CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. NILS WAHL
présentées le 17 janvier 2019 ( 1 )
Affaire C‑706/17
Achema AB,
Orlen Lietuva AB,
AB « Lifosa »
contre
Valstybinė kainų ir energetikos kontrolės komisija (VKEKK),
en présence de
Lietuvos Respublikos energetikos ministerija,
UAB « Baltpool »
[demande de décision préjudicielle formée par le Lietuvos vyriausiasis administracinis teismas (Cour administrative suprême de Lituanie)]
« Renvoi préjudiciel – Aide d’État – Notion de “ressources d’État” – Sélectivité – Effets sur les échanges – Distorsion de concurrence – Services d’intérêt économique général dans le secteur de l’électricité – Conditions Altmark »
1. Par ses questions, le Lietuvos vyriausiasis administracinis teismas (Cour administrative suprême de Lituanie) demande en substance si certains aspects du régime lituanien relatif à la fourniture de services d’intérêt public dans le secteur de l’électricité (ci-après les « SIPE ») et à son financement (ci-après le « régime des SIPE ») doivent être considérés comme une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.
2. La présente affaire donne à la Cour l’occasion de préciser sa jurisprudence, en particulier en ce qui concerne la notion de « ressources d’État » et les conditions énoncées dans la jurisprudence découlant de l’arrêt du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg (ci-après la « jurisprudence Altmark ») ( 2 ).
I. Le cadre juridique
A. Le droit lituanien
3. Selon la juridiction de renvoi, les dispositions pertinentes du droit national figurent dans les instruments juridiques suivants : la Elektros energijos įstatymas, Nr. VIII 1881 (loi lituanienne relative à l’électricité no VIII 1881), du 20 juillet 2000 ; la Lietuvos Respublikos atsinaujinančių išteklių energetikos įstatymo Nr. XI 1375 (loi lituanienne relative aux sources d’énergie renouvelables no XI 1375), du 12 mai 2011 ; la Lietuvos Respublikos elektros energetikos sistemos integracijos į
Europos elektros energetikos sistemas įstatymas Nr. XI 2052 (loi relative à l’intégration du réseau électrique lituanien dans les réseaux électriques européens no XI 2052), du 12 juin 2012 ; la Lietuvos Respublikos atsinaujinančių išteklių energetikos įstatymo 2, 11, 13, 14, 16, 20, 21 straipsnių pakeitimo ir papildymo įstatymas Nr. XII 169 (loi lituanienne exécutant la loi modifiant et complétant les articles 2, 11, 13, 14, 16, 20 et 21 de la loi sur les énergies renouvelables), du 17 janvier
2013, et les mesures d’exécution de ces lois, notamment la Lietuvos Respublikos Vyriausybės nutarimo Nr. 916 dėl viešuosius interesus atitinkančių paslaugų elektros energetikos sektoriuje teikimo tvarkos aprašo patvirtinimo (décision no 916 du gouvernement approuvant les modalités de la fourniture des services d’intérêt public dans le secteur de l’électricité), du 18 juillet 2012, et le Vyriausybės Nutarimas Nr. 1157 Viešuosius interesus atitinkančių paslaugų elektros energetikos sektoriuje lėšų
administravimo tvarkos aprašas (décision no 1157 du gouvernement relative aux modalités de gestion des fonds destinés aux services d’intérêt public dans le secteur de l’électricité), du 19 septembre 2012 (ci-après la « législation nationale en cause »).
4. Dans la mesure de leur pertinence pour la présente affaire, les dispositions de ces instruments juridiques seront résumées aux points 12 à 15 ci-dessous.
II. Les faits, la procédure et les questions préjudicielles
5. Les parties requérantes au principal – Achema AB, Orlen Lietuva AB et AB « Lifosa » (ci-après, ensemble, « Achema ») – sont des sociétés immatriculées et opérant en Lituanie, dont l’activité consiste, notamment, en l’exploitation de centrales de cogénération. L’électricité produite par ces centrales est consommée pour satisfaire leurs propres besoins en électricité ou est fournie à d’autres entreprises. Ces sociétés achètent également de l’électricité auprès de fournisseurs indépendants opérant
en Lituanie.
6. Conformément à la législation nationale applicable, comme tout consommateur d’électricité, Achema était tenue de s’acquitter d’une certaine somme pour les SIPE qui lui avaient été fournis en 2014.
7. Achema a saisi le Vilniaus apygardos administracinis teismas (tribunal administratif régional de Vilnius, Lituanie) de recours tendant à l’annulation des points 1.2 à 1.4, 1.7, 2 et 3 de la décision de la commission nationale de contrôle des prix et de l’énergie (ci-après la « CNCPE »), du 11 octobre 2013 (modifiée par la décision no 03-704 du 22 novembre 2013) (ci-après la « décision attaquée »). Cette décision de la CNCPE fixe le montant des fonds à attribuer aux entreprises fournissant les
SIPE (ci-après les « fournisseurs de SIPE ») pour l’année 2014 (point 1) ainsi que le prix des SIPE pour les consommateurs (finals) d’électricité lituaniens, y compris les parties requérantes (points 2 et 3).
8. Par un arrêt du 9 février 2016, cette juridiction a rejeté les recours d’Achema comme infondés.
9. Achema a interjeté appel contre cet arrêt devant le Lietuvos vyriausiasis administracinis teismas (Cour administrative suprême de Lituanie). Éprouvant des doutes quant à l’interprétation des dispositions pertinentes du droit de l’Union, cette juridiction a décidé de surseoir à statuer et de soumettre à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« Est-ce que le [régime des SIPE] en vigueur en 2014 – prévu [par la législation nationale en cause] –, ou une partie de celui-ci, doit être considéré comme une aide d’État (un régime d’aide d’État) aux fins de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, s’agissant notamment des points suivants :
– dans les circonstances de l’affaire au principal, l’article 107, paragraphe 1, TFUE doit-il être interprété en ce sens que les fonds destinés aux SIPE sont considérés comme des ressources d’État, ou non ?
– l’article 107, paragraphe 1, TFUE doit-il être interprété en ce sens que le cas où les opérateurs des réseaux (les entreprises) se voient imposer l’obligation d’acheter l’électricité auprès des producteurs d’électricité à un prix (tarif) fixe et/ou de l’équilibrer, et où les pertes subies par ces opérateurs de réseaux en raison de cette obligation sont compensées par des fonds provenant éventuellement des ressources d’État n’est pas considéré comme une aide apportée aux producteurs
d’électricité au moyen de ressources d’État ?
– l’article 107, paragraphe 1, TFUE doit-il être interprété en ce sens que, dans les circonstances de l’affaire au principal, une aide : à une entreprise qui réalise un projet d’importance stratégique tel que NordBalt ; à des entreprises auxquelles est confiée la sécurité d’approvisionnement en électricité pour une période spécifique ; destinée à indemniser les pertes réellement encourues et correspondant aux conditions du marché, par des personnes, telles que les exploitants de centrales à
énergie solaire concernés, en raison du refus de l’État d’exécuter ses engagements (à la suite de modifications de la réglementation nationale) ; accordée aux entreprises (les opérateurs des réseaux), avec l’objectif de compenser les pertes réellement subies lors de l’exécution de l’obligation d’acheter l’électricité auprès des producteurs d’électricité fournissant les SIPE à un tarif fixe ainsi que d’équilibrer l’(énergie) est considérée (ou non) sélective et/ou susceptible d’affecter les
échanges mutuels entre États membres ?
– l’article 107, paragraphe 1, TFUE, lu en combinaison avec l’article 106, paragraphe 2, TFUE, doit-il être interprété en ce sens que, dans les circonstances de l’affaire au principal, le régime des SIPE concerné (ou une partie de ce régime) doit, ou non, être considéré conforme aux critères définis aux points 88 à 93 de l’arrêt de la Cour [dans l’affaire Altmark] ?
– l’article 107, paragraphe 1, TFUE doit-il être interprété en ce sens que, dans les circonstances de l’affaire au principal, le régime des SIPE (ou une partie de ce régime) doit, ou non, être considéré comme affectant ou susceptible d’affecter la concurrence ? »
10. Achema, UAB Baltpool, le gouvernement lituanien et la Commission européenne ont présenté des observations écrites dans le cadre de la présente procédure. Ils ont également présenté des observations orales lors de l’audience qui s’est déroulée le 6 novembre 2018.
III. Analyse
11. Avant d’examiner les questions spécifiques que soulève la présente affaire, il me paraît utile de présenter brièvement les principaux éléments du régime lituanien des SIPE, tels que la juridiction de renvoi les a exposés, et de formuler ensuite quelques remarques liminaires.
