CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. MACIEJ SZPUNAR
présentées le 30 juin 2016 ( 1 )
Affaire C‑276/15
Hecht‑Pharma GmbH
contre
Hohenzollern Apotheke, propriétaire Winfried Ertelt
[demande de décision préjudicielle formée par le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne)]
«Médicaments à usage humain — Directive 2001/83/CE — Champ d’application — Article 2, paragraphe 1, et article 3, points 1 et 2 — Médicaments préparés industriellement ou fabriqués selon une méthode dans laquelle intervient un processus industriel — Dérogations — Médicaments préparés en pharmacie selon les indications d’une pharmacopée»
I – Introduction
1. L’encens est une substance qui fascine l’Europe pour ses propriétés mystiques, sanitaires et aromatiques depuis que le roi mage Melchior en a rapporté de son Arabie natale ( 2 ). Le litige au principal, qui concerne une pharmacie allemande fabriquant des gélules d’encens et les vendant à des patients des environs, n’y fait pas exception, même si les faits sont beaucoup plus communs que la quête des trois rois mages.
2. Par sa demande de décision préjudicielle, le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne) demande à la Cour si certaines activités de production d’une pharmacie relèvent ou non du champ d’application de la directive 2001/83/CE ( 3 ). Si ces activités de cette pharmacie tombent sous le coup de la directive 2001/83, une autorisation de mise sur le marché s’impose, procédure fastidieuse qu’une simple officine de pharmacie ne saurait engager. Si elles ne relèvent pas du champ d’application
de la directive 2001/83, alors le produit fabriqué par la pharmacie peut coexister avec d’autres produits, fabriqués à une échelle industrielle, ayant fait l’objet de procédures d’autorisation de mise sur le marché et commercialisés dans toute l’Union européenne.
II – Le cadre juridique
A – Le droit de l’Union : la directive 2001/83
3. L’article 2, paragraphe 1, de la directive 2001/83 dispose :
« La présente directive s’applique aux médicaments à usage humain destinés à être mis sur le marché dans les États membres et préparés industriellement ou fabriqués selon une méthode dans laquelle intervient un processus industriel. »
4. L’article 3 de la directive 2001/83 reçoit la rédaction suivante :
« La présente directive ne s’applique pas :
1) aux médicaments préparés en pharmacie selon une prescription médicale destinée à un malade déterminé (dénommés communément formule magistrale) ;
2) aux médicaments préparés en pharmacie selon les indications d’une pharmacopée et destinés à être délivrés directement aux patients approvisionnés par cette pharmacie (dénommés communément formule officinale) […] »
5. Aux termes de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2001/83 :
« Aucun médicament ne peut être mis sur le marché d’un État membre sans qu’une autorisation de mise sur le marché n’ait été délivrée par l’autorité compétente de cet État membre, conformément à la présente directive, ou qu’une autorisation n’ait été délivrée conformément aux dispositions du règlement (CE) no 726/2004 [du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, établissant des procédures communautaires pour l’autorisation et la surveillance en ce qui concerne les médicaments à usage
humain et usage vétérinaire, et instituant une Agence européenne des médicaments (JO 2004, L 136, p. 1)], lues en combinaison avec le règlement (CE) no 1901/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relatif aux médicaments à usage pédiatrique [modifiant le règlement (CEE) no 1768/92, les directives 2001/20/CE et 2001/83/CE ainsi que le règlement (CE) no 726/2004 (JO 2006, L 378, p. 1)] et le règlement (CE) no 1394/2007 [concernant les médicaments de thérapie innovante et
modifiant la directive 2001/83/CE ainsi que le règlement (CE) no 726/2004 (JO 2007, L 324, p. 121)]. »
6. L’article 87, paragraphe 1, de la directive 2001/83 énonce ce qui suit :
« Les États membres interdisent toute publicité faite à l’égard d’un médicament pour lequel une autorisation de mise sur le marché conforme au droit [de l’Union] n’a pas été délivrée. »
B – Le droit allemand
7. L’article 3 a du Gesetz über die Werbung auf dem Gebiet des Heilwesens (loi relative à la publicité dans le secteur de la santé, ci‑après la « HWG ») interdit la publicité pour les médicaments non autorisés. Cette disposition prévoit que la publicité est interdite exclusivement pour les médicaments qui sont soumis à une autorisation obligatoire. La juridiction de renvoi souligne que cette interdiction ne vaut pas pour les médicaments non soumis à autorisation.
