ARRÊT DE LA COUR (septième chambre)
14 mars 2019 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Sécurité sociale – Accord entre la Communauté européenne et ses États membres, d’une part, et la Confédération suisse, d’autre part, sur la libre circulation des personnes – Règlement (CE) no 883/2004 – Article 3 – Champ d’application matériel – Prélèvements sur les revenus du patrimoine d’un résident français affilié au régime de sécurité sociale suisse – Prélèvements affectés au financement de deux prestations gérées par la caisse nationale française de solidarité pour
l’autonomie – Lien direct et suffisamment pertinent avec certaines branches de la sécurité sociale – Notion de “prestation de sécurité sociale” – Appréciation individuelle des besoins personnels du demandeur – Prise en compte des ressources du demandeur dans le calcul du montant des prestations »
Dans l’affaire C‑372/18,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la cour administrative d’appel de Nancy (France), par décision du 31 mai 2018, parvenue à la Cour le 7 juin 2018, dans la procédure
Ministre de l’Action et des Comptes publics
contre
M. et Mme Raymond Dreyer,
LA COUR (septième chambre),
composée de M. T. von Danwitz, président de chambre, MM. E. Levits et C. Vajda (rapporteur), juges,
avocat général : M. M. Bobek,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour M. et Mme Dreyer, par Me J. Schaeffer, avocat,
– pour le gouvernement français, par MM. D. Colas et R. Coesme, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par MM. D. Martin et M. Van Hoof, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 3 du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO 2004, L 166, p. 1, et rectificatif JO 2004, L 200, p. 1).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant le ministre de l’Action et des Comptes publics (France) à M. et Mme Raymond Dreyer, résidents fiscaux français affiliés au régime de sécurité sociale suisse (ci-après les « époux Dreyer »), au sujet du paiement de contributions et de prélèvements auxquels ces personnes ont été assujetties au titre de l’année 2015 sur leurs revenus de capitaux mobiliers.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
L’accord sur la libre circulation des personnes
3 La Communauté européenne et ses États membres, d’une part, et la Confédération suisse, d’autre part, ont signé, le 21 juin 1999, sept accords, au nombre desquels figure l’accord sur la libre circulation des personnes (JO 2002, L 114, p. 6, ci-après l’« accord sur la libre circulation des personnes »). Par la décision 2002/309/CE, Euratom du Conseil et de la Commission, du 4 avril 2002, concernant l’accord de coopération scientifique et technologique du 4 avril 2002 relative à la conclusion de sept
accords avec la Confédération suisse (JO 2002, L 114, p. 1), ces sept accords ont été approuvés au nom de la Communauté et sont entrés en vigueur le 1er juin 2002.
4 Aux termes du préambule de l’accord sur la libre circulation des personnes, les parties contractantes sont « décidé[e]s à réaliser la libre circulation des personnes entre [elles] en s’appuyant sur les dispositions en application dans la Communauté européenne ».
5 L’article 8 de cet accord, intitulé « Coordination des systèmes de sécurité sociale », dispose :
« Les parties contractantes règlent, conformément à l’annexe II, la coordination des systèmes de sécurité sociale dans le but d’assurer notamment :
a) l’égalité de traitement ;
b) la détermination de la législation applicable ;
c) la totalisation, pour l’ouverture et le maintien du droit aux prestations, ainsi que pour le calcul de celles-ci, de toutes périodes prises en considération par les différentes législations nationales ;
d) le paiement des prestations aux personnes résidant sur le territoire des parties contractantes ;
e) l’entraide et la coopération administratives entre les autorités et les institutions. »
6 L’annexe II dudit accord, telle que modifiée par la décision no 1/2012 du comité mixte institué par le même accord, du 31 mars 2012 (JO 2012, L 103, p. 51), comprend un article 1er, libellé comme suit :
« 1. Les parties contractantes conviennent d’appliquer entre elles, dans le domaine de la coordination des systèmes de sécurité sociale, les actes juridiques de l’Union européenne auxquels il est fait référence dans la section A de la présente annexe, tels que modifiés par celle-ci, ou des règles équivalentes à ceux-ci.
