ARRÊT DE LA COUR (première chambre)
3 avril 2019 (*)
« Pourvoi – Fonction publique – Agent contractuel – Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) – Rapport d’évaluation –Exercice d’évaluation 2011 – Demande d’annulation de la décision clôturant le rapport d’évaluation »
Dans l’affaire C‑139/18 P,
ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 21 février 2018,
CJ, représenté par M^e V. Kolias, dikigoros,
partie requérante,
l’autre partie à la procédure étant :
Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC), représenté par M^mes J. Mannheim et A. Daume, en qualité d’agents, assistées de M^es D. Waelbroeck et A. Duron, avocats,
partie défenderesse en première instance,
LA COUR (première chambre),
composée de M. J.‑C. Bonichot (rapporteur), président de chambre, M^me C. Toader, MM. A. Rosas, L. Bay Larsen et M. Safjan, juges,
avocat général : M^me E. Sharpston,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 Par son pourvoi, CJ demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 13 décembre 2017, CJ/ECDC (T‑602/16, non publié, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2017:893), par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant à l’annulation de la décision de l’évaluateur d’appel du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC), du 21 septembre 2015, rendant définitif le rapport d’évaluation du requérant pour l’année 2011 (ci-après la « décision litigieuse »).
Le cadre juridique
2 L’article 29, paragraphe 1, du règlement (CE) n^o 851/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 21 avril 2004, instituant un Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (JO 2004, L 142, p. 1), dispose :
« Le personnel [de l’ECDC] est soumis aux dispositions applicables aux fonctionnaires et aux autres agents [de l’Union européenne] ».
3 L’article 43 du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci‑après le « statut ») dispose :
« La compétence, le rendement et la conduite dans le service de chaque fonctionnaire font l’objet d’un rapport périodique établi au moins tous les deux ans, dans les conditions fixées par chaque institution conformément à l’article 110. Chaque institution arrête des dispositions prévoyant le droit de former, dans le cadre de la procédure de notation, un recours qui s’exerce préalablement à l’introduction d’une réclamation conformément à l’article 90, paragraphe 2.
[...]
Ce rapport est communiqué au fonctionnaire. Celui-ci a la faculté d’y joindre toutes observations qu’il juge utiles. »
4 Aux termes de l’article 15, paragraphe 2, du règlement applicable aux autres agents de l’Union européenne (ci-après le « RAA »), « [l]es dispositions de l’article 43 du statut concernant la notation sont applicables par analogie. »
5 Aux termes de l’article 87, paragraphe 1, du RAA :
« L’article 43, premier alinéa, du statut concernant l’évaluation s’applique par analogie aux agents contractuels visés à l’article 3 bis engagés pour une période égale ou supérieure à un an. »
6 L’article 1^er du règlement d’exécution n^o 20 sur les évaluations, adopté par le directeur de l’ECDC le 17 avril 2009 sur la base de l’article 15, paragraphe 2, et de l’article 87, paragraphe 1, du RAA ainsi que de l’article 43 du statut (ci-après le « règlement d’exécution »), prévoit :
« 1. Conformément à l’article 43 du statut [ainsi qu’à l’article] 15, paragraphe 2, et [à l’article] 87, paragraphe 1, du [RAA] :
Un exercice d’évaluation est organisé au début de chaque année. La période de référence de l’exercice d’évaluation s’étend du 1^er janvier au 31 décembre de chaque année. Tous les agents temporaires et contractuels qui étaient en service pour une période continue d’au moins un mois dans l’année de référence sont évalués.
À cet effet, un rapport annuel, dénommé “rapport d’évaluation”, est établi pour chaque membre du personnel [...] et couvre la période de référence.
[...]
2. La procédure d’évaluation a notamment pour objet d’évaluer le rendement, les compétences et la conduite dans le service du titulaire du poste.
[...]
4. Il n’est pas nécessaire d’établir un rapport d’évaluation pour les agents ayant quitté l’ECDC pendant l’année de référence ou qui le quitteront l’année suivante à moins qu’ils ne le demandent expressément. »
7 L’article 2 du règlement d’exécution dispose :
« 1. Le titulaire du poste est le membre du personnel qui fait l’objet de l’évaluation.