8. Aux termes de l’article 21, paragraphe 2, point 1, de l’Arzneimittelgesetz (loi relative aux médicaments, ci‑après l’« AMG »), n’est pas soumis à autorisation un médicament destiné à être utilisé chez l’être humain et qui, du fait qu’il est prescrit par des médecins ou des dentistes avec une fréquence avérée, est fabriqué en pharmacie dans les étapes essentielles de sa fabrication, dans une quantité allant jusqu’à 100 boîtes par jour, toutes conditionnées dans le cadre de l’exploitation normale
de la pharmacie, et qui est destiné à être délivré dans le cadre de l’autorisation d’exploitation que possède la pharmacie ( 4 ).
III – Les faits, la procédure et les questions préjudicielles déférées
9. La demanderesse au principal, la société Hecht Pharma GmbH ( 5 ), vend en Allemagne des gélules d’encens en tant que compléments alimentaires sous la dénomination « H 15 Weihrauch » (encens H 15). Le défendeur au principal, M. Winfried Ertelt, possède une officine de pharmacie, dénommée « Hohenzollern Apotheke » où il fabrique et commercialise en tant que médicament des gélules d’encens sous la dénomination « Weihrauch‑Extrakt‑Kapseln » (gélules d’extraits d’encens). Il ne dispose pas d’une
autorisation de mise sur le marché pour ce médicament. Les parties au litige s’accordent sur le fait que le défendeur au principal fabrique ces gélules dans le cadre de l’exploitation normale de sa pharmacie et dans le respect des autres conditions prévues à l’article 21, paragraphe 2, point 1, de l’AMG.
10. Le défendeur au principal a fait de la publicité pour ses gélules d’extraits d’encens dans une « lettre d’information aux patients » et dans une brochure. La demanderesse au principal a fait grief aux allégations publicitaires qui y figuraient d’être contraires aux règles (nationales) sur la concurrence et a fait valoir qu’elles violaient l’interdiction de la publicité pour les médicaments non autorisés. Elle a demandé à ce que le défendeur au principal soit condamné à cesser de faire de la
publicité dans le commerce pour les médicaments de sa pharmacie « gélules d’extraits d’encens – 100 gélules » et « gélules d’extraits d’encens – 200 gélules ».
11. Le défendeur au principal s’est opposé au recours, faisant valoir que l’interdiction de faire de la publicité pour les médicaments non autorisés ne s’appliquait pas en l’espèce. Selon lui, cette interdiction est rattachée à l’obligation d’autorisation du médicament pour lequel il est fait de la publicité. Or, les « gélules d’extraits d’encens » pour lesquelles il fait de la publicité ne requièrent pas d’autorisation relevant de la réglementation en matière de médicaments, étant des médicaments
préparés sur la base d’une ordonnance générale (Defektur) au sens de l’article 21, paragraphe 2, point 1, de l’AMG.
12. Le Landgericht (tribunal régional, Allemagne) a rejeté le recours en cessation. La juridiction d’appel a rejeté l’appel interjeté par la demanderesse au principal contre ledit rejet. Par le recours en Revision sur une question de droit, autorisé par la chambre, la demanderesse au principal maintient ses conclusions dans leur intégralité. Le défendeur au principal conclut au rejet du recours en Revision.
13. La juridiction de renvoi est d’avis que, pour que le recours puisse être accueilli, il importe de savoir si le médicament « gélules d’extraits d’encens » pour lequel le défendeur au principal fait de la publicité doit faire l’objet d’une autorisation relevant de la réglementation en matière de médicaments. Cette question dépend à son tour de celle de l’interprétation donnée à l’article 3, points 1 et 2, de la directive 2001/83.
