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28/02/2019 | CJUE | N°C-100/18

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général M. Y. Bot, présentées le 28 février 2019., Línea Directa Aseguradora SA contre Segurcaixa, Sociedad Anónima de Seguros y Reaseguros., 28/02/2019, C-100/18


CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. YVES BOT

présentées le 28 février 2019 ( 1 )

Affaire C‑100/18

Línea Directa Aseguradora, SA

contre

Segurcaixa, Sociedad Anónima de Seguros y Reaseguros

[demande de décision préjudicielle formée par le Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne)]

« Renvoi préjudiciel – Assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules automoteurs – Directive 2009/103/CE – Article 3, premier alinéa – Notion de “circulation des véhicules

– Dommage matériel causé à un immeuble par l’incendie d’un véhicule stationné dans le parking privé de cet immeuble – Couverture pa...

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. YVES BOT

présentées le 28 février 2019 ( 1 )

Affaire C‑100/18

Línea Directa Aseguradora, SA

contre

Segurcaixa, Sociedad Anónima de Seguros y Reaseguros

[demande de décision préjudicielle formée par le Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne)]

« Renvoi préjudiciel – Assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules automoteurs – Directive 2009/103/CE – Article 3, premier alinéa – Notion de “circulation des véhicules” – Dommage matériel causé à un immeuble par l’incendie d’un véhicule stationné dans le parking privé de cet immeuble – Couverture par l’assurance obligatoire »

I. Introduction

1. La demande de décision préjudicielle, introduite par le Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne), porte sur l’interprétation de l’article 3 de la directive 2009/103/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, concernant l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules automoteurs et le contrôle de l’obligation d’assurer cette responsabilité ( 2 ).

2. Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant deux compagnies d’assurances, à savoir Línea Directa Aseguradora, SA (ci-après « Línea Directa ») et Segurcaixa, Sociedad Anónima de Seguros y Reaseguros (ci-après « Segurcaixa »), au sujet de la couverture par l’assurance automobile des dommages causés à une maison individuelle par l’incendie du véhicule stationné dans le garage de celle-ci.

3. Les questions posées par la juridiction de renvoi visent à déterminer si la notion de « circulation des véhicules », qui figure à l’article 3, premier alinéa, de la directive 2009/103, peut être interprétée en ce sens que relève de celle-ci une situation dans laquelle un véhicule a pris feu alors que celui-ci était stationné depuis plus de vingt-quatre heures dans un lieu de stationnement privé et trouve son origine, selon cette juridiction, dans les mécanismes nécessaires à assurer sa fonction
de transport.

4. À l’issue de notre analyse, nous soutiendrons que cette notion de « circulation des véhicules » doit être interprétée en prenant en considération l’implication d’un véhicule, utilisé conformément à sa fonction de moyen de transport, dans un sinistre survenu dans un lieu de stationnement destiné à cette fin.

5. En effet, nous proposerons de considérer que les circonstances de l’affaire au principal ne justifient pas de modifier les contours de cette notion en fixant une limite spatiale consistant à exclure le stationnement dans un garage individuel privé ou une limite temporelle entre la réalisation du risque et le déplacement antérieur du véhicule stationné, ou encore une limite causale selon l’origine mécanique du sinistre.

II. Le cadre juridique

A.   Le droit de l’Union

6. L’article 1er, point 1), de la directive 2009/103 dispose :

« Au sens de la présente directive, on entend par :

1) “véhicule” : tout véhicule automoteur destiné à circuler sur le sol et qui peut être actionné par une force mécanique, sans être lié à une voie ferrée, ainsi que les remorques, même non attelées. »

7. L’article 3 de cette directive prévoit :

« Chaque État membre prend toutes les mesures appropriées, sous réserve de l’application de l’article 5, pour que la responsabilité civile relative à la circulation des véhicules ayant leur stationnement habituel sur son territoire soit couverte par une assurance.

Les dommages couverts ainsi que les modalités de cette assurance sont déterminés dans le cadre des mesures visées au premier alinéa.

[...]

