CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. MICHAL BOBEK
présentées le 14 décembre 2017 ( 1 )
Affaire C‑382/16
Hornbach-Baumarkt AG
contre
Finanzamt Landau
[demande de décision préjudicielle formée par le Finanzgericht Rheinland-Pfalz (tribunal des finances de Rhénanie-Palatinat, Allemagne)]
« Renvoi préjudiciel – Liberté d’établissement – Fiscalité directe – Application des prix de transfert aux transactions entre sociétés résidentes et non-résidentes »
I. Introduction
1. Hornbach-Baumarkt AG (ci-après « Hornbach ») a émis des lettres d’intention à l’égard de banques et de créanciers garantissant que les engagements de certaines de ses filiales étrangères seraient honorés. Elle n’a perçu aucune rémunération de la part des filiales en contrepartie des lettres d’intention. À la suite d’une vérification fiscale, le Finanzamt Landau (administration fiscale, Landau, Allemagne, ci-après l’« administration fiscale ») a déclaré que les lettres d’intention n’avaient pas
été accordées conformément aux conditions de pleine concurrence. Par conséquent, l’administration fiscale a effectué un rappel de la taxe professionnelle d’Hornbach. Celui-ci traduisait la rémunération fictive qu’un tiers indépendant aurait, selon elle, normalement versée à Hornbach en contrepartie des lettres d’intention.
2. Hornbach a introduit un recours devant la juridiction de renvoi pour contester l’évaluation de l’administration fiscale. Il fait valoir que la législation allemande prévoyant la rectification de l’imposition des transactions entre sociétés liées pour refléter les conditions de pleine concurrence est contraire aux dispositions du traité UE sur la liberté d’établissement. En particulier, la règle ne prévoit de rectification de l’imposition que lorsque des sociétés étrangères liées sont impliquées.
Par ailleurs, cette règle ne permet pas aux contribuables d’invoquer les raisons pour lesquelles les transactions n’ont pas été conclues conformément aux conditions de pleine concurrence.
3. Dans ce contexte, le Finanzgericht Rheinland-Pfalz (tribunal des finances de Rhénanie-Palatinat, Allemagne) se demande si la règle pertinente en droit allemand est compatible avec les dispositions du traité UE sur la liberté d’établissement.
II. Le cadre juridique
4. Selon la juridiction de renvoi, si les revenus qu’un contribuable tire de liens commerciaux avec une entité liée sont réduits parce que le contribuable convient, dans le cadre de telles relations commerciales avec l’étranger, de conditions qui s’écartent de celles qu’auraient convenues, dans des circonstances identiques ou similaires, des tiers indépendants les uns des autres, l’article 1er, paragraphe 1, de l’Außensteuergesetz (loi relative à l’imposition en cas de relations avec l’étranger),
telle que modifiée par la Gesetz zum Abbau von Steuervergünstigungen und Ausnahmeregelungen (loi sur la suppression d’avantages fiscaux et de dérogations), du 16 mai 2003 (BGBl. 2003 I, p. 660) (ci‑après l’« AStG »), est applicable. Aux termes de cette disposition, ces revenus doivent être déclarés comme s’ils avaient été perçus en application de conditions convenues entre tiers indépendants.
5. Une entité est liée à un contribuable, entre autres, si le contribuable détient directement ou indirectement une participation d’au moins 25 % dans cette entité.
III. Les faits à l’origine du litige, la procédure et les questions préjudicielles
6. Hornbach est une société anonyme ayant son siège en Allemagne. Son objet social consiste dans l’exploitation de magasins de bricolage et de matériaux de construction, en Allemagne et à l’étranger.
7. La requérante au principal détenait en 2003, l’année litigieuse, des participations dans diverses sociétés établies à l’intérieur et à l’extérieur de l’Union européenne, pour lesquelles elle avait émis des garanties et des lettres d’intention à l’égard de créanciers et de banques, sans exiger de rémunération en contrepartie. Elle détenait, entre autres, indirectement, par le biais de sa filiale Hornbach International GmbH et la filiale de cette dernière, Hornbach Holding BV, une participation de
100 % dans Hornbach Real Estate Groningen BV et Hornbach Real Estate Wateringen BV (ci-après les « sociétés étrangères du groupe »), qui étaient toutes deux établies aux Pays-Bas.
8. Le 25 septembre 2002, la requérante au principal a émis, à titre gratuit, des lettres d’intention en faveur des sociétés étrangères du groupe à la banque qui finançait ces sociétés. La raison en était que les sociétés étrangères du groupe présentaient un capital propre négatif mais avaient besoin de crédits bancaires pour un montant de 10057000 euros (Hornbach Real Estate Groningen BV) et de 14800000 euros (Hornbach Real Estate Wateringen BV) respectivement pour la poursuite de leurs activités
ainsi que pour un projet de construction d’un supermarché de bricolage et de jardinage. La banque prêteuse avait subordonné l’octroi des crédits à la remise de lettres d’intention par la requérante au principal.
9. Dans les lettres d’intention du 25 septembre 2002, la requérante au principal s’engageait à l’égard de la banque prêteuse à ne pas se défaire de sa participation dans Hornbach Holding ou à ne pas modifier cette dernière participation. En outre, elle s’engageait à faire en sorte que Hornbach Holding, de la même manière, ne se défasse pas de sa participation dans les sociétés étrangères du groupe, ou ne modifie pas cette dernière participation, sans avoir averti la banque par écrit au moins trois
semaines avant une telle cession ou une telle modification. La requérante au principal s’engageait en outre de manière irrévocable et inconditionnelle à financer les sociétés étrangères du groupe de manière à leur permettre d’honorer tous leurs engagements. La requérante au principal devait donc fournir aux sociétés étrangères du groupe, si cela s’avérait nécessaire, les fonds requis pour pouvoir remplir leurs obligations à l’égard de la banque. En outre, la requérante au principal était tenue de
veiller à ce que ces fonds servent au remboursement des dettes contractées auprès de la banque.
10. Lorsque l’administration fiscale a procédé à la vérification fiscale de la requérante au principal, elle a considéré que les conditions convenues entre la requérante au principal et les sociétés étrangères du groupe s’écartaient de celles qui auraient été convenues, dans des circonstances identiques ou similaires, par des tiers indépendants les uns des autres. Des partenaires commerciaux indépendants les uns des autres auraient convenu d’une rémunération en contrepartie de l’émission d’une
lettre d’intention, en raison du risque encouru par le garant en matière de responsabilité. La requérante au principal n’ayant prévu aucune rémunération avec les sociétés étrangères du groupe en contrepartie de l’émission des lettres d’intention, ses revenus tirés de liens commerciaux établis avec les personnes qui lui sont proches étaient réduits.
11. Par conséquent, l’administration fiscale a, entre autres, effectué des corrections s’élevant à 15253 euros et à 22447 euros pour refléter le montant du revenu fictif qui aurait été perçu par la requérante au principal si elle avait effectué les transactions pertinentes conformément aux conditions de pleine concurrence. La requérante au principal a introduit des réclamations contre les décisions adoptées en conséquence concernant l’impôt sur les sociétés et l’assiette de la taxe professionnelle
pour l’année 2003. Ces réclamations ont été rejetées par l’administration fiscale comme non fondées. Le recours introduit contre cette décision est actuellement pendant devant la juridiction de renvoi.
12. Dans le cadre de son recours, la requérante au principal fait valoir que la défenderesse a illégalement augmenté ses revenus imposables du montant de la rémunération (fictive) des garanties données, en violation du droit de l’Union. L’article 1er de l’AStG conduirait à un traitement discriminatoire des situations transfrontalières car, dans les situations purement internes, il n’y aurait pas d’augmentation fictive des revenus, alors que l’octroi de garanties à des filiales étrangères serait en
revanche « sanctionné ».
13. Pour justifier sa position, la requérante au principal renvoie en particulier à l’arrêt SGI ( 2 ). Selon l’interprétation qu’en fait la requérante au principal, une restriction à la liberté d’établissement constituée par une disposition imposant de rectifier les bénéfices lorsque des avantages sont accordés à des sociétés liées, établies en dehors de l’État membre concerné, n’est proportionnelle que si le contribuable a été mis en mesure de faire valoir les raisons commerciales justifiant la
réalisation de transactions qui, le cas échéant, dérogent au principe de pleine concurrence. L’article 1er de l’AStG ne contient aucune disposition expresse relative à la possibilité de faire valoir une justification commerciale pour expliquer une transaction dérogeant au principe de pleine concurrence. La requérante au principal estime dès lors que cette disposition enfreint le principe de proportionnalité. L’octroi gratuit des lettres d’intention litigieuses n’est pas motivé par des raisons
fiscales. Au contraire, il s’agirait de mesures de soutien destinées à remplacer l’augmentation de fonds propres. Par conséquent, du point de vue du droit de l’Union, la rémunération des garanties ne peut pas être ajoutée puisqu’il existe une justification commerciale à l’octroi gratuit des sûretés en garantie des prêts.
14. Dans le cadre de sa défense, la défenderesse fait valoir en substance que, dans l’arrêt SGI, qui portait sur une disposition fiscale belge présentant certaines similitudes avec l’article 1er de l’AStG, la Cour a jugé que les articles 43 et 48 CE ne s’opposent pas, en principe, à cette réglementation d’un État membre. La défenderesse reconnaît que, si l’article 1er de l’AStG ne contient aucune règle autonome quant à la production d’éléments de justification commerciale, le contribuable dispose
toutefois de la possibilité de produire des preuves du caractère approprié de la transaction. S’il existe des raisons commerciales justifiant de s’écarter de ce qui serait approprié dans d’autres circonstances, ces justifications pourraient également être prises en considération dans le cadre de l’article 1er de l’AStG. En outre, le droit allemand donnerait au contribuable la possibilité de contester l’évaluation fiscale tant par voie extrajudiciaire que par voie judiciaire.