2. L’évaluateur effectue l’évaluation. À l’issue du dialogue prévu par l’article 8, paragraphe 4, l’évaluateur établit un projet de rapport.
3. Le validateur s’assure que les normes d’évaluation définies par l[’ECDC] sont appliquées de manière cohérente. En cas de désaccord avec l’évaluateur, le validateur est responsable en dernier ressort du rapport.
4. L’évaluateur d’appel décide de suivre ou non l’avis émis par le comité paritaire chargé des évaluations.
[...] »
8 Aux termes de l’article 3 de ce règlement :
« 1. En règle générale, l’évaluateur est le supérieur hiérarchique direct du titulaire du poste (chef de section, chef d’unité ou directeur), le validateur est le chef d’unité et l’évaluateur d’appel est le directeur du Centre.
2. Si le supérieur direct est le chef d’unité ou le directeur, le validateur est le chef de la section des ressources humaines.
3. Le directeur du Centre peut déléguer la fonction d’évaluateur d’appel à un membre de l’équipe de direction (c’est-à-dire le comité exécutif).
Si le directeur est l’évaluateur, le président du conseil d’administration est l’évaluateur d’appel.
[...] »
9 L’article 8 du règlement d’exécution, intitulé « Procédure d’évaluation », énonce :
« [...]
2. Après avoir été établies, les normes d’évaluation définies dans le guide d’évaluation (calendrier/définition des critères d’évaluation) sont notifiées aux membres du personnel de l’ECDC et appliquées par les évaluateurs et les validateurs.
3. Le titulaire du poste établit, dans les cinq jours ouvrables suivant la réception de la demande de l’évaluateur à cet effet, une autoévaluation qui est intégrée dans le rapport d’évaluation.
4. Dans les dix jours ouvrables suivant la communication de l’autoévaluation par le titulaire du poste, l’évaluateur et celui-ci tiennent un dialogue formel. Ce dialogue constitue un des devoirs de gestion fondamentaux qui incombent à l’évaluateur.
[...]
Ce dialogue porte sur trois éléments : à la lumière de l’autoévaluation mentionnée au paragraphe 3, l’évaluation du rendement/de l’efficacité du titulaire du poste pendant la période de référence, l’établissement d’objectifs pour l’année suivante et la prévision de formations.
En tenant compte de l’autoévaluation, l’évaluateur examine, avec le titulaire du poste, le rendement de ce dernier, les compétences dont il a fait preuve et sa conduite dans le service pendant la période de référence.
[...]
5. Immédiatement après la tenue du dialogue formel, l’évaluateur établit un projet de rapport d’évaluation, qui comporte les évaluations sur son rendement, ses compétences et sa conduite dans le service, et qui sera cohérent avec les indications données pendant le dialogue formel.
6. Le directeur, après concertation avec les validateurs, veille à s’assurer que, au sein de l’ECDC, dans chaque groupe de fonctions et chaque grade, les mérites des titulaires des postes concernés ont été évalués de manière cohérente.
7. À l’issue de la concertation visée au paragraphe 6, l’évaluateur et le validateur finalisent chaque rapport d’évaluation et le communiquent au titulaire du poste.
[...]
8. Le titulaire du poste dispose de cinq jours ouvrables pour accepter le rapport sans y faire d’observations, l’accepter après y avoir ajouté des observations dans la rubrique prévue à cet effet ou pour refuser le rapport, en énonçant dans la rubrique prévue à cet effet les motifs pour lesquels il demande un réexamen du rapport.
S’il l’accepte, le rapport d’évaluation est rendu définitif. Si le titulaire du poste ne réagit pas pendant le délai applicable, il est réputé avoir accepté le rapport.
9. Si le titulaire du poste refuse d’accepter le rapport d’évaluation, un dialogue est tenu entre celui-ci et le validateur dans les dix jours ouvrables. À la demande du titulaire du poste, de l’évaluateur ou du validateur, l’évaluateur peut également participer au dialogue.
