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17/09/2015 | CJUE | N°C-179/14

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général M. Y. Bot, présentées le 17 septembre 2015., Commission européenne contre Hongrie., 17/09/2015, C-179/14


CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. YVES BOT

présentées le 17 septembre 2015 ( 1 )

Affaire C‑179/14

Commission européenne

contre

Hongrie

«Manquement d’État — Article 49 TFUE — Liberté d’établissement — Article 56 TFUE — Libre prestation des services — Directive 2006/123/CE — Articles 14 à 16 — Émission de titres repas fiscalement avantageux — Restrictions — Justification — Monopole»

1.  Par le présent recours, la Commission européenne demande Ã

  la Cour de constater que, en adoptant la nouvelle réglementation nationale entrée en vigueur à compter du 1er janvier 2012 et relative à l’émissi...

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. YVES BOT

présentées le 17 septembre 2015 ( 1 )

Affaire C‑179/14

Commission européenne

contre

Hongrie

«Manquement d’État — Article 49 TFUE — Liberté d’établissement — Article 56 TFUE — Libre prestation des services — Directive 2006/123/CE — Articles 14 à 16 — Émission de titres repas fiscalement avantageux — Restrictions — Justification — Monopole»

1.  Par le présent recours, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, en adoptant la nouvelle réglementation nationale entrée en vigueur à compter du 1er janvier 2012 et relative à l’émission de titres repas ainsi que de titres loisirs et vacances, la Hongrie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 14, point 3, 15, paragraphes 1, 2, sous b) et d), et 3, ainsi que 16 de la directive 2006/123/CE ( 2 ) et des articles 49 TFUE et 56 TFUE.

2.  Dans la première partie de son recours, la Commission considère, en substance, que cette réglementation soumettrait désormais l’émission de la carte électronique Széchenyi (ci-après la «carte SZÉP») à des conditions restrictives telles que seuls les établissements financiers ayant leur siège social en Hongrie pourraient émettre cette carte ( 3 ), ce qui serait contraire aux dispositions de la directive 2006/123 relatives à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services.

3.  Dans la seconde partie de son recours, la Commission estime, en substance, que ladite réglementation violerait également les articles 49 TFUE et 56 TFUE, dans la mesure où elle conférerait à une fondation d’utilité publique, à savoir la Magyar Nemzeti Üdülési Alapítvány (Fondation nationale hongroise pour les vacances, ci-après la «FNHV»), le monopole de l’émission de titres qui permettent aux salariés d’une entreprise d’obtenir des avantages en nature sous la forme de repas prêts à la
consommation (ci-après les «titres Erzsébet»).

4.  Dans les présentes conclusions, nous inviterons, d’abord, la Cour à déclarer le recours recevable, à l’exception du moyen imprécis relatif à l’exigence d’une relation contractuelle depuis au moins cinq ans avec une mutuelle pour émettre la carte SZÉP.

5.  Nous exposerons, ensuite, les motifs pour lesquels nous estimons, en premier lieu, que la réglementation hongroise relative à cette carte constitue une violation des articles 14, point 3, 15, paragraphes 1, 2, sous b), et 3, ainsi que 16 de la directive 2006/123 et, en second lieu, que le grief concernant la violation de l’article 15, paragraphe 2, sous d), de cette directive doit être rejeté comme étant non fondé.

6.  Enfin, nous indiquerons les raisons pour lesquelles nous considérons que le recours doit être accueilli en ce qui concerne le grief relatif aux titres Erzsébet.

I – Le cadre juridique

A – Le droit de l’Union

1. Le traité FUE

7. Selon l’article 49, premier alinéa, TFUE:

«Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la liberté d’établissement des ressortissants d’un État membre dans le territoire d’un autre État membre sont interdites. Cette interdiction s’étend également aux restrictions à la création d’agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d’un État membre établis sur le territoire d’un État membre.»

8. L’article 56, premier alinéa, TFUE dispose:

«Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la libre prestation des services à l’intérieur de l’Union sont interdites à l’égard des ressortissants des États membres établis dans un État membre autre que celui du destinataire de la prestation.»

2. La directive 2006/123

9. La section 2, intitulée «Exigences interdites ou soumises à évaluation», du chapitre III de la directive 2006/123, relatif à la «[l]iberté d’établissement des prestataires», se compose des articles 14 et 15.

10. L’article 14 de cette directive, portant sur les «[e]xigences interdites», prévoit:

«Les États membres ne subordonnent pas l’accès à une activité de services ou son exercice sur leur territoire au respect de l’une des exigences suivantes:

[...]

3) les limites à la liberté du prestataire de choisir entre un établissement à titre principal ou à titre secondaire, en particulier l’obligation pour le prestataire d’avoir son établissement principal sur leur territoire, ou les limites à la liberté de choisir entre l’établissement sous forme d’agence, de succursale ou de filiale;

[...]»

11. L’article 15 de ladite directive, relatif aux «[e]xigences à évaluer», dispose:

«1.   Les États membres examinent si leur système juridique prévoit les exigences visées au paragraphe 2 et veillent à ce que ces exigences soient compatibles avec les conditions visées au paragraphe 3. Les États membres adaptent leurs dispositions législatives, réglementaires ou administratives afin de les rendre compatibles avec ces conditions.

2.   Les États membres examinent si leur système juridique subordonne l’accès à une activité de service ou son exercice au respect de l’une des exigences non discriminatoires suivantes:

[...]

b) les exigences qui imposent au prestataire d’être constitué sous une forme juridique particulière;

[...]

d) les exigences autres que celles relatives aux matières couvertes par la directive 2005/36/CE [ ( 4 )] ou que celles prévues dans d’autres instruments communautaires, qui réservent l’accès à l’activité de service concernée à des prestataires particuliers en raison de la nature spécifique de l’activité;

[...]

3.   Les États membres vérifient que les exigences visées au paragraphe 2 remplissent les conditions suivantes:

a) non-discrimination: les exigences ne sont pas directement ou indirectement discriminatoires en fonction de la nationalité ou, en ce qui concerne les sociétés, de l’emplacement de leur siège statutaire;

b) nécessité: les exigences sont justifiées par une raison impérieuse d’intérêt général;

c) proportionnalité: les exigences doivent être propres à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi, ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif et d’autres mesures moins contraignantes ne doivent pas permettre d’atteindre le même résultat.

[...]»

