ARRÊT DE LA COUR (neuvième chambre)
4 avril 2019 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Marchés publics – Conclusion de conventions d’affiliation à une caisse de prévoyance professionnelle chargée de la gestion de contributions de solidarité professionnelle – Conclusion nécessitant l’accord des employés ou de leur représentation – Directive 2014/24/UE – Articles 49 et 56 TFUE – Principes d’égalité de traitement et de non-discrimination – Obligation de transparence »
Dans l’affaire C‑699/17,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative, Autriche), par décision du 29 novembre 2017, parvenue à la Cour le 14 décembre 2017, dans la procédure engagée par
Allianz Vorsorgekasse AG,
en présence de :
Bundestheater-Holding GmbH,
Burgtheater GmbH,
Wiener Staatsoper GmbH,
Volksoper Wien GmbH,
ART for ART Theaterservice GmbH,
fair-finance Vorsorgekasse AG,
LA COUR (neuvième chambre),
composée de Mme K. Jürimäe, présidente de chambre, MM. D. Šváby (rapporteur) et N. Piçarra, juges,
avocat général : M. G. Pitruzzella,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour Allianz Vorsorgekasse AG, par Me P. Pallitsch, Rechtsanwalt,
– pour Bundestheater-Holding GmbH, Burgtheater GmbH, Wiener Staatsoper GmbH, Volksoper Wien GmbH, ART for ART Theaterservice GmbH, par Me M. Oder, Rechtsanwalt,
– pour fair-finance Vorsorgekasse AG, par Me S. Heid, Rechtsanwalt,
– pour le gouvernement autrichien, par M. G. Hesse, en qualité d’agent,
– pour la Commission européenne, par M. P. Ondrůšek et Mme K. Petersen, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE (JO 2014, L 94, p. 65), telle que modifiée par le règlement délégué (UE) 2015/2170 de la Commission, du 24 novembre 2015 (JO 2015, L 307, p. 5) (ci-après la « directive 2014/24 »), des articles 49 et 56 TFUE, des principes d’égalité de traitement et de non-discrimination ainsi
que de l’obligation de transparence.
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure engagée par Allianz Vorsorgekasse AG (ci-après « Allianz ») au sujet de l’application des règles relatives aux marchés publics de l’Union européenne à la conclusion entre, d’une part, Bundestheater-Holding GmbH, Burgtheater GmbH, Wiener Staatsoper GmbH, Volksoper Wien GmbH, ART for ART Theaterservice GmbH (ci-après, ensemble, les « sociétés en cause ») et, d’autre part, fair-finance Vorsorgekasse AG (ci-après « fair-finance ») de
conventions portant sur la gestion et le placement de cotisations destinées à financer des indemnités de départ versées aux salariés des sociétés en cause.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 Le considérant 1 de la directive 2014/24 énonce :
« La passation de marchés publics par les autorités des États membres ou en leur nom doit être conforme aux principes du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, notamment la libre circulation des marchandises, la liberté d’établissement et la libre prestation de services, ainsi qu’aux principes qui en découlent comme l’égalité de traitement, la non-discrimination, la reconnaissance mutuelle, la proportionnalité et la transparence. Toutefois, en ce qui concerne les marchés publics
dépassant un certain montant, des dispositions devraient être élaborées pour coordonner les procédures nationales de passation de marchés afin de garantir que ces principes soient respectés en pratique et que la passation des marchés publics soit ouverte à la concurrence. »
4 L’article 2, paragraphe 1, point 5, de cette directive dispose :
« Aux fins de la présente directive, on entend par :
[...]
5. “marchés publics”, des contrats à titre onéreux conclus par écrit entre un ou plusieurs opérateurs économiques et un ou plusieurs pouvoirs adjudicateurs et ayant pour objet l’exécution de travaux, la fourniture de produits ou la prestation de services ».