A. Le régime lituanien des SIPE
12. Selon la juridiction de renvoi, les SIPE sont en substance des services fournis, ou des activités exercées, dans l’intérêt général, conformément à la législation nationale en cause. Pendant la période pertinente pour la présente affaire, les SIPE comprenaient notamment : la production d’électricité à partir de sources renouvelables et son équilibrage ; la production d’énergie électrique dans des centrales de cogénération lorsque ces centrales fournissent de la chaleur aux systèmes de chauffage
et que les économies d’énergie primaire sont telles que la cogénération de chaleur et d’électricité peut être considérée comme efficace ; la production d’énergie électrique dans des centrales désignées lorsque la production d’électricité est nécessaire afin d’assurer la sécurité de l’approvisionnement en électricité ; la mise en œuvre de projets stratégiques dans le secteur de l’électricité en vue d’améliorer la sécurité énergétique en aménageant des interconnexions avec les réseaux électriques
d’autres États et/ou en reliant les réseaux électriques de Lituanie avec ceux d’autres États membres [tels que le projet « Interconnexion de réseaux électriques entre la Lituanie et la Suède » (également dénommé « NordBalt »)] et le développement de projets de centrales photovoltaïques.
13. Chaque année, conformément à la procédure prévue par la loi, l’autorité lituanienne compétente désigne les fournisseurs de SIPE, définit le champ d’application des SIPE et fixe les règles applicables au paiement des compensations dues pour les SIPE fournis, ainsi que leur montant. Tous les consommateurs d’électricité paient le montant fixé par la CNCPE au titre des SIPE, en fonction du volume d’électricité qu’ils ont effectivement consommée pour satisfaire leurs besoins. Le prix des SIPE est
inclus dans celui de l’électricité achetée ou est versé séparément aux opérateurs de réseaux.
14. Les opérateurs de réseaux lituaniens transfèrent les sommes collectées auprès des consommateurs d’électricité (ci-après les « fonds destinés aux SIPE ») à Baltpool, le gestionnaire des fonds destinés aux SIPE, une personne morale de droit privé contrôlée par l’État. Baltpool rémunère à son tour les fournisseurs de SIPE pour leurs services, conformément à la procédure établie par la loi. Cette société n’est pas financée sur le budget de l’État ; ses coûts administratifs sont couverts par ces
mêmes fonds destinés aux SIPE.
15. Ces fonds ne peuvent pas être utilisés à d’autres fins que pour payer la fourniture de SIPE et ils ne sont pas inclus dans le budget de l’État. Les montants dus par les consommateurs qui n’ont pas payé le prix des SIPE sont recouvrés selon la procédure générale du droit privé (civil). Ces consommateurs ne relèvent pas d’un régime de responsabilité de droit public.
B. Remarques liminaires
16. Dans ce contexte, il faut avant tout souligner que lorsque la Cour est saisie d’un renvoi préjudiciel, sa fonction consiste à éclairer la juridiction nationale sur la portée des règles de l’Union afin de permettre à celle‑ci de faire une correcte application de ces règles aux faits dont cette juridiction est saisie et non à procéder elle‑même à une telle application, et ce d’autant que la Cour ne dispose pas nécessairement de tous les éléments indispensables à cet égard ( 3 ). En effet, la Cour
a estimé, de manière constante, que les juridictions nationales sont habilitées à interpréter et à appliquer la notion d’« aide d’État » et, dans les litiges dont elles sont saisies, il leur appartient de vérifier que les conditions de l’article 107, paragraphe 1, TFUE sont satisfaites ( 4 ).
17. Cette « répartition des tâches » entre la Cour et les juridictions nationales est d’une importance capitale. Elle l’est d’autant plus dans une affaire comme celle-ci : le cadre national applicable en l’espèce est assez complexe et comprend diverses mesures qui pourraient, au moins potentiellement, être pertinentes au regard de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. En outre, sur certains points, la juridiction nationale interroge la Cour sur des aspects qui sont essentiellement factuels et plutôt
techniques et elle lui demande d’approuver son analyse. Toutefois, comme Baltpool l’a souligné, à juste titre, lors de l’audience, la Cour ne dispose pas des données ni des autres informations factuelles nécessaires pour confirmer ou invalider les conclusions préliminaires de la juridiction nationale. Sur ces points, il appartiendra donc à cette dernière de prendre la décision finale, à la lumière des orientations sur la signification et la portée de l’article 107, paragraphe 1, TFUE que la Cour
lui aura fournies.
18. Ensuite, il pourrait également être utile de souligner que, selon une jurisprudence constante, la qualification d’« aide d’État » au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE requiert que toutes les conditions prévues par cette disposition soient remplies. Premièrement, il doit s’agir d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État. Deuxièmement, cette intervention doit être susceptible d’affecter les échanges entre États membres. Troisièmement, elle doit accorder un avantage
sélectif à son bénéficiaire. Quatrièmement, elle doit fausser ou menacer de fausser la concurrence ( 5 ).
19. Cela étant précisé, je vais me pencher maintenant sur l’analyse des problèmes juridiques que soulèvent les questions préjudicielles.
C. Sur la première question
20. La première question porte sur la première condition énoncée au point 18 des présentes conclusions. Par cette question, la juridiction de renvoi demande si l’article 107, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens qu’il convient de considérer des fonds tels que ceux qui sont destinés aux SIPE comme des ressources d’État.
21. Selon moi, cette question appelle une réponse affirmative.
22. D’emblée, il convient de garder à l’esprit que, conformément à une jurisprudence constante, pour que des avantages puissent être qualifiés d’aides au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, ils doivent être, à la fois, accordés directement ou indirectement au moyen de ressources d’État et imputables à l’État ( 6 ).
23. Dans la présente affaire, il est constant que les mesures dont il est allégué qu’elles constituent des aides découlent de mesures législatives et réglementaires adoptées par les autorités lituaniennes. Elles peuvent donc être imputées à l’État.
24. La question qui se pose est plutôt celle de savoir si ces mesures impliquent des ressources d’État aux fins de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.
25. Il est évident que la notion de « ressources d’État » recouvre toutes les ressources financières que l’État peut utiliser pour soutenir les entreprises : elle comprend non seulement les fonds qui proviennent directement ou indirectement des caisses de l’État ou les recettes auxquelles l’État renonce mais aussi les ressources qui, bien qu’elles ne soient pas en possession permanente du Trésor public, demeurent constamment sous contrôle public ( 7 ). Pour le dire plus simplement, bien qu’ils
proviennent de personnes privées, ces derniers fonds sont collectés par l’État, pour le compte de l’État, ou en vertu d’une intervention de l’État, et mis à la disposition des autorités nationales compétentes qui ont le pouvoir de décider de leur utilisation finale.
26. Il semble que ce soit le cas pour les fonds destinés aux SIPE, dans le cadre du régime lituanien des SIPE.
27. Depuis le moment où ils sont collectés auprès des consommateurs d’électricité jusqu’à leur répartition entre les fournisseurs de SIPE, ces fonds se trouvent sous contrôle public. En particulier, ce sont les autorités publiques qui définissent les services à considérer comme des SIPE chaque année et qui choisissent les entreprises qui seront désignées fournisseurs de SIPE. C’est également un organe public, le CNCPE, qui fixe le montant à facturer aux consommateurs d’électricité pour les SIPE.
Lorsqu’ils ont été collectés par les opérateurs des réseaux d’électricité, les fonds destinés aux SIPE sont transférés à Baltpool, un organisme qui, bien qu’il soit constitué en tant que société de droit privé, est contrôlé par l’État. Baltpool gère les fonds qu’il reçoit, il les répartit entre les fournisseurs de SIPE selon les critères définis par la loi et en conserve une partie afin de couvrir ses frais administratifs. Tout le cycle de vie des fonds destinés aux SIPE est donc réglementé
strictement.
28. La situation en cause dans la présente affaire diffère donc de celles que la Cour a examinées dans d’autres affaires, telles que PreussenElektra ( 8 ) et ENEA ( 9 ), qui portaient également sur des régimes nationaux de soutien à l’énergie provenant de sources renouvelables. Dans ces affaires, la Cour a jugé que la simple obligation d’achat d’électricité à un prix qui pouvait être supérieur au prix normal du marché, que l’État imposait à des entreprises privées, ne constituait pas une aide d’État
au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Dans ces affaires, l’élément décisif résidait dans le fait que, à la différence du régime des SIPE en cause, le mécanisme de financement n’était pas géré par l’État. Ce dernier ne pouvait exercer aucune forme de contrôle sur la perception et la répartition des fonds versés par les consommateurs d’électricité.
29. Le régime lituanien des SIPE n’est pas non plus comparable aux mesures que la Cour a examinées dans les arrêts Pearle e.a. ( 10 ) et Doux Élevage ( 11 ).
30. Dans ces affaires, même si les contributions financières imposées à certaines entreprises étaient fixées par la loi et perçues et gérées par des organismes auxquels l’État avait accordé certains pouvoirs, la Cour a considéré que les mesures en cause ne relevaient pas du champ d’application de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Dans ces deux affaires, l’organisme chargé de gérer les fonds servait en effet seulement d’instrument pour la perception et l’affectation des ressources destinées à des
activités réalisées dans l’intérêt commercial des entreprises qui étaient tenues de verser les contributions ( 12 ). Les contributions obligatoires avaient donc été établies à l’initiative d’entreprises privées qui décidaient également de leur affectation. Dans l’affaire Pearle e.a. comme dans l’affaire Doux Élevage, les fonds collectés ne devaient pas être utilisés conformément aux instructions des autorités publiques ni en vue de poursuivre un objectif d’intérêt public défini par ces
dernières ( 13 ).