15. À la lumière de ces éléments, le Finanzgericht Rheinland-Pfalz (tribunal des finances de Rhénanie-Palatinat) pose la question suivante à la Cour :
« L’article 49 TFUE, lu en combinaison avec l’article 54 TFUE (anciennement l’article 43 CE, lu en combinaison avec l’article 48 CE), s’oppose-t-il à une réglementation d’un État membre selon laquelle les revenus que tire un contribuable résident de ses liens commerciaux avec une société résidente dans un autre État membre, société dans laquelle il détient directement ou indirectement une participation d’au moins un quart, et avec laquelle il a convenu de conditions qui s’écartent de celles
qu’auraient convenues des tiers indépendants les uns des autres dans des circonstances identiques ou similaires, sont à calculer comme ils l’auraient été si les mêmes conditions qu’entre tiers indépendants avaient été convenues, alors qu’il n’est pas procédé à un tel calcul rectificatif pour les revenus tirés de liens commerciaux avec une société résidente, et que cette réglementation ne donne pas la possibilité au contribuable résident de prouver que les conditions convenues l’ont été pour des
raisons commerciales qui résultent de sa position d’associé dans la société résidant dans l’autre État membre ? »
16. Des observations écrites ont été déposées par la requérante au principal, les gouvernements allemand et suédois ainsi que par la Commission européenne. Les parties intervenantes qui ont participé à la phase écrite de la procédure ont formulé des observations orales lors de l’audience qui s’est tenue le 27 septembre 2017.
IV. Appréciation
17. Un État membre peut-il empêcher des sociétés de transférer des bénéfices en dehors de son territoire en exigeant que leurs revenus soient déclarés dans le respect du « principe de pleine concurrence » ? Peut-il imposer une telle exigence concernant les seules transactions transfrontalières et non les transactions internes (c’est-à-dire conclues entre deux sociétés résidentes) sans enfreindre les règles du traité sur la liberté d’établissement ? ( 3 ). Telle est, en substance, la question posée
par la juridiction de renvoi dans cette affaire.
18. Ma réponse immédiate aux deux interrogations soulevées dans cette affaire est « oui ». C’est parce que je ne considère pas que les règles nationales en question soient de nature à entraîner une quelconque restriction à la liberté d’établissement. Toutefois, dans l’hypothèse où elles le seraient, elles seraient, à mon avis, justifiées.
19. Je commencerai par formuler, au titre A, quelques remarques générales sur la territorialité fiscale et sur l’approche retenue par la Cour au sujet de l’application des dispositions du traité relatives à la liberté d’établissement. Au titre B, je rappellerai les principaux points de l’arrêt SGI qui constitue un précédent essentiel au regard de la présente espèce, puis je répondrai à la question posée par la juridiction de renvoi ( 4 ).
A. Concernant la territorialité, la discrimination, les restrictions et la comparabilité
1. Territorialité, transfert de bénéfices et érosion de la base d’imposition
20. Le principe de territorialité de la compétence fiscale des États est largement reconnu au plan international, y compris dans la jurisprudence de la Cour ( 5 ). Conformément à ce principe, les États membres peuvent imposer les sociétés résidentes sur leurs bénéfices mondiaux (imposition fondée sur la résidence), et les sociétés non-résidentes sur les bénéfices tirés des activités réalisées dans cet État (imposition fondée sur la source des revenus).
21. L’une des conséquences du principe de territorialité est que les sociétés ne sont pas libres de transférer à leur guise les bénéfices et les pertes d’un ressort fiscal à l’autre. La Cour l’a itérativement reconnu dans la jurisprudence, en particulier par l’application de la notion de « répartition équilibrée du pouvoir d’imposition » ( 6 ). En appliquant cette dernière notion, la Cour a confirmé que, si un État membre était tenu d’accepter le libre transfert des bénéfices de sociétés résidentes
hors de son territoire, il « serait contraint de renoncer à son droit d’imposer, en tant qu’État de résidence de cette société, les revenus de celle-ci, au profit, éventuellement, de l’État membre du siège de la société bénéficiaire » ( 7 ).
22. Il découle naturellement de ce constat que les États membres peuvent légitimement adopter des mesures destinées à prévenir l’érosion de leur base d’imposition par le transfert de bénéfices hors de leur territoire. Ils peuvent prendre des mesures pour s’assurer que ces bénéfices soient répartis correctement ( 8 ).
23. L’érosion de la base d’imposition d’un État peut par exemple survenir lorsque des sociétés résidentes fournissent des produits ou des services à des sociétés non-résidentes à un prix sous-évalué ou gratuitement, réduisant ainsi leur revenu imposable dans leur État de résidence. L’État membre peut empêcher cela en rectifiant la base d’imposition de la société résidente à concurrence du montant qui aurait été retenu si la transaction avait été conclue dans des conditions de pleine concurrence
(application des « prix de transfert »). Le principe de pleine concurrence est une norme internationale visée à l’article 9 des modèles de convention fiscale de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et des Nations unies, et est utilisé par la plupart des administrations fiscales dans le monde ( 9 ).
24. Pour être précis, les prix de transfert déterminés sur la base du principe de pleine concurrence peuvent être utilisés à d’autres fins que celle de la rectification de la base d’imposition d’une société en cas de conditions artificielles ou abusives visant délibérément à éluder l’impôt. Ils sont également utilisés, généralement et légitimement, comme outil permettant de garantir une base cohérente de répartition des bénéfices (et d’éviter la double imposition). Il me semble important de le
rappeler car, à ma connaissance, la requérante au principal ne fait l’objet d’aucune accusation de fraude fiscale ni de pratiques fiscales abusives.
25. Concernant les transactions qui ne sont pas conclues conformément au principe de pleine concurrence entre des sociétés liées qui sont toutes deux résidentes dans le même État, les problèmes d’érosion de la base d’imposition ne se posent pas dans les mêmes termes que dans les situations transfrontalières. Dans ces cas-là, les bénéfices n’« échappent » pas à la compétence fiscale de l’État pour aller à l’étranger. Ils sont simplement déplacés à l’intérieur du même ressort fiscal et peuvent être
imposés ailleurs – l’impôt frappera un autre contribuable mais toujours dans le même ressort. Dès lors, l’application des prix de transfert n’est pas nécessaire (ou, tout au moins en principe, ne poursuivrait pas les mêmes fins) dans ces cas de transactions purement internes ( 10 ).
26. Dans le litige au principal, le gouvernement allemand indique que c’est pour ces raisons qu’il n’applique les règles pertinentes en matière de prix de transfert qu’aux situations transfrontalières. La différence entre les transactions internes et transfrontalières, et la limitation des règles relatives aux prix de transfert à ces dernières, est donc au cœur de la question soulevée par la juridiction de renvoi.
27. Cette différence soulève elle-même des interrogations sur la comparabilité des situations transfrontalières et internes, sur le rôle de la comparabilité dans l’application des règles relatives à la liberté d’établissement, et, plus généralement, sur la manière dont ces règles sont appliquées dans le domaine de la fiscalité directe. Ce sont ces interrogations que je vais à présent examiner.
2. Deux approches et une combinaison
28. Il existe, dans la jurisprudence de la Cour, deux approches différentes pour analyser les allégations de violations de la liberté d’établissement dans le domaine de la fiscalité directe : l’approche fondée sur une discrimination et l’approche fondée sur une restriction. Il est généralement admis, dans la doctrine universitaire, que la Cour oscille, au fil des années, entre ces deux approches ( 11 ).
a) L’approche fondée sur une discrimination
29. En vertu de l’approche fondée sur une discrimination, pour qu’une mesure nationale soit considérée comme contraire à la liberté d’établissement, il faut que des situations comparables soient traitées différemment en désavantageant les sociétés exerçant la liberté d’établissement. Par exemple, il faut que la situation de la société mère résidente ayant une filiale étrangère, d’une part, et celle de la société mère ayant une filiale résidente, d’autre part, soient comparables et que la première
soit traitée de manière défavorable.
30. L’exercice de la comparaison dans les affaires de groupe nationaux et multinationaux et de fiscalité directe n’est pas simple. L’une des complications majeures réside dans le fait que plusieurs entités juridiques sont impliquées. Cela peut avoir pour effet de modifier l’angle d’analyse dans le cadre de l’exercice comparatif.
31. Par exemple, une analyse juridique pourrait commencer par une comparaison de sociétés mères, et constater qu’elles sont traitées de la même manière aux fins de l’imposition des bénéfices, puis comparer ensuite les filiales (résidentes et non-résidentes), et constater qu’elles sont traitées différemment au regard de l’octroi d’un avantage (tel que le droit à un avoir fiscal) ( 12 ). De même, des exercices de comparaison pourraient commencer au niveau des filiales de sociétés résidentes et
non-résidentes et se terminer par une comparaison de groupes nationaux et multinationaux ( 13 ).
32. Je tire une conclusion importante de ce dernier point. Lorsqu’elles sont confrontées à des questions d’imposition de groupes et de liberté d’établissement, les entités juridiques ne sont pas comparées dans un splendide isolement. Elles ne sont pas comparées sans tenir aucun compte de la situation et du traitement des entités liées. La situation et le traitement de ces entités liées devraient au contraire être pertinents et intégrés à l’analyse juridique.
33. Cette remarque est cruciale en l’espèce. En effet, il est constant entre les parties qu’il y a une différence de traitement au niveau de l’entité juridique individuelle. Toutefois, l’un des arguments essentiels du gouvernement allemand consiste à soutenir que, pour les transactions transfrontalières, il n’y a aucun désavantage au niveau du groupe – l’argument de la « somme nulle » sur lequel je reviendrai ci-dessous.
b) Approche fondée sur une restriction
34. Par rapport à l’approche fondée sur une discrimination, l’approche fondée sur une restriction est beaucoup plus large. Conformément à la formule traditionnelle, elle couvre toutes les règles « susceptibles d’entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement le commerce intracommunautaire » ( 14 ). Cette formule a évolué au fil des ans. Dans son acception plus récente, une restriction serait généralement considérée comme une mesure nationale « susceptible de gêner ou de
rendre moins attrayant l’exercice des libertés fondamentales garanties par le traité » ( 15 ). Toutefois, il est clair que, conformément à l’approche fondée sur une restriction, même les restrictions non discriminatoires doivent être justifiées ( 16 ).
