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14/04/2016 | CJUE | N°C-100/15

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Netherlands Maritime Technology Association, anciennement Scheepsbouw Nederland contre Commission européenne., 14/04/2016, C-100/15


ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)

14 avril 2016 (*)

«Pourvoi – Aides d’État – Système d’amortissement anticipé du coût de certains actifs acquis en location‑financement – Décision constatant l’absence d’aide d’État – Absence d’ouverture de la procédure formelle d’examen – Caractère insuffisant et incomplet de l’examen – Obligation de motivation – Sélectivité»

Dans l’affaire C‑100/15 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introdu

it le 26 février 2015,

Netherlands Maritime Technology Association, établie à Rotterdam (Pays-Bas), représentée par M^e K....

ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)

14 avril 2016 (*)

«Pourvoi – Aides d’État – Système d’amortissement anticipé du coût de certains actifs acquis en location‑financement – Décision constatant l’absence d’aide d’État – Absence d’ouverture de la procédure formelle d’examen – Caractère insuffisant et incomplet de l’examen – Obligation de motivation – Sélectivité»

Dans l’affaire C‑100/15 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 26 février 2015,

Netherlands Maritime Technology Association, établie à Rotterdam (Pays-Bas), représentée par M^e K. Struckmann, Rechtsanwalt, et M^me G. Forwood, barrister,

partie requérante,

les autres parties à la procédure étant:

Commission européenne, représentée par M. L. Flynn et M^me P. Němečková, en qualité d’agents,

partie défenderesse en première instance,

soutenue par:

Royaume d’Espagne, représenté par M. M. A. Sampol Pucurull, en qualité d’agent,

partie intervenante en première instance,

LA COUR (sixième chambre),

composée de M. A. Arabadjiev, président de chambre, MM. C. G. Fernlund et E. Regan (rapporteur), juges,

avocat général: M. M. Wathelet,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 Par son pourvoi, la Netherlands Maritime Technology Association demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 9 décembre 2014, Netherlands Maritime Technology Association/Commission (T‑140/13, EU:T:2014:1029, ci-après l’«arrêt attaqué»), par lequel ce dernier a rejeté le recours tendant à l’annulation de la décision C(2012) 8252 final de la Commission, du 20 novembre 2012, concernant l’aide d’État SA.34736 (2012/N) – Espagne – Amortissement anticipé de biens acquis en
location-financement (ci‑après la «décision litigieuse»).

Le cadre juridique

2 Le règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [108 TFUE] (JO L 83, p. 1), comporte un article 4, intitulé «Examen préliminaire de la notification et décisions de la Commission», qui prévoit, à ses paragraphes 2 à 4:

«2. Si la Commission constate, après un examen préliminaire, que la mesure notifiée ne constitue pas une aide, elle le fait savoir par voie de décision.

3. Si la Commission constate, après un examen préliminaire, que la mesure notifiée, pour autant qu’elle entre dans le champ de l’article [107, paragraphe 1, TFUE], ne suscite pas de doutes quant à sa compatibilité avec le marché [intérieur], elle décide que cette mesure est compatible avec le marché [intérieur] [...]

4. Si la Commission constate, après un examen préliminaire, que la mesure notifiée suscite des doutes quant à sa compatibilité avec le marché [intérieur], elle décide d’ouvrir la procédure prévue à l’article [108, paragraphe 2, TFUE] [...]»

Les antécédents du litige et la décision litigieuse

3 Les faits à l’origine de la présente procédure sont décrits comme suit dans l’arrêt attaqué.

Plainte

4 La requérante, une association représentant les intérêts des chantiers navals néerlandais, a porté plainte avec d’autres fédérations contre un régime fiscal espagnol favorisant la construction de navires dans des chantiers navals espagnols (ci‑après l’«ancien régime d’amortissement anticipé»). Selon les plaignants, ce régime permettait d’obtenir un rabais de 20 % à 30 % sur le prix de construction d’un navire (ci‑après le «rabais»).

Décision d’ouverture concernant l’ancien régime espagnol de leasing fiscal

5 Le 29 juin 2011, la Commission a ouvert une procédure, au titre de l’article 108, paragraphe 2, TFUE, à l’encontre des règles fiscales en matière de leasing, en adoptant la décision C (2011) 4494 final (Aide d’État SA.21233 (11/C) (ex NN/11, ex CP 137/06) – Régime fiscal applicable à certains accords de location‑financement, également appelé régime espagnol de leasing fiscal) (résumé au JO C 276, p. 5) (ci‑après la «décision d’ouverture»). Ce régime fiscal concernait un ensemble de règles
et d’arrangements impliquant, pour chaque commande de construction de navire, plusieurs acteurs, à savoir une compagnie maritime, un chantier naval, une banque, plusieurs investisseurs et une société de leasing (location-vente). Il résulte de la décision d’ouverture que ces arrangements fonctionnaient selon le schéma suivant:

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6 Dans un premier temps, la compagnie maritime qui souhaitait acheter un navire en profitant du rabais trouvait un accord avec un chantier naval sur le navire à construire et le prix d’achat de celui-ci, à savoir le prix net. Ce contrat initial prévoyait le paiement de versements réguliers. Toutefois, afin de pouvoir bénéficier du rabais, la compagnie s’engageait à acheter le navire auprès non pas du chantier naval directement, mais d’un groupement d’intérêt économique (GIE) mis en place par
une banque et qui regroupait plusieurs investisseurs. Les bénéfices et les pertes réalisés par ce GIE étaient imposés au niveau des membres de celui-ci, au prorata de leur participation.

7 Dans un second temps, la société de leasing achetait le navire au chantier naval, puis le louait au GIE, qui permettait ainsi à ses membres investisseurs de déduire de leurs bases imposables les versements effectués à la société de leasing. S’agissant de ces paiements réguliers, le contrat de leasing prévoyait un versement supplémentaire par rapport aux versements prévus dans le contrat initial. Le montant de ce versement supplémentaire correspondait au rabais, qui est la différence entre
le prix net prévu par le contrat initial et le prix brut payé effectivement par la société de leasing au chantier naval.

