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14/03/2018 | CJUE | N°C-557/16

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Procédure engagée par Astellas Pharma GmbH., 14/03/2018, C-557/16


ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

14 mars 2018 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Directive 2001/83/CE – Médicaments à usage humain – Articles 28 et 29 – Procédure décentralisée d’autorisation de mise sur le marché d’un médicament – Article 10 – Médicament générique – Période de protection des données du médicament de référence – Pouvoir des autorités compétentes des États membres concernés de déterminer le point de départ de la période de protection – Compétence des juridictions des États membres concernés pour

contrôler la détermination du point de départ
de la période de protection – Protection juridictionnelle effective – Chart...

ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

14 mars 2018 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Directive 2001/83/CE – Médicaments à usage humain – Articles 28 et 29 – Procédure décentralisée d’autorisation de mise sur le marché d’un médicament – Article 10 – Médicament générique – Période de protection des données du médicament de référence – Pouvoir des autorités compétentes des États membres concernés de déterminer le point de départ de la période de protection – Compétence des juridictions des États membres concernés pour contrôler la détermination du point de départ
de la période de protection – Protection juridictionnelle effective – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 47 »

Dans l’affaire C‑557/16,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Korkein hallinto-oikeus (Cour administrative suprême, Finlande), par décision du 31 octobre 2016, parvenue à la Cour le 4 novembre 2016, dans la procédure engagée par

Astellas Pharma GmbH

en présence de :

Helm AG,

Lääkealan turvallisuus- ja kehittämiskeskus (Fimea),

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. M. Ilešič, président de chambre, M. A. Rosas, Mmes C. Toader, A. Prechal et M. E. Jarašiūnas (rapporteur), juges,

avocat général : M. M. Bobek,

greffier : Mme L. Carrasco Marco, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 20 septembre 2017,

considérant les observations présentées :

– pour Astellas Pharma GmbH, par Me B. Sträter, Rechtsanwalt, ainsi que par Mme M. I. Manley, solicitor, et M. M. Segercrantz, asianajaja,

– pour Helm AG, par Me P. von Czettritz, Rechtsanwalt, et M. K. Nyblin, asianajaja,

– pour le gouvernement finlandais, par M. J. Heliskoski, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement belge, par Mmes L. Van den Broeck et J. Van Holm, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement allemand, par MM. T. Henze et J. Möller, en qualité d’agents,

– pour l’Irlande, par Mmes M. Browne, L. Williams et E. Creedon ainsi que par M. A. Joyce, en qualité d’agents, assistés de Mme S. Kingston, barrister,

– pour le gouvernement espagnol, par M. S. Jiménez García, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. D. Robertson ainsi que par Mmes J. Kraehling et G. Brown, en qualité d’agents, assistés de M. G. Peretz, barrister,

– pour le Royaume de Norvège, par M. K. B. Moen ainsi que par Mmes E. Sawkins Eikeland et I. S. Jansen, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par MM. A. Sipos et M. Huttunen, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 7 décembre 2017,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 28 et 29 de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain (JO 2001, L 311, p. 67, et rectificatifs JO 2009, L 87, p. 174 et JO 2011, L 276, p. 63), telle que modifiée par la directive 2012/26/UE du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2012 (JO 2012, L 299, p. 1) (ci-après la « directive 2001/83 »), ainsi
que de l’article 10 de cette directive, lu en combinaison avec l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure engagée par Astellas Pharma GmbH au sujet de la décision du Lääkealan turvallisuus- ja kehittämiskeskus (centre de développement et de sécurité de la branche pharmaceutique, Finlande) (ci-après le « Fimea ») autorisant la mise sur le marché d’un médicament générique, dénommé « Alkybend », produit par Helm AG.

Le cadre juridique

3 Le considérant 14 de la directive 2001/83 énonce que celle-ci constitue une étape importante dans la réalisation de l’objectif de la libre circulation des médicaments.