12. Figurant au chapitre IV de la directive 2006/123, intitulé «Libre circulation des services», l’article 16 de celle-ci porte sur la «[l]ibre prestation des services». Il énonce:

«1.   Les États membres respectent le droit des prestataires de fournir des services dans un État membre autre que celui dans lequel ils sont établis.

L’État membre dans lequel le service est fourni garantit le libre accès à l’activité de service ainsi que son libre exercice sur son territoire.

Les États membres ne peuvent pas subordonner l’accès à une activité de service ou son exercice sur leur territoire à des exigences qui ne satisfont pas aux principes suivants:

a) la non-discrimination: l’exigence ne peut être directement ou indirectement discriminatoire en raison de la nationalité ou, dans le cas de personnes morales, en raison de l’État membre dans lequel elles sont établies;

b) la nécessité: l’exigence doit être justifiée par des raisons d’ordre public, de sécurité publique, de santé publique ou de protection de l’environnement;

c) la proportionnalité: l’exigence doit être propre à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.

2.   Les États membres ne peuvent pas restreindre la libre prestation de services par un prestataire établi dans un autre État membre en imposant l’une des exigences suivantes:

a) l’obligation pour le prestataire d’avoir un établissement sur leur territoire;

[...]

3.   Les présentes dispositions n’empêchent pas l’État membre dans lequel le prestataire se déplace pour fournir son service d’imposer des exigences concernant la prestation de l’activité de service lorsque ces exigences sont justifiées par des raisons d’ordre public, de sécurité publique, de santé publique ou de protection de l’environnement et conformément au paragraphe 1 [...].

[...]»

B – Le droit hongrois

1. Le régime des avantages en nature

13. L’article 71 de la loi no CXVII de 1995 relative à l’impôt sur le revenu permet aux employeurs d’octroyer à leurs salariés des avantages en nature à des conditions fiscales avantageuses.

14. Le régime de ces avantages en nature a été sensiblement modifié par la loi no CLVI de 2011 portant modification de certaines lois fiscales et d’autres lois relatives à ces lois fiscales ( 5 ). Conformément à son article 477, cette loi est entrée en vigueur le 1er janvier 2012. L’article 71 de la loi relative à l’impôt sur le revenu, tel que modifié par la loi no CLVI de 2011, dispose:

«1.   Sont qualifiées d’avantages en nature accordés par l’employeur au salarié:

a) la part du revenu n’excédant pas le montant du salaire minimum par personne et par année fiscale, accordée au salarié à titre personnel et au titre des membres de sa famille par l’intermédiaire de prestations de vacances, fournies dans la résidence de vacances détenue ou administrée par l’employeur;

b) au choix de l’employeur,

ba) la part du revenu n’excédant pas 12500 HUF, accordée en vue de la consommation de repas effectuée dans le cadre de prestations qualifiées de restauration sur le lieu de travail (à la cantine), au point de restauration opérant sur le site de l’employeur [y compris les chèques et/ou titres électroniques émis par l’employeur ou la personne exploitant le point de restauration, susceptibles d’être utilisés exclusivement au point de restauration (à la cantine) opérant sur le site de l’employeur,
utilisables aux fins et avec la valeur susmentionnées], et/ou

bb) sur le revenu accordé sous la forme de titres Erzsébet, la part du revenu n’excédant pas 5000 HUF mensuels, octroyée au titre de chaque mois entamé de la relation juridique servant de base audit avantage (même à effet rétroactif dans la même année fiscale);

c) concernant la carte [SZÉP],

ca) l’aide plafonnée à un montant de 225000 HUF dans une même année fiscale si elle provient de plusieurs émetteurs, virée sur le sous-compte ‘hébergement’ de la carte, utilisable aux fins des prestations d’hébergement visées par le décret [gouvernemental no 55/2011, du 12 avril 2011, régissant l’émission et l’utilisation de la carte de loisirs Széchenyi ( 6 )];

cb) l’aide plafonnée à un montant de 150000 HUF dans une même année fiscale si elle provient de plusieurs émetteurs, virée sur le sous-compte ‘restauration’ de la carte, utilisable aux fins des prestations de restauration visées par le décret [SZÉP] et fournies en des points de restauration chaude (restauration sur le lieu de travail comprise);

cc) l’aide plafonnée à un montant de 75000 HUF dans une même année fiscale si elle provient de plusieurs émetteurs, virée sur le sous-compte ‘loisirs’ de la carte, utilisable aux fins des prestations visées par le décret [SZÉP] et censées servir à des fins de loisirs, de récréation et de préservation de la santé;

[...]»

2. La carte SZÉP

15. L’article 13 du décret SZÉP dispose:

«Est habilité à émettre la carte tout prestataire de services au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous d), de la loi no XCVI de 1993 sur les fonds d’assurance mutuelle (ci-après la ‘loi sur les mutuelles’) – à l’exception des personnes physiques et des prestataires de services liés par contrat audit prestataire de services – qui a été constitué pour une durée indéterminée ou pour une durée déterminée d’au moins cinq ans à compter du début de l’émission de la carte et qui, conjointement avec la
même société commerciale reconnue comme étant un groupe de sociétés ou fonctionnant effectivement comme tel au sens de la loi no IV de 2006 [sur les sociétés commerciales], ou conjointement avec la mutuelle définie à l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la loi sur les mutuelles, avec laquelle le prestataire de services entretient une relation contractuelle depuis au moins cinq ans – à l’exception des activités de gestion de dépôts et des placements d’investissement – satisfait à chacune des
conditions suivantes:

a) dispose d’un bureau ouvert à la clientèle dans chaque commune de Hongrie dont la population est supérieure à 35000 habitants;

b) au cours de son dernier exercice clôturé, a émis lui-même dans le cadre de ses services de paiement au moins 100000 instruments de paiement autres que des espèces;

c) dispose d’au moins deux ans d’expérience en matière d’émission de cartes de titres électroniques ouvrant droit à des avantages en nature au sens de l’article 71 de la loi relative à l’impôt sur le revenu et a émis plus de 25000 cartes de titres d’après les chiffres de son dernier exercice clôturé.

[...]»

16. En vertu de l’article 2, paragraphe 2, sous d), de la loi sur les mutuelles, le prestataire de services est défini comme suit:

«‘prestataire de services’: toute personne physique, morale et société commerciale sans personnalité juridique qui, sur la base du contrat conclu avec la mutuelle, effectue pour le compte de cette dernière des opérations qui relèvent des activités de la mutuelle, les rendent possibles ou les favorisent, ou qui fournit elle-même des prestations propres à la mutuelle, à l’exclusion des prestataires de services des caisses maladie [...].»