2. L’expression “État(s) membre(s)” figurant dans les actes juridiques auxquels il est fait référence à la section A de la présente annexe est réputé s’appliquer, outre les États couverts par les actes juridiques pertinents de l’Union européenne, à la Suisse. »
7 La section A de cette annexe fait référence, notamment, au règlement no 883/2004.
Le règlement no 883/2004
8 L’article 3, paragraphes 1 et 3, du règlement no 883/2004 énonce :
« 1. Le présent règlement s’applique à toutes les législations relatives aux branches de sécurité sociale qui concernent :
a) les prestations de maladie ;
b) les prestations de maternité et de paternité assimilées ;
c) les prestations d’invalidité ;
d) les prestations de vieillesse ;
e) les prestations de survivant ;
f) les prestations en cas d’accidents du travail et de maladies professionnelles ;
g) les allocations de décès ;
h) les prestations de chômage ;
i) les prestations de préretraite ;
j) les prestations familiales.
[...]
3. Le présent règlement s’applique également aux prestations spéciales en espèces à caractère non contributif visées à l’article 70. »
9 L’article 11, paragraphe 1, de ce règlement prévoit :
« Les personnes auxquelles le présent règlement est applicable ne sont soumises qu’à la législation d’un seul État membre. Cette législation est déterminée conformément au présent titre. »
Le droit français
10 L’article 1600-0 F bis du code général des impôts, dans sa version applicable aux faits au principal, disposait :
« I. – Le prélèvement social sur les revenus du patrimoine est établi conformément aux dispositions de l’article L. 245-14 du code de la sécurité sociale.
[...] »
11 L’article L. 245-16 du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable aux faits au principal, énonçait :
« I. – Le taux des prélèvements sociaux mentionnés aux articles L. 245-14 et L. 245-15 est fixé à 4,5 %.
II. – Le produit des prélèvements mentionnés au I est ainsi réparti :
– une part correspondant à un taux de 1,15 % à la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie ;
[...] »
12 Aux termes de l’article L. 14-10-1 du code de l’action sociale et des familles :
« I. – La Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie a pour missions :
1° De contribuer au financement de la prévention et de l’accompagnement de la perte d’autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées, à domicile et en établissement, ainsi qu’au financement du soutien des proches aidants, dans le respect de l’égalité de traitement des personnes concernées sur l’ensemble du territoire ;
[...]
10° De contribuer au financement de l’investissement destiné à la mise aux normes techniques et de sécurité, à la modernisation des locaux en fonctionnement ainsi qu’à la création de places nouvelles en établissements et services sociaux et médico-sociaux ;
[...] »
13 L’article L. 14-10-4 de ce code est libellé comme suit :
« Les produits affectés à la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie sont constitués par :
[...]
2° Une contribution additionnelle au prélèvement social mentionné à l’article L. 245-14 du code de la sécurité sociale et une contribution additionnelle au prélèvement social mentionné à l’article L. 245-15 du même code. Ces contributions additionnelles sont assises, contrôlées, recouvrées et exigibles dans les mêmes conditions et sous les mêmes sanctions que celles applicables à ces prélèvements sociaux. Leur taux est fixé à 0,3 % ;
[...] »
14 L’article L. 232-1 dudit code prévoit :
« Toute personne âgée résidant en France qui se trouve dans l’incapacité d’assumer les conséquences du manque ou de la perte d’autonomie liés à son état physique ou mental a droit à une allocation personnalisée d’autonomie permettant une prise en charge adaptée à ses besoins.
