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27/09/2018 | CJUE | N°C-375/17

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Stanley International Betting Ltd et Stanleybet Malta Ltd contre Ministero dell'Economia e delle Finanze et Agenzia delle Dogane e dei Monopoli., 27/09/2018, C-375/17


CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME ELEANOR SHARPSTON

présentées le 27 septembre 2018 ( 1 )

Affaire C‑375/17

Stanley International Betting Ltd,

Stanleybet Malta Ltd

contre

Ministero dell’Economia e delle Finanze,

Agenzia delle Dogane e dei Monopoli

en présence de :

Lottomatica SpA,

Lottoitalia Srl

[demande de décision préjudicielle formée par le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie)]

« Renvoi préjudiciel – Liberté d’établissement

, libre prestation de services et principes généraux du droit de l’Union – Concession de la gestion du jeu de Lotto – Choix du législateur national d’attrib...

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME ELEANOR SHARPSTON

présentées le 27 septembre 2018 ( 1 )

Affaire C‑375/17

Stanley International Betting Ltd,

Stanleybet Malta Ltd

contre

Ministero dell’Economia e delle Finanze,

Agenzia delle Dogane e dei Monopoli

en présence de :

Lottomatica SpA,

Lottoitalia Srl

[demande de décision préjudicielle formée par le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie)]

« Renvoi préjudiciel – Liberté d’établissement, libre prestation de services et principes généraux du droit de l’Union – Concession de la gestion du jeu de Lotto – Choix du législateur national d’attribuer la concession à un opérateur unique – Calcul de la valeur du contrat – clause de déchéance »

1.  « On n’a jamais vu et on ne verra jamais une loterie au monde qui soit parfaitement égale» ( 2 ).

2.  La présente demande de décision préjudicielle du Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie) porte sur une procédure de marché public aux fins de l’attribution à un opérateur d’un contrat exclusif de gestion du jeu de loterie automatisé en Italie (le « Lotto ») ainsi que d’autres jeux numériques à cote fixe. Dans la procédure devant les juridictions italiennes, Stanley International Betting Ltd et Stanleybet Malta Ltd (ci‑après les « sociétés Stanley ») ont contesté les dispositions nationales
habilitant les autorités italiennes compétentes à organiser un appel d’offres à ces fins. Ces sociétés allèguent qu’en raison de certains aspects du contrat proposé, les autorités nationales ont, dans les faits, créé une entrave limitant l’accès au marché d’opérateurs comme elles-mêmes, violant ainsi la directive 2014/23/UE ( 3 ), les dispositions du traités régissant les libertés d’établissement et de prestation de services, ainsi que des principes généraux du droit de l’Union.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3. L’article 49 TFUE énonce que « les restrictions à la liberté d’établissement des ressortissants d’un État membre dans le territoire d’un autre État membre sont interdites ».

4. L’article 56 TFUE prévoit que « les restrictions à la libre prestation des services à l’intérieur de l’Union sont interdites à l’égard des ressortissants des États membres établis dans un État membre autre que celui du destinataire de la prestation ».

5. Les articles 49 et 56 TFUE ne préjugent pas des dispositions législatives, réglementaires et administratives prévoyant un régime spécial pour les ressortissants étrangers, et justifiées par des raisons d’ordre public, de sécurité publique et de santé publique (voir respectivement articles 52 et 62 TFUE).

6. La directive 2014/23 établit les règles applicables aux procédures de passation de contrats de concession par des pouvoirs adjudicateurs et des entités adjudicatrices lorsque la valeur estimée n’est pas inférieure au seuil de 5186000 euros (article 1er, paragraphe 1, et article 8, paragraphe 1). Conformément à l’article 5, paragraphe 10, on entend par « droits exclusifs », des « droits accordés par une autorité compétente d’un État membre au moyen de toute loi, de tout règlement ou de toute
disposition administrative publiée qui est compatible avec les traités ayant pour effet de réserver l’exercice d’une activité à un seul opérateur économique et d’affecter substantiellement la capacité des autres opérateurs économiques d’exercer cette activité ».

7. L’article 10 de la directive 2014/23, intitulé « Exclusions », mentionne les concessions attribuées par des pouvoirs adjudicateurs et des entités adjudicatrices, qui sont exclues du champ d’application de cette directive. L’article 10, paragraphe 9, énonce que la directive ne s’applique pas aux concessions de services de loteries relevant du code CPV 92351100-7 attribuées par un État membre à un opérateur économique sur la base d’un droit exclusif ( 4 ). Le considérant 35 de la directive prévoit
à ce sujet que « [l]a présente directive ne devrait pas porter atteinte à la liberté des États membres de fixer, conformément au droit de l’Union, les méthodes d’organisation et de contrôle des opérations de jeux et de paris, y compris au moyen d’autorisations. Il convient d’exclure du champ d’application de la présente directive les concessions liées à l’exploitation de loteries attribuées par un État membre à un opérateur économique sur la base d’un droit exclusif octroyé par une procédure
n’impliquant pas de publicité, en vertu de la législation, de la réglementation ou des dispositions administratives publiées nationales applicables, conformément au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Cette exclusion se justifie par l’octroi d’un droit exclusif à un opérateur économique rendant inapplicable une procédure concurrentielle, ainsi que par la nécessité de préserver la possibilité pour les États membres de réguler au niveau national le secteur des jeux en raison de
leurs obligations en termes de protection de l’ordre public et social. »

8. Conformément à l’article 51, paragraphe 1, de la directive 2014/23, « [l]es États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive au plus tard le 18 avril 2016 ». L’article 54 précise que ladite directive « ne s’applique pas à l’attribution de concessions ayant fait l’objet d’une offre ou attribuées avant le 17 avril 2014 ».

Le droit italien

9. L’article 1er, paragraphe 653, de la legge n. 190 (loi no 190) du 23 décembre 2014 (ci-après la « loi de stabilité de 2015 ») a confié à l’Agenzia delle Dogane e dei Monopoli (Agence des douanes et des monopoles, ci-après l’« ADM ») la responsabilité d’organiser l’appel d’offres aux fins de l’attribution d’une concession exclusive de gestion du Lotto et d’autres jeux numériques à cote fixe en Italie.

Les faits à l’origine du litige, la procédure et les questions préjudicielles

10. En Italie, il y a deux catégories de concessions relatives à l’exploitation du Lotto ( 5 ) : l’une pour la vente de billets de Lotto qui est réservée aux revendeurs et l’autre pour la gestion du Lotto comprenant, comme le mentionne la décision de renvoi, « les services de tirage, de connexion et d’automatisation ». Le gouvernement italien résume les services qui font l’objet de la concession de la gestion comme étant : i) le tirage des numéros gagnants, ii) le lien informatique entre tous les
points de collecte, iii) le contrôle des mises, iv) la détermination des mises gagnantes, v) le paiement des gains, vi) la retenue à la source sur les recettes, vii) le versement à l’État italien du bénéfice et des retenues à la source. Lottomatica Spa a assumé la fourniture de ces services jusqu’à l’expiration de son contrat en date du 8 juin 2016.

11. En décembre 2015, l’ADM a publié un avis de concession énonçant les conditions essentielles suivantes : i) la concession serait attribuée pour une durée de neuf ans, non renouvelable ; ii) la sélection serait basée sur le critère de l’offre économiquement la plus avantageuse, la valeur de base du marché étant de 700 millions d’euros ; iii) le soumissionnaire adjudicataire verserait ce montant de façon échelonnée (à hauteur de 350 millions d’euros au moment de l’adjudication, puis de 250 millions
d’euros en 2016, au moment où il prendrait en charge effectivement le service du jeu, et du solde avant le 30 avril 2017) ; iv) le concessionnaire adjudicataire aurait la faculté d’utiliser le réseau de télécommunications pour des prestations, directes ou indirectes, de services autres que la collecte des mises du jeu du Lotto et des autres jeux numériques à cote fixe, pour autant que l’ADM les juge compatibles avec l’activité principale de collecte proprement dite ; et v) le concessionnaire
obtiendrait une commission égale à 6 % de la somme collectée ( 6 ).

12. Les participants devaient également être en mesure de démontrer une expérience antérieure dans la gestion ou la collecte du jeu sur la base d’un titre d’habilitation valide et efficace dans l’un des États de l’Espace économique européen.

13. Le point 5.3 du cahier des charges accompagnant l’appel d’offres énonce les conditions de capacité financière. Les participants devaient démontrer la réalisation, sur une période de trois ans (soit dans les trois années 2012-2014, soit dans les trois années 2013‑2015) d’un chiffre d’affaires total au moins égal à 100 millions d’euros pour les activités de gestion ou de collecte des mises. S’agissant de la capacité technique, le point 5.4 exigeait ce qui suit des participants :

« a) réalisation globale, pendant chacun des trois derniers exercices clos pendant les années 2012/2014 ou 2013/2015, d’une collecte [des mises] de jeux égale à au moins 350 millions d’euros pour des types de jeux fonctionnant au moyen de terminaux de jeu. Dans le cas où le candidat exerce son activité dans le secteur depuis moins de trois ans mais depuis au moins 18 mois, la valeur de la collecte est ramenée au prorata de la durée de collecte effective ;

b) possession de la certification de qualité des systèmes de gestion de l’entreprise conforme aux normes UNI EN ISO 9001:2008 pour les activités exercées dans la gestion ou la collecte [des mises] de jeu [par le soumissionnaire] ;

c) possession de la certification sur les Systèmes de gestion de la sécurité des informations conforme aux normes ISO/IEC 27001. »

14. L’article 12.4 exigeait que le participant remette une offre financière consistant dans une offre à la hausse par rapport à la valeur de base du marché de 700 millions d’euros, les offres à la hausse devant être formulées avec un montant minimal de 3 millions d’euros.

15. L’article 22, paragraphe 1, du modèle de convention accompagnant l’appel d’offres prévoit par ailleurs qu’à l’issue de la durée de la concession, le concessionnaire « restitue à l’[ADM], sans aucune charge pour celle-ci et à sa demande, tous les biens matériels et immatériels qui constituent le réseau formé des points de collecte physiques, ainsi que la propriété de la totalité du système automatisé, y compris la disponibilité des locaux, des équipements, dont les terminaux auprès de tous les
points de collecte ».