8 À la fin du contrat de leasing d’une durée de trois à quatre ans, le GIE s’engageait à acheter le navire à la société de leasing. Ce navire était ensuite revendu à la compagnie maritime au prix net, initialement convenu.

9 Selon la décision d’ouverture, les arrangements décrits aux points 5 et suivants du présent arrêt visaient à réaliser des avantages fiscaux au sein du GIE, lesquels étaient ensuite répartis entre les acteurs concernés.

10 Premièrement, selon les règles comptables espagnoles, les coûts occasionnés par l’utilisation d’un actif ne devaient pas être influencés par le mode de financement de celui-ci. Il s’ensuit que des actifs faisant l’objet d’un leasing pouvaient être amortis de la même façon que les actifs financés différemment. L’article 115 du décret royal législatif 4/2004, par lequel est approuvé le texte refondu de la loi sur les impôts sur les sociétés (Real Decreto Legislativo 4/2004, por el que se
aprueba el texto refundido de la Ley del Impuesto sobre Sociedades), du 5 mars 2004 (BOE n° 61, du 11 mars 2004, p. 10951, ci‑après la «LIS»), concernait le traitement fiscal de certaines transactions de leasing.

11 L’article 115, paragraphe 6, de la LIS permettait d’amortir de façon accélérée, en trois à quatre ans, les versements effectués en vertu d’un contrat de leasing, afin d’amortir fiscalement un navire dans un période plus brève que celle de sa dépréciation réelle. De plus, l’article 115, paragraphe 11, de la LIS permettait d’anticiper l’amortissement avant la mise en service de l’actif, à savoir dès le début de la construction de ce dernier. Cette possibilité d’amortissement anticipé, qui
était ouverte, sous certaines conditions, aux GIE au titre de l’article 48, paragraphe 4, de la LIS, était soumise à l’autorisation préalable du ministère de l’Économie et des Finances. La procédure d’autorisation était régie par l’article 49 du décret royal 1777/2004, par lequel est approuvé le règlement de l’impôt sur les sociétés (Real Decreto 1777/2004, por el que se aprueba el Reglamento del Impuesto sobre Sociedades), du 30 juillet 2004 (BOE n° 189, du 6 août 2004, p. 37072, ci‑après le
«RIS»).

12 L’amortissement accéléré et anticipé augmentait les coûts du GIE et occasionnait des pertes en son sein, ce qui permettait aux investisseurs de les déduire de leurs bases imposables. En outre, il réduisait artificiellement la valeur fiscale du navire par rapport à sa valeur réelle. Cette plus-value constituait un passif caché, qui, selon les règles normales de l’impôt sur les sociétés, était imposable en cas de revente du navire.

13 Deuxièmement, avant de revendre le navire à la compagnie maritime en vertu du contrat d’affrètement coque-nue, le GIE demandait l’autorisation des autorités fiscales de ne pas relever du régime normal de l’impôt sur les sociétés afin de se voir appliquer le régime de la taxation au tonnage, en application des articles 124 et 128 de la LIS, qui prévoiyait une imposition des activités de transports maritimes en fonction du tonnage des vaisseaux. Il se substituait à l’impôt sur les sociétés du
régime normal. L’article 125, paragraphe 2, de la LIS constituait la règle d’imposition des plus‑values réalisées lors de la revente d’un navire. Il prévoyait à cet effet la taxation des plus-values réalisées sur la vente de navires soumis au régime de taxation au tonnage, lorsque ces plus-values résultaient d’un suramortissement réalisé avant l’entrée de ces navires dans ledit régime.

14 Toutefois, il résultait de l’article 50, paragraphe 3, du RIS que la règle de cantonnement prévue à l’article 125, paragraphe 2, de la LIS ne s’appliquait pas lorsqu’il s’agissait d’un navire acheté dans le cadre d’un contrat de leasing approuvé au préalable par les autorités fiscales sur la base de l’article 115, paragraphe 11, de la LIS. En effet, un tel navire était considéré comme neuf, indépendamment de la question de savoir si ce navire était déjà utilisé ou s’il a déjà été amorti. Le
basculement vers le régime de la taxation au tonnage permettait donc au GIE d’éviter l’impôt sur la plus-value du navire suramorti.

15 L’ensemble de ces dispositions permettait, d’une part, au GIE de créer des pertes qui étaient déductibles des bases imposables des membres investisseurs et, d’autre part, d’éviter l’imposition de la plus-value du navire suramorti. Le cumul de ces effets permettait d’obtenir un avantage fiscal correspondant approximativement à 30 % du prix brut payé par la société de leasing au chantier naval. Les investisseurs dans ce GIE se partageaient ensuite 10 % à 15 % dudit avantage et la compagnie
maritime bénéficiait de 85 % à 90 % de cet avantage.

16 Dans la décision d’ouverture, la Commission a estimé que les avantages découlant de l’ancien régime d’amortissement anticipé constituaient une aide, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, en faveur de l’ensemble des acteurs impliqués dans le schéma de leasing de navires. Elle a observé que le système avait été utilisé quasi exclusivement dans des transactions impliquant des compagnies maritimes achetant des navires auprès de chantiers navals espagnols. Selon cette institution, toutes
ces transactions impliquaient également la participation de sociétés de leasing et de contribuables espagnols fortunés regroupés dans des GIE sous l’égide de structures mises en place par des banques espagnoles. La Commission a considéré, notamment, que le système d’amortissement anticipé prévu à l’article 115, paragraphe 11, de la LIS comportait un élément de sélectivité, dans la mesure où il prévoyait une autorisation administrative couvrant l’ensemble des effets du contrat de leasing. La
Commission a précisé qu’elle avait approuvé le régime de taxation au tonnage par sa décision C (2002) 582 final, du 27 février 2002. Elle a cependant observé que l’article 50, paragraphe 3, du RIS, qui permettait de neutraliser les effets de la règle de cantonnement de l’article 125, paragraphe 2, de la LIS, ne lui avait pas été notifié et n’avait donc pas été approuvé.