Cette allocation, définie dans des conditions identiques sur l’ensemble du territoire national, est destinée aux personnes qui, nonobstant les soins qu’elles sont susceptibles de recevoir, ont besoin d’une aide pour l’accomplissement des actes essentiels de la vie ou dont l’état nécessite une surveillance régulière. »
15 L’article L. 232-2 du même code dispose :
« L’allocation personnalisée d’autonomie, qui a le caractère d’une prestation en nature, est accordée, sur sa demande, dans les limites de tarifs fixés par voie réglementaire, à toute personne attestant d’une résidence stable et régulière et remplissant les conditions d’âge et de perte d’autonomie, évaluée à l’aide d’une grille nationale, également définies par voie réglementaire. »
16 L’article L. 232-4 du code de l’action sociale et des familles énonce :
« L’allocation personnalisée d’autonomie est égale au montant de la fraction du plan d’aide que le bénéficiaire utilise, diminué d’une participation à la charge de celui-ci.
Cette participation est calculée et actualisée au 1er janvier de chaque année, en fonction de ses ressources déterminées dans les conditions fixées aux articles L. 132-1 et L. 132-2 et du montant du plan d’aide, selon un barème national revalorisé chaque année au 1er janvier en application de l’article L 232-3-1.
[...] »
17 L’article L. 245-1 de ce code est libellé comme suit :
« I. – Toute personne handicapée résidant de façon stable et régulière en France métropolitaine, dans les collectivités mentionnées à l’article L. 751-1 du code de la sécurité sociale ou à Saint-Pierre-et-Miquelon, dont l’âge est inférieur à une limite fixée par décret et dont le handicap répond à des critères définis par décret prenant notamment en compte la nature et l’importance des besoins de compensation au regard de son projet de vie, a droit à une prestation de compensation qui a le
caractère d’une prestation en nature qui peut être versée, selon le choix du bénéficiaire, en nature ou en espèces.
Lorsque la personne remplit les conditions d’âge permettant l’ouverture du droit à l’allocation prévue à l’article L. 541-1 du code de la sécurité sociale, l’accès à la prestation de compensation se fait dans les conditions prévues au III du présent article.
Lorsque le bénéficiaire de la prestation de compensation dispose d’un droit ouvert de même nature au titre d’un régime de sécurité sociale, les sommes versées à ce titre viennent en déduction du montant de la prestation de compensation dans des conditions fixées par décret.
[...] »
18 L’article L. 245-6 dudit code dispose :
« La prestation de compensation est accordée sur la base de tarifs et de montants fixés par nature de dépense, dans la limite de taux de prise en charge qui peuvent varier selon les ressources du bénéficiaire. Les montants maximums, les tarifs et les taux de prise en charge sont fixés par arrêtés du ministre chargé des personnes handicapées. Les modalités et la durée d’attribution de cette prestation sont définies par décret.
Sont exclus des ressources retenues pour la détermination du taux de prise en charge mentionné à l’alinéa précédent :
– les revenus d’activité professionnelle de l’intéressé ;
– les indemnités temporaires, prestations et rentes viagères servies aux victimes d’accidents du travail ou à leurs ayants droit mentionnées au 8° de l’article 81 du code général des impôts ;
– les revenus de remplacement dont la liste est fixée par voie réglementaire ;
– les revenus d’activité du conjoint, du concubin, de la personne avec qui l’intéressé a conclu un pacte civil de solidarité, de l’aidant familial qui, vivant au foyer de l’intéressé, en assure l’aide effective, de ses parents même lorsque l’intéressé est domicilié chez eux ;
– les rentes viagères mentionnées au 2° du I de l’article 199 septies du code général des impôts, lorsqu’elles ont été constituées par la personne handicapée pour elle-même ou, en sa faveur, par ses parents ou son représentant légal, ses grands-parents, ses frères et sœurs ou ses enfants ;
– certaines prestations sociales à objet spécialisé dont la liste est fixée par voie réglementaire. »
Le litige au principal et la question préjudicielle
19 Les époux Dreyer sont des ressortissants français, résidant en France et fiscalement domiciliés dans cet État membre. M. Dreyer, aujourd’hui retraité, a effectué sa carrière professionnelle en Suisse, et son épouse ainsi que lui-même sont affiliés au régime de sécurité sociale suisse.