16. L’article 30, paragraphe 2, du modèle de convention, qui énumère les circonstances susceptibles d’entraîner la déchéance de la concession. Celles-ci comprenaient :

« h) […] toute hypothèse de délit pour lequel le renvoi devant un juge a été ordonné, et que l’[ADM], en raison de sa nature, de la gravité, des modalités d’exécution et du lien avec l’objet de l’activité donnée en concession, juge de nature à exclure la fiabilité, le professionnalisme et la qualité morale du concessionnaire […] ;

[…]

k) le concessionnaire commet une violation de la réglementation en matière de répression du jeu irrégulier, illicite et clandestin, et en particulier, lorsque, en propre ou à travers des sociétés détenues ou liées, quel que soit leur lieu d’établissement, il commercialise sur le territoire italien d’autres jeux assimilables au jeu de Lotto automatisé et autres jeux numériques à cote fixe sans avoir obtenu le titre requis à cet effet, ou à d’autres jeux interdits par le droit italien. »

17. Par décision du 16 mai 2016, la concession exclusive a été attribuée à un regroupement (Lottoitalia Srl) comprenant entre autres le prestataire sortant (Lottomatica SpA). La notification de l’attribution a été publiée dans la GURI du 20 mai 2016. Dans l’intervalle, les sociétés Stanley avaient introduit un recours devant le Tribunale amministrativo regionale per il Lazio (tribunal administratif régional du Latium, Italie, ci-après le « TAR Lazio ») dans lequel elles contestaient l’article 1er,
paragraphe 653, de la loi de stabilité pour 2015 et demandaient l’annulation des actes relatifs à la procédure menée par l’ADM en vue de la sélection d’un concessionnaire exclusif pour la gestion du Lotto. Le 21 avril 2016, le TAR Lazio a rejeté ce recours.

18. Le TAR Lazio a notamment jugé que le Lotto diffère des autres jeux en ce que l’État italien supporte le risque commercial et qu’il existe deux éléments distincts : la collecte des mises de jeu qui est confiée aux 33000 points de collecte et la gestion du Lotto qui est confiée à un concessionnaire unique. S’agissant de la décision de l’ADM de choisir le modèle de concession exclusive plutôt que d’octroyer plusieurs concessions, le TAR Lazio a jugé qu’une telle décision présentait deux avantages.
Premièrement, elle permettait d’éviter la nécessité d’avoir un « superconcessionnaire » supervisant et coordonnant les activités des différents concessionnaires en vue de la gestion du Lotto. Deuxièmement, cette décision tiendrait l’ADM indemne de toute responsabilité découlant de l’inexécution de la part de différents concessionnaires de leurs obligations, ce qui présentait l’avantage supplémentaire de décharger l’État italien d’un tel fardeau. Ce modèle, même s’il créait une concurrence
moindre au sein du marché, répondait à une logique de contrôle étatique responsable de cette activité du jeu.

19. En outre, le TAR Lazio a jugé que la décision de fixer la valeur de base contractuelle à 700 millions d’euros et de concentrer les charges financières sur le concessionnaire pendant la première année n’était pas inappropriée. La valeur contractuelle élevée était raisonnable et proportionnée. Il avait été constaté à l’avance qu’au moins quinze opérateurs du secteur remplissaient les conditions spéciales énoncées aux points 5.3 et 5.4 du cahier des charges. Pendant les cinq années précédentes, des
ventes annuelles supérieures à 6 milliards d’euros avaient toujours été enregistrées, générant ainsi un chiffre d’affaires pour le concessionnaire d’environ 400 millions d’euros. On pouvait raisonnablement escompter que la nouvelle concession génère des montants supérieurs. Ces conditions étaient dès lors adaptées et proportionnées compte tenu de la nature et de l’objet du service requis en vertu de l’appel d’offres. Le fait que Lottomatica avait pris part à l’appel d’offres en tant que
représentant d’un regroupement temporaire constitué aux fins de l’offre démontrait que l’appel d’offres n’avait pas été conçu afin de favoriser cette société. De surcroît, les clauses de déchéance avaient été rédigées suffisamment clairement pour conclure à leur absence de caractère dissuasif lié à l’incertitude. Enfin, le TAR Lazio a jugé que les sociétés Stanley ne pouvaient pas invoquer l’arrêt Laezza de la Cour au motif que cet arrêt concernait une problématique différente ( 7 ).

20. À l’appui de l’appel qu’elles ont interjeté auprès de la juridiction de renvoi, les sociétés Stanley ont allégué que la décision d’organiser la procédure d’appel d’offres sur la base du modèle de concession exclusive les excluaient (ainsi que d’autres opérateurs du secteur), dans les faits, de la procédure de sélection qui était en substance conçue sur mesure pour Lottomatica ou, à tout le moins, pour un nombre très restreint de très gros opérateurs jouissant déjà d’une présence importante en
Italie. Les sociétés Stanley affirment qu’elles ont été dissuadées de participer à la procédure d’appel d’offres. Elles font valoir que les articles 49 et 56 TFUE, les principes généraux du droit de l’Union et les dispositions de la directive 2014/23 s’opposent à la loi de stabilité de 2015 et aux documents relatifs à l’appel d’offres. La juridiction de renvoi est d’avis que la réponse de la Cour aux questions suivantes l’aidera à statuer sur la procédure au principal :

« 1) Le droit de l’Union – et, en particulier, le droit d’établissement et la libre prestation de services ainsi que les principes de non-discrimination, transparence, liberté de concurrence, proportionnalité et cohérence – doit-il être interprété comme faisant obstacle à une réglementation telle que celle prévue à l’article 1er, paragraphe 653, de la loi de stabilité de 2015 et dans les actes pris pour son application, qui prévoit un modèle de concessionnaire “monoproviding” exclusif en
relation avec le service du jeu de “Lotto”, mais pas pour les autres jeux, concours de pronostics et paris ?

2) Le droit de l’Union – et, en particulier, le droit d’établissement et la libre prestation de services et la directive 2014/23/UE, ainsi que les principes de non-discrimination, transparence, liberté de concurrence, proportionnalité et cohérence – doit-il être interprété comme faisant obstacle à un avis de marché qui prévoit une valeur de base du marché largement supérieure et injustifiée, par rapport aux exigences de capacité économico-financière et technico-organisationnelles, du type de
celles prévues aux points 5.3, 5.4, 11, 12.4 et 15.3 du cahier des charges de l’appel d’offres pour l’attribution de la concession du jeu de “Lotto” ?

3) Le droit de l’Union – et, en particulier, le droit d’établissement et la libre prestation de services et la directive 2014/23/UE, ainsi que les principes de non-discrimination, transparence, liberté de concurrence, proportionnalité et cohérence – doit-il être interprété comme faisant obstacle à une réglementation qui impose une alternative de fait entre, d’une part, devenir attributaire d’une nouvelle concession et, d’autre part, continuer d’exercer la liberté de prestation des divers
services de paris sur une base transfrontalière, alternative du type de celle qui découle de l’article 30 du modèle de convention, de sorte que la décision de participer à l’appel d’offres pour l’attribution de la nouvelle concession impliquerait de renoncer à l’activité transfrontalière, bien que la légalité de cette dernière activité ait été reconnue à plusieurs reprises par la Cour ? »

21. Les sociétés Stanley, Lottoitalia, les gouvernements italien, belge et portugais, ainsi que la Commission européenne ont présenté des observations écrites. Les mêmes parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par la Cour à l’audience du 6 juin 2018.

Appréciation

Recevabilité

22. Lottoitalia et le gouvernement italien estiment que la demande de décision préjudicielle est manifestement irrecevable : la juridiction de renvoi a simplement repris dans la décision de renvoi les questions rédigées par les sociétés Stanley sans examiner si une décision de la Cour était nécessaire pour statuer dans l’affaire en cause. La décision de renvoi n’explique pas pourquoi les dispositions du droit de l’Union mentionnées dans ces questions sont pertinentes. La juridiction de renvoi
n’explique pas davantage le lien existant entre le droit de l’Union qui y est mentionné et les règles nationales pertinentes.

23. Il est de jurisprudence constante que, dans le cadre de la procédure instituée par l’article 267 TFUE, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées
portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer ( 8 ).

24. Il me semble que, si la décision de renvoi ne constitue pas le modèle le plus complet ni le plus détaillé en son genre, elle contient néanmoins suffisamment d’informations pour montrer que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union présente un certain lien avec les faits de la procédure au principal. Je relève que les informations fournies par la juridiction de renvoi étaient suffisamment étoffées pour que les gouvernements belge et portugais présentent des observations écrites ( 9 ).
Ainsi, la description par la juridiction de renvoi des contextes factuel et juridique dote la Cour du contexte approprié lui permettant de répondre utilement aux questions posées ( 10 ).

25. La juridiction de renvoi a indiqué en toute franchise que les questions posées avaient été proposées par les sociétés Stanley. Néanmoins, elle affirme également qu’elle considère elle-même que ces questions sont à l’évidence pertinentes aux fins de statuer sur la procédure au principal. Étant donné qu’il incombe à la Cour de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi, il est nécessaire d’examiner la meilleure manière de reformuler plus
précisément les questions posées ( 11 ).

26. Pour les motifs que je viens d’énoncer, je considère qu’il y a lieu de conclure à la recevabilité de la décision de renvoi.

Observations préliminaires

27. Premièrement, il est nécessaire de déterminer la catégorie de contrat en cause. La juridiction de renvoi n’abordant pas expressément cette question, elle part (au moins implicitement par la référence qu’elle fait à la directive 2014/23) du postulat selon lequel le contrat proposé est un contrat de concession de service. Les critères essentiels de distinction d’un contrat de concession de service sont i) que la contrepartie de la prestation de service consiste dans le droit d’exploiter le
service, soit seul, soit assorti d’un prix ii) et qu’il y a un transfert au concessionnaire du risque lié à l’exploitation du service ( 12 ). Compte tenu de la description figurant dans la décision de renvoi des modalités de rémunération du concessionnaire, ainsi que des conclusions du TAR Lazio selon lesquelles les recettes perçues par le concessionnaire dépendent du chiffre d’affaires annuel, il me semble que le contrat décrit dans l’appel d’offres est bien un contrat de concession d’un
service.