Procédure administrative concernant le nouveau régime d’amortissement anticipé

17 Par lettre du 29 mai 2012, le Royaume d’Espagne a notifié à la Commission une version modifiée de l’article 115, paragraphe 11, de la LIS (ci‑après l’«article 115, paragraphe 11, de la LIS modifié»). Cette mesure notifiée se lit comme suit:

«Les preneurs d’un leasing auront la possibilité, après communication au ministère des Finances et des Administrations publiques dans les termes qui seront définis de manière réglementaire, d’établir que la date à laquelle se réfère le paragraphe 6 correspond à la date du début effectif de la construction de l’actif, pourvu que les conditions suivantes soient réunies simultanément:

– qu’il s’agisse d’actifs qui aient la considération d’éléments d’immobilisation corporelle qui fassent l’objet d’un contrat de leasing financier, dans le cadre duquel les cotisations soient acquittées de manière significative avant la finalisation de la construction de l’actif;

– que la construction de ces actifs soit réalisée dans une période minimale de douze mois;

– qu’il s’agisse d’actifs qui réunissent les conditions techniques et de conception particulières et qui ne correspondent pas à des productions en série.»

18 À la suite de demandes d’information de la part de la Commission, le Royaume d’Espagne a fourni des informations supplémentaires les 6 juin et 22 août 2012. Après une réunion le 4 septembre 2012 entre la Commission et le Royaume d’Espagne, ce dernier a envoyé, le 24 septembre 2012, une version modifiée de la mesure notifiée. Il a également communiqué à la Commission des informations supplémentaires qui lui ont été demandées les 26 septembre et 5 octobre 2012.

19 Pendant l’examen mené par la Commission, la requérante a écrit à la Commission les 6 juillet, 24 et 27 août ainsi que le 20 novembre 2012, afin de connaître l’évolution de l’examen de la mesure notifiée et de faire valoir que les tiers devaient avoir la possibilité de commenter cette mesure.

Décision litigieuse

20 Par la décision litigieuse, la Commission a estimé que la mesure notifiée ne constituait pas une aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, et était, en raison de l’absence d’avantage sélectif, compatible avec le marché intérieur.

21 Selon la décision litigieuse, l’application de l’article 115, paragraphe 11, de la LIS modifié est facultative et ne requiert plus d’autorisation préalable. Une simple communication aux autorités fiscales suffit. De plus, les autorités espagnoles ont confirmé que cette disposition modifiée ne nécessitait aucune mesure de mise en œuvre, de sorte que les conditions d’application prévues antérieurement à l’article 48, paragraphe 4, de la LIS et à l’article 49 du RIS n’étaient plus pertinentes
et seraient supprimées. Aux termes de ladite décision, les autorités espagnoles ont également confirmé la suppression de l’article 50, paragraphe 3, du RIS, de sorte que la mesure de cantonnement prévue à l’article 125, paragraphe 2, de la LIS s’appliquerait dorénavant à la plus-value réalisée lors de transfert de navires suramortis du régime d’imposition normal vers le régime de la taxation au tonnage.

22 Dans la décision litigieuse, la Commission a analysé si la mesure notifiée était de nature à favoriser certaines entreprises ou certains secteurs d’activité, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

23 La Commission a observé, tout d’abord, que cette mesure était applicable à toutes les sociétés soumises à l’impôt sur le revenu en Espagne, sans distinction en fonction de leurs secteurs d’activité, de leurs lieux d’établissement, de leurs tailles ou de leurs statuts juridiques. Le fait que ladite mesure ne s’appliquait qu’aux actifs acquis sous un contrat de leasing ne donnerait pas lieu à un avantage sélectif, car tout type d’actif pouvait être financé par des contrats de leasing pouvant
être utilisés par des sociétés de tous les secteurs d’activité et de toutes les tailles. La Commission a également noté que, selon les autorités espagnoles, la mesure notifiée s’appliquait tant aux actifs construits en Espagne qu’à ceux construits dans d’autres États membres.

24 Ensuite, s’il est vrai que la mesure notifiée soumettait la possibilité d’un amortissement anticipé à plusieurs conditions et qu’elle excluait de ce fait les actifs fabriqués de série, la Commission a estimé que ces restrictions visaient à limiter la possibilité de l’amortissement anticipé aux situations où le preneur de leasing devait préfinancer l’actif et donc supporter son coût financier dès avant sa mise en service. Ces restrictions étaient donc justifiées, selon elle, en raison de la
nature et de l’économie du système fiscal espagnol.

25 Enfin, la Commission a observé que les conditions imposées par la mesure notifiée étaient suffisamment précises et objectives, de telle sorte que l’application discrétionnaire ou discriminatoire de celle-ci par les autorités fiscales paraissait exclue. Elle a également estimé que cette application n’était pas soumise à une autorisation préalable de ces autorités.

26 La Commission a donc conclu, dans la décision litigieuse, que la mesure notifiée ne constituait pas une aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

27 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 8 mars 2013, la requérante a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse.

28 À l’appui de son recours, la requérante a soulevé un moyen unique tiré de la violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE et de l’article 4, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 659/1999.

29 Le Tribunal a écarté ce moyen unique comme étant non fondé et, partant, rejeté le recours.

Les conclusions des parties et la procédure devant la Cour

30 Par son pourvoi, la requérante demande à la Cour:

– d’annuler l’arrêt attaqué;

– d’annuler la décision litigieuse ou, à titre subsidiaire, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue conformément aux points de droit tranchés par l’arrêt de la Cour, et

– de condamner la Commission aux dépens exposés par la requérante, y compris dans la procédure devant le Tribunal.

