CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. PAOLO MENGOZZI
présentées le 20 septembre 2018 ( 1 )
Affaire C‑313/17 P
George Haswani
contre
Conseil de l’Union européenne
« Pourvoi – Article 86 du règlement de procédure du Tribunal – Recevabilité – Procédure d’adaptation de la requête – Nécessité d’adapter des moyens et arguments – Mesures restrictives prises à l’encontre de la Syrie – Liste des personnes auxquelles s’applique le gel de fonds et de ressources économiques – Inclusion du nom du requérant »
I. Introduction
1. Quelle est la marge d’appréciation dont dispose le Tribunal de l’Union européenne afin de déterminer si un requérant doit soumettre des moyens et des arguments adaptés lorsque, dans le cadre d’un recours direct, ce requérant a étendu ses conclusions en annulation initiales à un acte ayant le même objet et qui a été adopté en cours d’instance ?
2. Telle est, en substance, la question que pose le présent pourvoi introduit par M. Haswani à l’encontre de l’arrêt du Tribunal du 22 mars 2017, Haswani/Conseil (T‑231/15, non publié, EU:T:2017:200) (ci-après l’« arrêt attaqué ») en tant que ce dernier a rejeté comme irrecevable sa demande d’annulation de la décision (PESC) 2016/850 ( 2 ) du Conseil, du 27 mai 2016, modifiant la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie, et du règlement d’exécution (UE)
2016/840 ( 3 ) du Conseil, du 27 mai 2016, mettant en œuvre le règlement (UE) no 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (ci-après les « actes du 27 mai 2016 »).
3. En principe, la production de conclusions et de moyens nouveaux est interdite. La sécurité juridique et la bonne administration de la justice prescrivent une formulation claire et précise de la demande du requérant devant les juridictions de l’Union. ( 4 ) Cependant, particulièrement dans le domaine des mesures restrictives de l’Union, il arrive régulièrement que l’acte initialement attaqué soit remplacé en cours d’instance. Un tel évènement peut permettre aux parties de faire évoluer leurs
requêtes en adaptant leurs conclusions et, le cas échéant, leurs moyens et arguments.
4. Cette affaire donne l’occasion à la Cour de se prononcer sur le modus operandi du Tribunal lorsqu’il est saisi d’une demande d’adaptation de conclusions, sans adaptation des moyens et arguments. L’article 86, paragraphe 4, du règlement de procédure du Tribunal ( 5 ), dont l’interprétation est au cœur du présent litige, indique que le mémoire en adaptation contient, outre les conclusions adaptées, notamment, « s’il y a lieu, les moyens et arguments adaptés ». Il convient alors de déterminer la
portée du membre de phrase « s’il y a lieu ».
5. La présente affaire met en évidence la tension susceptible d’exister entre, d’une part, le parallélisme des formes qui rattache les règles afférentes à l’adaptation des conclusions et des moyens et arguments à celles relatives au dépôt de la requête initiale et, d’autre part, les exigences d’économie de la procédure, qui visent à éviter que le requérant ne soit obligé d’introduire un nouveau recours pour chaque acte prorogeant ou modifiant une décision antérieure prise à son égard.
6. Afin de répondre à la question qui se pose dans la présente affaire, la Cour sera appelée, en mettant en balance les différents principes en jeu, à trouver un juste équilibre entre ces règles et exigences.
II. Les actes litigieux, la procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
7. Le requérant est un homme d’affaires de nationalité syrienne, ingénieur de formation, fondateur de la société HESCO, spécialisée dans le secteur pétrolier et gazier.
8. Le requérant a fait l’objet de mesures restrictives dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC). Son nom a été ajouté à la liste figurant à l’annexe I de la décision 2013/255/PESC du Conseil, du 31 mai 2013, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie ( 6 ) par la décision d’exécution (PESC) 2015/383 du Conseil, du 6 mars 2015 ( 7 ), ainsi que sur celle figurant à l’annexe II du règlement no 36/2012 du Conseil, du 18 janvier 2012, concernant des mesures
restrictives en raison de la situation en Syrie et abrogeant le règlement no°442/2011 ( 8 ) par le règlement d’exécution (UE) 2015/375 ( 9 ) (ci-après les « actes du 6 mars 2015 »). En particulier, l’article 28, paragraphe 1, de la décision 2013/255 prévoit le gel de tous les fonds et ressources économiques appartenant à des personnes et entités bénéficiant des politiques menées par le régime ou soutenant celui-ci.
9. Par les actes du 6 mars 2015, les avoirs du requérant ont été gelés pour les motifs suivants :
« Important homme d’affaires syrien, copropriétaire de HESCO Engineering and Construction Company, importante société d’ingénierie et de construction en Syrie. Il entretient des liens étroits avec le régime syrien.
George Haswani soutient le régime et en tire avantage grâce à son rôle d’intermédiaire dans le cadre de transactions relatives à l’achat de pétrole à l’EIIL par le régime syrien.
Il tire également avantage du régime grâce au traitement favorable dont il bénéficie, notamment un marché conclu (en tant que sous-traitant) avec Stroytransgaz, une grande compagnie pétrolière russe. »
10. Le 5 mai 2015, le requérant a introduit le recours devant le Tribunal afin d’obtenir l’annulation des actes du 6 mars 2015.
11. Le 28 mai 2015, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2015/837, modifiant la décision 2013/255 ( 10 ), qui proroge ladite décision jusqu’au 1er juin 2016 et modifie l’annexe I de cette décision. Le même jour, le Conseil a également adopté le règlement d’exécution (UE) 2015/828, mettant en œuvre le règlement no 36/2012, ( 11 ) modifiant l’annexe II dudit règlement (ci-après les « actes du 28 mai 2015 »).
12. Par mémoire déposé au greffe du Tribunal le 23 juin 2015, le requérant a adapté la requête afin d’obtenir également l’annulation des actes du 28 mai 2015 (ci-après le « premier mémoire en adaptation »).