28. Deuxièmement, le contrat en cause présentant un intérêt transfrontalier, les autorités qui proposent de l’attribuer et de le conclure sont « tenues de respecter les règles fondamentales du traité CE en général, notamment l’[article 56 TFUE], et, en particulier, les principes d’égalité de traitement et de non-discrimination en raison de la nationalité ainsi que l’obligation de transparence qui en découle» ( 13 ). En principe, la Cour laisse à la juridiction de renvoi le soin de vérifier
l’existence d’un intérêt transfrontalier. En l’espèce, toutefois, la Cour dispose de suffisamment d’éléments pour conclure que le marché public en cause présente effectivement un tel intérêt. Ces éléments consistent en ce que les sociétés Stanley sont elles-mêmes des sociétés établies au Royaume-Uni et à Malte et que, d’un point de vue objectif, la valeur du contrat, aussi contestée soit-elle, est suffisamment élevée pour avoir une portée transfrontalière ( 14 ).

29. Enfin, il est constant que l’ADM est un pouvoir public et que l’appel d’offres relève du domaine des marchés publics en ce qu’il s’inscrit dans la procédure par laquelle ce pouvoir public cherchait à obtenir des services pour gérer le Lotto. Dans ce contexte, il est de jurisprudence constante que « le principe de transparence » est un corollaire du principe d’égalité de traitement ( 15 ). Les règles régissant de telles procédures visent à garantir que le marché public est concurrentiel, ouvert
et correctement régulé. C’est dans cette perspective que je comprends les références que les questions posées par la juridiction de renvoi font aux principes du droit de l’Union (« non-discrimination, transparence, liberté de concurrence, proportionnalité et cohérence »).

La directive 2014/23

30. La directive est entrée en vigueur le 17 avril 2014 et elle s’applique à l’attribution de concessions ayant fait l’objet d’une offre ou attribuées après cette date ( 16 ). Le délai de transposition imparti aux États membres a expiré le 18 avril 2016. En l’espèce, le 17 décembre 2015, l’ADM a publié un appel d’offres dans le Journal officiel de l’Union européenne et le 21 décembre 2015, dans la GURI. La date limite de dépôt des offres était le 16 mars 2016. Ces trois dates étaient toutes
postérieures à la date à partir de laquelle la directive 2014/23 a commencé à s’appliquer à l’attribution de concessions (à savoir le 17 avril 2014). La concession elle-même a été attribuée le 16 mai 2016, soit après l’expiration du délai de transposition, mais avant la transposition complète de la directive en droit italien ( 17 ).

31. La Cour a déclaré que la directive applicable est, en principe, celle en vigueur au moment où le pouvoir adjudicateur choisit le type de procédure qu’il va suivre et tranche définitivement la question de savoir s’il y a ou non obligation de procéder à une mise en concurrence préalable pour l’adjudication d’un marché public. En revanche, une directive dont le délai de transposition a expiré après ce moment est inapplicable ( 18 ). Toutefois, cette jurisprudence porte sur des circonstances dans
lesquelles deux directives antérieures relatives aux marchés publics avaient été abrogées et remplacées par la directive 2004/18/CE ( 19 ). Même si la dernière directive était entrée en vigueur le 30 avril 2004, la directive 92/50 (marchés publics de services) et la directive 93/37 (marchés publics de travaux) étaient restées applicables jusqu’à ce que le délai de transposition de la directive 2004/18 expire le 31 janvier 2006 ( 20 ). Ces règles avaient pour but de prévoir une transition en
douceur entre l’ancien et le nouveau régime de passation de marché ( 21 ).

32. Telle n’est pas la situation en l’espèce, au motif qu’il n’y avait aucun régime de l’Union taillé sur mesure qui se serait appliqué à la passation de concessions de travaux avant l’adoption de la directive 2014/23 ( 22 ). Il me semble dès lors que, conformément au libellé clair de l’article 54, second alinéa, cette directive s’appliquerait ratione temporis et ce parce que, contrairement à ce que soutiennent le gouvernement italien et la Commission, le pouvoir adjudicateur a choisi le type de
procédure à suivre et a pris une décision définitive d’organiser un appel d’offres à un moment où la directive 2014/23 était de toute évidence déjà en vigueur.

33. Cependant, la question subsiste de savoir si ce contrat spécifique relève du champ d’application ratione materiae de la directive. À cet égard, le libellé de l’article 10, paragraphe 9, de la directive 2014/23 est clair et dépourvu d’ambiguïté. Étant donné que l’offre de contrat de concession de service du Lotto portait sur un « droit exclusif » [tel que défini à l’article 5, paragraphe 10, de la directive ( 23 )] relatif à un service expressément visé par le code du « vocabulaire commun pour
les marchés publics » (à savoir 92351100-7), elle était dès lors exonérée de l’application des dispositions de la directive ( 24 ).

34. Le considérant 35 pourrait être interprété comme voulant dire que cette exonération ne s’applique que lorsque l’État membre concerné choisit de ne pas soumettre à publicité l’attribution du contrat et de ne pas faire appel à la concurrence, dans l’exercice de sa « liberté […] de fixer […] les méthodes d’organisation et de contrôle des opérations de jeux et de paris », mais qu’une fois que cet État membre publie l’attribution du marché, l’exonération ne s’applique pas ( 25 ). Je pense que cette
interprétation reviendrait à solliciter à l’excès un considérant dont la rédaction est imparfaite et qui, en toute hypothèse, est dépourvu de force contraignante ( 26 ). À mon sens, les termes importants du considérant sont « conformément au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ». Ces termes mettent en exergue le fait que le marché public revêtant un intérêt transfrontalier est, en toute hypothèse, soumis à l’examen au titre des traités et des principes généraux du droit de
l’Union.

35. Par conséquent, la directive ne s’applique pas.

Sur la première question

36. Par sa première question, la juridiction de renvoi cherche à savoir en substance s’il convient d’interpréter le droit de l’Union comme faisant obstacle à des réglementations nationales telles que celles en cause en l’espèce qui exigent que les autorités de l’État membre compétents organisent un appel d’offres pour l’attribution d’une concession de la gestion du Lotto automatisé à un concessionnaire unique. Le contexte dans lequel cette question est soulevée par la juridiction de renvoi est celui
dans lequel les contrats offerts pour d’autres jeux, concours de pronostics et paris ne sont pas basés sur l’exclusivité et prévoient au contraire de multiples prestataires de services.

37. Il me semble qu’il y a trois éléments dans la question de la juridiction de renvoi. Premièrement, le droit de l’Union fait-il obstacle à l’acte qui consiste à offrir d’attribuer la concession de la gestion du Lotto ? Deuxièmement, le droit de l’Union fait-il obstacle à ce que l’offre porte sur une concession exclusive ? Et troisièmement, le droit de l’Union fait-il obstacle au modèle exclusif, étant donné que des modèles non exclusifs ont été appliqués par l’État italien à d’autres catégories
d’activités de jeux et de paris ?

38. Les sociétés Stanley font valoir que le modèle exclusif constitue une restriction au sens des articles 49 et 56 TFUE qui ne peut être justifiée par un objectif impérieux d’intérêt général et qui est, en toute hypothèse, disproportionnée. Elles font également valoir qu’il existe notamment des raisons découlant du droit de la concurrence qui commandent de traiter toutes les activités de jeux de la même manière. Le gouvernement italien et Lottoitalia ne partagent pas cette vision des choses et font
valoir que les diverses catégories d’activités de jeux justifient une différence de traitement et que la restriction est proportionnée et justifiée par un intérêt général impérieux. Le gouvernement italien affirme également que sa décision de choisir un modèle exclusif est une expression du principe de la libre administration et, en tant que telle, elle échappe à l’examen en sa qualité de mesure relative à une activité de jeu. Les gouvernements belge et portugais, ainsi que la Commission font
valoir qu’il s’avère que la restriction est proportionnée et justifiée par rapport à un intérêt général impérieux au regard, ici aussi, des articles 49 et 56 TFUE.

39. S’agissant du premier élément, qui est de savoir si le droit de l’Union fait obstacle à l’offre d’un contrat de concession, j’estime que le fait d’exiger qu’un opérateur de loterie potentiel soit titulaire d’un contrat de concession est une restriction des libertés garanties par les articles 49 et 56 TFUE, mais qu’en principe, cette restriction est parfaitement justifiable.

40. En particulier, si un opérateur est dans l’impossibilité factuelle et juridique de fournir des services de gestion du Lotto en Italie sans passer par une concession qu’il aurait obtenue à l’issue d’une procédure de marché public, il y a là une entrave à la jouissance sans restriction des libertés garanties par les articles 49 et 56 TFUE. Pour le dire simplement, si les opérateurs veulent à l’avenir fournir des services équivalents et/ou proposer de fournir ces services, ils sont tenus de faire
une offre pour un contrat de concession ( 27 ). En outre, du fait de la présence, dans ce contrat de concession, de clauses de déchéance menaçant la continuité des activités (que l’application de ces clauses soit déclenchée par un comportement inapproprié ou par le fait que la concession arrive à son échéance contractuelle), le service fourni par les opérateurs est nécessairement moins attrayant d’un point de vue économique que si la prestation de ce service n’était pas subordonnée à la
condition préalable d’être titulaire d’un contrat de concession ( 28 ).

41. S’agissant du deuxième élément, je ne pense pas que l’on puisse d’emblée partir du postulat que la décision d’appliquer un modèle de concession exclusive est, en elle-même, une restriction illicite au sens des articles 49 et 56 TFUE. Il me semble plutôt que, en fonction du libellé exact du contrat de concession de service, l’exclusivité peut renforcer les effets restrictifs globaux de la décision (adoptée par le truchement de la loi de stabilité de 2015) d’organiser une procédure de passation de
marché public ou, au contraire, que l’exclusivité peut remédier à ces effets. Il appartiendra à la juridiction de renvoi d’évaluer les conditions exclusives proposées selon qu’elles sont susceptibles d’être dissuasives, persuasives ou neutres, ce qui affectera la proportionnalité globale des conditions en question. Selon moi, la juridiction de renvoi devra procéder à cette évaluation en fonction, non pas de l’appréciation subjective de chaque opérateur, mais en fonction de critères objectifs (
29 ).