4 Aux termes de l’article 6, paragraphe 1, de cette directive :

« Aucun médicament ne peut être mis sur le marché d’un État membre sans qu’une autorisation de mise sur le marché n’ait été délivrée par l’autorité compétente de cet État membre, conformément à la présente directive, ou qu’une autorisation n’ait été délivrée conformément aux dispositions du règlement (CE) no 726/2004 [du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, établissant des procédures communautaires pour l’autorisation et la surveillance en ce qui concerne les médicaments à usage
humain et à usage vétérinaire, et instituant une Agence européenne des médicaments (JO 2004, L 136, p. 1)], lues en combinaison avec le règlement (CE) no 1901/2006 du Parlement européen et du Conseil[,] du 12 décembre 2006[,] relatif aux médicaments à usage pédiatrique [modifiant le règlement (CEE) no 1768/92, les directives 2001/20/CE et 2001/83 ainsi que le règlement (CE) no 726/2004 (JO 2006, L 378, p. 1)] et le règlement (CE) no 1394/2007 [du Parlement européen et du Conseil, du 13 novembre
2007, concernant les médicaments de thérapie innovante et modifiant la directive 2001/83 ainsi que le règlement (CE) no 726/2004 (JO 2007, L 324, p. 121)].

Lorsqu’un médicament a obtenu une première autorisation de mise sur le marché conformément au premier alinéa, tout dosage, forme pharmaceutique, voie d’administration et présentation supplémentaires, ainsi que toute modification et extension, doivent également obtenir une autorisation conformément au premier alinéa ou être inclus dans l’autorisation de mise sur le marché initiale. Toutes ces autorisations de mise sur le marché sont considérées comme faisant partie d’une même autorisation globale,
notamment aux fins de l’application de l’article 10, paragraphe 1. »

5 L’article 8, paragraphe 3, sous i), de ladite directive prévoit que, à la demande d’autorisation de mise sur le marché, doivent être joints les résultats des essais pharmaceutiques (physico-chimiques, biologiques ou microbiologiques), précliniques (toxicologiques et pharmacologiques) et cliniques.

6 L’article 10 de la même directive dispose :

« 1.   Par dérogation à l’article 8, paragraphe 3, point i), et sans préjudice de la législation relative à la protection de la propriété industrielle et commerciale, le demandeur n’est pas tenu de fournir les résultats des essais précliniques et cliniques s’il peut démontrer que le médicament est un générique d’un médicament de référence qui est ou a été autorisé au sens de l’article 6 depuis au moins huit ans dans un État membre ou dans la Communauté.

Un médicament générique autorisé en vertu de la présente disposition ne peut être commercialisé avant le terme de la période de dix ans suivant l’autorisation initiale du médicament de référence.

[...]

La période de dix ans visée au deuxième alinéa est portée à onze ans au maximum si le titulaire de l’autorisation de mise sur le marché obtient pendant les huit premières années de ladite période de dix ans une autorisation pour une ou plusieurs indications thérapeutiques nouvelles qui sont jugées, lors de l’évaluation scientifique conduite en vue de leur autorisation, apporter un avantage clinique important par rapport aux thérapies existantes.

2.   Aux fins du présent article, on entend par :

a) “médicament de référence”, un médicament autorisé au sens de l’article 6, conformément à l’article 8 ;

b) “médicament générique”, un médicament qui a la même composition qualitative et quantitative en substances actives et la même forme pharmaceutique que le médicament de référence et dont la bioéquivalence avec le médicament de référence a été démontrée par des études appropriées de biodisponibilité. [...]

[...]

5.   Outre les dispositions énoncées au paragraphe 1, lorsqu’est présentée une demande concernant une nouvelle indication pour une substance bien établie, une période non cumulative d’exclusivité des données d’un an est octroyée pour autant que des études précliniques ou cliniques significatives aient été effectuées en ce qui concerne la nouvelle indication.

[...] »

7 L’article 19, point 1, de la directive 2001/83 prévoit que, pour instruire la demande présentée en vertu de l’article 8 et des articles 10, 10 bis, 10 ter et 10 quater de celle-ci, l’autorité compétente d’un État membre doit vérifier la conformité à ces articles du dossier présenté et examiner si les conditions de délivrance de l’autorisation de mise sur le marché sont remplies.

8 Selon l’article 26, paragraphe 2, de cette directive, l’autorisation de mise sur le marché est refusée si les renseignements ou les documents présentés à l’appui de la demande ne sont pas conformes à ces articles 8 10, 10 bis, 10 ter et 10 quater.

