La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

19/09/2019 | CJUE | N°C-523/18

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général M. G. Hogan, présentées le 19 septembre 2019., Engie Cartagena S.L. contre Ministerio para la Transición Ecológica., 19/09/2019, C-523/18


CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. GERARD HOGAN

présentées le 19 septembre 2019 ( 1 )

Affaire C‑523/18

Engie Cartagena SL

contre

Ministerio para la Transición Ecológica,

parties en cause :

Endesa Generación SA,

EDP España SAU,

Bizkaia Energía SL,

Iberdrola Generación SAU,

Tarragona Power SL,

Bahía de Bizkaia Electricidad SL,

Viesgo Generación SL

[demande de décision préjudicielle formée par l’Audiencia Nacional (Cour cent

rale, Espagne)]

« Renvoi préjudiciel – Règles communes pour le marché intérieur de l’électricité – Directive 2003/54/CE – Article 3, paragraphe 2 – Directive ...

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. GERARD HOGAN

présentées le 19 septembre 2019 ( 1 )

Affaire C‑523/18

Engie Cartagena SL

contre

Ministerio para la Transición Ecológica,

parties en cause :

Endesa Generación SA,

EDP España SAU,

Bizkaia Energía SL,

Iberdrola Generación SAU,

Tarragona Power SL,

Bahía de Bizkaia Electricidad SL,

Viesgo Generación SL

[demande de décision préjudicielle formée par l’Audiencia Nacional (Cour centrale, Espagne)]

« Renvoi préjudiciel – Règles communes pour le marché intérieur de l’électricité – Directive 2003/54/CE – Article 3, paragraphe 2 – Directive 2009/72/CE – Article 3, paragraphe 2 – Applicabilité – Notion d’“obligation de service public” »

1.  Cette demande de décision préjudicielle concerne l’interprétation de l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2003/54/CE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2003, concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et abrogeant la directive 96/92/CE (JO 2003, L 176, p. 37), et de l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009, concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité
et abrogeant la directive 2003/54/CE (JO 2009, L 211, p. 55).

2.  Cette demande a été présentée dans le contexte d’un litige opposant Engie Cartagena SL et le Ministerio para la Transición Ecológica (ministère de la transition écologique, Espagne) au sujet de la légalité de la contribution que des entreprises d’électricité sont tenues de verser afin de financer un programme national d’action en matière d’économie et d’efficacité énergétique.

3.  Cette demande de décision préjudicielle offre à la Cour l’occasion de clarifier la définition de la notion d’« obligation de service public » telle qu’elle ressort de l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2003/54 et de l’article 3, paragraphe 2, la directive 2009/72. Il peut toutefois être utile d’exposer d’abord la législation pertinente de l’Union.

I. Le cadre juridique

A.   Le droit de l’Union

1. La directive 2003/54

4. L’article 3 de la directive 2003/54, intitulé « Obligations de service public et protection des consommateurs », prévoyait à son paragraphe 2 :

« En tenant pleinement compte des dispositions pertinentes du traité, en particulier de son article 86, les États membres peuvent imposer aux entreprises du secteur de l’électricité, dans l’intérêt économique général, des obligations de service public qui peuvent porter sur la sécurité, y compris la sécurité d’approvisionnement, la régularité, la qualité et le prix de la fourniture, ainsi que la protection de l’environnement, y compris l’efficacité énergétique et la protection du climat. Ces
obligations sont clairement définies, transparentes, non discriminatoires et contrôlables et garantissent aux entreprises d’électricité de l’Union européenne un égal accès aux consommateurs nationaux. En matière de sécurité d’approvisionnement et d’efficacité énergétique/gestion de la demande, ainsi que pour atteindre les objectifs environnementaux, comme indiqué dans le présent paragraphe, les États membres peuvent mettre en œuvre une planification à long terme, en tenant compte du fait que des
tiers pourraient vouloir accéder au réseau. »

2. La directive 2009/72

5. La directive 2003/54 a été abrogée par la directive 2009/72. Aux termes de l’article 48 de la directive 2009/72, cette abrogation a pris effet le 3 mars 2011 et les références à la directive abrogée s’entendent comme des références à la directive 2009/72.

6. L’article 3 de la directive 2009/72 dispose :

« 1.   Les États membres, sur la base de leur organisation institutionnelle et dans le respect du principe de subsidiarité, veillent à ce que les entreprises d’électricité, sans préjudice du paragraphe 2, soient exploitées conformément aux principes de la présente directive, en vue de réaliser un marché de l’électricité concurrentiel, sûr et durable sur le plan environnemental, et s’abstiennent de toute discrimination pour ce qui est des droits et des obligations de ces entreprises.

2.   En tenant pleinement compte des dispositions pertinentes du traité, en particulier de son article 86, les États membres peuvent imposer aux entreprises du secteur de l’électricité, dans l’intérêt économique général, des obligations de service public qui peuvent porter sur la sécurité, y compris la sécurité d’approvisionnement, la régularité, la qualité et le prix de la fourniture, ainsi que la protection de l’environnement, y compris l’efficacité énergétique, l’énergie produite à partir de
sources d’énergie renouvelables et la protection du climat. Ces obligations sont clairement définies, transparentes, non discriminatoires et vérifiables et garantissent aux entreprises d’électricité de [l’Union] un égal accès aux consommateurs nationaux. En matière de sécurité d’approvisionnement, d’efficacité énergétique/gestion de la demande et pour atteindre les objectifs environnementaux et les objectifs concernant l’énergie produite à partir de sources d’énergie renouvelables, visés au
présent paragraphe, les États membres peuvent mettre en œuvre une planification à long terme, en tenant compte du fait que des tiers pourraient vouloir accéder au réseau.

[...]

6.   Lorsqu’une compensation financière, d’autres formes de compensation ou des droits exclusifs offerts par un État membre pour l’accomplissement des obligations visées aux paragraphes 2 et 3 sont octroyés, c’est d’une manière non discriminatoire et transparente.

[...]

14.   Les États membres peuvent décider de ne pas appliquer les dispositions des articles 7, 8, 32 et/ou 34 si leur application risque d’entraver l’accomplissement, en droit ou en fait, des obligations imposées aux entreprises d’électricité dans l’intérêt économique général et pour autant que le développement des échanges n’en soit pas affecté dans une mesure qui serait contraire aux intérêts de [l’Union]. Les intérêts de [l’Union] comprennent, entre autres, la concurrence en ce qui concerne les
clients éligibles conformément à la présente directive et à l’article 86 du traité.