5 L’article 4 de ladite directive, intitulé « Montant des seuils », prévoit :
« La présente directive s’applique aux marchés dont la valeur estimée hors taxe sur la valeur ajoutée (TVA) est égale ou supérieure aux seuils suivants :
[...]
c) 209000 [euros] pour les marchés publics de fournitures et de services passés par des pouvoirs adjudicateurs sous-centraux et pour les concours organisés par ceux-ci ; ce seuil s’applique également aux marchés publics de fournitures passés par des autorités publiques centrales opérant dans le domaine de la défense, lorsque ces marchés concernent des produits non visés à l’annexe III ;
[...] »
6 L’article 5 de la directive 2014/24, intitulé « Méthodes de calcul de la valeur estimée du marché », dispose :
« 1. Le calcul de la valeur estimée d’un marché est fondé sur le montant total payable, hors TVA, estimé par le pouvoir adjudicateur, y compris toute forme d’option éventuelle et les éventuelles reconductions des contrats, explicitement mentionnées dans les documents de marché.
Si le pouvoir adjudicateur prévoit des primes ou des paiements au profit des candidats ou soumissionnaires, il en tient compte pour calculer la valeur estimée du marché.
[...]
13. Pour les marchés publics de services, la valeur estimée du marché est, selon le cas, calculée sur la base suivante :
a) services d’assurance : la prime payable et les autres modes de rémunération ;
b) services bancaires et autres services financiers : les honoraires, les commissions payables, les intérêts et les autres modes de rémunération ;
[...]
14. En ce qui concerne les marchés publics de services n’indiquant pas un prix total, la valeur estimée des marchés est calculée sur la base suivante :
a) dans le cas de marchés ayant une durée déterminée, si celle-ci est égale ou inférieure à quarante-huit mois : la valeur totale pour toute leur durée ;
b) dans le cas de marchés ayant une durée indéterminée ou supérieure à quarante-huit mois : la valeur mensuelle multipliée par 48. »
7 L’article 10 de cette directive, intitulé « Exclusions spécifiques pour les marchés de services », énonce :
« La présente directive ne s’applique pas aux marchés publics de services ayant pour objet :
[...]
g) les contrats d’emploi ;
[...] »
Le droit autrichien
8 L’article 1er du Bundesvergabegesetz 2006 (loi fédérale de 2006 relative à la passation des marchés publics) (BGBl. I, 17/2006), dans sa version publiée au BGBl. I, 7/2016 (ci-après le « BVergG 2006 »), énonce :
« 1. La présente loi fédérale régit en particulier
les procédures de passation de marchés de prestations dans le secteur public (procédure de passation de marchés publics), à savoir la passation de marchés publics d’exécution de travaux, de fourniture de produits ou de prestation de services ainsi que la passation de contrats de concession de travaux et de services par des pouvoirs adjudicateurs, les concours organisés par des pouvoirs adjudicateurs, la passation de marchés publics de travaux avec des tiers par des concessionnaires de travaux qui
ne sont pas des pouvoirs adjudicateurs et la passation de marchés publics de travaux et de services qui ne sont pas passés par des pouvoirs adjudicateurs, mais qui sont subventionnés par ceux-ci (2e partie),
[...] »
9 L’article 10 du BVergG 2006, portant sur les procédures de passation exclues du champ d’application de cette loi, dispose :
« La présente loi fédérale ne s’applique pas :
[...]
12. aux contrats d’emploi.
[...] »
10 L’article 12 de ladite loi, relatif aux valeurs des seuils, prévoit :
« (1) Dans la passation de marchés publics, les procédures des adjudicateurs se déroulent au-dessus du seuil lorsque la valeur estimée du marché
[...]
2. s’élève à 209000 euros dans tous les autres marchés de fournitures et de services ;
[...] »
11 Le calcul de la valeur estimée du marché dans les marchés de services est précisé à l’article 16 de la même loi de la manière suivante :
« 1. Dans les marchés portant sur les services suivants, on retiendra :
1. services d’assurance : la prime payable et les autres modes de rémunération ;
2. services bancaires et autres services financiers : les honoraires, les commissions payables, les intérêts et les autres modes de rémunération analogues ;
[...]
2. Dans les marchés de services n’indiquant aucun prix global, on retiendra comme valeur estimée du marché :
[...]
2. Marchés à durée indéterminée ou supérieure à quarante-huit mois, 48 fois la rémunération mensuelle à verser.
[...] »
12 L’article 3 du betriebliches Mitarbeiter- und Selbstständigenvorsorgegesetz (loi relative au régime de prévoyance applicable aux salariés et aux travailleurs indépendants) (BGBl. I, 100/2002), dans sa version publiée au BGBl. I, 34/2005 (ci-après le « BMSVG »), dispose :
« Aux fins de la présente loi fédérale, on entend par :
[...]