L’assurance visée au premier alinéa couvre obligatoirement les dommages matériels et les dommages corporels. »

8. L’article 13, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), de ladite directive dispose :

« Chaque État membre prend toutes les mesures appropriées pour que, aux fins de l’application de l’article 3, soit réputée sans effet, en ce qui concerne le recours des tiers victimes d’un sinistre, toute disposition légale ou clause contractuelle contenue dans une police d’assurance délivrée conformément à l’article 3 qui exclut de l’assurance l’utilisation ou la conduite de véhicules par :

[...]

c) des personnes qui ne se sont pas conformées aux obligations légales d’ordre technique concernant l’état et la sécurité du véhicule concerné. »

9. L’article 29 de la même directive énonce :

« Les directives 72/166/CEE[ ( 3 )], 84/5/CEE[ ( 4 )], 90/232/CEE[ ( 5 )], 2000/26/CE[ ( 6 )] et 2005/14/CE[ ( 7 )] [...] sont abrogées [...]

Les références faites aux directives abrogées s’entendent comme faites à la présente directive et sont à lire selon le tableau de correspondance figurant à l’annexe II. »

B.   Le droit espagnol

10. La Ley sobre responsabilidad civil y seguro en la circulación de vehículos a motor (loi relative à la responsabilité civile et à l’assurance en matière de circulation de véhicules automoteurs), codifiée par le Real Decreto Legislativo 8/2004 (décret-loi royal no 8/2004), du 29 octobre 2004 ( 8 ), dans sa version applicable au moment des faits, dispose, à son article 1er, paragraphe 1 :

« Le conducteur de véhicules automoteurs est responsable, en raison du risque créé par la conduite de tels véhicules, des dommages causés aux personnes ou aux biens à cause de la circulation.

En cas de dommages aux personnes, il est exonéré de cette responsabilité seulement s’il prouve que ces dommages sont dus à la faute exclusive de la victime ou à une force majeure étrangère à la conduite ou au fonctionnement du véhicule ; ne sont considérés comme relevant de la force majeure ni les défauts du véhicule ni la rupture ou la défaillance de l’un quelconque des mécanismes ou pièces dudit véhicule.

En cas de dommages aux biens, le conducteur est responsable vis-à-vis des tiers lorsqu’il est civilement responsable en vertu des dispositions des articles 1902 et suivants du Código Civil [code civil], des articles 109 et suivants du Código Penal [code pénal], et des dispositions de cette loi.

Si le conducteur et la victime ont tous deux été négligents, la responsabilité est répartie équitablement et le montant de l’indemnisation est partagé à hauteur de la responsabilité de chacun.

Le propriétaire non conducteur est responsable des dommages corporels et matériels causés par le conducteur lorsqu’il est rattaché à ce dernier par l’un des liens visés à l’article 1903 du code civil et à l’article 120, paragraphe 5, du code pénal. Cette responsabilité prend fin lorsque ledit propriétaire prouve qu’il a utilisé toute la diligence d’un bon père de famille pour prévenir le dommage.

Le propriétaire non conducteur d’un véhicule qui n’est pas couvert par l’assurance obligatoire répond civilement, de façon conjointe avec le conducteur, des dommages corporels et matériels causés par ledit véhicule, sauf s’il prouve que le véhicule lui a été volé. »

11. L’article 2, paragraphe 1, du Reglamento del seguro obligatorio de responsabilidad civil en la circulación de vehículos de motor (règlement relatif à l’assurance obligatoire de la responsabilité civile en matière de circulation de véhicules automoteurs), codifié par le Real Decreto 1507/2008 (décret royal no 1507/2008), du 12 septembre 2008 ( 9 ), prévoit :

« Aux fins de la responsabilité civile en matière de circulation des véhicules automoteurs et de la couverture par l’assurance obligatoire régie par le présent règlement, sont considérés comme faits de circulation les faits découlant du risque créé par la conduite des véhicules automoteurs à laquelle l’article précédent fait référence, tant dans des garages et parkings que sur des voies et des terrains publics et privés adaptés à la circulation, urbains et interurbains, ainsi que sur des voies
et terrains qui, sans être adaptés à cet effet, sont couramment utilisés. »

III. Les faits du litige au principal et les questions préjudicielles

12. Dans l’après-midi du 19 août 2013, M. Luis Salazar Rodes a stationné son véhicule, qu’il avait acheté dix jours auparavant, dans le garage d’une maison individuelle appartenant à Industrial Software Indusoft.