35. Ainsi la Cour a-t-elle par exemple déclaré, dans l’arrêt SGI, que les dispositions relatives à la liberté d’établissement « visent à assurer le bénéfice du traitement national dans l’État membre d’accueil, elles s’opposent également à ce que l’État membre d’origine entrave l’établissement dans un autre État membre de l’un de ses ressortissants ou d’une société constituée en conformité avec sa législation » (souligné par nos soins) ( 17 ).
36. L’approche fondée sur une restriction permet donc de se dispenser, tout au moins en théorie, de toute comparaison ou de l’identification d’un traitement comparativement défavorable.
37. Le fait que les États membres gardent leur souveraineté dans le domaine de la fiscalité directe constitue un obstacle majeur à l’application de l’approche fondée sur une restriction en la matière. Les États membres restent libres de déterminer la base d’imposition et de fixer les taux applicables. La coexistence de systèmes nationaux définis et réglementés de cette manière conduit à des « restrictions » à la liberté d’établissement ( 18 ).
38. Pour prendre un exemple extrême, une société résidente dans l’État membre A, qui applique un taux d’impôt sur les sociétés de 10 %, pourrait être amenée à renoncer à créer une filiale dans l’État membre B, lequel applique un taux de 20 %. Si l’on poussait l’approche fondée sur une restriction au bout de sa logique, une telle différence de taux d’imposition constituerait déjà une restriction à la liberté d’établissement et obligerait l’État membre B à justifier son taux d’imposition plus élevé.
c) Combinaison des approches
39. Au moins en partie pour des raisons liées aux difficultés d’application d’une approche « purement » fondée sur une restriction aux règles relatives à la fiscalité directe, cette approche a été diluée par une dose de discrimination. Le résultat ressemble parfois à un cocktail étrange.
40. Ainsi la Cour a-t-elle, par exemple, jugé à de nombreuses occasions qu’une restriction à la libre circulation « ne saurait être admise que si elle concerne des situations qui ne sont pas objectivement comparables ou si elle est justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général » (souligné par nos soins) ( 19 ). Dans ces cas‑là, le terme restriction est utilisé, mais l’approche retenue est en définitive fondée sur une discrimination : l’absence de comparabilité rendra inutile l’examen de
justifications.
41. De même, une différence de traitement peut être observée sans qu’aucune analyse de comparabilité ne soit menée. Cette situation donne lieu à une constatation de « restriction ». Une telle approche peut semer le trouble concernant le point de savoir si l’évaluation est fondée sur une discrimination ou sur une restriction (par exemple, dans l’arrêt SGI ( 20 ) qui est examiné de manière plus détaillée ci-dessous).
42. Cela étant, il y a, dans d’autres cas, une reconnaissance explicite de l’absence de comparabilité et, parallèlement, une référence à la différence de traitement, comme dans l’arrêt Thin Cap qui a été cité précédemment ( 21 ).
43. Cette approche sous-entend que la discrimination n’est pas une condition juridique nécessaire à la constatation d’une violation de la liberté d’établissement, mais qu’il importe néanmoins, d’une certaine manière, que les deux situations soient traitées différemment.
44. En résumé, il existe des difficultés spécifiques liées à l’application des approches fondées soit sur une discrimination soit sur une restriction dans le domaine de la liberté d’établissement à la fiscalité directe. Concernant l’approche fondée sur une discrimination, la question de la comparabilité et, en particulier, celle de savoir quelles entités doivent être comparées, et à quel stade elles doivent l’être, est sujette à controverse. L’approche fondée sur une restriction pose des problèmes
encore plus importants : en particulier, si l’on tire les conclusions logiques qui en résultent, toute différence en matière de fiscalité directe pourrait être une restriction à la liberté d’établissement. Par définition, les États membres seraient toujours obligés de justifier leur politique fiscale. Comme la Cour l’a confirmé, ces difficultés proviennent en particulier du principe de territorialité, et, plus généralement, du degré de souveraineté dont jouissent les États membres dans ce
domaine. Comme nous le verrons ensuite, ces difficultés se posent également en l’espèce.
B. La question de la juridiction de renvoi
1. L’arrêt SGI
45. La décision de renvoi cite l’arrêt SGI ( 22 ), comme l’on fait toutes les parties dans leurs observations écrites et orales. Je vais donc commencer par rappeler les faits et les principales conclusions de cet arrêt.
46. SGI était une société établie en Belgique. Elle a accordé un prêt sans intérêts à Recydem, une société faisant partie du même groupe. SGI a reçu un avis d’imposition rectificatif rehaussant sa base d’imposition d’un montant correspondant au taux d’intérêt fictif de 5 % pour le prêt accordé à Recydem. Ce redressement était fondé sur l’article 26 du Code des impôts sur le revenu. Cette disposition autorisait la réintégration aux bénéfices du donateur des avantages anormaux ou bénévoles à des fins
fiscales « sauf si les avantages interviennent pour déterminer les revenus imposables des bénéficiaires ». Elle prévoyait également que l’avantage était ajouté aux bénéfices du donateur dans un certain nombre de cas, y compris lorsque le bénéficiaire est une société étrangère liée ( 23 ).
47. La Cour a estimé que les sociétés résidentes en Belgique accordant des avantages anormaux ou bénévoles à des sociétés étrangères liées étaient défavorisées par rapport aux sociétés résidentes accordant des avantages à des sociétés liées, également résidentes en Belgique. Cette situation serait susceptible d’amener les sociétés belges à renoncer « à l’acquisition, à la création ou au maintien d’une filiale dans un autre État membre ou bien à l’acquisition ou au maintien d’une participation
substantielle dans une société établie dans ce dernier État, en raison de la charge fiscale frappant, dans une situation transfrontalière, l’octroi des avantages visés par la réglementation en cause au principal » ( 24 ). Par ailleurs, cela pourrait amener des sociétés à renoncer à l’acquisition, à la création ou au maintien d’une participation substantielle en Belgique en raison de la charge fiscale frappant, dans cet État, l’octroi d’avantages. Cela constituerait une restriction à la liberté
d’établissement.
48. Toutefois, la restriction pourrait être justifiée par l’objectif légitime de préservation de la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition. Concernant les objectifs légitimes, la Cour a également fait référence à la prévention de l’évasion fiscale. Étant donné que cette justification n’a pas été invoquée en l’espèce, je n’en débattrai pas en détail ici.
49. Les sociétés ne sont pas libres de transférer à leur guise leurs bénéfices et leurs pertes entre États membres pour minimiser leur charge fiscale. Permettre aux sociétés résidentes d’accorder des avantages anormaux ou bénévoles à des sociétés étrangères liées risquerait de compromettre la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition en contraignant l’État membre du « donateur » à renoncer à son droit d’imposer les revenus de la société résidente ( 25 ).
50. La Cour a également jugé que, sous réserve de l’appréciation fiscale de la juridiction nationale, la mesure était proportionnée puisque les mesures fiscales correctrices reflétaient les conditions de pleine concurrence et que le contribuable avait l’opportunité de fournir les raisons commerciales justifiant les termes de la transaction qui ne semblaient pas, de prime abord, conformes aux conditions de pleine concurrence.
2. La présente espèce : une restriction à la liberté d’établissement ?
51. En l’espèce, la requérante au principal a émis, sans rémunération, des lettres d’intention contenant une garantie en faveur des sociétés étrangères de son groupe. Elle leur a donc accordé un avantage à des conditions qui n’étaient pas conformes aux conditions de pleine concurrence.
52. En application de l’article 1er, paragraphe 1, de l’AStG, la base d’imposition de la requérante au principal a été ajustée à la hausse pour refléter le montant de bénéfices qu’elle aurait dû déclarer si les transactions avaient été conclues conformément aux conditions de pleine concurrence.
53. Il est constant que le droit allemand ne prévoit de telles rectifications que si la société bénéficiaire est établie dans un autre État membre. En revanche, la base d’imposition d’une société résidente en Allemagne n’est pas rectifiée lorsque celle-ci accorde un avantage à une entité liée qui est également résidente en Allemagne.
54. Si l’on devait appliquer le raisonnement exposé par la Cour dans l’arrêt SGI ( 26 ), il s’ensuivrait que la situation fiscale d’une société résidente en Allemagne qui, comme la requérante au principal, accorde des conditions avantageuses non conformes aux conditions de pleine concurrence à une entité liée établie dans un autre État membre, est moins favorable qu’elle ne le serait si elle accordait cet avantage à une entité liée résidente en Allemagne.
55. Toutefois, je considère qu’une telle transposition de la solution retenue dans l’arrêt SGI est incorrecte pour deux raisons. En l’espèce, il y a a) une absence de discrimination en raison tant du défaut de comparabilité que du défaut de traitement défavorable et b) une inapplicabilité de l’approche fondée sur une restriction. J’examinerai chacun de ces points ci-dessous.
a) Absence de discrimination
1) Défaut de comparabilité
56. La différence importante qui oppose la présente affaire et l’affaire SGI réside dans le fait que, dans l’affaire SGI, la question de la comparabilité des situations n’avait apparemment pas été débattue. Dans l’affaire SGI, le traitement différencié avait été reconnu dans l’arrêt, mais aucune évaluation de la comparabilité n’avait été effectuée. Or, en l’espèce, l’Allemagne souligne expressément le défaut de comparabilité en demandant à la Cour de traiter clairement cette question.