17. Selon l’article 1er de la loi sur les sociétés commerciales:

«1.   La présente loi régit la création, l’organisation et le fonctionnement des sociétés commerciales disposant d’un siège sur le territoire de Hongrie [...].

2.   [...] en outre, la présente loi régit la création et le fonctionnement des groupes de sociétés reconnus [...].»

18. L’article 2 de cette loi prévoit:

«1.   Une société commerciale ne peut être constituée que sous la forme prévue par la présente loi.

2.   Les sociétés en nom collectif (SNC) et les sociétés en commandite simple (SCS) n’ont pas la personnalité juridique. Ont la personnalité juridique les sociétés à responsabilité limitée (SARL) et les sociétés anonymes (SA).»

19. En vertu de l’article 55 de ladite loi:

«1.   Conformément aux termes de la loi comptable, la société commerciale tenue de déposer des comptes annuels consolidés (société dominante) et la société anonyme ou la société à responsabilité limitée sur laquelle la société dominante dispose d’une influence déterminante au sens de la loi comptable (société contrôlée) peuvent décider de fonctionner comme groupe de sociétés reconnu en passant entre elles un contrat de domination en vue de la réalisation de leurs objectifs commerciaux communs.

[...]

3.   L’immatriculation du fonctionnement en groupe de sociétés reconnu au registre du commerce et des sociétés ne créera pas un sujet de droit distinct des sociétés commerciales faisant partie du groupe.»

20. Selon l’article 64, paragraphe 1, de la loi sur les sociétés commerciales:

«Les termes de l’article 60 sont applicables même en cas d’absence de contrat de domination et d’immatriculation en tant que groupe de sociétés reconnu à condition que, à la suite d’une coopération durable, non interrompue, existant au moins depuis trois ans entre la société dominante et la (les) société(s) contrôlée(s), les sociétés commerciales appartenant au même groupe de sociétés exercent leurs activités selon la même stratégie commerciale et que leur comportement effectif garantisse une
répartition prévisible et équilibrée des avantages et des inconvénients issus du fonctionnement en groupe.»

21. L’article 2, sous b), de la loi no CXXXII de 1997 sur les succursales et les agences commerciales des entreprises ayant leur siège à l’étranger (ci-après la «loi sur les succursales») définit le terme «succursale» de la manière suivante:

«‘succursale’: toute unité d’exploitation sans personnalité juridique de l’entreprise étrangère, dotée d’autonomie commerciale, qui a été immatriculée au registre national du commerce et des sociétés en tant que succursale de l’entreprise étrangère, comme forme autonome de société».

3. Les titres Erzsébet

22. Conformément à l’article 3, point 87, de la loi relative à l’impôt sur le revenu, tel que modifié par l’article 1er, paragraphe 5, de la loi no CLVI de 2011, les titres Erzsébet sont définis de la manière suivante:

«‘titres Erzsébet’: titres émis par la [FNHV] sous la forme électronique ou sous la forme papier, utilisables à l’achat de repas prêts à la consommation [...].»

23. Les titres Erzsébet relèvent du programme Erzsébet, lequel est régi par la loi no CIII de 2012 sur le programme Erzsébet.

24. Selon l’article 1er de cette loi:

«Le programme Erzsébet vise à réduire significativement, dans le cadre existant, le nombre des personnes socialement démunies, et en particulier celui des enfants, qui n’ont pas la possibilité de se restaurer plusieurs fois par jour, de bénéficier d’une alimentation saine adaptée à leur âge, de jouir de l’état de santé requis pour l’acquisition du savoir et du repos nécessaire à la régénération.»

25. L’article 2 de ladite loi dispose:

«1.   Aux fins de la présente loi, on entend par:

a) ‘programme Erzsébet’: tout programme et toute prestation à visée sociale organisés et réalisés par l’État en vue de la mise en œuvre des objectifs visés à l’article 1er, n’ayant pas de rôle à but lucratif sur le marché;

b) ‘titres Erzsébet’: titres émis par la [FNHV], utilisables:

ba) à l’achat de repas prêts à la consommation [...];

2.   La mise en œuvre du programme Erzsébet est assurée par la FNHV.

[...]»

26. La FNHV est une fondation d’utilité publique immatriculée en Hongrie. Elle peut affecter le patrimoine qui lui a été attribué à des fins de vacances sociales, à la fourniture des services et des prestations connexes ainsi qu’à la mise en œuvre d’autres programmes d’ordre social.

27. L’article 6 de la loi sur le programme Erzsébet prévoit:

«1.   La [FNHV] peut, pour l’exécution des tâches en rapport avec le programme Erzsébet, conclure des accords avec des organismes civils, des sociétés commerciales et toute autre personne physique ou morale.

2   En vue de l’accomplissement des missions publiques définies [dans la loi], l’État favorise l’établissement, le développement et l’exploitation d’hôtels et de campings servant de base aux missions de vacances sociales et aux programmes pour les jeux et les enfants.»

28. L’article 7 de cette loi a trait à l’entrée en vigueur de celle-ci.

II – La procédure précontentieuse

29. Estimant que, en adoptant la nouvelle réglementation nationale relative aux titres repas, aux titres loisirs et aux titres vacances, la Hongrie avait manqué à ses obligations au regard des articles 9, 10, 14, point 3, 15, paragraphes 1, 2, sous b) et d), et 3, ainsi que 16 de la directive 2006/123 et des articles 49 TFUE et 56 TFUE, la Commission a, le 21 juin 2012, adressé une lettre de mise en demeure à cet État membre.

30. Par lettre en réponse du 20 juillet 2012, la Hongrie a constaté que l’introduction des restrictions relevées par la Commission serait justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général. Dans le même temps, elle a présenté des propositions d’amendement des dispositions relatives à la carte SZÉP, afin d’harmoniser celles-ci avec le droit de l’Union. S’agissant des titres Erzsébet, la Hongrie a communiqué, dans l’annexe jointe à sa réponse, les nouvelles dispositions relatives au programme
Erzsébet et à ses objectifs, adoptées au mois de juillet 2012.

31. Par lettre du 22 novembre 2012, la Commission a adressé un avis motivé à la Hongrie dans lequel elle maintenait que la réglementation hongroise relative à la carte SZÉP et aux titres Erzsébet méconnaissait les dispositions visées dans sa lettre de mise en demeure.