13. Le 20 août 2013, dans l’après-midi, M. Salazar Rodes a démarré le moteur de son véhicule sans parvenir à le déplacer.

14. Quelques heures plus tard, vers 3 heures du matin, le véhicule de M. Salazar Rodes, qui n’avait pas circulé depuis plus de vingt-quatre heures, a pris feu et a endommagé la maison attenante au garage. L’incendie a pour origine le circuit électrique du véhicule.

15. La responsabilité civile relative à la circulation du véhicule de M. Salazar Rodes était couverte par l’assurance souscrite auprès de Línea Directa.

16. Industrial Software Indusoft, dont la maison individuelle était assurée auprès de Segurcaixa, a été indemnisée à hauteur de 44704,34 euros en réparation des dommages matériels causés à cet immeuble par l’incendie du véhicule en cause.

17. Le 5 mars 2014, Segurcaixa a assigné Línea Directa devant le Juzgado de Primera Instancia de Vitoria-Gazteiz (tribunal de première instance de Vitoria-Gazteiz, Espagne) afin de voir condamner cette compagnie d’assurances au paiement de la somme de 44704,34 euros, majorée des intérêts légaux, au motif que le sinistre avait trouvé son origine dans un fait de circulation couvert par l’assurance automobile du véhicule de M. Salazar Rodes. Ce tribunal a considéré que l’incendie ne pouvait pas être
qualifié de « fait de circulation » couvert par l’assurance automobile et a rejeté la demande de Segurcaixa.

18. Saisie d’un recours formé par Segurcaixa contre ce jugement l’Audiencia Provincial de Álava (cour provinciale d’Alava, Espagne) a annulé cette décision et a fait droit à la demande de Segurcaixa en retenant une interprétation large de la notion de « fait de circulation» ( 10 ), selon laquelle constitue un tel fait « l’incendie d’un véhicule stationné de manière non permanente par le propriétaire dudit véhicule sur une place de garage, lorsqu’il est dû à des causes intrinsèques sans interférence
d’un tiers ».

19. Línea Directa a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt devant le Tribunal Supremo (Cour suprême).

20. Cette juridiction expose que le droit espagnol qui transpose la directive 2009/103 définit le champ objectif de la responsabilité civile relative à la circulation des véhicules visée à l’article 3 de cette directive et considère comme « faits de circulation » les « faits découlant du risque créé par la conduite des véhicules automoteurs », tant dans des garages et parkings que sur des voies et des terrains publics et privés adaptés à la circulation, urbains et interurbains, ainsi que sur des
voies et terrains qui, sans être adaptés à cet effet, sont couramment utilisés.

21. Le Tribunal Supremo (Cour suprême) ajoute que, selon son interprétation large du risque résultant de la circulation, il a considéré qu’était couvert par l’assurance obligatoire le cas d’un véhicule à l’arrêt ou dont le moteur est arrêté, dès lors que le sinistre a un lien avec la fonction de transport du véhicule, ainsi que le cas d’un véhicule qui a pris feu au cours d’un trajet.

22. Il a toutefois exclu le cas d’un incendie d’un véhicule stationné et protégé du gel par des couvertures.

23. Le Tribunal Supremo (Cour suprême) précise que, en vertu du droit espagnol, le conducteur d’un véhicule n’est pas responsable des dommages résultant d’un cas de force majeure, mais que les défauts du véhicule ou la défaillance de l’un de ses mécanismes ne sont pas considérés comme des événements constitutifs de la force majeure. Par ailleurs, la circonstance que l’accident serait dû à un défaut du véhicule n’exclurait pas la couverture par l’assurance obligatoire, puis l’exercice d’un recours
contre le fabricant, si les conditions étaient réunies.

24. Cette juridiction se demande, dès lors, s’il est compatible avec la directive 2009/103 de déclarer que l’assurance automobile couvre un accident dans lequel était impliqué un véhicule dont le moteur était à l’arrêt et qui était stationné dans le garage d’une maison individuelle, sans lien avec la circulation et sans que ce véhicule présente de risque pour les usagers d’une voie de circulation. Cette situation pourrait davantage relever de la responsabilité du propriétaire d’une chose
potentiellement dangereuse.