3. Droits acquis à l’indemnité de départ : les droits d’un ayant droit gérés par une caisse ; ceux-ci sont constitués
– des cotisations d’indemnité de départ versées à cette caisse sous déduction des frais administratifs ou à tout le moins les droits acquis à l’indemnité de départ pour vieillesse transférés à cette caisse sous déduction des frais administratifs retenus, à majorer ;
– des intérêts moratoires éventuellement versés à la caisse pour les cotisations d’indemnité de départ ou pour des droits à une indemnité de départ pour vieillesse, à majorer ;
– à tout le moins de droits acquis à indemnité de départ éventuellement transférés à cette caisse par une autre caisse, à majorer ;
– des produits de placement obtenus.
[...] »
13 L’article 9, paragraphes 1 et 2, du BMSVG :
« 1. Le choix de la caisse doit intervenir dans le délai par une convention d’entreprise au titre de l’article 97, paragraphe 1, point 1b, de l’Arbeitsverfassungsgesetz (loi sur les relations de travail) [...]
2. Pour les travailleurs qui ne sont pas représentés par un comité d’entreprise, l’employeur doit choisir en temps utile la caisse professionnelle de prévoyance, à moins que l’employeur n’ait déjà été obligé de choisir une caisse professionnelle de prévoyance conformément à l’article 53, paragraphe 1, ou n’ait déjà choisi une caisse professionnelle de prévoyance conformément à l’article 65, paragraphe 1, et conclu une convention d’affiliation. Tous les employés doivent être informés par écrit
dans un délai d’une semaine de la sélection prévue de la caisse professionnelle de prévoyance. Si au moins un tiers des salariés s’oppose par écrit à la sélection envisagée dans un délai de deux semaines, l’employeur doit proposer une autre caisse professionnelle de prévoyance. [...] »
14 L’article 11 du BMSVG prévoit que la convention d’affiliation sera conclue entre la caisse professionnelle de prévoyance et l’employeur qui s’affilie.
15 L’article 18 du BMSVG définit la caisse professionnelle de prévoyance comme étant celle qui est habilitée à recueillir des cotisations d’indemnité de départ et des cotisations de prévoyance de travailleurs non salariés. Cet article prévoit également que les cotisations d’indemnité de départ versées à la caisse sont la propriété de celle-ci qui les détient et les gère à titre fiduciaire pour les ayants droit.
16 L’article 26 du BMSVG, intitulé « Frais administratifs », dispose :
« 1. Les caisses sont habilitées à déduire des frais administratifs des cotisations d’indemnité de départ recueillies. Ces frais administratifs doivent être fixés pour tous les cotisants d’une caisse à un taux compris entre 1 et 3,5 % des cotisations d’indemnité de départ.
[...]
3. Pour le placement des avoirs constitués au titre de l’indemnité de départ, les caisses sont habilitées
[...]
2. à retenir sur les rendements des placements une indemnité pour la gestion des avoirs qui ne peut pas excéder par exercice 1 % et à partir du 1er janvier 2005 0,8 % par exercice des avoirs constitués au titre de l’indemnité de départ [...] »
17 L’article 27a du BMSVG organise une procédure de désignation d’une caisse lorsque l’employeur n’a pas encore conclu de convention d’affiliation avec une caisse, dans le délai de six mois au plus à compter du début de la relation de travail du travailleur pour lequel l’employeur doit verser pour la première fois des cotisations. Il appartient à l’organisme d’assurance maladie compétent d’enjoindre à l’employeur de choisir une caisse dans un délai de trois mois, à défaut de quoi, l’employeur se
verra désigner une caisse.
18 L’article 29 de l’Arbeitsverfassungsgesetz (loi sur les relations de travail) (BGBl. 22/1974), dans sa version publiée au BGBl. I, 71/2013, définit l’accord d’entreprise de la manière suivante :
« Les accords d’entreprise sont des conventions écrites conclues par le propriétaire de l’entreprise, d’une part, et le comité d’entreprise [...], d’autre part, dans des matières dont une loi ou une convention collective réserve le règlement à un accord d’entreprise. »
19 L’article 97 de la loi sur les relations de travail, dans sa version publiée au BGBl. I, 71/2013, prévoit que les accords d’entreprise visés à l’article 29 de cette loi peuvent être conclus pour le choix de la caisse de prévoyance du personnel.
