CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. HENRIK SAUGMANDSGAARD ØE
présentées le 5 septembre 2019 ( 1 )
Affaire C‑272/18
Verein für Konsumenteninformation
contre
TVP Treuhand‑ und Verwaltungsgesellschaft für Publikumsfonds mbH & Co. KG
[demande de décision préjudicielle formée par l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche)]
« Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Coopération judiciaire en matière civile – Loi applicable – Contrats de fiducie conclus entre des consommateurs résidant habituellement dans un premier pays et un professionnel établi dans un second pays, ayant pour objet la gestion de participations dans des sociétés en commandite régies par le droit du second pays – Convention de Rome sur la loi applicable aux obligations contractuelles – Règlement (CE) no 593/2008 – Matières
exclues – Article 1er, paragraphe 2 – Questions relevant du droit des sociétés, associations et personnes morales – Règles protectrices en matière de contrats de consommation – Contrats exclus – Article 5, paragraphe 4, de la convention de Rome et article 6, paragraphe 4, du règlement (CE) no 593/2008 – Contrat de fourniture de services dans le cadre duquel les services dus au consommateur doivent être fournis exclusivement dans un pays autre que celui dans lequel il a sa résidence habituelle –
Directive 93/13/CEE concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs – Caractère abusif d’une clause de choix de loi désignant le droit du siège du prestataire de services »
I. Introduction
1. Le Verein für Konsumenteninformation (ci‑après « VKI »), une association de protection des consommateurs établie en Autriche, a intenté une action en cessation ( 2 ) contre TVP Treuhand‑ und Verwaltungsgesellschaft für Publikumsfonds mbH & Co. KG (ci‑après « TVP »), une société dont le siège se situe à Hambourg (Allemagne), visant à interdire à cette société d’utiliser, dans ses relations d’affaires avec les consommateurs résidant en Autriche, un certain nombre de clauses contractuelles. Ces
clauses figurent dans des contrats de fiducie ayant pour objet la gestion de participations dans des fonds immobiliers fermés établis en Allemagne et constitués sous la forme de sociétés en commandite. Parmi les clauses en question se trouve une clause de choix de loi désignant le droit allemand.
2. L’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche) s’interroge sur la compatibilité de cette clause de choix de loi avec la directive 93/13/CEE concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs ( 3 ), eu égard, en particulier, à l’interprétation retenue par la Cour de cette directive dans l’arrêt Verein für Konsumenteninformation ( 4 ). La réponse à cette interrogation dépend, en particulier, du point de savoir si le droit autrichien serait applicable aux contrats de
fiducie litigieux en l’absence d’un tel choix, ou s’il s’agirait au contraire du droit allemand. Ce dernier point dépend, quant à lui, de l’interprétation de la convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles ( 5 ) et du règlement (CE) no 593/2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles ( 6 ).
3. Cette juridiction a ainsi posé à la Cour différentes questions visant, d’abord, à déterminer si ces contrats de fiducie soulèvent des « questions relevant du droit des sociétés, associations et personnes morales », exclues du champ d’application matériel de la convention de Rome et du règlement Rome I, dans la mesure où ils portent sur des participations commanditaires et sont étroitement liés aux statuts des sociétés en commandite concernées. À supposer que tel ne soit pas le cas, ces questions
portent, ensuite, sur le point de savoir si lesdits contrats sont exclus du champ d’application des règles protectrices en matière de contrats de consommation prévues par ces instruments au motif que les services dus aux consommateurs seraient, selon les termes de ces mêmes contrats, fournis exclusivement en dehors de l’Autriche. Lesdites questions concernent, finalement, la compatibilité de la clause de choix de loi litigieuse avec la directive sur les clauses abusives.
4. Dans les présentes conclusions, j’expliquerai pourquoi, à mon sens, la loi applicable à des contrats de fiducie tels que ceux en cause dans l’affaire au principal doit être déterminée conformément aux règles de la convention de Rome et du règlement Rome I. Par ailleurs, j’exposerai les raisons pour lesquelles, selon moi, pareils contrats, dans le cadre desquels des services doivent être fournis à distance dans le pays de résidence habituelle du consommateur depuis le territoire d’un autre pays,
relèvent des règles protectrices en matière de contrats de consommation prévues par ces instruments. Enfin, j’expliquerai qu’une clause de choix de loi telle que celle incluse dans les contrats litigieux est abusive dès lors qu’elle n’informe pas le consommateur du fait que, nonobstant ce choix, il bénéficie de la protection que lui assurent les dispositions impératives de la loi du pays de sa résidence habituelle.
II. Le cadre juridique
A. La convention de Rome
5. L’article 1er de la convention de Rome, intitulé « Champ d’application », dispose, à ses paragraphes 1 et 2 :
« 1. Les dispositions de la présente convention sont applicables, dans les situations comportant un conflit de lois, aux obligations contractuelles.
2. Elles ne s’appliquent pas :
[...]
e) aux questions relevant du droit des sociétés, associations et personnes morales, telles que la constitution, la capacité juridique, le fonctionnement interne et la dissolution des sociétés, associations et personnes morales, ainsi que la responsabilité personnelle légale des associés et des organes pour les dettes de la société, association ou personne morale ;
[...] »
6. L’article 5 de la convention de Rome, intitulé « Contrats conclus par les consommateurs », prévoit :
« 1. Le présent article s’applique aux contrats ayant pour objet la fourniture d’objets mobiliers corporels ou de services à une personne, le consommateur, pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle, ainsi qu’aux contrats destinés au financement d’une telle fourniture.
2. Nonobstant les dispositions de l’article 3, le choix par les parties de la loi applicable ne peut avoir pour résultat de priver le consommateur de la protection que lui assurent les dispositions impératives de la loi du pays dans lequel il a sa résidence habituelle :
– si la conclusion du contrat a été précédée dans ce pays d’une proposition spécialement faite ou d’une publicité, et si le consommateur a accompli dans ce pays les actes nécessaires à la conclusion du contrat
ou
– si le cocontractant du consommateur ou son représentant a reçu la commande du consommateur dans ce pays
[...]
3. Nonobstant les dispositions de l’article 4 et à défaut de choix exercé conformément à l’article 3, ces contrats sont régis par la loi du pays dans lequel le consommateur a sa résidence habituelle, s’ils sont intervenus dans les circonstances décrites au paragraphe 2 du présent article.
4. Le présent article ne s’applique pas :
[...]
b) au contrat de fourniture de services lorsque les services dus au consommateur doivent être fournis exclusivement dans un pays autre que celui dans lequel il a sa résidence habituelle.
[...] »
B. Le règlement Rome I
7. L’article 1er du règlement Rome I, intitulé « Champ d’application matériel », dispose, à ses paragraphes 1 et 2 :
« 1. Le présent règlement s’applique, dans des situations comportant un conflit de lois, aux obligations contractuelles relevant de la matière civile et commerciale.
Il ne s’applique pas, notamment, aux matières fiscales, douanières et administratives.
2. Sont exclus du champ d’application du présent règlement :
[...]
f) les questions relevant du droit des sociétés, associations et personnes morales, telles que la constitution, par enregistrement ou autrement, la capacité juridique, le fonctionnement interne et la dissolution des sociétés, associations et personnes morales, ainsi que la responsabilité personnelle légale des associés et des agents pour les dettes de la société, association ou personne morale ;
[...] »
8. L’article 6 de ce règlement, intitulé « Contrats de consommation », prévoit :
« 1. Sans préjudice des articles 5 et 7, un contrat conclu par une personne physique (ci‑après “le consommateur”), pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle, avec une autre personne (ci‑après “le professionnel”), agissant dans l’exercice de son activité professionnelle, est régi par la loi du pays où le consommateur a sa résidence habituelle, à condition que le professionnel :
[...]
b) par tout moyen, dirige cette activité vers ce pays ou vers plusieurs pays, dont celui‑ci,
et que le contrat rentre dans le cadre de cette activité.
2. Nonobstant les dispositions du paragraphe 1, les parties peuvent choisir la loi applicable à un contrat satisfaisant aux conditions du paragraphe 1, conformément à l’article 3. Ce choix ne peut cependant avoir pour résultat de priver le consommateur de la protection que lui assurent les dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord en vertu de la loi qui aurait été applicable, en l’absence de choix, sur la base du paragraphe 1.
3. Si les conditions établies au paragraphe 1, point a) ou b), ne sont pas remplies, la loi applicable à un contrat entre un consommateur et un professionnel est déterminée conformément aux articles 3 et 4.
4. Les paragraphes 1 et 2 ne s’appliquent pas :
a) au contrat de fourniture de services lorsque les services dus au consommateur doivent être fournis exclusivement dans un pays autre que celui dans lequel il a sa résidence habituelle ;
[...] »
9. Le règlement Rome I a remplacé la convention de Rome. Conformément à son article 28, ce règlement s’applique aux contrats conclus à compter du 17 décembre 2009. Il est constant que l’action en cessation en cause au principal concerne tant des contrats conclus avant cette date que des contrats conclus et à conclure après celle‑ci, de sorte que ces deux instruments sont applicables ratione temporis.
C. La directive sur les clauses abusives
10. L’article 3, paragraphe 1, de la directive sur les clauses abusives dispose :
« Une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant du contrat. »
III. Le litige au principal, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour
11. La société MPC Münchmeyer Capital AG Hamburg (ci‑après « MPC ») crée et commercialise des fonds immobiliers fermés, constitués sous la forme de sociétés en commandite de droit allemand ( 7 ). TVP, qui est une filiale à 100 % de MPC, est gestionnaire et commanditaire fondateur des sociétés en question.
12. Ces fonds ont, dès l’origine, été conçus de façon à permettre à des investisseurs privés et institutionnels d’y prendre des participations en tant qu’associés commanditaires. Les statuts des sociétés en commandite structurant lesdits fonds habilitent ainsi TVP, en sa qualité de gestionnaire et commanditaire fondateur, à admettre des commanditaires supplémentaires.
13. À cette fin, une autre filiale de MPC a été chargée de prospecter de potentiels investisseurs. Les prospectus afférents aux participations dans les fonds créés par MPC ont été distribués notamment (et, dans certains cas, exclusivement) en Autriche.
14. Les investisseurs intéressés pouvaient prendre des participations dans ces fonds, notamment, en adressant à TVP une déclaration d’adhésion prenant la forme d’une proposition de conclusion d’un contrat de fiducie (Treuhandvertrag). Le montant correspondant à la participation devait être versé sur l’un des comptes fiduciaires (Treuhandkonten) ouverts à cette fin dans des banques autrichiennes. Des investisseurs sont ainsi entrés indirectement dans lesdits fonds en tant que constituants, par
l’intermédiaire de TVP, agissant en qualité d’administratrice fiduciaire de leurs participations commanditaires. À ce titre, cette société exerce, en son nom propre, mais pour le compte des investisseurs en question, les droits de ces derniers issus de ces participations. Elle leur transfère les versements de dividendes et les autres avantages patrimoniaux qui résultent de celles-ci. TVP transfère également aux investisseurs les informations que le fonds lui donne sur le déroulement de
l’activité. TVP touche, en contrepartie de ces différentes prestations, une rémunération forfaitaire.