13. Le 12 octobre 2015, le Conseil a adopté, d’une part, la décision (PESC) 2015/1836, modifiant la décision 2013/255 ( 12 ), et, d’autre part, le règlement d’exécution (UE) 2015/1828, modifiant le règlement no 36/2012 ( 13 ) (ci‑après les « actes du 12 octobre 2015 »). En particulier, la décision 2015/1836 ajoute un paragraphe 2 à l’article 28 de la décision 2013/255, en vertu duquel il est précisé que sont gelés les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes relevant, notamment, de
la catégorie « des femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie ».
14. Par lettre datée du 29 avril 2016, le Conseil a notifié au requérant son intention de le maintenir sur les listes en cause ainsi que la modification de la motivation retenue à son égard. Le requérant, par l’intermédiaire de son avocat, a répondu au Conseil par lettre datée du 12 mai 2016.
15. Par les actes du 27 mai 2016, le Conseil a inscrit le nom du requérant aux annexes desdits actes pour les motifs suivants :
« Homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie, ayant des intérêts et/ou activités dans le secteur de l’ingénierie, de la construction, du pétrole et du gaz. Il détient des intérêts et/ou exerce une influence considérable dans plusieurs sociétés et entités en Syrie, en particulier HESCO Engineering and Construction Company, importante société d’ingénierie et de construction.
George Haswani entretient des liens étroits avec le régime syrien. Il soutient le régime et en tire avantage grâce à son rôle d’intermédiaire dans le cadre de transactions relatives à l’achat de pétrole à l’EIIL par le régime syrien. Il tire également avantage du régime grâce au traitement favorable dont il bénéficie, notamment un marché conclu (en tant que sous-traitant) avec Stroytransgaz, grande compagnie pétrolière russe. »
16. Par mémoire déposé au greffe du Tribunal le 7 juillet 2016, le requérant a adapté la requête en première instance afin d’obtenir également l’annulation des actes du 27 mai 2016 (ci-après « le second mémoire en adaptation » ou « la seconde demande d’adaptation »).
17. Par lettre datée du 22 juillet 2016, le Conseil a présenté ses observations sur ce mémoire.
18. Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a, dans un premier temps, rejeté comme étant irrecevable la seconde demande d’adaptation de la requête au motif que le second mémoire en adaptation aurait dû énoncer les moyens et les arguments adaptés au soutien des conclusions en annulation, en application de l’article 86, paragraphe 4, du règlement de procédure du Tribunal.
19. Plus précisément, le Tribunal a, en substance, jugé, aux points 41 à 47 de l’arrêt attaqué, que, dès lors que le cadre juridique relatif aux mesures restrictives et/ou les critères d’inscription sur les listes avaient changé, il appartenait au requérant d’adapter ses moyens et ses arguments afin d’en tenir compte. Or, selon le Tribunal, il n’était pas satisfait à cette exigence puisque la demande d’adaptation en cause se bornait à solliciter l’extension des conclusions de la requête, sans
apporter d’autre explication ni d’élément de fait et de droit nouveau, tenant compte de l’évolution du cadre juridique applicable, notamment de l’introduction de nouveaux critères d’inscription.
20. Le Tribunal a également rejeté comme étant non fondée la demande en indemnité présentée par le requérant, dans la mesure où l’existence d’un préjudice n’a pas été démontrée.
21. Dans un second temps, le Tribunal a accueilli le troisième moyen du recours tiré de l’erreur d’appréciation du Conseil et a annulé les actes du 6 mars 2015, ainsi que les actes du 28 mai 2015. Selon le Tribunal, les éléments présentés en l’espèce par le Conseil ne constituaient pas un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants permettant d’établir à suffisance de droit le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre du requérant, sans que le Conseil ait apporté d’éléments de
preuve susceptibles de démontrer l’existence d’un lien entre le requérant et le régime syrien.
III. La procédure devant la Cour et les conclusions des parties
22. Par son pourvoi, le requérant conclut à ce qu’il plaise à la Cour :
– annuler l’arrêt attaqué en ce qu’il déclare irrecevable la demande en annulation des actes du 27 mai 2016, en ce qu’il rejette la demande en indemnité, et en ce qu’il condamne le requérant à supporter, outre les dépens afférents à ses propres demandes, deux tiers des dépens exposés par le Conseil ;
– juger l’affaire au fond, ordonner la suppression du nom du requérant des annexes des actes susvisés, et évoquer et annuler les actes du 12 octobre 2015 ;
– condamner le Conseil au paiement de 700000 euros au titre de dommages et intérêts en réparation de tous préjudices confondus ;
– condamner le Conseil aux dépens devant la Cour et aux entiers dépens devant le Tribunal.
23. Le Conseil demande qu’il plaise à la Cour :
– rejeter le pourvoi comme étant manifestement irrecevable et/ou manifestement non fondé ;
– condamner le requérant aux dépens.
24. En application de l’article 172 du règlement de procédure de la Cour, la Commission européenne, intervenante en première instance, a déposé un mémoire en réponse dans lequel elle se rallie aux conclusions du Conseil et demande à la Cour de rejeter le pourvoi dans son ensemble et de condamner le requérant aux dépens.
IV. Analyse
25. À l’appui de son pourvoi, lequel porte sur les points 39 à 47 de l’arrêt attaqué, le requérant soulève cinq moyens. En substance, trois de ces moyens visent le premier point du dispositif de l’arrêt attaqué et font grief au Tribunal d’avoir violé l’article 86, paragraphes 4 et 5, de son règlement de procédure en ce qu’il a rejeté comme étant irrecevable sa seconde demande d’adaptation. Le quatrième moyen demande l’annulation des actes du 12 octobre 2015 ainsi que d’accorder l’indemnité
sollicitée en première instance, tandis que le cinquième moyen vise les quatrième et cinquième points du dispositif de l’arrêt attaqué en ce que le Tribunal a condamné le requérant à supporter une partie de ses propres dépens ainsi qu’une partie des dépens exposés par le Conseil.