Le litige au principal et la question préjudicielle
20 En tant qu’employeurs, les sociétés en cause sont tenues en vertu du BMSVG de transférer, pour leur personnel, une cotisation équivalant à 1,53 % de la rémunération mensuelle à une caisse de prévoyance d’entreprise (ci-après la « caisse de prévoyance ») qui gère et place les montants ainsi versés. À cet effet, l’article 11 du BMSVG exige que la caisse de prévoyance et l’employeur qui s’affilie à celle-ci signent une convention d’affiliation. Ainsi, au terme de sa relation de travail, le
travailleur se voit attribuer par cette caisse, une indemnité de départ représentant, en substance, les cotisations versées, majorées du produit des placements réalisés et minorées des frais administratifs prélevés par ladite caisse.
21 En effet, en contrepartie de son activité de gestion et de placement des cotisations perçues, la caisse de prévoyance est autorisée, en vertu de l’article 26 du BMSVG, d’une part, à déduire des frais administratifs desdites cotisations et, d’autre part, à prélever une indemnité de gestion sur les produits des placements réalisés.
22 Jusqu’à l’année 2016, une convention d’affiliation unissait chacune des sociétés en cause à Allianz. Au mois de février 2016, ces dernières ont publié un avis, au niveau national, annonçant l’ouverture d’une procédure de sélection en vue d’un éventuel changement de caisse de prévoyance. Le marché, qui mentionnait les sociétés en cause, portait sur la conclusion d’une convention d’affiliation ainsi que sur le transfert des droits acquis à indemnité de départ à la nouvelle caisse.
23 Allianz et fair-finance ont présenté une offre.
24 Le 17 juin 2016, les sociétés en cause ont annoncé leur intention d’attribuer ce marché à fair-finance.
25 À la suite de la demande d’annulation de la décision d’attribution dudit marché, formulée par Allianz le 24 juin 2016, les sociétés en cause ont retiré cette décision le 29 juin 2016 et ont, le 8 juillet 2016, procédé au retrait de la procédure de passation de marché ouverte au mois de février 2016.
26 Dans le même temps, chacune des sociétés en cause a conclu, le 29 juin 2016, une convention d’affiliation avec fair-finance avant de résilier, le 30 juin 2016, avec effet au 31 décembre 2016, chacune des conventions d’affiliation passées avec Allianz.
27 Le 29 juillet 2016, Allianz a saisi le Bundesverwaltungsgericht (tribunal administratif fédéral, Autriche) d’un recours tendant à ce que celui-ci constate l’illégalité de la conclusion de la convention d’affiliation avec fair-finance par les sociétés en cause, sans publicité préalable et sans divulgation de la décision d’attribution. Au soutien de ce recours, Allianz a fait valoir que la conclusion des conventions en cause était soumise au BVergG 2006.
28 Le 14 septembre 2016, le Bundesverwaltungsgericht (tribunal administratif fédéral) a rejeté ledit recours.
29 Allianz a introduit un recours en Revision contre la décision rejetant le même recours devant le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative, Autriche).
30 Cette dernière juridiction s’interroge, à plusieurs titres, sur l’applicabilité, à la conclusion des conventions en cause au principal, des règles de l’Union relatives aux marchés publics, à savoir la directive 2014/24 et les règles fondamentales issues du traité FUE.
31 En premier lieu, ladite juridiction éprouve des doutes quant au fait qu’une convention d’affiliation telle que celles en cause au principal puisse relever de la dérogation relative au « contrat d’emploi », prévue à l’article 10, sous g), de la directive 2014/24, dès lors que, pour l’accomplissement de sa prestation de gestion et de placement des cotisations, la caisse de prévoyance ne serait pas liée à l’employeur des salariés concernés par un lien de subordination. Cette interprétation serait
confortée par l’arrêt du 15 juillet 2010, Commission/Allemagne (C‑271/08, EU:C:2010:426), dans lequel la Cour aurait jugé qu’une convention passée entre un employeur et une entreprise d’assurances, au sujet d’une assurance vieillesse d’entreprise, ne saurait être couverte par cette dérogation.