57. En vertu d’une jurisprudence constante, la comparabilité d’une situation transfrontalière avec une situation interne doit être examinée au regard de l’objectif poursuivi par les dispositions nationales en cause ( 27 ).
58. Dans la présente espèce, il s’avère, au vu des observations écrites du gouvernement allemand, que le but des dispositions pertinentes de droit national est de veiller à ce que les bénéfices générés en Allemagne ne soient pas transférés en dehors du ressort fiscal de l’Allemagne par le biais de transactions qui ne seraient pas conformes aux conditions de pleine concurrence, sans avoir été imposés.
59. Dans ces conditions, il semblerait y avoir de solides arguments laissant entendre que les situations transfrontalière et nationale ne sont en fait pas comparables en l’espèce. Dans la situation transfrontalière, l’absence de rectification de la base d’imposition pour refléter les conditions de pleine concurrence supposerait que la République fédérale d’Allemagne renonce à son droit d’imposer, en tant qu’État de résidence de cette société, l’intégralité des revenus de cette dernière. Cela
contraste avec la situation nationale, dans laquelle les revenus restent à l’intérieur du territoire.
60. Par conséquent, l’argument consiste, en substance, à soutenir que les filiales étrangères et nationales ne sont pas comparables au regard de l’objectif bien spécifique consistant à veiller à ce que les impôts n’échappent pas à la compétence d’un État membre. La législation en cause a été adoptée précisément parce qu’elles ne sont pas considérées comme identiques. Le principe de territorialité et l’incapacité d’exercer la compétence fiscale sur des filiales étrangères rend ces deux situations
objectivement différentes. L’inégalité est caractérisée non seulement lorsque des situations identiques sont traitées différemment, mais également lorsque des situations objectivement différentes sont traitées de la même manière ( 28 ).
61. À cet égard, deux points méritent d’être soulignés. Premièrement, cet argument montre très clairement, en général mais aussi, et peut-être même encore plus nettement, dans le contexte spécifique de cette affaire, à quel point les évaluations concernant la comparabilité et la justification sont liées. Bien qu’elles soient présentées comme deux étapes distinctes de l’analyse, l’établissement de la comparabilité, dans sa mise en œuvre pratique, peut tenir compte de la finalité de la législation
nationale en définissant le tertium comparationis. La même finalité est également invoquée dans le cadre de l’appréciation de la justification de l’action des États membres. Deuxièmement, un tel « téléscopage » entre comparabilité et justification est caractéristique lorsque des mesures nationales sont contrôlées au regard du droit de l’Union. Sous réserve que la mesure nationale en question ne soit pas rédigée de manière trop restrictive ou déraisonnable, le cadre de comparabilité établi par le
droit national pourrait également revêtir une importance particulière pour établir un cadre de comparabilité en droit de l’Union, à la condition que la finalité poursuivie par le droit national soit elle-même acceptable du point de vue de l’Union. Ainsi le cadre juridique national est-il susceptible d’être pris comme point de départ, même s’il n’est pas nécessairement l’argument déterminant, pour établir une comparabilité en droit de l’Union ( 29 ).
62. C’est précisément le cas de figure qui correspond à cette affaire. Si l’on accepte le principe de territorialité (fiscale), ainsi que l’objectif de « préservation de la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition » (qui veut effectivement dire la même chose, exprimé au niveau de la « justification »), les situations des filiales nationales et étrangères ne sont plus comparables.
63. Dès lors, je considère que la position de la République fédérale d’Allemagne, selon laquelle les situations transfrontalières et nationales ne sont simplement pas comparables, est correcte. La finalité pour laquelle cette différenciation a été créée en droit national est licite du point de vue du droit de l’Union, et la différence établie par le droit national est raisonnable. En effet, il serait paradoxal que la Cour reconnaisse solennellement « le principe de territorialité consacré par le
droit fiscal international et reconnu par le droit communautaire » ( 30 ), tout en considérant que l’on peut totalement assimiler le transfert de revenus en dehors du ressort fiscal d’un État membre à des transferts à l’intérieur du ressort fiscal de cet État membre.
64. La jurisprudence de la Cour ne confirme d’ailleurs pas non plus une telle assimilation.
65. Il est vrai que le fait d’invoquer la prévention du transfert de bénéfices entre États membres n’est pas un chèque en blanc. Cela n’exclut pas que les « règles adoptées par un État membre pour viser spécifiquement la situation des groupes transfrontaliers puissent, dans certains cas, constituer une restriction à la liberté d’établissement » ( 31 ). Toutefois, les conditions pour constater l’existence d’une restriction doivent être effectivement remplies. La comparabilité et le traitement
défavorable doivent être réellement établis ( 32 ).
66. En l’espèce, compte tenu notamment de la finalité des règles nationales en cause, je ne pense pas que les situations soient comparables. Par conséquent, la présente affaire diffère des cas dans lesquels la Cour a été confrontée à l’argument de la territorialité dans le contexte d’une mesure qui n’avait pas pour objet spécifique de traiter les fuites transfrontalières de revenus imposables ( 33 ).
67. Par ailleurs, dans un certain nombre d’affaires, la Cour a considéré que le fait pour un État membre de chercher à taxer les résidents et les non-résidents de la même manière constituait un élément déterminant pour établir la comparabilité. Ainsi, par exemple, à partir du moment où un État membre « assujettit à l’impôt sur le revenu non seulement les actionnaires résidents, mais également les actionnaires non-résidents, pour les dividendes qu’ils perçoivent d’une société résidente, la situation
desdits actionnaires non-résidents se rapproche de celle des actionnaires résidents » ( 34 ).
68. Dans la présente affaire, comme le souligne le gouvernement allemand, on ne cherche pas à taxer les non-résidents. La taxation est imposée selon le principe de pleine concurrence et frappe, par conséquent, les bénéfices générés en Allemagne uniquement. Dans ces conditions, les situations transfrontalières et nationales ne sont, là encore, pas comparables.
69. Compte tenu de ce qui précède, je ne considère pas que, dans cette affaire, la situation des sociétés résidentes ayant des filiales non‑résidentes et celle des sociétés résidentes ayant des filiales résidentes soient comparables aux fins de l’identification d’une éventuelle discrimination qui serait contraire à la liberté d’établissement. Les situations sont objectivement différentes. Cela signifie en effet qu’elles ne peuvent pas être traitées de la même manière si le principe de
non-discrimination qui sous-tend les règles relatives à la liberté d’établissement doit être respecté.
2) Absence de traitement moins favorable
70. Néanmoins, si l’on devait considérer que les situations transfrontalières et nationales sont, en l’espèce, effectivement comparables, j’estime qu’un argument solide plaide en faveur de l’absence de discrimination, dans le sens d’un traitement moins favorable des premières.
71. Ce point de vue est fondé avant tout sur un argument invoqué par le gouvernement allemand. J’y ferai référence sous le nom d’argument de la « somme nulle ». Selon cet argument, en cas de transactions conclues en violation du principe de pleine concurrence par une société mère et sa filiale, lesquelles sont toutes deux résidentes en Allemagne, les bénéfices ne sont pas imposés dans les mains de la société mère, mais dans celles de la filiale. Par conséquent, si l’on considère le groupe dans son
ensemble, la charge fiscale reste la même. Il n’y a pas lieu de rectifier les bases d’imposition de la société mère ni de la filiale (si toutes les deux sont établies en Allemagne) pour refléter les conditions de pleine concurrence, car cela serait lourd administrativement et aboutirait au même résultat en pratique.
72. En d’autres termes, le gouvernement allemand soutient qu’il n’y a pas de différence de traitement car, dans les deux cas, les bénéfices générés sur le territoire national sont imposés une fois, toujours une fois, et rien qu’une fois.
73. Un argument similaire a été invoqué dans l’arrêt SGI. La Cour y a répondu en reconnaissant implicitement que (dans les cas de détention à 100 %) l’argument de la somme nulle pouvait être pertinent ( 35 ).
74. Toutefois, la Cour n’a pas examiné cet argument dans le détail puisqu’il existait, en toute hypothèse, un risque de double imposition. Cela tient au fait que, dans l’arrêt SGI, l’ajustement à la hausse de la base d’imposition de la société accordant l’avantage en Belgique aurait pu ne pas se traduire par un ajustement à la baisse de la base d’imposition de la société bénéficiaire en France. Ce risque n’était pas éliminé par la possibilité d’application de la convention d’arbitrage 90/436/CEE
pour éviter la double imposition, puisque l’application de cet instrument aurait généré des coûts et des retards ( 36 ). Dans ces conditions, la restriction à la liberté d’établissement avait été confirmée.
75. Concernant le risque de double imposition, je trouve que ce raisonnement est très problématique en l’espèce. Comme cela a été expliqué précédemment, conformément au principe de territorialité, les États membres peuvent imposer les sociétés résidentes sur leurs bénéfices mondiaux (imposition fondée sur la résidence), et les sociétés non-résidentes sur les bénéfices tirés de leurs activités dans cet État (imposition fondée sur la source des revenus). L’un des corollaires de cette dualité de
critères de résidence et de source des revenus permettant d’établir les droits d’imposition est le risque de double imposition. Un contribuable dans un État membre B qui perçoit des dividendes d’un État membre A peut être imposé deux fois. Une retenue à la source peut être appliquée dans l’État membre A (source des revenus), et ces bénéfices peuvent ensuite être taxés dans l’État de résidence du bénéficiaire, l’État membre B ( 37 ).
76. En dépit de tout cela, la jurisprudence constante de la Cour prévoit qu’il n’y a pas d’obligation pour l’État d’origine d’accorder un allègement fiscal dans ces cas-là ( 38 ). Par conséquent, la double imposition, ou le risque qu’elle se produise, ne neutralise pas le principe de territorialité. Cela n’empêche pas les États membres de taxer les bénéfices sur leur territoire.