42. La position que j’ai énoncée ci-dessus quant au choix du modèle implique nécessairement le rejet de l’argument du gouvernement italien selon lequel ce choix est exclu de l’examen au titre des articles 49 et 56 TFUE. Deux autres raisons au moins viennent corroborer ma conclusion. Premièrement, la Cour a jugé par le passé que les contrats qui portaient uniquement sur un aspect de l’activité de jeu devaient néanmoins être appréciés au regard de la jurisprudence qui examine les activités de jeu par
rapport aux articles 49 et 56 TFUE, étant donné que ces contrats ne devaient pas être envisagés indépendamment de ces activités globales ( 30 ). Deuxièmement, il me semble artificiel de scinder la gestion d’une activité de jeu et l’activité de jeu elle-même ( 31 ).

43. Par conséquent, à mon sens, la décision de suivre une procédure de passation de marché public appliquant un modèle de concession exclusive doit dès lors être examinée au titre des articles 49 et 56 TFUE. Dans ces conditions, ce choix de modèle, qui n’est pas explicitement discriminatoire, est exclu sauf s’il est admis à titre de mesure dérogatoire expressément prévue par le traité FUE, ou justifié par des raisons impérieuses d’intérêt général ( 32 ). C’est aux pouvoirs publics concernés qu’il
incombe de fournir cette justification ( 33 ).

44. Dans ses observations écrites, le gouvernement italien cite plusieurs objectifs d’intérêt général, comme le souci d’éviter toute infiltration criminelle dans la gestion de la loterie et de canaliser le jeu dans un circuit contrôlé soumis à une concurrence réduite. Les observations de Lottoitalia se réfèrent aussi aux raisons d’ordre public et social, à la protection des consommateurs et à la prévention de la fraude. La société Stanley conteste la réalité de ces objectifs et invoque que le choix
du modèle est principalement motivé par la volonté d’augmenter les recettes du trésor de l’État italien.

45. Tous les objectifs cités par le gouvernement italien et Lottoitalia ont été reconnus par la Cour comme constituant un intérêt général impérieux lié à des activités de jeu, qu’ils soient envisagés conjointement ou séparément ( 34 ). À l’inverse, l’augmentation des recettes de l’État membre n’est pas un objectif propre à justifier une restriction à la libre prestation de services, quand bien même elle peut amener une conséquence bénéfique accessoire pour le gouvernement concerné ( 35 ).
L’efficacité administrative (ou le souci d’éviter des inconvénients administratifs) n’est pas davantage considérée comme un intérêt général impérieux ( 36 ). Il incombe à la juridiction de renvoi de déterminer les objectifs réellement poursuivis par le choix du modèle en cause ( 37 ).

46. Si la juridiction de renvoi constate que l’objectif réel de l’État italien est avant tout d’augmenter les recettes ou participe de préoccupations purement économiques, le choix du modèle doit être considéré comme incompatible avec les articles 49 et 56 TFUE. De même, si elle constate que le choix se justifie principalement par des raisons d’efficacité administrative, comme le souci d’éviter un double niveau de concessions de gestion [c’est-à-dire si, comme les sociétés Stanley le demandent,
l’ADM devait désigner de multiples prestataires de services plutôt qu’un seul prestataire de service exclusif pour gérer la loterie, la désignation d’un « superconcessionnaire » assumant la responsabilité globale pourrait dès lors s’avérer nécessaire ( 38 )], il y aurait également lieu de considérer le choix du modèle comme étant incompatible avec les articles 49 et 56 TFUE.

47. En revanche, si la juridiction de renvoi estime que le choix du modèle exclusif poursuit réellement l’un des objectifs autorisés, elle devra par la suite examiner si la restriction est proportionnée. Elle doit s’assurer que la restriction est propre à atteindre les objectifs poursuivis par le modèle concerné au niveau de protection qu’elle vise et qu’elle n’excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre ces objectifs.

48. À ce sujet, comme les États membres jouissent d’un large pouvoir discrétionnaire pour apprécier, selon leur « propre échelle des valeurs » et leurs « divergences d’ordre moral, religieux et culturel » les exigences que comporte la protection des objectifs d’intérêt général concernés ( 39 ), il incombe aux autorités italiennes de fournir à la juridiction de renvoi les éléments de nature à permettre à celle-ci de s’assurer que le modèle vise, de fait, à poursuivre l’objectif déclaré d’une manière
cohérente et systématique ( 40 ). Par exemple, dans des renvois préjudiciels précédents, la Cour a évoqué des éléments montrant que le concessionnaire serait soumis au « contrôle étroit » des autorités compétentes ou que l’offre de concession exclusive « s’accompagn[ait] de la mise en place d’un cadre normatif propre à garantir que le titulaire dudit monopole sera effectivement à même de poursuivre, de manière cohérente et systématique, l’objectif ainsi fixé» ( 41 ).

49. Dans sa décision de renvoi, la juridiction de renvoi relève que le TAR Lazio a considéré que le modèle exclusif créait une concurrence moindre à l’intérieur du marché et favorisait, de ce fait, une logique de gouvernement responsable (non concurrentielle) du jeu. À cet égard, la Cour a déjà jugé que la présence « d’une concurrence libre et non faussée […] dans le marché très spécifique des jeux de hasard, c’est‑à‑dire entre plusieurs opérateurs qui seraient autorisés à exploiter les mêmes jeux
de hasard, est susceptible d’entraîner un effet préjudiciable, lié au fait que ces opérateurs seraient enclins à rivaliser d’inventivité pour rendre leur offre plus attrayante que celle de leurs concurrents et, de cette manière, à augmenter les dépenses des consommateurs liées au jeu ainsi que les risques de dépendance de ces derniers» ( 42 ). Par conséquent, si le choix d’un modèle de concession exclusive tend à créer une concurrence moindre et, partant, à promouvoir le gouvernement responsable
du Lotto, il n’est pas exclu par le droit de l’Union.

50. Il incombera à la juridiction de renvoi d’apprécier quels sont les objectifs réels du choix du modèle de concession exclusive (plusieurs d’entre eux ayant été invoqués par le gouvernement italien) et, dans l’hypothèse où ce sont des objectifs autorisés, si le choix est, de fait, proportionné et cohérent avec ces objectifs. Dans son évaluation de la proportionnalité qui, je le souligne, est distincte de la question de savoir quel est l’objectif du choix du modèle exclusif, la juridiction de
renvoi peut, à mon sens, prendre en considération tout gain d’efficacité administrative découlant de ce modèle. Elle peut également prendre en considération l’appréciation du TAR Lazio selon laquelle ce modèle protège l’État italien de la responsabilité financière.

51. Enfin, s’agissant du troisième élément, je ne vois nullement pourquoi le contrat portant sur la gestion du Lotto devrait, en droit de l’Union, être attribué à de multiples opérateurs pour l’unique raison que de multiples concessions non-exclusives sont proposées en Italie pour d’autres jeux, concours de pronostics et paris, comme la mise d’un simple pari à cote fixe.

52. Cet argument revient à alléguer que les jeux doivent être traités selon une approche uniforme au motif qu’ils impliquent tous des formes différentes de jeux de hasard ( 43 ). Or, il me semble évident qu’il y a des différences entre le contrat que l’ADM a proposé dans le cadre de l’appel d’offres en l’espèce et, par exemple, une licence en vue de la gestion d’une concession portant sur les paris sur les courses hippiques.

53. Comme l’observe la juridiction de renvoi dans sa décision de renvoi, le TAR Lazio a jugé que les différences principales résidaient dans : i) le fait que le contrat proposé portait sur les activités techniques, administratives et organisationnelles impliquées dans la gestion d’une loterie nationale et non pas sur des transactions directes avec les clients, telles que celles impliquées par le placement d’un pari, et ii) le risque économique supporté par l’État italien, qui, aussi contesté
soit-il, s’avère contraster avec l’absence de tout risque de l’État lorsque quelqu’un parie sur l’issue d’un match de football ou d’une course hippique auprès d’un opérateur commercial licencié. En outre, une analyse de droit de la concurrence dont il ressort que le marché de toutes les activités de jeux devrait être traité de la même manière (c’est‑à-dire à l’aide de concessions non exclusives multi-utilisateurs) n’est pas pertinente ici. L’appréciation effectuée par la Cour de services de jeux
au titre des articles 49 et 56 TFUE reconnaît expressément que la concurrence peut légitimement être restreinte et que, partant, une interprétation « traditionnelle » de l’article 101 ou de l’article 102 TFUE est inappropriée ( 44 ).

54. Enfin, je ne vois aucune raison de mettre en question la transparence du modèle. C’est la juridiction de renvoi qui doit procéder à l’appréciation que j’ai évoquée plus haut, laquelle implique également la prise en considération du « principe de cohérence » (en ce sens que le choix du modèle doit être cohérent avec l’objectif d’intérêt général poursuivi) ainsi que la reconnaissance du caractère non souhaitable d’une liberté totale de concurrence.

55. C’est pourquoi je propose de répondre à la première question en ce sens qu’une décision des autorités nationales compétentes d’appliquer un modèle de concession pour la gestion d’une activité de jeu comme le Lotto constitue une restriction de la jouissance des libertés garanties par les articles 49 et 56 TFUE. Il incombe à la juridiction de renvoi d’apprécier l’ampleur d’une telle restriction, compte tenu des caractéristiques objectives du modèle de concession exclusive mise en adjudication.
C’est ensuite aux autorités nationales qu’il reviendra d’apporter suffisamment d’éléments de preuve i) de l’objectif d’intérêt général impérieux qu’elles cherchent à atteindre en choisissant ce modèle et ii) de la proportionnalité de ce modèle par rapport à cet objectif.

Sur la deuxième question

56. La deuxième question part du postulat selon lequel la valeur du contrat est disproportionnellement élevée (« injustifiée ») en comparaison d’autres conditions de l’appel d’offres et elle demande s’il s’ensuit que le droit de l’Union s’oppose à cette valeur. Le TAR Lazio, dont les conclusions n’ont pas été mises en doute et encore moins démenties par la juridiction de renvoi, est arrivé à la conclusion opposée. C’est pourquoi, je reformulerais la deuxième question de la manière suivante : si un
pouvoir public lance un appel d’offres, le droit de l’Union s’oppose-t-il à ce qu’une valeur contractuelle de base soit stipulée si cette valeur est élevée, en particulier eu égard aux autres conditions énoncées dans l’appel d’offres ?