31 La Commission demande à la Cour:

– de rejeter le pourvoi et

– de condamner la requérante aux dépens afférents aux deux instances.

32 Le Royaume d’Espagne demande à la Cour:

– de rejeter le pourvoi;

– à titre subsidiaire, si la Cour accueillait le pourvoi, de déclarer l’irrecevabilité du recours en annulation, et

– de condamner la requérante aux dépens.

Sur le pourvoi

33 À l’appui de son pourvoi, la requérante soulève trois moyens. Ceux-ci sont tirés, premièrement, du fait que le Tribunal n’a pas correctement tenu compte de l’ensemble des arguments invoqués par la requérante en première instance, deuxièmement, d’une substitution de raisonnement et d’une erreur manifeste d’appréciation commises par le Tribunal et, troisièmement, d’une motivation insuffisante et contradictoire de l’arrêt attaqué.

Sur le premier moyen, tiré du fait que le Tribunal n’a pas correctement tenu compte de l’ensemble des arguments invoqués par la requérante en première instance

Argumentation des parties

34 Par son premier moyen, la requérante reproche au Tribunal de ne pas avoir correctement tenu compte de l’ensemble des arguments qu’elle a invoqués en première instance.

35 Par la première branche de ce moyen, la requérante soutient que le Tribunal a fait une lecture incorrecte de son argument concernant la prise en considération de l’effet du régime de leasing fiscal dans son ensemble. À cet égard, la requérante soutient que le Tribunal aurait dû analyser l’article 115, paragraphe 11, de la LIS modifié au regard de certaines règles fiscales actuellement en vigueur, telles que les règles en matière de taxation au tonnage et les règles sur le statut fiscal des
GIE. La requérante considère que son argument, selon lequel les GIE continuaient à bénéficier d’un avantage sélectif en dépit de la suppression de l’article 50, paragraphe 3, du RIS, n’a pas été examiné par le Tribunal. En conséquence, il aurait omis de constater le caractère incomplet de l’analyse effectuée par la Commission dans la décision litigieuse.

36 Par la deuxième branche dudit moyen, la requérante estime que le Tribunal a mal interprété son argument relatif au caractère vague des critères utilisés dans le nouveau régime fiscal qui pouvait conduire à une sélectivité de fait de la mesure notifiée, conférant ainsi aux autorités fiscales, lors d’un contrôle post factum, un pouvoir discrétionnaire dans l’utilisation des avantages fiscaux. Or, le Tribunal, au point 79 de l’arrêt attaqué, n’aurait pas pris en compte les incertitudes
découlant d’un tel contrôle ni leurs conséquences sur la sélectivité du régime fiscal en cause, mais aurait considéré que la requérante soutenait que la mesure notifiée n’était pas directement applicable.

37 Par la troisième branche de ce même moyen, la requérante reproche au Tribunal de ne pas avoir motivé les raisons pour lesquelles il a considéré que la décision litigieuse pouvait ne pas prendre en considération la différenciation entre les compagnies de leasing et certains investisseurs. Elle estime également que celui-ci n’a pas exposé les raisons pour lesquelles une telle sélectivité devait être considérée comme inhérente à la logique du nouveau système fiscal. Selon la requérante, ce
nouveau système est sélectif, dans la mesure où il ne s’appliquerait qu’aux sociétés de leasing ayant des ressources suffisamment importantes. Si le Tribunal avait dûment pris en considération ces arguments, il aurait jugé que l’analyse effectuée dans la décision litigieuse était incomplète.

38 La Commission fait valoir que le premier moyen n’est pas fondé.

39 Le Royaume d’Espagne soutient que ce moyen est, en partie, irrecevable et, en partie, non fondé.

Appréciation de la Cour

40 En ce qui concerne la première branche du premier moyen, il convient, d’une part, de souligner que, au point 79 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a exposé ladite argumentation de manière correcte, en indiquant, notamment, que la requérante faisait valoir que la Commission n’avait pas apprécié l’effet de la mesure notifiée dans son contexte. Il découlerait dès lors de ce point que la Commission se serait limitée à étudier l’effet de cette mesure prise isolément.

41 D’autre part, le Tribunal a recherché, aux points 81 à 83 de l’arrêt attaqué, si la Commission avait pris en compte les anciennes dispositions en combinaison avec d’autres dispositions fiscales et non fiscales. À cet égard, le Tribunal a estimé que la Commission avait examiné, aux considérants 16 à 23 de la décision litigieuse, la pertinence des anciennes dispositions par rapport à la mesure notifiée. En particulier, il a jugé, au point 83 dudit arrêt, que, dans la mesure où les anciennes
dispositions du régime d’amortissement anticipé allaient être supprimées et où l’application de l’article 115, paragraphe 11, de la LIS modifié ne requérait plus d’autorisation préalable des autorités fiscales, la question des effets combinés des anciennes dispositions ne se posait tout simplement plus.

42 Il ne saurait donc être reproché au Tribunal d’avoir effectué une lecture erronée des arguments soulevés devant lui par la requérante, qui visaient spécifiquement, ainsi que cela ressort notamment de la requête introductive d’instance, l’analyse des mesures fiscales en combinaison avec d’autres dispositions fiscales et non fiscales.

43 Pour le surplus, le Tribunal n’a pas pour autant limité son examen aux dispositions de l’ancien régime d’amortissement anticipé. Ainsi, aux points 84 à 88 de l’arrêt attaqué, il a exposé l’argumentation de la requérante sur la sélectivité de fait de la mesure notifiée, qu’il va analyser aux points suivants pour estimer, au point 92 de cet arrêt, que, au regard du nouveau système fiscal, «la Commission a examiné la question de savoir si la mesure notifiée comportait un élément de
sélectivité». S’il a considéré cet examen comme ayant été «sommaire», il l’a cependant jugé suffisant, aux termes d’un raisonnement figurant aux points 93 à 101 dudit arrêt, où figurent les nouvelles dispositions fiscales.