77. Toutefois, le raisonnement suivi dans l’arrêt SGI conduit, à mon avis, à la solution inverse. Cet arrêt concerne une situation dans laquelle un État membre exige d’imposer les bénéfices générés sur son territoire, et présente cela comme un désavantage en évoquant le risque de double imposition.
78. Le fait de pousser le raisonnement au bout de sa logique et de l’appliquer à la présente affaire permet de mettre en lumière ses contradictions internes.
79. Dans la présente affaire (comme dans l’affaire SGI), la préoccupation majeure qui revient régulièrement réside dans le fait que le principe de pleine concurrence est appliqué aux situations transfrontalières, et non aux situations nationales. La difficulté que je perçois dans l’argument tiré du risque de double imposition est que celui-ci subsiste même si la différence de traitement est éliminée. Ainsi, en l’espèce, si le gouvernement allemand avait choisi d’appliquer les prix de transfert aux
transactions transfrontalières et nationales, il n’y aurait pas eu de différence de traitement. Toutefois, il y aurait toujours un risque théorique de double imposition dans le cas des situations transfrontalières, qui n’existe tout simplement pas, en principe, dans les transactions nationales.
80. À mon avis, le vrai problème qui se pose en l’espèce tient plutôt à la validité de l’argument de la « somme nulle ». Si cet argument est valide, il me semble que le risque de double imposition est simplement le résultat de la coexistence de systèmes fiscaux différents et du principe de territorialité lui‑même. Il serait présent quel que soit le scénario.
81. En l’espèce, et sous réserve de vérifications éventuelles de la juridiction nationale, l’argument de la somme nulle semble fondé. À cet égard, je formulerai les observations suivantes.
82. Premièrement, lors de l’audience devant la Cour, ni la requérante au principal ni la Commission n’ont sérieusement remis l’argument en question. Elles n’ont jamais prétendu que l’application des critères de pleine concurrence étendue au cas de transactions nationales augmenterait globalement la charge fiscale des sociétés résidentes, ou que leur inapplication allégerait leur charge fiscale.
83. Deuxièmement, l’argument de la somme nulle implique à l’évidence de considérer l’imposition du groupe dans son ensemble. Pour les raisons énoncées précédemment aux points 30 à 33, il est, à mon avis, justifié (et effectivement courant dans la jurisprudence) de ne pas limiter l’analyse de la discrimination à la situation particulière des entités juridiques individuelles.
84. Troisièmement, dans l’affaire SGI, l’arrêt de la Cour laissait entendre, ce que l’avocat général avait expliqué dans ses conclusions ( 39 ), que l’argument de la somme nulle n’est pertinent qu’en cas de détention à 100 %. Dans ces cas-là, peu importe quelle société du groupe sera imposée. Toutefois, lorsque les niveaux d’intérêt sont plus bas, cela n’est pas si évident.
85. En réponse à cet argument, je ferais simplement observer que, dans la présente espèce, la requérante au principal détient bien, directement ou indirectement, 100 % des sociétés étrangères du groupe. Conformément au raisonnement de la Cour dans l’arrêt SGI, il s’agit donc d’une situation dans laquelle, en principe, l’argument de la somme nulle « fonctionne ».
86. Compte tenu des éléments qui précèdent, j’estime qu’il y a, en l’espèce, une absence de situations comparables et que, s’il y a comparabilité, il n’y a, de toute façon, aucun désavantage. Par conséquent, la mesure nationale en cause ne donnerait pas lieu à une discrimination contraire à la liberté d’établissement.
b) Absence de restriction
87. Le point a) précédent part du principe que l’« approche fondée sur une discrimination » s’applique au cas particulier. Toutefois, si l’on considérait que l’approche fondée sur une restriction devrait s’appliquer, cela rendrait, en principe, inutile toute comparaison ou identification d’un désavantage comparatif.
88. Une telle affirmation soulève néanmoins une question de principe assez délicate : l’obligation faite aux sociétés de calculer leur base d’imposition sur le fondement des conditions de pleine concurrence peut-elle vraiment être considérée comme une restriction à la liberté d’établissement ? ( 40 )
89. Je ne pense pas que ce soit possible. Ce n’est rien de plus que l’expression du principe de territorialité fiscale, qui reflète le droit d’un État d’imposer les bénéfices générés sur son territoire ( 41 ). En effet, s’il en allait autrement, et que la rectification de la base d’imposition pour refléter les conditions de pleine concurrence constituait une restriction à la liberté d’établissement, l’application par un État membre de n’importe quel taux d’imposition supérieur à zéro pourrait sans
doute aussi constituer une telle restriction. En d’autres termes, les problèmes inhérents à l’application de l’approche fondée sur une restriction à la fiscalité directe referaient surface.
90. À ce stade, je considère qu’il est également important d’aborder les arguments avancés dans l’affaire SGI concernant la « dissuasion ». Je les ai paraphrasés au point 47. En substance, l’idée est que l’application des conditions de pleine concurrence constitue en quelque sorte un moyen de dissuader (dans ce cas) les sociétés allemandes d’envisager de créer des filiales à l’étranger, et les sociétés qui ne sont pas allemandes de créer des filiales en Allemagne.
91. Toutefois, si on l’appliquait à la présente espèce, cette conclusion ne serait, à mon avis, guère plus qu’une hypothèse (d’ailleurs assez discutable). En quoi consisterait l’effet dissuasif ? Cette hypothèse semble surtout reposer sur une prémisse essentielle : à savoir qu’une société serait amenée à renoncer à exercer sa liberté d’établissement par la perspective d’être imposée sur l’ensemble de ses bénéfices, tels que rectifiés pour refléter les conditions de pleine concurrence ( 42 ). Si le
principe de territorialité et la souveraineté des États membres en matière de fiscalité directe ont encore une quelconque signification, il ne me semble pas que cela constitue un fondement légitime pour conclure à une violation de la liberté d’établissement.
92. Pour ces raisons, et en l’absence de tout traitement discriminatoire de situations comparables, je ne considère pas que la rectification par la République fédérale d’Allemagne de la base d’imposition des sociétés résidentes pour refléter les conditions de pleine concurrence dans les transactions transfrontalières constitue, en soi, une restriction à la liberté d’établissement.
93. Toutefois, si la Cour devait parvenir à une conclusion différente, j’estime que la restriction serait justifiée.
3. Justification
94. Les restrictions à la liberté d’établissement sont admises si elles poursuivent un objectif légitime et qu’elles sont justifiées par des raisons impérieuses d’intérêt général. Leur application doit être propre à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre ( 43 ).
a) Objectif légitime
1) Répartition équilibrée du pouvoir d’imposition
95. En l’espèce, le gouvernement allemand invoque une seule justification, à savoir celle de la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres.
96. La Cour a reconnu à plusieurs reprises que cela pouvait constituer un objectif légitime susceptible de justifier des restrictions à la liberté d’établissement ( 44 ).
97. La logique sous-jacente consiste, là encore, à ne pas laisser les sociétés complètement libres de transférer leurs bénéfices d’un territoire à l’autre, puisque cela pourrait réduire l’assiette fiscale de certains États membres, et donc « compromettre sensiblement une répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres, l’assiette d’imposition se trouvant augmentée dans l’un des États concernés et diminuée dans l’autre » ( 45 ).
98. Cette logique est, à mon avis, tout à fait transposable à la présente espèce. La législation nationale en cause est spécifiquement conçue pour prévenir les « fuites » de revenus imposables du ressort fiscal de la République fédérale d’Allemagne qui résulteraient de transactions conclues entre des sociétés liées établies dans des États étrangers sans respecter les conditions de pleine concurrence ( 46 ).
2) Octroi d’avantages et transfert de bénéfices
99. La Commission en particulier a fait valoir que l’argument tiré de la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition ne pouvait pas s’entendre comme une justification en l’espèce (ou que le recours à cet argument était disproportionné) en raison de la nature de la transaction en cause. Elle soutient en substance que, contrairement, par exemple, à un simple transfert d’espèces ou à un prêt sans intérêt, l’avantage au cas particulier n’est pas aussi évident ou est, tout au moins, difficile à
évaluer.
100. Cette affirmation me paraît discutable à maints égards. Premièrement, il me semble impossible de nier que l’octroi d’une garantie telle que celle donnée par la requérante au principal dans sa lettre d’intention a une valeur économique très réelle, et que celle-ci serait rémunérée s’il s’agissait de sociétés non liées. Cet élément est explicitement confirmé par les principes de l’OCDE applicables en matière de prix de transfert ( 47 ) et, en ce qui concerne les garanties fournies par l’État, par
la communication de la Commission sur les garanties d’État ( 48 ).
101. Deuxièmement, concernant les difficultés alléguées relatives à l’estimation de la valeur de ces garanties, il existe à l’évidence des modèles de tarification pour cela. On les trouve également, en particulier, dans les principes de l’OCDE. En effet, la communication précitée de la Commission contient également une tarification des garanties accordées par les États membres.
102. Par ailleurs, le gouvernement allemand a déclaré à l’audience, sans être contredit par la requérante au principal, que le désaccord en l’espèce porte sur le principe et non sur le prix. Les parties au principal sont d’accord sur le tarif qu’il conviendrait d’appliquer s’il était établi que l’application des prix de transfert à ce genre de cas est compatible avec le droit de l’Union.
103. Au vu de ces éléments, je considère qu’une législation telle que celle en cause dans la procédure au principal poursuit des objectifs légitimes qui sont compatibles avec l’article 49 TFUE et qui constituent des raisons impérieuses d’intérêt général, et qu’elle est propre à garantir la réalisation de ces objectifs.
b) Proportionnalité
104. En principe, pour qu’une mesure considérée comme une restriction à la liberté d’établissement soit justifiée, elle ne doit pas seulement poursuivre un objectif légitime, mais également être proportionnée. Les moyens ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.
