait pour adopter une
motion telle que l’élection du conseil d’administration ou l’approbation de dividendes, et, compte tenu du taux de participation aux assemblées générales ordinaires et extraordinaires, M. M. (dont la participation a été acquise par Marine Harvest au moyen de l’acquisition de décembre 2012) a toujours représenté une nette majorité des votes exprimés lors des assemblées générales (voir considérants 48 à 84 de la décision litigieuse).

( 16 ) Je ne m’attarderai pas sur la seconde situation envisagée au considérant 20 du règlement no 139/2004 (opérations qui prennent la forme d’une série de transactions sur titres effectuées dans un délai raisonnablement bref), étant donné, premièrement, que Marine Harvest se fonde exclusivement sur la première situation envisagée par ce considérant (opérations faisant l’objet d’un lien conditionnel) et, deuxièmement, que le Tribunal n’a pas examiné cette seconde situation (voir points 97, 98
et 149 de l’arrêt attaqué).

( 17 ) Arrêt du 23 février 2006, Cementbouw Handel & Industrie/Commission (T‑282/02, EU:T:2006:64, point 109) (c’est moi qui souligne).

( 18 ) Proposition du 11 décembre 2002 de règlement du Conseil relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (« Le règlement CE sur les concentrations ») (JO 2003, C 20, p. 4, ci‑après la « proposition de la Commission »).

( 19 ) Règlement du 21 décembre 1989 relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises (JO 1989, L 395, p. 1). Le règlement no 4064/89 a été abrogé et remplacé par le règlement no 139/2004.

( 20 ) C’est moi qui souligne. Je précise que le membre de phrase « à condition que ces opérations, considérées dans leur ensemble, remplissent les conditions énoncées au paragraphe 1 », s’il figure dans la version anglaise de l’article 3, paragraphe 4, de la proposition de la Commission, ne figure pas dans la version française de cette disposition. Toutefois, il figure dans les versions espagnole, allemande, italienne et portugaise. L’erreur figurant dans la version française semble avoir été
corrigée par le Conseil (comparer les versions anglaise et française du document du Conseil du 24 octobre 2003, no 13892/03).

( 21 ) C’est ce que montre un document de travail de la Commission qui a été présenté au Comité des représentants permanents (Coreper) au cours des travaux préparatoires du règlement no 139/2004, et que la Commission a produit devant la Cour. Il ressort de ce document que la Commission a attiré l’attention du Conseil sur le fait que, en cas de non-adoption de l’article 3, paragraphe 4, de la proposition de la Commission, elle devrait apprécier les opérations multiples comme elle l’avait fait par le
passé, c’est‑à‑dire sur la base du concept de la « concentration unique ». Cela a conduit à un compromis avec le Coreper : ledit article 3, paragraphe 4, n’a pas été retenu, mais une phrase a été ajoutée au considérant 23 du règlement no 4064/89, qui est désormais le considérant 20 du règlement no 139/2004. Il s’agit de la phrase qui est citée au point 48 des présentes conclusions.

( 22 ) C’est moi qui souligne. Ce même point énonce que les opérations sont liées en droit si « les accords eux‑mêmes sont liés par une conditionnalité réciproque», et qu’elles sont liées en fait s’il ressort d’une évaluation économique que « chacune des opérations dépend de la réalisation des autres » (c’est moi qui souligne).

( 23 ) Arrêt du 23 février 2006 (T‑282/02, EU:T:2006:64).

( 24 ) Dans ce cas, la question de savoir si l’exemption de l’obligation de suspension prévue à l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 139/2004 s’applique à l’acquisition de décembre 2012 ne se poserait pas, et il ne serait pas nécessaire d’examiner la seconde branche du premier moyen du pourvoi.

( 25 ) Arrêt du 31 mai 2018, Ernst & Young (C‑633/16, EU:C:2018:371, point 52).

( 26 ) Arrêt du 12 décembre 2012, Electrabel/Commission (T‑332/09, EU:T:2012:672, point 246).