9 L’article 28 de ladite directive, relatif à la procédure de reconnaissance mutuelle et à la procédure décentralisée, dispose :

« 1.   En vue de l’octroi d’une autorisation de mise sur le marché d’un médicament dans plus d’un État membre, le demandeur présente une demande fondée sur un dossier identique dans ces États membres. Le dossier comprend les renseignements et les documents visés à l’article 8 et aux articles 10, 10 bis, 10 ter, 10 quater et 11. Les documents joints contiennent une liste des États membres concernés par la demande.

Le demandeur demande à l’un des États membres d’agir en qualité d’“État membre de référence” et de préparer un rapport d’évaluation concernant le médicament, conformément aux paragraphes 2 ou 3.

2.   Si le médicament a déjà reçu une autorisation de mise sur le marché au moment de la demande, les États membres concernés reconnaissent l’autorisation de mise sur le marché octroyée par l’État membre de référence. À cette fin, le titulaire de l’autorisation de mise sur le marché demande à l’État membre de référence, soit de préparer un rapport d’évaluation du médicament, soit, si nécessaire, de mettre à jour tout rapport d’évaluation existant. L’État membre de référence prépare ou met à jour
le rapport d’évaluation dans un délai de quatre-vingt-dix jours à compter de la réception de la demande valide. Le rapport d’évaluation ainsi que le résumé approuvé des caractéristiques du produit ainsi que l’étiquetage et la notice sont transmis aux États membres concernés et au demandeur.

3.   Si le médicament n’a pas reçu une autorisation de mise sur le marché au moment de la demande, le demandeur demande à l’État membre de référence de préparer un projet de rapport d’évaluation, un projet de résumé des caractéristiques du produit et un projet d’étiquetage et de notice. L’État membre de référence élabore ces projets de documents dans un délai de cent-vingt jours à compter de la réception de la demande valide et les transmet aux États membres concernés et au demandeur.

4.   Dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la réception des documents visés aux paragraphes 2 et 3, les États membres concernés approuvent le rapport d’évaluation, le résumé des caractéristiques du produit ainsi que l’étiquetage et la notice, et en informent l’État membre de référence. Ce dernier constate l’accord général, clôt la procédure et en informe le demandeur.

5.   Chaque État membre dans lequel une demande a été introduite conformément au paragraphe 1 adopte une décision en conformité avec le rapport d’évaluation, le résumé des caractéristiques du produit et l’étiquetage et la notice tels qu’approuvés, dans un délai de trente jours à compter de la constatation de l’accord. »

10 Aux termes de l’article 29, paragraphe 1, de la même directive :

« Si, dans le délai visé à l’article 28, paragraphe 4, un État membre ne peut approuver le rapport d’évaluation, le résumé des caractéristiques du produit ainsi que l’étiquetage et la notice en raison d’un risque potentiel grave pour la santé publique, il motive sa position de manière détaillée et communique ses raisons à l’État membre de référence, aux autres États membres concernés et au demandeur. Les éléments du désaccord sont immédiatement communiqués au groupe de coordination. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

11 Le 19 juillet 2005, le Bundesinstitut für Arzneimittel und Medizinprodukte (Institut fédéral des médicaments et des dispositifs médicaux, Allemagne) (ci-après l’« institut fédéral allemand ») a accordé, conformément au droit national, à Astellas Pharma une autorisation de mise sur le marché (ci-après une « AMM ») du médicament dénommé « Ribomustin », dont la substance active est la bendamustine, pour deux indications, le lymphome non hodgkinien (LNH) et le myélome multiple (MM).

12 À l’issue d’une procédure décentralisée, telle que prévue à l’article 28 de la directive 2001/83, pour laquelle la République fédérale d’Allemagne était l’État membre de référence, la République française a été le premier État membre à accorder, le 15 juillet 2010, à Astellas Pharma l’AMM d’un médicament dénommé « Levact », dont la substance active est également la bendamustine, avec pour indications le LNH, le MM et la leucémie lymphoïde chronique (LLC).

13 Le 7 novembre 2012, Helm a demandé une AMM pour un médicament dénommé « Alkybend » par la voie d’une procédure décentralisée, dans laquelle l’État membre de référence était le Royaume de Danemark et les États membres concernés étaient le Royaume de Norvège et la République de Finlande. Dans sa demande, Helm indiquait que l’Alkybend était un médicament générique dont la substance active était le chlorhydrate de bendamustine et que le médicament de référence était le Levact, le Ribomustin devant
toutefois être considéré comme médicament de référence s’agissant de la détermination de la période de protection des données.