57. Les sociétés Stanley mettent en évidence l’effet conjugué de la valeur élevée du contrat et d’autres conditions du contrat, qui les a, allèguent-elles, exclues de l’appel d’offres et qui a réservé le contrat proposé au prestataire sortant. Les gouvernements italien et belge, Lottoitalia et la Commission, par contre, mettent en avant des facteurs objectifs sous-tendant le calcul de la valeur du contrat. Ils concluent que le montant qui en résulte s’avère proportionné et raisonnable nonobstant les
autres conditions contractuelles. Le gouvernement portugais ne présente pas d’observations spécifiques sur la seconde question.

58. À mon sens, le point de départ est qu’en elle-même, la mention d’une valeur contractuelle dans l’appel d’offres est à l’abri de tout reproche. En effet, la valeur approximative est l’un des éléments essentiels d’information qui doivent figurer dans un appel d’offres publié (à l’instar, par exemple, des renseignements relatifs à la nature du contrat proposé). Si elle n’y figure pas, l’appel d’offres risque de n’attirer aucune offre.

59. Cependant, si la valeur contractuelle en tant que telle était dépourvue de fondement objectif, le principe de transparence serait notamment violé.

60. À mon sens, la décision de renvoi comporte suffisamment de constatations factuelles de la juridiction nationale pour que la Cour puisse s’assurer que le montant de 700 millions d’euros ne saurait se voir opposer cette objection. Ce montant n’est pas ridiculement élevé au point d’être dépourvu de fondement objectif.

61. La décision de renvoi relève que le TAR Lazio a jugé que i) le chiffre d’affaires de la vente des billets de loterie au cours des cinq derniers exercices a été supérieure à 6 milliards d’euros par an (je relève que ce montant apparaît au point II.2.1 de l’avis de marché), et que ii) la recette annuelle générée s’élèverait à environ 400 millions d’euros (qui traduisent les 6 % de commission proposée, également au point II.2.1 de l’avis de marché). Il s’avère dès lors que l’État italien offrait de
vendre la possibilité de gagner 400 millions d’euros par an sur une durée totale de neuf ans (protégée de toute concurrence) en échange d’(au moins) 700 millions d’euros à payer sur une période de trois ans.

62. La décision de renvoi relève d’autres facteurs pris en considération par le TAR Lazio. S’il est possible que le montant auquel des concessions de loterie ont été vendues dans d’autres États membres ne soit pas nécessairement à proprement parler un point de comparaison, il me semble parfaitement indiqué de prendre en considération des facteurs supplémentaires tels que l’étalement du paiement du prix sur trois ans, l’autorisation donnée aux sociétés de constituer des regroupements temporaires aux
fins de l’offre et la mesure dans laquelle l’État italien supporterait ou non une partie du risque final. Il convient encore d’ajouter à ces facteurs la nature de l’ensemble des services à fournir et la condition de céder gratuitement à l’ADM, à l’issue de la concession « tous les biens matériels et immatériels qui constituent le réseau » (article 22, paragraphe 1, du modèle de convention) ( 45 ). Le fait que 15 sociétés avaient été évaluées par l’ADM comme satisfaisant aux conditions de l’appel
d’offres situe le montant de 700 millions d’euros calculé dans un contexte général plus large, mais néanmoins pertinent.

63. Si la juridiction de renvoi démontre que le montant de la valeur du contrat a été calculé de manière objective, qu’il soit envisagé séparément ou en comparaison d’autres conditions contractuelles, cela suffira à rejeter l’allégation avancée par les sociétés Stanley selon laquelle le montant les discrimine et/ou les traite de manière inégale en comparaison du prestataire de services sortant. Le caractère objectif de la valeur du contrat n’est pas remis en cause par le fait qu’un opérateur
potentiel est dissuadé de déposer une offre pour l’unique raison que le montant du contrat est élevé ou inatteignable par une société agissant individuellement.

64. Toutefois, si la juridiction de renvoi conclut que ce qui constitue le fondement de la valeur indiquée du contrat, ce sont des considérations subjectives, plutôt que des facteurs objectifs, il est très difficile de voir comment l’entrave aux libertés garanties par les articles 49 et 56 TFUE qui en résulterait pourrait être justifiée en tant que moyen proportionné et transparent d’atteindre un objectif d’intérêt général impérieux ( 46 ). De même, si l’effet conjugué de la valeur du contrat et
d’autres conditions contractuelles était tel que la participation à l’appel d’offres serait dépourvue de tout attrait, ou même impossible pour toute personne autre que le prestataire sortant, la restriction à la disposition relative à l’établissement et au service transfrontalier qui en résulterait échouerait presque immanquablement à remplir ces critères.

65. C’est pourquoi, je propose de répondre à la deuxième question en ce sens que le droit de l’Union ne s’oppose pas à la mention d’une valeur contractuelle élevée dans l’appel d’offres en vue d’un marché public si le caractère objectif de ce montant est établi à la fois en lui‑même et en fonction des autres droits et obligations énoncés dans l’appel d’offres. Il incombe à la juridiction nationale d’apprécier si tel est le cas.

Sur la troisième question

66. La troisième question repose sur deux postulats (qui sont favorables à la thèse des sociétés Stanley), à savoir, d’une part, que si les sociétés Stanley veulent obtenir le contrat proposé, la loi de stabilité de 2015 et l’appel d’offres leur imposent de renoncer à une activité commerciale et, d’autre part, que la Cour a confirmé la légalité de cette activité commerciale.

67. Il y a lieu de remettre en cause les deux postulats. Premièrement, aucune interprétation naturelle de la loi de stabilité de 2015 ou de l’appel d’offres n’amène à conclure que ces derniers visent explicitement les sociétés Stanley. Le TAR Lazio n’a pas non plus procédé à une appréciation de faits figurant dans la décision de renvoi du Consiglio di Stato (Conseil d’État) qui pourrait étayer un tel postulat. Deuxièmement, la Cour ne s’est nullement prononcée sur la légitimité s’agissant de
l’activité commerciale spécifique que les sociétés Stanley tentent de présenter ici comme étant légales.

68. Je reformulerais dès lors la troisième question de la manière suivante : les articles 49 et 56 TFUE et/ou les principes de non‑discrimination, de proportionnalité et de transparence font-ils obstacle à ce que le modèle de contrat de concession exclusive portant sur la gestion d’une loterie nationale contienne une clause prévoyant la déchéance de la concession si a) le concessionnaire, ses préposés ou ses agents sont accusés de certains délits ou si b) le concessionnaire commet une violation des
dispositions nationales en matière de prévention du jeu irrégulier, illicite ou clandestin, lorsque ces clauses ont pour effet d’exclure un soumissionnaire potentiel ?

69. Les sociétés Stanley font en même temps valoir que les clauses de déchéance étaient libellées de façon imprécise et que ces clauses constituaient une menace suffisamment claire et précise pour les empêcher ou les dissuader de déposer une offre au motif qu’elles sont soumises à diverses procédures pendantes et que, partant, elles enfreignent automatiquement les clauses de déchéances. En outre, elles allèguent que, contrairement aux principes énoncés par la Cour dans l’arrêt Costa et Cifone ( 47
), ces clauses visent également les délits n’ayant pas donné lieu à un jugement revêtu de l’autorité de chose jugée. Les gouvernements italien et belge, Lottoitalia et la Commission allèguent, en substance, que les clauses de déchéance sont claires, qu’elles sont proportionnées compte tenu de l’objectif poursuivi et qu’elles n’ont pas automatiquement pour effet d’exclure les sociétés Stanley de la procédure de marché public. Le gouvernement portugais n’a pas présenté d’observations spécifiques
relativement à la troisième question.

70. J’examinerai tout d’abord l’article 30, paragraphe 2, sous h) et sous k), du modèle de convention au regard du principe de transparence (qui implique également d’envisager le principe de non-discrimination) avant d’aborder les conditions des articles 49 et 56 TFUE. Enfin, j’examinerai la question de l’autorité de chose jugée, et plus particulièrement l’article 30, paragraphe 2, sous h), du modèle de convention.

71. La décision de renvoi relève que le TAR Lazio a jugé que les clauses de déchéance étaient suffisamment transparentes. À cet égard, le standard à appliquer est d’envisager les clauses du point de vue d’un soumissionnaire raisonnablement informé et normalement diligent faisant preuve d’une attention ordinaire ( 48 ). Dans l’arrêt Costa et Cifone, la Cour a donné des indications sur ce qui respectait l’exigence de transparence dans ce contexte. Elle a ainsi jugé admissible la formulation prévoyant
la déchéance d’une concession « pour toutes les hypothèses de délits visées par la loi no 55 du 19 mars 1990 » au motif que cette formulation se rapportait à des délits spécifiques et définis dans cette loi (ce qui était également cohérent avec l’objectif général de lutte contre la criminalité). En revanche, une formulation qui prévoyait la déchéance pour « toutes les autres hypothèses de délits susceptibles de porter atteinte aux relations de confiance avec le [pouvoir adjudicateur] » n’était
pas admissible au motif qu’une telle formulation ne « permet[tait] pas à tout soumissionnaire potentiel d’évaluer avec certitude le risque que de telles sanctions lui seront appliquées» ( 49 ).

72. Il incombe à la juridiction de renvoi, le cas échéant, de procéder à une nouvelle appréciation de la transparence des deux clauses de déchéance à la lumière de la jurisprudence à laquelle je viens de me référer.

73. Pour ma part, je ne considère pas qu’un soumissionnaire raisonnablement avisé et normalement diligent faisant preuve d’une attention ordinaire aurait eu beaucoup de difficulté à comprendre le champ d’application et les effets de l’article 30, paragraphe 2, sous k), du modèle de convention. S’agissant de l’article 30, paragraphe 2, sous h), les circonstances dans lesquelles l’ADM peut prononcer la déchéance de la concession en vertu de cette clause du modèle de convention sont décrites
succinctement mais clairement. Plusieurs conditions cumulatives doivent être remplies avant que l’ADM décide d’entamer ou non la procédure de déchéance. La déchéance n’est pas automatique, mais il est évident qu’elle peut survenir dès que ces conditions sont réunies. Le fait que la clause donne à l’ADM le pouvoir discrétionnaire de décider de prononcer la déchéance de la concession ne lui ôte pas sa clarté. En outre, il est évident qu’un tiers, distinct de l’ADM (à savoir le ministère public,
l’audience ayant fait apparaître que ce point était constant entre les parties), apprécie s’il y a suffisamment d’indices pour justifier un acte d’accusation en raison d’une suspicion de délit. La combinaison de ces éléments me semble propre à respecter le principe de transparence.