31. En revanche, en vertu de la législation nationale en cause, Baltpool ne peut pas être considéré comme un « instrument » agissant sous la direction des personnes tenues de payer les contributions et poursuivant leur intérêt commercial. En effet, cet organisme affecte les fonds en fonction des priorités établies par l’État. D’un point de vue économique, les personnes dont l’activité est subsidiée ne sont pas les mêmes que celles qui financent les mesures d’aide. Il y a donc un transfert de
ressources des consommateurs vers certaines entreprises, sous la direction des autorités de l’État.
32. Le fait que Baltpool ne dispose d’aucune marge d’appréciation dans l’affectation des fonds perçus n’enlève rien au fait que ce sont les autorités publiques qui prennent toutes les décisions à cet égard ( 14 ). Comme il a été expliqué au point 27 des présentes conclusions, les fonds perçus doivent suivre strictement la voie prévue par la législation nationale en cause. En fait, cela démontre effectivement que les fonds destinés aux SIPE sont contrôlés par l’État.
33. De même, le fait que, dans l’éventualité où des consommateurs ne paient pas les montants dus, Baltpool doive agir devant les juridictions civiles conformément aux procédures ordinaires, est peu pertinent dans ce contexte. Cela me semble inévitablement lié à la décision des autorités lituaniennes de confier la perception des fonds destinés aux SIPE aux opérateurs de réseaux et la gestion de ces fonds à un organisme de droit privé. Cet aspect, dont la Cour a tenu compte dans l’arrêt Doux Élevage (
15 ), lorsqu’elle a conclu que les organisations interprofessionnelles avaient la nature d’associations de droit privé, est sans incidence dans la présente affaire. En effet, il ne fait aucun doute que, bien qu’elle ait été constituée sous la forme d’une société de droit privé, Baltpool est contrôlée par l’État et qu’en ce qui concerne l’utilisation des fonds destinés aux SIPE, elle est tenue d’agir comme le prévoit la législation nationale pertinente ( 16 ).
34. Pour ma part, je suis d’avis que le régime lituanien des SIPE ressemble beaucoup au régime français pour l’électricité que la Cour a examiné dans l’arrêt Association Vent de Colère ! e.a. ( 17 ). Dans cette affaire, la Cour a considéré qu’un mécanisme de compensation des surcoûts imposés à certaines entreprises, en raison de l’obligation d’acheter de l’électricité d’origine éolienne à un prix supérieur à celui du marché, dont le financement était supporté par les consommateurs finals, devait
être considéré comme une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Selon moi, cette conclusion s’expliquait principalement par le fait que les sommes perçues auprès des consommateurs – dont les montants étaient fixés par le ministre de l’Énergie – étaient confiées à la Caisse des dépôts et consignations, un organisme public qui intervenait en qualité d’intermédiaire dans la gestion des fonds ( 18 ). En fait, lorsqu’il leur a été demandé
durant l’audience s’il existait des différences factuelles importantes entre la situation examinée par la Cour dans l’arrêt Association Vent De Colère ! e.a. et celle qui fait l’objet de la procédure au principal, ni le gouvernement lituanien ni Baltpool n’ont pu apporter de réponse satisfaisante.
35. L’arrêt Essent Netwerk Noord e.a. ( 19 ) vient renforcer l’idée que les fonds destinés aux SIPE constituent des ressources d’État en vertu des règles de l’Union en matière d’aides d’État. Dans cette affaire – un renvoi préjudiciel formé par une juridiction néerlandaise – la Cour a considéré que des règles nationales imposant un supplément, supporté par les consommateurs, au prix du transport d’électricité perçu par les opérateurs de réseaux et transféré à une société désignée à cette fin qui, à
son tour, était chargée de gérer et de répartir les fonds mettaient en jeu des ressources d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.
36. Il est vrai que, d’un point de vue purement économique, les mesures examinées par la Cour dans des affaires telles que PreussenElektra et ENEA ( 20 ) et celles examinées dans des affaires telles que Essent Netwerk Noord e.a. et Association Vent de Colère ! e.a. ( 21 ) semblent très similaires. Toutefois, comme l’a expliqué l’avocat général Mengozzi dans ses conclusions dans l’affaire Essent Netwerk Noord e.a., sur le plan juridique, elles doivent être qualifiées de manière assez différentes ( 22
). Bien que l’article 107, paragraphe 1, TFUE ne porte que sur les effets d’une mesure étatique, il est évident que la manière dont cette mesure est structurée et opère peut avoir des conséquences sur le cadre juridique qui lui est applicable. Une mesure étatique peut, par exemple, ne pas constituer une aide au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE mais, en fonction des circonstances, il se pourrait que sa compatibilité avec les traités doive également être examinée sous l’angle d’autres
dispositions du droit de l’Union, telles que les règles relatives au marché intérieur ( 23 ).
37. Au vu de ce qui précède, il convient selon moi de répondre à la première question que, dans les circonstances de l’affaire au principal, l’article 107, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens que les fonds destinés aux SIPE, tels que ceux en cause dans l’affaire au principal, doivent être considérés comme des ressources d’État.
D. Sur la deuxième question
38. Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi cherche à savoir quelles sont les entités qu’il convient de considérer comme les bénéficiaires de l’aide accordée au moyen des fonds destinés aux SIPE dans la mesure où les dispositions pertinentes du régime des SIPE imposent aux opérateurs de réseaux électriques l’obligation d’acheter de l’électricité auprès des producteurs de SIPE à un prix déterminé et de l’équilibrer. La juridiction de renvoi se demande plus précisément si ce sont les
opérateurs des réseaux ou les producteurs d’électricité qui bénéficient de l’avantage économique que procurent les fonds destinés aux SIPE.
39. Selon moi, les bénéficiaires (indirects) de cette mesure sont les producteurs d’électricité, et non les opérateurs de réseaux.
40. En effet, selon ma compréhension des faits, dans le cadre de la mesure qui fait l’objet de la deuxième question préjudicielle, les fonds destinés aux SIPE tendent seulement à compenser le surcoût que les opérateurs des réseaux doivent supporter parce qu’ils sont obligés d’acheter certains volumes d’électricité à des prix déterminés qui peuvent être supérieurs aux prix du marché. Dans le dossier, rien ne permet de considérer que les fonds destinés aux SIPE pourraient procurer aux opérateurs de
réseaux un éventuel bénéfice net. De plus, compte tenu des explications fournies par le gouvernement lituanien et par Baltpool durant l’audience, il semble que les opérateurs de réseaux ne puissent pas répercuter (tout ou partie) du surcoût sur leurs clients, ce qui aurait fait apparaître le risque que les opérateurs bénéficient d’une surcompensation ( 24 ).
41. En revanche, en compensant le surcoût que les opérateurs de réseaux supportent en raison de l’obligation d’achat mentionnée précédemment, les fonds destinés aux SIPE permettent à quelques producteurs d’électricité de vendre certains volumes d’électricité à un prix supérieur au prix du marché ou, en tout état de cause, d’en vendre des volumes plus importants. Ces producteurs d’électricité peuvent ainsi générer des revenus plus importants que ceux qu’ils auraient obtenus dans les conditions
normales du marché. En conséquence, même si les fonds destinés aux SIPE sont effectivement payés aux opérateurs des réseaux, ce sont les producteurs d’électricité qui en sont les bénéficiaires indirects ( 25 ).
42. C’est pourquoi je proposerai à la Cour de répondre à la deuxième question préjudicielle en ce sens que, dans les circonstances de l’affaire au principal, lorsqu’une mesure étatique impose aux opérateurs de réseaux d’acheter de l’électricité à un prix déterminé à des producteurs et de l’équilibrer en prévoyant que le surcoût supporté par les opérateurs soit compensé par des contributions payées par les consommateurs finals, les producteurs d’électricité doivent être considérés comme les
bénéficiaires au regard de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.
E. Sur les troisième et cinquième questions
43. Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande en substance si le soutien accordé, au moyen des fonds destinés aux SIPE, à certaines activités exercées en Lituanie dans le secteur de l’électricité remplit les conditions de sélectivité et d’affectation des échanges entre États membres au regard de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Par sa cinquième question, que je considère utile d’examiner après la troisième dans la mesure où il peut être répondu conjointement à ces deux questions,
la juridiction de renvoi cherche à savoir si l’article 107, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens qu’il y a lieu de considérer que, dans les circonstances de l’affaire au principal, le régime des SIPE fausse ou menace de fausser la concurrence.
44. Les mesures qu’il est demandé à la Cour d’examiner sous cet angle sont, premièrement, l’aide accordée à une entreprise qui réalise un projet d’importance stratégique tel que NordBalt, deuxièmement, l’aide accordée aux entreprises chargées d’assurer la sécurité d’approvisionnement en électricité pour une période donnée, troisièmement, l’aide accordée pour compenser les pertes réellement encourues par des entreprises telles que les exploitants de centrales à énergie solaire et, quatrièmement,
l’aide accordée aux opérateurs de réseaux afin de compenser les pertes qu’ils encourent effectivement lorsqu’ils s’acquittent de l’obligation d’acheter de l’électricité à un prix déterminé auprès de producteurs d’électricité fournissant des SIPE et de l’équilibrer (ci-après les « mesures en cause »).