[...]
Dans les cinq jours ouvrables au plus tard suivant ce dialogue, le validateur confirme ou amende le rapport. Il transmet le rapport au titulaire du poste.
Le titulaire du poste dispose de dix jours ouvrables pour accepter le rapport sans y faire d’observations, l’accepter après y avoir ajouté des observations dans la rubrique prévue à cet effet ou pour refuser de l’accepter, en indiquant les motifs de ce refus dans la rubrique prévue à cet effet. S’il l’accepte, le rapport d’évaluation est rendu définitif. [...]
10. Le refus motivé du titulaire du poste d’accepter le rapport entraîne la saisine automatique du comité paritaire, visé à l’article 9.
[...]
12. Les délais visés dans le présent article sont calculés à partir de la date de la signification de la décision concernée à la personne concernée. [...]
13. Le titulaire du poste se voit signifier par courriel ou tout autre moyen que la décision rendant le rapport final a été adoptée [...] Cette signification constitue une communication, au sens des articles 11 et 92 du RAA et de l’article 25 du statut. »
10 Aux termes de l’article 9 du règlement d’exécution, intitulé « Comité paritaire pour les évaluations » :
« [...]
4. Le comité paritaire ne prend pas la place de l’évaluateur ou du validateur pour ce qui est de l’évaluation du rendement du titulaire du poste. Il vérifie que les rapports ont été établis équitablement et objectivement, c’est-à-dire, dans la mesure du possible, sur la base d’éléments factuels et conformément aux présentes dispositions d’exécution et au guide d’évaluation. Il vérifie notamment que la procédure prévue à l’article 8 a été respectée. À cet effet, il mène les consultations
nécessaires et dispose de tous les documents de travail susceptibles de l’aider dans l’accomplissement de ses tâches.
[...]
5. Le comité paritaire émet un avis, lorsque cela lui est demandé en vertu de l’article 8, paragraphe 10, dans les dix jours ouvrables à compter du moment où il est saisi.
[...]
7. L’avis du comité paritaire est communiqué au titulaire du poste, à l’évaluateur, au validateur et à l’évaluateur d’appel. À la suite du vote, le comité paritaire indique les avis majoritaires et minoritaires exprimés.
[...]
L’évaluateur d’appel confirme ou amende le rapport dans un délai de cinq jours ouvrables. Si l’évaluateur d’appel s’écarte des recommandations figurant dans l’avis du comité paritaire, il ou elle indique les raisons de cette décision. [...]
Le rapport est ensuite rendu définitif et communiqué à la personne concernée, à l’évaluateur, au validateur et au comité paritaire. »
11 L’article 10 du règlement d’exécution énonce :
« Une réclamation ne saurait être présentée en vertu de l’article 90, paragraphe 2, du statut de même qu’une affaire ne saurait être portée devant le Tribunal de la fonction publique [de l’Union européenne] tant qu’un rapport n’a pas été rendu définitif. »
Les antécédents du litige
12 CJ a été recruté par l’ECDC le 1^er janvier 2010 en tant qu’agent contractuel, pour une durée de cinq ans, comme « assistant juridique » au sein de la section « Affaires juridiques et marchés publics » de l’unité « Gestion des ressources et coordination » de ce centre.
13 Le 16 janvier 2012, l’ECDC a lancé la procédure de notation pour l’année 2011.
14 Le 24 février 2012, il a été mis fin au contrat du requérant, avec effet au 1^er mai 2012. La procédure de notation de l’intéressé a été clôturée sans qu’un rapport d’évaluation ait été établi.
15 Sur la recommandation du Médiateur européen, que CJ avait saisi d’une plainte, l’ECDC a repris la procédure d’évaluation. Dans le rapport d’évaluation établi par M^me A., le 12 août 2014, le requérant a fait l’objet de la notation globale la plus basse, à savoir « inacceptable au regard du niveau requis pour le personnel de l’agence », cette notation se situant à l’opposé de la notation « supérieur au niveau requis pour le poste occupé » qui lui avait été attribuée dans un rapport du
15 avril 2011 établi au titre de l’année de référence précédente.