32. Par lettre du 27 décembre 2012, la Hongrie a répondu à cet avis motivé en réitérant, en substance, les observations qu’elle avait formulées dans sa lettre du 20 juillet 2012 et en continuant à contester tout manquement.

33. Jugeant ces réponses insatisfaisantes, la Commission, par requête du 10 avril 2014, a introduit le présent recours.

III – Les conclusions des parties

34. La Commission conclut à ce qu’il plaise à la Cour:

— constater que, avec l’introduction et le maintien du régime de la carte SZÉP régi par le décret SZÉP (et amendé par la loi no CLVI de 2011), la Hongrie a violé la directive 2006/123 dans la mesure où:

— l’article 13 du décret SZÉP, lu en combinaison avec l’article 2, paragraphe 2, sous d), de la loi sur les mutuelles, avec l’article 2, sous b), de la loi sur les succursales ainsi qu’avec les articles 1er, 2, paragraphes 1 et 2, 55, paragraphes 1 et 3, et 64, paragraphe 1, de la loi sur les sociétés commerciales, exclut que des succursales puissent émettre la carte SZÉP et viole, par conséquent, les articles 14, point 3, et 15, paragraphe 2, sous b), de la directive 2006/123;

— l’article 13 du décret SZÉP, lu en combinaison avec les articles 1er, 2, paragraphes 1 et 2, 55, paragraphes 1 et 3, et 64, paragraphe 1, de la loi sur les sociétés commerciales, avec l’article 2, paragraphe 2, sous d), de la loi sur les mutuelles ainsi qu’avec l’article 2, sous b), de la loi sur les succursales, ne reconnaît pas, au regard du respect des conditions prévues à l’article 13, sous a) à c), du décret SZÉP, l’activité des groupes dont la société mère n’est pas une société
constituée selon le droit hongrois et dont les membres ne fonctionnent pas sous des formes de société prévues par le droit hongrois et viole, par conséquent, l’article 15, paragraphes 1, 2, sous b), et 3, de la directive 2006/123;

— l’article 13 du décret SZÉP, lu en combinaison avec les articles 1er, 2, paragraphes 1 et 2, 55, paragraphes 1 et 3, et 64, paragraphe 1, de la loi sur les sociétés commerciales, avec l’article 2, paragraphe 2, sous d), de la loi sur les mutuelles ainsi qu’avec l’article 2, sous b), de la loi sur les succursales, réserve la possibilité d’émission de la carte SZÉP aux banques et aux établissements financiers, étant donné que seuls ces organismes peuvent réunir les conditions prévues audit
article 13 et viole, par conséquent, l’article 15, paragraphes 1, 2, sous d), et 3, de la directive 2006/123;

— l’article 13 du décret SZÉP est contraire à l’article 16 de la directive 2006/123, dans la mesure où il prescrit, pour l’émission de la carte SZÉP, l’existence d’un établissement en Hongrie;

— à titre subsidiaire, dans la mesure où les dispositions de la directive 2006/123 mentionnées au premier tiret ne couvrent pas les dispositions nationales mentionnées sous ce même tiret, constater que le régime de la carte SZÉP régi par le décret SZÉP est contraire aux articles 49 TFUE et 56 TFUE;

— constater que le régime des titres Erzsébet régi par la loi no CLVI de 2011 et par la loi no CIII de 2012, créant un monopole au profit d’organismes publics dans le domaine de l’émission des titres repas froids et dont l’entrée en vigueur a eu lieu sans période ni mesures transitoires appropriées, est contraire aux articles 49 TFUE et 56 TFUE, dans la mesure où les articles 1er, paragraphe 5, et 477 de la loi no CLVI de 2011 ainsi que les articles 2, paragraphes 1 et 2, 6 et 7 de la loi
no CIII de 2012 prévoient des restrictions non proportionnelles;

— condamner la Hongrie aux dépens.

35. La Hongrie conclut à ce qu’il plaise à la Cour:

— rejeter le recours de la Commission comme étant non fondé pour la partie relative au système de la carte SZÉP et comme étant irrecevable pour la partie relative au système des titres Erzsébet.

— à titre subsidiaire, rejeter le recours comme étant non fondé en ce qui concerne ces deux systèmes.

— condamner la Commission aux dépens.

IV – Le recours

A – Sur la recevabilité

1. Les principaux arguments des parties

36. Dans son mémoire en défense, la Hongrie invoque l’irrecevabilité du grief relatif aux titres Erzsébet au motif que le point des conclusions de la Commission y afférent serait équivoque.

37. Selon la Hongrie, en premier lieu, ce point des conclusions viserait de manière erronée les «articles 1er et 5» de la loi no CLVI de 2011 au lieu de l’article 1er, paragraphe 5, de celle-ci. La Hongrie soutient, en deuxième lieu, qu’elle ne comprend pas pour quelles raisons l’article 477 de cette loi ainsi que les dispositions concernant la loi sur le programme Erzsébet, à savoir les articles 2, paragraphes 1 et 2, 6, paragraphes 1 et 2, et 7, visés dans les conclusions de la requête de la
Commission, constitueraient une violation du droit de l’Union. La Hongrie relève, en troisième lieu, que, au regard des dispositions nationales citées par la Commission, il semblerait qu’il soit fait grief à l’ensemble de la réglementation relative au programme Erzsébet, ce qui contredirait l’affirmation de la Commission selon laquelle la requête ne concernerait pas les actions de politique sociale mises en œuvre dans le cadre de ce programme.

38. La Commission estime que les affirmations de la Hongrie ne sauraient être accueillies.

2. Notre appréciation

39. Après avoir expliqué les raisons pour lesquelles nous considérons, à l’instar de la Commission, que les moyens d’irrecevabilité relatifs à la réglementation concernant les titres Erzsébet doivent être rejetés, un examen de la recevabilité des griefs relatifs à la carte SZÉP nous semble nécessaire.

a) Sur la recevabilité du grief relatif aux titres Erzsébet

40. En premier lieu, nous constatons que la Commission, dans son mémoire en réplique, a reconnu l’erreur commise dans la référence à la loi no CLVI de 2011, en indiquant que la référence correcte est non pas celle aux articles 1er et 5 de cette loi, mais celle à l’article 1er, paragraphe 5, de celle-ci. La Commission a alors soumis, par lettre séparée, un corrigendum concernant ce point. À l’instar de la Commission, nous estimons que cette erreur ne compromet pas la bonne compréhension de la
requête.