14. C’est pourquoi, par une décision du 16 avril 2015 enregistrée au greffe de la Cour le 9 juin 2015, le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) a déféré les questions préjudicielles suivantes :
« 1) L’article 3, points 1 et 2, de la directive 2001/83 s’oppose‑t‑il à une disposition nationale telle que celle de l’article 21, paragraphe 2, point 1, de [l’AMG], qui prévoit que n’est pas soumis à autorisation un médicament destiné à être utilisé chez l’être humain et qui, du fait qu’il est prescrit par des médecins ou des dentistes avec une fréquence avérée, est fabriqué en pharmacie dans les étapes essentielles de sa fabrication, dans une quantité allant jusqu’à 100 boîtes par jour toutes
conditionnées dans le cadre de l’exploitation normale de la pharmacie, et qui est destiné à être délivré dans le cadre de l’autorisation d’exploitation que possède la pharmacie ?
Si une réponse affirmative est donnée à la première question :
2) En va‑t‑il également ainsi lorsqu’une disposition nationale telle que l’article 21, paragraphe 2, point 1, de [l’AMG] est interprétée en ce sens que n’est pas soumis à autorisation un médicament destiné à être utilisé chez l’être humain et qui, du fait qu’il est prescrit par des médecins ou des dentistes avec une fréquence avérée, est fabriqué en pharmacie dans les étapes essentielles de sa fabrication, dans une quantité allant jusqu’à 100 boîtes par jour toutes conditionnées dans le cadre de
l’exploitation normale de la pharmacie, et qui est destiné à être délivré dans le cadre de l’autorisation d’exploitation que possède la pharmacie, dans la mesure où ce médicament est soit délivré pour un patient déterminé sur la base d’une prescription médicale qui ne doit pas nécessairement être disponible avant la préparation, soit préparé dans la pharmacie selon les indications d’une pharmacopée pour être délivré immédiatement aux patients ? »
IV – Analyse
15. Par ses deux questions, qui demandent à être examinées ensemble, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à faire déterminer si l’article 3, points 1 et 2, de la directive 2001/83 fait obstacle à la fabrication de médicaments par une pharmacie dans les conditions de l’article 21, paragraphe 2, point 1, de l’AMG.
16. Bien que cela ne ressorte pas clairement du texte de la directive 2001/83 ni des considérations systématiques ou téléologiques qui y sont relatives ( 6 ), la Cour a précisé dans les affaires ayant donné lieu à l’arrêt Abcur que « pour relever de la directive 2001/83, le produit concerné, d’une part, doit satisfaire aux conditions fixées à l’article 2, paragraphe 1, de cette directive et, d’autre part, ne pas relever de l’une des dérogations expressément prévues à l’article 3 de ladite
directive» ( 7 ).
17. Il s’ensuit que, tout comme dans les affaires ayant donné lieu à l’arrêt Abcur ( 8 ), les questions déférées en l’espèce doivent être étendues pour inclure l’article 2 de la directive 2001/83 dans l’analyse ( 9 ).
A – Sur l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2001/83
18. De par son article 2, paragraphe 1, la directive 2001/83 s’applique aux médicaments « préparés industriellement ou fabriqués selon une méthode dans laquelle intervient un processus industriel ».
19. La directive 2001/83 ne définit pas ce qu’il faut entendre par « préparés industriellement » ou par « fabriqués selon une méthode dans laquelle intervient un processus industriel» ( 10 ). L’arrêt Abcur précise que ces termes « doivent inclure, à tout le moins, toute préparation ou fabrication dans laquelle intervient un processus industriel. Un tel processus se caractérise en général par une succession d’opérations, qui peuvent, notamment, être mécaniques ou chimiques, aux fins d’obtenir un
produit standardisé, en quantités significatives» ( 11 ). Dès lors, la Cour a constaté qu’il y a lieu de considérer que « la production, de manière standardisée, de quantités significatives d’un médicament en vue de son stockage et de la vente en gros, de même que la production à grande échelle ou en série de formules magistrales en lots sont caractéristiques d’une préparation industrielle ou d’une production selon une méthode dans laquelle intervient un processus industriel» ( 12 ).
20. Dans les affaires ayant donné lieu à l’arrêt Abcur, un laboratoire pharmaceutique fabriquait des médicaments à grande échelle. La Cour a donc jugé que les médicaments en question relevaient du champ d’application de l’article 2 de la directive 2001/83 ( 13 ).
21. En revanche, je suis d’avis que les circonstances du litige au principal se distinguent très nettement de celles des affaires ayant donné lieu à l’arrêt Abcur et que, en l’espèce, il ne s’agit pas de médicaments « préparés industriellement ou fabriqués selon une méthode dans laquelle intervient un processus industriel ».