16 CJ ayant contesté cette évaluation, le comité paritaire de l’ECDC (ci‑après le « comité paritaire ») a rendu un avis rejetant la contestation de l’intéressé comme irrecevable, puis l’évaluateur d’appel a, par une décision du 26 novembre 2014, confirmé le rapport d’évaluation établi par M^me A.
17 CJ ayant formé une réclamation contre cette décision, l’ECDC a retiré celle-ci le 5 juin 2015. Le comité paritaire a émis un nouvel avis le 11 septembre 2015, par lequel il a rejeté la contestation par CJ de son rapport d’évaluation comme non fondée. Par la décision litigieuse, M. C., chef d’unité, a confirmé définitivement le rapport d’évaluation de CJ.
18 Par ailleurs, saisi par CJ, le Tribunal de la fonction publique a prononcé, par un arrêt du 29 avril 2015, CJ/ECDC (F‑159/12 et F‑161/12, EU:F:2015:38), l’annulation du licenciement de l’intéressé, au motif que son droit à être entendu avait été méconnu. Le 2 décembre 2015, l’ECDC a pris une nouvelle décision de licenciement prenant effet rétroactivement, à la date du premier licenciement de CJ. Le Tribunal a rejeté le recours formé par CJ contre son second licenciement par un arrêt du
13 décembre 2017 (CJ/ECDC, T‑692/16, non publié, EU:T:2017:894), qui fait l’objet d’un pourvoi devant la Cour, dans l’affaire C‑170/18, pendante à la date du prononcé du présent arrêt.
Le recours devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
19 Par une requête parvenue au greffe du Tribunal de la fonction publique le 23 juin 2016, CJ a demandé l’annulation de la décision litigieuse.
20 En application de l’article 3 du règlement (UE, Euratom) 2016/1192 du Parlement européen et du Conseil, du 6 juillet 2016, relatif au transfert au Tribunal de la compétence pour statuer, en première instance, sur les litiges entre l’Union européenne et ses agents (JO 2016, L 200, p. 137), l’affaire a été transférée au Tribunal dans l’état où elle se trouvait à la date du 31 août 2016.
21 Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté le recours dont il était saisi.
Les conclusions des parties devant la Cour
22 Par son pourvoi, CJ demande à la Cour d’annuler l’arrêt attaqué, d’annuler la décision litigieuse et de condamner l’ECDC aux dépens afférents à la procédure de première instance et à celle de pourvoi.
23 L’ECDC conclut au rejet du pourvoi et à la condamnation de CJ aux dépens.
Sur le pourvoi
Sur la recevabilité
Argumentation des parties
24 L’ECDC demande à la Cour de déclarer irrecevables les « observations préliminaires » figurant dans le pourvoi, par lesquelles CJ, d’une part, invoque l’illégalité de certaines nominations intervenues au sein de l’ECDC ainsi que, plus généralement, l’illégalité du système de recrutement des agents, utilisé par ce centre, au moyen des contrats‑cadres de services et, d’autre part, rappelle sa disponibilité, manifestée devant le Tribunal, de procéder à la solution amiable de l’ensemble des
litiges opposant les parties.
Appréciation de la Cour
25 L’ECDC demande à la Cour de rejeter comme irrecevables les « observations préliminaires » présentées par CJ dans sa requête. Il ressort toutefois de la lecture du pourvoi que les considérations exposées sous cet intitulé ne comportent ni conclusions ni moyens et tendent uniquement à expliciter le contexte général du litige tel qu’apprécié par CJ. Dans ces conditions, la Cour ne saurait en constater l’irrecevabilité, laquelle serait au demeurant dépourvue de toute portée.