20 Par avis de mise en recouvrement du 31 octobre 2016, confirmé par décision du 6 décembre 2016, l’administration fiscale française a assujetti les époux Dreyer, au titre de revenus du patrimoine perçus en France au cours de l’année 2015 sous forme de revenus de capitaux mobiliers, à la contribution sociale généralisée, à la contribution au remboursement de la dette sociale, au prélèvement social et à sa contribution additionnelle ainsi qu’au prélèvement de solidarité (ci-après, ensemble, les
« contributions et prélèvements en cause »). Ces derniers concourent à financer trois organismes français, à savoir le fonds de solidarité vieillesse (ci-après le « FSV »), la caisse d’amortissement de la dette sociale (ci-après la « CADES ») et la caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (ci-après la « CNSA »).
21 Considérant que les prestations gérées par le FSV, la CADES et la CNSA et financées par les contributions et prélèvements en cause étaient des prestations de sécurité sociale, les époux Dreyer ont contesté, devant le tribunal administratif de Strasbourg (France), leur assujettissement auxdits contributions et prélèvements, du fait qu’ils étaient déjà affiliés au régime de sécurité sociale suisse et qu’ils n’avaient pas à contribuer au financement du régime de sécurité sociale français, en raison
du principe d’unicité de législation sociale résultant du règlement no 883/2004. Par jugement du 11 juillet 2017, le tribunal administratif de Strasbourg a fait droit au recours des époux Dreyer en les déchargeant des contributions et prélèvements en cause.
22 Le ministre de l’Action et des Comptes publics a alors fait appel de ce jugement devant la juridiction de renvoi, la cour administrative d’appel de Nancy (France).
23 Cette dernière a tout d’abord confirmé, à l’instar du tribunal administratif de Strasbourg, qu’il convenait de décharger les époux Dreyer de la partie des contributions et prélèvements en cause affectée au FSV et à la CADES, à savoir la contribution sociale généralisée, la contribution au remboursement de la dette sociale, le prélèvement de solidarité et une partie du prélèvement social. Selon la juridiction de renvoi, cette partie des contributions et prélèvements en cause présente un lien
direct et suffisamment pertinent avec certaines branches de la sécurité sociale et est dès lors régie par le principe d’unicité de la législation, prévu à l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 883/2004. Ainsi, les époux Dreyer étant affiliés au régime de sécurité sociale suisse, ils ne sauraient être soumis en France à des contributions et des prélèvements sociaux destinés à financer le régime de sécurité sociale français, conformément à la jurisprudence issue de l’arrêt du 26 février 2015,
de Ruyter (C‑623/13, EU:C:2015:123).
24 En revanche, la juridiction de renvoi exprime des doutes quant à la question de savoir si la partie des contributions et prélèvements en cause affectée à la CNSA, à savoir une partie du prélèvement social et la contribution additionnelle, peut être considérée, elle aussi, comme finançant des prestations de sécurité sociale, au sens du règlement no 883/2004, et comme présentant ainsi un lien direct et suffisamment pertinent avec certaines branches de la sécurité sociale.
25 À cet égard, la juridiction de renvoi rappelle, en référence au point 37 de l’arrêt du 21 février 2006, Hosse (C‑286/03, EU:C:2006:125), que, en vertu d’une jurisprudence constante de la Cour, une prestation peut être considérée comme une « prestation de sécurité sociale » dans la mesure où, d’une part, elle est octroyée aux bénéficiaires en dehors de toute appréciation individuelle et discrétionnaire des besoins personnels sur la base d’une situation légalement définie et où, d’autre part, elle
se rapporte à l’un des risques expressément énumérés à l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 883/2004.