14 À la suite de cette procédure, menée à son terme le 17 janvier 2014, le Fimea a accordé, le 28 mars 2014, à Helm, l’AMM de l’Alkybend, conformément aux conclusions du rapport d’évaluation établi par l’autorité compétente danoise. Selon ce rapport, l’AMM accordée pour le Levact devait être considérée comme faisant partie de l’autorisation accordée au Ribomustin en 2005 et ce dernier médicament constituait, afin d’apprécier le délai de la période de protection des données, le médicament de
référence.

15 Astellas Pharma a introduit un recours contre cette décision devant le Helsingin hallinto-oikeus (tribunal administratif d’Helsinki, Finlande) qui l’a rejeté en considérant que cette société avait obtenu la première AMM le 19 juillet 2005 et que, étant donné que la durée de la période de protection pour le Levact était de six ans du fait de l’application de dispositions transitoires, le Fimea pouvait valablement accorder une AMM à Helm pour l’Alkybend le 28 mars 2014.

16 Estimant que la période de protection des données a commencé non pas à la date du 19 juillet 2005, mais à celle du 15 juillet 2010, date de la première AMM accordée pour le Levact, Astellas Pharma a saisi la juridiction de renvoi, le Korkein hallinto-oikeus (Cour administrative suprême, Finlande), d’une demande d’annulation de la décision de la juridiction de première instance et de la décision du Fimea.

17 Astellas Pharma soutient notamment, à l’appui de cette demande, que la décision de l’institut fédéral allemand du 19 juillet 2005 n’est pas conforme à la directive 2001/83 et qu’elle n’est jamais entrée en vigueur concernant l’une des indications sollicitées pour le Ribomustin et refusée par cet institut. Astellas Pharma fait valoir, en outre, que l’obtention de l’AMM du Levact a exigé d’importants essais complémentaires également pour les indications que l’institut fédéral allemand avait
autorisées pour le Ribomustin.

18 La juridiction de renvoi relève, d’une part, qu’Astellas Pharma n’a pas été partie à la procédure décentralisée d’AMM concernant l’Alkybend et qu’elle n’a donc pas non plus été partie à la procédure devant le Fimea, de sorte qu’elle n’a pas pu veiller à la protection de ses données au cours de la procédure décentralisée. Cette juridiction indique, à cet égard, qu’elle a déjà jugé que le titulaire de l’AMM du médicament de référence a le droit d’exercer un recours contre une décision concernant
l’AMM délivrée pour le médicament générique en faisant valoir que cette AMM porte atteinte à la protection des données du médicament de référence du fait, notamment, d’une fixation erronée du point de départ de cette protection. Selon elle, cette solution est conforme à l’arrêt du 23 octobre 2014, Olainfarm (C‑104/13, EU:C:2014:2316).

19 D’autre part, la juridiction de renvoi relève qu’il résulte de l’article 29, paragraphe 1, de la directive 2001/83 et de l’arrêt du 16 octobre 2008, Synthon (C‑452/06, EU:C:2008:565), qu’un État membre saisi d’une demande de reconnaissance mutuelle ne peut remettre en cause, pour un motif autre que celui tiré d’un risque pour la santé publique, des appréciations auxquelles se sont livrées les autorités de l’État membre de référence dans le cadre de la procédure d’évaluation du médicament. De la
même manière, selon elle, les possibilités pour un État membre participant à une procédure décentralisée de s’opposer à une AMM se limitent au cas où le médicament de référence est considéré comme présentant un risque pour la santé publique.

20 Si, compte tenu de cela et après l’acceptation, à l’unanimité, des conclusions du rapport d’évaluation établi dans le cadre de la procédure décentralisée, le Fimea n’a pas compétence pour apprécier de manière indépendante le point de départ de la période de protection des données, la juridiction de renvoi se demande comment peut être assurée une protection juridictionnelle effective des droits d’Astellas Pharma en Finlande. Pour le cas où il serait considéré qu’une juridiction d’un État membre
concerné par cette procédure peut connaître d’une contestation relative à la protection des données du médicament de référence, elle se demande également si cette juridiction a la possibilité d’apprécier, dans ce cadre, la conformité à la directive 2001/83 de l’AMM initiale accordée au titulaire de l’AMM de ce médicament dans un autre État membre.