105. Cela soulève une question épineuse en matière de fiscalité directe. Soit un impôt est justifié, soit il ne l’est pas. Il n’y a pas de « demi-mesure ». Si l’objectif est de taxer, les moyens consistent alors à instaurer et à recouvrer l’impôt, tout l’impôt et rien que l’impôt. Quel serait, dans ce contexte, l’objet d’une discussion sur des « moyens moins restrictifs » pour atteindre le même objectif ? N’imposer que la moitié des revenus ? Accorder un remboursement partiel de 20 % par exemple ?
Il est tout à fait clair qu’une telle discussion pourrait rapidement aboutir à une détermination judiciaire des taux d’imposition.
106. Je reviendrai sur cette question conceptuelle plus large ci-dessous dans le cadre de la conclusion. Entre-temps, la requérante au principal et la Commission ont soulevé trois arguments, dans leurs observations écrites et orales, sous la rubrique « proportionnalité », dont aucun ne me semble effectivement relever d’une question de proportionnalité, mais que j’examinerai néanmoins successivement dans les développements suivants.
1) Application du principe de pleine concurrence aux lettres d’intention
107. Lors de l’audience, la Commission a estimé, en substance, que l’application du principe de non-concurrence était un peu « exagérée » ( 49 ), puisqu’il concernait une simple lettre d’intention. Il serait donc logique de conclure que, de ce point de vue, la « proportionnalité » renvoie à une certaine « proportionnalité législative » – les États membres devraient probablement se contenter de légiférer en ce qui concerne les transferts financiers sans s’occuper du reste.
108. Comme cela a été indiqué précédemment ( 50 ), ces lettres (tout au moins dans la mesure où elles sont juridiquement contraignantes et fournissent des garanties financières, comme en l’espèce) ont évidemment une valeur économique. C’est ce que la Commission a effectivement fini par concéder.
109. Compte tenu de ce seul élément, je ne vois aucune raison de considérer que l’application du principe de pleine concurrence à ces situations particulières soit quelque peu exagérée. Par ailleurs, et là encore contrairement aux arguments de la Commission, rien ne permet de soutenir que l’application des conditions de pleine concurrence serait disproportionnée lorsque ces conditions sont difficiles à évaluer.
110. De manière plus fondamentale, je ne considère pas du tout qu’il s’agisse de questions de proportionnalité. Soit le principe de pleine concurrence est admis (avec toutes ses lacunes) soit il ne l’est pas. Il s’agit d’une question binaire. Si des difficultés pratiques alléguées relatives à l’application de ce principe à des cas très particuliers – des cas qui, j’ajouterais, sont explicitement prévus par les principes internationaux en la matière ( 51 ) – constituaient des raisons valables de le
rejeter comme étant disproportionné, cela créerait une insécurité juridique extrême.
2) Justifications commerciales
111. En l’espèce, l’une des questions soulevées dans les observations écrites de la requérante au principal et de la Commission concernant la proportionnalité tend à déterminer s’il est possible de fournir une justification commerciale concernant les conditions dans lesquelles une transaction a été conclue, et le type de justifications commerciales qui sont considérées comme légitimes.
112. La vraie question qui se pose dans la présente affaire semble plutôt porter sur le point de savoir quel type de justifications commerciales est admissible et admis. À cet égard, la requérante au principal et la Commission soutiennent, en substance, que les sociétés devraient pouvoir justifier les conditions de leurs transactions en invoquant leurs relations particulières avec l’autre partie. En d’autres termes, elles doivent être autorisées à éviter la rectification de leur base d’imposition en
justifiant l’octroi de conditions commerciales favorables par l’importance qu’il y a à garantir le succès de leur filiale.
113. Cet argument est, à mon avis, tout à fait erroné. S’il en allait autrement, la notion de « transaction conforme aux conditions de concurrence » serait vidée de son sens. Cela reviendrait en effet à exclure de manière brutale et totale de l’application du principe toute transaction commerciale conclue avec des filiales au motif qu’une société mère aura toujours intérêt à voir sa filiale prospérer. Il y aurait, par définition, toujours une justification.
114. En d’autres termes, il existe simplement une contradiction irréductible entre, d’un côté, l’idée que les États membres puissent rectifier des transactions pour refléter les conditions fictives qui auraient été convenues entre des entités totalement indépendantes et, d’un autre côté, le fait que les parties puissent se défendre en arguant que les conditions étaient différentes et justifiées précisément parce que les entités étaient liées en ce qu’elles avaient des intérêts interdépendants.
115. En définitive, il ne s’agit, pas à mes yeux, je le répète, de questions de proportionnalité, mais plutôt de questions concernant soit a) la véritable signification du principe (qui, comme cela a été indiqué précédemment, n’impliquent absolument pas de tenir compte des intérêts intragroupe), soit b) le point de savoir si le principe est correctement appliqué dans une situation donnée.
3) Proportionnalité et différences de traitement
116. Je reviens à présent sur la question de la différence de traitement entre transactions nationales et transfrontalières. Dans la présente espèce, l’existence de cette différence de traitement a d’abord été invoquée pour étayer la constatation d’une restriction.
117. Lors de l’audience, il a été rappelé, dans le cadre de l’analyse de la proportionnalité : la législation en cause est disproportionnée car elle traite les transactions de manière différente.
118. Je pense que cet argument n’est pas convaincant pour un certain nombre de raisons.
119. Tout d’abord, je renvoie à nouveau à l’arrêt SGI. Dans cet arrêt, la rectification de la base d’imposition visant à refléter les conditions de pleine concurrence concernait uniquement le cas des transactions transfrontalières ( 52 ). Cette différence de traitement n’empêchait pas l’État membre d’invoquer la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition comme un objectif légitime. Elle ne s’opposait pas non plus à la conclusion que la mesure était proportionnée. En effet, dans son analyse de la
proportionnalité effectuée dans l’arrêt SGI, la Cour ne mentionne même pas la différence de traitement.
120. Plus fondamentalement, on ne sait pas très bien comment la différence de traitement aboutit à la conclusion que la mesure va au-delà de ce qui est nécessaire pour parvenir à la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition, ni quelle autre mesure moins restrictive aurait pu être adoptée. À cet égard, je ne vois pas comment la mesure deviendrait moins restrictive de la liberté d’établissement si elle était étendue aux transactions nationales.
121. En théorie tout au moins, l’application des prix de transfert, qui a pour effet de rectifier à la hausse la base d’imposition des sociétés allemandes ayant des filiales étrangères, pourrait les amener à renoncer à l’acquisition, à la création ou au maintien de ces filiales ( 53 ). Toutefois, l’application des prix de transfert, y compris dans le cas des transactions entre sociétés allemandes liées, ne semble en aucune manière réduire ou supprimer cet effet dissuasif.
122. On pourrait penser que le problème qui se pose est plutôt celui d’une dissuasion « relative » ou d’un désavantage causé par la différence de traitement. En d’autres termes, si une société allemande a le choix entre, d’un côté, la création d’une filiale à l’étranger (ce qui pourrait entraîner une rectification de sa base d’imposition concernant toute transaction conclue avec cette filiale qui ne respecterait pas le principe de pleine concurrence, comme en l’espèce) et, d’un autre côté, la
création d’une filiale en Allemagne (où aucune rectification de ce type ne sera opérée), elle optera vraisemblablement pour cette dernière possibilité.
123. Le problème fondamental que pose cet argument est qu’il met artificiellement l’accent sur la taxation de la société mère et exclut la prise en compte de la filiale ( 54 ). Bien sûr, si la base d’imposition de la société mère ne peut être rectifiée à la hausse que dans le cas de transactions avec des filiales étrangères contraires au principe de pleine concurrence, il y a théoriquement un « avantage fiscal » pour la société mère ayant une filiale étrangère. Toutefois, cet avantage fiscal
résultant de la base d’imposition inférieure de la société mère sera, en principe, compensé par une base d’imposition supérieure de la filiale. En d’autres termes, on constate qu’on en revient à l’argument de la « somme nulle » invoqué en l’espèce par le gouvernement allemand ( 55 ).
124. Il convient de rappeler que l’argument de la « somme nulle » est également invoqué dans l’arrêt SGI (sous une autre appellation). Ainsi la législation belge disposait-elle, dans ce cas, qu’« une société résidente n’est pas imposée sur un avantage [anormal ou bénévole lorsque celui-ci est consenti à une autre société résidente [liée] […] pourvu que cet avantage intervienne pour déterminer les revenus imposables de cette dernière » ( 56 ). En d’autres termes, la neutralité fiscale du transfert
était expressément inscrite dans la législation comme une condition. Le Royaume de Belgique était disposé à ne pas imposer le « bénéfice transféré » dans les mains de la société mère, à condition qu’il soit imposé par le Royaume de Belgique dans les mains de la filiale.
125. À ma connaissance, il est vrai qu’il n’existe en l’espèce aucune condition équivalente dans la législation allemande. Ainsi la législation allemande en cause dans l’affaire au principal n’exige-t-elle pas formellement que les « bénéfices transférés » à la filiale résidente en Allemagne soient imposés dans les mains de cette dernière, comme une condition pour ne pas rectifier la base d’imposition de la société mère. Toutefois, aucun argument convaincant n’a été invoqué laissant entendre que ces
« profits transférés » entre sociétés allemandes à la suite de transactions contraires au principe de pleine concurrence ne seraient pas imposés (ou seraient imposés plus faiblement ou à un taux inférieur) dans les mains du bénéficiaire ( 57 ).
4) Ampleur de la correction
126. Enfin, je suis conscient du fait que les mesures fiscales correctives adoptées par la République fédérale d’Allemagne dans des cas tels que celui de la présente espèce sont limitées à la fraction qui dépasse ce qui aurait été convenu en l’absence d’une situation d’interdépendance entre celles-ci. Il n’y a aucune « surcorrection » qui gonflerait artificiellement la base d’imposition de la société résidente allemande ( 58 ). Cependant, une fois de plus, je ne pense pas qu’il s’agisse d’une
question de proportionnalité ni que cela fasse partie d’une justification de la mesure nationale, cette question portant plutôt sur l’application correcte du principe de pleine concurrence ( 59 ).