[...] »

B.   Le droit espagnol

7. Le Real Decreto-ley 14/2010 por el que se establecen medidas urgentes para la corrección del déficit tarifario del sector eléctrico (décret-loi royal 14/2010 adoptant des mesures d’urgence en vue de remédier au déficit tarifaire du secteur de l’électricité), du 23 décembre 2010 (BOE no 312, du 24 décembre 2010, p. 106386), fait partie d’un ensemble de mesures destinées à remédier au « déficit tarifaire » résultant des écarts entre les coûts du système électrique et les recettes obtenues à partir
des prix (sous leurs différentes dénominations légales) réglementés par l’État espagnol ( 2 ). Afin de réduire ce déficit, le décret-loi royal 14/2010 fait peser temporairement, pour les années 2011, 2012 et 2013, le financement des économies d’énergie et des programmes d’efficacité énergétique, sur certaines entreprises désignées dans sa troisième disposition additionnelle.

8. Les considérants du décret-loi royal 14/2010 précisent :

« Deuxièmement, en vue de réduire les coûts imputables au tarif, il est prévu que les entreprises productrices relevant du régime ordinaire financeront le programme d’action 2008-2012, adopté par décision du conseil des ministres du 8 juillet 2005, qui met en œuvre les mesures prévues par le document “Stratégie d’économie et d’efficacité énergétique en Espagne pour la période 2004-2012”. Par ailleurs, il est porté fixation des pourcentages de la participation de chaque entreprise à son
financement, les dispositions de la Ley de Presupuestos Generales del Estado de 2011 (loi budgétaire générale de l’État pour 2011) étant modifiées en conséquence. »

9. Aux termes de la troisième disposition additionnelle du décret-loi royal 14/2010 intitulée « Financement des programmes d’économie et d’efficacité énergétique pour les années 2011, 2012 et 2013 » :

« 1. Les sommes à la charge du système électrique destinées au financement du programme d’action 2008-2012, adopté par décision du conseil des ministres du 8 juillet 2005 mettant en œuvre les mesures prévues par le document “Stratégie d’économie et d’efficacité énergétique en Espagne pour la période 2004-2012” adopté par décision du conseil des ministres du 28 novembre 2003, qui s’élèvent respectivement à 270 millions d’euros et à 250 millions d’euros pour les années 2011 et 2012, sont financées
par des apports de chacune des entreprises productrices, conformément aux pourcentages établis dans le tableau suivant :

Entreprise Pourcentage
Endesa Generación SA 34,66
Iberdrola Generación SA 32,71
GAS Natural SDG SA 16,37
Hidroeléctrica del Cantábrico SA 4,38
E.ON Generación SL 2,96
AES Cartagena SRL 2,07
Bizkaia Energía SL 1,42
Castelnou Energía SL 1,58
Nueva Generadora del Sur SA 1,62
Bahía de Bizkaia Electricidad SL 1,42
Tarragona Power SL 0,81
Total 100,00

2. Les sommes à la charge du système électrique destinées au programme approuvé par décision du conseil des ministres, sur la base visée au paragraphe 1, seront financées en 2013 par des apports des entreprises productrices, conformément aux pourcentages prévus au paragraphe 1, jusqu’à un montant maximal de 150 millions d’euros. »

II. Les faits

10. Le programme d’action 2008-2012, adopté par décision du conseil des ministres du 8 juillet 2005, qui met en œuvre les mesures prévues par le document « Stratégie d’économie et d’efficacité énergétique en Espagne pour la période 2004-2012 » (ci‑après le « programme d’action »), était axé sur la promotion de l’économie et de l’efficacité énergétique en tant que fondement du bien-être social, du développement durable et de la compétitivité des entreprises. Ses objectifs stratégiques étaient
notamment de faire peser l’économie et l’efficacité énergétique sur toutes les stratégies nationales et en particulier sur la stratégie espagnole en matière de changement climatique, d’encourager la concurrence sur le marché suivant le principe directeur de l’économie et de l’efficacité énergétique et de consolider la position de pointe du Royaume d’Espagne en matière d’économie et d’efficacité énergétique.

11. Dans un premier temps, les coûts générés par le programme d’action étaient financés par les tarifs d’accès au marché du gaz naturel et de l’électricité. Cependant, le décret-loi royal 14/2010 a modifié cette situation en prévoyant que le plan d’action devait être financé exclusivement par des entreprises d’électricité. La troisième disposition additionnelle du décret-loi royal 14/2010 énumère les onze entreprises tenues de contribuer, ainsi que leur participation sous forme de pourcentage.

12. L’Orden IET/75/2014, de 27 de enero, por la que se regulan las transferencias de fondos, con cargo a las empresas productoras de energía eléctrica, de la cuenta específica de la Comisión Nacional de los Mercados y la Competencia al Instituto para la Diversificación y Ahorro de la Energía, en el año 2013, para la ejecución de las medidas del Plan de Acción de Ahorro y Eficiencia Energética 2011-2020, y los criterios para la ejecución de las medidas contempladas en dicho plan (arrêté IET/75/2014,
du 27 janvier 2014, relatif aux transferts de fonds, à la charge des entreprises productrices d’électricité, entre le compte spécifique de la Commission nationale des marchés et de la concurrence et l’Institut de la diversification et des économies énergétiques, pour l’année 2013, en exécution des mesures du programme d’action en matière d’économie et d’efficacité énergétique 2011-2020, ainsi qu’aux critères d’exécution des mesures prévues par ce programme) (BOE no 25, du 29 janvier 2014,
p. 5875, ci‑après l’« arrêté litigieux ») a été adopté sur le fondement de la troisième disposition additionnelle du décret-loi royal 14/2010.

13. L’article 2 de l’arrêté litigieux précise que le montant affecté au programme d’action pour 2013 est de 150000000 euros. Engie Cartagena, mentionnée sous son ancienne dénomination, AES Cartagena SRL, devait acquitter 3105000 euros puisqu’elle était tenue, en vertu de la troisième disposition additionnelle du décret-loi royal 14/2010, de financer 2,07 % du coût total.