74. S’agissant, ensuite, de l’examen au titre des articles 49 et 56 TFUE, la Cour a jugé que le fait de subordonner une activité économique comme la fourniture de services de gestion du Lotto à l’exigence de déposer une offre, d’obtenir le contrat et d’être ensuite régi par des clauses prévoyant la déchéance potentielle de cette concession constitue une entrave aux libertés ainsi garanties par les articles 49 et 56 TFUE ( 50 ). Les clauses de déchéance doivent dès lors être justifiées par rapport à
un objectif d’intérêt général impérieux et satisfaire au critère de la proportionnalité. J’ai déjà évoqué les obligations des autorités italiennes sous l’angle de l’objectif d’intérêt général impérieux à atteindre ( 51 ). La juridiction de renvoi devra s’assurer elle-même du point de savoir si les clauses litigieuses sont appropriées et nécessaires pour atteindre cet objectif et si elles n’excèdent pas ce qui est nécessaire pour y parvenir. J’observe simplement à cet égard que les causes de
déchéance prévues à l’article 30, paragraphe 2, sous h), du modèle de convention, par exemple, sont explicitement liées à des activités criminelles et que l’un des objectifs d’intérêt général invoqués est la prévention de la criminalité dans la gestion de la loterie.

75. J’examinerai enfin l’argument lié à l’autorité de chose jugée. Le fait que l’article 30, paragraphe 2, sous h) [ainsi que l’article 30, paragraphe 2, sous k)], du modèle de convention ne sont pas limités aux délits ayant donné lieu à un jugement revêtu de l’autorité de chose jugée implique-t-il que ces clauses doivent d’emblée être considérées comme disproportionnées ? ( 52 )

76. Il est utile de se souvenir à ce stade qu’un postulat sur lequel repose la troisième question est que les sociétés Stanley auraient dû renoncer à un modèle d’activité existant, légal, leur assurant un succès commercial pour ne pas enfreindre les clauses de l’article 30, paragraphe 2, sous h) et/ou k), du modèle de convention.

77. Dans l’arrêt Costa et Cifone, les clauses en cause étaient formulées sous l’angle de la déchéance de la concession, mais, en pratique, elles avaient pour effet d’exclure certains opérateurs de la participation à la procédure d’appel d’offres purement et simplement (au motif que la déchéance aurait, dans les faits, été mise en œuvre le jour de l’attribution de la licence). La Cour a jugé que « l’exclusion d’opérateurs du marché pourrait être considérée comme proportionnée seulement à condition de
prévoir un recours en justice efficace ainsi qu’un dédommagement du préjudice subi au cas où, par la suite, cette exclusion se révélerait injustifiée. Une législation prévoyant, même de façon temporaire, l’exclusion d’opérateurs du marché pourrait être considérée comme proportionnée seulement à condition de prévoir un recours en justice efficace ainsi qu’un dédommagement du préjudice subi au cas où, par la suite, cette exclusion se révélerait injustifiée» ( 53 ).

78. Il ne résulte pas clairement des éléments du dossier dont dispose la Cour que les clauses litigieuses dans la présente affaire ont effectivement eu pour effet d’exclure les sociétés Stanley automatiquement de la procédure d’appel d’offres. La juridiction de renvoi devra dès lors en premier lieu examiner attentivement la nature de toute procédure pendante à l’encontre des sociétés Stanley et décider si ces procédures étaient effectivement telles qu’elles auraient déclenché l’application de la
clause de déchéance immédiatement, dans l’hypothèse où lesdites sociétés auraient déposé une offre et auraient obtenu le contrat. Dans la négative, le dispositif de l’arrêt Costa et Cifone ne serait, en toute hypothèse, pas directement pertinent.

79. Si les sociétés Stanley étaient exclues, est-il, en revanche, admissible qu’un modèle de convention portant sur une concession exclusive de loterie comporte une clause de déchéance pouvant être déclenchée à la discrétion du pouvoir adjudicateur au moment où le concessionnaire, ses préposés ou ses agents ont été mis en examen, mais n’ont pas encore été condamnés pour un délit grave (a fortiori lorsque la condamnation n’a pas encore acquis la force de chose jugée) ?

80. Il me semble que nous avons ici un exemple classique de la nécessité de trouver le juste équilibre entre deux intérêts opposés. D’une part, il y a l’intérêt général à prévenir la criminalité dans le système de la loterie (ainsi que l’a fait valoir le gouvernement italien). D’autre part, il y a l’intérêt commercial privé du concessionnaire exclusif, combiné à la présomption d’innocence de l’accusé jusqu’à ce sa culpabilité ait été établie ( 54 ).

81. Dans la mesure où l’intérêt général est concerné, l’existence d’un jugement ayant force de chose jugée implique le déroulement (peut-être prolongé) d’une (première) procédure pénale complète et ensuite (le cas échéant) de l’ensemble des recours. Il se peut qu’il faille un certain temps pour que la condamnation revête l’autorité de chose jugée. Du point de vue de l’intérêt général, le fait de devoir attendre ce moment avant de pouvoir prononcer la déchéance de la concession exclusive de gestion
de la loterie nationale emporte de toute évidence de graves inconvénients. Dans l’intervalle, la gestion d’un service très recherché et vulnérable restera aux mains du concessionnaire. Il s’agit là de toute évidence d’un effet indésirable si, en fin de compte, il apparaît que le concessionnaire, ses préposés ou ses agents ont effectivement commis un délit que [pour citer l’article 30, paragraphe 2, sous h)] « en raison de sa nature, de la gravité, des modalités d’exécution et du lien avec
l’objet de l’activité donnée en concession, [le pouvoir adjudicateur] juge de nature à exclure la fiabilité, le professionnalisme et la qualité morale du concessionnaire ».

82. Si, toutefois, la clause de déchéance peut être déclenchée à un moment où il n’y a (en effet) qu’une suspicion de l’existence de la commission d’un délit grave (même s’il s’agit d’une suspicion qui a été reprise à son compte par un pouvoir public tiers dans la personne du ministère public), la balance risque de basculer trop nettement en faveur de l’intérêt général et au détriment de l’intérêt privé. Le droit de l’opérateur de mener son activité commerciale ainsi que son droit à la présomption
d’innocence risquent tous deux d’être compromis sur la base d’une appréciation a première vue des éléments qui n’ont pas encore été examinée dans une procédure pénale menée dans le respect de garanties normales.

83. Je relève ici que, dans d’autres procédures de marchés publics, l’ordre juridique de l’Union prévoit la possibilité d’une exclusion d’une procédure d’appel d’offres non seulement en faisant référence à la commission d’un délit grave, mais aussi dans des cas dans lesquels l’opérateur a « commis une faute professionnelle grave qui remet en cause son intégrité » (c’est moi qui souligne) ( 55 ). Ainsi, lorsqu’elle a, par exemple, interprété la disposition d’exclusion équivalente au titre de la
directive 2004/18 ( 56 ), la Cour a jugé qu’« une décision à caractère juridictionnel, même si elle n’est pas encore définitive, peut, en fonction de l’objet de cette décision, fournir au pouvoir adjudicateur un moyen approprié pour justifier de l’existence d’une faute grave professionnelle, sa décision étant, en tout état de cause, susceptible d’un contrôle juridictionnel» ( 57 ).

84. Par conséquent, je suggère qu’il est opportun de placer l’équilibre entre les intérêts publics et les intérêts privés au moment où il y a déjà eu une « décision à caractère juridictionnel » justifiant la suspicion de criminalité ou de faute professionnelle grave. Ainsi, en l’espèce, cela consisterait, par exemple, à autoriser l’exclusion dès qu’il y aurait eu une condamnation en première instance par un tribunal compétent relative à un délit qui aurait amené l’ADM à mettre en doute le fait que
l’opérateur avait la « fiabilité, le professionnalisme et la qualité morale » pertinente pour le contrat de concession de service de la loterie. Il serait également nécessaire que le concessionnaire exclu ait à sa disposition des recours en justice lui permettant i) de demander la suspension de la décision de l’ADM de prononcer la déchéance de la concession dans l’attente de la décision juridictionnelle en question et ii) de demander des dommages et intérêts à l’encontre du pouvoir adjudicateur
s’il s’avérait que cette décision juridictionnelle était réformée sur recours ( 58 ). S’agissant des deux catégories de recours en justice, les mécanismes nécessaires devraient être prévus par la loi et non pas contractuellement ( 59 ).

85. S’agissant de la présente procédure, les points de savoir si les deux clauses de déchéance contestées ont ou non dissuadé les sociétés Stanley de déposer une offre et quels sont les recours en justice et les garanties dont dispose un concessionnaire exclu en vertu du droit national sont deux questions qu’il incombe, par excellence, à la juridiction nationale de vérifier. Je ne les examinerai pas davantage ici.

86. Par conséquent, je propose de répondre à la troisième question de la manière suivante : les articles 49 et 56 TFUE et les principes de non-discrimination, de proportionnalité et de transparence ne s’opposent pas à ce qu’un modèle de contrat de concession exclusive de gestion de la loterie comporte des clauses qui prévoient la déchéance de la concession si a) le concessionnaire, ses préposés ou ses agents sont accusés de certains délits ou si b) le concessionnaire commet une violation des
dispositions nationales en matière de prévention du jeu irrégulier, illicite ou clandestin, lorsque ces clauses ont pour effet d’exclure un soumissionnaire potentiel à condition que :

– les clauses en question soient suffisamment précises, prévisibles et claires pour que leur champ d’application et leurs effets soient compris par un soumissionnaire raisonnablement informé et normalement diligent faisant preuve d’une attention ordinaire ;

– les infractions à la loi pénale ou administrative auxquelles il est fait référence dans les clauses aient été confirmées par une décision juridictionnelle, et

– la loi donne à l’opérateur concerné un droit de contester une telle décision juridictionnelle (y compris le droit de demander des mesures provisoires) ainsi qu’un droit de demander des dommages et intérêts s’il s’avérait que cette décision juridictionnelle était ultérieurement réformée sur recours.