4. Conclusion
127. Eu égard aux arguments qui viennent d’être exposés, le type de législation qui est en cause dans la présente espèce ne constitue pas, selon moi, une restriction à la liberté d’établissement. Toutefois, même si c’est le cas, elle est justifiée par la préservation de la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres et, sous réserve, bien entendu, de l’appréciation finale de la juridiction nationale, ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.
5. Post-scriptum
128. Deux options ont été mises en avant dans les présentes conclusions. Premièrement, si l’on retient la logique fondée sur une discrimination, il y a alors une absence de comparabilité. L’analyse peut en rester là. Deuxièmement, si l’approche fondée sur une restriction est retenue, il pourrait théoriquement y avoir un obstacle en vertu d’une interprétation très généreuse (qui induirait néanmoins quelques conséquences générales délicates sur la fiscalité directe). Toutefois, cet obstacle est
justifié.
129. Ces deux options reposent sur la présomption selon laquelle le principe de territorialité fiscale, et son émanation sous la forme de la préservation de la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres, sont admis. La jurisprudence de la Cour confirme expressément que les États membres ont le pouvoir de prélever des impôts directs et qu’ils peuvent le faire concernant les bénéfices générés sur leur territoire, conformément au principe de territorialité. Par ailleurs, le
principe de pleine concurrence est internationalement reconnu comme un moyen valable de répartir des bénéfices géographiquement.
130. Si l’on se fonde sur cette présomption générale, il y a une différence entre les deux options en ce qui concerne la manière dont ce principe est intégré à l’analyse. Selon l’approche fondée sur une discrimination, il l’est au stade de la comparabilité. Selon l’approche fondée sur une restriction, il est exclu dans un premier temps, puisque la comparabilité n’est pas pertinente dans ce contexte. Toutefois, ce même principe de territorialité revient ensuite en force au stade de la justification
(sous la forme de la « répartition équilibrée du pouvoir d’imposition »).
131. L’« analyse argumentée des alternatives » effectuée volontairement dans les présentes conclusions met en lumière un certain nombre de problèmes conceptuels fondamentaux que la jurisprudence de la Cour rencontre dans ce domaine. L’un d’entre eux se démarque en particulier : compte tenu du manque de clarté de la Cour et de son oscillation entre l’approche fondée sur une discrimination, l’approche fondée sur une restriction et la combinaison des deux, il est bien possible que les deux options se
mélangent. Le même argument et la même discussion sont ensuite avancés à plusieurs reprises, à différentes étapes de l’analyse. Comme nous l’avons vu en particulier dans la présente affaire, en effet, le même argument a été soulevé et la même discussion a eu lieu au stade de la comparabilité, de la justification, et, tels qu’invoqués par la Commission et la requérante au principal, au stade de la proportionnalité, ce qui confère à l’argumentation dans son ensemble un caractère quelque peu
circulaire.
132. Au vu des éléments qui précèdent, j’invite la Cour à apporter deux clarifications. Premièrement, je l’invite à préciser l’approche qui est pertinente en ce qui concerne la liberté d’établissement en matière de fiscalité directe. Pour un certain nombre de raisons évoquées dans les présentes conclusions, il devrait s’agir, de mon point de vue, de l’approche fondée sur une discrimination.
133. Deuxièmement, si l’approche fondée sur une discrimination était retenue et appliquée à la présente espèce, l’analyse devrait s’arrêter au stade de la comparabilité. D’un point de vue systémique, l’insistance des États membres à imposer les transactions transfrontalières conformément au principe de territorialité fiscale et aux principes internationalement reconnus, applicables en la matière, ne saurait être considérée, à mon avis, comme nécessitant une quelconque justification. Le simple fait
de ne pas rectifier les bénéfices pour refléter les conditions de pleine concurrence entre deux sociétés résidentes dans le même État membre ne change rien à cette conclusion.
134. La situation ne pourrait être différente que si les transactions conclues entre sociétés résidentes bénéficiaient, d’une manière ou d’une autre, d’une imposition globale inférieure. S’il y avait une distorsion fiscale du fait de l’application de règles différentes, cela créerait une discrimination fiscale. Toutefois, même dans ce cas, la question relative à l’origine précise de cet avantage fiscal se poserait. En l’espèce, aucun avantage fiscal global résultant de la non-application du principe
de non-concurrence aux filiales résidentes n’a été identifié ( 60 ).
V. Conclusion
135. À la lumière des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre à la question du Finanzgericht Rheinland-Pfalz (tribunal des finances de Rhénanie-Palatinat, Allemagne) dans les termes suivants :
L’article 49 TFUE, lu en combinaison avec l’article 54 TFUE [anciennement article 43 CE, lu en combinaison avec l’article 48 CE], ne s’oppose pas à une réglementation d’un État membre selon laquelle les revenus que tire un contribuable résident de ses liens commerciaux avec une société résidente dans un autre État membre, société dans laquelle il détient directement ou indirectement une participation d’au moins un quart, et avec laquelle il a convenu de conditions qui s’écartent de celles
qu’auraient convenues des tiers indépendants les uns des autres dans des circonstances identiques ou similaires, sont à calculer comme ils l’auraient été si les mêmes conditions qu’entre tiers indépendants avaient été convenues, même s’il n’est pas procédé à un tel calcul rectificatif pour les revenus tirés de liens commerciaux avec une société résidente, et que cette réglementation ne donne pas la possibilité au contribuable résident de prouver que les conditions convenues l’ont été pour des
raisons commerciales qui résultent de sa position d’associé dans la société résidant dans l’autre État membre.
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( 1 ) Langue originale : l’anglais.
( 2 ) Arrêt du 21 janvier 2010, SGI (C‑311/08, EU:C:2010:26).
( 3 ) Les règles nationales en cause s’appliquent aux participations comprises entre 25 % et 100 %, qui incluent évidemment les situations caractérisées par une « influence certaine » (voir, par exemple, arrêt du 13 novembre 2012, Test Claimants in the FII Group Litigation (C‑35/11, EU:C:2012:707). Par ailleurs, la requérante détient, en l’espèce, une participation de 100 % dans les sociétés étrangères du groupe. Les questions de la juridiction de renvoi portent uniquement sur la liberté
d’établissement. Par conséquent, et sans exclure l’application éventuelle des règles relatives à la circulation de capitaux dans cette affaire, les règles nationales seront analysées ici uniquement à la lumière des dispositions du traité sur la liberté d’établissement. Concernant la liberté d’établissement, la question de la juridiction de renvoi porte tant sur les articles 43 et 48 CE que sur les articles 49 et 54 TFUE. Les faits de l’espèce remontent à l’année 2003. Par conséquent, les
dispositions pertinentes du traité relatives à la liberté d’établissement sont, au sens strict, les articles 43 et 48 CE, bien qu’il n’y ait aucune différence de fond en l’espèce.
( 4 ) Arrêt du 21 janvier 2010, SGI (C‑311/08, EU:C:2010:26).
( 5 ) Arrêts du 15 mai 1997, Futura Participations and Singer (C‑250/95, EU:C:1997:239, point 22), et du 13 décembre 2005, Marks & Spencer (C‑446/03, EU:C:2005:763, point 39).
( 6 ) Arrêts du 13 décembre 2005, Marks & Spencer (C‑446/03, EU:C:2005:763, point 46) ; du 29 novembre 2011, National Grid Indus (C‑371/10, EU:C:2011:785, point 45), et du 6 septembre 2012, Philips Electronics UK (C‑18/11, EU:C:2012:532, point 23).
( 7 ) Arrêt du 21 janvier 2010, SGI (C‑311/08, EU:C:2010:26, point 63).
( 8 ) À cet égard, l’OCDE est une instance importante de dialogue et d’élaboration de règles en matière de prix de transfert et de « BEPS » (érosion de la base d’imposition et transfert de bénéfices). Voir http://www.oecd.org/tax/beps/ et http://www.oecd.org/tax/transfer-pricing/.
( 9 ) Voir, par exemple, OCDE 2012 « Dealing effectively with the challenges of transfer pricing » (Traiter efficacement les défis des prix de transfert), p. 14, disponible sur http://www.oecd.org/publications/dealing-effectively-with-the-challenges-of-transfer-pricing-9789264169463-en.htm
( 10 ) Voir, par exemple, Farmer, P., « Direct Taxation and the Fundamental Freedoms », The Oxford Handbook of European Union Law, Oxford University Press, Oxford, 2015, p. 812 : « Such rules are generally limited to cross-border situations because they would be redundant in domestic ones ». (Ces règles sont généralement limitées aux situations transfrontalières, car elles seraient superflues dans les situations internes).
( 11 ) Voir, par exemple, Barnard, C., « The Substantive Law of the EU : The Four Freedoms », 5e éd., Oxford University Press, Oxford, 2016, p. 399 et suivantes ; Kingston, S., « The Boundaries of Sovereignty : The ECJ’s controversial role applying internal market law to direct tax measures », Cambridge Yearbook of European Legal Studies, vol. 9, 2006.
( 12 ) Arrêt du 28 janvier 1986, Commission/France (270/83, EU:C:1986:37, points 20 et 27).
( 13 ) Ainsi, par exemple, la Cour a-t-elle déclaré, dans l’arrêt Thin Cap, que « la différence de traitement à laquelle sont soumises, dans le cadre d’une législation telle que celle en cause au principal, les filiales de sociétés mères non-résidentes par rapport aux filiales de sociétés mères résidentes, peut restreindre la liberté d’établissement même si, sur le plan fiscal, la position d’un groupe de sociétés transfrontalier n’est pas comparable à celle d’un groupe de sociétés résidant toutes
dans le même État membre ». Arrêt du 13 mars 2007, Test Claimants in the Thin Cap Group Litigation (C‑524/04, EU:C:2007:161, point 59).