15. Les contrats de fiducie ainsi conclus avec TVP stipulent notamment la clause suivante (ou une clause équivalente à celle‑ci) :
« Le contrat de fiducie est soumis au droit de la République fédérale d’Allemagne. Dans la mesure où il est légalement possible d’en convenir ainsi, le lieu d’exécution est le siège de l’administratrice fiduciaire, et la juridiction de ce dernier est compétente pour connaître de tous les litiges portant sur ce contrat ou sa formation. »
16. Le 6 septembre 2013, VKI a introduit une action en cessation devant le Handelsgericht Wien (tribunal de commerce de Vienne, Autriche) visant à interdire à TVP d’utiliser, dans ses relations d’affaires avec les consommateurs résidant en Autriche, dans les conditions générales sur lesquelles reposent les contrats de fiducie qu’elle conclut ou dans les formulaires de contrat standard utilisés à cet effet, un certain nombre de clauses au motif, notamment, qu’elles seraient abusives, au sens de la
directive sur les clauses abusives et du droit autrichien transposant cette directive. En outre, VKI demande à être habilitée à publier le jugement.
17. L’action intentée par VKI vise, en particulier, la clause portant sur le lieu d’exécution des prestations fiduciaires et la loi applicable aux contrats de fiducie, reproduite au point 15 des présentes conclusions. Dans ce cadre, VKI a fait valoir que, conformément notamment aux dispositions du règlement (CE) no 864/2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles ( 8 ), la licéité des clauses contestées devrait être appréciée au regard non pas du droit applicable à ces contrats,
mais de la lex loci damni, c’est‑à‑dire du droit autrichien. Ce dernier droit serait, du reste, également applicable en vertu de la convention de Rome et du règlement Rome I.
18. TVP a conclu au rejet de l’action intentée par VKI. Selon cette société, conformément aux dispositions du règlement Rome I, la licéité des clauses litigieuses devrait être appréciée au regard du droit allemand, choisi comme étant applicable aux contrats de fiducie. Par ailleurs, ces contrats et les statuts des sociétés en commandite concernées seraient à un tel point imbriqués que les premiers devraient nécessairement être soumis au même droit que les seconds, c’est‑à‑dire, là encore, au droit
allemand. En outre, TVP aurait fourni toutes les prestations de services prévues dans lesdits contrats en Allemagne et n’aurait pas, en Autriche, de succursale, d’établissement ou même de personnel.
19. Par un jugement du 3 septembre 2015, le Handelsgericht Wien (tribunal de commerce de Vienne) a fait droit à l’action de VKI. Appliquant le droit autrichien, ce tribunal a ordonné à TVP de cesser d’utiliser, dans ses relations d’affaires avec les consommateurs résidant en Autriche, les clauses visées par cette action, dont la clause de choix de loi. Il a également fait droit à la demande de publication du jugement.
20. Par une ordonnance du 13 septembre 2016, l’Oberlandesgericht Wien (tribunal régional supérieur de Vienne, Autriche) a annulé le jugement rendu par le Handelsgericht Wien (tribunal de commerce de Vienne) et a renvoyé l’affaire devant ce tribunal en vue de la poursuite de l’instruction et d’une nouvelle décision. En particulier, la juridiction d’appel a jugé, en faisant référence à l’arrêt VKI/Amazon, que l’examen de la validité de la clause de choix de loi litigieuse devait être effectué au
regard du droit allemand, mais que, conformément à ce droit, une telle clause serait abusive pour autant qu’elle induise le consommateur en erreur en lui donnant l’impression que seul ledit droit serait applicable au contrat, sans l’informer du fait que, en vertu des dispositions de la convention de Rome et du règlement Rome I, il bénéficie également de la protection que lui offrent les dispositions impératives du droit du pays de sa résidence habituelle, en l’occurrence le droit autrichien.
21. VKI et TVP ont chacune formé un recours contre cette ordonnance devant l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême). Dans ces conditions, cette juridiction a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) L’exclusion du champ d’application prévue à l’article 1er, paragraphe 2, sous e), de la [convention de Rome] et à l’article 1er, paragraphe 2, sous f), du [règlement Rome I] vise‑t‑elle également des accords conclus entre un constituant et un administrateur qui détient en fiducie pour ledit constituant une participation dans une société en commandite, notamment lorsqu’il y a une imbrication entre les statuts de la société et le contrat de fiducie ?
2) En cas de réponse négative à la première question :
L’article 3, paragraphe 1, de la [directive sur les clauses abusives] doit‑il être interprété en ce sens qu’une clause d’un contrat de fiducie, conclu entre un professionnel et un consommateur, relatif à la gestion d’une participation en commandite, qui n’a pas fait l’objet d’une négociation individuelle et en vertu de laquelle le droit applicable est celui de l’État du siège de la société en commandite, est abusive, lorsque le seul objet du contrat de fiducie est la gestion de ladite société
en commandite et que le constituant a les droits et les obligations d’un associé direct ?
3) En cas de réponse affirmative à la première ou à la deuxième question :
La réponse est‑elle différente si, pour fournir les prestations de services dont il est redevable, le professionnel n’a pas à se rendre dans l’État du consommateur mais est tenu de transférer au consommateur les versements de dividendes et autres avantages patrimoniaux issus de la participation, ainsi que de lui transmettre des informations relatives au déroulement de l’activité de la [société dans laquelle il détient une] participation ? La question de l’applicabilité du règlement Rome I ou
de la convention de Rome importe‑t‑elle à cet égard ?
4) En cas de réponse affirmative à la troisième question :
Cette réponse reste‑t‑elle valable lorsque, de surcroît, la demande de souscription du consommateur a été signée dans l’État de résidence de celui‑ci, le professionnel fournit des informations sur la participation également sur Internet et un compte de paiement a été mis en place dans l’État du consommateur, sur lequel ce dernier doit verser le montant de la participation, bien que le professionnel ne soit pas habilité à disposer de ce compte bancaire ? La question de l’applicabilité du
règlement Rome I ou de la convention de Rome importe‑t‑elle à cet égard ? »
22. La décision de renvoi, datée du 28 mars 2018, est parvenue au greffe de la Cour le 20 avril 2018. Des observations écrites ont été déposées par VKI, par TVP et par la Commission européenne. Les mêmes parties ont été représentées lors de l’audience de plaidoiries qui s’est tenue le 27 février 2019.
IV. Analyse
23. L’action en cessation intentée, en l’espèce, par VKI contre TVP a pour toile de fond les participations prises par des investisseurs privés résidant en Autriche dans des fonds immobiliers fermés, constitués sous la forme de sociétés en commandite de droit allemand ( 9 ). Plus précisément, en signant une demande d’adhésion à ces fonds, les investisseurs ne sont pas entrés directement dans le capital des sociétés en question. En réalité, ils ont confié le montant de leurs participations à TVP, qui
est gestionnaire et commanditaire fondateur de ces sociétés, et ont signé avec cette dernière des contrats de fiducie (Treuhandverträge) ayant pour objet la gestion de ces participations ( 10 ).
24. À ce stade, il convient de rappeler brièvement que, dans le cadre de l’opération de Treuhand (terme désignant l’institution de droit allemand, voisine de la fiducie du droit français), une personne, appelée « constituant » (Treugeber), transfère la propriété d’actifs à une autre personne dénommée « administrateur fiduciaire » (Treuhänder), laquelle doit tenir ces actifs séparés de son patrimoine propre et les gérer dans un but déterminé au profit d’un bénéficiaire (qui peut être, mais n’est pas
nécessairement, le constituant). En tant que propriétaire des actifs transférés, l’administrateur fiduciaire agit en son nom propre, mais pour le compte du bénéficiaire ( 11 ).
25. Par le jeu des contrats de fiducie litigieux, TVP, qui est associée commanditaire « directe » des sociétés en commandite en question, gère ainsi les participations dont elle est propriétaire dans ces sociétés en son nom, mais pour le compte d’une multitude d’investisseurs étant tout à la fois constituants et bénéficiaires de fiducies portant sur ces participations. De cette manière, les investisseurs concernés sont (pour reprendre les termes utilisés par la juridiction de renvoi) « entrés
indirectement » dans lesdites sociétés ( 12 ).
26. L’action en cessation intentée par VKI contre TVP a pour objet la licéité de différentes clauses stipulées dans ces contrats de fiducie (ou, plus précisément, dans les conditions générales sur lesquelles reposent ces mêmes contrats et dans les formulaires de contrat standard utilisés à cet effet). VKI avance notamment que ces clauses sont abusives, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive sur les clauses abusives. Le siège social de TVP se situant en Allemagne, et VKI défendant les
intérêts des consommateurs résidant en Autriche, la question du droit applicable à cette action se pose.
27. Dans l’arrêt VKI/Amazon, la Cour a jugé, en substance, que la loi applicable à une action en cessation dirigée contre l’utilisation de clauses contractuelles prétendument illicites par une entreprise établie dans un État membre qui conclut des contrats avec des consommateurs résidant dans d’autres États membres doit être déterminée conformément à l’article 6, paragraphe 1, du règlement Rome II ( 13 ). En revanche, la question du caractère abusif d’une clause contractuelle donnée relève de la loi
applicable au contrat, loi déterminée, en principe, conformément à la convention de Rome ou au règlement Rome I ( 14 ). Statuer sur l’action intentée en l’espèce par VKI contre TVP implique donc de déterminer la loi applicable aux contrats de fiducie litigieux.
28. À cet égard, TVP se prévaut d’une clause de choix de loi, stipulée dans ces contrats et désignant le droit allemand, loi de son propre siège et du siège des sociétés en commandite, comme applicable. VKI excipe toutefois du caractère abusif de cette clause. En effet, dans l’arrêt VKI/Amazon, la Cour a jugé que pareille clause est de nature à induire en erreur le consommateur pour autant qu’elle ne l’informe pas du fait que, conformément aux règles protectrices en matière de contrats de
consommation prévues par le règlement Rome I, nonobstant la loi choisie, il bénéficie de la protection que lui assurent les dispositions impératives de la loi de sa résidence habituelle ( 15 ). TVP rétorque que cette jurisprudence n’est pas transposable à l’affaire au principal. En effet, la clause de choix de loi litigieuse serait purement déclarative : les contrats de fiducie en cause au principal devraient en toute hypothèse être soumis au droit allemand, applicable aux sociétés en question.
29. Dans ce contexte, la juridiction de renvoi interroge la Cour, par sa première question, sur le point de savoir si, comme le soutient TVP, ces contrats de fiducie sont exclus du champ d’application matériel de la convention de Rome et du règlement Rome I au titre de l’exclusion, prévue à l’article 1er, paragraphe 2, sous e), de cette convention et à l’article 1er, paragraphe 2, sous f), de ce règlement, relative aux « questions relevant du droit des sociétés, associations et personnes morales »
et, si tel est le cas, dans quelle mesure. Je me pencherai en premier lieu sur cette problématique (section A).