26. Je me concentrerai, ci-après, sur l’examen des trois premiers moyens du pourvoi, que j’estime devoir être accueillis. En revanche, le quatrième moyen, par lequel le requérant demande l’annulation des actes du 12 octobre 2015, me paraît manifestement irrecevable, puisque ces deux actes n’ont pas été attaqués en première instance. Le sort du cinquième moyen, quant à lui, dépendra essentiellement de la question de savoir si le recours devant le Tribunal peut être évoqué par la Cour ou pas.
J’indique d’ores et déjà que l’affaire ne me paraît pas en état d’être jugée. Par conséquent, j’estime qu’elle devra être renvoyée au Tribunal et que les dépens devront être réservés ( 14 ).
A. Sur les trois premiers moyens du pourvoi, tirés de la violation de l’article 86, paragraphes 4 et 5, du règlement de procédure du Tribunal
1. Résumé de l’argumentation des parties
27. Le requérant expose que l’article 86, paragraphe 4, du règlement de procédure du Tribunal ne permettrait pas à ce dernier de décider de l’irrecevabilité de la seconde demande d’adaptation. Contrairement à l’article 86, paragraphe 5, de ce règlement, le paragraphe 4 dudit article ne disposerait aucunement que les éléments qui sont attendus d’un mémoire en adaptation sont prescrits sous peine d’irrecevabilité. Le requérant soutient que le Tribunal ne pourrait pas rejeter les conclusions d’un
mémoire en adaptation sans même examiner si le requérant s’était vu ou non adresser par le greffier une demande de régularisation. Pour arriver à cette conclusion, le requérant étend à l’article 86, paragraphe 4, l’obligation explicite du paragraphe 5 du même article, selon laquelle le greffier doit solliciter une régularisation de l’omission de joindre l’acte justifiant l’adaptation avant que le Tribunal puisse déclarer, le cas échéant, l’irrecevabilité du mémoire en adaptation. Par ailleurs,
le requérant fait valoir que le membre de phrase « s’il y a lieu », contenu dans l’article 86, paragraphe 4, sous b), du règlement de procédure du Tribunal, signifie que le mémoire en adaptation ne doit contenir des moyens et des arguments adaptés que lorsque ceux-ci sont nécessaires, c’est-à-dire uniquement lorsque les décisions attaquées sont substantiellement différentes, au-delà de simples différences de formulation. Or tel ne serait pas le cas en l’espèce. En effet, de l’avis du requérant,
la modification des motifs d’inscription, intervenue dans les actes du 27 mai 2016, n’aurait pas nécessité d’adapter les moyens et les arguments exposés dans le cadre de la requête en première instance, contrairement à ce que le Tribunal a jugé.
28. À titre liminaire, le Conseil, soutenu par la Commission, allègue que le requérant ne spécifierait pas à suffisance de droit les dispositions du droit de l’Union dont la violation est reprochée au Tribunal, ce qui entraînerait l’irrecevabilité des trois premiers moyens du pourvoi. La Commission ajoute que, en soutenant que les motifs d’inscription n’ont pas changé, le requérant viserait à remettre en question l’appréciation des faits retenue par le Tribunal, ce qui serait irrecevable au stade du
pourvoi.
29. Quant au fond, selon le Conseil, la problématique de la régularisation prévue par l’article 86, paragraphe 5, du règlement de procédure du Tribunal ne se poserait pas dès lors que le second mémoire en adaptation était bien accompagné des actes justifiant l’adaptation de la requête, et que, partant, une éventuelle régularisation n’était pas nécessaire. Par ailleurs, il ressortirait de l’article 86, paragraphe 4, dudit règlement que pèse sur l’intéressé une obligation de présenter les moyens et
les arguments adaptés « s’il y a lieu ». Cette obligation doit être appliquée au cas par cas, ce qui supposerait une appréciation sur le fond, par le Tribunal, de la nécessité de présenter des moyens et des arguments adaptés. À cet égard, le Conseil estime que, dès lors que le Tribunal a jugé que les critères et les motifs d’inscription applicables au requérant avaient été modifiés par l’adoption des actes visés par le second mémoire en adaptation du requérant, il incombait à ce dernier de
présenter les moyens et les arguments adaptés à une modification du cadre juridique applicable. Par conséquent, il appartenait au requérant d’exposer dans le second mémoire en adaptation des arguments pouvant engager un débat sur le fond quant à la légalité des actes du 27 mai 2016 et de permettre au Conseil de préparer sa défense.
30. Se ralliant au Conseil, la Commission ajoute que le requérant, dans son second mémoire en adaptation, a manqué à son devoir de diligence en soumettant un mémoire particulièrement lacunaire qui ne satisfaisait aucunement aux exigences imposées.
2. Appréciation
31. À titre liminaire, les fins de non-recevoir du pourvoi soulevées par le Conseil et la Commission devraient rapidement être écartées. S’agissant de celle exposée par le Conseil, il ne fait pas l’ombre d’un doute que, par les trois premiers moyens du pourvoi, le requérant reproche au Tribunal d’avoir méconnu l’article 86, paragraphes 4 et 5, de son propre règlement de procédure, lorsque ce dernier a retenu, aux points 39 à 47 de l’arrêt attaqué, que la seconde demande en adaptation devait être
considérée comme étant irrecevable au motif qu’elle ne comportait pas de moyens et d’arguments adaptés.