21 C’est dans ces conditions que le Korkein hallinto-oikeus (Cour administrative suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Convient-il d’interpréter l’article 28, paragraphe 5, et l’article 29, paragraphe 1, de la directive 2001/83 [...] en ce sens que l’autorité compétente de l’État membre concerné par une procédure décentralisée d’[AMM], relative à un médicament générique, visée à l’article 28, paragraphe 3, de [cette] directive, n’a pas de compétence autonome pour déterminer le point de départ de la période de protection des données du médicament de référence dans le cadre de l’octroi d’une autorisation
nationale de mise sur le marché ?

2) S’il convient de répondre à la première question que l’autorité compétente de l’État membre n’a pas de compétence autonome pour déterminer le point de départ de la période de protection des données du médicament de référence dans le cadre de l’octroi d’une autorisation nationale de mise sur le marché :

– une juridiction de cet État membre doit-elle, du fait d’un recours introduit par le titulaire de l’[AMM] du médicament de référence, néanmoins examiner la question du point de départ de la période de protection des données ou cette juridiction est–elle soumise à la même limite que l’autorité nationale de l’État membre ?

– Comment peut-on, dans ce cas, mettre en œuvre, devant la juridiction nationale en question, le droit du titulaire de l’[AMM] du médicament de référence de bénéficier, conformément à l’article 47 de la [Charte] et à l’article 10 de la directive 2001/83, d’une protection juridictionnelle effective en matière de protection des données ?

– L’exigence relative à une protection juridictionnelle effective comporte-t-elle l’obligation, pour la juridiction nationale, de vérifier si l’[AMM] initiale pour le médicament de référence dans un autre État membre a été accordée conformément aux dispositions de la directive 2001/83 ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

22 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 28 et l’article 29, paragraphe 1, de la directive 2001/83 doivent être interprétés en ce sens que, dans le cadre d’une procédure décentralisée d’AMM d’un médicament générique, l’autorité compétente d’un État membre concerné par cette procédure peut déterminer elle-même le point de départ du délai de la période de protection des données du médicament de référence lors de l’adoption, en vertu de l’article 28,
paragraphe 5, de cette directive, de sa décision relative à la mise sur le marché dudit médicament générique dans cet État membre.

23 À cet égard, il convient de rappeler que la procédure décentralisée, prévue à l’article 28 de la directive 2001/83, comporte plusieurs étapes. Tout d’abord, le paragraphe 1 de cet article prévoit que le demandeur, en vue de l’octroi d’une AMM d’un médicament dans plus d’un État membre, présente une demande fondée sur un dossier identique dans ces États membres, qui comprend les renseignements et les documents exigés par cette directive ainsi que la liste des États membres concernés et demande à
l’un de ceux-ci d’agir en qualité d’État membre de référence et de préparer un rapport d’évaluation concernant le médicament, un projet de résumé des caractéristiques du produit ainsi qu’un projet d’étiquetage et de notice. Ensuite, conformément aux paragraphes 3 et 4 dudit article, l’État membre de référence élabore ces projets de documents dans un délai de 120 jours à compter de la réception de la demande valide et les transmet aux États membres concernés ainsi qu’au demandeur. Dans les 90
jours qui suivent la réception de ces documents, les États membres concernés approuvent le rapport d’évaluation, le résumé des caractéristiques du produit ainsi que l’étiquetage et la notice, et en informent l’État membre de référence. Ce dernier constate l’accord général, clôt la procédure et en informe le demandeur. Enfin, en vertu du paragraphe 5 du même article, chaque État membre dans lequel une demande a été introduite adopte alors une décision en conformité avec le rapport d’évaluation, le
résumé des caractéristiques du produit et l’étiquetage et la notice tels qu’approuvés, dans un délai de 30 jours à compter de la constatation de l’accord.

24 Par ailleurs, l’article 29 de la directive 2001/83 prévoit une procédure de règlement des désaccords lorsqu’un État membre ne peut, dans le délai de 90 jours prévu à l’article 28, paragraphe 4, de cette directive, approuver le rapport d’évaluation, le résumé des caractéristiques techniques du produit ainsi que l’étiquetage et la notice en raison d’un risque potentiel grave pour la santé publique.