25. Néanmoins, la juridiction de renvoi relève que l’objectif de protection des victimes d’accidents causés par des véhicules, poursuivi par la réglementation de l’Union, pourrait justifier de garantir les conséquences de l’incendie d’un véhicule à l’arrêt, s’il trouve son origine dans une fonction nécessaire ou utile pour le déplacement de ce véhicule, cette situation pouvant alors être liée à la fonction habituelle de transport du véhicule.

26. Cependant, en l’absence de proximité temporelle entre l’utilisation antérieure de ce véhicule et l’accident ou en raison de la façon dont celui-ci s’est produit, il ne pourrait pas être exclu que, faute de lien direct entre le risque et l’usage du véhicule, une situation dans laquelle le véhicule est stationné ne relève pas de la notion de « circulation des véhicules ».

27. La juridiction de renvoi souligne, à cet égard, qu’une interprétation qui se dispenserait d’un lien temporel entre l’utilisation antérieure du véhicule et la survenance du sinistre pourrait conduire à une assimilation de l’assurance obligatoire de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs à l’assurance du propriétaire couvrant la responsabilité découlant de la simple détention ou possession d’un véhicule.

28. Dans ces conditions, le Tribunal Supremo (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Une interprétation qui inclut dans la couverture par l’assurance obligatoire les dommages causés par l’incendie d’un véhicule arrêté, lorsque l’incendie trouve son origine dans les mécanismes nécessaires pour assurer la fonction de transport du véhicule, est-elle contraire à l’article 3 de la directive 2009/103 ?

2) En cas de réponse négative à la première question, une interprétation qui inclut dans la couverture par l’assurance obligatoire les dommages causés par l’incendie d’un véhicule, lorsqu’il est impossible d’établir un lien avec un déplacement antérieur du véhicule, si bien qu’il est impossible de déterminer si cet incendie est lié à un trajet effectué, est-elle contraire à l’article 3 de la directive 2009/103 ?

3) En cas de réponse négative à la deuxième question, une interprétation qui inclut dans la couverture par l’assurance obligatoire les dommages causés par l’incendie d’un véhicule, lorsque ce dernier est stationné dans un garage privé fermé, est-elle contraire à l’article 3 de la directive 2009/103 ? »

IV. Notre analyse

A.   Sur la recevabilité de la première question préjudicielle

29. Línea Directa soutient que la première question préjudicielle est irrecevable du fait de son caractère hypothétique. Cette compagnie d’assurances considère, en substance, que la juridiction de renvoi part du principe que l’incendie trouve son origine dans les mécanismes nécessaires pour assurer la fonction de transport du véhicule, alors qu’il n’est pas étayé par des éléments du litige au principal. Selon Línea Directa, il serait uniquement établi que l’incendie a trouvé son origine dans le
circuit électrique de ce véhicule.

30. Conformément à la jurisprudence constante de la Cour, « il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation d’une règle de droit
de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer [...] Il s’ensuit que les questions portant sur le droit de l’Union bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation d’une règle de l’Union sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore
lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées [...]» ( 11 ).

31. En l’occurrence, tel n’est pas le cas. Les circonstances de fait du litige décrites par le Tribunal Supremo (Cour suprême), qui le font douter de l’étendue du champ d’application de l’assurance automobile obligatoire, ne se limitent pas à l’origine de l’incendie du véhicule en cause. L’interprétation sollicitée de la notion de « circulation des véhicules » est nécessaire à la solution du litige. Sa pertinence, eu égard aux arrêts déjà rendus par la Cour, est justifiée.

32. Dans ces conditions, nous proposons à la Cour de considérer que cette première question préjudicielle est recevable.

B.   Sur le fond

33. Par ses questions préjudicielles, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 3, premier alinéa, de la directive 2009/103 doit être interprété en ce sens que relève de la notion de « circulation des véhicules » une situation dans laquelle l’incendie d’un véhicule, stationné dans un garage privé depuis plus de vingt-quatre heures, ayant pour origine le circuit électrique de celui-ci, a endommagé la maison attenante à ce garage.

34. La juridiction de renvoi a souligné, au regard de la jurisprudence de la Cour, la singularité du litige résultant de l’implication dans un accident, survenu dans un lieu de stationnement privé, d’un véhicule qui ne venait pas d’être déplacé.