22. En premier lieu, comme le souligne le gouvernement allemand, les produits en question sont au fond le fruit d’un travail artisanal qui n’est pas comparable à une « production standardisée » et qui, de surcroît, est soumis à des protocoles très stricts ( 14 ).
23. En second lieu, la loi allemande ( 15 ) limite la production à 100 boîtes prêtes à l’emploi. À mon avis, cela ne représente pas des « quantités significatives ». En tout état de cause, ce plafond sera rarement atteint, comme en atteste le litige au principal. Selon le défendeur au principal, à peine 213 boîtes ont été vendues en 2015. De manière topique, une pharmacie qui vend une telle quantité de boîtes n’en produira pas beaucoup plus.
24. En troisième lieu, le fait que la fabrication intervient dans le cadre de l’exploitation normale de la pharmacie souligne qu’elle est d’une ampleur limitée. Il ne doit pas être oublié qu’une pharmacie vend surtout des produits fabriqués ailleurs.
25. Par conséquent, je considère que les conditions de l’article 2 de la directive 2001/83 ne sont pas remplies. En d’autres termes, les médicaments en question ne relèvent pas du champ d’application de ladite directive.
26. À mon avis, l’affaire ne va pas plus loin et il doit être répondu à la juridiction de renvoi que la directive 2001/83, notamment son article 2, ne fait pas obstacle à ce qu’une pharmacie fabrique des médicaments dans les conditions de l’article 21, paragraphe 2, point 1, de l’AMG.
27. Toutefois, si la Cour devait être d’avis que les conditions de l’article 2 de la directive 2001/83 sont remplies, il convient alors d’en examiner l’article 3. Les développements qui vont suivre se fondent donc sur cette seule hypothèse.
28. L’article 3 énonce un certain nombre de dérogations à l’applicabilité de la directive. La juridiction de renvoi ne précise pas si les points 1 ou 2 de cet article 3 sont pertinents en l’espèce.
B – Sur l’article 3, point 1, de la directive 2001/83
29. Aux termes de son article 3, point 1, la directive 2001/83 ne s’applique pas aux médicaments préparés en pharmacie selon une prescription médicale destinée à un malade déterminé (dénommés communément « formule magistrale »). Ces conditions sont cumulatives, de sorte que la dérogation prévue à l’article 3, point 1, de la directive 2001/83 ne saurait trouver à s’appliquer dès lors que l’une d’elles fait défaut ( 16 ). En application de l’article 1er, point 19, de la directive 2001/83, une
prescription médicale émane d’un professionnel habilité à cet effet.
30. Compte tenu de l’absence d’une telle prescription médicale et de la rédaction dénuée de toute ambiguïté de l’article 3, point 1, de la directive 2001/83, je suppose que cette disposition n’est pas applicable en l’espèce. À cet égard, je relève que tant l’Irlande que la République de Finlande sont d’avis que l’article 3, point 1, n’exige pas que la préparation magistrale soit élaborée uniquement sur prescription médicale d’un médecin pour un patient déterminé. Toutefois, comme j’ai déjà eu
l’occasion de l’exposer, la rédaction de l’article 3, point 1, me paraît suffisamment claire pour signifier qu’un patient doit être identifié avant la préparation du médicament ( 17 ).
31. Par conséquent, l’article 3, point 1, de la directive 2001/83 n’est pas applicable en l’espèce.
C – Sur l’article 3, point 2, de la directive 2001/83
32. Examinons donc maintenant l’article 3, point 2, de la directive 2001/83.
33. Suivant cette disposition, cette directive ne s’applique pas aux médicaments préparés en pharmacie selon les indications d’une pharmacopée et destinés à être délivrés directement aux patients approvisionnés par cette pharmacie (dénommés communément « formule officinale »). Ces conditions sont également cumulatives, de sorte que cette dérogation ne peut être mise en œuvre s’il n’est pas satisfait à l’une d’elles ( 18 ).
34. La seule condition qui mérite d’être examinée de plus près est celle relative à la préparation « selon les indications d’une pharmacopée », car je suis d’avis qu’il est satisfait aux autres conditions de l’article 3, point 2, de la directive 2001/83.