44 Dans ces conditions, la première branche du premier moyen de la requérante procède d’une lecture erronée de l’arrêt attaqué et doit être rejetée.

45 S’agissant de la deuxième branche de ce moyen, il convient de constater que la requérante a soutenu devant le Tribunal que la circonstance qu’une mesure s’applique directement et ne laisse aucune marge d’appréciation aux autorités chargées de sa mise en œuvre n’exclut pas la nature sélective de cette mesure. La requérante a fait valoir, en outre, que l’article 115, paragraphe 11, de la LIS modifié n’était pas applicable directement, dès lors qu’il contenait plusieurs notions sujettes à
interprétation.

46 En l’occurrence, d’une part, il y a lieu de constater que cette argumentation de la requérante ressort clairement du point 79 de l’arrêt attaqué. D’autre part, le Tribunal a répondu à ladite argumentation au point 82 de cet arrêt, en considérant que la Commission avait vérifié si l’application de la mesure notifiée nécessitait une autorisation préalable ou des règles de mise en œuvre.

47 Partant, la deuxième branche du premier moyen doit être écartée comme étant non fondée.

48 Enfin, s’agissant de la troisième branche de ce moyen, il convient de constater que le moyen invoqué par la requérante en première instance visait à établir que la Commission n’avait pas mené un examen complet et suffisant quant à la sélectivité de la mesure en cause. Or, il suffit d’observer que, au point 91 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a exposé l’examen réalisé par la Commission aux fins d’apprécier si l’article 115, paragraphe 11, de la LIS modifié comportait un élément de sélectivité.
Il en a déduit, au point 92 de cet arrêt, qu’elle avait bien «examiné la question de savoir si la mesure notifiée comportait un [tel] élément». Par ailleurs, aux points 93 à 101 dudit arrêt, il a exposé les motifs pour lesquels il a jugé cet examen suffisant. Partant, il ne saurait être reproché au Tribunal de ne pas avoir exposé les raisons pour lesquelles il a considéré que l’examen mené par la Commission était suffisant.

49 Par ailleurs, quant à l’argument relatif à la sélectivité de la mesure en cause à l’égard de certains types d’entreprises, il suffit d’observer que le Tribunal, au point 95 de ce même arrêt, a estimé que la Commission n’était pas tenue de vérifier cet aspect, dès lors que le bénéfice de l’amortissement anticipé prévu à l’article 115, paragraphe 11, de la LIS modifié est ouvert à tout type d’entreprise.

50 Au demeurant, il y a lieu de relever, en ce qui concerne, notamment, l’argument selon lequel le Tribunal a omis de prendre en considération la différenciation entre les compagnies de leasing et certains investisseurs, que le raisonnement développé par le Tribunal, aux points 91 à 101 de l’arrêt attaqué, implique nécessairement le rejet des arguments avancés par la requérante. Dans la mesure où le Tribunal n’est pas tenu de répondre de manière exhaustive à chacun des arguments avancés par les
parties devant lui, il ne saurait lui être reproché de ne pas avoir motivé son appréciation (voir, en ce sens, arrêt Gogos/Commission, C‑583/08 P, EU:C:2010:287, point 30 et jurisprudence citée).

51 Dès lors, la troisième branche du premier moyen doit également être rejetée.

52 Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que le premier moyen doit être rejeté comme étant non fondé.

Sur le deuxième moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation

Argumentation des parties

53 Par son deuxième moyen, la requérante soutient que le Tribunal, en ayant substitué sa propre motivation à celle de la Commission dans la décision litigieuse, a commis une erreur manifeste d’appréciation.

54 En premier lieu, la requérante estime que le Tribunal, en jugeant, au point 97 de l’arrêt attaqué, que les sociétés de leasing, les GIE, les investisseurs et les banques ne pouvaient pas bénéficier de la mesure notifiée alors qu’une telle affirmation ne ressortait pas de la décision litigieuse ni du dossier, a effectué une lecture erronée de cette décision le conduisant à commettre une erreur manifeste d’appréciation.

55 En second lieu, la requérante fait valoir que, au point 97 dudit arrêt, le Tribunal a omis de vérifier si la Commission avait suffisamment évalué, dans la décision litigieuse, la sélectivité de fait conférée par l’article 115, paragraphe 11, de la LIS modifié, ce qui l’a conduit à considérer, à tort, que cette décision avait été adoptée au terme d’un examen complet. Or, la requérante aurait indiqué, dans sa requête introductive d’instance, les bénéficiaires potentiels du nouveau régime
d’amortissement anticipé et aurait, de ce fait, mis le Tribunal en mesure de vérifier la sélectivité de la mesure.

56 La Commission et le Royaume d’Espagne font valoir que le deuxième moyen n’est pas fondé.

Appréciation de la Cour

57 S’agissant du premier argument, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, dans le cadre d’un recours en annulation, le Tribunal ne peut substituer sa propre motivation à celle de l’auteur de l’acte attaqué (voir arrêts DIR International Film e.a./Commission, C‑164/98 P, EU:C:2000:48, point 38, ainsi que British Aggregates/Commission, C‑487/06 P, EU:C:2008:757, point 141).

58 En l’occurrence, le Tribunal a jugé, au point 97 de l’arrêt attaqué, que ce sont les preneurs de leasing, à savoir les entreprises qui s’acquittent des versements réguliers prévus par ce type de contrat, qui sont susceptibles de bénéficier de la mesure notifiée. Or, le Tribunal a relevé que, dès lors que cette mesure était applicable en principe, ainsi que la Commission l’a considéré aux considérants 28 à 32 de la décision litigieuse, à toute entreprise de toute taille active dans tout
secteur de l’économie, l’examen de la Commission ne devait donc pas porter sur les compagnies de leasing ou sur les entreprises que la requérante qualifie d’«intermédiaires». Partant, il y a lieu de considérer qu’il n’a pas substitué ses motifs à ceux de la Commission en ce qui concerne les bénéficiaires de ladite mesure.