32 En deuxième lieu, la juridiction de renvoi considère que les activités de collecte et de placement des cotisations afférentes aux indemnités de départ devraient, pour les trois motifs suivants, être qualifiées d’opérations bancaires et non d’activités d’assurance. Premièrement, la réglementation nationale exigerait un agrément bancaire pour l’exercice d’activités dans le domaine de la prévoyance professionnelle. Deuxièmement, dans le cadre de ces activités, à la différence d’une entreprise
d’assurances, la caisse de prévoyance n’assumerait aucun risque. Troisièmement la seule contre-prestation de l’employeur se concrétiserait par le prélèvement, par cette caisse, de frais administratifs, les cotisations versées mensuellement à cette dernière par l’employeur étant non pas une contre-prestation, mais un capital à gérer. Partant, prenant pour assiette de calcul les frais administratifs retenus par la caisse de prévoyance à titre de rémunération, la juridiction de renvoi conclut que la
valeur du marché s’élève à 174000 euros et qu’elle n’atteint pas, par conséquent, le seuil fixé, pour les marchés publics de services à l’article 4, sous c), de la directive 2014/24.
33 En troisième lieu, la juridiction de renvoi s’interroge, dès lors, sur le point de savoir si, en l’occurrence, il y a lieu d’interpréter la directive 2014/24 ou bien les règles fondamentales et les principes généraux issus du traité. À cet égard, en se référant à l’arrêt du 5 avril 2017, Borta (C‑298/15, EU:C:2017:266), elle estime qu’il existe un intérêt certain de l’Union à ce que, pour éviter, à l’avenir, des divergences d’interprétation, cette directive fasse l’objet d’une interprétation
uniforme. En effet, elle relève que la description des opérations économiques figurant dans le BVergG 2006 est uniforme pour tous les marchés, qu’ils atteignent ou non le seuil fixé, et qu’elle s’inspire des dispositions de la directive 2014/24, ainsi que cela ressortirait de l’exposé des motifs figurant dans le projet de loi présenté en vue de l’adoption du BVergG 2006.
34 En tout état de cause, même si les seuils prescrits par la directive 2014/24 ne sont pas atteints, la juridiction de renvoi considère qu’il convient de se référer aux articles 49 et 56 TFUE, aux principes d’égalité de traitement et de non-discrimination ainsi qu’à l’obligation de transparence. À cet égard, en se référant à la jurisprudence, la juridiction de renvoi conclut à l’existence, en l’occurrence, d’un intérêt transfrontalier certain, eu égard au montant du marché, à la nature de celui-ci
et à celle de l’activité de gestion et de placement de cotisations en cause au principal, qui ne nécessite pas de présence physique de personnels.
35 En quatrième lieu, la juridiction de renvoi éprouve des doutes quant au fait que la conclusion d’une convention d’affiliation avec une caisse de prévoyance puisse être qualifiée de « passation de marché », au sens de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2014/24. Dans la mesure où le choix de cette caisse doit intervenir par un accord d’entreprise passé entre l’employeur et le personnel représenté par le comité d’entreprise, ce dernier pourrait refuser de conclure l’accord envisagé par
l’employeur en sa qualité de pouvoir adjudicateur. À défaut d’accord entre l’employeur et le comité d’entreprise, le choix de la caisse de prévoyance serait in fine effectué par un organe de conciliation ad hoc, conformément à l’article 27 bis du BMSVG.
36 Dès lors, en se référant à l’arrêt du 15 juillet 2010, Commission/Allemagne (C‑271/08, EU:C:2010:426), la juridiction de renvoi émet des doutes quant au point de savoir si le droit des marchés publics est applicable dans des circonstances telles que celles en cause au principal.
37 Dans ces conditions, il y aurait lieu soit de reconnaître la qualité de pouvoir adjudicateur au comité d’entreprise, ce qui ne serait prévu ni par le droit national ni par le droit de l’Union, soit d’admettre que l’employeur est lié par le choix de la caisse de prévoyance à l’issue de la procédure de passation, ce qui aurait pour conséquence de faire échec à l’instauration d’un dialogue social entre l’employeur et le comité d’entreprise.