26 Les fins de non-recevoir partielles soulevées par l’ECDC doivent donc être écartées.
Sur le fond
Argumentation des parties
27 En premier lieu, CJ reproche au Tribunal d’avoir interprété de façon erronée l’article 3, paragraphe 1, du règlement d’exécution, lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 3, de ce règlement, dans la mesure où il a jugé, aux points 28 et 29 de l’arrêt attaqué, que l’évaluateur d’appel ne devait pas nécessairement être le président du conseil d’administration de l’ECDC (ci-après le « conseil d’administration ») lorsque l’évaluateur était devenu le directeur de ce centre après la fin de
la période d’évaluation, comme c’était le cas en l’espèce.
28 En deuxième lieu, le requérant soutient que l’évaluateur d’appel doit occuper un rang supérieur à celui de l’évaluateur, de manière à ce que l’examen de l’appel se déroule avec l’impartialité nécessaire. L’essence du terme « appel » impliquerait que celui-ci doit donner lieu à une décision prise par une entité ayant un rang supérieur à celui de l’évaluateur.
29 En troisième lieu, le Tribunal aurait commis une erreur dans la qualification juridique des faits en admettant, au point 33 de l’arrêt attaqué, qu’il était improbable, en toute hypothèse, que le président du conseil d’administration, même s’il avait été l’évaluateur d’appel, eût rendu une décision favorable au requérant. Un tel raisonnement rendrait inutile la garantie procédurale que constitue l’intervention de l’évaluateur d’appel.
30 En quatrième lieu, le Tribunal aurait mal interprété, voire dénaturé, les termes du recours en annulation dont il était saisi, en jugeant, audit point 33, que le requérant n’avait pas remis en cause la neutralité de l’évaluateur d’appel à son égard. Sur ce point, le requérant fait valoir qu’il avait soutenu, au contraire, que ce dernier ne disposait pas de l’indépendance requise envers l’évaluateur, dès lors que ce dernier était son supérieur hiérarchique et le responsable de sa propre
évaluation annuelle.
31 L’ECDC estime que le règlement d’exécution ne vise pas à régir une situation « exceptionnelle » telle que celle en cause, dans laquelle le rapport d’évaluation a été rédigé plus de deux ans après le licenciement de l’agent et à un moment où la plupart des acteurs de la procédure d’évaluation avaient également quitté l’ECDC. Il souligne que M^me A. n’a fait fonction de directeur de l’ECDC qu’à compter du 1^er mai 2015 et qu’elle n’était donc pas encore chargée de cette fonction le 12 août
2014, lorsqu’elle a procédé à l’évaluation du requérant. M^me A. aurait rédigé le rapport d’évaluation contesté en sa qualité de responsable hiérarchique directe du requérant pendant la majeure partie de l’année 2011. Dès lors que l’évaluateur du requérant n’était pas le directeur de l’ECDC, l’article 3, paragraphe 3, deuxième alinéa, du règlement d’exécution n’aurait pas été applicable en l’espèce.
32 L’ECDC rappelle que M^me A. faisait fonction de directrice de l’ECDC lorsque le comité paritaire a procédé, au mois de septembre 2015, à un nouvel examen du recours formé par le requérant contre son évaluation. C’est pour cette raison qu’elle aurait délégué le rôle d’évaluateur d’appel à un membre de l’équipe de direction, conformément à l’article 3, paragraphe 3, du règlement d’exécution. La prétendue absence de neutralité de l’évaluateur d’appel à l’égard de CJ ne pourrait être simplement
déduite du fait que l’évaluateur était le supérieur hiérarchique de l’évaluateur d’appel. Si CJ estime que le président du conseil d’administration aurait dû être l’évaluateur d’appel, il ne fournirait aucune preuve selon laquelle celui-ci se serait livré à une appréciation différente de celles de l’évaluateur et du validateur. En se référant à l’arrêt du 9 octobre 2013, Wahlström/Frontex (F‑116/12, EU:F:2013:143, point 40), l’ECDC ajoute que, pour qu’une irrégularité procédurale puisse aboutir à
l’annulation d’un acte, il est nécessaire que, en l’absence d’irrégularité, la procédure ait pu aboutir à un résultat différent. Or, dans les circonstances de l’espèce, il serait improbable, ainsi que l’aurait jugé le Tribunal au point 33 de l’arrêt attaqué, que l’intervention d’un autre évaluateur d’appel eût abouti à une autre décision.