32. L’objection émise par la Commission, selon laquelle le requérant se bornerait à remettre en cause la constatation factuelle du Tribunal selon laquelle le cadre juridique et les motifs individuels d’inscription du requérant sur les listes auraient été « modifiés », n’emporte pas plus la conviction. À cet égard, il importe de relever que le requérant critique, en substance, les conséquences juridiques que le Tribunal a tirées de l’introduction de nouveaux critères d’inscription et de la
modification des motifs d’inscription de son nom sur les listes aux fins de l’interprétation de l’article 86, paragraphe 4, du règlement de procédure du Tribunal. En d’autres termes, le requérant considère que le constat d’une modification du cadre juridique pertinent et des motifs d’inscription individuels n’est pas suffisant pour rejeter un mémoire en adaptation d’une requête qui ne contient pas de moyens et d’arguments adaptés, en application de l’article 86, paragraphe 4, dudit règlement.
Cette question est assurément une question de droit, qui relève de la compétence de la Cour dans le cadre du pourvoi.
33. Ces observations liminaires faites, j’en viens au cœur du litige déféré à la Cour.
34. Il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, les conclusions des parties sont caractérisées en principe par leur immutabilité ( 15 ).
35. La Cour a cependant admis, à tout le moins, une exception à ce principe, à savoir la possibilité pour les parties d’adapter leurs conclusions et leurs moyens lorsque l’acte attaqué est, en cours d’instance, remplacé ou modifié par un nouvel acte, ayant le même objet ( 16 ).
36. Cette exception se justifie aux fins de la bonne administration de la justice et de l’exigence d’économie de la procédure, évitant à la partie requérante de devoir introduire un nouveau recours. Par ailleurs, elle repose aussi sur la circonstance qu’il serait injuste que l’institution en cause puisse, pour faire face aux critiques contenues dans une requête présentée au juge de l’Union contre un acte, adapter l’acte attaqué ou lui en substituer un autre et se prévaloir, en cours d’instance, de
cette modification ou de cette substitution pour priver l’autre partie de la possibilité d’étendre ses conclusions et ses moyens initiaux à l’acte ultérieur ou de présenter des conclusions et des moyens supplémentaires contre celui-ci ( 17 ).
37. Comme la Cour l’a déjà constaté, l’article 86 du règlement de procédure du Tribunal constitue la codification de la jurisprudence précitée relative à cette exception au principe d’immutabilité ( 18 ).
38. L’article 86 du règlement de procédure du Tribunal énonce en effet que, lorsqu’un acte, dont l’annulation est demandée, est remplacé ou modifié par un autre acte ayant le même objet, le requérant peut, avant la clôture de la phase orale de la procédure ou avant la décision du Tribunal de statuer sans phase orale de la procédure, adapter la requête pour tenir compte de cet élément nouveau.
39. Cet article précise, en son paragraphe 4, que le mémoire en adaptation contient non seulement les conclusions adaptées, mais aussi « s’il y a lieu, les moyens et arguments adaptés» ( 19 ).
40. Par ailleurs, aux termes de l’article 86, paragraphe 5, du règlement de procédure du Tribunal, le mémoire en adaptation est accompagné de l’acte justifiant l’adaptation de la requête. Si cet acte n’est pas produit, le greffier fixe au requérant un délai raisonnable aux fins de sa production. À défaut de cette régularisation dans le délai imparti, le Tribunal décide si l’inobservation de cette exigence entraîne l’irrecevabilité du mémoire adaptant la requête.
41. Enfin, selon le paragraphe 6 de ce même article, le président fixe un délai au défendeur pour répondre au mémoire en adaptation, sans préjudice de la décision du Tribunal à intervenir sur la recevabilité du mémoire adaptant la requête.
42. Dans ses premier et deuxième moyens du pourvoi, le requérant soutient, en référence à l’article 86, paragraphe 5, du règlement de procédure du Tribunal, que ce dernier ne pouvait pas déclarer la seconde demande d’adaptation de la requête irrecevable, car l’omission de produire des moyens et des arguments adaptés n’est pas sanctionnée explicitement par l’irrecevabilité. À titre subsidiaire, le requérant fait valoir que, à supposer que le Tribunal puisse déclarer l’irrecevabilité de la seconde
demande d’adaptation en raison de l’absence de moyens et d’arguments adaptés, le Tribunal aurait de toute manière dû inviter préalablement le requérant à procéder à la régularisation de ladite demande, en application de l’article 86, paragraphe 5, du règlement de procédure du Tribunal.
43. Cette thèse ne me convainc pas.
44. En premier lieu, quant à l’argumentation développée à titre principal, j’estime que le requérant procède à une lecture partielle de l’article 86 du règlement de procédure du Tribunal. En effet, le paragraphe 6 de cet article accorde au Tribunal la possibilité de déclarer l’irrecevabilité du mémoire en adaptation de la requête, quand bien même ce mémoire a été notifié au défendeur, pour toute autre raison que celle, prévue par l’article 86, paragraphe 5, du règlement de procédure du Tribunal, de
l’omission de produire l’acte justifiant l’adaptation de la requête. En d’autres termes, en indiquant que le Tribunal invite le défendeur à répondre au mémoire en adaptation « sans préjudice de la décision du Tribunal à intervenir sur la recevabilité du mémoire adaptant la requête », l’article 86, paragraphe 6, du règlement de procédure du Tribunal vise nécessairement tous les autres cas de figure que celui qui est spécifiquement réglé par le paragraphe 5 dudit article.
45. Limiter, comme le prétend le requérant, le pouvoir du Tribunal de déclarer le mémoire en adaptation de la requête irrecevable au seul cas de figure visé à l’article 86, paragraphe 5, de son règlement de procédure, signifierait, par exemple, qu’il lui serait interdit de déclarer irrecevable un tel mémoire qui aurait été déposé en méconnaissance du délai prévu à l’article 263, sixième alinéa, TFUE, tel que ce dernier est visé à l’article 86, paragraphe 2, dudit règlement de procédure.