38 C’est dans ce contexte que le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« Les dispositions de la directive 2014/24[...] ainsi que les articles 49 et 56 TFUE, et les principes d’égalité de traitement, de non-discrimination et de transparence qui en découlent dans la passation des marchés publics, sont-ils applicables à la conclusion, entre des pouvoirs adjudicateurs et des caisses professionnelles de prévoyance, de conventions relatives à la gestion et au placement de cotisations à caractère rémunératoire, lorsque la conclusion de la convention et, partant, le choix
de la caisse de prévoyance requièrent le consentement du personnel ou de sa représentation sans pouvoir, par conséquent, être le fait du seul pouvoir adjudicateur ? »
Sur la question préjudicielle
39 Dès lors que la question posée vise tant la directive 2014/24 que les règles fondamentales issues du traité, et afin de fournir une réponse utile à la solution du litige au principal, il convient de déterminer, à titre liminaire, les règles applicables à une convention d’affiliation telle que celles en cause au principal.
40 À cet égard, il ressort de la décision de renvoi que le marché en cause au principal est d’une valeur estimée de 174000 euros, qui est inférieure au seuil de 209000 euros, fixé à l’article 4, sous c), de la directive 2014/24. Par conséquent, cette directive n’est pas applicable à ce marché (arrêt du 5 avril 2017, Borta, C‑298/15, EU:C:2017:266, point 30 et jurisprudence citée).
41 La juridiction de renvoi considère néanmoins que la Cour demeure compétente pour statuer sur la question posée et que l’interprétation des dispositions de ladite directive est justifiée au motif que, ainsi que cela ressortirait de l’exposé des motifs du projet de loi présenté en vue de l’adoption du BVergG 2006, cette loi décrirait de manière uniforme tous les marchés, que leur valeur soit inférieure ou supérieure aux seuils, et s’inspirerait des dispositions de la directive 2014/24.
42 À cet égard, il ressort de la jurisprudence que, lorsqu’une réglementation nationale se conforme, pour les solutions qu’elle apporte à des situations non couvertes par l’acte de l’Union concerné, à celles retenues par cet acte, il existe un intérêt certain de l’Union à ce que, pour éviter des divergences d’interprétation futures, les dispositions reprises dudit acte reçoivent une interprétation uniforme (arrêt du 5 avril 2017, Borta, C‑298/15, EU:C:2017:266, point 33 et jurisprudence citée).
43 Ainsi, l’interprétation des dispositions d’un acte de l’Union dans des situations ne relevant pas du champ d’application de celui-ci se justifie lorsque ces dispositions ont été rendues applicables à de telles situations par le droit national de manière directe et inconditionnelle, afin d’assurer un traitement identique à ces situations et à celles qui relèvent de ce champ d’application (arrêt du 5 avril 2017, Borta, C‑298/15, EU:C:2017:266, point 34 et jurisprudence citée).
44 Selon les indications fournies par la juridiction de renvoi, tel ne semble cependant pas être le cas dans l’affaire au principal.
45 En effet, il ne ressort ni de la décision de renvoi ni du dossier dont dispose la Cour qu’une disposition du BVergG 2006 rendrait la directive 2014/24 directement et inconditionnellement applicable aux marchés publics dont la valeur n’atteint pas le seuil pertinent prévu à l’article 4, sous c), de cette directive.
46 Bien que l’exposé des motifs du projet de loi présenté en vue de l’adoption du BVergG 2006 renvoie à ladite directive, ce seul renvoi ne saurait suffire à établir et à caractériser le lien direct et inconditionnel requis.
47 Dès lors, il y a lieu de considérer que la juridiction de renvoi n’a pas communiqué à la Cour les éléments permettant de considérer que le législateur national a effectué un renvoi direct et inconditionnel à la directive 2014/24.
48 Il s’ensuit que, compte tenu de la valeur du marché en cause au principal, il n’y a pas lieu de répondre à la question posée au regard de la directive 2014/24.
49 Cependant, s’agissant d’un marché qui, eu égard à sa valeur, ne relève pas du champ d’application de la directive 2014/24, il convient de tenir compte des règles fondamentales et des principes généraux du traité, notamment des articles 49 et 56 TFUE, et des principes d’égalité de traitement et de non-discrimination ainsi que de l’obligation de transparence qui en découlent, pour autant que le marché concerné présente un intérêt transfrontalier certain (arrêt du 5 avril 2017, Borta, C‑298/15,
EU:C:2017:266, point 36).