( 27 ) Je relève que Marine Harvest se fonde uniquement sur le premier cas de figure envisagé à l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 139/2004 (offres publiques d’achat et d’échange). Toutefois, dans un souci d’exhaustivité, j’examinerai également le second cas de figure envisagé dans cette disposition (opérations constituées d’une série de transactions sur titres), étant donné, premièrement, que l’argument de Marine Harvest tiré de la raison d’être de cette disposition concerne en réalité le
second cas de figure, et que, deuxièmement, le Tribunal a examiné ce second cas de figure (voir points 73 à 82 et 176 de l’arrêt attaqué).

( 28 ) Je souhaite préciser que l’article 7, paragraphe 3, du règlement no 4064/89 (devenu l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 139/2004) n’exemptait que les offres publiques d’achat de l’obligation de suspension. Cette exemption a été étendue aux opérations constituées d’une série de transactions sur titres par le règlement no 139/2004.

( 29 ) Il ressort du point 188 du livre vert sur la révision du règlement (CEE) no 4064/89 du Conseil, présenté par la Commission le 11 décembre 2001 [COM(2001) 745 final, ci‑après le « livre vert »], que l’application de l’obligation de suspension aux reprises rampantes peut être « difficile à mettre en œuvre », et du point 76 du résumé des réponses reçues à la suite de la publication du livre vert qu’il est difficile de déterminer « à quel moment naît l’obligation de notification dans le cadre
d’une reprise rampante » (en d’autres termes, d’identifier quel est le montant de la participation dont l’acquisition confère le contrôle de l’entreprise cible). Pour ces raisons, le règlement no 139/2004 a étendu l’exemption de l’obligation de suspension aux opérations constituées d’une série de transactions sur titres. Voir le livre vert et le résumé des réponses reçues à la suite de la publication dudit livre vert, disponibles sur le site Internet de la direction générale de la concurrence de la
Commission.

( 30 ) Je précise que la Commission n’a pas excipé devant la Cour de l’irrecevabilité du moyen tiré de la violation du principe ne bis in idem, ni du moyen tiré de la violation des principes régissant le concours d’infractions.

( 31 ) Il s’agit des conclusions de l’avocat général Sharpston dans l’affaire Kraaijenbrink (C‑367/05, EU:C:2006:760, points 56, 58 et 61), et de celles de l’avocat général Bot dans l’affaire Beneo-Orafti (C‑150/10, EU:C:2011:164, note 43).

( 32 ) Je rappelle que le moyen tiré de la violation du principe d’imputation est invoqué à titre subsidiaire, dans l’hypothèse où la Cour conclurait à l’absence de violation du principe ne bis in idem.

( 33 ) Arrêts du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission (C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à C‑252/99 P et C‑254/99 P, EU:C:2002:582, point 59) ; du 14 février 2012, Toshiba Corporation e.a. (C‑17/10, EU:C:2012:72, point 94), et du 3 avril 2019, Powszechny Zakład Ubezpieczeń na Życie (C‑617/17, EU:C:2019:283, point 28).

( 34 ) Arrêts du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission (C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, EU:C:2004:6, point 338), et du 14 février 2012, Toshiba Corporation e.a. (C‑17/10, EU:C:2012:72, point 97). Dans un souci d’exhaustivité, je souhaite préciser que la pertinence de la troisième condition mentionnée au point 95 des présentes conclusions, à savoir l’unité de l’intérêt juridique protégé, a fait l’objet de critiques. Selon la jurisprudence, les
règles de concurrence de l’Union et les règles de concurrence nationales poursuivent des « fins distinctes » (voir arrêt du 13 février 1969, Wilhelm e.a., 14/68, EU:C:1969:4, point 11) et, partant, protègent des intérêts légaux distincts. Il s’ensuit que le principe ne bis in idem n’interdit pas que des amendes distinctes soient infligées à la même entreprise pour la violation, d’une part, des règles de concurrence de l’Union et, d’autre part, des règles de concurrence nationales. Toutefois, la
pertinence de la condition tenant à l’unité de l’intérêt juridique protégé est contestée, étant donné, premièrement, que cette condition n’est pas appliquée dans d’autres domaines du droit de l’Union que le droit de la concurrence (voir conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Toshiba Corporation e.a., C‑17/10, EU:C:2011:552, point 116, et de l’avocat général Campos Sánchez-Bordona dans l’affaire Menci, C‑524/15, EU:C:2017:667, point 27), et, deuxièmement, qu’elle s’accorde mal avec la
convergence croissante des règles de concurrence nationales et de l’Union, ainsi qu’avec le système de mise en œuvre décentralisé du droit de la concurrence mis en place par le règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101 et 102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1) (voir conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Toshiba Corporation e.a., C‑17/10, EU:C:2011:552, points 121 à 123 ; de l’avocat général Wahl
dans l’affaire Powszechny Zakład Ubezpieczeń na Życie, C‑617/17, EU:C:2018:976, point 48 ; et Veenbrink, M., « Bringing Back Unity: Modernizing the Application of the Non Bis in Idem Principle », World Competition, 2019, vol. 42, no 1, p. 67-86). Cette question, toutefois, ne se pose pas dans le cas présent, pour la raison qui est exposée au point 101 des présentes conclusions.