26 S’agissant des deux prestations de la CNSA financées par une partie des contributions et prélèvements en cause, à savoir l’allocation personnalisée d’autonomie (ci-après l’« APA ») et la prestation compensatoire du handicap (ci-après la « PCH »), la juridiction de renvoi estime que la seconde condition mentionnée au point précédent est remplie. En revanche, elle se demande si la première condition peut être considérée comme étant pleinement satisfaite. En effet, tout en constatant que l’APA et la
PCH sont attribuées en dehors de toute appréciation discrétionnaire des besoins personnels du demandeur sur la base d’une situation légalement définie, la juridiction de renvoi relève, en écho à l’argument soulevé par le ministre de l’Action et des Comptes publics, que l’APA et la PCH pourraient ne pas être considérées comme étant attribuées en dehors d’une appréciation individuelle des besoins personnels des bénéficiaires, du fait que leur montant dépend du niveau de ressources de ces
bénéficiaires ou varie en fonction de ces ressources.
27 Dans ces conditions, la cour administrative d’appel de Nancy a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« Les prélèvements affectés à la [CNSA], qui contribuent au financement [de l’APA et de la PCH], présentent-ils un lien direct et suffisamment pertinent avec certaines branches de la sécurité sociale énumérées à l’article 3 du règlement [no 883/2004] et entrent-ils par suite dans le champ d’application de ce règlement du seul fait que ces prestations se rapportent à l’un des risques énumérés audit article 3 et sont octroyées en dehors de toute appréciation discrétionnaire sur la base d’une
situation légalement définie ? »
Sur la question préjudicielle
28 Par sa question, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si l’article 3 du règlement no 883/2004 doit être interprété en ce sens que des prestations, telles que l’APA et la PCH, peuvent, aux fins de leur qualification de « prestations de sécurité sociale » au sens de cette disposition, être considérées comme étant octroyées en dehors de toute appréciation individuelle des besoins personnels du bénéficiaire, alors que le calcul de leur montant dépend des ressources du bénéficiaire
ou varie en fonction de ces ressources.
29 À titre liminaire, il convient d’observer que, aux termes de l’article 8 de l’accord sur la libre circulation des personnes, les parties contractantes règlent, conformément à l’annexe II dudit accord, la coordination des systèmes de sécurité sociale dans le but d’assurer, notamment, la détermination de la législation applicable et le paiement des prestations aux personnes résidant sur le territoire des parties contractantes. Or, l’annexe II, section A, point 1, de cet accord prévoit
l’application, entre les parties contractantes, du règlement no 883/2004. Ainsi, et dès lors que, selon l’article 1er, paragraphe 2, de l’annexe II dudit accord, « [l]e terme “État(s) membre(s)” figurant dans les actes juridiques auxquels il est fait référence à la section A de cette annexe est réputé s’appliquer, outre [aux] États couverts par les actes juridiques pertinents de l’Union européenne, à la Suisse », les dispositions de ce règlement couvrent également la Confédération suisse (arrêt
du 21 mars 2018, Klein Schiphorst, C‑551/16, EU:C:2018:200, point 28).
30 Dans ces conditions, la situation des requérants au principal, ressortissants d’un État membre affiliés au régime de sécurité sociale suisse, relève du champ d’application du règlement no 883/2004 (voir, par analogie, arrêt du 21 mars 2018, Klein Schiphorst, C‑551/16, EU:C:2018:200, point 29).
31 En ce qui concerne le fond de la question posée, il convient de rappeler que la distinction entre les prestations relevant du champ d’application du règlement no 883/2004 et celles qui en sont exclues repose essentiellement sur les éléments constitutifs de chaque prestation, notamment les finalités et les conditions d’octroi de celle-ci, et non pas sur le fait qu’une prestation est ou non qualifiée de prestation de sécurité sociale par la législation nationale [voir en ce sens, notamment, arrêts
du 5 mars 1998, Molenaar, C‑160/96, EU:C:1998:84, point 19 ; du 16 septembre 2015, Commission/Slovaquie, C‑433/13, EU:C:2015:602, point 70, et du 25 juillet 2018, A (Aide pour une personne handicapée), C‑679/16, EU:C:2018:601, point 31].