45. Comme il a été indiqué aux points 16 et 17 des présentes conclusions, il appartient à la juridiction de renvoi de trancher définitivement ces questions. Toutefois, afin de lui fournir les éléments nécessaires à l’interprétation des dispositions du droit de l’Union, je procéderai de la manière suivante. Je commencerai par rappeler la jurisprudence la plus pertinente et, sur cette base, j’essaierai de donner à la juridiction de renvoi des orientations plus spécifiques concernant les conditions
dans lesquelles les mesures en cause pourraient remplir les critères de sélectivité, d’affectation des échanges et de distorsion de concurrence.
46. Pour commencer, j’aimerais souligner qu’afin d’apprécier si la condition de la sélectivité est satisfaite, il est nécessaire de déterminer si, dans le cadre d’un régime juridique donné (également appelé le « régime de référence »), une mesure étatique est de nature à favoriser certaines entreprises ou certaines productions par rapport à d’autres entreprises se trouvant dans une situation factuelle et juridique comparable au regard de l’objectif poursuivi par la mesure concernée ( 26 ). À
l’inverse, des mesures générales applicables à tous les opérateurs économiques d’un État membre et qui confèrent un avantage à tous ceux qui en remplissent les conditions ne sont pas sélectives et, par conséquent, ne relèvent pas de l’article 107, paragraphe 1, TFUE ( 27 ).
47. En ce qui concerne l’affectation des échanges, il faut garder à l’esprit que pour considérer qu’une mesure nationale constitue une aide d’État, il y a lieu non pas d’établir une incidence réelle de l’aide sur les échanges entre les États membres, mais seulement d’examiner si l’aide est susceptible d’affecter ces échanges. L’affectation des échanges entre les États membres ne peut cependant pas être purement hypothétique ou présumée. Il faut donc déterminer si et, dans l’affirmative, comment la
mesure concernée est susceptible d’affecter, par ses effets prévisibles, les échanges entre les États membres. En particulier, lorsqu’une aide accordée par un État membre renforce la position d’une entreprise par rapport à d’autres entreprises concurrentes dans les échanges intracommunautaires, ces derniers doivent être considérés comme influencés par l’aide. À cet égard, il n’est pas nécessaire que les entreprises bénéficiaires participent elles-mêmes aux échanges intracommunautaires. En effet,
lorsqu’un État membre octroie une aide à des entreprises, l’activité intérieure peut s’en trouver maintenue ou augmentée, avec cette conséquence que les chances des entreprises établies dans d’autres États membres de pénétrer le marché de cet État membre en sont diminuées ( 28 ).
48. Enfin, en ce qui concerne la condition relative à la distorsion de concurrence, il convient de souligner que, selon une jurisprudence constante, les aides qui visent à libérer une entreprise des coûts qu’elle aurait en principe dû supporter dans le cadre de sa gestion courante ou de ses activités normales faussent en principe les conditions de concurrence ( 29 ).
49. C’est à la lumière de ce qui précède que j’examinerai les problèmes soulevés dans la troisième question préjudicielle.
1. La sélectivité
50. Tout d’abord, l’aide accordée aux entreprises chargées d’assurer la sécurité de l’approvisionnement en électricité pendant une période donnée, l’aide accordée afin de compenser les pertes effectivement encourues par des entreprises telles que les exploitants de centrales à énergie solaire et l’aide accordée aux opérateurs de réseaux afin de compenser les pertes qu’ils encourent effectivement lorsqu’ils s’acquittent de l’obligation d’acheter de l’électricité à un prix déterminé auprès de
producteurs d’électricité fournissant des SIPE et de l’équilibrer constituent des mesures qui ne favorisent que les entreprises qui sont actives dans un secteur particulier ou qui fournissent un certain type de services.
51. Il me semble que ces mesures visent à dispenser les entreprises bénéficiaires de certains coûts qu’elles devraient autrement supporter. La juridiction de renvoi elle-même, dans la demande de décision préjudicielle, remarque « qu’il est admis » que certaines mesures du régime des SIPE garantissent aux entreprises bénéficiaires certains revenus, sans aucun risque pour eux.
52. Il est vrai que dans l’arrêt Asteris e.a., la Cour a considéré que les dommages-intérêts que les autorités nationales seraient condamnées à payer à des entreprises en réparation d’un préjudice qu’elles leur auraient causé ne constituent pas des aides au sens de l’(actuel) article 107, paragraphe 1, TFUE ( 30 ). Dans cette affaire, la Cour faisait toutefois référence aux sommes payées, ou dues, dans le cadre de la responsabilité non contractuelle d’un État membre. La raison en était claire : une
somme qui tend simplement à indemniser une personne pour le préjudice qu’elle a subi du fait d’une erreur civile ou administrative commise par une autorité de l’État ne confère, à proprement parler, à cette personne aucun avantage économique au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.
53. Cette jurisprudence n’est toutefois pas pertinente en l’espèce. Il n’est pas affirmé, si j’ai bien compris, que les pertes que les mesures étatiques en cause compensent sont la conséquence d’une conduite illégale des autorités publiques. Ces pertes sont simplement des coûts supportés par les entreprises concernées dans le cadre de leur activité économique.
54. Dans ce contexte, j’ajouterai que le fait que les promesses d’aide publique des autorités aient ou non incité les bénéficiaires à prendre des décisions d’investissement ou à prendre part à des marchés publics est dénué de pertinence. La circonstance qu’en l’absence des mesures en cause, certains opérateurs économiques auraient fait d’autres choix commerciaux ne porte pas atteinte au caractère d’aide de ces mesures. La plupart des régimes d’aide ont précisément cet objectif : promouvoir une
activité économique particulière dont les autorités considèrent qu’elle relève de l’intérêt public. Les causes et les objectifs de l’intervention publique sont pourtant dépourvus de pertinence au regard de l’article 107, paragraphe 1, TFUE : cet article ne définit les aides qu’en fonction de leurs effets sur le marché unique ( 31 ).
55. Enfin, en ce qui concerne l’appréciation du caractère sélectif des aides accordées aux entreprises qui réalisent un projet d’importance stratégique, telles que NordBalt, l’analyse est plus complexe.
56. D’emblée, il faut tenir compte du fait qu’en général, une aide financière apportée à la construction d’infrastructures destinées à un usage général (par opposition à un usage spécifique) et qui ne favorise donc pas un utilisateur particulier n’est pas considérée comme sélective au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE ( 32 ). C’est, selon moi, très probablement le cas des infrastructures reliant les réseaux d’électricité lituanien et suédois.
57. Cela ne signifie toutefois pas que l’aide financière accordée à l’entreprise qui construit l’infrastructure ne constitue pas une aide au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Il est évident que si les autorités lituaniennes achetaient simplement un service (construction de certaines infrastructures) à une entreprise spécifique parmi les nombreuses entreprises susceptibles de fournir ce service qui sont présentes sur le marché, l’existence d’une aide dépendrait principalement du prix et des
conditions convenus pour ce marché, en tenant compte de la procédure suivie pour sélectionner le fournisseur. Le principe bien connu de l’opérateur en économie de marché (« POEM ») fournirait des orientations pour cette analyse ( 33 ).
58. Sur la base des informations figurant au dossier de l’affaire, je comprends que le projet Nordbalt a été conçu comme un projet d’importance stratégique et qu’une loi a attribué les travaux de construction nécessaires à une entreprise spécifique (LITGRID AB). Il est après tout normal qu’un projet de ce genre – de par son ampleur, son coût et son importance – relève de la responsabilité de l’État. Il n’est pas inhabituel que les autorités publiques confient le développement d’infrastructures
importantes à des sociétés de droit privé dont elles sont actionnaires ( 34 ). De mon point de vue, la principale question pourrait plutôt porter sur la passation d’un marché par l’État. Toutefois, comme pour d’autres aspects factuels des mesures en cause en l’espèce, la Cour ne dispose pas des informations nécessaires pour prendre une décision définitive au regard de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.
2. L’affectation des échanges entre les États membres
59. Dans l’affaire Fondul Proprietatea ( 35 ), il était demandé à la Cour d’apprécier si une mesure adoptée afin de soutenir une entreprise active dans le secteur de l’électricité avait la forme d’une aide. À cet égard, la Cour a souligné que la circonstance qu’un secteur économique, tel que celui de l’énergie, a fait l’objet d’une libéralisation au niveau de l’Union est de nature à indiquer qu’une mesure étatique, dont il est soutenu qu’elle constitue une aide, serait susceptible d’avoir un effet
sur les échanges entre les États membres au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. La Cour a observé que, en raison de cette libéralisation, l’électricité fait l’objet d’échanges commerciaux transfrontaliers. Elle en a conclu, sous réserve de vérification par la juridiction nationale, qu’une mesure adoptée par les autorités roumaines afin d’aider une entreprise active dans le secteur de l’électricité remplissait la condition de l’« affectation des échanges ».