41. En second lieu, nous estimons qu’il ressort sans équivoque du point 74 de la requête que le recours de la Commission ne vise qu’un seul volet de la réglementation hongroise relative aux titres Erzsébet et non pas l’ensemble des actions de politique sociale mises en œuvre dans le cadre du programme Erzsébet. En effet, à ce point 74, la Commission constate que le recours «ne vise le régime des titres Erzsébet que dans la mesure où celui-ci prévoit que la contribution de l’employeur à l’achat de
repas prêts à la consommation ne peut être considérée comme un avantage en nature que si cet achat s’effectue à l’aide des titres Erzsébet».

42. À ce titre, la référence, dans les conclusions de la requête, aux deux lois nationales qui instaurent ce nouveau régime des titres Erzsébet, et plus précisément à certaines dispositions nationales relatives, notamment, à la définition de ces titres et à l’entrée en vigueur du régime, nous semble pertinente.

43. En outre, à l’instar de la Commission, nous estimons que, en vertu du principe de coopération loyale, la Hongrie aurait dû, dès la phase précontentieuse, faire valoir d’éventuelles incohérences concernant les dispositions nationales mises en cause par la Commission.

44. En tout état de cause, nous considérons que le grief relatif aux titres Erzsébet, tel qu’il figure dans les conclusions de la requête, n’a pas empêché la Hongrie de faire valoir ses arguments et n’a donc pas limité ses droits de la défense. À ce titre, nous notons que la Hongrie a, notamment, considéré, dans son mémoire en duplique, qu’«il [était] possible de faire valoir des arguments de fond à l’encontre des griefs de la Commission» ( 7 ).

45. Au regard des éléments qui précèdent, nous considérons que le recours doit être déclaré comme étant recevable en ce qui concerne le grief relatif au régime des titres Erzsébet.

b) Sur la recevabilité des griefs relatifs à la carte SZÉP

46. À la lecture de la requête, nous considérons que celle-ci n’est pas d’une clarté absolue s’agissant de certains griefs relatifs à la réglementation concernant la carte SZÉP, notamment en raison d’une incohérence entre le texte même de la requête et les conclusions de celle-ci.

47. À cet égard, nous relevons que, dans sa requête, la Commission constate que l’exigence selon laquelle une entreprise peut satisfaire aux conditions prévues à l’article 13 du décret SZÉP en ayant conclu un contrat avec une mutuelle, pourvu que cette relation contractuelle dure depuis au moins cinq ans, «[porterait] atteinte à l’article 49 TFUE, parce qu’elle [restreindrait] sans motif valable le cercle des entreprises susceptibles d’émettre la carte SZÉP» ( 8 ). Or, dans les conclusions de la
requête, nous ne trouvons plus de trace de ce moyen.

48. Interrogée sur ce point lors de l’audience, la Commission a précisé que, selon elle, cette condition n’entre pas dans le champ d’application de la directive 2006/123 et devrait donc être appréciée au regard de l’article 49 TFUE. En outre, elle a estimé que ladite condition, prise ensemble avec les autres conditions visées à l’article 13 du décret SZÉP, serait couverte par l’article 15, paragraphe 2, sous d), de la directive 2006/123, interdisant les exigences qui réservent l’accès à l’activité
de services concernée à des prestataires particuliers en raison de la nature spécifique de l’activité. Selon la Commission, ce moyen serait ainsi indirectement visé au troisième grief des conclusions de la requête.

49. En dehors du fait que la motivation de la Commission est très succincte concernant cette violation alléguée, nous constatons que celle-ci ne répond pas non plus aux exigences en termes de cohérence et de précision conformément à une jurisprudence établie, laquelle se fonde sur l’actuel article 120, sous c), du règlement de procédure de la Cour ( 9 ).

50. En effet, conformément à cette jurisprudence, toute requête introductive d’instance doit indiquer l’objet du litige et l’exposé sommaire des moyens, et cette indication doit être «suffisamment claire et précise» pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et à la Cour d’exercer son contrôle. Il en découle que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels un recours est fondé doivent ressortir d’une façon cohérente et compréhensible du texte de la requête elle-même
et que les conclusions de cette dernière doivent être formulées de manière non équivoque afin d’éviter que la Cour ne statue ultra petita ou bien n’omette de statuer sur un grief ( 10 ).

51. Par ailleurs, la Cour a constaté que ces exigences découlant de l’article 120, sous c), du règlement de procédure de la Cour peuvent faire l’objet d’un examen d’office ( 11 ).

52. Nous ajoutons que la Cour a également jugé que, «dans le cadre d’un recours formé en application de l’article 258 TFUE, celui-ci doit présenter les griefs de façon cohérente et précise, afin de permettre à l’État membre et à la Cour d’appréhender exactement la portée de la violation du droit de l’Union reprochée, condition nécessaire pour que ledit État puisse faire valoir utilement ses moyens de défense et pour que la Cour puisse vérifier l’existence du manquement allégué» ( 12 ).

53. Au regard de ce qui précède, nous considérons que le présent recours doit être déclaré irrecevable en ce qui concerne le moyen relatif à l’exigence d’une relation contractuelle d’au moins cinq ans avec une mutuelle, telle que visée à l’article 13 du décret SZÉP.

B – Sur le fond

54. Avant de se pencher sur le grief relatif aux titres Erzsébet, nous examinerons les griefs concernant la carte SZÉP.

1. Les griefs relatifs à la carte SZÉP

a) L’applicabilité de la directive 2006/123

i) Les principaux arguments des parties

55. Dans sa requête, la Commission considère que la conformité de la réglementation hongroise relative à la carte SZÉP avec le droit de l’Union devrait être appréciée, à titre principal, au regard de la directive 2006/123. C’est seulement si cette directive ne trouvait pas à s’appliquer qu’il conviendrait, selon elle, d’effectuer l’examen de la compatibilité de cette réglementation avec le droit de l’Union au regard des articles 49 TFUE et 56 TFUE.

56. Selon la Commission, la directive 2006/123 serait applicable, en l’espèce, dans la mesure où l’émission et l’utilisation de la carte SZÉP ne constitueraient pas l’un des services qui ont été expressément exclus du champ d’application de cette directive. En effet, la Commission relève que le décret SZÉP ne saurait être qualifié ni de «dispositif fiscal», au sens de l’article 2, paragraphe 3, de la directive 2006/123 ( 13 ), ni de «service financier», au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous b),
de ladite directive ( 14 ).