30. Dans l’hypothèse où les contrats de fiducie litigieux relèveraient du champ d’application matériel de la convention de Rome et du règlement Rome I, la juridiction de renvoi cherche, par ses troisième et quatrième questions, à déterminer si ces contrats sont couverts par les règles protectrices en matière de contrats de consommation, figurant à l’article 5 de cette convention et à l’article 6 de ce règlement. Plus précisément, elle s’interroge sur la portée de l’exclusion prévue au paragraphe 4
de ces deux articles, dont se prévaut TVP, selon laquelle ces règles protectrices ne s’appliquent pas « au contrat de fourniture de services lorsque les services dus au consommateur doivent être fournis exclusivement dans un pays autre que celui dans lequel il a sa résidence habituelle ». J’examinerai ces questions, par commodité, ensemble et en deuxième lieu (section B).
31. Enfin, je terminerai les présentes conclusions par l’analyse de la deuxième question de la juridiction de renvoi, concernant le caractère abusif, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive sur les clauses abusives, de la clause de choix de loi litigieuse (section C).
A. Sur la non‑applicabilité de l’exclusion relative aux « questions relevant du droit des sociétés, associations et personnes morales » (première question)
32. Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 1er, paragraphe 2, sous e), de la convention de Rome et l’article 1er, paragraphe 2, sous f), du règlement Rome I doivent être interprétés en ce sens que l’exclusion qu’ils prévoient, relative aux « questions relevant du droit des sociétés, associations et personnes morales », recouvre des obligations contractuelles trouvant leur source dans un contrat de fiducie ayant pour objet la gestion d’une participation
dans une société en commandite, notamment lorsque ce contrat et les statuts de cette société sont imbriqués.
33. La convention de Rome et le règlement Rome I s’appliquent, comme l’indique leur article 1er, paragraphe 1, aux « obligations contractuelles» ( 16 ). La loi applicable à de telles obligations doit, en principe, être déterminée selon les règles de conflit de lois prévues à ces instruments.
34. L’article 1er, paragraphe 2, desdits instruments exclut toutefois expressément certaines matières de leur champ d’application. En particulier, conformément à l’article 1er, paragraphe 2, sous e), de la convention de Rome et à l’article 1er, paragraphe 2, sous f), du règlement Rome I, ceux‑ci ne s’appliquent pas aux « questions relevant du droit des sociétés, associations et personnes morales ». En conséquence, la loi applicable à pareilles « questions » doit être déterminée selon les règles de
conflit de lois nationales ( 17 ).
35. Il n’est pas contesté que, de manière générale, un contrat de fiducie crée entre les parties des « obligations contractuelles » relevant du champ d’application matériel de la convention de Rome et du règlement Rome I.
36. Néanmoins, les contrats de fiducie concernés par l’action intentée en l’espèce par VKI contre TVP ont cela de particulier, d’une part, qu’ils portent sur la gestion de participations dans des sociétés en commandite et, d’autre part, qu’il y a, pour reprendre le terme employé par la juridiction de renvoi, « imbrication » entre ces contrats et les statuts des sociétés en question.
37. Il ressort de la décision de renvoi et des observations soumises à la Cour que cette imbrication réside dans le fait que la possibilité pour des investisseurs de conclure un contrat de fiducie avec TVP et d’entrer « indirectement » dans les sociétés en commandite en tant que constituants est prévue par les statuts de ces sociétés. Par ailleurs, les statuts prévoient que les constituants sont traités comme les associés commanditaires « directs » dans les rapports avec la société concernée et dans
les rapports avec les autres associés, ayant les mêmes obligations (dont la participation au capital et aux pertes) et droits (dont celui de percevoir des dividendes et le droit de vote). La rémunération même de TVP pour ses services d’administratrice fiduciaire serait prévue dans les statuts et versée non pas par les constituants, mais par les sociétés en commandite. Les contrats de fiducie litigieux feraient également référence, à différentes reprises, aux statuts de ces sociétés.
38. Il s’agit donc de savoir si, compte tenu de ces particularités, la loi applicable aux obligations contractuelles trouvant leur source dans ces contrats doit être déterminée selon les règles de conflit de lois nationales, au titre de l’exclusion relative aux « questions relevant du droit des sociétés, associations et personnes morales », prévue à l’article 1er, paragraphe 2, sous e), de la convention de Rome et à l’article 1er, paragraphe 2, sous f), du règlement Rome I.
39. VKI fait valoir que tel n’est pas le cas. Les contrats de fiducie auraient établi une unique relation entre les constituants et TVP, relevant non pas du droit des sociétés, mais du droit des obligations. Les constituants n’auraient pas la qualité d’associé, réservée aux personnes inscrites à cet effet au registre du commerce allemand. Ceux-ci n’auraient pas de relation juridique directe avec ces sociétés ou leurs associés. Les constituants ne pourraient notamment pas opposer directement à la
société un droit de vote ou un droit aux dividendes, comme peut le faire un associé. Ils pourraient uniquement instruire TVP de leur transférer les dividendes qu’elle reçoit en sa qualité d’associé et d’exercer son droit de vote d’une certaine manière pour leur compte.
40. À l’opposé, TVP soutient que, dès lors que les constituants ont les mêmes droits et obligations que les associés « directs », ils sont impliqués directement dans les sociétés en commandite et doivent être considérés, du point de vue du droit des sociétés, comme des associés (ou des « quasi-associés ») dans les rapports internes à ces sociétés. Il existerait un rapport direct entre eux et lesdites sociétés et leurs associés. Les constituants pourraient notamment opposer directement à ces mêmes
sociétés le droit de vote et le droit aux dividendes. TVP interviendrait en tant qu’administratrice fiduciaire uniquement pour faciliter le traitement de la qualité d’associé des constituants en matière d’enregistrement et pour faciliter la gestion interne desdites sociétés. Le rapport entre les constituants et TVP serait également caractérisé par le droit des sociétés. Les contrats de fiducie seraient donc indissociables des statuts des sociétés en commandite. Il existerait un rapport juridique
unique s’étendant à la société, aux associés « directs », à l’administrateur fiduciaire et aux constituants, qui relèverait intégralement de l’exclusion prévue à l’article 1er, paragraphe 2, sous e), de la convention de Rome et à l’article 1er, paragraphe 2, sous f), du règlement Rome I ( 18 ).
41. Pour ma part, j’estime que des obligations contractuelles telles que celles trouvant leur source dans les contrats de fiducie litigieux ne relèvent pas de l’exclusion relative aux « questions relevant du droit des sociétés, associations et personnes morales », au sens de l’article 1er, paragraphe 2, sous e), de la convention de Rome et de l’article 1er, paragraphe 2, sous f), du règlement Rome I, pour les raisons qui suivent. Dès lors que ces dispositions ont en substance le même contenu, je me
référerai, dans les points qui suivent, par commodité, à ce seul règlement, mon analyse étant toutefois pleinement transposable à cette convention.
42. Le règlement Rome I ne définit pas la notion de « questions relevant du droit des sociétés, associations et personnes morales », au sens de l’article 1er, paragraphe 2, sous f), de ce règlement. Pour autant, son acception ne saurait, selon moi, être laissée au droit de chaque État membre. Dès lors qu’elle participe à définir le champ d’application dudit règlement, et afin de garantir l’application uniforme, dans tous les États membres, des règles de conflit de lois qu’il prévoit, il convient de
donner à cette notion une acception autonome, en se référant au libellé de cette disposition, à sa genèse ainsi qu’au système et aux objectifs de ce même règlement ( 19 ). Compte tenu du contexte factuel de la présente affaire, je m’attarderai uniquement sur les « questions relevant du droit des sociétés », laissant ainsi de côté les associations et autres personnes morales.
43. Concernant, tout d’abord, le libellé de l’article 1er, paragraphe 2, sous f), du règlement Rome I, celui‑ci fournit une énumération, certes non exhaustive, mais néanmoins illustrative de ces « questions » : il s’agit de points tels que « la constitution [...], la capacité juridique, le fonctionnement interne et la dissolution des sociétés [...], ainsi que la responsabilité personnelle légale des associés et des agents pour les dettes de la société ». Le rapport Giuliano‑Lagarde donne des
indications analogues, en précisant que cette exclusion vise « tous les actes de nature complexe (contractuels, administratifs, enregistrement) nécessaires à la création d’une société, ou réglant sa vie interne ou sa dissolution », c’est‑à‑dire des actes qui « relèvent du droit des sociétés» ( 20 ).
44. S’agissant, ensuite, de la genèse de cette exclusion, le rapport Giuliano‑Lagarde explique que son introduction dans la convention de Rome se justifiait en raison des actions que la Communauté européenne menait dans le domaine du droit matériel des sociétés à l’époque de l’élaboration de cette convention, en vue de rapprocher les législations des États membres en la matière ( 21 ). Par ailleurs, les divergences existant entre les États membres quant aux règles de conflit de lois applicables en
matière de droit des sociétés sont également, selon moi, susceptibles d’expliquer l’existence de ladite exclusion ( 22 ).
45. Enfin, quant au système et aux objectifs du règlement Rome I, je rappelle que celui‑ci prévoit des règles de conflit de lois visant à présenter un haut degré de prévisibilité, afin d’assurer la sécurité juridique quant au droit applicable ( 23 ). Or, selon moi, l’exclusion relative aux « questions relevant du droit des sociétés » prévue à l’article 1er, paragraphe 2, sous f), du règlement Rome I participe à la réalisation de cet objectif. À cet égard, les sociétés qui opèrent dans la sphère
internationale se confrontent à des ordres juridiques différents, pouvant avoir la prétention de les régir. Dans ce contexte, il est généralement admis, dans les systèmes juridiques des États membres que, dans un même souci de prévisibilité et de sécurité juridique, dans l’intérêt notamment de leurs créanciers et de leurs associés, un certain nombre de questions relatives aux sociétés doivent être rattachées uniformément à une loi donnée, appelée loi de la société (ou lex societatis).
46. En somme, l’article 1er, paragraphe 2, sous f), du règlement Rome I vise à exclure du champ d’application de ce règlement les questions de droit des sociétés ou, autrement dit, celles relevant du domaine de la lex societatis, et ce afin d’éviter que ces questions spécifiques soient soumises à des ordres juridiques différents, l’objectif étant d’assurer la prévisibilité et la sécurité juridique quant au droit applicable aux sociétés et, par‑là, la circulation de celles-ci dans la sphère
internationale ( 24 ).