25 Il ressort de ces dispositions que, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé en substance au point 70 de ses conclusions, les États membres concernés participent à la procédure qui s’achève avec la constatation, par l’État membre de référence, de l’accord général des États membres dans lesquels la demande d’AMM a été présentée et que, cette constatation étant faite, les autorités compétentes de ces États membres sont tenues d’adopter une décision d’AMM en conformité avec le rapport d’évaluation
du médicament en cause.

26 Dès lors, une fois constaté cet accord général, les autorités compétentes de ces États membres ne sauraient avoir la possibilité, lors de l’adoption de leur décision relative à la mise sur le marché de ce médicament sur leur territoire, de remettre en cause le résultat de cette procédure. Outre qu’elle serait contraire au libellé de l’article 28, paragraphe 5, de la directive 2001/83, une interprétation admettant cette possibilité priverait de tout sens la procédure décentralisée et
compromettrait notamment la réalisation de l’objectif de la libre circulation des médicaments énoncé au considérant 14 de cette directive (voir, par analogie, arrêt du 16 octobre 2008, Synthon, C‑452/06, EU:C:2008:565, point 32).

27 S’agissant de la question de savoir si la procédure qui s’achève avec la constatation de l’accord général, à laquelle participent tous les États membres dans lesquels la demande d’AMM a été présentée, comprend une vérification de l’expiration de la période de protection des données du médicament de référence, il convient de relever que, d’une part, l’article 28, paragraphe 1, de la directive 2001/83 impose au demandeur de fournir à tous ces États membres, à l’appui de sa demande, un dossier
comprenant les renseignements et les documents visés notamment à l’article 10 de cette directive. Ce dernier, à son paragraphe 1, premier alinéa, dispense le demandeur de fournir les résultats des essais précliniques et cliniques s’il peut démontrer que le médicament est un générique d’un médicament de référence qui est ou a été autorisé, au sens de l’article 6 de ladite directive, depuis au moins huit ans dans un État membre ou dans l’Union européenne. Ainsi, les données relatives au médicament
de référence sont protégées au profit du titulaire de l’AMM de ce médicament pendant cette période et ne sont donc pas disponibles pour fonder une AMM d’un médicament générique.

28 D’autre part, il ressort de l’article 19, paragraphe 1, de la directive 2001/83 que, pour instruire une demande au titre de l’article 10 de celle-ci, l’autorité compétente d’un État membre doit vérifier la conformité à cet article du dossier présenté et examiner si les conditions de délivrance de l’AMM sont remplies. Cette dernière, selon l’article 26, paragraphe 2, de cette directive, doit être refusée si les renseignements et les documents présentés à l’appui de cette demande ne sont pas
conformes audit article 10.

29 Il en découle que l’expiration de la période de protection des données du médicament de référence est une condition préalable à l’octroi d’une AMM d’un médicament générique et que, dans le cadre de la procédure décentralisée d’AMM, le respect de cette condition doit être vérifié par tous les États membres participant à celle-ci. Il incombe, dès lors, à ces États, dès la présentation de la demande, et en tout cas avant la constatation de l’accord général, de s’opposer à cette demande si cette
condition préalable n’est pas remplie.

30 Dès lors, eu égard à l’économie de la directive 2001/83, dans le cas particulier d’un désaccord entre les États membres participant à la procédure décentralisée d’AMM d’un médicament générique quant au respect de cette condition préalable, un État membre doit pouvoir ne pas approuver le rapport d’évaluation de ce médicament s’il estime que cette condition n’est pas remplie. Partant, il convient de considérer qu’un État membre peut refuser d’approuver le rapport d’évaluation du médicament
générique en cas de désaccord sur le respect de la condition préalable relative à l’expiration de la période de protection des données du médicament de référence.

31 Par conséquent, la procédure qui s’achève avec la constatation de l’accord général, à laquelle participent tous les États membres dans lesquels la demande d’AMM a été présentée, comprend une vérification de l’expiration de la période de protection des données du médicament de référence, de sorte que les autorités compétentes de ces États membres ne sauraient, après la constatation de cet accord, procéder à nouveau à une telle vérification.