57. Il ressort des pièces du dossier que la Hongrie avait contesté, durant la phase précontentieuse, l’applicabilité de la directive 2006/123, en considérant que l’activité d’émission et d’utilisation de la carte SZÉP, telle qu’elle ressort de la réglementation nationale en cause, constituerait un service financier et échapperait ainsi au champ d’application de cette directive.

ii) Notre appréciation

58. À l’instar de la Commission, nous estimons que l’applicabilité de la directive 2006/123 ne fait pas de doute, et ce pour les raisons suivantes.

59. En premier lieu, nous notons que le champ d’application de la directive 2006/123 a été déterminé par la négative ( 15 ), c’est-à-dire qu’elle s’applique aux services fournis par les prestataires ayant leur établissement dans un État membre ( 16 ), à l’exception de ceux qui ont été expressément exclus par ladite directive.

60. Comme la Commission, nous considérons que l’activité d’émission de la carte SZÉP ne relève pas de la matière fiscale, au sens de l’article 2, paragraphe 3, de la directive 2006/123, et ne constitue pas un service financier ayant trait aux paiements, au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous b), de cette directive, de sorte que celle-ci trouve à s’appliquer dans le présent recours.

61. S’agissant de la matière fiscale, il ressort des pièces du dossier que les dispositions nationales en cause ne concernent pas les avantages en nature ou les aspects fiscaux proprement dits du régime de la carte SZÉP, mais ont trait à la seule activité d’émission de cette carte, laquelle donne, par ailleurs, droit à des avantages en nature. Ainsi, l’objet de ces dispositions nationales ne relève pas de la matière fiscale.

62. Concernant la qualification de «service financier», nous notons, à l’instar de la Commission, que, selon l’article 2, paragraphe 2, sous a), du décret SZÉP, la carte SZÉP «sert uniquement à l’identification du salarié bénéficiant de l’aide, des membres de sa famille, de son employeur, ainsi qu’à celle du prestataire de services, et ne se prête pas au stockage de monnaie électronique, ni à l’exécution d’opérations de paiement directes». Dans ce contexte, l’activité d’émission de cette carte ne
saurait être qualifiée de «service financier» ayant trait aux paiements.

63. En second lieu, nous considérons, comme la Commission, que les services offerts au moyen d’instruments tels que la carte SZÉP ne sont pas régis par une autre réglementation de l’Union qui concernerait spécifiquement les services financiers. À cet égard, la Commission relève, à juste titre, que ni la directive 2007/64/CE ( 17 ) ni la directive 2009/110/CE ( 18 ) ne couvrent l’activité d’émission de titres identiques à la carte SZÉP.

64. Or, l’exclusion des services financiers du champ d’application de la directive 2006/123 s’explique en raison de l’existence, en la matière, de dispositions spécifiques du droit de l’Union ( 19 ).

65. Par ailleurs, alors que la Hongrie aurait fait valoir, durant la phase précontentieuse, que la carte SZÉP pouvait être considérée comme un service financier, nous ne trouvons plus de trace d’un tel argument dans les mémoires déposés devant la Cour.

66. Ainsi, n’étant pas couverte par une réglementation spécifique en matière de service financier et ne relevant pas du domaine fiscal, l’activité en cause dans le présent recours entre dans le champ d’application de la directive 2006/123.

67. Au regard de l’ensemble des éléments qui précèdent, nous considérons que cette directive est applicable.

68. La question de savoir si la directive 2006/123 a procédé à une harmonisation exhaustive n’a pas été soulevée par les parties. Pourtant, comme la question de l’applicabilité de cette directive, son examen constitue un préalable nécessaire.

69. En effet, il ressort d’une jurisprudence constante que, lorsqu’un domaine a fait l’objet d’une harmonisation exhaustive au niveau de l’Union, toute mesure nationale y relative doit être appréciée au regard non pas des dispositions du droit primaire, mais de celles de la mesure d’harmonisation ( 20 ). Le constat d’une harmonisation exhaustive signifierait, notamment, que le recours aux justifications non visées par la directive 2006/123, à savoir les justifications expressément prévues aux
articles 52 TFUE et 62 TFUE ou encore certaines raisons impérieuses d’intérêt général développées par la jurisprudence, ne serait pas possible ( 21 ).

70. Cette question a fait l’objet de débats en doctrine ( 22 ).

71. Par un arrêt récent ( 23 ), la Cour, pour la première fois, s’est prononcée sur ladite question en considérant qu’«une interprétation de l’article 3, paragraphe 3, de la directive 2006/123, selon laquelle il serait permis aux États membres de justifier au titre du droit primaire une exigence interdite par l’article 14 de cette directive priverait cette dernière disposition de tout effet utile en désavouant, en définitive, l’harmonisation ciblée opérée par celle-ci» ( 24 ).

72. Sur ce point, la Cour a suivi les conclusions de l’avocat général Cruz Villalón dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt ( 25 ). Selon ce dernier, «la directive 2006/123, compte tenu de sa nature d’instrument horizontal couvrant une large gamme de services (tous ceux qui ne sont pas exclus expressément de son champ d’application matériel), ne vise pas à harmoniser de manière générale la réglementation matérielle des différents services au niveau national, mais procède cependant à une
harmonisation ponctuelle complète sur certains aspects concrets» ( 26 ). Il a ajouté qu’une telle harmonisation exhaustive ponctuelle complète aurait lieu pour les articles 14 et 16 de ladite directive ( 27 ).

73. Ainsi, selon la Cour, la directive 2006/123 a procédé à une harmonisation exhaustive en ce qui concerne son article 14 relatif à la liberté d’établissement pour les services relevant de son champ d’application. Nous estimons que la même solution doit être retenue pour les articles 15 et 16 de cette directive. En effet, comme pour l’article 14 de ladite directive, le législateur de l’Union y a établi une liste avec les exigences restrictives à éliminer de l’ordre juridique interne des États
membres ( 28 ).

74. Il s’ensuit que l’examen de la conformité de la réglementation hongroise en cause avec le droit de l’Union doit se faire au regard de la directive 2006/123.

b) La détermination de la liberté fondamentale concernée

i) Les principaux arguments des parties

75. Alors que la Commission estime que la réglementation hongroise relative à la carte SZÉP devrait être examinée au regard de la liberté d’établissement et de la libre prestation des services, la Hongrie estime, en revanche, que seule l’appréciation au titre de la liberté d’établissement serait pertinente.