46. Je ne peux croire que telle ait été la volonté du Conseil en adoptant le règlement de procédure du Tribunal ( 20 ).
47. L’article 86, paragraphe 6, du règlement de procédure du Tribunal doit donc être lu, selon moi, comme habilitant le Tribunal à statuer sur la recevabilité du mémoire adaptant la requête pour toute inobservation des exigences prévues par ledit article.
48. En second lieu, s’agissant de l’argumentation du requérant développée à titre subsidiaire, contrairement à ce que ce dernier prétend, je ne pense pas que l’on puisse tirer argument de l’article 86, paragraphe 5, du règlement de procédure du Tribunal afin d’obliger ce dernier, avant de déclarer irrecevable un mémoire en adaptation d’une requête, à inviter le requérant à régulariser ou à rectifier son mémoire.
49. Certes, une telle invitation à charge du Tribunal n’est pas limitée au cas de figure du défaut de production de l’acte justifiant l’adaptation de la requête prévu expressément à l’article 86, paragraphe 5, du règlement de procédure du Tribunal.
50. En effet, dans l’arrêt du 9 novembre 2017, HX/Conseil (C‑423/16 P, EU:C:2017:848, points 22 à 27), la Cour a annulé un arrêt du Tribunal par lequel celui-ci avait déclaré irrecevable une demande d’adaptation de la requête au motif que celle-ci n’avait pas été introduite par acte séparé conformément à l’article 86, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal. La Cour a ainsi jugé que, si le Tribunal estimait que la demande d’adaptation de la requête, présentée oralement lors de l’audience
devant ce dernier, ne respectait pas les formes prévues par son règlement de procédure, il incombait au Tribunal « à tout le moins de signaler son erreur au requérant et de le mettre en mesure de la rectifier ».
51. Sans que la Cour ait écarté la possibilité pour le Tribunal de sanctionner l’inobservation d’une telle exigence de forme, prévue par son règlement de procédure, par une déclaration d’irrecevabilité du mémoire en adaptation de la requête, elle a toutefois subordonné cette faculté à l’obligation pour le Tribunal d’inviter préalablement le requérant à procéder à la régularisation ou à la rectification de sa demande.
52. Néanmoins, ce qui est valable pour une extension à d’autres exigences de forme que celle de l’article 86, paragraphe 5, du règlement de procédure du Tribunal, ne peut, selon moi, être transposé au contenu du mémoire en adaptation.
53. En effet, tout comme le Tribunal ne saurait inviter un requérant à étendre la portée de ses conclusions à un nouvel acte que ce requérant a manqué d’adapter ( 21 ), et donc d’attaquer, il ne saurait non plus solliciter d’un tel requérant de procéder à l’adaptation de ses moyens et de ses arguments, alors même que ce dernier a, délibérément ou non, omis de les adapter.
54. Cette approche découle de l’office du juge de l’Union dans le cadre du système du contentieux de la légalité des actes de l’Union. Ce système, je le rappelle, se caractérise par le principe dispositif en vertu duquel ce sont les parties qui ont l’initiative du procès et qui circonscrivent l’objet du litige, le juge devant, par conséquent, se prononcer sur tout ce qui lui est demandé et seulement ce qui lui est demandé ( 22 ).
55. Le principe dispositif trouve précisément son expression dans différentes règles relatives à la procédure devant les juridictions de l’Union, notamment à l’article 21 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne ainsi qu’à l’article 120, sous c), du règlement de procédure de la Cour et à l’article 76, sous d), du règlement de procédure du Tribunal, aux termes desquels les juridictions de l’Union sont saisies d’une requête qui doit indiquer, entre autres, l’objet du litige, les
conclusions et un exposé sommaire des moyens invoqués ( 23 ).
56. Il est évident, à mes yeux, que ce même principe trouve également son expression dans l’article 86, paragraphe 4, du règlement de procédure du Tribunal, qui énumère les éléments que le mémoire en adaptation contient, à l’instar de l’article 76 dudit règlement de procédure en ce qui concerne l’introduction de la requête. Cela signifie que le Tribunal ne saurait, sous peine de méconnaître l’autonomie des parties ainsi que le principe de l’équilibre institutionnel, inviter un requérant à
régulariser son mémoire en adaptation de la requête afin qu’il adapte ses moyens et ses arguments, alors même que ce dernier a initialement considéré que cela n’était pas nécessaire. En fin de compte, la question de savoir si et dans quelle mesure un requérant fait valoir devant le juge ses droits dépend très largement de sa propre volonté et il n’appartient pas au juge de l’Union de s’y substituer.
57. Par conséquent, la compétence du Tribunal de déclarer irrecevable un mémoire en adaptation de la requête, qui ne contient pas des moyens et des arguments adaptés, n’est pas subordonné à une invitation préalable du requérant à régulariser ledit mémoire.
58. En revanche, cette compétence ne signifie pas que le Tribunal puisse rejeter immédiatement tout mémoire en adaptation de la requête dépourvu de moyens et d’arguments adaptés.
59. En effet, conformément à l’article 86, paragraphe 4, sous b), du règlement de procédure du Tribunal, cette compétence est soumise à la vérification par ce dernier du point de savoir s’il y avait bien lieu que soient exposés de tels moyens et arguments adaptés.
60. Comme l’ont fait valoir tant le requérant dans son troisième moyen du pourvoi que le Conseil, la question de savoir « s’il y a lieu », au sens de l’article 86, paragraphe 4, sous b), du règlement de procédure du Tribunal, revient à examiner, dans chaque cas d’espèce, la nécessité pour le requérant de procéder à cette adaptation ( 24 ).
61. Ce critère de « nécessité » se comprend à la lumière des finalités de l’article 86 du règlement de procédure du Tribunal. Il serait en effet contraire à la bonne administration de la justice et à l’économie de la procédure d’exiger qu’un requérant, ayant adapté ses conclusions, répète dans son mémoire en adaptation de la requête des moyens et des arguments identiques à ceux développés à l’encontre de l’acte attaqué initialement.