14. Le 31 janvier 2014, la requérante (qui avait alors pour dénomination sociale GDF Suez Cartagena Energía SL) a saisi l’Audiencia Nacional (Cour centrale, Espagne) d’un recours administratif contentieux contre l’arrêté litigieux. Dans sa requête, la requérante a demandé l’annulation de l’arrêté litigieux, ainsi que l’octroi d’une indemnisation correspondant aux sommes versées au titre de cet arrêté. En particulier, Engie Cartagena a contesté le pourcentage (2,07 %) qu’elle était tenue de payer
pour financer le plan d’action mis en œuvre par le décret-loi royal 14/2010.

III. La demande de décision préjudicielle

15. La requérante a soutenu en particulier que les critères et principes établis par les arrêts du 20 avril 2010, Federutility e.a. (C‑265/08, EU:C:2010:205), et du 7 septembre 2016, ANODE (C‑121/15, EU:C:2016:637), qui président à la mise en place d’une obligation de service public, n’étaient pas remplis par la législation nationale.

16. Selon les explications de la juridiction de renvoi, la validité de l’arrêté litigieux dépend de la conformité du décret-loi royal 14/2010 au droit de l’Union et, concrètement, de la question de savoir si ce décret‑loi royal respecte les principes visés à l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2003/54 et à l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2009/72.

17. À cet égard, la juridiction de renvoi considère que, puisque la contribution obligatoire visée dans le décret-loi royal 14/2010 a pour but de financer un plan d’efficacité dont l’objectif et la finalité directe sont l’adoption de mesures liées à la protection de l’environnement, y compris l’efficacité énergétique et la protection du climat, cette contribution obligatoire doit être considérée comme une obligation de service public.

18. Cependant, la juridiction de renvoi a des doutes sur la compatibilité de la troisième disposition additionnelle du décret-loi royal 14/2010 avec le droit de l’Union, puisque la contribution obligatoire prévue dans cette disposition n’est pas définie de façon transparente, non discriminatoire et contrôlable, et ne garantit donc pas aux entreprises un égal accès aux consommateurs, comme l’exigent l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2003/54 et l’article 3, paragraphe 2, de la directive
2009/72. En particulier, la législation nationale ne comporte aucune indication sur la raison pour laquelle seules certaines entreprises sont tenues de contribuer au financement du programme d’action ni aucune information sur le critère qui a été appliqué pour déterminer les pourcentages de contribution due par les différents contributeurs ( 3 ).

19. Dans ce contexte, l’Audiencia Nacional (Cour centrale) a décidé de surseoir à statuer et de saisir la Cour des deux questions préjudicielles suivantes :

« 1) La troisième disposition additionnelle du décret-loi royal 14/2010, intitulée “Financement des programmes d’économie et d’efficacité énergétique pour les années 2011, 2012 et 2013”, [...] constitue‑t‑elle une obligation de service public conformément aux dispositions de l’article 3, paragraphe 2, des directives 2003/54 et 2009/72 [?]

2) Dans l’affirmative, ladite obligation est-elle clairement définie, transparente, non discriminatoire et contrôlable ? »

IV. Analyse

20. La première question posée par la juridiction de renvoi concerne l’interprétation de l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2003/54 et de l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2009/72.

21. Il convient de relever d’emblée que l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2009/72 reproduit en des termes similaires les dispositions de l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2003/54 ( 4 ). Pour des raisons de commodité, je propose donc de limiter mon analyse à l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2009/72. Cette analyse s’applique néanmoins aux deux dispositions.

22. Par sa première question, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2009/72 doit être interprété en ce sens qu’une obligation de financer les différentes mesures d’un programme d’action, tel que celui visé dans la troisième disposition additionnelle du décret-loi royal 14/2010, peut constituer une obligation de service public au sens de cet article.

23. À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2009/72 dispose que, « [e]n tenant pleinement compte des dispositions pertinentes du traité, en particulier de son article 86 [devenu article 106 TFUE], les États membres peuvent imposer aux entreprises du secteur de l’électricité, dans l’intérêt économique général, des obligations de service public qui peuvent porter sur la sécurité, y compris la sécurité d’approvisionnement, la régularité, la qualité et le prix
de la fourniture, ainsi que la protection de l’environnement» ( 5 ).

24. Bien que ni la directive 2003/54 ni la directive 2009/72 ne définissent la notion d’« obligation de service public », il est tout à fait clair que la définition de cette notion n’est pas une question de droit national.

25. Il est vrai que, aux termes du considérant 50 de la directive 2009/72, « [l]es obligations de service public devraient être définies au niveau national, en tenant compte du contexte national. Le droit [de l’Union] devrait, cependant, être respecté par les États membres ». Néanmoins, une telle indication signifie simplement qu’il appartient aux États membres de décider d’imposer ou non une obligation de service public à certaines entreprises, sous réserve que cette obligation soit compatible avec
le droit de l’Union ( 6 ). Or, en l’absence de renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer le sens de cette notion, celle‑ci doit nécessairement trouver une interprétation autonome et uniforme dans toute l’Union européenne ( 7 ).

26. Selon la jurisprudence de la Cour relative à l’interprétation de l’article 3, paragraphe 2, pour être qualifiée d’obligation de service public, une mesure doit remplir deux conditions, à savoir, premièrement, poursuivre un objectif d’intérêt économique général ( 8 ) et, deuxièmement, avoir pour effet d’imposer aux entreprises concernées un comportement particulier qu’elles n’auraient pas adopté dans un contexte de libre concurrence ( 9 ).

27. Dans la procédure au principal, la requérante fait valoir que dès lors qu’une mesure remplit ces deux conditions relatives à son objectif et à son effet, elle doit être qualifiée d’obligation de service public. Selon elle, puisque l’obligation de financer un programme d’action a pour effet d’imposer aux destinataires de cette obligation un comportement particulier, une telle obligation devrait être considérée comme constitutive d’une obligation de service public dans la mesure où elle sous-tend
la réalisation d’un service d’intérêt économique général.