32 Il ressort ainsi d’une jurisprudence constante de la Cour qu’une prestation peut être considérée comme une « prestation de sécurité sociale » dans la mesure où, d’une part, elle est octroyée aux bénéficiaires en dehors de toute appréciation individuelle et discrétionnaire de leurs besoins personnels, sur la base d’une situation légalement définie, et où, d’autre part, elle se rapporte à l’un des risques énumérés expressément à l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 883/2004 [voir en ce sens,
notamment, arrêts du 27 mars 1985, Hoeckx, 249/83, EU:C:1985:139, points 12 à 14 ; du 16 septembre 2015, Commission/Slovaquie, C‑433/13, EU:C:2015:602, point 71, et du 25 juillet 2018, A (Aide pour une personne handicapée), C‑679/16, EU:C:2018:601, point 32].
33 S’agissant de la première condition mentionnée au point précédent, il y a lieu de rappeler que celle-ci est satisfaite lorsque l’octroi d’une prestation s’effectue au regard de critères objectifs qui, dès lors qu’ils sont remplis, ouvrent le droit à la prestation sans que l’autorité compétente puisse tenir compte d’autres circonstances personnelles [voir en ce sens, notamment, arrêts du 16 juillet 1992, Hughes, C‑78/91, EU:C:1992:331, point 17 ; du 16 septembre 2015, Commission/Slovaquie,
C‑433/13, EU:C:2015:602, point 73, et du 25 juillet 2018, A (Aide pour une personne handicapée), C‑679/16, EU:C:2018:601, point 34].
34 À cet égard, la Cour a déjà jugé, à propos de prestations dont l’octroi est accordé ou refusé ou dont le montant est calculé en tenant compte de celui des revenus du bénéficiaire, que l’octroi de telles prestations ne dépend pas de l’appréciation individuelle des besoins personnels du demandeur, dès lors qu’il s’agit d’un critère objectif et légalement défini qui ouvre le droit à cette prestation sans que l’autorité compétente puisse tenir compte d’autres circonstances personnelles (voir, en ce
sens, arrêts du 2 août 1993, Acciardi, C‑66/92, EU:C:1993:341, point 15 ; du 18 juillet 2006, De Cuyper, C‑406/04, EU:C:2006:491, point 23, et du 16 septembre 2015, Commission/Slovaquie, C‑361/13, EU:C:2015:601, point 52).
35 La Cour a en outre précisé, au point 38 de l’arrêt du 25 juillet 2018, A (Aide pour une personne handicapée) (C‑679/16, EU:C:2018:601), que, pour qu’il puisse être considéré qu’il n’est pas satisfait à la première condition mentionnée au point 32 du présent arrêt, il faut que le caractère discrétionnaire de l’appréciation, par l’autorité compétente, des besoins personnels du bénéficiaire d’une prestation se rapporte avant tout à l’ouverture du droit à cette prestation. Ces considérations valent,
mutatis mutandis, en ce qui concerne le caractère individuel de l’appréciation, par l’autorité compétente, des besoins personnels du bénéficiaire d’une prestation.
36 S’agissant des prestations en cause au principal, il ressort du dossier soumis à la Cour que toute personne âgée d’au moins 60 ans considérée comme étant en perte d’autonomie au regard de critères prédéfinis et résidant en France de façon stable et régulière a droit à l’APA. Quant à la PCH, celle-ci bénéficie à toute personne handicapée âgée, en principe, de moins de 60 ans et résidant en France de façon stable et régulière, dont le handicap répond à un certain nombre de critères prédéfinis. Il
est constant que l’accès à ces deux prestations est indépendant des ressources du demandeur. Si ces ressources sont prises en compte pour déterminer le montant effectif qui sera versé au bénéficiaire, il découle des articles L. 232-4 et L. 245-6 du code de l’action sociale et des familles que ce montant est calculé, en substance, sur la base de critères objectifs applicables indistinctement à tous les bénéficiaires en fonction de leur niveau de ressources.