47. En l’absence d’un corps de règles uniforme et complet applicable aux sociétés en droit de l’Union ( 25 ), il est difficile, voire impossible, de donner une définition exhaustive de ce qui constitue une question relevant du droit des sociétés et de la lex societatis. Il faut procéder au cas par cas, en se tournant vers les principes généraux qui se dégagent des systèmes de droit nationaux. Je relève d’ailleurs que, dans certains ordres juridiques, les règles de conflit de lois prévoient une
énumération des questions relevant du domaine de la lex societatis. Néanmoins, ces énumérations ne sont qu’illustratives et des divergences existent entre les États membres quant aux questions relevant de cette loi ( 26 ). Face à ces divergences, il convient sans doute de s’attacher au « noyau dur » de questions communément admis dans ces États ( 27 ), en veillant à préserver l’objectif de prévisibilité et de sécurité juridique quant au droit applicable à une société poursuivi par l’article 1er,
paragraphe 2, sous f), du règlement Rome I.
48. Dans ce contexte, les statuts d’une société, dans la mesure où ils règlent les questions entourant le fonctionnement interne de celle-ci, telles que l’étendue et l’exercice des droits politiques (dont le droit de vote) et des droits pécuniaires (dont le droit aux dividendes) résultant de la qualité d’associé, relèvent de l’exclusion prévue à cette disposition.
49. En revanche, j’estime que la seule circonstance qu’un contrat porte sur une part sociale, qu’il s’agisse par exemple d’un contrat de vente ou, comme en l’occurrence, d’un contrat de fiducie, ne saurait justifier d’exclure les obligations qui trouvent leur source dans ce contrat du champ d’application du règlement Rome I au titre de l’article 1er, paragraphe 2, sous f), de ce règlement.
50. Certes, des opérations telles que la vente ou la fiducie portant sur des parts sociales sont de nature à soulever des « questions relevant du droit des sociétés » exclues du règlement Rome I ( 28 ). Toutefois, selon moi, ces questions doivent être distinguées de celles que soulèvent les contrats sous‑tendant ces opérations, qui relèvent, quant à elles, du domaine de la lex contractus ( 29 ) et de ce règlement.
51. Il s’agit donc, dans chaque situation, de procéder à un rigoureux exercice de qualification. Dans ce cadre, ainsi que le fait justement remarquer la juridiction de renvoi, il y a lieu d’adopter, en règle générale, une qualification distributive en fonction des questions de droit que pose une demande.
52. Par exemple, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt KA Finanz ( 30 ), concernant précisément l’exclusion relative aux « questions relevant du droit des sociétés » [dans son itération figurant à l’article 1er, paragraphe 2, sous e), de la convention de Rome], était en cause la question de la loi applicable, à la suite d’une fusion par absorption transfrontalière, à l’interprétation, à l’exécution des obligations ainsi qu’aux modes d’extinction d’un contrat d’emprunt conclu par la société
absorbée avant cette fusion. La Cour a relevé que l’interprétation, l’exécution et l’extinction des obligations engendrées par ces contrats sont des questions relevant du domaine de la lex contractus et de cette convention. En revanche, la question de l’effet d’une fusion par absorption sur les contrats conclus par la société absorbée relevait, quant à elle, du domaine de la lex societatis et de ladite exclusion ( 31 ).
53. En d’autres termes, la seule circonstance qu’un contrat ait un lien avec des « questions relevant du droit des sociétés » n’a pas pour effet d’exclure du champ d’application du règlement Rome I les obligations trouvant leur source dans ce contrat. Tel est le cas uniquement de ces « questions », qui doivent donc être qualifiées séparément des questions d’ordre contractuel ( 32 ).
54. Cela étant clarifié, en l’occurrence, l’action en cessation intentée par VKI porte, je le rappelle, sur le caractère abusif et, partant, la licéité de certaines clauses des contrats de fiducie litigieux, clauses qui concernent des questions telles que l’étendue de la responsabilité de TVP en qualité d’administratrice fiduciaire, les délais de prescription et de forclusion dans lesquels l’investisseur, en tant que constituant, peut agir en responsabilité contre TVP, le lieu de l’exécution des
prestations fiduciaire et la loi applicable au contrat de fiducie. À mes yeux, toutes ces questions sont d’ordre contractuel et relèvent, en conséquence, du domaine de la lex contractus et du règlement Rome I.
55. Le fait qu’il y ait imbrication entre ces contrats et les statuts des sociétés en commandite, comme il a été expliqué au point 37 des présentes conclusions, ne remet pas en cause, selon moi, cette interprétation.
56. À cet égard, j’observe que les parties au principal sont en désaccord sur le point de savoir si, compte tenu de cette imbrication, les constituants ont ou non la qualité d’associé. À mon sens, il s’agit certes là d’une « question relevant du droit des sociétés » exclue du règlement Rome I et rattachée à la lex societatis. De manière générale, il revient à cette loi de déterminer les personnes ayant la qualité d’associé. Il appartiendrait, le cas échéant, à la juridiction de renvoi de trancher
cette question de fond au regard du droit allemand ( 33 ).
57. Toutefois, dans le cadre de l’action intentée par VKI, ladite question n’est pas déterminante. Il ne s’agit pas de déterminer l’étendue d’éventuels droits et obligations que les constituants auraient, en qualité d’associé, conformément au droit des sociétés applicable, directement à l’égard des sociétés en commandite. Si la loi applicable à ces sociétés, à savoir le droit allemand, devait prévoir que, eu égard aux droits et obligations des constituants, tels que prévus dans les statuts, il y a
lieu de reconnaître à ceux‑ci la qualité d’associé ( 34 ), cela ne changerait pas, selon moi, le caractère contractuel des questions posées en l’occurrence. Des questions telles que l’étendue de la responsabilité de TVP, en tant qu’administratrice fiduciaire, ou les délais de prescription et de forclusion dans lesquels les constituants peuvent agir en justice contre celle-ci ne sont simplement pas des « questions relevant du droit des sociétés », devant être rattachées uniformément à la lex
societatis. Une interprétation contraire irait, comme le souligne à bon droit la juridiction de renvoi, au‑delà de l’objectif de prévisibilité et de sécurité juridique poursuivi par l’article 1er, paragraphe 2, sous f), du règlement Rome I.
58. Comme le fait valoir la Commission, il est également possible de raisonner en termes de rapports. Les clauses contractuelles litigieuses visent à régler les rapports entre constituant et administrateur fiduciaire. Elles déterminent les obligations existant entre eux en vertu du contrat de fiducie. Même lorsque ce contrat reprend des droits et obligations prévus par les statuts d’une société, une partie au contrat ne peut les opposer à l’autre que dans la mesure où ce même contrat le prévoit. Les
obligations contractuelles en question se distinguent donc de ces statuts. Lesdits statuts et la lex societatis ne seraient directement pertinents que pour les questions concernant les éventuels rapports des constituants, en qualité d’associé (à supposer qu’ils aient cette qualité) à l’égard de la société et de ses associés commanditaires ( 35 ), rapports qui ne sont pas en cause en l’occurrence.
59. L’interprétation que je suggère n’est pas infirmée par l’argument de TVP selon lequel une dissociation des contrats de fiducie et des statuts des sociétés en commandite aux fins de la détermination de la loi applicable risquerait de rompre l’égalité entre les associés de ces sociétés et les constituants en ce qui concerne, en particulier, la responsabilité à l’égard des tiers créanciers desdites sociétés pour les dettes sociales. TVP soutient, à cet égard, que conformément à la jurisprudence du
Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice), si les constituants ne sont pas directement responsables à l’égard des tiers créanciers, ils seraient néanmoins tenus de dégager l’administrateur fiduciaire de la responsabilité qu’il supporte, en qualité d’associé, à l’égard de ces derniers (les constituants étant ainsi « indirectement » responsables à l’égard des créanciers). À cet égard, j’admets que, certes, la responsabilité personnelle légale des associés pour les dettes sociales est, ici
encore, une « question relevant du droit des sociétés » exclue du règlement Rome I, comme le prévoit d’ailleurs expressément son article 1er, paragraphe 2, sous f). Toutefois, la question d’une éventuelle obligation du constituant de dégager l’administrateur fiduciaire de sa responsabilité légale d’associé pour les dettes sociales concerne, avant toute chose, les rapports contractuels existant entre eux. Elle relève donc, à mes yeux, de la lex contractus et de ce règlement ( 36 ).
60. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je suggère à la Cour de répondre à la première question que l’exclusion prévue à l’article 1er, paragraphe 2, sous e), de la convention de Rome et à l’article 1er, paragraphe 2, sous f), du règlement Rome I, relative aux « questions relevant du droit des sociétés, associations et personnes morales », ne s’applique pas à des obligations contractuelles trouvant leur source dans un contrat de fiducie ayant pour objet la gestion d’une
participation dans une société en commandite.
B. Sur la non‑applicabilité de l’exclusion relative à certains contrats de fourniture de services conclus par les consommateurs (troisième et quatrième questions)
61. Pour autant que la Cour juge, comme je le lui propose, que des obligations contractuelles telles que celles trouvant leur source dans les contrats de fiducie litigieux ne relèvent pas de l’exclusion prévue à l’article 1er, paragraphe 2, sous f), du règlement Rome I (ou de l’exclusion équivalente de la convention de Rome), la loi applicable à ces contrats doit être déterminée selon les règles de conflit de lois prévues par ces instruments.
62. À cet égard, la juridiction de renvoi a établi que les contrats de fiducie litigieux sont des contrats de consommation susceptibles de relever des règles protectrices prévues, en la matière, à l’article 5 de cette convention et à l’article 6 de ce règlement ( 37 ). En effet, ils lient un « professionnel », à savoir TVP, agissant dans l’exercice de son activité professionnelle, à différents investisseurs qui ont la qualité de « consommateurs », à savoir des personnes physiques ayant agi, en
concluant ces contrats, pour un usage pouvant être considéré comme étranger à pareille activité ( 38 ). Cette juridiction a également établi que les conditions d’application de ces règles protectrices sont remplies ( 39 ).
63. Néanmoins, ces articles excluent expressément, à leur paragraphe 4, certains contrats de leur champ d’application. En particulier, l’article 5, paragraphe 4, sous b), de la convention de Rome et l’article 6, paragraphe 4, sous a), du règlement Rome I prévoient, en des termes identiques, que les règles protectrices en matière de contrats de consommation ne s’appliquent pas « au contrat de fourniture de services lorsque les services dus au consommateur doivent être fournis exclusivement dans un
pays autre que celui dans lequel il a sa résidence habituelle ». La loi applicable aux contrats relevant de cette exclusion doit être déterminée au regard des règles de conflit de lois générales prévues aux articles 3 et 4 de ces instruments.
64. Dans ce contexte, par ses troisième et quatrième questions, la juridiction de renvoi demande, en substance, si des contrats de fiducie tels que ceux concernés par l’action en cessation intentée par VKI sont susceptibles d’être couverts par ladite exclusion.
65. VKI et la Commission font valoir, en substance, que cette même exclusion n’a pas vocation à s’appliquer en l’occurrence dès lors que les consommateurs reçoivent certains services découlant des contrats de fiducie litigieux en Autriche. TVP soutient, pour sa part, qu’elle fournit ses services fiduciaires exclusivement en Allemagne, comme le stipulent ces contrats ( 40 ), puisque les activités requises pour exécuter lesdits contrats sont réalisées uniquement dans cet État membre.