Appréciation de la Cour
33 Le requérant soutient que l’interprétation de l’article 3, paragraphes 1 et 3, du règlement d’exécution, retenue par le Tribunal aux points 28 et 29 de l’arrêt attaqué, est erronée.
34 Selon l’article 3, paragraphe 1, du règlement d’exécution, la tâche d’évaluateur incombe, en règle générale, au supérieur hiérarchique direct de l’agent évalué, tandis que la compétence d’évaluateur d’appel appartient au directeur de l’ECDC. En vertu de l’article 3, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement d’exécution, ce directeur peut déléguer la fonction d’évaluateur d’appel à un membre de l’équipe de direction. L’article 3, paragraphe 3, second alinéa, du règlement d’exécution énonce
que, « si le directeur est l’évaluateur, le président du conseil d’administration est l’évaluateur d’appel ».
35 Il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que, en l’espèce, l’ECDC a fait application des dispositions susmentionnées de la manière suivante. L’évaluation de CJ a été réalisée le 12 août 2014 par M^me A., alors chef de l’unité dans laquelle l’intéressé avait travaillé jusqu’au début de l’année 2012. Dans ces conditions, l’évaluateur d’appel aurait dû, en application de l’article 3, paragraphe 1, du règlement d’exécution, être le directeur de l’ECDC. Toutefois, à compter du 1^er mai
2015, M^me A. a fait fonction de directeur de l’ECDC. Par conséquent, lorsque, après le retrait de la décision de l’évaluateur d’appel du 26 novembre 2014, le comité paritaire a rendu son second avis, le 11 septembre 2015, la directrice de l’ECDC ne pouvait être l’évaluateur d’appel de CJ, sauf à priver la procédure d’appel de toute effectivité. Selon les explications fournies par l’ECDC, la directrice de celui-ci a fait alors application de la faculté, que lui reconnaissait l’article 3,
paragraphe 3, premier alinéa, du règlement d’exécution, de déléguer la fonction d’évaluateur d’appel à un membre de l’équipe de direction et a désigné M. C., chef d’unité, comme évaluateur d’appel de CJ. En conséquence, le rapport d’évaluation de CJ a été rendu définitif par un évaluateur d’appel qui, à la date à laquelle cette décision a été prise, était le subordonné de l’évaluateur.
36 Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a expressément jugé que cette situation ne contredisait ni l’article 3, paragraphe 1, du règlement d’exécution ni l’article 3, paragraphe 3, de celui-ci. Le requérant soutient, en revanche, que, en vertu de ces dispositions, la fonction d’évaluateur d’appel, en ce qui le concerne, ne pouvait incomber à un subordonné de l’évaluateur et ne pouvait donc être exercée, en l’espèce, que par le président du conseil d’administration.
37 Selon la jurisprudence de la Cour, il y a lieu, pour l’interprétation de dispositions du droit de l’Union, de tenir compte non seulement des termes de celles-ci, mais également de leur contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elles font partie (voir, notamment, arrêt du 17 avril 2018, Egenberger, C‑414/16, EU:C:2018:257, point 44 et jurisprudence citée).
38 En premier lieu, le Tribunal a fait une lecture des dispositions de l’article 3 du règlement d’exécution qui n’est pas corroborée par leur interprétation littérale et systémique.