( 35 ) Voir seconde phrase de l’article 4, paragraphe 2, du règlement no 139/2004.

( 36 ) Voir arrêt du 31 mai 2018, Ernst & Young (C‑633/16, EU:C:2018:371, points 41 et 42).

( 37 ) Arrêt du 3 avril 2019, Powszechny Zakład Ubezpieczeń na Życie (C‑617/17, EU:C:2019:283, point 35).

( 38 ) Les requérantes, qui étaient les destinataires de la première décision, prétendaient que la seconde procédure était susceptible de donner lieu non seulement à l’imposition d’amendes aux fournisseurs japonais, mais aussi à de nouvelles amendes pour elles.

( 39 ) Arrêt du 27 février 2014, LG Display et LG Display Taiwan/Commission (T‑128/11, EU:T:2014:88, point 242).

( 40 ) Arrêt du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission (C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à C‑252/99 P et C‑254/99 P, EU:C:2002:582, point 62). Voir aussi arrêt du 1er juillet 2009, ThyssenKrupp Stainless/Commission (T‑24/07, EU:T:2009:236, points 190 et 191). Le principe ne bis in idem pourrait toutefois s’opposer à une reprise des poursuites si la décision de la Commission était annulée pour des motifs de fond, une telle décision valant alors
« acquittement » (arrêt du 6 décembre 2012, Commission/Verhuizingen Coppens, C‑441/11 P, EU:C:2012:778, point 24 ; et conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Commission/Verhuizingen Coppens, C‑441/11 P, EU:C:2012:317, point 27).

( 41 ) Arrêts du 18 décembre 2008, Coop de France bétail et viande e.a./Commission (C‑101/07 P et C‑110/07 P, EU:C:2008:741) ; du 21 juillet 2011, Beneo-Orafti (C‑150/10, EU:C:2011:507), et du 5 octobre 2011, Transcatab/Commission (T‑39/06, EU:T:2011:562).

( 42 ) Arrêt du 21 juillet 2011, Beneo-Orafti (C‑150/10, EU:C:2011:507, points 70 et 74).

( 43 ) Arrêts du 13 décembre 2006, FNCBV e.a./Commission (T‑217/03 et T‑245/03, EU:T:2006:391, points 342 et 344), et du 18 décembre 2008, Coop de France bétail et viande e.a./Commission (C‑101/07 P et C‑110/07 P, EU:C:2008:741, points 128 et 130).

( 44 ) Arrêt du 5 octobre 2011, Transcatab/Commission (T‑39/06, EU:T:2011:562, points 254 à 259). Le pourvoi introduit contre cet arrêt a été rejeté (ordonnance du 13 décembre 2012, Transcatab/Commission, C‑654/11 P, non publiée, EU:C:2012:806).

( 45 ) Arrêts du 13 février 1969, Wilhelm e.a. (14/68, EU:C:1969:4, point 11) ; du 6 avril 1995, Sotralentz/Commission (T‑149/89, EU:T:1995:69, point 29), et du 27 septembre 2006, Jungbunzlauer/Commission (T‑43/02, EU:T:2006:270, point 290).

( 46 ) Voir note 34.