32 Au vu de ces considérations, il convient de répondre à la première question que l’article 28 et l’article 29, paragraphe 1, de la directive 2001/83 doivent être interprétés en ce sens que, dans le cadre d’une procédure décentralisée d’AMM d’un médicament générique, l’autorité compétente d’un État membre concerné par cette procédure ne peut déterminer elle-même le point de départ du délai de la période de protection des données du médicament de référence lors de l’adoption, en vertu de
l’article 28, paragraphe 5, de cette directive, de sa décision relative à la mise sur le marché dudit médicament générique dans cet État membre.

Sur la seconde question

33 Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 10 de la directive 2001/83, lu en combinaison avec l’article 47 de la Charte, doit être interprété en ce sens qu’une juridiction d’un État membre concerné par une procédure décentralisée d’AMM, saisie d’un recours formé par le titulaire de l’AMM du médicament de référence contre la décision d’AMM d’un médicament générique dans cet État membre prise par l’autorité compétente de celui-ci, est compétente pour
contrôler la détermination du point de départ de la période de protection des données du médicament de référence et pour vérifier si l’AMM initiale du médicament de référence accordée dans un autre État membre l’a été conformément à cette directive.

34 À cet égard, la Cour a déjà relevé, au point 37 de l’arrêt du 23 octobre 2014, Olainfarm (C‑104/13, EU:C:2014:2316), que l’article 10 de la directive 2001/83 fixe les conditions dans lesquelles le titulaire de l’AMM d’un médicament doit tolérer que le fabricant d’un autre médicament puisse, en vue d’obtenir une AMM pour ce médicament, se référer aux résultats des essais précliniques et cliniques contenus dans le dossier de demande d’AMM du premier médicament, plutôt que de réaliser lui-même de
tels essais, et qu’il en ressort que cet article confère corrélativement au titulaire de l’AMM du premier médicament le droit d’exiger le respect des prérogatives qui découlent, en ce qui le concerne, de ces conditions.

35 Ainsi, la Cour a constaté, au point 38 de l’arrêt du 23 octobre 2014, Olainfarm (C‑104/13, EU:C:2014:2316), que, sans préjudice de la législation relative à la protection de la propriété industrielle et commerciale, le titulaire de l’AMM d’un médicament a le droit d’exiger que, conformément à l’article 10, paragraphe 1, de la directive 2001/83, ce médicament ne soit pas utilisé comme médicament de référence en vue de faire autoriser la mise sur le marché d’un médicament d’un autre fabricant avant
l’écoulement d’un délai de huit années à compter de la délivrance de cette AMM ou qu’un médicament dont la mise sur le marché a été autorisée sur la base de cet article ne soit pas commercialisé avant le terme de la période de dix ans, éventuellement portée à onze ans, suivant la délivrance de ladite AMM.

36 En conséquence, la Cour a jugé, aux points 39 et 40 de l’arrêt du 23 octobre 2014, Olainfarm (C‑104/13, EU:C:2014:2316), que le titulaire de l’AMM d’un médicament utilisé comme médicament de référence dans le cadre d’une demande d’AMM fondée sur l’article 10 de la directive 2001/83 doit, en vertu de cet article, lu en combinaison avec l’article 47 de la Charte, se voir reconnaître le droit à une protection juridictionnelle effective en ce qui concerne le respect de ces prérogatives et dispose
donc d’un droit de recours contre la décision de l’autorité compétente octroyant une AMM pour un médicament générique, pour autant qu’il s’agit d’obtenir la protection juridictionnelle d’une prérogative que cet article 10 reconnaît à ce titulaire.

37 Il en découle que le titulaire de l’AMM du médicament de référence dispose d’un droit de recours contre la décision de l’autorité compétente octroyant l’AMM du médicament générique aux fins d’obtenir le respect de la protection des données du médicament de référence résultant de l’article 10 de la directive 2001/83 et qu’il doit pouvoir, à cette fin, contester la détermination du point de départ de la période de protection de ces données dans le cadre de ce recours.

38 Dans le système de la procédure décentralisée prévu à l’article 28 de la directive 2001/83, ainsi que cela a été rappelé au point 23 du présent arrêt, chacun des États membres dans lesquels une demande a été présentée adopte, en vertu de l’article 28, paragraphe 5, de cette directive, une décision d’AMM du médicament générique au terme de la procédure qui s’achève avec la constatation de l’accord général de ces États membres. Ladite directive ne prévoit pas l’adoption, pendant cette procédure à
laquelle le titulaire de l’AMM du médicament de référence ne participe pas, d’autres actes contre lesquels celui-ci pourrait former un recours, ni de procédure juridictionnelle permettant à celui-ci de faire valoir ses droits avant l’adoption, par l’autorité compétente de l’un de ces États membres, d’une décision d’AMM.