35. En effet, si certains éléments de réponse peuvent être tirés de précédentes décisions de la Cour, les dispositions de l’article 3, premier alinéa, de la directive 2009/103 doivent à nouveau être interprétées afin de déterminer si relève de la notion de « circulation des véhicules » un incendie survenu de manière spontanée impliquant un véhicule à l’arrêt, sans avoir été déplacé immédiatement auparavant.

36. Ainsi, il convient de rappeler, en premier lieu, que la notion de « circulation des véhicules » constitue une notion autonome du droit de l’Union dont l’interprétation ne peut être laissée à l’appréciation de chaque État membre et qu’elle doit être interprétée au regard du contexte ainsi que des objectifs poursuivis par la réglementation en matière d’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules ( 12 ).

37. En second lieu, il peut être observé que l’interprétation de cette notion a évolué en fonction des différentes situations portées à la connaissance de la Cour.

38. En effet, la Cour a dit pour droit que relève de la notion de « circulation des véhicules » toute utilisation d’un véhicule qui est conforme à la fonction habituelle de ce dernier, à savoir à la fonction de moyen de transport ( 13 ).

39. Cette interprétation a permis de considérer que sont couvertes par l’assurance obligatoire les situations dans lesquelles le véhicule est à l’arrêt et sur un parking ( 14 ), peu important que le moteur ait été en marche ou non au moment de la survenance de l’accident ( 15 ).

40. La Cour a également jugé que l’utilisation du véhicule conforme à sa fonction de moyen de transport ne se limite pas à la conduite des véhicules, mais elle inclut également des actions qui y sont liées, telles que l’utilisation des portières par les passagers qui descendent d’un véhicule stationné ( 16 ).

41. De même, la notion de « circulation des véhicules » couvre toute situation dans laquelle un véhicule a été utilisé non seulement sur la voie publique, mais également sur un terrain public ou privé ( 17 ), dès lors que la portée de cette notion ne dépend pas des caractéristiques du terrain sur lequel ce véhicule est utilisé ( 18 ).

42. Ainsi, en l’état de la jurisprudence de la Cour, il ne fait aucun doute que cette notion recouvre les situations dans lesquelles des dommages ont été causés alors que le véhicule était stationné dans un lieu privé destiné à cette fin.

43. Toutefois, il doit être relevé que les différentes affaires dont la Cour a eu à connaître ont pour point commun l’implication d’un véhicule qui était utilisé ou qui venait d’être utilisé.

44. Dès lors, la seule question délicate à trancher est celle de savoir si l’absence d’utilisation du véhicule en un temps suffisamment rapproché de l’accident peut constituer une cause d’exclusion de la protection accordée par la réglementation de l’Union en matière de responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules et, subsidiairement, dans la négative, si un lien de causalité d’ordre technique doit être exigé.

45. Trois raisons nous paraissent justifier une réponse négative à cette interrogation principale. Premièrement, il y a lieu de relever que le législateur de l’Union n’a pas prévu de limites temporelles à la survenance de l’accident, quant à la mise en œuvre de la protection des victimes d’accidents causés par les véhicules.

46. Deuxièmement, l’évolution de la jurisprudence de la Cour démontre qu’elle vise à traduire cet objectif de protection constamment poursuivi et renforcé par le législateur de l’Union ( 19 ), dès lors qu’un véhicule, dont la définition a été rappelée récemment par la Cour ( 20 ), est utilisé ou a vocation à être utilisé conformément à sa fonction de moyen de transport.

47. Troisièmement, une analyse au cas par cas de la durée de l’utilisation préalable du véhicule nous paraît être une source d’insécurité juridique qui serait contraire à l’objectif rappelé précédemment.

48. Nous en déduisons que seules les situations dans lesquelles le sinistre survient alors que le véhicule sert ou a servi à d’autres fins que le transport, par exemple comme machine de travail ( 21 ) ou comme arme, ou encore comme un lieu d’habitation, ne relèvent pas de la notion de « circulation des véhicules ».

49. Si, dans le droit fil de sa jurisprudence, la Cour retient que le fait que le sinistre n’est pas survenu dans le prolongement immédiat de son utilisation comme moyen de transport est indifférent, le stationnement étant considéré comme relevant à lui seul de la notion de « circulation des véhicules », il reste à déterminer, afin de répondre à la première question posée par la juridiction de renvoi, si des limites tenant à l’origine du dommage, à savoir les mécanismes du véhicule nécessaires à sa
fonction de transport, doivent être fixées.