59 Quant au second argument, il y a lieu de relever qu’il a été dûment exposé aux points 84 à 87 de l’arrêt attaqué et que le Tribunal y a répondu aux points 91 et 92 de celui-ci, en considérant que l’article 115, paragraphe 11, de la LIS modifié s’appliquait à une catégorie ouverte et non déterminée d’actifs. En particulier, le Tribunal a exposé, au point 91 de cet arrêt, les motifs qui ont amené la Commission à estimer que cette disposition était une mesure générale qui ne conférait pas
d’avantage sélectif à ses bénéficiaires.

60 Par ailleurs, l’obligation de motivation n’impose pas au Tribunal de fournir un exposé qui suivrait, de manière exhaustive et un par un, tous les raisonnements articulés par les parties au litige, la motivation pouvant donc être implicite à la condition qu’elle permette aux intéressés de connaître les raisons pour lesquelles le Tribunal n’a pas fait droit à leurs arguments et à la Cour de disposer des éléments suffisants pour exercer son contrôle (voir arrêt FIAMM e.a./Conseil et Commission,
C‑120/06 P et C‑121/06 P, EU:C:2008:476, point 96 ainsi que jurisprudence citée).

61 Partant, il y a lieu d’écarter le deuxième moyen dans son intégralité comme étant non fondé.

Sur le troisième moyen, tiré d’une motivation insuffisante et contradictoire du Tribunal

Argumentation des parties

62 Par son troisième moyen, qui s’articule en quatre branches, la requérante fait valoir que les points 95, 97, 99, 100 et 107 à 111 de l’arrêt attaqué sont motivés de manière insuffisante ou contradictoire.

63 Par la première branche de ce moyen, la requérante fait valoir que la motivation contenue au point 95 de l’arrêt attaqué est insuffisante, en ce sens que le Tribunal a déduit de l’absence supposée de remise en cause du statut des GIE par la décision d’ouverture le fait que la Commission n’était pas tenue de vérifier si la mesure notifiée conférait un avantage sélectif à ces entités et à leurs investisseurs. Selon la requérante, la Commission aurait dû examiner si un quelconque avantage
sélectif était donné aux investisseurs regroupés en GIE qui pouvaient ainsi acquérir le droit à un amortissement anticipé sans devenir preneurs de leasing.

64 La requérante ajoute que l’allégation selon laquelle le statut des GIE n’a pas été mis en cause dans la décision d’ouverture dans le cadre de l’ancien régime d’amortissement anticipé est inexacte. Dès lors qu’il aurait été indiqué, dans la décision d’ouverture, que l’application de cet ancien régime pouvait conférer un avantage sélectif aux GIE, la Commission aurait dû, dans la décision litigieuse, vérifier si, à la suite des modifications législatives, le nouveau régime produisait un
quelconque avantage sélectif. Or, les motifs pour lesquels, malgré cette omission, cette décision devait être considérée comme complète ne sont pas exposés de manière suffisante et claire dans l’arrêt attaqué.

65 Par la deuxième branche dudit moyen, la requérante reproche au Tribunal de ne pas avoir motivé de manière suffisante, au point 100 de l’arrêt attaqué, l’affirmation selon laquelle la Commission n’avait pas besoin de définir un cadre de référence afin d’analyser l’effet de la mesure notifiée. À cet égard, le raisonnement figurant aux points 98 à 100 de cet arrêt, relatif aux mesures fiscales ayant pour effet d’avantager une catégorie d’entreprises spécifiques, serait erroné. Ainsi, le
Tribunal aurait dû considérer que cette mesure pouvait être sélective de fait, étant donné qu’elle peut être appliquée non pas à tous les types d’actifs, mais uniquement aux actifs définis dans la LIS et uniquement aux contribuables qui interviennent dans des industries très spécifiques.

66 Par la troisième branche du troisième moyen, la requérante relève que, bien que le Tribunal reconnaisse, dans l’arrêt attaqué, l’existence de quatre critères d’admissibilité à l’amortissement accéléré, il n’en aurait examiné que deux, à savoir ceux relatifs au temps de production de plus de douze mois et à l’exigence que les cotisations soient largement acquittées avant la finalisation de la construction de l’actif. La requérante reproche ainsi au Tribunal de ne pas avoir examiné l’incidence
du critère de la conception particulière et l’exclusion des actifs relevant de la production de masse. Ce faisant, le Tribunal aurait négligé les arguments exposés par la requérante en première instance, selon lesquels très peu de produits satisfaisaient aux quatre critères. Partant, «en omettant d’examiner si l’analyse figurant dans la décision litigieuse était suffisante et complète relativement à tous les critères de détermination des actifs pouvant bénéficier de l’amortissement anticipé», le
Tribunal aurait commis une erreur de droit. Il aurait ainsi notamment porté atteinte au principe selon lequel la Commission doit, si elle considère qu’une mesure est justifiée par sa nature ou par la structure interne du système, justifier cette conclusion de manière circonstanciée.

67 Par la quatrième branche du troisième moyen, la requérante fait valoir que, au point 109 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a mal interprété le critère de justification de «la nature différentielle des mesures fiscales», qui figure dans la communication de la Commission sur l’application des règles relatives aux aides d’État aux mesures relevant de la fiscalité directe des entreprises (JO 1998, C 384, p. 3, ci‑après la «communication»). À cet égard, le Tribunal aurait jugé que la
différenciation du système fiscal est permise pourvu qu’elle repose sur une justification rationnelle, tandis que le point 23 de cette communication indique qu’une telle différenciation est permise si la «rationalité économique [des mesures] les rend nécessaires ou fonctionnelles par rapport à l’efficacité du système fiscal».