39 Il s’ensuit que la protection juridictionnelle effective des droits dont dispose le titulaire de l’AMM du médicament de référence quant à la protection des données de ce médicament ne peut être assurée que si ce titulaire peut faire valoir ces droits devant une juridiction de l’État membre dont l’autorité compétente a adopté une décision d’AMM du médicament générique et s’il peut notamment invoquer devant celle-ci une erreur relative à la détermination du point de départ du délai de la période de
protection dont cette décision serait affectée.

40 Toutefois, cette exigence de protection juridictionnelle effective n’implique pas que le titulaire de l’AMM du médicament de référence puisse remettre en cause devant cette juridiction la conformité avec la directive 2001/83 des décisions d’AMM de ce médicament prises dans d’autres États membres. En effet, ce titulaire dispose d’un droit de recours qu’il peut exercer, ou qu’il pouvait exercer dans les délais impartis, contre ces autres décisions devant les juridictions auxquelles incombe le
contrôle de légalité des décisions adoptées par les autorités nationales compétentes dans chaque État membre.

41 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la seconde question que l’article 10 de la directive 2001/83, lu en combinaison avec l’article 47 de la Charte, doit être interprété en ce sens qu’une juridiction d’un État membre concerné par une procédure décentralisée d’AMM, saisie d’un recours formé par le titulaire de l’AMM du médicament de référence contre la décision d’AMM d’un médicament générique dans cet État membre prise par l’autorité compétente de celui-ci, est
compétente pour contrôler la détermination du point de départ de la période de protection des données du médicament de référence. En revanche, cette juridiction n’est pas compétente pour vérifier si l’AMM initiale du médicament de référence accordée dans un autre État membre l’a été conformément à cette directive.

Sur les dépens

42 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :

  1) L’article 28 et l’article 29, paragraphe 1, de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, telle que modifiée par la directive 2012/26/UE du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2012, doivent être interprétés en ce sens que, dans le cadre d’une procédure décentralisée d’autorisation de mise sur le marché d’un médicament générique, l’autorité compétente d’un État membre
concerné par cette procédure ne peut déterminer elle-même le point de départ du délai de la période de protection des données du médicament de référence lors de l’adoption, en vertu de l’article 28, paragraphe 5, de cette directive, de sa décision relative à la mise sur le marché dudit médicament générique dans cet État membre.

  2) L’article 10 de la directive 2001/83, telle que modifiée par la directive 2012/26, lu en combinaison avec l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doit être interprété en ce sens qu’une juridiction d’un État membre concerné par une procédure décentralisée d’autorisation de mise sur le marché, saisie d’un recours formé par le titulaire de l’autorisation de mise sur le marché du médicament de référence contre la décision d’autorisation de mise sur le marché d’un
médicament générique dans cet État membre prise par l’autorité compétente de celui-ci, est compétente pour contrôler la détermination du point de départ de la période de protection des données du médicament de référence. En revanche, cette juridiction n’est pas compétente pour vérifier si l’autorisation de mise sur le marché initiale du médicament de référence accordée dans un autre État membre l’a été conformément à cette directive.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le finnois.


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : C-557/16
Date de la décision : 14/03/2018
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Korkein hallinto-oikeus.

Renvoi préjudiciel – Directive 2001/83/CE – Médicaments à usage humain – Articles 28 et 29 – Procédure décentralisée d’autorisation de mise sur le marché d’un médicament – Article 10 – Médicament générique – Période de protection des données du médicament de référence – Pouvoir des autorités compétentes des États membres concernés de déterminer le point de départ de la période de protection – Compétence des juridictions des États membres concernés pour contrôler la détermination du point de départ de la période de protection – Protection juridictionnelle effective – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 47.

Rapprochement des législations

Santé publique


Parties
Demandeurs : Procédure engagée par Astellas Pharma GmbH.

Composition du Tribunal
Avocat général : Bobek
Rapporteur ?: Jarašiūnas

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2018:181

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