( 14 ) Arrêt du 11 juillet 1974, Dassonville (C‑8/74, EU:C:1974:82, point 5).
( 15 ) Arrêt du 30 novembre 1995, Gebhard (C‑55/94, EU:C:1995:411, point 37). Voir également arrêt du 21 janvier 2010, SGI (C‑311/08, EU:C:2010:26, point 56).
( 16 ) Arrêt du 15 mai 1997, Futura Participations and Singer (C‑250/95, EU:C:1997:239).
( 17 ) Arrêt du 21 janvier 2010 (C‑311/08, EU:C:2010:26, point 39 et jurisprudence citée).
( 18 ) Farmer, P., et Lyal, R., EC Tax Law, Clarendon Press, Oxford, 1994, p. 28 : « Taken to its logical conclusion, an approach focusing on the exercise of a restriction rather than on discrimination would bring all charging provisions in national tax legislation within the scope of the Treaty Articles on the freedoms » (La conclusion logique de l’approche fondée sur l’application d’une restriction plutôt que sur une discrimination serait que toutes les dispositions fiscales contenues dans la
législation nationale relèveraient du champ d’application des articles du traité sur les libertés).
( 19 ) Arrêt du 17 décembre 2015, Timac Agro Deutschland (C‑388/14, EU:C:2015:829, point 26).
( 20 ) Arrêt du 21 janvier 2010, SGI (C‑311/08, EU:C:2010:26).
( 21 ) Voir citation note 13 des présentes conclusions.
( 22 ) Arrêt du 21 janvier 2010, SGI (C‑311/08, EU:C:2010:26).
( 23 ) Dans ce contexte, ce terme a le sens d’une communauté d’intérêts ou de liens d’interdépendance.
( 24 ) Arrêt du 21 janvier 2010, SGI (C‑311/08, EU:C:2010:26, point 44).
( 25 ) Arrêt du 21 janvier 2010, SGI (C‑311/08, EU:C:2010:26, point 63, voir citation complète au point 47).
( 26 ) Arrêt du 21 janvier 2010, SGI (C‑311/08, EU:C:2010:26, point 43).
( 27 ) Voir, par exemple, arrêts du 18 juillet 2007, Oy AA (C‑231/05, EU:C:2007:439, point 38), et du 25 février 2010, X Holding (C‑337/08, EU:C:2010:89, point 22).
( 28 ) Dans le contexte de la taxe annuelle sur les organismes étrangers et nationaux de placement collectif, voir mes conclusions dans l’affaire NN (L) International (C‑48/15, EU:C:2016:45, point 57).
( 29 ) Concernant des considérations similaires dans la discussion sur la sélectivité dans le contexte des aides d’État, qui recouvre aussi des considérations relatives à la comparabilité, voir mes conclusions dans l’affaire Belgique/Commission (C‑270/15 P, EU:C:2016:289, points 40 à 46).
( 30 ) Arrêt du 13 décembre 2005, Marks & Spencer (C‑446/03, EU:C:2005:763, point 39).
( 31 ) Arrêt du 13 mars 2007, Test Claimants in the Thin Cap Group Litigation (C‑524/04, EU:C:2007:161, point 60).
( 32 ) Certes, si la Cour souhaitait se rallier expressément à une approche « purement » fondée sur une restriction dans le domaine de la liberté d’établissement et de la fiscalité directe, une telle évolution rendrait inutile toute appréciation complémentaire relative à la comparabilité et au traitement défavorable. Toutefois, non seulement cela entraînerait tous les désavantages précités, mais cela serait également contraire à l’orientation inverse prise par la Cour ces dernières années. À cet
égard, l’arrêt du 5 juillet 2005, D (C‑376/03, EU:C:2005:424) est souvent cité comme un tournant (voir, par exemple, Kingston, S., « The Boundaries of Sovereignty : The ECJ’s controversial role applying internal market law to direct tax measures », Cambridge Yearbook of European Legal Studies, vol. 9, 2006, p. 303).
( 33 ) Arrêt du 18 juillet 2007, Oy AA (C‑231/05, EU:C:2007:439).
( 34 ) Voir, par exemple, arrêt du 12 décembre 2006, Test Claimants in Class IV of the ACT Group Litigation (C‑374/04, EU:C:2006:773, point 68).
( 35 ) Arrêt du 21 janvier 2010, SGI (C‑311/08, EU:C:2010:26, point 45).
( 36 ) La convention relative à l’élimination des doubles impositions en cas de correction des bénéfices d’entreprises associées (JO 1990, L 225, p. 10) contient des mécanismes d’arbitrage visant à éviter les doubles impositions de ce type (voir, à cet égard, arrêt du 21 janvier 2010, SGI (C‑311/08, EU:C:2010:26, point 54).
( 37 ) Farmer, P., « Direct Taxation and the Fundamental Freedoms », The Oxford Handbook of European Union Law, Oxford University Press, Oxford, 2015, p. 812.
( 38 ) Arrêt du 14 novembre 2006, Kerckhaert and Morres (C‑513/04, EU:C:2006:713, points 22 à 24).
( 39 ) Conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire SGI (C‑311/08, EU:C:2009:545, point 45).
( 40 ) Je note également que la position de la Commission sur cette question pourrait sans doute sembler, d’une certaine manière, en contradiction avec son approche sur les questions de prix de transfert en matière d’aides d’État. À cet égard, elle a en effet engagé des procédures de manière active à l’encontre d’un certain nombre d’États membres, au motif, notamment, qu’ils n’auraient pas correctement appliqué les prix de transfert aux transactions transfrontalières, ce qui aurait entraîné une
sous-imposition des sociétés résidentes. Cela rend, à mon avis, d’autant plus surprenante l’idée selon laquelle la République fédérale d’Allemagne pourrait éventuellement régler le problème en appliquant les prix de transfert soit à toutes les transactions (transfrontalières et nationales) soit à aucune d’entre elles.
( 41 ) Voir points 20 à 27 des présentes conclusions.
( 42 ) C’est-à-dire en excluant évidemment toute considération tirée d’une différence de traitement, puisque cette question est pertinente dans le contexte de l’approche fondée sur une discrimination.
( 43 ) Arrêt du 21 janvier 2010, SGI (C‑311/08, EU:C:2010:26, point 56 et jurisprudence citée).
( 44 ) Arrêt du 21 janvier 2010, SGI (C‑311/08, EU:C:2010:26, point 60 et jurisprudence citée).
( 45 ) Arrêt du 21 janvier 2010, SGI (C‑311/08, EU:C:2010:26, point 62 et jurisprudence citée).
( 46 ) Dans l’arrêt SGI, la Cour a jugé que la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition et la nécessité de prévenir les abus « pris ensemble » constituaient un objectif légitime. Toutefois, il ressort aussi clairement d’une autre jurisprudence que la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition peut être invoquée comme une justification à part entière (voir, à cet égard, arrêt du 18 juillet 2007, Oy AA (C‑231/05, EU:C:2007:439). Cela a d’ailleurs été reconnu par la Commission lors de
l’audience.
( 47 ) Principes de l’OCDE applicables en matière de prix de transfert à l’intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales de 2017, point 7.13. Lors de l’audience, la nature exacte d’une lettre d’intention a été débattue. Il a été confirmé que, dans ce cas, la lettre contenait une garantie qui était juridiquement exécutoire à l’encontre de la requérante au principal.
( 48 ) Communication de la Commission sur l’application des articles 87 et 88 du traité CE aux aides d’État sous forme de garanties (JO 2008, C 155, p. 10).
( 49 ) Je paraphrase.
( 50 ) Point 100 des présentes conclusions.
( 51 ) Note 47 des présentes conclusions.
( 52 ) Comme le confirme le point 42 de l’arrêt du 21 janvier 2010, SGI (C‑311/08, EU:C:2010:26) : « avantages […] accordés par une société résidente à une société [liée] […] ne sont ajoutés aux bénéfices propres de cette première société que si la société bénéficiaire est établie dans un autre État membre » (souligné par nos soins).
( 53 ) Arrêt du 21 janvier 2010, SGI (C‑311/08, EU:C:2010:26, point 44 et jurisprudence citée).
( 54 ) Une telle approche est, à mon avis, intrinsèquement incohérente. Les restrictions à la liberté d’établissement sont évaluées du point de vue des avantages et des désavantages inhérents à la création d’une entité distincte (succursale ou filiale) à l’étranger. Or, quand on en vient à justifier des restrictions, on s’attend à limiter son appréciation aux avantages et désavantages de la société mère elle-même.
( 55 ) Voir points 71 et 72 des présentes conclusions.
( 56 ) Arrêt du 21 janvier 2010, SGI (C 311/08, EU:C:2010:26, point 42). Souligné par nos soins.
( 57 ) Il y a eu un débat au sujet de cette imposition des distributions effectuées par la filiale. Toutefois, il s’agit, à mes yeux, d’une question tout à fait distincte. La Commission a également émis l’idée que l’imposition des bénéfices dans les mains de sociétés mères plutôt que dans celles de filiales pourrait aboutir au transfert de bénéfices entre Länder, dans lesquels des taux d’imposition différents sont applicables. Cependant, hormis le fait qu’aucune précision n’a été communiquée, le
taux de base de l’impôt sur les sociétés fédéral n’est pas progressif et n’est pas le même partout en Allemagne.
( 58 ) Arrêt du 21 janvier 2010, SGI (C‑311/08, EU:C:2010:26, point 72 et jurisprudence citée).
( 59 ) À cet égard, voir point 115 des présentes conclusions.
( 60 ) L’existence d’avantages fiscaux « en aval », relevant de transactions distinctes (par exemple, de la distribution de dividendes), est une autre question.