39 Premièrement, le Tribunal a retenu que l’article 3, paragraphe 3, second alinéa, du règlement d’exécution, qui donne compétence au président du conseil d’administration, était inapplicable en l’espèce, en prenant appui sur deux éléments. D’une part, le point 29 de l’arrêt attaqué souligne la durée anormalement longue du délai qui s’est écoulé entre le début et la clôture de la procédure de notation et les modifications intervenues entretemps au sein du personnel de l’ECDC. Toutefois, le
Tribunal n’explique pas pour quel motif ces circonstances rendraient inapplicable, en l’espèce, l’article 3, paragraphe 3, second alinéa, du règlement d’exécution. D’autre part, selon le point 32 de l’arrêt attaqué, la situation en cause ne correspondrait pas au cas prévu à cette disposition, dès lors que l’évaluateur n’exerçait pas les fonctions de directeur de l’ECDC lorsqu’il a établi l’évaluation, au mois d’août 2014. Toutefois, la compétence de l’évaluateur d’appel doit être appréciée à la date
à laquelle ce dernier s’est prononcé, soit au mois de septembre 2015, et non à la date à laquelle l’évaluation a été effectuée. Or, au mois de septembre 2015, l’évaluateur de CJ exerçait la fonction de directeur de l’ECDC, de telle sorte que l’évaluateur d’appel était à cette date son subordonné.
40 Deuxièmement, le Tribunal a écarté, au point 31 de l’arrêt attaqué, la position du requérant selon laquelle l’évaluateur d’appel ne pouvait pas être un subordonné de l’évaluateur. À cet égard, il convient de relever que l’article 3 du règlement d’exécution a pour objet de préciser, ainsi que l’indique expressément son intitulé, le « rang de l’évaluateur, du validateur et de l’évaluateur d’appel ». Or, le paragraphe 1 de cet article prévoit que l’évaluateur d’appel occupe un rang supérieur à
celui de l’évaluateur dans la hiérarchie de l’ECDC. Ce dernier est, « en règle générale », le supérieur hiérarchique direct de l’agent évalué, tandis qu’il revient au directeur de l’ECDC d’exercer la fonction d’évaluateur d’appel. L’article 3, paragraphe 3, second alinéa, du règlement d’exécution, qui dispose que le président du conseil d’administration est l’évaluateur d’appel si le directeur de l’ECDC est l’évaluateur, constitue la conséquence logique de la même règle générale.
41 Troisièmement, le Tribunal a jugé, au point 30 de l’arrêt attaqué, que la mission d’évaluateur d’appel avait été régulièrement déléguée par la directrice de l’ECDC à un membre de l’équipe de direction, en application de l’article 3, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement d’exécution. S’il est vrai que cette disposition ne limite pas elle-même la faculté du directeur de l’ECDC de déléguer la fonction d’évaluateur d’appel, cet article 3, paragraphe 3, premier alinéa, doit être lu à la
lumière des autres dispositions de l’article 3 du règlement d’exécution.
42 Or, d’une part, aucun élément tiré des dispositions applicables ne permet de comprendre l’article 3, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement d’exécution comme dérogeant à la règle générale relative aux positions hiérarchiques respectives de l’évaluateur et de l’évaluateur d’appel, énoncée à l’article 3, paragraphe 1, du règlement d’exécution. En particulier, si l’article 3, paragraphe 2, de celui-ci prévoit que, lorsque l’évaluateur est le directeur de l’ECDC, le validateur est le chef de
la section des ressources humaines de ce centre, soit un subordonné de ce directeur, il ne concerne toutefois pas les positions hiérarchiques respectives de l’évaluateur et de l’évaluateur d’appel. D’autre part, l’article 3, paragraphe 3, second alinéa, du règlement d’exécution retire audit directeur son pouvoir de déléguer la fonction d’évaluateur d’appel à l’un de ses subordonnés, membre de l’équipe de direction de l’ECDC, lorsqu’il est lui-même l’évaluateur. Dans ce cas, ainsi qu’il a été dit
précédemment, la fonction d’évaluateur d’appel est automatiquement confiée au président du conseil d’administration.
43 Ainsi, l’interprétation tant littérale que systémique de l’article 3, paragraphes 1 et 3, du règlement d’exécution s’oppose à ce que cette disposition soit lue comme permettant de confier l’évaluation d’appel à un subordonné de l’évaluateur.