28. Pour ma part, je ne partage pas cette analyse. Il me semble en effet que pour être considérée comme une obligation de service public au sens de l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2009/72, il ne suffit pas que la mesure remplisse les deux conditions précitées, encore faut-il qu’elle contraigne les entreprises, au titre de cette obligation, à fournir des services ou biens spécifiques. Une simple obligation de verser de l’argent à l’État ou à une entité publique sous forme d’impôt, de taxe,
ou d’une mesure parafiscale ne saurait être considérée en soi comme relevant de la qualification d’obligation de service public ( 10 ).

29. Selon moi, cette conclusion résulte de la signification usuelle de la notion d’« obligation de service public » en droit de l’Union, ainsi que du libellé, du contexte et des objectifs de l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2009/72.

30. En ce qui concerne la signification usuelle de la notion d’« obligation de service public » en droit de l’Union, ni le TFUE ni le TUE ne font référence à cette notion. Les traités évoquent en revanche les « services d’intérêt économique général », étant précisé, comme je l’ai déjà relevé, que l’objectif de toute obligation de service public devrait être la réalisation de tels services ( 11 ).

31. En particulier, l’article 106 TFUE (anciennement article 90 du traité CEE puis article 86 du traité CE) prévoit que les entreprises chargées de la gestion de tels services sont soumises aux règles des traités dans les limites où l’application de ces règles ne fait pas échec à l’accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie ( 12 ).

32. À cet égard, la Cour a jugé que, d’une part, cette disposition vise à concilier l’intérêt des États membres à utiliser certaines entreprises en tant qu’instrument de politique économique ou sociale avec l’intérêt de l’Union au respect des règles de concurrence et à la préservation de l’unité du marché intérieur ( 13 ).

33. D’autre part, pour que la dérogation à l’application des règles du traité prévue à l’article 106, paragraphe 2, TFUE puisse jouer, l’entreprise en cause doit avoir été investie par les pouvoirs publics de la gestion d’un service économique d’intérêt général et il faut encore que l’application des règles du traité fasse échec à l’accomplissement de la mission particulière qui a été impartie à cette entreprise et que l’intérêt de l’Union ne soit pas affecté ( 14 ).

34. Tant l’objectif que le contenu de l’article 106 TFUE tendent donc à conforter l’idée que la réalisation d’un service d’intérêt économique général peut rendre nécessaire l’imposition de certaines obligations aux entreprises afin de les contraindre à accomplir des missions servant l’intérêt économique général.

35. Un large consensus semble admettre que le terme « services d’intérêt économique général » se réfère aux services de nature économique que les États membres ou l’Union soumettent à des obligations spécifiques de service public en vertu d’un critère d’intérêt général. Ces services font partie des « services d’intérêt économique général », parfois qualifiés de « services publics », bien que cette dernière expression puisse parfois évoquer le fait qu’un service est offert au grand public, ou qu’un
rôle particulier lui a été attribué dans l’intérêt public, ou se référer au régime de propriété ou au statut de l’organisme qui fournit le service en question ( 15 ).

36. L’expression « service public » est utilisée à l’article 93 TFUE (anciennement article 77 du traité CEE puis article 73 du traité CE) concernant le transport. En effet, cette dispositions déclare « compatibles avec le traité les aides qui répondent aux besoins de la coordination des transports ou qui correspondent au remboursement de certaines servitudes inhérentes à la notion de service public» ( 16 ).

37. C’est dans le contexte de l’application de cette disposition qu’est apparue la notion d’« obligation de service public» ( 17 ).

38. Premièrement, dans sa décision 65/271/CEE ( 18 ), du 13 mai 1965, le Conseil a mentionné l’existence d’« obligations inhérentes à la notion de service public imposées aux entreprises de transport ». Puis, dans le règlement (CEE) no 1191/69 ( 19 ), le Conseil a utilisé la formule abrégée d’« obligation de service public » et défini pour la première fois cette notion à l’article 2, paragraphe 1, dudit règlement, comme désignant les « obligations que, si elle considérait son propre intérêt
commercial, [une] entreprise [...] n’assumerait pas ou n’assumerait pas dans la même mesure ni dans les mêmes conditions ».

39. À cet égard, il convient de relever que les exemples d’obligations de service public indiqués à l’article 2, paragraphe 2, de ce règlement, à savoir, l’obligation d’exploiter, l’obligation de transporter et l’obligation tarifaire, concernent tous la réalisation d’un service spécifique.

40. De plus, l’article 7 du règlement no 1191/69 dispose que la décision de maintien d’une obligation de service public « peut être assortie de conditions destinées à améliorer le rendement des prestations soumises à l’obligation en cause » et que la décision de suppression d’une obligation de service public « peut prévoir l’instauration d’un service de remplacement» ( 20 ).

41. Au vu de ces clarifications, il est évident que, au sens du règlement no 1191/69, la notion d’ « obligation de service public » renvoyait uniquement à des obligations de fournir un service particulier ( 21 ).

42. Étant donné que le règlement no 1191/69 a servi de modèle pour tous les services en réseaux puis pour tous les services publics, la signification de la notion d’« obligation de service public » dans le cadre du règlement no 1191/69 est devenue la signification communément admise en droit de l’Union ( 22 ). Lorsque la directive 2009/72 a été adoptée, la définition la plus récente de la notion d’« obligation de service public » en droit de l’Union, était celle mentionnée dans le règlement (CE)
no 1370/2007 ( 23 ), qui reste assez proche de la définition de cette notion figurant dans le règlement no 1191/69 ( 24 ). En effet, l’article 2, sous e), du règlement no 1370/2007 définit l’obligation de service public comme « l’exigence définie ou déterminée par une autorité compétente en vue de garantir des services d’intérêt général de transports de voyageurs qu’un opérateur, s’il considérait son propre intérêt commercial, n’assumerait pas ou n’assumerait pas dans la même mesure ou dans les
mêmes conditions sans contrepartie ».

43. Par ailleurs, plusieurs documents de la Commission confirment que ce sens est celui prévalant en général. Par exemple, dans son livre blanc de 2004 sur les services d’intérêt général ( 25 ), la Commission relève que l’expression « obligations de service public » désigne « les obligations spécifiques imposées par les autorités publiques à un fournisseur de service afin de garantir la réalisation de certains objectifs d’intérêt public» ( 26 ). Dans son document intitulé « Un cadre de qualité pour
les services d’intérêt général en Europe », publié en 2011, la Commission définit la notion de « service d’intérêt général » comme des « services considérés par les autorités publiques des États membres comme étant d’intérêt général et comme faisant par conséquent l’objet d’obligations de service public spécifiques» ( 27 ). De même, dans son « Guide relatif à l’application aux services d’intérêt économique général, et en particulier aux services sociaux d’intérêt général, des règles de l’Union
en matière d’aides d’État, de “marchés publics” et de “marché intérieur” », la Commission explique qu’une obligation de service public est « imposée au prestataire [...] sur la base d’un critère d’intérêt général garantissant la prestation du service à des conditions lui permettant de remplir sa mission» ( 28 ).