62. Dans cette perspective, soumettre des moyens et des arguments adaptés s’impose lorsque, tout en conservant le même objet ( 25 ), l’acte justifiant l’adaptation de la requête présente des différences substantielles avec l’acte initialement attaqué et non pas des différences purement formelles ( 26 ). En effet, si l’acte ultérieur ne contient que des différences purement formelles avec l’acte initialement attaqué, l’extension implicite des moyens et arguments soulevés à l’encontre de ce dernier,
qui découle de l’adaptation explicite des conclusions, suffit.
63. Or, en l’espèce et en premier lieu, sans qu’il soit contesté que tous les actes en cause possèdent le même objet, il ressort de l’arrêt attaqué que le Tribunal s’est borné à relever ou à constater que les motifs d’inscription du requérant avaient été modifiés, sans expliquer en quoi, d’une part, les actes du 6 mars 2015 (les actes initialement attaqués) et ceux du 28 mai 2015 (les actes ayant fait l’objet de la première demande d’adaptation) et, d’autre part, les actes du 27 mai 2016 (ayant fait
l’objet de la seconde demande d’adaptation) étaient substantiellement différents, de sorte à nécessiter la production de moyens et arguments adaptés.
64. En effet, au point 42 du même arrêt, le Tribunal a « relevé » que « les motifs d’inscription et de maintien du nom du requérant sur les listes en cause ont changé », en se bornant à citer, in extenso audit point ainsi qu’au point 43 de l’arrêt attaqué, les deux versions des motifs individuels retenus à l’encontre du requérant qui justifiaient son inscription sur les listes.
65. Or le Tribunal n’a identifié aucune différence substantielle entre les motifs individuels retenus à l’encontre du requérant figurant, d’une part, dans les actes du 6 mars et du 28 mai 2015 et, d’autre part, dans ceux du 27 mai 2016. Au demeurant, à la simple lecture de ces citations, qui sont reproduites aux points 9 et 15 des présentes conclusions, aucune différence substantielle entre ces motifs ne peut être constatée.
66. Identifier une telle différence substantielle des motifs individuels d’inscription du requérant était d’autant plus important, à mes yeux, que le Tribunal a considéré que le Conseil n’avait pas étayé le rôle d’intermédiaire du requérant dans les transactions relatives à l’achat de pétrole, ni l’existence d’un lien entre le requérant et le régime syrien, pas plus qu’il n’avait fourni de précision suffisante quant au marché conclu avec la société Stroytransgaz, motifs dont il est constant qu’ils
sont indiqués tant dans les actes du 6 mars et du 28 mai 2015, que le Tribunal a annulés, que dans ceux du 27 mai 2016, qui ont justifié la seconde demande d’adaptation.
67. En second lieu, si je comprends bien le raisonnement mené par le Tribunal, il semble qu’une simple modification du cadre juridique, postérieurement au dépôt de la requête, puisse suffire à exiger que le requérant doive adapter ses moyens et ses arguments.
68. En effet, au point 41 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a tout d’abord « constaté que le cadre juridique relatif aux mesures restrictives a été modifié » par les actes du 12 octobre 2015. Puis, au point 44 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a relevé de nouveau et a rappelé que « les motifs initialement retenus […] ont été modifiés et remplacés par les motifs mentionnés dans les annexes » des actes du 27 mai 2016, en indiquant que ces actes « prennent notamment en compte les critères d’inscription
ajoutés » par les actes du 12 octobre 2015« notamment celui […] selon lequel sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie […] ». Il en conclut, au point 45 de l’arrêt attaqué, que « [l]es[actes du 12 octobre 2015] ayant été adoptés […] postérieurement au dépôt de la requête, le requérant ne pouvait prendre en compte dans cette dernière les critères d’inscription introduits par ces actes pour contester
les motifs retenus à son égard dans [les actes du 27 mai 2016]. Dès lors, pour satisfaire aux prescriptions de l’article 86, paragraphe 4, du règlement de procédure, il appartenait au requérant d’adapter ses moyens et ses arguments afin de tenir compte desdits critères d’inscription ».
69. Or, à aucun moment dans l’arrêt attaqué, le Tribunal n’explique ni a fortiori ne démontre que la modification des critères d’inscription a entraîné une différence substantielle des motifs d’inscription et de maintien du nom du requérant sur les listes.
70. En particulier, le Tribunal n’explique aucunement l’articulation entre l’article 28, paragraphe 1, de la décision 2013/255, qui indique que sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant à des « personnes […] bénéficiant des politiques menées par le régime ou soutenant celui-ci », et l’article 28, paragraphe 2, de ladite décision, ajouté par la décision 2015/1836 du 12 octobre 2015, qui précise que sont notamment gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant « aux
femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie ».
71. Une telle explication aurait été, selon moi, particulièrement nécessaire, eu égard au fait, d’une part, que le Tribunal a annulé les actes du 6 mars 2015 et du 28 mai 2015, au motif que le Conseil n’avait apporté aucun élément de preuve susceptible d’étayer ou de corroborer l’existence d’un lien entre le requérant et le régime syrien, à savoir, en définitive, au motif de la violation de l’article 28, paragraphe 1, de la décision 2013/255 et, d’autre part, que le caractère « influent » des femmes
et hommes d’affaires visés à l’article 28, paragraphe 2, de ladite décision pourrait ne constituer qu’une simple précision du lien requis entre la personne concernée et le régime syrien, énoncé au paragraphe 1 dudit article.
72. Il ne suffisait donc pas que les critères d’inscription aient été modifiés postérieurement au dépôt de la requête pour que le requérant doive adapter ses moyens et ses arguments. En juger autrement, à l’instar de ce que le Tribunal a retenu, signifierait que tout mémoire en adaptation – qui, par définition, est introduit à la suite de l’adoption d’un acte intervenu après le dépôt de la requête – devrait comporter des moyens et des arguments adaptés, ce qui serait évidemment contraire au libellé
(« s’il y a lieu ») et aux finalités de l’article 86, paragraphe 4, du règlement de procédure du Tribunal.