60. Je ne vois pas de raison objective de s’écarter, dans la présente affaire, de la conclusion de la Cour dans l’arrêt Fondul Proprietatea.
61. Le fait que les entreprises bénéficiaires ne soient pas actives au-delà des frontières nationales est dénué de pertinence. En effet, en renforçant les opérateurs locaux, les mesures en cause peuvent entraver l’accès des entreprises étrangères au marché lituanien de l’énergie. Il peut toutefois en aller autrement de l’aide accordée à une entreprise qui s’est vu confier la tâche de mettre en œuvre un projet d’importance stratégique tel que le projet NordBalt, comme il a été expliqué au point 58
des présentes conclusions.
3. La distorsion de concurrence
62. Enfin, en ce qui concerne la condition de la distorsion de concurrence, il suffit à nouveau de se référer à l’arrêt récent Fondul Proprietatea ( 36 ).
63. Dans cette affaire, dans la ligne d’une jurisprudence constante, la Cour a considéré que la mesure d’aide en cause était, en principe, susceptible de fausser la concurrence sur le marché de l’électricité. La Cour a souligné que la circonstance qu’un secteur économique, tel que celui de l’énergie, a fait l’objet d’une libéralisation au niveau de l’Union est de nature à caractériser une incidence réelle ou potentielle des aides sur la concurrence, ainsi que leur effet sur les échanges entre les
États membres.
64. Je suis d’avis que ces considérations valent également dans le contexte de la présente affaire. En fait, l’argument invoqué par le gouvernement lituanien selon lequel, en 2014, le marché lituanien de l’électricité était relativement isolé ne me convainc pas. Dans la demande de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi souligne que le réseau électrique lituanien était relié aux réseaux d’autres États membres (tels que l’Estonie) et que la concurrence sur ce marché était intensive. En tout
état de cause, des mesures d’aide publique qui favorisent certains opérateurs peuvent provoquer des distorsions sur un marché qui s’ouvre progressivement à la concurrence étrangère.
65. Les entreprises actives dans la production d’électricité ou dans le développement de projets de centrales photovoltaïques établies en Lituanie se trouvent clairement en concurrence avec les entreprises similaires établies dans d’autres États membres. Pour les raisons exposées aux points 58 et 61 des présentes conclusions, la situation pourrait toutefois être différente pour les entreprises, comme NordBalt, auxquelles des projets d’importance stratégique ont été confiés.
66. En conclusion, je proposerai à la Cour de répondre aux troisième et cinquième questions de la manière suivante.
67. Premièrement, les mesures qui ne favorisent que les entreprises d’un secteur particulier ou fournissant un certain type de services, en les libérant des coûts qu’elles auraient dû supporter, sont sélectives au regard de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Deuxièmement, des mesures de soutien aux entreprises actives dans un secteur économique tel que le secteur de l’énergie, qui a fait l’objet d’une libéralisation au niveau de l’Union, sont en principe susceptibles d’affecter les échanges entre
États membres et de fausser la concurrence au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Troisièmement, il appartient en définitive à la juridiction de renvoi de déterminer si les mesures en cause remplissent ces conditions.
F. Sur la quatrième question
68. Enfin, par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande si l’article 107, paragraphe 1, TFUE, lu conjointement avec l’article 106, paragraphe 2, TFUE, doit être interprété en ce sens que, dans les circonstances de l’affaire au principal, le régime des SIPE doit être considéré comme conforme aux critères définis aux points 88 à 93 de l’arrêt Altmark.
69. Dans cet arrêt, la Cour a précisé les conditions dans lesquelles les entreprises qui exécutent des obligations de service public ne bénéficient pas d’un réel avantage financier du fait de la compensation qu’elles perçoivent pour l’exécution de ces obligations et ne se trouvent donc pas dans une position plus favorable par rapport aux entreprises concurrentes. La Cour a identifié à cette fin quatre conditions cumulatives (ci-après les « conditions Altmark ») qui, lorsqu’elles sont remplies,
garantissent que la compensation obtenue en contrepartie de prestations de service public ne constitue pas une aide au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE ( 37 ).
70. La doctrine a toutefois souvent observé que, en raison de leur rigueur, ces conditions sont difficiles à remplir ( 38 ). Il est donc important dans ce contexte de souligner qu’une mesure qui ne satisfait pas ces conditions peut néanmoins être justifiée au titre de l’article 106, paragraphe 2, TFUE. Et, comme la Cour l’a bien précisé dans l’arrêt Viasat, les conditions Altmark ne sont pas pertinentes pour apprécier la compatibilité avec le marché intérieur d’une aide accordée à une entreprise qui
fournit un service d’intérêt économique général ( 39 ).
71. Cela dit, la question posée par la juridiction de renvoi porte, en principe, sur les quatre conditions Altmark. Les arguments qui sont développés dans la demande de décision préjudicielle se concentrent toutefois sur la première de ces conditions. En ce qui concerne les trois autres conditions, la juridiction de renvoi explique seulement, assez rapidement, pourquoi elle estime que chacune des mesures en cause remplit ces conditions. Comme il a été expliqué aux points 16 et 17 des présentes
conclusions, il appartiendra à cette juridiction de trancher ces questions, non seulement en raison de la répartition des tâches entre la Cour et les juridictions nationales que prévoient les traités mais aussi parce le dossier de l’affaire comporte trop peu d’éléments que pour permettre à la Cour de confirmer ou d’infirmer l’appréciation de la juridiction nationale.
72. Dans ce contexte, et afin d’aider au mieux la juridiction de renvoi, j’aimerais formuler les observations suivantes.
1. La première condition Altmark
73. La première condition Altmark implique d’examiner si l’entreprise qui bénéficie de la compensation est effectivement chargée de l’exécution d’obligations de service public et si ces obligations sont clairement définies. Cette condition présente donc plusieurs aspects indissociablement liés, qui correspondent en substance aux questions suivantes, à savoir, premièrement, les autorités publiques ont-elles légalement qualifié la prestation de services de « services d’intérêt économique général »
(ci‑après les « SIEG ») au sens de l’article 14 et de l’article 106, paragraphe 2, TFUE, deuxièmement, l’exécution des obligations de service public dans le cadre de la prestation de ces services a-t-elle été confiée à une (ou plusieurs) entreprises et, troisièmement, les obligations de service public ont-elles été clairement définies ?
74. À cet égard, je dois tout d’abord souligner que, conformément à une jurisprudence constante, les États membres disposent d’un large pouvoir d’appréciation pour définir ce qu’ils considèrent comme des SIEG et que, par conséquent, la définition de tels services par un État membre ne peut être remise en cause qu’en cas d’erreur manifeste ( 40 ). Ce qui précède est également confirmé par l’article 1er du protocole no 26 sur les services d’intérêt général selon lequel les valeurs communes de l’Union
concernant les services d’intérêt économique général comprennent notamment, « le rôle essentiel et le large pouvoir discrétionnaire des autorités nationales, régionales et locales pour fournir, faire exécuter et organiser les services d’intérêt économique général d’une manière qui réponde autant que possible aux besoins des utilisateurs» ( 41 ).
75. Un large pouvoir d’appréciation n’est toutefois pas un pouvoir d’appréciation absolu. Afin d’éviter que les règles communes ne soient facilement contournées ou largement privées d’effets, les traités ont instauré quelques limites à la marge de manœuvre des États membres. En ce qui concerne les règles de concurrence de l’Union, l’article 106, paragraphe 2, TFUE y soumet les SIEG « dans les limites où l’application de ces règles ne fait pas échec à l’accomplissement en droit ou en fait de la
mission particulière qui leur a été impartie » et pour autant que « [l]e développement des échanges ne [soit pas] affecté dans une mesure contraire à l’intérêt de l’Union ».
76. À la lumière de ces dispositions et en tenant compte des principes généraux du droit tels que la coopération loyale et la proportionnalité, je suis également d’avis que le pouvoir d’appréciation des États membres en ce qui concerne la définition des SIEG « ne pourrait être exercé de manière arbitraire aux seules fins de faire échapper un secteur particulier [de l’économie] à l’application des règles de concurrence» ( 42 ). Indépendamment de l’objectif poursuivi par les autorités nationales, il
me semble clair qu’il n’est pas possible de qualifier n’importe quel service de « SIEG » : les SIEG doivent « présente[r] des caractères spécifiques » par rapport à d’autres services proposés normalement sur le marché ( 43 ).
77. Ces caractéristiques sont avant tout liées à la nature du service fourni. En particulier, les autorités doivent avoir des motifs valables pour considérer que, en l’absence d’intervention publique, le service en question ne serait probablement pas proposé ou qu’il ne le serait pas au niveau considéré comme le plus adéquat ( 44 ). L’intervention publique doit avoir pour objectif de répondre à un besoin réel d’un service public spécifique qui n’est pas (et, dans un avenir proche, ne serait pas)
correctement satisfait par les entreprises opérant dans des conditions normales de marché ( 45 ). À cet égard, j’aimerais souligner que la directive 2009/72/CE ( 46 ) concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité prévoit, à son article 3, paragraphe 2, que les États membres peuvent, dans l’intérêt économique général, imposer aux entreprises du secteur de l’électricité des obligations de service public qui peuvent porter sur diverses activités énumérées dans cet
article.