35. La juridiction de renvoi s’interroge sur la question de la compatibilité de l’article 21, paragraphe 2, point 1, de l’AMG avec le droit de l’Union, car cette disposition du droit allemand n’exige pas qu’un médicament préparé en pharmacie le soit selon les indications d’une pharmacopée.
36. Pourtant, le gouvernement allemand souligne qu’en application de l’article 21, paragraphe 2, point 1, de l’AMG, la fabrication doit intervenir dans le cadre de l’exploitation normale de la pharmacie. En outre, si l’article 21, paragraphe 2, point 1, de l’AMG n’exige pas que de tels médicaments soient préparés selon les indications d’une pharmacopée, l’article 6, paragraphe 1, du règlement sur l’exploitation des pharmacies précise que les médicaments préparés en pharmacie doivent présenter la
qualité nécessaire en fonction de la science dans le domaine pharmaceutique ( 19 ), qu’ils doivent être fabriqués et contrôlés selon les règles pharmaceutiques reconnues et que, si la pharmacopée prévoit des dispositions, les médicaments doivent être fabriqués et contrôlés conformément à ces dispositions ( 20 ). À son tour, l’article 55 de l’AMG dispose ce qui suit : « [l]a pharmacopée est un ensemble de règles pharmaceutiques reconnues, publiées par l’Institut fédéral des médicaments et des
produits médicaux en accord avec l’Institut Paul Ehrlich et l’Office fédéral de protection des consommateurs et de sécurité des aliments, concernant la qualité, le contrôle, le stockage, la délivrance et la désignation des médicaments et des substances entrant dans la composition des médicaments» ( 21 ).
37. En outre, comme le fait très justement remarquer le gouvernement allemand, la notion de « pharmacopée » n’est définie ni dans la directive 2001/83 ni dans un autre acte de droit dérivé. De même, à ma connaissance, elle n’a pas été définie par la Cour. Dans son acception technique moderne, comme le reflète l’article 55 de l’AMG précité, le terme pharmacopée (« l’art de préparer les médicaments ») désigne généralement un recueil à caractère officiel et réglementaire des matières premières
autorisées dans un pays ou dans un groupe de pays pour la fabrication des médicaments ( 22 ). Celle qui fait prééminence en Europe et qui est abondamment citée dans le contexte de la directive 2001/83 est la pharmacopée européenne, élaborée par la Direction européenne de la qualité du médicament et soins de santé du Conseil de l’Europe ( 23 ).
38. S’agissant de la présente affaire, le défendeur au principal souligne qu’il est des règles pertinentes, figurant notamment dans la pharmacopée européenne du Conseil de l’Europe, auxquelles elle satisfait pour fabriquer ses gélules d’encens. Il est donc satisfait aux conditions de l’article 3, point 2, de la directive 2001/83 en ce qui concerne les activités en cause du défendeur au principal.
39. S’agissant de la question plus large de savoir si la disposition précitée du droit allemand est également conforme, de manière générale, à l’article 3, point 2, de la directive 2001/83, je voudrais souligner la chose suivante : étant donné que, depuis l’arrêt Abcur, la Cour semble considérer que l’article 3, point 2, de la directive 2001/83 est applicable aux médicaments répondant aux conditions de son article 2 (« préparés industriellement ou fabriqués selon une méthode dans laquelle intervient
un processus industriel ») ( 24 ), la condition relative aux « indications d’une pharmacopée » doit faire l’objet d’une interprétation stricte dans son sens littéral, d’autant plus que l’article 3 de la directive 2001/83 constitue une dérogation à la règle générale ( 25 ).
40. L’expression « selon les indications d’une pharmacopée » doit donc signifier que de telles indications doivent impérativement être suivies si elles existent. En leur absence, j’ai du mal à faire simplement l’impasse sur cette condition pour la fabrication de médicaments à une échelle industrielle.
41. Il appartiendra à la juridiction de renvoi d’interpréter les dispositions du droit allemand à la lumière de cette constatation. Toutefois, la condition relative aux indications d’une pharmacopée ne saurait être ignorée dans le cadre d’une telle interprétation.