44. Dernier point, mais non des moindres, dans son document intitulé « Note de la DG Énergie & Transport sur les directives 2003/54/CE et 2003/55/CE concernant le marché intérieur du gaz et de l’électricité », qui concerne expressément le secteur en cause au principal, la Commission relève en page 2, sous l’intitulé « Rappel de la définition juridique des obligations de service public », que la notion d’« obligation de service public » qu’elle applique dans le secteur de l’énergie a la même
signification que celle visée à l’article 2 du règlement no 1191/69, à l’article 86, paragraphe 2, CE (devenu article 106, paragraphe 2, TFUE) et dans la jurisprudence de la Cour.

45. Bien qu’aucun des documents précités de la Commission n’ait force de loi, on peut néanmoins observer que, lorsque les documents de la Commission font référence aux obligations de service public, il s’agit toujours ainsi de désigner la fourniture de services ou de biens spécifiques ( 29 ).

46. Par opposition, lorsque la législation dérivée et les arrêts de la Cour font référence à l’existence d’obligations financières, ils ne présentent pas ces obligations comme des obligations de service public, mais plutôt comme une compensation destinée à financer des obligations de service public assumées par d’autres entreprises ( 30 ). Par exemple, conformément à l’article 2, sous g), du règlement no 1370/2007, on entend par « “compensation de service public”, tout avantage, notamment financier,
octroyé, sur fonds publics, directement ou indirectement par une autorité compétente pendant la période de mise en œuvre d’une obligation de service public ou lié à cette période ». De même, l’arrêt Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg ( 31 ), loin de retenir une interprétation large de la notion d’« obligation de service public », considère que les obligations financières ne relèvent pas de la catégorie des obligations de service public, mais correspondent à la compensation d’une
obligation de service public. L’élément nécessairement implicite, dans toutes ces analyses, est qu’une obligation de service public impose à l’opérateur de faire ou de fournir quelque chose, parfois en contrepartie d’une compensation, soulignant ainsi, encore une fois, que la simple obligation de s’acquitter d’une charge fiscale (sous quelque dénomination que ce soit) ne constitue pas en soi une obligation de service public.

47. Dans ces conditions, il est clair que, selon son acception communément admise en droit de l’Union, la notion d’« obligation de service public » renvoie aux mesures ayant pour effet d’imposer à une ou plusieurs entreprises de fournir des services ou des biens que ces entreprises n’auraient pas fournis – ou en tout cas pas dans la même mesure ou aux mêmes conditions – si cela ne leur avait pas été imposé par un État membre afin de réaliser un objectif d’intérêt économique général.

48. Les obligations de financement sont donc séparées et distinctes des obligations de service public : elles constituent un mode parmi d’autres de financement de la réalisation de services d’intérêt économique général. Puisqu’un service d’intérêt économique général peut être assuré par l’État membre concerné lui‑même, des obligations de financement peuvent exister sans qu’une obligation de service public ait été imposée à une entreprise, de même que des obligations de service public peuvent ne pas
être contrebalancées par des obligations de financement.

49. S’agissant de l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2009/72, ni son libellé ni les objectifs de la directive ni son contexte n’étayent l’idée que les notions d’« obligation de service public » et d’« obligation de financement » auraient, dans le cadre de cette disposition, une signification différente de celle qui prévaut pour le reste en droit de l’Union.

50. S’agissant du libellé de l’article 3, paragraphe 2, celui‑ci renvoie expressément à l’article 86 du traité CE (devenu article 106 TFUE), ce qui montre que le législateur de l’Union n’avait pas pour intention de s’écarter de l’acception habituelle de la notion d’« obligation de service public » en droit de l’Union.

51. S’agissant des objectifs, on peut déduire du considérant 3 de la directive 2009/72 que l’objectif de cette directive est de réaliser un marché intérieur entièrement ouvert et concurrentiel de l’électricité au sein duquel tous les consommateurs peuvent choisir librement leurs fournisseurs et les fournisseurs fournir librement leurs produits. Cependant, a priori, contrairement aux obligations de fournir un service donné ou un bien spécifique, les obligations de financement ne sont pas de nature à
porter atteinte à un tel objectif et si cela devait malgré tout être le cas, dans une mesure nettement moindre.

52. De plus, le considérant 50 de la directive 2009/72 énonce que cette directive vise à renforcer « les obligations de service public [...] et les normes minimales communes qui en résultent, afin que tous les consommateurs [...] puissent profiter de la concurrence et bénéficier de prix équitables », ajoutant que « [l]es citoyens de l’Union et, lorsque les États membres le jugent opportun, les petites entreprises devraient bénéficier d’obligations de service public, en particulier en ce qui concerne
la sécurité d’approvisionnement, et de prix raisonnables ». Il s’ensuit qu’une obligation de service public, au sens de la directive 2009/72, est une obligation susceptible de générer des normes minimales communes et bénéficiant à une catégorie indéterminée de personnes, même s’il ne s’agit pas nécessairement des consommateurs finals. Par opposition, les obligations de financement ne génèrent pas de normes minimales communes et ont un groupe de bénéficiaires défini, à savoir, soit les États
membres, lorsque ceux‑ci décident de fournir eux‑mêmes le service d’intérêt économique général en question, soit les entreprises chargées de fournir ce service.

53. S’agissant du contexte, il convient de noter que l’article 3 de la directive 2009/72 est intitulé « Obligations de service public et protection des consommateurs ». Le fait que la directive 2009/72 traite ensemble des obligations de service public et des consommateurs tend également à renforcer l’idée que les obligations de service public sont des obligations de fournir des biens ou services particuliers, principalement aux consommateurs.