Conclusion

87. Par conséquent, je propose que la Cour réponde de la manière suivante aux questions préjudicielles posées par le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie) :

1) Une décision des autorités nationales compétentes d’appliquer un modèle de concession pour la gestion d’une activité de jeu comme le Lotto constitue une restriction de la jouissance des libertés garanties par les articles 49 et 56 TFUE. Il incombe à la juridiction de renvoi d’apprécier l’ampleur d’une telle restriction compte tenu des caractéristiques objectives du modèle de concession exclusive mise en adjudication. C’est ensuite aux autorités nationales qu’il reviendra d’apporter
suffisamment d’éléments de preuve i) de l’objectif d’intérêt général impérieux qu’elles cherchent à atteindre en choisissant ce modèle et ii) de la proportionnalité de ce modèle par rapport à cet objectif.

2) Le droit de l’Union ne s’oppose pas à la mention d’une valeur contractuelle élevée dans l’appel d’offres en vue d’un marché public si le caractère objectif de ce montant est établi à la fois en lui-même et en fonction des aux autres droits et obligations énoncés dans l’appel d’offres. Il incombe à la juridiction nationale d’apprécier si tel est le cas.

3) Les articles 49 et 56 TFUE et les principes de non-discrimination, de proportionnalité et de transparence ne s’opposent pas à ce qu’un modèle de contrat de concession exclusive de gestion de la loterie comporte des clauses qui prévoient la déchéance de la concession si a) le concessionnaire, ses préposés ou ses agents sont accusés de certains délits ou si b) le concessionnaire commet une violation des dispositions nationales en matière de prévention du jeu irrégulier, illicite ou clandestin,
lorsque ces clauses ont pour effet d’exclure un soumissionnaire potentiel à condition que :

– les clauses en question soient suffisamment précises, prévisibles et claires pour que leur champ d’application et leurs effets soient compris par un soumissionnaire raisonnablement informé et normalement diligent faisant preuve d’une attention ordinaire ;

– les infractions à la loi pénale ou administrative auxquelles il est fait référence dans les clauses aient été confirmées par une décision juridictionnelle, et

– la loi donne à l’opérateur concerné un droit de contester une telle décision juridictionnelle (y compris le droit de demander des mesures provisoires) ainsi qu’un droit de demander des dommages et intérêts s’il s’avérait que cette décision juridictionnelle était ultérieurement réformée sur recours.

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( 1 ) Langue originale : l’anglais.

( 2 ) Adam Smith, La richesse des Nations, 1776, Livre 1, chapitre X, section 1. Traduction française de Germain Garnier, 1881 à partir de l’édition revue par Adolphe Blanqui en 1843.

( 3 ) Directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur l’attribution de contrats de concession (JO 2014, L 94, p. 1).

( 4 ) Le vocabulaire commun pour les marchés publics (CPV) est « un système de classification unique applicable aux marchés publics, dans le but d’unifier les références utilisées par les entités et pouvoirs adjudicateurs pour la description de l’objet de leurs marchés » [considérant 1 du règlement (CE) no 213/2008 de la Commission, du 28 novembre 2007, modifiant le règlement (CE) no 2195/2002 du Parlement européen et du Conseil relatif au vocabulaire commun pour les marchés publics (CPV) et les
directives 2004/17/CE et 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil relatives aux procédures en matière de marchés publics, en ce qui concerne la révision du CPV (JO 2008, L 74, p. 1)]. Le code 92351100-7 se rapporte plus précisément aux services d’exploitation de la loterie.

( 5 ) Je comprends que le jeu de Lotto consiste en substance en ce qu’un joueur devine cinq nombres exacts sur une ou plusieurs des 11 « roues ». Le Lotto est un jeu fondé sur une cote fixe en ce sens que le montant du gain est connu à l’avance. Il y a trois tirages par semaine. Il est possible d’acheter les billets de loterie en ligne et physiquement.

( 6 ) L’avis de concession a été publié au Journal officiel de l’Union européenne du 17 décembre 2015 (2015/S 244-443689). Il a été ultérieurement publié dans la Gazzetta ufficiale della Repubblica italiana (GURI), série spéciale, no 150, du 21 décembre 2015. Je ferai référence à cet avis de concession comme étant l’« appel d’offres ».

( 7 ) Arrêt du 28 janvier 2016, Laezza (C‑375/14, EU:C:2016:60). L’affaire portait sur l’attribution par les autorités italiennes jusqu’à un maximum de 2000 concessions pour la collecte de paris – « exclusivement dans un réseau physique » – sur des événements sportifs, également hippiques, et non sportifs. L’obligation de dévolution à titre gratuit de l’infrastructure aux autorités lors de la déchéance de la concession était l’une des questions examinées par la Cour. Voir plus loin point 62 et la
note de bas de page correspondante.

( 8 ) Arrêt du 8 septembre 2010, Winner Wetten (C‑409/06, EU:C:2010:503, point 36 et jurisprudence citée).

( 9 ) Voir ordonnance du 3 juillet 2014, Talasca (C‑19/14, EU:C:2014:2049, point 23 et jurisprudence citée).

( 10 ) À comparer et à opposer au scénario décrit dans l’ordonnance du 20 juillet 2016, Stanleybet Malta et Stoppani (C‑141/16, non publiée, EU:C:2016:596, invoquée par Lottoitalia).

( 11 ) Arrêt du 13 février 2014, TSN et YTN (C‑512/11 et C‑513/11, EU:C:2014:73, point 32 et jurisprudence citée). Voir en outre points 56 et 68 des présentes conclusions.

( 12 ) Voir notamment et par analogie arrêt du 10 mars 2011, Privater Rettungsdienst und Krankentransport Stadler (C‑274/09, EU:C:2011:130, points 24 à 26 et jurisprudence citée). Voir, à cet égard, conclusions du TAR Lazio, points 18, 50 et 53 des présentes conclusions.

( 13 ) Voir notamment arrêt du 3 juin 2010, Sporting Exchange (C‑203/08, EU:C:2010:307, point 39 et jurisprudence citée). Le passage cite l’« article 49 CE » d’origine, le précurseur de l’article 56 TFUE.

( 14 ) Voir par analogie arrêt du 16 avril 2015, Enterprise Focused Solutions (C‑278/14, EU:C:2015:228, point 20).

( 15 ) Voir notamment arrêt du 16 février 2012, Costa et Cifone (C‑72/10 et C‑77/10, EU:C:2012:80, points 73 et 74 et jurisprudence citée).

( 16 ) Article 54 de la directive. Il y a lieu de comprendre la date du 17 avril 2014 à la lumière des dispositions générales de la directive, qui englobent les obligations continues relatives notamment aux modifications et à la résiliation des contrats de concession de service. Ainsi, si un tel contrat était attribué postérieurement au 17 avril 2014, mais s’il était ensuite modifié ou résilié après l’application de la directive, le pouvoir public concerné serait tenu de respecter les règles de
l’article 43 (modification) ou de l’article 44 (résiliation).

( 17 ) Les dates de l’appel d’offres proviennent des informations figurant dans le dossier national. Mes propres recherches indiquent que la directive 2014/23 a été transposée en Italie par deux mesures publiées le 19 avril 2016 et le 5 mai 2017.

( 18 ) Arrêt du 10 juillet 2014, Impresa Pizzarotti (C‑213/13, EU:C:2014:2067, point 31 et jurisprudence citée).

( 19 ) La directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (JO 2004, L 134, p. 114). La législation antérieure figurait respectivement dans la directive 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services (JO 1992, L 209, p. 1) et dans la directive 93/37/CEE du Conseil, du 14 juin 1993,
portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (JO 1993, L 199, p. 54).

( 20 ) Articles 82 et 83 de la directive 2004/18.

( 21 ) Voir également arrêt du 10 juillet 2014, Impresa Pizzarotti (C‑213/13, EU:C:2014:2067, points 32 et 33).

( 22 ) Voir la proposition de la Commission de directive sur la passation des contrats de concession [COM(2011) 897 final, p. 2].

( 23 ) L’article 10, paragraphe 9, énonce que « [a]ux fins du présent paragraphe, la notion de droit exclusif ne couvre pas les droits exclusifs visés à l’article 7, paragraphe 2 ». L’article 7, paragraphe 2, se réfère à des « entités adjudicatrices » auxquelles des droits spéciaux ou exclusifs ont été octroyés. Je ne considère pas que de tels droits sont en cause dans la présente procédure.

( 24 ) Je suis confortée dans cette conclusion par le champ d’application matériel de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur (JO 2006, L 376, p. 36). L’article 2, paragraphe 2, sous h), de cette directive prévoit qu’il « ne s’applique pas aux […] activités de jeux d’argent impliquant des mises ayant une valeur monétaire dans les jeux de hasard, y compris les loteries […] La raison de cette exclusion est prévue
au considérant 25 : « Il convient d’exclure les activités de jeux d’argent, y compris les loteries et paris, du champ d’application de la présente directive compte tenu de la spécificité de ces activités qui entraînent de la part des États membres la mise en œuvre de politiques touchant à l’ordre public et visant à protéger les consommateurs. »

( 25 ) Voir point 7 des présentes conclusions.

( 26 ) Arrêt du 10 janvier 2006, IATA et ELFAA (C‑344/04, EU:C:2006:10, point 76).

( 27 ) Voir notamment et par analogie arrêt du 15 septembre 2011, Dickinger et Ömer (C‑347/09, EU:C:2011:582, point 41 et jurisprudence citée).

( 28 ) Voir notamment et par analogie arrêt du 22 janvier 2015, Stanley International Betting et Stanleybet Malta (C‑463/13, EU:C:2015:25, point 46 et jurisprudence citée). Voir aussi point 74 des présentes conclusions.

( 29 ) Par exemple, si un opérateur a pris la décision unilatérale de ne jamais chercher à obtenir des contrats exclusifs avec des autorités (pour une quelconque raison interne à son organisation), cette circonstance ne doit pas être prise en considération lors de l’évaluation du caractère globalement dissuasif ou attrayant du modèle choisi par les autorités concernées.