78. Ces caractéristiques des SIEG sont, ensuite, liées à la manière dont le service est fourni. En particulier, le service doit, dans une certaine mesure, être fourni de manière universelle et obligatoire ( 47 ). Par universel, j’entends que le service doit être fourni, au moins potentiellement, à toutes les personnes qui pourraient le demander. Par obligatoire, je fais référence au fait qu’il doit exister une obligation de fournir le service, une simple autorisation de fournir un service donné est
insuffisante à cet égard. En outre, le fait que le service soit fourni avec une certaine continuité, à des conditions uniformes et transparentes, et à des tarifs abordables peut également être pertinent pour déterminer si le service est réellement fourni dans l’intérêt général ( 48 ).
79. En conclusion, pour qu’un service soit légitimement qualifié de SIEG, deux conditions principales doivent être réunies : d’une part, les autorités nationales doivent avoir des raisons objectives de considérer qu’une intervention publique est nécessaire pour garantir la fourniture de ce service et, d’autre part, le service doit être fourni de manière universelle et obligatoire. Le respect de ces conditions doit évidemment être contrôlé, selon les circonstances, par les juridictions nationales (
49 ) ou par les juridictions de l’Union ( 50 ), mais seulement – étant donné le pouvoir d’appréciation des autorités nationales – en cas d’erreur manifeste d’appréciation ( 51 ).
80. Par ailleurs, il faut garder à l’esprit que le seul fait qu’un service soit considéré comme étant d’intérêt général en vertu du droit national n’implique pas que tout opérateur le fournissant est chargé de l’exécution d’obligations de service public au sens de la jurisprudence Altmark ( 52 ). L’exécution des obligations de service public doit être confiée à une ou plusieurs entreprises spécifiques en vertu d’un acte (ou d’un ensemble d’actes) adopté par les autorités publiques. Cet acte peut
revêtir différentes formes : en général, il s’agit d’un acte de l’autorité publique (par exemple, un acte législatif, réglementaire ou administratif) ( 53 ), bien que l’attribution claire d’une obligation de service public puisse, dans certaines circonstances, également résulter d’un contrat ( 54 ). Toutefois, quelle que soit la nature de l’acte, l’attribution doit être claire et dépourvue d’ambiguïté : l’acte doit définir de manière suffisamment précise la nature, la durée et la portée des
obligations de service public en cause ( 55 ).
81. Ces éléments peuvent bien entendu également faire l’objet d’un contrôle juridictionnel devant les juridictions nationales compétentes ou devant les juridictions de l’Union en cas de litige. Toutefois, dans la mesure où ces aspects sont de nature technique ou factuelle, l’exercice du contrôle juridictionnel ne se limite pas à un contrôle marginal ( 56 ).
82. En ce qui concerne l’application de ces principes à la présente affaire, j’aimerais formuler les deux remarques suivantes.
83. En premier lieu, l’État peut considérer qu’il est raisonnable d’encourager certaines activités économiques (comme la production d’énergie verte ou le développement de technologies vertes) en apportant une aide financière directe ou au moyen d’autres mesures de soutien sans que cela implique une fourniture de service au sens de la jurisprudence Altmark. Dans le scénario Altmark typique, une ou plusieurs entreprises (les prestataires de SIEG) sont légalement tenues d’exécuter certaines obligations
de service public dans le cadre de la fourniture potentielle de services à une multitude de bénéficiaires. Normalement, ces bénéficiaires doivent payer une rémunération pour les services qu’ils ont reçus, rémunération qui peut toutefois être inférieure au prix du marché ordinaire (ou hypothétique), grâce à la compensation que l’État accorde aux prestataires de SIEG. Les principes Altmark ne s’adaptent pas facilement à un scénario où il n’y a pas, à proprement parler, d’opérations économiques
impliquant une prestation de services. Par exemple, je ne suis pas certain que toutes les activités relevant du régime des SIPE (par exemple, la simple construction d’une infrastructure publique, ou le développement de projets de centrales photovoltaïques) puissent être considérées comme des prestations de services au sens de la jurisprudence Altmark.
84. En second lieu, il se peut que des entreprises réalisent volontairement certaines activités économiques, même si elles impliquent une véritable prestation de services, sans que l’État les ait chargées de le faire. Comme l’a souligné l’avocat général Szpunar, dans ses conclusions dans l’affaire Renerga, qui portait sur la compatibilité avec le droit de l’Union de certains aspects de la législation nationale en cause dans la présente affaire, le seul fait qu’une activité soit désignée,
expressément et légalement, comme « service d’intérêt économique général » n’est pas suffisant au regard de la jurisprudence Altmark ( 57 ). Il doit également y avoir un acte de l’autorité publique qui confie à une ou plusieurs entreprises la mission de fournir, avec un certain niveau d’universalité et de contrainte ( 58 ), les services en cause. En ce qui concerne le litige au principal, il n’apparaît pas clairement si, en vertu du régime des SIPE, toutes les entreprises qui sont désignées
comme fournisseurs de SIPE sont effectivement soumises à des obligations de service public au regard du droit de l’Union ( 59 ).
85. Si tel est le cas, il ne peut être répondu à la question de savoir si les accords entre l’État et les entreprises concernées comportent une forme d’aide relevant de l’article 107, paragraphe 1, TFUE qu’en dehors du modèle Altmark. Ce dernier ne concerne en effet, il peut être utile de le rappeler, que les entreprises qui exécutent des obligations de service public. Les mesures publiques qui ne relèvent pas du champ d’application de la jurisprudence Altmark doivent par conséquent être examinées à
la lumière du principe de l’investisseur en économie de marché, ainsi qu’il a été indiqué au point 57 des présentes conclusions.
2. Les deuxième et troisième conditions Altmark
86. La deuxième condition Altmark concerne les paramètres du calcul de la compensation : ils doivent être établis préalablement, d’une manière objective et transparente, afin d’éviter de conférer un avantage économique qui pourrait favoriser l’entreprise bénéficiaire au détriment des entreprises concurrentes.
87. De plus, selon la troisième condition de la jurisprudence Altmark, la compensation accordée ne peut pas excéder ce qui est nécessaire pour couvrir tout ou partie des coûts occasionnés par l’exécution des obligations de service public, en tenant compte des recettes y relatives ainsi que d’un bénéfice raisonnable pour l’exécution de ces obligations.
88. Ces deux conditions, qui sont complémentaires, poursuivent le même objectif : veiller à ce qu’aucune surcompensation ne soit payée aux entreprises chargées d’exécuter des obligations de service public.
89. La juridiction de renvoi considère que les mesures en cause remplissent ces deux conditions. Selon elle, la législation nationale en cause prévoit des règles spécifiques relatives aux conditions dans lesquelles la compensation est due, au montant de cette compensation et aux procédures suivies pour calculer ce montant, ainsi qu’un mécanisme de contrôle de l’utilisation des fonds transférés. En ce qui concerne les montants dus au titre de la compensation, la législation prévoit des règles visant
à assurer que seuls les investissements nécessaires, les coûts de la fourniture des services et un « bénéfice raisonnable » soient pris en considération.
90. Toutefois, comme il a été exposé au point 71 des présentes conclusions, il n’appartient pas à la Cour de confirmer ou de rejeter cette appréciation. Il revient à la juridiction de renvoi de vérifier s’il existe un ensemble de règles juridiques suffisamment clair et complet pour garantir qu’aucune surcompensation n’est payée aux prestataires de services et pour remédier rapidement et efficacement à tout erreur éventuelle à cet égard.
3. La quatrième condition Altmark
91. Selon la quatrième condition Altmark, si l’entreprise tenue d’exécuter les obligations de service public n’a pas été choisie dans le cadre d’une procédure d’attribution de marchés publics, le montant de la compensation finale doit être déterminé sur la base d’une analyse des coûts qu’une entreprise moyenne, bien gérée et correctement équipée pour remplir des obligations de service public, supporterait pour exécuter ces obligations, en tenant compte des recettes en découlant et d’une marge
bénéficiaire appropriée.
92. Des quatre conditions Altmark, celle-ci est sans doute la plus difficile à contrôler.
93. La juridiction de renvoi considère que les mesures en cause satisfont également cette condition. Elle observe tout d’abord que les fournisseurs de SIPE liés à la production d’électricité à partir de sources renouvelables sont sélectionnés par voie d’enchères en fonction du prix le plus bas proposé, mais n’excédant pas celui fixé par la CNCPE, laquelle détermine également un tarif fixe pour tous les autres producteurs d’électricité issue de sources d’énergie renouvelables. En ce qui concerne
l’aide aux centrales de cogénération, la juridiction nationale indique que l’aide est accordée à toutes les centrales fournissant l’énergie calorifique produite dans le système d’approvisionnement de chaleur conformes aux exigences appropriées, y compris d’efficacité, et ayant présenté des demandes et elle considère que les centrales de cogénération ne réalisant pas la cogénération évoquée, ou les centrales électriques qui ne peuvent pas assurer la cogénération efficace mentionnée, ne peuvent
pas être évaluées de la même manière. Elle souligne également que la mesure concernée du régime des SIPE s’applique aux centrales de cogénération dont l’objectif principal est tout d’abord d’approvisionner la population en énergie calorifique et que l’aide n’est accordée que pour l’électricité produite durant la période de chauffage.