54. Je relève également que, conformément à l’article 3, paragraphe 6, de la directive 2009/72, « [l]orsqu’une compensation financière, d’autres formes de compensation ou des droits exclusifs offerts par un État membre pour l’accomplissement des obligations visées aux paragraphes 2 et 3 sont octroyés, c’est d’une manière non discriminatoire et transparente» ( 32 ). Cela démontre qu’une obligation de financement n’est pas, en soi, une obligation de service public, mais vise plutôt à fournir une
compensation aux entreprises tenues d’assurer une obligation de service public.

55. Enfin, au vu des circonstances propres à l’affaire au principal, je souhaite attirer l’attention sur le fait que la directive 2009/72 a été adoptée sur le seul fondement de l’article 95 CE (devenu article 114 TFUE), dont le paragraphe 2 dispose que cet article ne saurait servir de fondement à l’adoption, par l’Union, de dispositions fiscales. Puisque les obligations de financement, telles que l’obligation en cause au principal, qui sont imposées par un État membre dans le but de couvrir les
dépenses publiques et n’impliquent pas d’avantage immédiat pour l’entreprise concernée, sont des dispositions fiscales au sens du droit de l’Union, il convient d’interpréter la directive 2009/72 en ce sens qu’elle ne saurait s’appliquer, sous réserve de situations spécifiques, à de telles obligations ( 33 ).

56. Admettre qu’une telle obligation relève de la notion d’« obligation de service public » signifierait en effet que toute disposition fiscale ou aide d’État devrait également être analysée dans le contexte de l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2009/72, ce qui n’est clairement pas la finalité de cette disposition.

57. À la lumière de ces considérations, il me semble qu’il convient d’interpréter la notion d’« obligation de service public » au sens de l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2009/72, conformément à l’interprétation habituelle de cette notion en droit de l’Union, à savoir comme visant une obligation mise à la charge d’une entreprise de fournir un service (ou bien) spécifique à des conditions (prix, quantité, qualité, continuité de service, etc.) que cette entreprise n’aurait pas appliquées si
elle n’était pas tenue de le faire par la législation nationale pour assurer un service d’intérêt économique général. Les obligations de service public sont donc uniquement une façon de réguler des activités économiques dans l’intérêt général ainsi qu’une méthode permettant de désigner des tiers pour assurer ces activités ( 34 ).

58. Cette conclusion est parfaitement conforme à la jurisprudence existante de la Cour au sujet de l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2009/72. En effet, dans l’arrêt Renerga ( 35 ), la Cour a conclu à l’absence d’obligation de service public imposée à une entreprise au motif que la législation nationale litigieuse n’imposait pas à cette entreprise l’obligation contraignante de produire et de fournir de l’électricité à partir de sources d’énergie renouvelables. Dans l’arrêt Achema e.a. ( 36
), pour déterminer si des subventions pouvaient être considérées comme une compensation de services fournis par les sociétés bénéficiaires pour assurer des obligations de service public, la Cour a examiné, entre autres éléments, si ces subventions se rapportaient à une prestation de services au profit des consommateurs finals ou d’opérateurs du secteur de l’électricité.

59. Par conséquent, je partage pleinement l’analyse de la Commission qui estime que, pour qu’une mesure puisse être qualifiée d’obligation de service public au sens de l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2009/72, il ne suffit pas que cette mesure ait été imposée à une ou plusieurs entreprises pour les contraindre à adopter un comportement particulier nécessaire aux fins de la réalisation d’un service économique d’intérêt général, encore faut-il également qu’elle contraigne ces entreprises à
fournir un service ou un bien spécifique selon des modalités et conditions qui s’écartent de la pratique commune sur le marché concerné.

60. Il s’ensuit qu’une obligation, telle que celle en cause au principal, de financer un programme d’action présenté comme étant destiné à favoriser les mesures d’économie et d’efficacité énergétique ( 37 ) ne saurait être considérée comme constitutive d’une obligation de service public au sens de l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2009/72, même si les mesures financées ont pour but d’assurer un service économique d’intérêt général. Cela ne signifie pas qu’aucune des obligations financières
en question – lesquelles, au moins sur certains points, semblent pouvoir être qualifiées de taxe spéciale imposée à certaines entreprises du marché de l’énergie – n’est susceptible de relever d’autres règles du droit de l’Union, mais plutôt, tout simplement, que ces obligations ne relèvent pas de l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2009/72, ce qui correspond à la question posée par la juridiction de renvoi.

61. Par conséquent, je propose qu’il soit répondu à la première question en ce sens que l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2003/54 et l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2009/72 ne doivent pas être interprétés en ce sens qu’une obligation de financer les différentes mesures d’un programme d’action, tel que celui visé dans la troisième disposition additionnelle du décret-loi royal 14/2010, constitue une « obligation de service public » au sens de ces dispositions.

62. Compte tenu de la réponse proposée à la première question, il n’y a pas lieu de répondre à la seconde.

V. Conclusion

63. Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre à la première question préjudicielle posée par l’Audiencia Nacional (Cour centrale, Espagne) de la manière suivante :

L’article 3, paragraphe 2, de la directive 2003/54/CE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2003, concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et abrogeant la directive 96/92/CE, et l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009, concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et abrogeant la directive 2003/54/CE, ne doivent pas être interprétés en ce sens qu’une
obligation de financer les différentes mesures d’un programme d’action, tel que celui visé dans la troisième disposition additionnelle du Real Decreto-ley 14/2010, de 23 de diciembre, por el que se establecen medidas urgentes para la corrección del déficit tarifario del sector eléctrico (décret-loi royal 14/2010, du 23 décembre 2010, adoptant des mesures d’urgence en vue de remédier au déficit tarifaire du secteur de l’électricité), constitue une « obligation de service public » au sens de ces
dispositions.

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

( 1 ) Langue originale : l’anglais.

( 2 ) Parmi les mesures adoptées par le législateur pour réduire le déficit, les plus importantes sont les suivantes : i) la régulation des coûts imputables au système et des rémunérations des acteurs intervenant dans celui‑ci ; ii) l’approbation des péages et le tarif réglementé ; iii) l’exigence de prestations patrimoniales, fiscales et non fiscales ; et iv) la prise en charge de certains coûts par le budget général de l’État.