42. Une telle interprétation s’inscrit, en outre, dans la droite ligne de l’objectif fondamental de la directive 2001/83 qui est la protection de la santé publique ( 26 ). Les dispositions du droit allemand renferment suffisamment de garde‑fous pour garantir cet objectif de santé publique. Enfin, les médicaments en question sont délivrés directement aux patients. De telles fournitures locales et directes n’interfèrent pas avec la logique de marché intérieur sur laquelle la directive repose ( 27 ).
43. Pour conclure, l’article 3, point 2, de la directive 2001/83 ne fait pas obstacle à ce qu’une pharmacie prépare des médicaments dans les conditions de l’article 21, paragraphe 2, point 1, de l’AMG.
D – Sur la publicité
44. À mon avis, c’est à juste titre que la juridiction de renvoi considère que les dispositions de la directive 2001/83 sur l’obligation de disposer d’une autorisation de mise sur le marché, en application de son article 6, paragraphe 1, ainsi que celles sur l’interdiction de la publicité, figurant en son article 87, paragraphe 1, ne sont applicables qu’aux seuls médicaments qui satisfont aux conditions de son article 2, paragraphe 1, et ne relèvent pas de son article 3.
45. L’article 87, paragraphe 1, de la directive 2001/83, aux termes duquel les États membres interdisent toute publicité faite à l’égard d’un médicament pour lequel une autorisation de mise sur le marché conforme au droit de l’Union n’a pas été délivrée est sans incidence sur le litige au principal, car il ne s’applique pas aux médicaments qui ne relèvent pas du champ d’application de ladite directive. Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Ludwigs‑Apotheke, la Cour a jugé que les médicaments
relevant d’une disposition de la loi allemande sur les médicaments étaient exclus du champ d’application de la directive 2001/83 et que, partant, les dispositions du titre VIII de cette directive, relatif à la publicité, ne leur sont pas applicables ( 28 ).
46. Cette constatation est faite sous réserve d’autres limitations qui pourraient découler du droit de l’Union. Dans ce contexte, je me dois de souligner notamment que, dans une affaire telle que le litige au principal où la directive 2001/83 n’est pas applicable, la directive 2006/114/CE ( 29 ) reste applicable ( 30 ).
V – Conclusion
47. Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles déférées par le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) de la manière suivante :
1) L’article 2, paragraphe 1, de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain ne s’oppose pas à une disposition nationale telle que l’article 21, paragraphe 2, point 1, de l’Arzneimittelgesetz (loi relative aux médicaments) suivant laquelle n’est pas soumis à autorisation un médicament destiné à être utilisé chez l’être humain et qui, du fait qu’il est prescrit par des médecins ou des
dentistes avec une fréquence avérée, est fabriqué en pharmacie dans les étapes essentielles de sa fabrication, dans une quantité allant jusqu’à 100 boîtes par jour, toutes conditionnées dans le cadre de l’exploitation normale de la pharmacie, et qui est destiné à être délivré dans le cadre de l’autorisation d’exploitation que possède la pharmacie.
2) Si la Cour ne devait pas accueillir l’interprétation ainsi proposée et estimer que les conditions prévues à l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2001/83 sont réunies, alors l’article 3, point 2, de la directive 2001/83 ne s’oppose pas à une disposition nationale telle que celle de l’article 21, paragraphe 2, point 1, de la loi relative aux médicaments suivant laquelle n’est pas soumis à autorisation un médicament destiné à être utilisé chez l’être humain et qui, du fait qu’il est
prescrit par des médecins ou des dentistes avec une fréquence avérée, est fabriqué en pharmacie dans les étapes essentielles de sa fabrication, dans une quantité allant jusqu’à 100 boîtes par jour toutes conditionnées dans le cadre de l’exploitation normale de la pharmacie, et qui est destiné à être délivré dans le cadre de l’autorisation d’exploitation que possède la pharmacie, dans la mesure où ce médicament est préparé selon les indications d’une pharmacopée.
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( 1 ) Langue originale : l’anglais.
( 2 ) Évangile de Jésus‑Christ selon saint Matthieu, 2, 2‑11, à propos des rois mages : « [i]ls ouvrirent leurs coffrets, et lui offrirent leurs présents : de l’or, de l’encens et de la myrrhe ».