44 En second lieu, une lecture contraire de ladite disposition irait également à l’encontre des objectifs poursuivis par la procédure de recours interne contre le rapport d’évaluation, que le règlement d’exécution prévoit. En effet, ce recours administratif ne peut contribuer à l’objectivité de l’évaluation et prévenir l’ouverture d’une procédure contentieuse que s’il offre à l’agent qui conteste son rapport d’évaluation l’assurance qu’un véritable réexamen sera effectué. Celui‑ci suppose que
l’évaluateur d’appel puisse apprécier librement le bien-fondé de la réclamation de l’agent et, le cas échéant, y faire droit en remettant en cause l’appréciation de l’évaluateur. Or, comme le fait valoir le requérant, il est permis de douter que ce soit le cas d’un évaluateur d’appel qui est le subordonné de l’évaluateur et qui, de ce fait, est lui-même évalué par ce dernier.
45 Contrairement à ce qu’a jugé le Tribunal, cette situation est contraire à la lettre ainsi qu’à l’esprit de l’article 3 du règlement d’exécution. Par conséquent, le Tribunal a commis une erreur de droit à cet égard.
46 Le directeur de l’ECDC ne pouvait donc pas, en l’espèce, déléguer, en application de l’article 3, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement d’exécution, la fonction d’évaluateur d’appel à l’un de ses subordonnés. Dès lors que cette fonction ne devait pas échoir à un subordonné du directeur de l’ECDC, elle ne pouvait incomber qu’au président du conseil d’administration, ainsi que le prévoit l’article 3, paragraphe 3, second alinéa, du règlement d’exécution. En jugeant que cette disposition
était, en l’espèce, inapplicable, le Tribunal a commis une seconde erreur de droit.
47 En conséquence, il convient d’accueillir le premier moyen du pourvoi.
48 L’arrêt attaqué doit, dès lors, être annulé, sans qu’il soit besoin d’examiner les trois autres moyens du pourvoi.
Sur le recours devant le Tribunal
49 Conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, celle-ci peut, en cas d’annulation de la décision du Tribunal, soit renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour que celui-ci statue, soit statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé.
50 En l’espèce, il y a lieu pour la Cour de statuer définitivement sur le présent litige, qui est en état d’être jugé.
51 En effet, l’erreur de droit commise par le Tribunal dans l’interprétation de l’article 3 du règlement d’exécution entache également la décision litigieuse et a été soulevée devant le Tribunal.
52 Il est vrai que l’ECDC conteste le fait que cette irrégularité soit de nature à justifier l’annulation de la décision litigieuse. Il fait valoir, en se référant aux arrêts de la Cour du 29 octobre 1980, van Landewyck e.a./Commission (209/78 à 215/78 et 218/78, non publié, EU:C:1980:248, point 47), ainsi que du 23 avril 1986, Bernardi/Parlement (150/84, EU:C:1986:167, point 28), qu’une irrégularité de procédure n’entraîne l’annulation d’une décision que s’il est établi que, en l’absence de
cette irrégularité, la décision attaquée aurait pu avoir un contenu différent.
53 Toutefois, l’erreur de droit en cause affecte la compétence même de l’auteur de la décision litigieuse et ne constitue donc pas une simple irrégularité de procédure. Elle entraîne, dès lors, par elle-même, l’annulation de la décision litigieuse.
Sur les dépens
54 Conformément à l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle-même définitivement le litige, elle statue sur les dépens.
55 L’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, dudit règlement, dispose que toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. CJ ayant conclu à la condamnation de l’ECDC aux dépens et celui-ci ayant succombé, il y a lieu de condamner ce dernier à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par CJ, afférents tant à la procédure de première instance qu’à celle de pourvoi.
Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête :
1) L’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 13 décembre 2017, CJ/ECDC (T‑602/16, non publié, EU:T:2017:893), est annulé.
2) La décision de l’évaluateur d’appel du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC), du 21 septembre 2015, rendant définitif le rapport d’évaluation de CJ pour l’année 2011 est annulée.
3) Le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies supporte, outre ses propres dépens, ceux exposés par CJ, afférents tant à la procédure de première instance qu’à celle de pourvoi.
Signatures
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
* Langue de procédure : l’anglais.