94. En ce qui concerne la mise en œuvre du projet NordBalt, la juridiction de renvoi souligne que ce projet est financé sur la base des coûts réellement et effectivement encourus essentiellement afin de payer des produits et services acquis dans le cadre d’appels d’offres. Les coûts n’excédant pas ceux réellement encourus et correspondant aux prix moyens du marché sont compensés également pour les exploitants de centrales solaires ainsi que pour les opérateurs de réseaux précédemment mentionnés.
95. Comme pour les deuxième et troisième conditions Altmark, il me semble que le dossier ne comporte aucun élément qui permette de douter de l’appréciation préalable effectuée par la juridiction de renvoi. De plus, la Cour ne dispose pas d’informations suffisantes pour lui permettre de confirmer cette appréciation.
96. Il revient donc à la juridiction de renvoi de s’assurer que les fournisseurs de SIPE sont choisis selon l’un des deux scénarios qui permettraient de respecter la quatrième condition Altmark. Ces fournisseurs peuvent être choisis par la voie d’une procédure de passation de marché public – c’est-à-dire une concurrence ouverte et réelle suffisante ( 60 ) – qui permet de sélectionner le soumissionnaire capable de fournir les services en question au moindre coût pour la communauté. Ils peuvent
également être sélectionnés, sans véritable procédure de passation de marché, au terme d’une analyse approfondie et transparente des coûts qu’une entreprise efficace et économiquement efficiente, active dans ce secteur, devrait supporter pour exécuter ses obligations.
97. En conclusion, il convient, selon moi, de répondre à la quatrième question en ce sens qu’il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer si les mesures en cause dans la procédure au principal satisfont les critères énoncés aux points 88 à 93 de l’arrêt Altmark. À cette fin, la juridiction de renvoi devrait, en particulier, vérifier :
– qu’il existe un acte de l’autorité publique qui confie aux fournisseurs de SIPE la mission de fournir ces services avec un certain niveau d’universalité et de contrainte et qui décrit, de manière suffisamment précise, au moins la nature, la durée et la portée des obligations de service public ;
– qu’il existe un ensemble de règles juridiques suffisamment clair et complet pour garantir qu’aucune surcompensation n’est accordée aux prestataires de services et pour remédier rapidement et efficacement à toute erreur éventuelle à cet égard ;
– que les fournisseurs de SIPE sont sélectionnés sur la base d’une concurrence suffisamment ouverte et réelle ou d’une analyse approfondie et transparente des coûts qu’une entreprise efficace et économiquement efficiente, active dans ce secteur, devrait supporter pour exécuter ses obligations.
IV. Conclusion
98. En conclusion, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par le Lietuvos vyriausiasis administracinis teismas (Cour administrative suprême de Lituanie) que l’article 107, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens que :
– des fonds tels que ceux destinés à financer le régime lituanien de fourniture de services d’intérêt public dans le secteur de l’électricité doivent être considérés comme des ressources d’État ;
– lorsqu’une mesure étatique impose aux opérateurs de réseaux d’acheter de l’électricité à un prix déterminé à des producteurs et de l’équilibrer en prévoyant que le surcoût supporté par les opérateurs soit compensé par des contributions payées par des consommateurs finals, les producteurs d’électricité doivent être considérés comme les bénéficiaires au regard de l’article 107, paragraphe 1, TFUE ;
– des mesures qui ne favorisent que les entreprises actives dans un secteur particulier ou fournissant un certain type de services, en les libérant des coûts qu’elles auraient dû supportés, sont sélectives au regard de l’article 107, paragraphe 1, TFUE ; des mesures de soutien aux entreprises actives dans un secteur économique tel que le secteur de l’énergie, qui a fait l’objet d’une libéralisation au niveau de l’Union sont en principe susceptibles d’affecter les échanges entre États membres et
de fausser la concurrence au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE ; il appartient en définitive à la juridiction de renvoi de décider si les mesures en cause remplissent ces conditions ;
– il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer si les mesures en cause dans la procédure au principal satisfont les critères énoncés aux points 88 à 93 de l’arrêt du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg (C‑280/00, EU:C:2003:415). À cette fin, la juridiction de renvoi devrait, en particulier, vérifier :
– qu’il existe un acte de l’autorité publique qui confie aux fournisseurs de SIPE la mission de fournir ces services avec un certain niveau d’universalité et de contrainte et qui décrit, de manière suffisamment précise, au moins la nature, la durée et la portée des obligations de service public ;
– qu’il existe un ensemble de règles juridiques suffisamment clair et complet pour garantir qu’aucune surcompensation n’est accordée aux prestataires de services et pour remédier rapidement et efficacement à toute erreur éventuelle à cet égard ;
– que les fournisseurs de SIPE sont sélectionnés sur la base d’une concurrence suffisamment ouverte et réelle ou d’une analyse approfondie et transparente des coûts qu’une entreprise efficace et économiquement efficiente, active dans ce secteur, devrait supporter pour exécuter ses obligations de service public.
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( 1 ) Langue originale : l’anglais.
( 2 ) C‑280/00, EU:C:2003:415.
( 3 ) À cet égard, voir conclusions de l’avocat général Jääskinen dans l’affaire Association Vent De Colère ! e.a. (C‑262/12, EU:C:2013:469, point 24 et jurisprudence citée).
( 4 ) À cet égard, voir arrêts du 5 octobre 2006, Transalpine Ölleitung in Österreich (C‑368/04, EU:C:2006:644, point 39), et du 11 novembre 2015, Klausner Holz Niedersachsen (C‑505/14, EU:C:2015:742, point 22).
( 5 ) Voir arrêt du 21 décembre 2016, Commission/Hansestadt Lübeck (C‑524/14 P, EU:C:2016:971, point 40 et jurisprudence citée).
( 6 ) Voir arrêt du 27 juin 2017, Congregación de Escuelas Pías Provincia Betania (C‑74/16, EU:C:2017:496, point 74 et jurisprudence citée).
( 7 ) Voir arrêt du 19 décembre 2013, Association Vent De Colère ! e.a. (C‑262/12, EU:C:2013:851, point 21 et jurisprudence citée).
( 8 ) Arrêt du 13 mars 2001, PreussenElektra (C‑379/98, EU:C:2001:160).
( 9 ) Arrêt du 13 septembre 2017, ENEA (C‑329/15, EU:C:2017:671).
( 10 ) Arrêt du 15 juillet 2004, Pearle e.a. (C‑345/02, EU:C:2004:448).
( 11 ) Arrêt du 30 mai 2013, Doux Élevage et Coopérative agricole UKL-ARREE (C‑677/11, EU:C:2013:348).
( 12 ) Voir conclusions de l’avocat général Wathelet dans l’affaire Doux Élevage et Coopérative agricole UKL-ARREE (C‑677/11, EU:C:2013:58, point 66).
( 13 ) Voir, respectivement, arrêts du 15 juillet 2004, Pearle e.a. (C‑345/02, EU:C:2004:448, point 37), et du 30 mai 2013, Doux Élevage et Coopérative agricole UKL-ARREE (C‑677/11, EU:C:2013:348, point 31).
( 14 ) Voir, en ce sens, arrêt du 17 juillet 2008, Essent Netwerk Noord e.a. (C‑206/06, EU:C:2008:413, points 69 et 70). Voir également conclusions de l’avocat général Mengozzi dans l’affaire Essent Netwerk Noord e.a. (C‑206/06, EU:C:2008:33, point 109).
( 15 ) Arrêt du 30 mai 2013, Doux Élevage et Coopérative agricole UKL-ARREE (C‑677/11, EU:C:2013:348, point 32).
( 16 ) Voir conclusions de l’avocat général Jääskinen dans l’affaire Association Vent De Colère ! e.a. (C‑262/12, EU:C:2013:469, point 44).
( 17 ) Arrêt du 19 décembre 2013, Association Vent De Colère ! e.a. (C‑262/12, EU:C:2013:851).
( 18 ) Arrêt du 19 décembre 2013, Association Vent De Colère ! e.a. (C‑262/12, EU:C:2013:851, points 22, 23, et 28 à 33).
( 19 ) Arrêt du 17 juillet 2008, Essent Netwerk Noord e.a. (C‑206/06, EU:C:2008:413).
( 20 ) Respectivement, arrêts du 13 mars 2001, PreussenElektra (C‑379/98, EU:C:2001:160), et du 13 septembre 2017, ENEA (C‑329/15, EU:C:2017:671).
( 21 ) Respectivement, arrêts du 17 juillet 2008, Essent Netwerk Noord e.a. (C‑206/06, EU:C:2008:413), et du 19 décembre 2013, Association Vent De Colère ! e.a. (C‑262/12, EU:C:2013:851).
( 22 ) Voir conclusions de l’avocat général Mengozzi dans l’affaire Essent Netwerk Noord e.a. (C‑206/06, EU:C:2008:33, points 108 et 109).