37 Ainsi, il ressort de ces dispositions du code de l’action sociale et des familles que la prise en compte des ressources du bénéficiaire concerne non pas l’ouverture du droit à l’APA et à la PCH , mais les modalités de calcul de ces prestations, ces dernières devant être octroyées lorsque le demandeur remplit, indépendamment du niveau de ses ressources, les conditions qui ouvrent le droit auxdites prestations.
38 Il résulte des considérations qui précèdent que la prise en compte des ressources du bénéficiaire aux seules fins du calcul du montant effectif de l’APA ou de la PCH sur la base de critères objectifs et légalement définis n’implique pas une appréciation individuelle des besoins personnels de ce bénéficiaire par l’autorité compétente.
39 Contrairement à ce qu’avance le gouvernement français dans ses observations écrites, la nécessité d’évaluer, aux fins de l’octroi de l’APA et de la PCH, le degré de perte d’autonomie ou de handicap du demandeur n’implique pas non plus une appréciation individuelle des besoins personnels de ce demandeur. En effet, ainsi qu’il ressort du dossier soumis à la Cour, l’évaluation de la « perte d’autonomie » (pour l’APA) et du « handicap » (pour la PCH) est effectuée par un médecin ou un professionnel
d’une équipe médico-sociale ou par une équipe pluridisciplinaire au regard de grilles, de listes et de référentiels prédéfinis, c’est à-dire, conformément à la jurisprudence rappelée au point 34 du présent arrêt, sur la base de critères objectifs et légalement définis qui, dès lors qu’ils sont remplis, ouvrent le droit à la prestation correspondante. Dans ces conditions, il ne saurait être soutenu que l’octroi de l’APA et de la PCH dépend d’une appréciation individuelle des besoins personnels du
demandeur, au sens de la jurisprudence citée au point 32 du présent arrêt.
40 Par ailleurs, et également contrairement à ce que fait valoir le gouvernement français dans ses observations écrites, l’APA et la PCH ne sauraient être qualifiées de « prestations spéciales en espèces à caractère non contributif », au sens de l’article 3, paragraphe 3, du règlement no 883/2004. En effet, dès lors qu’il résulte à la fois des considérations précédentes et des constatations de la juridiction de renvoi rappelées au point 26 du présent arrêt que les deux conditions cumulatives
mentionnées au point 32 de cet arrêt sont remplies et que l’APA et la PCH doivent ainsi être qualifiées de« prestations de sécurité sociale », il n’y a pas lieu de vérifier si ces deux prestations peuvent aussi être considérées comme des « prestations spéciales en espèces à caractère non contributif », la Cour ayant déjà jugé que ces deux qualités s’excluent mutuellement (voir, en ce sens, arrêts du 21 février 2006, Hosse, C‑286/03, EU:C:2006:125, point 36, et du 16 septembre 2015,
Commission/Slovaquie, C‑433/13, EU:C:2015:602 point 45).
41 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 3 du règlement no 883/2004 doit être interprété en ce sens que des prestations, telles que l’APA et la PCH, doivent, aux fins de leur qualification de « prestations de sécurité sociale » au sens de cette disposition, être considérées comme étant octroyées en dehors de toute appréciation individuelle des besoins personnels du bénéficiaire, dès lors que les ressources de ce dernier sont
prises en compte aux seules fins du calcul du montant effectif de ces prestations sur la base de critères objectifs et légalement définis.
Sur les dépens
42 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (septième chambre) dit pour droit :
L’article 3 du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, doit être interprété en ce sens que des prestations, telles que l’allocation personnalisée d’autonomie et la prestation compensatoire du handicap, doivent, aux fins de leur qualification de « prestations de sécurité sociale » au sens de cette disposition, être considérées comme étant octroyées en dehors de toute appréciation individuelle des besoins
personnels du bénéficiaire, dès lors que les ressources de ce dernier sont prises en compte aux seules fins du calcul du montant effectif de ces prestations sur la base de critères objectifs et légalement définis.
von Danwitz
Levits
Vajda
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 14 mars 2019.
Le greffier
A. Calot Escobar
Le président de la VIIème chambre
T. von Danwitz
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( *1 ) Langue de procédure : le français.