50 À cet égard, un marché peut présenter un tel intérêt eu égard notamment à l’importance de son montant, en combinaison avec le lieu d’exécution des prestations, ou encore à ses caractéristiques spécifiques (voir, en ce sens, arrêts du 16 avril 2015, Enterprise Focused Solutions, C‑278/14, EU:C:2015:228, point 20, et du 19 avril 2018, Oftalma Hospital, C‑65/17, EU:C:2018:263, point 40). C’est à la juridiction de renvoi qu’il appartient d’apprécier l’existence d’un tel intérêt (voir, en ce sens,
arrêt du 10 juillet 2014, Consorzio Stabile Libor Lavori Pubblici, C‑358/12, EU:C:2014:2063, point 25).
51 En l’occurrence, la juridiction de renvoi considère que l’existence d’un intérêt transfrontalier certain est établie, en se référant, d’une part, à la valeur significative du marché, qui est proche du seuil fixé à l’article 4, sous c), de la directive 2014/24, et, d’autre part, à la nature des prestations de gestion et de placement des cotisations en cause au principal, qui ne requièrent aucune présence physique de personnels ou d’outils en Autriche, ces prestations pouvant être effectuées à
distance.
52 Il s’ensuit qu’il y a lieu de répondre à la question posée à la lumière des règles fondamentales et des principes généraux découlant du traité, notamment des articles 49 et 56 TFUE.
53 Dès lors, il y a lieu de comprendre la question posée comme portant, en substance, sur le point de savoir si les articles 49 et 56 TFUE, les principes d’égalité de traitement et de non-discrimination ainsi que l’obligation de transparence doivent être interprétés en ce sens qu’ils sont applicables à la conclusion d’une convention d’affiliation entre un employeur, organisme de droit public, et une caisse professionnelle de prévoyance, en vue de la gestion et du placement de cotisations destinées à
financer des indemnités de départ versées aux salariés de cet employeur, alors même que la conclusion d’une telle convention ne procède pas de la seule volonté de l’employeur, mais requiert le consentement soit du personnel, soit du comité d’entreprise.
54 Plus précisément, la juridiction de renvoi demande si, en l’occurrence, l’exercice d’un droit de codécision par un comité d’entreprise, conformément à l’article 9, paragraphe 1, du BMSVG, ou d’un droit d’opposition d’un tiers du personnel dans l’hypothèse où il n’existe pas de comité d’entreprise, conformément à l’article 9, paragraphe 2, de cette loi, est susceptible de soustraire la conclusion d’une convention d’affiliation telle que celles en cause au principal aux règles fondamentales issues
du traité et applicables aux marchés publics.
55 Il y a lieu de relever que le droit de codécision dont dispose le comité d’entreprise lors du choix de la caisse de prévoyance, conformément à l’article 9, paragraphe 1, du BMSVG, ainsi que le droit d’opposition d’un tiers du personnel lors de ce choix, conformément à l’article 9, paragraphe 2, de cette loi, constituent deux expressions du droit fondamental de négociation collective.
56 Or, la Cour a jugé que le caractère fondamental du droit de négociation collective, tel qu’il figure à l’article 28 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ne saurait, en tant que tel, impliquer la soustraction automatique d’un employeur au respect des règles relatives aux marchés publics issues du traité. En effet, il ne peut être considéré comme inhérent à l’exercice même du droit de négociation collective de porter atteinte aux règles fondamentales issues du traité et
relatives au domaine des marchés publics (voir, en ce sens, arrêt du 15 juillet 2010, Commission/Allemagne, C‑271/08, EU:C:2010:426, points 41 et 47).
57 Il s’ensuit que la circonstance que l’attribution d’un marché procède d’une convention collective ne conduit pas, en tant que telle, à soustraire celui-ci au champ d’application des règles applicables aux marchés publics (voir, en ce sens, arrêt du 15 juillet 2010, Commission/Allemagne, C‑271/08, EU:C:2010:426, point 50).