( 23 ) Voir, à cet égard, conclusions de l’avocat général Wathelet dans l’affaire Doux Élevage et Coopérative agricole UKL-ARREE (C‑677/11, EU:C:2013:58, points 97 à 105).
( 24 ) Voir, à cet égard, arrêt du 13 septembre 2017, ENEA (C‑329/15, EU:C:2017:671, points 28 et suivants).
( 25 ) Voir conclusions de l’avocat général Saugmandsgaard Øe dans l’affaire ENEA (C‑329/15, EU:C:2017:233, points 75, 83 et 84).
( 26 ) Voir, à cet égard, arrêt du 8 novembre 2001, Adria-Wien Pipeline et Wietersdorfer & Peggauer Zementwerke (C‑143/99, EU:C:2001:598, point 41). Voir également arrêts du 6 septembre 2006, Portugal/Commission (C‑88/03, EU:C:2006:511, point 54), et du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni (C‑106/09 P et C‑107/09 P, EU:C:2011:732, point 75).
( 27 ) Voir, à cet égard, arrêts du 18 juillet 2013, P (C‑6/12, EU:C:2013:525, point 18) ; du 9 octobre 2014, Ministerio de Defensa et Navantia (C‑522/13, EU:C:2014:2262, point 23), et du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a. (C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, points 56 et 59).
( 28 ) Voir, à cet égard, arrêts du 18 mai 2017, Fondul Proprietatea (C‑150/16, EU:C:2017:388, points 29 à 32 et jurisprudence citée), et du 14 janvier 2015, Eventech (C‑518/13, EU:C:2015:9, points 66 à 68 et jurisprudence citée).
( 29 ) Voir arrêt du 25 juillet 2018, Commission/Espagne e.a. (C‑128/16 P, EU:C:2018:591, point 84 et jurisprudence citée).
( 30 ) Arrêt du 27 septembre 1988, Asteris e.a. (106/87 à 120/87, EU:C:1988:457, point 24).
( 31 ) Voir, à cet égard, arrêt du 2 juillet 1974, Italie/Commission (173/73, EU:C:1974:71, points 26 et 27).
( 32 ) Voir, notamment, Hancher, L., Ottervanger, T., et Slot, P.J., EU State aids, 4e éd., Sweet & Maxwell, 2012, p. 91.
( 33 ) Voir, par exemple, arrêts du 2 septembre 2010, Commission/Scott (C‑290/07 P, EU:C:2010:480, point 68 et jurisprudence citée), et du 5 juin 2012, Commission/EDF (C‑124/10 P, EU:C:2012:318, point 78 et jurisprudence citée). Voir également conclusions de l’avocat général Tizzano dans les affaires jointes P & O European Ferries (Vizcaya) et Diputación Foral de Vizcaya/Commission (C‑442/03 P et C‑471/03 P, EU:C:2006:91, points 86 à 88).
( 34 ) Voir Quigley, C., European State Aid Law and Policy, 3e éd., 2015, Hart, p. 75.
( 35 ) Arrêt du 18 mai 2017, Fondul Proprietatea (C‑150/16, EU:C:2017:388, points 34 à 38).
( 36 ) Arrêt du 18 mai 2017, Fondul Proprietatea (C‑150/16, EU:C:2017:388, points 33 à 35).
( 37 ) Points 89 à 93 de l’arrêt. Ces conditions sont les suivantes : premièrement, l’entreprise qui bénéficie de la compensation doit effectivement être chargée de l’exécution d’obligations de service public et ces obligations doivent être clairement définies. Deuxièmement, les paramètres sur la base desquels est calculée la compensation doivent être préalablement établis de façon objective et transparente, afin d’éviter qu’elle comporte un avantage économique susceptible de favoriser l’entreprise
bénéficiaire par rapport à des entreprises concurrentes. Troisièmement, la compensation ne saurait dépasser ce qui est nécessaire pour couvrir tout ou partie des coûts occasionnés par l’exécution des obligations de service public, en tenant compte des recettes y relatives ainsi que d’un bénéfice raisonnable pour l’exécution de ces obligations. Quatrièmement, la compensation doit être déterminée sur la base d’une analyse des coûts qu’une entreprise moyenne, bien gérée et adéquatement équipée afin de
pouvoir satisfaire aux exigences de service public requises, aurait encourus pour exécuter ces obligations, en tenant compte des recettes y relatives ainsi que d’un bénéfice raisonnable pour l’exécution de ces obligations.
( 38 ) Voir mes conclusions dans l’affaire Viasat Broadcasting UK/Commission (C‑660/15 P, EU:C:2016:854, point 29).
( 39 ) Arrêt du 8 mars 2017, Viasat Broadcasting UK/Commission (C‑660/15 P, EU:C:2017:178, point 35).
( 40 ) Voir, à cet égard, arrêt du 20 décembre 2017, Comunidad Autónoma del País Vasco e.a./Commission (C‑66/16 P à C‑69/16 P, EU:C:2017:999, points 69 et 70 et jurisprudence citée).
( 41 ) Mise en italique par mes soins.
( 42 ) Conclusions de l’avocat général Wathelet dans les affaires Comunidad Autónoma del País Vasco e.a./Commission (C‑66/16 P à C‑69/16 P, C‑70/16 P et C‑81/16 P, EU:C:2017:654, point 48).
( 43 ) Voir, à cet égard, arrêts du 10 décembre 1991, Merci convenzionali porto di Genova (C‑179/90, EU:C:1991:464, point 27) ; du 17 juillet 1997, GT-Link (C‑242/95, EU:C:1997:376, point 53), et du 18 juin 1998, Corsica Ferries France (C‑266/96, EU:C:1998:306, point 45).
( 44 ) Voir, à cet égard, conclusions de l’avocate générale Sharpston dans l’affaire Farrell (C‑413/15, EU:C:2017:492 point 90), et arrêt du 16 septembre 2013, Colt Télécommunications France/Commission (T‑79/10, non publié, EU:T:2013:463, point 154).
( 45 ) Voir, à cet égard, arrêts du 1er mars 2017, SNCM/Commission (T‑454/13, EU:T:2017:134, points 133, 134, 172 et 173), et 7 novembre 2018, Commission/Hongrie (C‑171/17, EU:C:2018:881, points 56 et 57).
( 46 ) Directive 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009, concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et abrogeant la directive 2003/54/CE (JO 2009, L 211, p. 55).
( 47 ) Voir conclusions de l’avocat général Szpunar dans l’affaire Hiebler (C‑293/14, EU:C:2015:472, point 61) et arrêt du 12 février 2008, BUPA e.a./Commission (T‑289/03, EU:T:2008:29, point 172).
( 48 ) Voir conclusions de l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer dans l’affaire Federutility e.a. (C‑265/08, EU:C:2009:640, points 54 et 55).
( 49 ) Assistée, si nécessaire, par la Cour, saisie au titre de l’article 267 TFUE.
( 50 ) À l’occasion d’un recours en annulation d’une décision de la Commission prenant position sur cette question.
( 51 ) Arrêt du 20 décembre 2017, Comunidad Autónoma del País Vasco e.a./Commission (C‑66/16 P à C‑69/16 P, EU:C:2017:999, point 70 et jurisprudence citée).
( 52 ) Arrêt du 20 décembre 2017, Comunidad Autónoma del País Vasco e.a./Commission (C‑66/16 P à C‑69/16 P, EU:C:2017:999, point 100), confirmant l’analyse du Tribunal de l’Union européenne.
( 53 ) Voir, à cet égard, arrêt du 23 octobre 1997, Commission/France (C‑159/94, EU:C:1997:501, point 66).
( 54 ) Voir communication de la Commission relative à l’application des règles de l’Union européenne en matière d’aides d’État aux compensations octroyées pour la prestation de services d’intérêt économique général, point 52 (JO 2012, C 8, p. 4).
( 55 ) Arrêt du 20 décembre 2017, Comunidad Autónoma del País Vasco e.a./Commission (C‑66/16 P à C‑69/16 P, EU:C:2017:999, point 73).
( 56 ) Voir, à cet égard, conclusions de l’avocat général Wathelet dans les affaires Comunidad Autónoma del País Vasco e.a./Commission (C‑66/16 P à C‑69/16 P, C‑70/16 P et C‑81/16 P, EU:C:2017:654, point 112).
( 57 ) Voir conclusions de l’avocat général Szpunar dans l’affaire Renerga (C‑238/17, EU:C:2018:571, points 28 à 34).
( 58 ) En ce qui concerne l’importance du caractère obligatoire d’un SIEG, voir notamment de Hautecloque, A., Salerno, F.M., et Suciu, S., « Services of General Economic Interest », in Hancher, L., de Hautecloque, A., et Salerno, F.M. (éd.), State Aid and the Energy Sector, Hart, 2018, p. 275 à 277.
( 59 ) Voir, à cet égard, arrêt du 14 novembre 2018, Renerga (C‑238/17, EU:C:2018:905, points 19 à 29).
( 60 ) Voir, à cet égard, arrêt du 1er mars 2017, SNCM/Commission (T‑454/13, EU:T:2017:134, point 241).