68 La Commission et le Royaume d’Espagne font valoir que le troisième moyen est non fondé.

Appréciation de la Cour

69 Force est de constater que, par le troisième moyen, la requérante ne fait pas valoir un défaut de motivation de l’arrêt attaqué, mais critique le raisonnement du Tribunal qu’elle estime vicié à plusieurs égards.

70 S’agissant de la première branche du troisième moyen, la requérante conteste l’affirmation du Tribunal, figurant au point 95 de l’arrêt attaqué, selon laquelle «le statut des GIE n’est pas mis en cause par la décision d’ouverture», au motif principal qu’elle serait dépourvue de pertinence dans la mesure où elle se rapporte à l’ancien régime d’amortissement anticipé, lequel ne constitue pas l’objet de la décision litigieuse, et au motif subsidiaire qu’elle serait inexacte.

71 Il convient de relever que le Tribunal a constaté, au point 93 de l’arrêt attaqué, que «la nouvelle version de l’article 115, paragraphe 11, de la LIS se suffit à elle-même» et que «[l]’effet de ces anciennes dispositions ne saurait donc conditionner la réponse à la question de savoir si la mesure notifiée conférait un avantage sélectif. Il s’ensuit qu’il n’était plus nécessaire d’examiner le caractère éventuellement sélectif par rapport à l’ancien régime d’amortissement anticipé».

72 En outre, le Tribunal a relevé, au point 95 de cet arrêt, que «le bénéfice de l’amortissement anticipé prévu par la mesure notifiée est ouvert à tout type d’entreprise».

73 Il ressort d’une lecture combinée des points 93 et 95 de l’arrêt attaqué, d’une part, que ces motifs suffisent à justifier, en droit, la réfutation de l’argumentation de la requérante prise d’un examen insuffisant, dans la décision litigieuse, de la situation des GIE. Il en résulte, d’autre part, que l’affirmation, figurant au point 95 de l’arrêt attaqué, selon laquelle «le statut des GIE n’est pas mis en cause dans la décision d’ouverture», revêt un caractère surabondant.

74 Par conséquent, la première branche du troisième moyen, en ce qu’elle vise un motif surabondant, doit être rejetée comme étant inopérante.

75 Par la deuxième branche de ce moyen, la requérante conteste la validité du raisonnement contenu au point 100 de l’arrêt attaqué, qui, selon elle, est erroné. Elle prétend que le régime fiscal en cause confère, de fait, un avantage sélectif à un nombre limité d’entreprises. En conséquence, le Tribunal aurait dû examiner la possibilité d’une sélectivité de fait.

76 Toutefois, il y a lieu de constater que le Tribunal a exposé, au point 98 de l’arrêt attaqué, que «la mesure notifiée est une mesure fiscale générale». Il a rappelé, aux points 90 et 99 de cet arrêt, les principes jurisprudentiels en la matière, lesquels n’ont pas été contestés par la requérante dans son pourvoi. Le Tribunal, au point 91 dudit arrêt, a réfuté les arguments de la requérante pris de l’insuffisance de l’examen par la Commission de la sélectivité de la mesure nationale en cause.
Dans ces conditions, le Tribunal a pu, à bon droit, considérer, au point 100 de l’arrêt attaqué, que cette mesure ne répondait pas aux critères jurisprudentiels précédemment rappelés, afin d’être reconnue comme conférant un avantage sélectif, et que «la Commission n’avait pas besoin de définir un cadre de référence afin d’analyser l’effet de la mesure notifiée».

77 Dès lors, la deuxième branche du troisième moyen n’est pas fondée.

78 Quant à la troisième branche de ce moyen, dirigée contre les points 107 et 111 de l’arrêt attaqué, la requérante soutient, en substance, que le Tribunal a omis de vérifier si la Commission avait examiné la sélectivité de la mesure notifiée avec la diligence requise.

79 Il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la notion d’«aide d’État» ne vise pas les mesures étatiques introduisant une différenciation entre les entreprises et, partant, a priori sélectives, lorsque cette différenciation résulte de la nature ou de l’économie du système dans lequel elles s’inscrivent (arrêts Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni, C‑106/09 P et C‑107/09 P, EU:C:2011:732, point 145 et jurisprudence citée, ainsi que BNP Paribas et
BNL/Commission, C‑452/10 P, EU:C:2012:366, point 101). Dans l’exercice du contrôle entier de la qualification du régime fiscal litigieux en tant qu’aide d’État auquel il était tenu de procéder, le Tribunal devait rechercher si la différenciation entre les entreprises relevant de ce régime ne résultait pas de la nature ou de l’économie du système fiscal dans lequel il s’inscrivait (arrêt BNP Paribas et BNL/Commission, C‑452/10 P, EU:C:2012:366, point 102).

80 En l’occurrence, il ressort des points 102 à 105 de l’arrêt attaqué que la requérante contestait l’appréciation, aux paragraphes 31 et 32 de la décision litigieuse, selon laquelle toute sélectivité de la mesure notifiée est inhérente au régime fiscal général et justifiée par la logique de ce régime. La requérante estimait que cette analyse était contraire, d’une part, à la pratique décisionnelle antérieure de la Commission et, d’autre part, à la communication.

81 Le Tribunal a répondu à cette argumentation, aux points 107 à 111 de l’arrêt attaqué, de la manière suivante:

«107 Il y a lieu d’observer que, selon le paragraphe 31 de la décision [litigieuse], les conditions imposées par la mesure notifiée limitent la possibilité d’amortissement anticipé à certains actifs. La Commission a cependant estimé que ces restrictions étaient justifiées par des facteurs tenant à la durée de la construction de l’actif fait sur mesure et à la nécessité de le préfinancer durant cette période.