( 3 ) Dans son arrêt du 15 novembre 2016 (167/2016), le Tribunal Constitucional (Cour constitutionnelle, Espagne) a jugé que la troisième disposition additionnelle du décret-loi royal 14/2010 n’était pas contraire au principe de non‑discrimination.

( 4 ) Les principales différences entre les deux dispositions sont, premièrement, que la directive 2009/72, contrairement à la directive 2003/54, affirme expressément que l’objectif de protection de l’environnement visé par une obligation de service public inclut les mesures destinées à améliorer l’efficacité énergétique, l’énergie produite à partir de sources d’énergie renouvelables et la protection du climat et, deuxièmement, que la planification à long terme que les États membres sont autorisés à
mettre en place peut poursuivre des objectifs concernant l’énergie produite à partir de sources d’énergie renouvelables. Ces différences ne sont pas pertinentes pour répondre aux questions posées.

( 5 ) Cette liste des modes d’action n’est pas exhaustive. Voir, par analogie, arrêt du 7 septembre 2016, ANODE (C‑121/15, EU:C:2016:637, point 50), et conclusions de l’avocat général Mengozzi dans l’affaire ANODE (C‑121/15, EU:C:2016:248, point 52).

( 6 ) Voir arrêt du 7 septembre 2016, ANODE (C‑121/15, EU:C:2016:637, point 44).

( 7 ) Voir, par exemple, arrêt du 6 mars 2008, Nordania Finans et BG Factoring (C‑98/07, EU:C:2008:144, point 17). Dans la présente affaire, la nécessité d’une application uniforme s’impose d’autant plus qu’il ressort de l’article 3, paragraphe 14, de la directive 2009/72 (ancien article 3, paragraphe 8, de la directive 2003/54) que, lorsqu’une mesure nationale est qualifiée d’obligation de service public au sens de l’article 3, paragraphe 2, de cette directive, elle peut déroger à certaines des
dispositions de cette directive. Les dérogations concernent la procédure d’autorisation pour de nouvelles capacités (article 7), l’appel d’offres pour la fourniture de nouvelles capacités (article 8), l’accès des tiers aux réseaux de transport et de distribution (article 32) et l’approvisionnement des clients par une ligne directe (article 34).

( 8 ) Voir arrêt du 7 septembre 2016, ANODE (C‑121/15, EU:C:2016:637, point 36) ; voir, par analogie, s’agissant de la directive 2003/55/CE, arrêt du 20 avril 2010, Federutility e.a. (C‑265/08, EU:C:2010:205, point 22), et, s’agissant de la directive 2003/54/CE, arrêt du 21 décembre 2011, ENEL (C‑242/10, EU:C:2011:861, point 42).

( 9 ) Voir, en ce sens, arrêt du 7 septembre 2016, ANODE (C‑121/15, EU:C:2016:637, point 30), et, par analogie, arrêt du 21 décembre 2011, ENEL (C‑242/10, EU:C:2011:861, point 42). La Cour a jugé, s’agissant de la directive 2009/73, qui est le pendant de la directive 2009/72 pour le secteur du gaz, que si les États membres sont tenus, en application de l’article 3, paragraphe 9, de la directive 2003/54 (qui correspond à l’article 3, paragraphe 15, de la directive 2009/72), d’informer la Commission
de toutes les mesures prises pour remplir les obligations de service public, l’absence de notification ne saurait suffire, à elle seule, à démontrer que la réglementation en cause ne constitue pas une obligation de service public. Arrêt du 21 décembre 2011, ENEL (C‑242/10, EU:C:2011:861, point 39).

( 10 ) À cet égard, contrairement à l’argument avancé par la requérante, le fait que l’arrêt du 7 septembre 2016, ANODE (C‑121/15, EU:C:2016:637, point 36), ne fasse pas directement référence à cette condition est sans pertinence. En effet, lorsque la Cour se prononce à titre préjudiciel, il s’agit pour elle de répondre aux questions posées et non pas d’exposer, de façon exhaustive, le régime juridique des mesures en question. Dès lors que, dans cette affaire, la Cour n’avait pas été expressément
saisie de la question de la définition de la notion d’« obligation de service public », ni même de la question de savoir si une mesure, telle que la mesure litigieuse, constituait une obligation de service public, la Cour n’était pas tenue de spécifier de manière exhaustive les conditions permettant de qualifier une mesure d’obligation de service public.

( 11 ) Voir, également, articles 14 et 93 TFUE, article 36 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ainsi que le protocole no 26 sur les services d’intérêt général.

( 12 ) En substance, cette disposition reconnaît que « les marchés échouent quelquefois dans l’atteinte d’objectifs socialement souhaitable et les services fournis sont, par conséquent, insuffisants [et que d]ans ces cas, l’intervention du secteur public peut être nécessaire ». Rapport de la Commission du 17 octobre 2001 à l’intention du Conseil Européen de Laeken – Les services d’intérêt général [COM(2001) 598 final, point 3].

( 13 ) Voir arrêts du 21 septembre 1999, Albany (C‑67/96, EU:C:1999:430, point 103), du 20 avril 2010, Federutility e.a. (C‑265/08, EU:C:2010:205, point 28), et du 21 décembre 2011, ENEL (C‑242/10, EU:C:2011:861, point 41).

( 14 ) Voir arrêt du 10 décembre 1991, Merci convenzionali Porto di Geneva (C‑179/90, EU:C:1991:464, point 26).

( 15 ) Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, Comité économique et social européen et au Comité des régions – Livre blanc sur les services d’intérêt général [COM(2004) 374 final, du 12 mai 2004, annexe 1]. Le terme « service d’intérêt économique général » couvre les services marchands et non marchands que les autorités publiques considèrent comme étant d’intérêt général et soumettent à des obligations spécifiques de service public.

( 16 ) Mise en italique par mes soins.

( 17 ) Il semble que le glissement sémantique opéré entre les « obligations inhérentes à la notion de service public » et les obligations de service public résulte du jargon utilisé par certains experts du secteur qui n’étaient pas juristes mais ingénieurs ou économistes. Voir Ziani, S., Du service public à l’obligation de service public, LGDJ, 2015, p. 104.

( 18 ) Décision du Conseil du 13 mai 1965 relative à l’harmonisation de certaines dispositions ayant une incidence sur la concurrence dans le domaine des transports par chemin de fer, par route et par voie navigable (JO 1965, 1500, p. 67.)