76. En effet, la Hongrie constate que l’émission de cette carte ne saurait être effectuée que par une société disposant d’un établissement situé sur le territoire de l’État membre du lieu de la prestation des services.

77. À cet égard, La Hongrie considère que les émetteurs de cartes SZÉP devraient être ancrés organiquement dans la vie économique et sociale de la Hongrie, ce qui ne saurait se concevoir avec une prestation fournie de façon temporaire. De surcroît, elle indique que l’argument avancé par la Commission quant à la prestation de services transfrontalière, selon lequel la carte SZÉP peut être rechargée à distance ou que l’on peut créer, sans être présent en Hongrie, l’infrastructure nécessaire au
fonctionnement du système, tient tout au plus sur le plan théorique. La Hongrie ajoute que l’hypothèse de prestations de services limitrophes et effectuées au niveau régional serait irréaliste et méconnaîtrait la logique même de la carte SZÉP voulant que les prestataires acceptant celle-ci existent sur tout le territoire hongrois.

ii) Notre appréciation

78. Contrairement à la Hongrie, nous estimons que l’article 13 du décret SZÉP devrait être apprécié au regard tant des articles de la directive 2006/123 relatifs à la liberté d’établissement que de ceux relatifs à la libre prestation des services.

79. Il ressort d’une jurisprudence constante que, «[e]n ce qui concerne la délimitation des champs d’application respectifs des principes de la libre prestation des services et de la liberté d’établissement, il importe de déterminer si l’opérateur économique est établi ou non dans l’État membre dans lequel il offre le service en question [...]. Lorsqu’il est établi dans l’État membre dans lequel il offre ce service, il entre dans le champ d’application de la liberté d’établissement, tel que défini à
l’article [49 TFUE]. Lorsque, en revanche, l’opérateur économique n’est pas établi dans l’État membre de destination, il est un prestataire transfrontalier relevant du principe de la libre prestation des services prévu à l’article [56 TFUE]» ( 29 ).

80. Nous notons que la directive 2006/123 a procédé à la codification de cette jurisprudence ( 30 ), de sorte que ces principes s’appliquent également dans le cadre de l’application de ladite directive.

81. Ainsi, afin de déterminer si l’activité d’un opérateur doit relever de la liberté d’établissement, prévue aux articles 14 et 15 de la directive 2006/123, ou de la libre prestation des services, prévue à l’article 16 de celle-ci, il faut, d’abord, vérifier si l’opérateur est ou non établi ou a l’intention de s’établir dans un État membre autre que son État membre d’origine.

82. En l’occurrence, comme le constate la Commission, et elle n’a pas été contredite sur ce point par la Hongrie, les conditions visées à l’article 13 du décret SZÉP s’appliqueraient indistinctement tant aux entreprises établies en Hongrie qu’aux entreprises établies dans des États membres autres que la Hongrie.

83. À ce titre, nous notons que ces conditions reviennent, en substance, à exiger un «établissement permanent» en Hongrie pour toute entreprise souhaitant émettre la carte SZÉP.

84. Selon nous, l’exigence d’un établissement permanent serait susceptible de relever de la libre prestation des services «et» de la liberté d’établissement ( 31 ). En effet, une telle exigence relèverait de la libre prestation des services dans le cas où l’opérateur concerné ne serait pas établi en Hongrie et souhaiterait fournir le service en cause de manière transfrontalière. En revanche, dans le cas où l’opérateur concerné disposerait d’un établissement secondaire en Hongrie ou souhaiterait
s’établir dans cet État membre, cette même exigence relèverait alors de la liberté d’établissement ( 32 ).

85. En outre, l’argumentation de la Hongrie consistant à soutenir que, en raison de la complexité de l’activité d’émission de la carte SZÉP, l’émetteur devrait être ancré organiquement dans la vie économique et sociale de la Hongrie, de telle sorte que l’hypothèse d’une prestation transfrontalière serait impraticable, ne nous convainc pas.

86. En effet, nous estimons, à l’instar de la Commission, que, d’une part, une entreprise établie dans un État membre autre que la Hongrie et qui déciderait d’émettre la carte SZÉP dans cet État membre a le droit d’y utiliser l’infrastructure nécessaire aux fins de l’accomplissement de sa prestation et ne peut pas être obligée de s’y établir à cette fin ( 33 ) et, d’autre part, il ne saurait être exclu, en l’occurrence, que les entreprises établies dans des États membres autres que la Hongrie soient
intéressées à exercer, en Hongrie, une telle activité.

87. Au regard des éléments qui précèdent, nous considérons que, selon la situation concernée, l’une ou l’autre liberté serait susceptible d’être affectée. Nous verrons que l’exigence d’un établissement permanent en Hongrie constitue, selon nous, dans les deux cas, une violation des dispositions pertinentes de la directive 2006/123.

88. Avant d’examiner le premier grief, nous observons que, tant dans sa lettre de mise en demeure que dans son avis motivé, la Commission avait allégué une violation du régime hongrois relatif à la carte SZÉP au titre des articles 9 et 10 de cette directive. Une telle violation n’étant plus invoquée dans la requête, elle devrait être considérée comme étant abandonnée par la Commission, laquelle restreint ainsi l’objet de celle-ci, ce qui ne constitue évidemment pas une cause d’irrecevabilité ( 34 ).

c) Sur le premier grief, tiré de la violation des articles 14, point 3, et 15, paragraphe 2, sous b), de la directive 2006/123

89. D’emblée, nous constatons que, lors de l’audience, la Commission a précisé que, en ce qui concerne le premier grief relatif à l’exclusion des succursales de société étrangère, seul l’article 14, point 3, de la directive 2006/123 aurait été violé. Ainsi, elle a abandonné la référence à l’article 15, paragraphe 2, sous b), de cette directive. Notre appréciation se limitera donc à la violation alléguée de l’article 14, point 3, de ladite directive.

i) Les principaux arguments des parties

90. Dans sa requête, la Commission soutient que l’article 13 du décret SZÉP serait de nature discriminatoire et violerait l’article 14, point 3, de la directive 2006/123, dans la mesure où cet article 13 empêcherait les succursales hongroises de sociétés commerciales étrangères d’émettre la carte SZÉP.