( 47 ) Arrêts du 29 juin 2006, Showa Denko/Commission (C‑289/04 P, EU:C:2006:431, points 57 à 60) ; du 29 juin 2006, SGL Carbon/Commission (C‑308/04 P, EU:C:2006:433, points 33 à 36) ; du 10 mai 2007, SGL Carbon/Commission (C‑328/05 P, EU:C:2007:277, points 31 à 34), et du 9 juillet 2015, InnoLux/Commission (C‑231/14 P, EU:C:2015:451, point 75).

( 48 ) Arrêts du 29 juin 2006, Showa Denko/Commission (C‑289/04 P, EU:C:2006:431, points 50 à 56) ; du 29 juin 2006, SGL Carbon/Commission (C‑308/04 P, EU:C:2006:433, points 28 à 32) ; du 10 mai 2007, SGL Carbon/Commission (C‑328/05 P, EU:C:2007:277, points 24 à 30), et du 9 juillet 2015, InnoLux/Commission (C‑231/14 P, EU:C:2015:451, point 75).

( 49 ) Arrêt du 18 juillet 2007, Kraaijenbrink (C‑367/05, EU:C:2007:444).

( 50 ) C‑367/05, EU:C:2006:760, point 58.

( 51 ) Voir considérants 8 et 11, et article 21, paragraphes 2 et 3, du règlement no 139/2004. La Commission a compétence exclusive pour examiner les concentrations ayant une dimension européenne, c’est‑à‑dire qui atteignent les seuils de chiffres d’affaires visés à l’article 1er, paragraphes 2 et 3, de ce règlement (sauf si elle décide de renvoyer une concentration aux autorités compétentes d’un État membre en application de l’article 4, paragraphe 4, ou de l’article 9 du règlement no 139/2004).

( 52 ) En l’espèce, à l’ordre juridique de l’Union, et, plus précisément, à l’article 4, paragraphe 1, et à l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004.

( 53 ) Voir Brögelmann, J., Methodik der Strafzumessung, Juristische Schulung, 2002, p. 903 (voir p. 905).

( 54 ) Par exemple, lorsqu’un même comportement relève de l’article 212 du code pénal allemand, qui interdit l’homicide, et de son article 223, qui interdit les coups et blessures, c’est seulement la première de ces dispositions qui s’applique. Voir Schönke, A., et Schröder, H., « Vorbemerkungen zu den §§ 52 ff », Strafgesetzbuch, C. H. Beck, Munich, 2019 (30e éd.).

( 55 ) Voir Rassat, M.-L., Droit pénal général, Ellipses, Paris, 2017 (4e éd.), point 242.

( 56 ) Voir arrêt de la Cour de cassation, chambre criminelle (France), du 6 janvier 1999 (no 98-80.730).

( 57 ) Par exemple, une personne ne peut pas être condamnée pour, d’une part, blanchiment du produit des délits d’escroquerie commis par sa compagne et, d’autre part, recel. En effet, la circonstance que les fonds d’origine frauduleuse ont transité par son compte, ce qui constitue le délit de recel, n’est « qu’une opération préalable » à l’achat, au moyen de ces fonds, d’un bien immobilier, achat qui constitue le délit de blanchiment du produit des escroqueries. Dès lors, cette personne a été
reconnue coupable du seul chef de blanchiment (voir arrêt de la Cour de cassation, chambre criminelle, France, du 26 octobre 2016, no 15-84.552).

( 58 ) Voir Dreyer, E., Droit pénal général, LexisNexis, Paris, 2016 (4e éd.), points 632 et 633.

( 59 ) Par exemple, les personnes qui détournent un avion et prennent en otage le pilote, l’équipage et les passagers de cet avion peuvent être condamnées pour deux infractions, à savoir le détournement d’un aéronef et une prise d’otages. En effet, ces infractions protègent des intérêts distincts, respectivement, la liberté de circulation dans l’espace aérien et la protection de la personne et de la vie de la victime (voir arrêt de la Cour de cassation, chambre criminelle, France, du 22 novembre
2003, no 83-93.975).

( 60 ) Les peines privatives de liberté sont toutes de même nature. De même, les amendes sont toutes de même nature.