66. Je partage l’avis des premiers, pour les raisons qui suivent. Ici également, dès lors qu’il n’y a pas de différence entre la convention de Rome et le règlement Rome I en ce qui concerne la présente problématique, une interprétation identique doit être retenue pour ces deux instruments. Je me référerai donc, dans la suite des présentes conclusions, à nouveau, par commodité, à ce règlement uniquement.
67. Deux conditions cumulatives ressortent du libellé de l’article 6, paragraphe 4, sous a), du règlement Rome I. L’exclusion qui y figure s’applique pour autant que, d’une part, l’on soit en présence d’un « contrat de fourniture de services » et que, d’autre part, les services dus au consommateur « doivent être fournis exclusivement dans un pays autre que celui dans lequel il a sa résidence habituelle ».
68. L’interprétation de la première condition laisse peu de place au doute. À cet égard, la notion de « contrat de fourniture de services » utilisée à l’article 6, paragraphe 4, sous a), du règlement Rome I doit, selon moi, être définie de manière autonome et recevoir la même acception que celle de « contrat de prestation de services » figurant à l’article 4, paragraphe 1, point b), de ce règlement ( 41 ). En effet, la catégorie de contrats visée par ces deux notions est, malgré une légère
différence terminologique, manifestement la même. Cette catégorie doit, par ailleurs, avoir la même portée que celle de « fourniture de services » prévue, aux fins de la compétence judiciaire en matière contractuelle, à l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement Bruxelles I bis ( 42 ). Il ressort de la jurisprudence de la Cour relative à cette dernière disposition que la notion de « services » implique, pour le moins, que la partie qui les fournit effectue une activité déterminée en
contrepartie d’une rémunération ( 43 ). Or, comme le souligne TVP, la fiducie constitue un tel « service » : dans le cadre d’un contrat de fiducie, l’administrateur fiduciaire effectue une activité déterminée, consistant en la gestion du ou des actifs placés en fiducie, en contrepartie d’une rémunération.
69. La portée de la seconde condition, tenant au lieu où les services dus au consommateur « doivent être fournis », est moins évidente. La Cour s’est certes déjà penchée sur la question du lieu d’exécution d’une obligation contractuelle ou d’un contrat afin de déterminer la compétence judiciaire en matière contractuelle, en retenant différents critères ( 44 ). Néanmoins, elle n’a pas encore examiné cette question dans le contexte de l’article 4, paragraphe 1, point b), du règlement Rome I, aux fins
de la détermination de la loi applicable. Il convient de préciser d’emblée si la question de ce lieu d’exécution relève du droit national, en particulier de la lex contractus, ou doit être définie de manière autonome en droit de l’Union, et l’importance à donner à l’éventuel lieu d’exécution stipulé dans le contrat.
70. À cet égard, je relève que la juridiction de renvoi s’est attachée à certaines obligations découlant des contrats de fiducie litigieux, à savoir l’obligation pour TVP de transmettre à l’investisseur des informations sur le déroulement de l’activité du fonds et l’obligation de transférer audit investisseur les dividendes et les autres avantages patrimoniaux qui lui sont dus, et a déterminé où ces obligations doivent être exécutées au regard tant du droit autrichien que du droit allemand, soit les
deux lois potentiellement applicables à ces contrats ( 45 ). Cette juridiction a également considéré que, en vertu de l’un ou de l’autre droit, la clause désignant le lieu d’exécution dans les contrats de fiducie est nulle ( 46 ).
71. Toutefois, je ne pense pas que la question du lieu de fourniture des services dus au consommateur (et de l’effet de l’éventuelle clause désignant ce lieu), aux fins de l’application de l’article 6, paragraphe 4, sous a), du règlement Rome I, doive être laissée à la lex contractus. En effet, cette question doit être tranchée en amont de la détermination de la loi applicable et permet précisément de la déterminer. Afin d’éviter une logique circulaire ou complexe ( 47 ), il y a lieu, selon moi, de
retenir une interprétation autonome du lieu où les services dus au consommateur « doivent être fournis », au sens de cette disposition, qu’il convient de dégager à la lumière du contexte et des objectifs de celle-ci.
72. S’agissant, en premier lieu, du contexte dans lequel s’inscrit l’article 6, paragraphe 4, sous a), du règlement Rome I, j’estime, à l’instar de VKI et de la Commission, que cette disposition doit être interprétée strictement, dès lors qu’elle déroge à l’objectif de protection généralement poursuivi par cet article ( 48 ).
73. En outre, le fait qu’une exclusion équivalente à celle prévue par ladite disposition ne se retrouve pas à l’article 17 du règlement Bruxelles I bis ( 49 ), concernant la compétence judiciaire en matière de contrats de consommation, milite également, selon moi, en faveur d’une telle interprétation stricte, afin de ne pas exacerber cette divergence et les solutions incohérentes qu’elle entraîne ( 50 ).
74. Concernant, en second lieu, l’objectif poursuivi par l’exclusion en question, le rapport Giuliano‑Lagarde explique, concernant l’article 5, paragraphe 4, sous b), de la convention de Rome, que « dans le cas des contrats portant sur des prestations de services (par exemple, hébergement à l’hôtel ou cours de langues) qui sont fournies exclusivement en dehors de l’État où réside le consommateur, celui‑ci ne peut raisonnablement pas s’attendre à ce que la loi de son État d’origine soit appliquée (
51 ) par dérogation aux règles générales des articles 3 et 4 ». Dans ce cas, « le contrat présente des liens plus étroits avec l’État où réside l’autre partie contractante, même si cette dernière a accompli un des actes décrits [à l’article 5, paragraphe 2] (par exemple, publicité) dans l’État de résidence du consommateur» ( 52 ).
75. Par ailleurs, il ressort des débats qui se sont tenus à l’occasion de l’adoption du règlement Rome I, en particulier au sein du Conseil de l’Union européenne, que cette exclusion a été conservée dans ce règlement au motif, notamment, que certaines délégations craignaient une « surprotection » du consommateur et souhaitaient ne pas impacter trop lourdement les petites et moyennes entreprises, notamment du secteur du tourisme ( 53 ).
76. Selon moi, il résulte des éléments qui précèdent que, afin de déterminer le lieu où les services dus au consommateur « doivent être fournis », au sens de l’article 6, paragraphe 4, sous a), du règlement Rome I, il convient de s’attacher, d’un point de vue factuel, à la nature des services en question. Si une éventuelle clause de désignation du lieu d’exécution des obligations contractuelles peut éventuellement constituer un indice à cet égard, elle n’est aucunement déterminante.
L’expression« doivent être fournis » ne renvoie pas, comme le soutient TVP, au lieu où ces obligations doivent être exécutées conformément aux stipulations du contrat ( 54 ). Comme le soutient VKI, il convient en réalité de vérifier s’il résulte de la nature même des services convenus que ceux‑ci seront nécessairement fournis en dehors du pays de résidence habituelle du consommateur ( 55 ).
77. La détermination du lieu où les services dus au consommateur doivent être fournis me semble relativement évidente s’agissant des services du secteur du tourisme évoqués dans le rapport Guiliano-Lagarde et discutés au sein du Conseil, comme la restauration ou l’hôtellerie. Dans ces situations, la prestation de services se localise, par nature, en un unique lieu : le professionnel réalise les activités requises, et le consommateur reçoit les résultats correspondants, en un seul et même endroit.
78. En revanche, d’autres prestations de services sont fournies à distance, c’est‑à‑dire que le lieu de réalisation matérielle des prestations ne coïncide pas avec celui où le consommateur en reçoit les résultats. Il arrive, en particulier, que ces deux lieux se situent dans des pays différents. Les services sont alors fournis de manière transfrontalière et le professionnel n’a pas, comme l’évoque la juridiction de renvoi dans sa troisième question préjudicielle, à se rendre dans le pays du
consommateur pour remplir ses obligations.
79. À cet égard, je partage l’avis de la juridiction de renvoi et de la Commission selon lequel, dans l’hypothèse visée au point précédent, on ne saurait considérer que les services dus au consommateur « doivent être fournis exclusivement dans un pays autre que celui dans lequel il a sa résidence habituelle », au sens de l’article 6, paragraphe 4, sous a), du règlement Rome I ( 56 ). En d’autres termes, l’exclusion prévue à cette disposition ne devrait pas s’appliquer dans cette hypothèse.
80. En effet, selon moi, d’une part, l’insistance du législateur de l’Union, au libellé de l’article 6, paragraphe 4, sous a), du règlement Rome I, quant au fait que les services doivent être fournis « exclusivement » en dehors du pays de résidence habituelle du consommateur et, d’autre part, les explications sous-tendant cette disposition ( 57 ), tendent à souligner que l’exclusion concernée ne devrait s’appliquer que dans l’hypothèse où, compte tenu de la nature des services en cause, le
consommateur doit se rendre à l’étranger pour les recevoir. Dans cette hypothèse, le contrat présente des liens négligeables avec le pays de sa résidence habituelle et d’autres (manifestement) plus étroits avec le pays de fourniture des services ( 58 ). En revanche, en cas de services fournis à distance dans le pays de la résidence habituelle du consommateur, les liens du contrat avec ce pays sont plus significatifs et le consommateur peut raisonnablement s’attendre à ce que la loi dudit pays
s’applique (ou à tout le moins les dispositions impératives de celle-ci).
81. Ces considérations sont, à mon sens, pleinement applicables dans une affaire telle que celle au principal. En particulier, le fait que les montants correspondant aux participations ont été versées par les consommateurs autrichiens sur des comptes fiduciaires (Treuhandkonten) en Autriche ( 59 ), que TVP transfère les versements de dividendes et les autres avantages pécuniaires qui leurs sont dus sur des comptes autrichiens, que cette société remplit ses obligations d’information découlant du
contrat de fiducie en leur envoyant des rapports sur l’activité des fonds en Autriche et qu’elle dispose d’un site Internet à l’intention de ces consommateurs, sur lequel ceux‑ci peuvent consulter des informations et voter ( 60 ), souligne que lesdits consommateurs reçoivent le résultat des services fournis par TVP dans le pays de leur résidence habituelle. En conséquence, l’exclusion prévue à l’article 6, paragraphe 4, sous a), du règlement Rome I, n’a pas, à mes yeux, vocation à s’appliquer.
82. Compte tenu des éléments qui précèdent, je suggère à la Cour de répondre aux troisième et quatrième questions que l’article 5, paragraphe 4, sous b), de la convention de Rome et l’article 6, paragraphe 4, sous a), du règlement Rome I doivent être interprétés en ce sens que l’exclusion qu’ils prévoient, relative au « contrat de fourniture de services lorsque les services dus au consommateur doivent être fournis exclusivement dans un pays autre que celui dans lequel il a sa résidence habituelle »,
ne s’applique pas à un contrat de fiducie dans le cadre duquel des services sont fournis par le professionnel au consommateur, dans le pays de résidence habituelle de ce dernier, à distance depuis le territoire d’un autre pays.