( 30 ) Arrêt du 8 septembre 2010, Stoß e.a. (C‑316/07, C‑358/07 à C‑360/07, C‑409/07 et C‑410/07, EU:C:2010:504, point 56 et jurisprudence citée).

( 31 ) Il s’avère que l’ADM elle-même associe les deux et qu’elle exige des soumissionnaires qu’ils aient une expérience antérieure « dans la gestion et la collecte du jeu » et « liée à des types de jeux fonctionnant au moyen de terminaux de jeu » (voir points 5.3 et 5.4 du cahier des charges), en d’autres termes, une expérience antérieure qui ne se limite pas à la « gestion ».

( 32 ) Voir notamment arrêts du 24 janvier 2013, Stanleybet e.a. (C‑186/11 et C‑209/11, EU:C:2013:33, point 22 et jurisprudence citée), et du 19 juillet 2012, Garkalns (C‑470/11, EU:C:2012:505, point 35 et jurisprudence citée).

( 33 ) Voir notamment arrêt du 15 septembre 2011, Dickinger et Ömer (C‑347/09, EU:C:2011:582, point 54 et jurisprudence citée).

( 34 ) Voir notamment arrêts du 15 septembre 2011, Dickinger et Ömer (C‑347/09, EU:C:2011:582, point 63 et jurisprudence citée) ; du 6 mars 2007, Placanica e.a. (C‑338/04, C‑359/04 et C‑360/04, EU:C:2007:133, point 46 et jurisprudence citée), et du 30 juin 2011, Zeturf (C‑212/08, EU:C:2011:437, points 45 et 46).

( 35 ) Voir notamment arrêts du 30 juin 2011, Zeturf (C‑212/08, EU:C:2011:437, point 52 et jurisprudence citée), et du 15 septembre 2011, Dickinger et Ömer (C‑347/09, EU:C:2011:582, point 55).

( 36 ) Arrêt du 30 juin 2011, Zeturf (C‑212/08, EU:C:2011:437, point 48).

( 37 ) Arrêt du 24 janvier 2013, Stanleybet e.a. (C‑186/11 et C‑209/11, EU:C:2013:33, point 26 et jurisprudence citée). La référence que je fais à la « juridiction de renvoi » englobe le TAR Lazio aux fins de la constatation des faits, si cette obligation incombait en définitive à ce dernier tribunal.

( 38 ) Voir, à cet égard, point 18 des présentes conclusions.

( 39 ) Arrêt du 8 septembre 2009, Liga Portuguesa de Futebol Profissional et Bwin International (C‑42/07, EU:C:2009:519, point 57 et jurisprudence citée).

( 40 ) Arrêt du 30 avril 2014, Pfleger e.a. (C‑390/12, EU:C:2014:281, points 49 et 50 et jurisprudence citée).

( 41 ) Voir notamment arrêts du 8 septembre 2010, Stoß e.a. (C‑316/07, C‑358/07 à C‑360/07, C‑409/07 et C‑410/07, EU:C:2010:504, points 81 et 83), et du 8 septembre 2009, Liga Portuguesa de Futebol Profissional et Bwin International (C‑42/07, EU:C:2009:519, point 65).

( 42 ) Arrêt du 24 janvier 2013, Stanleybet e.a. (C‑186/11 et C‑209/11, EU:C:2013:33, point 45 et jurisprudence citée).

( 43 ) Voir arrêt du 10 janvier 2006, IATA et ELFAA (C‑344/04, EU:C:2006:10, point 95 et jurisprudence citée).

( 44 ) Arrêt du 24 janvier 2013, Stanleybet e.a. (C‑186/11 et C‑209/11, EU:C:2013:33, point 45 and jurisprudence citée).

( 45 ) Dans l’arrêt du 28 janvier 2016, Laezza (C‑375/14, EU:C:2016:60), la Cour a jugé qu’une clause libellée de manière similaire était illicite au motif que l’objectif qu’elle cherchait à réaliser pouvait être atteint par des mesures moins contraignantes, y compris par le paiement par l’autorité adjudicatrice de la valeur vénale des biens. Il se peut que l’article 22, paragraphe 1, du modèle de convention (voir point 15 des présentes conclusions) ne soulève pas les mêmes questions compte tenu de
distinctions factuelles telles que la différence de durée du contrat en cause (40 mois contre 9 années en l’espèce), ainsi que le fait que le soumissionnaire retenu héritera de certains biens destinés à la gestion du Lotto (comme l’a confirmé le gouvernement italien lors de l’audience). Cela dit, la décision de renvoi ne dit mot de la manière dont le TAR Lazio a été amené à conclure que l’arrêt Laezza ne pouvait être invoqué par les sociétés Stanley. Il n’a pas été expressément demandé à la Cour de
statuer sur son application. Cette question relève de la juridiction de renvoi.

( 46 ) Voir points 43 et suivants des présentes conclusions.

( 47 ) Arrêt du 16 février 2012, Costa et Cifone (C‑72/10 et C‑77/10, EU:C:2012:80, point 81).

( 48 ) Arrêt du 12 mars 2015, eVigilo (C‑538/13, EU:C:2015:166, points 54 et 55 et jurisprudence citée).

( 49 ) Arrêt du 16 février 2012, Costa et Cifone (C‑72/10 et C‑77/10, EU:C:2012:80, points 78 et 79).

( 50 ) Arrêt du 16 février 2012, Costa et Cifone (C‑72/10 et C‑77/10, EU:C:2012:80, point 70). Voir aussi point 40 des présentes conclusions.

( 51 ) Voir points 43 et suivants des présentes conclusions.

( 52 ) Arrêt du 16 février 2012, Costa et Cifone (C‑72/10 et C‑77/10, EU:C:2012:80, point 81). L’« autorité de chose jugée » doit s’entendre comme faisant référence à une décision juridictionnelle qui est devenue définitive après épuisement de toutes les voies de recours ou qui, après expiration des délais prévus pour ces recours, ne peut plus être remise en cause : voir arrêt du 10 juillet 2014, Impresa Pizzarotti (C‑213/13, EU:C:2014:2067, point 58).

( 53 ) À l’audience, la Commission a mis en exergue cette distinction. Voir arrêt du 16 février 2012, Costa et Cifone (C‑72/10 et C‑77/10, EU:C:2012:80, points 68 et 81).

( 54 ) Cette présomption est prévue, notamment à l’article 48 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (JO 2010, C 83, p. 391). Son champ d’application va au-delà des procédures pénales pour englober les procédures de droit de la concurrence menées par la Commission (voir arrêt du 8 juillet 1999, Hüls/Commission, C‑199/92 P, EU:C:1999:358, point 150 et jurisprudence citée), ainsi que l’infliction de sanctions par les autorités de l’Union, comme le gel de fonds pour des activités
terroristes (voir arrêt du 7 décembre 2010, Fahas/Conseil, T‑49/07, EU:T:2010:499, points 63 et 64). L’avocat général Campos Sánchez‑Bordona voit l’application de ce principe dans des procédures de marché public analogues à la procédure en cause en l’espèce : voir point 38 et note de bas de page 8 de ses conclusions dans l’affaire Connexxion Taxi Services (C‑171/15, EU:C:2016:506).

( 55 ) Voir, notamment, article 38, paragraphe 7, sous c), de la directive 2014/23.

( 56 ) L’article 45, paragraphe 2, sous d), de la directive 2004/18 prévoit que « [p]eut être exclu de la participation au marché, tout opérateur économique […] qui, en matière professionnelle, a commis une faute grave constatée par tout moyen dont les pouvoirs adjudicateurs pourront justifier ».

( 57 ) Arrêt du 20 décembre 2017, Impresa di Costruzioni Ing. E. Mantovani et Guerrato (C‑178/16, EU:C:2017:1000, point 47). Pour éviter toute ambiguïté, je précise que la Cour examinait un cas dans lequel il y avait eu une condamnation, qui n’était cependant pas encore devenue définitive.

( 58 ) Ainsi, par exemple, le droit national devrait garantir qu’il ne soit pas possible pour le pouvoir adjudicateur de rejeter l’action en dommages et intérêts en se référant uniquement à l’existence d’une clause semblable à l’article 30, paragraphe 2, sous h), dans le contrat de concession. Si la mise en examen qui avait déclenché cette clause venait à ne pas aboutir, le droit national devrait considérer que la clause a été invoquée à tort, de telle sorte que l’action en dommages et intérêts
serait ouverte (à condition de prouver la réunion des autres éléments d’une action en dommages et intérêts, comme le lien de causalité et le dommage). Si la décision juridictionnelle initiale avait été réformée pour des motifs de procédure et non pas de fond, il se pourrait que l’opérateur exclu n’ait pas toujours automatiquement droit à une compensation, mais qu’il doive, selon les circonstances, en plus mettre en cause le bien-fondé de cette décision.

( 59 ) Ces exigences sont cohérentes avec la conclusion de la Cour au point 81 de l’arrêt Costa et Cifone (arrêt du 16 février 2012, Costa et Cifone, C‑72/10 et C‑77/10, EU:C:2012:80) selon lequel « [u]ne législation prévoyant, même de façon temporaire, l’exclusion d’opérateurs du marché pourrait être considérée comme proportionnée seulement à condition de prévoir un recours en justice efficace ainsi qu’un dédommagement du préjudice subi au cas où, par la suite, cette exclusion se révélerait
injustifiée ».


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : C-375/17
Date de la décision : 27/09/2018
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Renvoi préjudiciel – Articles 49 et 56 TFUE – Liberté d’établissement et libre prestation de services – Jeux de hasard – Concession de la gestion du service du jeu de loto automatisé et des autres jeux numériques à cote fixe selon le modèle à concessionnaire unique – Restriction – Raisons impérieuses d’intérêt général – Proportionnalité.

Rapprochement des législations

Droit d'établissement

Libre prestation des services


Parties
Demandeurs : Stanley International Betting Ltd et Stanleybet Malta Ltd
Défendeurs : Ministero dell'Economia e delle Finanze et Agenzia delle Dogane e dei Monopoli.

Composition du Tribunal
Avocat général : Sharpston

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2018:781

Source

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