( 61 ) Voir Pradel, J., Droit pénal général, Éditions Cujas, Paris, 2014 (20e éd.), point 342 (4o).

( 62 ) Voir arrêt de la Cour de cassation, chambre criminelle (France), du 9 décembre 2014 (no 13-85.937). Dans cet arrêt, cette juridiction a, premièrement, considéré qu’un même comportement constituait, d’une part, une infraction d’homicide involontaire et, d’autre part, une infraction à la réglementation relative à la sécurité des travailleurs. Deuxièmement, cette juridiction a considéré que « les peines de même nature [imposées pour ces infractions] se cumulent, dès lors que leur total, comme en
l’espèce, n’excède pas le maximum légal de la peine la plus élevée qui est encourue ».

( 63 ) Je souligne que ma proposition est strictement limitée à la violation, par le même comportement, de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004. Elle n’affecte en aucune manière la possibilité pour la Commission d’infliger plus d’une amende à la même entreprise lorsqu’elle constate plusieurs infractions, de la part de cette entreprise, à l’article 101 TFUE. En effet, la présente affaire concerne une situation dans laquelle un seul et même comportement
enfreint plusieurs dispositions du droit de la concurrence de l’Union, à savoir l’article 4, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004. La question est donc de savoir si ces dispositions définissent la même infraction, ou si l’une englobe l’autre, auquel cas elles ne devraient pas s’appliquer toutes deux au même comportement. En revanche, lorsque la Commission inflige plusieurs amendes à la même entreprise sur le fondement de l’article 101 TFUE, c’est parce que cette
entreprise, par des comportements différents, a violé plusieurs fois une seule et même disposition du droit de la concurrence de l’Union, c’est‑à‑dire l’interdiction des accords et pratiques concertées prévue à l’article 101 TFUE. La question, dans ce cas, est de savoir s’il y a effectivement plusieurs infractions à l’article 101 TFUE, auquel cas plusieurs amendes peuvent être infligées, ou si les actes illicites constituent une seule et même infraction audit article, auquel cas il ne peut être
imposé qu’une seule amende. Cette question est très différente de celle qui nous intéresse ici.

( 64 ) En vertu de cette disposition, les amendes ne doivent pas excéder 10 % du chiffre d’affaires total réalisé par les entreprises concernées.

( 65 ) Ce qui, je suppose, implique que le respect du principe de proportionnalité (dans l’hypothèse où il serait invoqué dans une future affaire) devrait être apprécié au regard du montant total des amendes et non de chaque amende prise isolément.

( 66 ) Voir note 5 de la décision litigieuse.

( 67 ) Une telle situation peut se produire, notamment, lorsque les parties considèrent que leur opération n’est pas une concentration au sens du règlement no 139/2004 (par exemple, parce qu’elles ont acquis une participation minoritaire qu’elles considèrent comme insuffisante à leur conférer le contrôle de la cible), ou que la concentration n’a pas une dimension européenne.

( 68 ) Règlement du 30 juin 1997 modifiant le règlement (CEE) no 4064/89 (JO 1997, L 180, p. 1).

( 69 ) Voir point 182 du livre vert.

( 70 ) Voir Levy, N., et Cook, C., European Merger Control Law: A Guide to the Merger Regulation, LexisNexis, Paris, 2003, point 17.03[3].