73. En conséquence, c’est, à mon sens, de manière insuffisamment motivée que le Tribunal a exigé, au point 46 de l’arrêt attaqué, que le requérant devait apporter, à l’égard des moyens d’annulation au soutien du recours, des explications et des éléments de fait et de droit nouveaux, « tenant compte de l’évolution du cadre juridique applicable, notamment de l’introduction de nouveaux critères d’inscription et de la modification des motifs retenus à son égard ».
74. Dans ces conditions, je propose d’annuler le point 1 du dispositif de l’arrêt attaqué en ce qu’il rejette comme irrecevable la seconde demande d’adaptation de la requête introduite par le requérant en première instance.
B. Sur le quatrième moyen du pourvoi
75. Dans le cadre de son quatrième moyen du pourvoi, le requérant demande, en premier lieu, que soit constatée l’illégalité des actes du 12 octobre 2015 selon lesquels sont gelés les fonds et ressources économiques appartenant aux « femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie », au motif qu’une qualification aussi large et vague, qui inclut un si grand nombre de personnes serait manifestement contraire au chapitre VI, de la charte des droits fondamentaux de l’Union
européenne. En second lieu, il demande à ce que lui soit attribuée une indemnité de 700000 euros au titre des dommages et intérêts en réparation de tous préjudices.
76. Ces demandes sont, selon moi, clairement irrecevables.
77. Quant à la première, il y a lieu de rappeler que, conformément à l’article 170, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, le pourvoi ne peut modifier l’objet du litige devant le Tribunal.
78. Ainsi, selon une jurisprudence constante, la compétence de la Cour, dans le cadre du pourvoi, est limitée à l’appréciation de la solution légale qui a été donnée aux moyens débattus devant les premiers juges. Une partie ne saurait donc soulever pour la première fois devant la Cour un moyen qu’elle n’a pas invoqué devant le Tribunal, dès lors que cela reviendrait à lui permettre de saisir la Cour, dont la compétence en matière de pourvoi est limitée, d’un litige plus étendu que celui dont a eu à
connaître le Tribunal. ( 27 )
79. Il convient de constater, comme l’a fait valoir à juste titre le Conseil, que l’annulation demandée des actes du 12 octobre 2015 n’a pas été sollicitée en première instance. Partant, ce grief du quatrième moyen du pourvoi est irrecevable.
80. La demande en indemnité devrait connaître un sort identique. En effet, le requérant n’a aucunement contesté les raisons pour lesquelles le Tribunal, au point 89 de l’arrêt attaqué, a rejeté sa demande en réparation des préjudices prétendument subis, présentée en première instance. En outre, le requérant ne présente aucune argumentation à l’appui de son chef de conclusions visant à ce que la Cour lui accorde les indemnités demandées.
C. Sur le recours devant le Tribunal
81. Comme je l’ai indiqué aux points 73 et 74 des présentes conclusions, j’invite la Cour à annuler le point 1 du dispositif de l’arrêt attaqué en ce que le Tribunal a insuffisamment motivé la raison pour laquelle il a jugé comme étant irrecevable la seconde demande d’adaptation de la requête.
82. Selon l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, la Cour peut statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé.
83. Tel n’est, selon moi, pas le cas en l’espèce. En effet, le Tribunal a rejeté comme irrecevable le second mémoire d’adaptation de la requête, sans avoir entendu les parties sur le caractère substantiel des différences existant entre, d’une part, les actes du 6 mars 2015 (initialement attaqués) et du 28 mai 2015 (ayant fait l’objet de la première demande d’adaptation) et, d’autre part, les actes du 27 mai 2016 (ayant fait l’objet de la seconde demande d’adaptation), à la lumière des actes du
12 octobre 2015 (qui ont modifié les critères d’inscription). Il lui appartiendra donc d’entendre les parties sur cette question et d’en tirer toutes les conséquences de droit. Il y a lieu, par conséquent, de renvoyer l’affaire au Tribunal.
V. Conclusion
84. Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de statuer comme suit :
1) Le point 1 du dispositif de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 22 mars 2017, Haswani/Conseil (T‑231/15, non publié, EU:T:2017:200), est annulé ;
2) L’affaire est renvoyée devant le Tribunal de l’Union européenne, pour autant qu’elle concerne la recevabilité et, le cas échéant, le bien-fondé de la seconde demande d’adaptation de la requête introduite en première instance par le requérant ;
3) Les dépens sont réservés.
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( 1 ) Langue originale : le français.
( 2 ) JO 2016, L 141, p. 125.
( 3 ) JO 2016, L 141, p. 30
( 4 ) L’article 21, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne prévoit, notamment, que la requête doit contenir « les conclusions et un exposé sommaire des moyens invoqués ».
( 5 ) Règlement de procédure du Tribunal du 4 mars 2015 (JO 2015, L 105, p. 1). L’article 1er, point 7, des modifications de ce règlement, du 13 juillet 2016 (JO 2016, L 217, p. 73), entrées en vigueur le 1er septembre 2016, a changé la numérotation de l’article 86, paragraphes 3 à 6. Ces paragraphes sont devenus les paragraphes 4 à 7 dudit article. Si l’arrêt attaqué s’est référé à la nouvelle numérotation de l’article 86, je tiens à relever que les mémoires des parties au pourvoi ont parfois cité
erronément l’ancienne numérotation, ce qui peut prêter à confusion.
( 6 ) JO 2013, L 147, p. 14.
( 7 ) JO 2015, L 64, p. 41
( 8 ) JO 2011, L 16, p. 1
( 9 ) JO 2015, L 64, p. 10
( 10 ) JO 2015, L 132, p. 82.