C. Sur le caractère abusif, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive sur les clauses abusives, de la clause de choix de loi désignant le droit du siège du professionnel (deuxième question)
83. Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 3, paragraphe 1, de la directive sur les clauses abusives doit être interprété en ce sens qu’une clause d’un contrat de fiducie, conclu entre un professionnel et un consommateur, relatif à la gestion d’une participation dans une société en commandite, qui n’a pas fait l’objet d’une négociation individuelle et en vertu de laquelle le droit applicable est celui de l’État membre du siège du professionnel et de
cette société, est abusive, au sens de cette disposition.
84. Comme je l’ai indiqué dans les présentes conclusions, selon moi, la loi applicable à des obligations contractuelles telles que celles trouvant leur source dans les contrats de fiducie litigieux doit être déterminée conformément aux règles de conflit de lois prévues par la convention de Rome et par le règlement Rome I et, plus précisément, conformément à celles en matière de contrats de consommation figurant à l’article 5 de cette convention et à l’article 6 de ce règlement.
85. L’article 5, paragraphe 3, de la convention de Rome et l’article 6, paragraphe 1, du règlement Rome I prévoient que, en principe, un contrat de consommation est régi par la loi du pays où le consommateur a sa résidence habituelle. En l’occurrence, il s’agirait donc du droit autrichien.
86. Cependant, les contrats de fiducie litigieux stipulent, je le rappelle, une clause de choix de loi désignant le droit du siège de TVP et des sociétés en commandite, à savoir le droit allemand. VKI avance toutefois que cette clause est illicite. En particulier, à l’instar des autres clauses visées par son action, elle serait abusive.
87. À cet égard, il convient de rappeler que l’article 5, paragraphe 2, de la convention de Rome et l’article 6, paragraphe 2, du règlement Rome I autorisent, en principe, une telle clause de choix de loi. Néanmoins, en vertu de ces dispositions, pareil choix ne peut avoir pour résultat de priver le consommateur de la protection que lui assurent les dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord (ou « dispositions impératives» ( 61 )) en vertu de la loi du pays où il a sa résidence
habituelle. En l’occurrence, la clause litigieuse ne saurait donc empêcher les consommateurs résidant en Autriche (et VKI dans le cadre de son action en cessation) de se prévaloir des dispositions impératives du droit autrichien.
88. Or, dans l’arrêt VKI/Amazon, la Cour a jugé qu’une clause figurant dans les conditions générales de vente d’un professionnel, qui n’a pas fait l’objet d’une négociation individuelle, selon laquelle la loi de l’État membre du siège du professionnel régit le contrat conclu par voie électronique avec un consommateur, est abusive, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive sur les clauses abusives, pour autant qu’elle induise ce consommateur en erreur en lui donnant l’impression que seule
la loi de cet État membre s’applique au contrat, sans l’informer du fait qu’il bénéficie également, en vertu de l’article 6, paragraphe 2, du règlement Rome I (ou, le cas échéant, de l’article 5, paragraphe 2, de la convention de Rome), de la protection que lui assurent les dispositions impératives de la loi de son pays de résidence habituelle ( 62 ).
89. À l’instar de VKI et de la Commission, j’estime que cette jurisprudence est applicable dans l’affaire au principal. À cet égard, je partage l’avis de la Commission selon lequel le fait que les contrats de fiducie litigieux n’ont semble‑t‑il pas été conclus par voie électronique n’importe pas. En effet, selon ma compréhension, une clause de choix de loi est abusive au motif que, contrairement à l’exigence d’une rédaction claire et compréhensible énoncée à l’article 5 de la directive sur les
clauses abusives, elle n’informe pas le consommateur du fait que, nonobstant ce choix, il peut se prévaloir des dispositions impératives de la loi de son pays de résidence habituelle ( 63 ). La forme qu’a prise la conclusion du contrat n’est pas pertinente dans le cadre de ce raisonnement. En revanche, le fait que la clause litigieuse ne satisfait pas à cet impératif d’information est décisif ( 64 ).
90. Eu égard aux considérations qui précèdent, je suggère à la Cour de répondre à la deuxième question que l’article 3, paragraphe 1, de la directive sur les clauses abusives doit être interprété en ce sens qu’une clause d’un contrat de fiducie, conclu entre un professionnel et un consommateur, relatif à la gestion d’une participation dans une société en commandite, qui n’a pas fait l’objet d’une négociation individuelle et en vertu de laquelle le droit applicable est celui de l’État membre du siège
du professionnel et de cette société, est abusive, au sens de cette disposition, dès lors qu’elle n’informe pas le consommateur du fait que, nonobstant ce choix de loi, il bénéficie également, en vertu de l’article 5, paragraphe 2, de la convention de Rome ou de l’article 6, paragraphe 2, du règlement Rome I, de la protection que lui assurent les dispositions impératives du droit qui serait applicable en l’absence de cette clause.
V. Conclusion
91. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre comme suit aux questions posées par l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche) :
1) L’article 1er, paragraphe 2, sous e), de la convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles, ouverte à la signature à Rome le 19 juin 1980, et l’article 1er, paragraphe 2, sous f), du règlement (CE) no 593/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 17 juin 2008, sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I), doivent être interprétés en ce sens que l’exclusion qu’ils prévoient, relative aux « questions relevant du droit des sociétés, associations et personnes
morales », ne s’applique pas à des obligations contractuelles trouvant leur source dans un contrat de fiducie ayant pour objet la gestion d’une participation dans une société en commandite.
2) L’article 5, paragraphe 4, sous b), de la convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles, ouverte à la signature à Rome le 19 juin 1980, et l’article 6, paragraphe 4, sous a), du règlement no 593/2008 doivent être interprétés en ce sens que l’exclusion qu’ils prévoient, relative au « contrat de fourniture de services lorsque les services dus au consommateur doivent être fournis exclusivement dans un pays autre que celui dans lequel il a sa résidence habituelle », ne
s’applique pas à un contrat de fiducie dans le cadre duquel des services sont fournis par le professionnel au consommateur, dans le pays de résidence habituelle de ce dernier, à distance depuis le territoire d’un autre pays.
3) L’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs doit être interprété en ce sens qu’une clause d’un contrat de fiducie, conclu entre un professionnel et un consommateur, relatif à la gestion d’une participation dans une société en commandite, qui n’a pas fait l’objet d’une négociation individuelle et en vertu de laquelle le droit applicable est celui de l’État membre du siège du
professionnel et de cette société, est abusive, au sens de cette disposition, dès lors qu’elle n’informe pas le consommateur du fait que, nonobstant ce choix, il bénéficie également, en vertu de l’article 5, paragraphe 2, de la convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles, ouverte à la signature à Rome le 19 juin 1980, ou de l’article 6, paragraphe 2, du règlement no 593/2008, de la protection que lui assurent les dispositions impératives du droit qui serait applicable en
l’absence de cette clause.
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( 1 ) Langue originale : le français.
( 2 ) Au sens de la directive 2009/22/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2009, relative aux actions en cessation en matière de protection des intérêts des consommateurs (JO 2009, L 110, p. 30).
( 3 ) Directive du Conseil du 5 avril 1993 (JO 1993, L 95, p. 29, ci‑après la « directive sur les clauses abusives »).
( 4 ) Arrêt du 28 juillet 2016 (C‑191/15, ci‑après l’« arrêt VKI/Amazon , EU:C:2016:612).
( 5 ) Ouverte à la signature à Rome le 19 juin 1980 (JO 1980, L 266, p. 1, ci‑après la « convention de Rome »).
( 6 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 (JO 2008, L 177, p. 6), tel que rectifié (JO 2009, L 309, p. 87) (ci‑après le « règlement Rome I »). Tant la convention de Rome que le règlement Rome I sont applicables ratione temporis à l’affaire au principal (voir point 9 des présentes conclusions).
( 7 ) Voir, pour plus d’explications, note en bas de page 9 des présentes conclusions.
( 8 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 (JO 2007, L 199, p. 40, ci‑après le « règlement Rome II »).
( 9 ) Il ressort des observations de VKI que des fonds fermés tels que ceux créés par MPC consistent à lever des capitaux, en émettant et vendant des parts dans le capital de sociétés constituées à cet effet, en vue de procéder à des placements dans des biens immobiliers, le but étant de produire des revenus par la location et la vente des biens en question. Les parts ne peuvent être souscrites par les investisseurs que pendant une période limitée. Une fois les capitaux requis collectés, le fonds
est fermé et n’émettra pas de nouvelles parts. Celles initialement émises ne pourront pas être rachetées par le fonds, ou ne pourront l’être qu’à des conditions strictes. Des fonds de ce genre sont particulièrement répandus en Allemagne (voir, sur cette problématique, conclusions de l’avocate générale Trstenjak dans l’affaire E. Friz, C‑215/08, EU:C:2009:522, points 33, 42 et 43, ainsi que références citées). VKI indique encore que, depuis l’année 2002, environ 16000 consommateurs autrichiens ont
conclu des contrats de fiducie avec TVP pour prendre des participations dans les fonds de MPC.
( 10 ) Il est constant que les investisseurs pouvaient également faire le choix d’entrer directement dans les sociétés structurant les fonds en tant qu’associés commanditaires et se faire inscrire au registre du commerce allemand. Il ne s’agit toutefois pas de la situation visée dans l’affaire au principal.
( 11 ) Le Treuhand et la fiducie se rapprochent du trust des pays de Common Law (voir, pour une analyse en droit comparé, Braun, A. et Swadling, W., « Chapter six – Management: Trust, Treuhand and Fiducie », dans Van Erp, S. et Akkermans, B., Cases, Materials and Text on Property Law. Ius commune casebooks for the common law of europe, Hart Publishing, 2012, p. 553 à 615). Or, la convention de Rome, à son article 1er, paragraphe 2, sous g), et le règlement Rome I, à son article 1er, paragraphe 2,
sous h), excluent de leur champ d’application matériel la constitution des trusts et les relations qu’ils créent entre les constituants, les trustees et les bénéficiaires. Néanmoins, cette exclusion n’est, a priori, pas applicable dans l’affaire au principal. En effet, il ressort du rapport concernant la convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles, par Mario Giuliano, professeur à l’université de Milan, et Paul Lagarde, professeur à l’université de Paris I (JO 1980, C 282, p. 1,
ci‑après le « rapport Giuliano‑Lagarde »), que, en principe, ladite exclusion a uniquement pour objet les trusts et ne couvre pas les « institutions semblables de droit continental » (voir p. 13 de ce rapport). Quoi qu’il en soit, dès lors que la question de l’applicabilité de cette même exclusion n’a pas été posée par la juridiction de renvoi et qu’elle n’a pas été soulevée devant la Cour, je ne m’étendrai pas dessus dans les présentes conclusions.
( 12 ) La juridiction de renvoi ne fournit pas plus de détails quant à la manière de représenter juridiquement les investissements en question.