( 3 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001 instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain (JO 2001, L 311, p. 67), telle que modifiée dernièrement par la directive 2012/26/UE du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2012, modifiant la directive 2001/83/CE en ce qui concerne la pharmacovigilance (JO 2012, L 299, p. 1).
( 4 ) En allemand, de tels médicaments sont dénommés « Defekturarzneimittel ».
( 5 ) Note sans objet pour la version en langue française des présentes conclusions.
( 6 ) Voir point 23 à 29 des conclusions que j’ai présentées dans les affaires Abcur (C‑544/13 et C‑545/13, EU:C:2015:136).
( 7 ) Arrêt du 16 juillet 2015, Abcur (C‑544/13 et C‑545/13, EU:C:2015:481, point 39).
( 8 ) Arrêt du 16 juillet 2015, Abcur (C‑544/13 et C‑545/13, EU:C:2015:481, point 36).
( 9 ) Incidemment, je relève que, dans sa demande de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi se réfère aussi à l’article 2 de la directive 2001/83.
( 10 ) Voir, également, arrêt du 16 juillet 2015, Abcur (C‑544/13 et C‑545/13, EU:C:2015:481, point 44).
( 11 ) Arrêt du 16 juillet 2015, Abcur (C‑544/13 et C‑545/13, EU:C:2015:481, point 50).
( 12 ) Arrêt du 16 juillet 2015, Abcur (C‑544/13 et C‑545/13, EU:C:2015:481, point 51).
( 13 ) Arrêt du 16 juillet 2015, Abcur (C‑544/13 et C‑545/13, EU:C:2015:481, point 52). Inutile d’ajouter que la Cour a précisé, comme elle sait le faire, qu’il s’agissait là d’une question de fait sur laquelle il appartient (en dernier ressort) à la juridiction de renvoi de se prononcer.
( 14 ) Voir article 8, paragraphes 1 et 2, de la Verordnung über den Betrieb von Apotheken (Apothekenbetriebsordnung) (règlement sur l’exploitation des pharmacies).
( 15 ) Article 21, paragraphe 1, point 1, de l’AMG.
( 16 ) Voir arrêt du 16 juillet 2015, Abcur (C‑544/13 et C‑545/13, EU:C:2015:481, point 59).
( 17 ) Voir point 47 des conclusions que j’ai présentées dans les affaires Abcur (C‑544/13 et C‑545/13, EU:C:2015:136).
( 18 ) Voir arrêt du 16 juillet 2015, Abcur (C‑544/13 et C‑545/13, EU:C:2015:481, point 66).
( 19 ) Voir première phrase de cette disposition.
( 20 ) Voir deuxième phrase de cette disposition.
( 21 ) Voir article 55, paragraphe 1, première phrase, de l’AMG, dont une traduction en anglais peut être consultée sur le site Internet http://www.gesetze-im-internet.de/englisch_amg/englisch_amg.html.
( 22 ) Voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Pharmacopée.
( 23 ) Voir https://www.edqm.eu/.
( 24 ) Voir point 17 des présentes conclusions et arrêt du 16 juillet 2015, Abcur (C‑544/13 et C‑545/13, EU:C:2015:481, point 39). Comme on le sait, je pense que la question n’est pas aussi simple : voir points 23 à 29 des conclusions que j’ai présentées dans les affaires Abcur (C‑544/13 et C‑545/13, EU:C:2015:136).
( 25 ) Voir arrêt du 16 juillet 2015, Abcur (C‑544/13 et C‑545/13, EU:C:2015:481, point 54 et jurisprudence citée).
( 26 ) Voir considérant 2 de la directive 2001/83.
( 27 ) Voir considérant 3 de la directive 2001/83.
( 28 ) Arrêt du 8 novembre 2007, Ludwigs‑Apotheke (C‑143/06, EU:C:2007:656, point 23). Voir, également, point 78 des conclusions que j’ai présentées dans les affaires Abcur (C‑544/13 et C‑545/13, EU:C:2015:136).
( 29 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 en matière de publicité trompeuse et de publicité comparative (JO 2006, L 376, p. 21).
( 30 ) Voir points 75 à 83 des conclusions que j’ai présentées dans les affaires Abcur (C‑544/13 et C‑545/13, EU:C:2015:136).