( 19 ) Règlement du Conseil du 26 juin 1969 relatif à l’action des États membres en matière d’obligations inhérentes à la notion de service public dans le domaine des transports par chemin de fer, par route et par voie navigable (JO 1969, L 156, p. 1). Selon la jurisprudence de la Cour, l’objectif du règlement no 1191/69 était d’établir un régime que les États membres sont tenus de respecter lorsqu’ils envisagent d’imposer des obligations de service public aux entreprises de transport terrestre :
voir arrêt du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg (C‑280/00, EU:C:2003:415, point 53).

( 20 ) Mise en italique par mes soins. De plus, on peut relever que l’article 6, paragraphe 2, de ce règlement précise que « [l]es décisions de maintien ou de suppression à terme de tout ou partie d’une obligation de service public prévoient, pour les charges qui en découlent, l’octroi d’une compensation ». Puisqu’il ne serait pas logique d’exiger des États membres qu’ils prévoient une compensation en cas de suppression d’une obligation de financement, on peut en déduire que, pour ce motif
également, la notion d’« obligation de service public » ne couvre pas les obligations de financement

( 21 ) Il convient de comprendre ici la notion de « service » dans un contexte non juridique et renvoyant à l’offre d’un service ou de biens selon certaines modalités et conditions qui ne sont pas celles du marché.

( 22 ) Voir, par exemple, article 2, sous o), du règlement (CEE) no 2408/92 du Conseil, du 23 juillet 1992, concernant l’accès des transporteurs aériens communautaires aux liaisons aériennes intracommunautaires (JO 1992, L 240, p. 8) et l’article 2, paragraphe 4, du règlement (CEE) no 3577/92 du Conseil, du 7 décembre 1992, concernant l’application du principe de la libre circulation des services aux transports maritimes à l’intérieur des États membres (cabotage maritime) (JO 1992, L 364, p. 7).

( 23 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2007 relatif aux services publics de transport de voyageurs par chemin de fer et par route, et abrogeant les règlements (CEE) no 1191/69 et (CEE) no 1107/70 du Conseil (JO 2007, L 315, p. 1).

( 24 ) Cette définition ne semble pas non plus avoir évolué par la suite. Voir, notamment ; article 2, point 14), du règlement (UE) 2017/352 du Parlement européen et du Conseil, du 15 février 2017, établissant un cadre pour la fourniture de services portuaires et des règles communes relatives à la transparence financière des ports (JO L 57 du 3.3.2017, p. 1).

( 25 ) Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions – Livre blanc sur les services d’intérêt général [COM(2004) 374 final, du 12 mai 2004, annexe 1].

( 26 ) Mise en italique par mes soins [COM(2004) 374 final, du 12 mai 2004, p. 23].

( 27 ) Mise en italique par mes soins [COM(2011) 900 final, du 20 décembre 2011, p. 3].

( 28 ) Mise en italique par mes soins [SWD(2013) 53 final, du 29 avril 2013, p. 21].

( 29 ) Voir, par exemple, article 1er, point 18, de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain (JO 2001, L 311, p. 67) ou article 16 du règlement (CE) no 1008/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 24 septembre 2008, établissant des règles communes pour l’exploitation de services aériens dans la Communauté (JO 2008, L 293, p. 3).

( 30 ) Voir arrêts du 22 novembre 2001, Ferring (C‑53/00, EU:C:2001:627, point 26), du 7 mai 2009, Antrop e.a. (C‑504/07, EU:C:2009:290, point 20), et, dans le secteur de l’électricité, du 17 juillet 2008, Essent Netwerk Noord e.a. (C‑206/06, EU:C:2008:413, points 80 et 86).

( 31 ) Arrêt du 24 juillet 2003 (C‑280/00, EU:C:2003:415, point 87 et suivants).

( 32 ) Mise en italique par mes soins.

( 33 ) Voir conclusions de l’avocat général Hogan dans les affaires jointes UNESA e.a. (C‑105/18 à C‑113/18, EU:C:2019:395, point 35). Lors de l’audience dans la présente affaire, le représentant du gouvernement espagnol a observé que, en vertu de la législation nationale, l’obligation de financement litigieuse constitue une prestation sur le patrimoine relevant du droit public au sens de l’article 31 de la constitution espagnole revêtant, en tant que telle, une nature fiscale. Toutefois, il y a
lieu de rappeler que la qualification d’une imposition, d’une taxe, d’un droit ou d’un prélèvement au regard du droit de l’Union incombe à la Cour en fonction des caractéristiques objectives de l’imposition, indépendamment de la qualification qui lui est donnée dans le droit national. Voir arrêt du 18 janvier 2017, IRCCS – Fondazione Santa Lucia (C‑189/15, EU:C:2017:17, point 29).

( 34 ) L’autre façon de désigner des tiers consiste à conclure un contrat de service public. Un contrat de service public peut en effet définir une obligation de service public. Voir, en ce sens, arrêt du 10 mai 2005, Italie/Commission (C‑400/99, EU:C:2005:275, point 65). Cependant, la technique utilisée n’en est pas moins radicalement différente.

( 35 ) Arrêt du 14 novembre 2018 (C‑238/17, EU:C:2018:905, point 26).

( 36 ) Arrêt du 15 mai 2019 (C‑706/17, EU:C:2019:407, point 112).

( 37 ) À cet égard, l’objectif du programme d’action ne doit pas être confondu avec celui de la troisième disposition additionnelle, qui concerne uniquement la décision de mettre le financement de ce plan à la charge de certaines entreprises.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-523/18
Date de la décision : 19/09/2019
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par l'Audiencia Nacional.

Renvoi préjudiciel – Marché intérieur de l’électricité – Règles communes – Directive 2003/54/CE – Article 3, paragraphe 2 – Directive 2009/72/CE – Article 3, paragraphe 2 – Obligations de service public – Notion – Réglementation nationale – Financement des programmes d’efficacité énergétique – Désignation de producteurs d’énergie électrique – Contribution obligatoire.

Énergie

Rapprochement des législations

Droit d'établissement

Libre prestation des services


Parties
Demandeurs : Engie Cartagena S.L.
Défendeurs : Ministerio para la Transición Ecológica.

Composition du Tribunal
Avocat général : Hogan

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2019:769

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award