( 13 ) Je rappelle qu’une action en cessation se fonde sur une obligation non contractuelle dans la mesure où il n’y a pas de contrat entre le professionnel et l’association de protection des consommateurs. À cet égard, l’article 6, paragraphe 1, du règlement Rome II prévoit que la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d’un acte de concurrence déloyale est celle du pays sur le territoire duquel les relations de concurrence ou les intérêts collectifs des consommateurs sont
affectés ou susceptibles de l’être. Dans l’arrêt VKI/Amazon (point 42), la Cour a jugé que la notion de « concurrence déloyale », au sens de cette disposition, englobe l’utilisation de clauses abusives insérées dans des conditions générales de vente, dès lors qu’elle est susceptible d’affecter les intérêts collectifs des consommateurs en tant que groupe et, partant, d’influencer les conditions de concurrence sur le marché.
( 14 ) Voir, en ce sens, arrêt VKI/Amazon, points 35 à 60.
( 15 ) Voir points 83 à 90 des présentes conclusions.
( 16 ) La notion d’« obligation contractuelle », au sens de ces instruments, vise une obligation juridique librement consentie par une personne à l’égard d’une autre. Voir arrêt du 21 janvier 2016, ERGO Insurance et Gjensidige Baltic (C‑359/14 et C‑475/14, EU:C:2016:40, point 44).
( 17 ) Indépendamment de la question de la loi applicable, le point de savoir si les contrats de fiducie litigieux soulèvent des questions relevant du droit des sociétés est également susceptible d’avoir, au fond, des conséquences sur la possibilité pour VKI de se prévaloir des règles interdisant les clauses abusives. En effet, de manière analogue à la convention de Rome et au règlement Rome I, la directive sur les clauses abusives ne s’applique pas, comme l’indique son dixième considérant, aux
« contrats relatifs à la constitution et aux statuts des sociétés ».
( 18 ) À cet égard, TVP se prévaut d’une jurisprudence du Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne) selon laquelle, en cas d’imbrication étroite d’un contrat de fiducie portant sur une part sociale et des statuts de la société concernée, le constituant doit être traité comme un associé. Le droit des sociétés applicable aux statuts régirait également le contrat de fiducie lorsque le constituant est fortement et directement impliqué dans la société, en ayant les mêmes droits et
obligations que les associés, qu’il doit directement l’apport et qu’il bénéficie directement des avantages, notamment fiscaux, d’un associé. Dans cette hypothèse, les statuts de la société et le contrat de fiducie seraient indissociables, de sorte qu’il n’y aurait pas lieu de procéder à une « décomposition en fonction d’une problématique de conflit de lois ». Il existerait au contraire un « rapport de droit unique », devant être traité selon le même droit (voir arrêt BGB II ZR 276/02).
( 19 ) Il est possible de raisonner ici par analogie avec l’interprétation autonome retenue par la Cour des exclusions prévues à l’article 1er, paragraphe 2, du règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2012, L 351, p. 1, ci‑après le « règlement Bruxelles I bis »). Voir, notamment, s’agissant de l’exclusion relative à la « sécurité
sociale », arrêt du 14 novembre 2002, Baten (C‑271/00, EU:C:2002:656, point 42) ; concernant l’exclusion relative aux « faillites, concordats et autres procédures analogues », arrêt du 22 février 1979, Gourdain (133/78, EU:C:1979:49, point 3), ainsi que, sur l’exclusion relative à « l’état et la capacité des personnes physiques », arrêt du 3 octobre 2013, Schneider (C‑386/12, EU:C:2013:633, point 19).
( 20 ) Rapport Giuliano‑Lagarde, p. 12. Je précise que, si ledit rapport porte sur la convention de Rome, il offre également un éclairage pertinent pour l’interprétation des dispositions équivalentes du règlement Rome I. Voir, notamment, arrêt du 8 mai 2019, Kerr (C‑25/18, EU:C:2019:376, point 34).
( 21 ) Voir rapport Giuliano‑Lagarde, p. 12.
( 22 ) Je rappelle, sommairement, que certains États membres retiennent, comme critère de rattachement aux fins de la détermination de la loi applicable aux sociétés, le lieu de l’incorporation, alors que d’autres appliquent la « théorie du siège réel », laquelle impose que la société soit constituée dans l’État membre où se situe son siège effectif. Voir, sur cette question, arrêts du 9 mars 1999, Centros (C‑212/97, EU:C:1999:126), du 5 novembre 2002, Überseering (C‑208/00, EU:C:2002:632), et du
25 octobre 2017, Polbud – Wykonawstwo (C‑106/16, EU:C:2017:804).
( 23 ) Voir considérants 6 et 16 du règlement Rome I.
( 24 ) Voir, en ce sens, arrêt du 8 mai 2019, Kerr (C‑25/18, EU:C:2019:376, point 33).
( 25 ) La législation actuelle de l’Union européenne en matière de droit des sociétés est parcellaire. Voir, en particulier, directive (UE) 2017/1132 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, relative à certains aspects du droit des sociétés (JO 2017, L 169, p. 46). Voir également règlement (CE) no 2157/2001 du Conseil, du 8 octobre 2001, relatif au statut de la société européenne (SE) (JO 2001, L 294, p. 1).
( 26 ) Voir, notamment, en Belgique, article 111 de la loi du 16 juillet 2004 portant sur le code de droit international privé (Moniteur belge du 27 juillet 2004, p. 57344), et en Italie, article 25 de la Legge 31 maggio 1995, n. 218 (loi no 218), du 31 mai 1995 (supplément ordinaire à la GURI no 128, du 3 juin 1995). Voir, pour un examen comparatif des ordres juridiques des États membres en matière de droit des sociétés, Gerner‑Beuerle, C., Mucciarelli, F., Schuster, E. et Siems, M., The Private
International Law of Companies in Europe, Beck, Hart et Nomos, 2019, p. 47 à 127.
( 27 ) Voir, pour une énumération des questions relavant de ce « noyau dur », Gerner‑Beuerle, C., Mucciarelli, F., Schuster, E. et Siems, M., op. cit.
( 28 ) Par exemple, s’agissant de la vente : un associé a‑t‑il le droit de céder sa part à un tiers sans l’accord des autres associés ? Cette cession donne‑t‑elle lieu à un droit de préemption pour ces derniers ? Voir, pour les différentes questions de droit des sociétés soulevées par les opérations de fiducie ayant pour objet la gestion d’actions et de parts sociales, Fiducie sur titres. Les nouvelles perspectives, colloque organisé par l’Association française des fiduciaires, LGDJ, Coll. Grands
colloques, 2017.
( 29 ) Voir, à cet égard, pour le domaine de la lex contractus, énumération figurant à l’article 12 du règlement Rome I. Pour un exemple de question d’ordre contractuel, en cas de vente : quelle est la responsabilité du vendeur à l’égard de l’acheteur ?
( 30 ) Arrêt du 7 avril 2016 (C‑483/14, EU:C:2016:205).
( 31 ) Voir arrêt du 7 avril 2016, KA Finanz (C‑483/14, EU:C:2016:205, points 52 à 58). Voir, pour une même qualification distributive, arrêt du 21 janvier 2016, ERGO Insurance et Gjensidige Baltic (C‑359/14 et C‑475/14, EU:C:2016:40, points 50 à 62). Voir encore l’arrêt VKI/Amazon et la distinction effectuée par la Cour entre la loi applicable à la question principale soulevée par pareille action en cessation (devant partant être déterminée conformément à l’article 6, paragraphe 1, du règlement
Rome II) et la loi applicable à la question incidente du caractère abusif des clauses litigieuses, laquelle relève du domaine de la lex contractus et du règlement Rome I (voir point 27 des présentes conclusions).
( 32 ) La problématique du droit de vote en rapport avec un contrat de fiducie sur part sociale fournit un bon exemple de qualification distributive. La question de l’étendue du droit de vote dont dispose un associé est une « question relevant du droit des sociétés » et de la lex societatis. En revanche, la manière dont l’administrateur fiduciaire doit exercer le droit de vote pour le compte du constituant (le premier doit-il suivre des directives générales ou spécifiques émanant du second ? doit-il
demander son avis avant chaque vote ? etc.) est une question qui concerne leur rapport contractuel et leurs obligations respectives, relevant de la lex contractus.
( 33 ) En simplifiant le propos, dans une opération de fiducie sur part sociale que je qualifierais de « basique », la propriété de la part sociale mise en fiducie est transférée à l’administrateur fiduciaire, et celui‑ci jouit des droits, et supporte les obligations, qui y sont attachées. C’est donc l’administrateur fiduciaire qui a la qualité d’associé. En l’occurrence, la circonstance selon laquelle les constituants auraient, conformément aux statuts, les mêmes droits politiques et pécuniaires
que les associés, qu’ils pourraient opposer ces droits à la société et qu’ils auraient les mêmes obligations (dont celle de contribuer aux pertes) complique ce schéma « basique ». Les choses peuvent être vues de deux manières : d’une part, comme le fait valoir VKI, la fiducie peut être vue comme un « montage contractuel » destiné à imiter la qualité d’associé sans en présenter certains inconvénients (dont l’inscription au registre du commerce) ; d’autre part, comme le fait valoir TVP, on pourrait
considérer que, indépendamment de la propriété des parts et de la personne inscrite aux registres du commerce, il y a lieu de « percer le voile contractuel » et de reconnaître comme associé le constituant. Finalement, la question soulevée est celle du critère de la qualité d’associé : s’agit‑t‑il de la propriété des parts ? de l’inscription au registre du commerce ? ou encore de l’opposabilité des droits d’un associé à l’égard de la société et du fait d’en supporter les obligations ? Il s’agit là
d’une question de fond typique de droit des sociétés.
( 34 ) Voir note en bas de page 18 des présentes conclusions.
( 35 ) Les constituants ne peuvent opposer à la société et aux associés les droits prévus par le contrat de fiducie auquel ces derniers ne sont pas parties.
( 36 ) Par souci de complétude, je précise que, même si les contrats de fiducie devaient être nuls en vertu de la lex contractus, cela ne signifierait pas nécessairement que les consommateurs autrichiens récupéreraient automatiquement leur investissement. Pour autant que celui‑ci ait été utilisé en tant qu’apport en capital dans une société en commandite, la possibilité pour le consommateur de se retirer de la société et de récupérer cet apport et les éventuelles obligations qui lui resteraient à
supporter dans un tel cas seraient, ici encore, des « questions relevant du droit des sociétés », au sens de l’article 1er, paragraphe 2, sous f), du règlement Rome I. Voir, à cet égard, concernant la doctrine de la société irrégulière (Lehre der fehlerhaften Gesellschaft) en droit allemand, arrêt du 15 avril 2010, E. Friz (C‑215/08, EU:C:2010:186).