58 Il y a lieu de faire application de ces principes dans l’affaire au principal. En effet, l’argument selon lequel les sociétés en cause n’ont pu prendre leur décision de façon autonome, dès lors que les comités d’entreprise disposent d’un droit de codécision en vertu de l’article 9, paragraphe 1, du BMSVG et que le personnel dispose d’un droit d’opposition, conformément à l’article 9, paragraphe 2, de cette loi, ne saurait distinguer l’affaire au principal de celle ayant donné lieu à l’arrêt du
15 juillet 2010, Commission/Allemagne (C‑271/08, EU:C:2010:426), dans laquelle était en cause un régime d’assurance vieillesse. Dans cette dernière affaire, l’autonomie décisionnelle des pouvoirs adjudicateurs était remise en cause, car ces derniers, en vertu de la convention collective applicable, ne pouvaient accorder de leur plein gré une préférence à un soumissionnaire donné. En réponse à cette argumentation, la Cour a considéré qu’il était toutefois suffisant que les employeurs concernés
aient pu exercer une influence sur le choix de leur cocontractant, à tout le moins indirectement, au moyen d’une convention collective.
59 Or, en l’occurrence, il ressort des articles 9 et 11 du BMSVG que la convention d’affiliation est conclue entre l’employeur et la caisse de prévoyance, ce qui implique que l’employeur exerce une telle influence pour le choix de cette dernière.
60 Dès lors, il y a lieu de considérer que l’exercice de l’un des droits de négociation collective énoncés à l’article 9 du BMSVG ne saurait soustraire un pouvoir adjudicateur, tel que celui en cause au principal, à son obligation de respecter les règles fondamentales issues du traité, au nombre desquelles figure en particulier l’obligation de transparence résultant des articles 49 et 56 TFUE.
61 Or, l’obligation de transparence exige de la part du pouvoir adjudicateur un degré de publicité adéquate, permettant, d’une part, une ouverture à la concurrence et, d’autre part, le contrôle de l’impartialité de la procédure d’attribution (arrêt du 17 décembre 2015, UNIS et Beaudout Père et Fils, C‑25/14 et C‑26/14, EU:C:2015:821, point 39).
62 Il importe, ainsi, que les règles relatives à la procédure d’attribution soient appliquées de manière transparente à tous les soumissionnaires. En effet, l’obligation de transparence, qui est un corollaire du principe d’égalité, a essentiellement pour but d’assurer que tout opérateur intéressé puisse décider de soumissionner, dans le cadre d’appels d’offres, sur le fondement de l’ensemble des informations pertinentes, et de garantir l’absence de risque de favoritisme et d’arbitraire de la part du
pouvoir adjudicateur. Elle implique que toutes les conditions et les modalités de la procédure d’attribution soient formulées de manière claire, précise et univoque, de façon, d’une part, à permettre à tous les soumissionnaires raisonnablement informés et normalement diligents d’en comprendre la portée exacte et de les interpréter de la même manière et, d’autre part, à encadrer le pouvoir discrétionnaire du pouvoir adjudicateur et de mettre celui-ci en mesure de vérifier effectivement si les
offres des soumissionnaires correspondent aux critères régissant la procédure en cause (voir, en ce sens, arrêts du 4 février 2016, Ince, C‑336/14, EU:C:2016:72, point 87, et du 22 juin 2017, Unibet International, C‑49/16, EU:C:2017:491, point 46).
63 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que les articles 49 et 56 TFUE, les principes d’égalité de traitement, de non-discrimination et l’obligation de transparence doivent être interprétés en ce sens qu’ils sont applicables à la conclusion d’une convention d’affiliation passée entre un employeur, organisme de droit public, et une caisse professionnelle de prévoyance, en vue de la gestion et du placement de cotisations destinées à
financer des indemnités de départ versées aux salariés de cet employeur, alors même que la conclusion d’une telle convention ne procède pas de la seule volonté dudit employeur, mais requiert le consentement soit du personnel, soit du comité d’entreprise.
Sur les dépens
64 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) dit pour droit :
Les articles 49 et 56 TFUE, les principes d’égalité de traitement, de non-discrimination et l’obligation de transparence doivent être interprétés en ce sens qu’ils sont applicables à la conclusion d’une convention d’affiliation passée entre un employeur, organisme de droit public, et une caisse professionnelle de prévoyance, en vue de la gestion et du placement de cotisations destinées à financer des indemnités de départ versées aux salariés de cet employeur, alors même que la conclusion d’une
telle convention ne procède pas de la seule volonté dudit employeur, mais requiert le consentement soit du personnel, soit du comité d’entreprise.
Signatures
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.