( 11 ) JO 2015 L 132, p. 3.
( 12 ) JO 2015, L 266, p. 75.
( 13 ) JO 2015, L 266, p. 1.
( 14 ) Je précise que cette proposition est valable pour les dépens afférents à la procédure relative à la seconde demande d’adaptation de la requête, qui ont fait l’objet du point 5 du dispositif de l’arrêt attaqué. Il convient de relever que, dans son quatrième chef de conclusions, le requérant demande également l’annulation du point 4 du dispositif de l’arrêt attaqué en ce qu’il laisse le requérant supporter deux tiers de ses dépens pour ce qui concerne la procédure relative aux actes du
6 mars 2015 et du 28 mai 2015. Or, ces actes ayant été annulés par le Tribunal, le requérant ne saurait, sous peine d’irrecevabilité, uniquement critiquer, au stade du pourvoi, la décision du Tribunal relative à la charge et au montant des dépens afférents à la partie de la procédure relative à la légalité de ces actes, conformément à l’article 58, second alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne. Je ne reviendrai pas sur ce point dans la suite des présentes conclusions.
( 15 ) Voir, arrêt du 9 novembre 2017, HX/Conseil (C‑423/16 P, EU:C:2017:848, point 18 et jurisprudence citée).
( 16 ) Voir, en ce sens, arrêt du 10 avril 2003, Hendrickx/Cedefop (C‑217/01 P, EU:C:2003:226, point 29 et jurisprudence citée).
( 17 ) Voir, en ce sens, arrêts du 3 mars 1982, Alpha Steel/Commission (14/81, EU:C:1982:76, point 8), et du 14 juillet 1988, Stahlwerke Peine-Salzgitter/Commission (103/85, EU:C:1988:398, points 11 et 12). Voir également, arrêt du 25 janvier 2017, Almaz-Antey Air and Space Defence/Conseil (T‑255/15, non publié, EU:T:2017:25, point 36 et jurisprudence citée).
( 18 ) Voir, en ce sens, arrêt du 9 novembre 2017, HX/Conseil (C‑423/16 P, EU:C:2017:848, point 18).
( 19 ) Italique ajouté par mes soins.
( 20 ) Du reste, même si cela avait été la volonté du Conseil, dans la mesure où les dispositions régissant les délais de recours juridictionnel sont d’ordre public et ne sont pas à la disposition des parties, le règlement de procédure du Tribunal pourrait alors être considéré comme étant incompatible avec l’article 263, sixième alinéa, TFUE.
( 21 ) À cet égard, je ne partage pas l’obiter dictum qui ressort du point 42 de l’arrêt du 31 mai 2017, DEI/Commission (C‑228/16 P, EU:C:2017:409), dans lequel la Cour, en référence à l’article 86 du règlement de procédure du Tribunal, a indiqué qu’il était « loisible » à ce dernier de demander à la requérante dans cette affaire si, à la suite de l’intervention d’une décision confirmative, « elle entendait adapter ses conclusions en annulation » d’une décision précédente et les diriger également
contre la décision confirmative. En effet, d’une part, ainsi que cela ressort clairement de l’arrêt de la Cour, dans le contexte précis de cette affaire, le Tribunal était saisi de deux recours distincts, l’un contre la première décision (affaire T‑639/14, ayant fait l’objet du pourvoi dans l’affaire C-228/16 P) et l’autre contre la décision confirmative (affaire T-352/15). Or, une fois que le Tribunal est saisi de deux requêtes distinctes dirigées contre des actes ayant le même objet, il n’est plus
question d’une application de l’article 86 de son règlement de procédure, mais d’une jonction éventuelle des deux requêtes. D’autre part, le Tribunal ne saurait s’autosaisir de conclusions en annulation. En d’autres termes, le Tribunal ne découvre l’existence d’un acte modificatif ou remplaçant un acte précédent, qui ont le même objet, que s’il est préalablement saisi soit de conclusions en annulation dans le cadre d’une requête autonome, en application de l’article 76 de son règlement de procédure,
soit de conclusions en adaptation, en application de l’article 86 dudit règlement. Par conséquent, dans la première hypothèse, comme indiqué précédemment, le litige ne relève pas du champ d’application de l’article 86 du règlement de procédure du Tribunal, et il n’y a pas lieu d’inviter la requérante à adapter ses conclusions. De même, dans la seconde hypothèse, il n’y aucunement besoin d’inviter la requérante à adapter ses conclusions, puisque la demande d’adaptation a déjà été introduite.
( 22 ) Voir point 84 de mes conclusions dans l’affaire British Airways/Commission (C‑122/16 P, EU:C:2017:406) auquel la Cour se réfère au point 87 de l’arrêt du 14 novembre 2017, British Airways/Commission (C‑122/16 P, EU:C:2017:861).
( 23 ) Voir mes conclusions dans l’affaire British Airways/Commission (C‑122/16 P, EU:C:2017:406, note 39), ainsi que, en ce sens, arrêt du 14 novembre 2017, British Airways/Commission (C‑122/16 P, EU:C:2017:861, point 86).
( 24 ) Voir aussi, en ce sens, conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire HX/Conseil (C‑423/16 P, EU:C:2017:493, point 34).
( 25 ) Naturellement, si l’acte ultérieur ne possède pas le même objet que l’acte initialement attaqué, une nouvelle requête introductive d’instance devra être déposée dans les conditions prévues à l’article 76, sous d), du règlement de procédure du Tribunal.
( 26 ) Voir, en ce sens, le raisonnement développé par le Tribunal aux points 61 à 73 de l’arrêt du 28 janvier 2016, Klyuyev/Conseil (T‑341/14, EU:T:2016:47).
( 27 ) Arrêt du 13 juillet 2017, Saint-Gobain Glass Deutschland/Commission (C‑60/15 P, EU:C:2017:540, point 50 et jurisprudence citée).