50. Il convient, d’une part, de constater que le législateur de l’Union n’a pas fixé de telles conditions. D’autre part, eu égard aux circonstances de fait particulières de l’affaire au principal, à savoir un incendie provoqué par un véhicule de manière spontanée, il suffit, selon nous, de retenir l’implication de celui-ci, comme cela pourrait être également le cas s’il avait explosé fortuitement ou si le dommage avait été causé par un produit ou un fluide provenant d’une fuite d’un véhicule ( 22 ).

51. Dès lors que ce type de risque est inhérent à la fonction de transport du véhicule, il n’y a pas lieu de rechercher une quelconque action ou une origine précise du dommage selon tel ou tel mécanisme ou élément du véhicule utile à sa fonction de moyen de transport.

52. Une telle interprétation ( 23 ) est conforme à l’objectif poursuivi par le législateur de l’Union visant à garantir que les victimes des accidents causés par des véhicules bénéficieront d’un traitement comparable, quel que soit l’endroit du territoire de l’Union où l’accident s’est produit ( 24 ), qui l’a conduit, par ailleurs, à ne pas fixer de limite à la couverture de risques par l’assurance automobile, notamment, en cas de défaut de conformité du véhicule aux obligations légales d’ordre
technique concernant l’état et la sécurité du véhicule concerné, ainsi qu’il résulte de l’article 13, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), de la directive 2009/103.

53. Dans ces conditions, l’implication du véhicule, utilisé conformément à sa fonction de moyen de transport, nous paraît pouvoir résulter de la seule constatation de la contribution de ce dernier, à un titre quelconque, à la réalisation de l’accident.

54. En conséquence, l’article 3, premier alinéa, de la directive 2009/103 nous paraît pouvoir être interprété en ce sens que relève de la notion de « circulation des véhicules » une situation dans laquelle un véhicule, utilisé conformément à sa fonction de moyen de transport, est impliqué dans un incendie survenu dans un lieu destiné au stationnement, peu important qu’il se soit produit dans un garage privé individuel ou à la suite d’une immobilisation prolongée.

V. Conclusion

55. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par le Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne) de la manière suivante :

L’article 3, premier alinéa, de la directive 2009/103/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, concernant l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules automoteurs et le contrôle de l’obligation d’assurer cette responsabilité, doit être interprété en ce sens que relève de la notion de « circulation des véhicules », visée à cette disposition, une situation dans laquelle un véhicule, utilisé conformément à sa fonction de moyen de transport,
est impliqué dans un incendie survenu dans un lieu destiné au stationnement, peu important qu’il se soit produit dans un garage privé individuel ou à la suite d’une immobilisation prolongée.

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( 1 ) Langue originale : le français.

( 2 ) JO 2009, L 263, p. 11.

( 3 ) Directive du Conseil du 24 avril 1972 concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules automoteurs, et au contrôle de l’obligation d’assurer cette responsabilité (JO 1972, L 103, p. 1).

( 4 ) Deuxième directive du Conseil du 30 décembre 1983 concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs (JO 1984, L 8, p. 17).

( 5 ) Troisième directive du Conseil du 14 mai 1990 concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs (JO 1990, L 129, p. 33).

( 6 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 16 mai 2000 concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs et modifiant les directives 73/239/CEE et 88/357/CEE du Conseil (Quatrième directive sur l’assurance automobile) (JO 2000, L 181, p. 65).

( 7 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2005 modifiant les directives 72/166/CEE, 84/5/CEE, 88/357/CEE et 90/232/CEE du Conseil et la directive 2000/26/CE du Parlement européen et du Conseil sur l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs (JO 2005, L 149, p. 14).

( 8 ) BOE no 267, du 5 novembre 2004, p. 36662.

( 9 ) BOE no 222, du 13 septembre 2008, p. 37487.

( 10 ) Voir, s’agissant de cette notion prévue par le droit espagnol, point 11 des présentes conclusions.

( 11 ) Voir, notamment, arrêt du 10 décembre 2018, Wightman e.a. (C‑621/18, EU:C:2018:999, points 26 et 27 ainsi que jurisprudence citée).

( 12 ) Voir arrêt du 15 novembre 2018, BTA Baltic Insurance Company (C‑648/17, EU:C:2018:917, point 31 et jurisprudence citée).