( 37 ) Plus précisément, l’article 5 de la convention de Rome s’applique uniquement aux contrats de consommation ayant pour objet la fourniture d’objets mobiliers corporels ou de services ainsi qu’aux contrats destinés au financement d’une telle fourniture. L’article 6 du règlement Rome I a un champ d’application plus étendu puisqu’il couvre tout type de contrats de consommation, sous réserve des exclusions expresses qu’il prévoit.
( 38 ) Par ailleurs, ces contrats de fiducie sont des « contrats de fourniture de services », au sens de l’article 5 de la convention de Rome (voir point 68 des présentes conclusions), de telle sorte qu’ils relèvent en principe du champ d’application de cet article.
( 39 ) Concernant les conditions prévues à l’article 5, paragraphe 2, de la convention de Rome, il convient de relever que la conclusion des contrats de fiducie a, en Autriche, « été précédée [...] d’une proposition spécialement faite ou d’une publicité » (les prospectus afférents aux participations litigieuses ayant été distribués dans cet État membre). Par ailleurs, les consommateurs autrichiens ont « accompli dans ce pays les actes nécessaires à la conclusion du contrat » et « le cocontractant du
consommateur ou son représentant a reçu la commande du consommateur dans ce pays » (les actes juridiques requis des consommateurs ayant été effectués en Autriche et acceptés dans cet État membre par des partenaires contractuels de TVP). S’agissant des conditions figurant à l’article 6, paragraphe 1, du règlement Rome I, les mêmes éléments indiquent que TVP a « dirigé » son activité « vers » le marché autrichien et il est incontestable que les contrats de fiducie relevaient de cette activité.
( 40 ) Voir point 15 des présentes conclusions.
( 41 ) Voir, en ce sens, Ragno, F., « Article 6: Consumer contracts », dans Ferrari, F., Rome I Regulation – Pocket Commentary, selp, 2015, p. 219 et références citées.
( 42 ) Voir, en ce sens, considérant 17 du règlement Rome I et arrêt du 8 mai 2019, Kerr (C‑25/18, EU:C:2019:376, points 39 à 41). Je rappelle que l’article 7, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis prévoit qu’une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite, en matière contractuelle, conformément au point a) de ce paragraphe, devant la juridiction du lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande. Le point b) dudit paragraphe précise que, aux fins de
l’application de cette disposition, et sauf convention contraire, le lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande est, pour la vente de marchandises, le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées, et, pour la fourniture de services, le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis.
( 43 ) Voir arrêts du 23 avril 2009, Falco Privatstiftung et Rabitsch (C‑533/07, EU:C:2009:257, point 29), du 10 septembre 2015, Holterman Ferho Exploitatie e.a. (C‑47/14, EU:C:2015:574, point 57), ainsi que du 8 mai 2019, Kerr (C‑25/18, EU:C:2019:376, point 39).
( 44 ) Dans le cadre de l’article 7, paragraphe 1, sous a), du règlement Bruxelles I bis, qui prévoit que le défendeur domicilié sur le territoire d’un État membre peut être attrait « devant la juridiction du lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande », la Cour juge qu’il convient de déterminer l’obligation correspondant au droit contractuel sur lequel se fonde l’action du demandeur et d’apprécier, conformément à la loi qui régit cette obligation, le lieu où celle‑ci a été ou
doit être exécutée [voir, par analogie, arrêts du 6 octobre 1976, De Bloos (14/76, EU:C:1976:134, point 13), et Industrie Tessili Italiana Como (12/76, EU:C:1976:133, point 13)]. Dans le cadre de l’article 7, paragraphe 1, sous b), de ce règlement, relatif aux contrats de vente et aux contrats de fourniture de services, la Cour retient une définition autonome et factuelle du lieu d’exécution du contrat, pris dans son ensemble, en donnant un poids prépondérant aux stipulations du contrat [voir,
notamment, arrêts du 3 mai 2007, Color Drack (C‑386/05, EU:C:2007:262), du 23 avril 2009, Falco Privatstiftung et Rabitsch (C‑533/07, EU:C:2009:257), ainsi que du 25 février 2010, Car Trim (C‑381/08, EU:C:2010:90)].
( 45 ) La juridiction de renvoi a relevé que, à défaut de choix, le droit autrichien prévoit que des obligations pécuniaires s’exécutent au domicile du créancier. Le droit allemand établit pour sa part une distinction entre le lieu où l’obligation pécuniaire est matériellement exécutée (Leistungsort ou Erfüllungsort), situé au domicile du débiteur, et le lieu où le résultat de cette exécution est obtenu (Erfolgsort), qui est le domicile du créancier.
( 46 ) TVP conteste les affirmations de la juridiction de renvoi concernant les droits allemand et autrichien. Il n’appartient toutefois pas à la Cour de remettre en cause l’interprétation de ces droits nationaux fournie par cette juridiction.
( 47 ) Cette logique consisterait soit à déterminer au regard de la loi désignée par les règles protectrices en matière de contrats de consommation prévues par le règlement Rome I si ces règles ont vocation à s’appliquer, ce qui serait circulaire, soit à désigner, comme le suggère TVP, une première lex contractus conformément aux règles générales de ce règlement (articles 3 et 4) et à déterminer au regard de cette loi si lesdites règles protectrices doivent s’appliquer, ce qui serait complexe.
( 48 ) Ainsi qu’il ressort du considérant 23 du règlement Rome I, les règles en matière de contrats de consommation prévues par ce règlement visent notamment à protéger le consommateur, considéré comme partie faible au contrat, par des règles de conflit de lois plus favorables à ses intérêts que ne le sont les règles générales.
( 49 ) Contrairement, par exemple, à l’exclusion prévue à l’article 6, paragraphe 4, sous b), du règlement Rome I, en matière de contrats de transport autre que les contrats portant sur un voyage à forfait, qui trouve un équivalent à l’article 17, paragraphe 3, du règlement Bruxelles I bis.
( 50 ) En effet, un prestataire de services pouvant se prévaloir de l’article 6, paragraphe 4, sous a), du règlement Rome I et échapper ainsi à l’application des dispositions impératives de la loi de l’État membre où le consommateur a sa résidence habituelle devra en tout état de cause porter son action (et le consommateur pourrait porter la sienne) devant les juridictions de cet État, conformément à l’article 18, paragraphes 1 et 2, du règlement Bruxelles I bis. Cette incohérence est critiquée en
doctrine. Voir Calliess, G.-P., Rome Regulations – Commentary on the European Rules of the Conflict of Laws, Kluwer Law International, 2011, p. 147 et références citées, ainsi que Ragno, F., op. cit., p. 219 et références citées.
( 51 ) Voir points 85 et 87 des présentes conclusions.
( 52 ) Rapport Giuliano‑Lagarde, p. 24 et 25.
( 53 ) L’exclusion litigieuse figurait dans la proposition de règlement du 15 décembre 2005 du Parlement européen et du Conseil sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I) (COM/2005/0650 final). Cette exclusion a donné lieu à objections de la part de différentes délégations (République française, République italienne et République d’Autriche) souhaitant sa suppression, là où d’autres (République de Lituanie et Royaume des Pays‑Bas) souhaitaient son maintien et où le Grand-Duché du
Luxembourg proposait de l’étendre aux contrats de vente. Différentes associations professionnelles, dans le domaine de l’hôtellerie et de la restauration, se sont prononcées publiquement en faveur du maintien de ladite exclusion, craignant d’être exposées à des droits différents en fonction du pays de résidence de leurs clients. Voir Calliess, G.-P., op. cit., p. 146 à 148, ainsi que McParland, M., The Rome I Regulation on the Law Applicable to Contractual Obligations, Oxford University Press, 2015,
p. 554 et 555.
( 54 ) En la matière, on ne saurait raisonner par analogie avec la jurisprudence de la Cour concernant l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement Bruxelles I bis. Dans ce cadre, la Cour accorde une importance prépondérante, pour déterminer « le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis », au sens de cette disposition, aux stipulations du contrat. Si cette approche se justifie tant au regard du libellé de ladite disposition que de l’objectif
de prévisibilité poursuivi par celle‑ci, elle serait toutefois inappropriée dans le cadre de l’article 6, paragraphe 4, sous a), du règlement Rome I. En effet, l’objectif de protection poursuivi par ce dernier article milite, à mon sens, en faveur d’une interprétation ne dépendant pas de la manière dont le contrat est formulé.
( 55 ) Voir, en ce sens, Bělohlávek, A. J., Rome Convention – Rome I Regulation, volume 1, Juris, 2010, p. 1167. Je précise que le simple fait que le professionnel a « dirigé » son activité « vers » le pays de résidence habituelle du consommateur ne saurait, en soi, exclure l’application de l’article 6, paragraphe 4, du règlement Rome I. À défaut, cette disposition serait privée de tout effet utile. En effet, les règles protectrices prévues à cet article ne s’appliquent, en toute hypothèse, que si
la condition tenant à l’« activité dirigée » est remplie. Les éléments démontrant que l’activité du professionnel est « dirigée vers » le pays de résidence habituelle du consommateur, tels que la distribution de publicités ou la conclusion du contrat dans ce pays, ne sauraient donc, en eux-mêmes, démontrer que les services dus au consommateur « doivent [y] être fournis ».
( 56 ) Cette interprétation s’impose également, à mon sens, s’agissant de services fournis en ligne. Voir, en ce sens, Tang, Z. S., Electronic Consumer Contracts in the Conflict of Laws, Hart Publishing, 2e édition, 2015, p. 240 et 241.
( 57 ) Voir point 74 des présentes conclusions.
( 58 ) Voir, du même avis, Calliess, G.-P., op. cit., p. 148.
( 59 ) Le point de savoir si TVP est légalement habilitée à disposer de ces comptes ne me semble pas déterminant.
( 60 ) La circonstance selon laquelle aucune obligation contractuelle n’imposait à TVP de mettre en place ce site Internet, à supposer qu’elle soit avérée, n’est pas non plus déterminante à mon sens. En tout état de cause, ce site Internet n’est que l’un des éléments soulignant que les services sont fournis à distance.
( 61 ) Voir, sur cette notion, mes conclusions dans l’affaire Verein für Konsumenteninformation (C‑191/15, EU:C:2016:388, points 99 à 101).
( 62 ) Voir arrêt VKI/Amazon, points 72 à 81.
( 63 ) Voir arrêt VKI/Amazon, points 68 et 69.
( 64 ) Voir, pour plus d’explications, mes conclusions dans l’affaire Verein für Konsumenteninformation (C‑191/15, EU:C:2016:388, points 95 à 104) et, pour une discussion de cette jurisprudence, Mankowski, P., « Just how free is a free choice of law in contract in the EU? », Journal of Private international Law, 2017, 13:2, p. 231 à 258, spéc. p. 235 à 241 ; Müller, M. F., « Amazon and Data Protection Law – The End of the Private/Public Divide in EU conflict of laws? », EuCML, 2016, no 5, p. 215 et
suiv., ainsi que conclusions de l’avocat général Hogan dans l’affaire Lovasné Tóth (C‑34/18, EU:C:2019:245, points 87 à 89, et 95 à 108).