108 Cette explication est parfaitement compréhensible, notamment en comparant la mesure notifiée à l’article 115, paragraphe 6, de la LIS concernant l’amortissement accéléré. En effet, la nouvelle version de l’article 115, paragraphe 11, de la LIS ne déroge à cette disposition que pour autant qu’elle donne la possibilité de modifier la date à partir de laquelle cet amortissement accéléré intervient. L’article 115, paragraphe 6, de la LIS ne permet l’amortissement accéléré des actifs financés
par un contrat de leasing qu’à partir de la date à laquelle l’actif est effectivement disponible. Or, étant donné que, pour les actifs faits sur mesure visés par la nouvelle version de l’article 115, paragraphe 11, de la LIS, l’essentiel des paiements a déjà eu lieu avant cette date, il est cohérent de faire coïncider la date de l’amortissement avec celle des paiements à la société de leasing.

109 Contrairement à ce que la requérante fait valoir, les principes établis par la Commission au paragraphe 23 de la [communication] ne s’opposent pas à cette explication. Au contraire, cette communication permet une différentiation du système fiscal, pourvu qu’elle repose sur une justification rationnelle.

110 Par ailleurs, la Commission n’était pas tenue de suivre les approches analytiques qu’elle avait utilisées dans ses décisions sur l’amortissement allemand et sur l’amortissement espagnol de la survaleur financière, mentionnées respectivement aux points 103 à 105 [de l’arrêt attaqué], contrairement aux arguments de la requérante. En effet, chaque cas [doit être] apprécié séparément selon les circonstances en l’espèce (arrêt du 1^er juillet 2009, KG Holding e.a./Commission, T‑81/07 à T‑83/07,
Rec, EU:T:2009:237, point 201).

111 Enfin, quant à l’argument de la requérante selon lequel la limitation de l’amortissement anticipé aux actifs financés par des contrats de leasing ne serait pas objectivement justifiée, force est de constater que l’article 115 de la LIS ne régit que les contrats de leasing. Partant, la mesure notifiée ne pouvait concerner que les contrats de leasing et non les autres formes de financement.»

82 Il résulte de ces motifs que, après avoir énoncé les arguments de la requérante, le Tribunal les a réfutés au terme d’une appréciation globale aux points 107 à 109 de l’arrêt attaqué. En outre, le Tribunal, aux points 110 et 111 de l’arrêt attaqué, a répondu de manière spécifique aux arguments de la requérante relatifs à la pratique décisionnelle antérieure de la Commission et à l’importance des contrats de leasing aux fins de l’analyse de la mesure notifiée. Ainsi, le Tribunal a, à
suffisance de droit, justifié sa conclusion, sans qu’il ne puisse être considéré qu’il était tenu de compléter son appréciation de la sélectivité de la mesure notifiée par un examen exhaustif de chacun des critères d’éligibilité de cette dernière.

83 C’est donc sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a exercé son contrôle sur la question de savoir si la différenciation entre les entreprises résultant du régime en cause ne résultait pas de la nature ou de l’économie du système fiscal dans lequel il s’inscrivait.

84 Dès lors, la troisième branche du troisième moyen n’est pas fondée.

85 Pour ce qui est de la quatrième branche de ce moyen, la requérante reproche au Tribunal d’avoir contredit la communication, dès lors qu’il a jugé, au point 109 de l’arrêt attaqué, que cette communication permet une différentiation du système fiscal, pourvu que cette dernière repose sur une justification rationnelle.

86 À cet égard, il convient d’observer que le point 23 de la communication énonce que «[l]a nature différentielle de certaines mesures ne doit pas nécessairement les faire considérer comme des aides d’État. Tel est le cas de celles dont la rationalité économique les rend ‘nécessaires ou fonctionnelles par rapport à l’efficacité du système fiscal’ [...]. Il appartient cependant à l’État membre de fournir une telle justification». Force est de constater que, d’une part, le Tribunal a exposé, au
point 103 de l’arrêt attaqué, le libellé de ce point 23 et, d’autre part, l’expression «justification rationnelle» utilisée au point 109 de cet arrêt, correspond, en substance, au critère figurant à ce même point 23.

87 Partant, il convient de rejeter la quatrième branche du troisième moyen comme étant non fondée et ce moyen dans son intégralité comme étant, en partie, irrecevable et, en partie, non fondé.

88 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le pourvoi dans son ensemble.

Sur les dépens

89 En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens.

90 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

91 La Commission ayant conclu à la condamnation de la Netherlands Maritime Technology Association et cette dernière ayant succombé en l’ensemble de ses moyens, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission afférents à la présente procédure.

92 Conformément à l’article 140, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, le Royaume d’Espagne, qui est intervenu au litige, supportera ses propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) déclare et arrête:

1) Le pourvoi est rejeté.

2) La Netherlands Maritime Technology Association est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne.

3) Le Royaume d’Espagne supporte ses propres dépens.

Signatures

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* Langue de procédure: l’anglais.


Synthèse
Formation : Sixième chambre
Numéro d'arrêt : C-100/15
Date de la décision : 14/04/2016
Type d'affaire : Pourvoi - non fondé, Pourvoi - irrecevable
Type de recours : Recours en annulation

Analyses

Pourvoi – Aides d’État – Système d’amortissement anticipé du coût de certains actifs acquis en location‑financement – Décision constatant l’absence d’aide d’État – Absence d’ouverture de la procédure formelle d’examen – Caractère insuffisant et incomplet de l’examen – Obligation de motivation – Sélectivité.

Concurrence

Aides accordées par les États


Parties
Demandeurs : Netherlands Maritime Technology Association, anciennement Scheepsbouw Nederland
Défendeurs : Commission européenne.

Composition du Tribunal
Avocat général : Wathelet
Rapporteur ?: Regan

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2016:254

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