( 71 ) La Commission a infligé des amendes pour la réalisation d’une concentration avant qu’elle soit notifiée et déclarée compatible à cinq occasions : 1) décision no 1999/594/CE de la Commission, du 18 février 1998, infligeant des amendes pour défaut de notification et réalisation d’une opération de concentration en violation de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 4064/89 (affaire IV/M.920 – Samsung/AST) ; 2) décision no 1999/459/CE de la Commission, du
10 février 1999, infligeant des amendes pour défaut de notification et réalisation de trois opérations de concentration, en violation de l’article 4 et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 4064/89 (affaire IV/M.969 – A.P. Møller) ; 3) décision C(2009)/4416 de la Commission, du 10 juin 2009, infligeant une amende pour la réalisation d’une opération de concentration, en infraction à l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 4064/89 (affaire COMP/M.4994 – Electrabel/Compagnie nationale du
Rhône) ; 4) décision C(2018) 2418 final de la Commission, du 24 avril 2018, infligeant une amende pour la réalisation d’une opération de concentration, en violation de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 (affaire M.7993 – Altice/PT Portugal) ; et 5) la décision litigieuse. Quatre de ces décisions reposent sur la violation conjointe de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 4064/89, ou no 139/2004, et une sur la
violation du seul article 7, paragraphe 1, du règlement no 4064/89 (il s’agit de la décision rendue dans l’affaire M.4994 – Electrabel/Compagnie nationale du Rhône) ; aucune de ces décisions ne repose sur la violation du seul article 4, paragraphe 1, du règlement no 4064/89 ou no 139/2004. Je précise qu’une sixième décision a été adoptée le 27 juin 2019 et que, par cette décision, la Commission a infligé à Canon une amende de 28 millions d’euros pour avoir partiellement réalisé son acquisition de
Toshiba Medical Systems Corporation. Il semble que cette amende sanctionne la violation de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, étant donné que le communiqué de presse de la Commission indique que « Canon n’a respecté ni l’obligation de notification ni l’obligation de suspension » (voir communiqué de presse de la Commission du 27 juin 2019, IP/19/3429 – la décision n’a pas encore été publiée).

( 72 ) Cette situation peut se produire, notamment, lorsque les parties ignorent ce qui constitue une « réalisation » aux fins de l’application du règlement no 139/2004, ou lorsqu’elles considèrent à tort que l’exemption prévue à l’article 7, paragraphe 2, de ce règlement s’applique.

( 73 ) Arrêt du 31 mai 2018, Ernst & Young (C‑633/16, EU:C:2018:371, point 52).

( 74 ) Je noterai que les points 363 à 371 de l’arrêt attaqué portent sur la question de savoir si, « de manière générale » (voir point 371) et dans la jurisprudence constante des juridictions internationales, les principes régissant le concours d’infractions s’opposent à ce qu’un seul et même comportement puisse être constitutif d’infractions distinctes. La question déterminante est toutefois de savoir si, aux fins de l’application du règlement no 139/2004, les principes régissant les concours
d’infractions interdisent qu’un seul et même comportement puisse constituer des infractions distinctes.

( 75 ) Je souhaite préciser que si, dans son pourvoi, Marine Harvest a fait valoir que l’infraction à l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 l’emportait sur l’infraction à l’article 7, paragraphe 1, de ce même règlement, elle a défendu le point de vue inverse lors de l’audience et prétendu que cette seconde infraction avait un champ d’application plus large et, par conséquent, englobait la première, qui ne serait qu’une coquille vide.

( 76 ) J’observe, à cet égard, que le Tribunal ne semble pas être lui‑même convaincu de ce que l’absence de disposition principalement applicable découle du seul fait que l’infraction à l’article 4, paragraphe 1, du règlement no o 139/2004 ne l’emporte pas sur l’infraction à l’article 7, paragraphe 1, de ce même règlement. En effet, si tel était le cas, il n’aurait pas eu besoin de s’appuyer également sur le fait que les infractions à chacune de ces deux dispositions font l’objet du même plafond.

( 77 ) Voir ordonnance du 20 janvier 2009, Sack/Commission (C‑38/08 P, EU:C:2009:21, points 21 à 24).


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-10/18
Date de la décision : 26/09/2019
Type d'affaire : Pourvoi - irrecevable, Pourvoi - non fondé
Type de recours : Recours en annulation

Analyses

Pourvoi – Concurrence – Contrôle des opérations de concentration entre entreprises – Règlement (CE) no 139/2004 – Article 4, paragraphe 1 – Obligation de notification préalable des concentrations – Article 7, paragraphe 1 – Obligation de suspension – Article 7, paragraphe 2 – Exemption – Notion de “concentration unique” – Article 14, paragraphe 2 – Décision infligeant des amendes pour la réalisation d’une opération de concentration avant sa notification et son autorisation – Principe ne bis in idem – Principe d’imputation – Concours d’infractions.

Ententes

Concurrence


Parties
Demandeurs : Mowi ASA
Défendeurs : Commission européenne.

Composition du Tribunal
Avocat général : Tanchev

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2019:795

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