( 13 ) Voir arrêt du 15 novembre 2018, BTA Baltic Insurance Company (C‑648/17, EU:C:2018:917, point 44). L’article 3, paragraphe 1, première phrase, de la directive 72/166, visé dans ce point, correspond, selon le tableau de correspondance figurant à l’annexe II de la directive 2009/103, à l’article 3, premier alinéa, de celle-ci, qui est applicable en l’espèce (voir point 9 des présentes conclusions). Voir, également, proposition de la Commission européenne de directive du Parlement européen et du
Conseil modifiant la directive 2009/103 [COM(2018) 336 final], en particulier son article 1er, visant à insérer à l’article 1er de la directive 2009/103 un point 1 bis) contenant une définition de la « circulation d’un véhicule » afin de tenir compte de la jurisprudence de la Cour, dans un souci de sécurité juridique.

( 14 ) Voir arrêt du 15 novembre 2018, BTA Baltic Insurance Company (C‑648/17, EU:C:2018:917, points 37, 38 et 40 ainsi que jurisprudence citée).

( 15 ) Voir arrêt du 15 novembre 2018, BTA Baltic Insurance Company (C‑648/17, EU:C:2018:917, point 39 et jurisprudence citée).

( 16 ) Voir arrêt du 15 novembre 2018, BTA Baltic Insurance Company (C‑648/17, EU:C:2018:917, points 36 et 45).

( 17 ) Voir circonstances de fait dans les arrêts du 4 septembre 2014, Vnuk (C‑162/13, EU:C:2014:2146, points 19 et 59. Il s’agissait d’une manœuvre dans la cour d’une ferme), et du 28 novembre 2017, Rodrigues de Andrade (C‑514/16, EU:C:2017:908, points 7 et 9. L’accident est survenu dans le vignoble d’exploitants agricoles).

( 18 ) Voir arrêt du 20 décembre 2017, Núñez Torreiro (C‑334/16, EU:C:2017:1007, point 30 et jurisprudence citée).

( 19 ) Voir arrêt du 15 novembre 2018, BTA Baltic Insurance Company (C‑648/17, EU:C:2018:917, point 33 ainsi que jurisprudence citée).

( 20 ) Voir arrêt du 4 septembre 2018, Juliana (C‑80/17, EU:C:2018:661, points 39 et 42).

( 21 ) Voir arrêt du 28 novembre 2017, Rodrigues de Andrade (C‑514/16, EU:C:2017:908, points 40 et 42).

( 22 ) Voir, à titre d’illustration, affaire pendante Bueno Ruiz (C-431/18), relative au dommage causé à une conductrice par une fuite d’huile, provenant d’un véhicule stationné à côté du sien, qui a provoqué sa chute.

( 23 ) À rapprocher des observations écrites de la Commission européenne et de la législation espagnole (voir point 23 des présentes conclusions).

( 24 ) Voir arrêt du 15 novembre 2018, BTA Baltic Insurance Company (C‑648/17, EU:C:2018:917, point 32 et jurisprudence citée). Voir, également, considérant 20 de la directive 2009/103 ainsi qu’exposé des motifs de la proposition de la Commission, citée dans la note en bas de page 13 des présentes conclusions, tendant également à renforcer la protection des victimes d’accidents de la circulation en cas d’insolvabilité de l’assureur et à améliorer la reconnaissance des relevés de sinistres, notamment
dans un contexte transfrontière. Cette proposition traite, en outre, des contrôles d’assurance pour lutter contre la conduite sans assurance et de l’harmonisation des montants minimaux de couverture (p. 2).


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-100/18
Date de la décision : 28/02/2019
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Tribunal Supremo.

Renvoi préjudiciel – Assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules automoteurs – Directive 2009/103/CE – Article 3, premier alinéa – Notion de “circulation des véhicules” – Dommage matériel causé à un immeuble par l’incendie d’un véhicule stationné dans un garage privé de cet immeuble – Couverture par l’assurance obligatoire.

Rapprochement des législations


Parties
Demandeurs : Línea Directa Aseguradora SA
Défendeurs : Segurcaixa, Sociedad Anónima de Seguros y Reaseguros.

Composition du Tribunal
Avocat général : Bot

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2019:152

Source

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