91. Or, selon la Commission, l’article 14, point 3, de la directive 2006/123 interdirait clairement, sans aucune possibilité de justification, de subordonner l’accès à une activité de services ou son exercice sur le territoire hongrois à une exigence limitant la liberté du prestataire de choisir entre un établissement principal ou secondaire.

92. Selon la Hongrie, l’exclusion des succursales de sociétés étrangères serait justifiée par les raisons impérieuses d’intérêt général admises dans la jurisprudence de la Cour et dans la directive 2006/123, à savoir la protection des consommateurs ou des personnes qui font appel à des services ( 35 ) et la protection des créanciers. En effet, seules les entreprises qui seraient dûment intégrées à la vie économique hongroise pourraient exercer l’activité d’émission de cartes SZÉP, ce qui
impliquerait qu’il doive s’agir d’entreprises établies en Hongrie.

ii) Notre appréciation

93. Il ressort des pièces du dossier que le premier grief est fondé sur une interprétation effectuée par la Commission de l’article 13 du décret SZÉP, lu en combinaison avec la loi sur les mutuelles et avec la loi sur les succursales, selon laquelle une succursale d’une entreprise étrangère ne serait pas couverte par la définition du «prestataire de services» et ne pourrait donc émettre la carte SZÉP. Cette interprétation n’ayant pas été contestée par la Hongrie, nous la considérons comme établie.

94. À l’instar de la Commission, nous estimons que le fait qu’une succursale d’une entreprise étrangère ne saurait émettre la carte SZÉP constitue une restriction à la liberté d’établissement, au sens de l’article 14, point 3, de la directive 2006/123.

95. En effet, cette entreprise étrangère pourrait alors seulement émettre cette carte si elle créait un établissement principal en Hongrie. Or, une telle exigence est expressément prohibée par cette disposition.

96. Rappelons que, en vertu de ladite disposition, l’accès à une activité de services ou son exercice ne saurait être soumis, par les États membres, à une exigence qui limiterait la liberté du prestataire de choisir entre un établissement principal ou secondaire, en particulier celle pour le prestataire d’avoir son établissement principal sur leur territoire.

97. En outre, tout motif de justification, invoqué par la Hongrie, ne saurait être admis, étant donné que les exigences énumérées à l’article 14 de la directive 2006/123 ne peuvent être justifiées ( 36 ).

98. Comme l’a constaté la Cour, l’absence de possibilité de justification découle tant du libellé de cet article 14 que de l’économie générale de la directive 2006/123 ( 37 ).

99. D’une part, l’intitulé dudit article 14 indique que les exigences énumérées aux points 1 à 8 de celui-ci sont «interdites» ( 38 ).

100. D’autre part, l’économie générale de la directive 2006/123 repose, en ce qui concerne la liberté d’établissement, sur une distinction claire entre les exigences interdites, régies, comme précédemment constaté, par l’article 14 de cette directive, et celles soumises à évaluation, figurant à l’article 15 de ladite directive ( 39 ).

101. L’évaluation prévue à l’article 15 de la directive 2006/123 consiste pour les États membres, d’abord, à examiner si leur système juridique prévoit l’une des exigences énumérées au paragraphe 2 de cet article et, ensuite, à veiller à ce que celles-ci remplissent les conditions de non-discrimination, de nécessité et de proportionnalité visées au paragraphe 3 dudit article ( 40 ).

102. L’article 15, paragraphe 3, sous b), de la directive 2006/123 apporte la définition du caractère nécessaire. Ainsi, une exigence visée au paragraphe 2 de cet article doit être considérée comme nécessaire si elle est justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général.

103. Or, une telle possibilité de justification n’est pas prévue pour les exigences «interdites» énumérées à l’article 14 de la directive 2006/123 ( 41 ).

104. Il s’ensuit que l’exigence d’un établissement permanent prévue à l’article 13 du décret SZÉP, qui empêche la succursale hongroise d’une entreprise étrangère d’émettre la carte SZÉP, viole l’article 14, point 3, de la directive 2006/123.

105. Ainsi, le premier grief doit être accueilli.

d) Sur le deuxième grief, tiré de la violation de l’article 15, paragraphes 1, 2, sous b), et 3, de la directive 2006/123

i) Les principaux arguments des parties

106. La Commission constate que, en vertu de l’article 13 du décret SZÉP, une entreprise peut remplir les exigences prévues à cet article non seulement individuellement, mais également conjointement avec un groupe de sociétés reconnu par la loi sur les sociétés commerciales.

107. Néanmoins, ledit article, lu en combinaison avec les articles 1er, paragraphe 1, 2, paragraphe 1, 55, paragraphes 1 et 3, ainsi que 64 de la loi sur les sociétés commerciales, ne permettrait à une entreprise de remplir conjointement avec un tel groupe de sociétés les conditions d’émission de la carte SZÉP que si les sociétés commerciales de ce groupe sont constituées selon le droit hongrois, ont leur siège social sur le territoire hongrois et opèrent sous la forme de sociétés anonymes ou de
sociétés à responsabilité limitée.

108. Ainsi, selon la Commission, une entreprise ne serait pas capable de remplir les conditions d’émission de la carte SZÉP, figurant à l’article 13 du décret SZÉP, en s’associant à une société commerciale établie dans un État membre autre que la Hongrie. Le même constat s’imposerait également dans le cas où les entreprises membres du groupe auraient leur siège social en Hongrie et seraient constituées selon le droit hongrois, mais n’opéreraient pas sous la forme juridique de sociétés anonymes ou de
sociétés à responsabilité limitée.

109. La Commission considère que ces exigences seraient contraires à l’article 15, paragraphe 2, sous b), de la directive 2006/123, qui prévoit qu’une entreprise ne peut être obligée d’être constituée sous une forme juridique particulière. En outre, elle estime que de telles exigences seraient discriminatoires et que la Hongrie n’a ni apporté de justification ni établi leur caractère nécessaire et proportionné, de telle sorte qu’elles devraient être considérées comme contraires à l’article 15,
paragraphe 3, de cette directive.

110. Selon la Hongrie, les restrictions relatives aux groupes d’entreprises seraient justifiées par les raisons impérieuses d’intérêt général déjà évoquées.

ii) Notre appréciation

111. Dans le cas où le prestataire remplirait les conditions d’émission de la carte SZÉP conjointement avec une autre entreprise et ainsi en tant que groupe de sociétés ( 42 ), le fait d’exiger que les sociétés commerciales, membres de ce groupe, y compris la société mère, soient constituées selon le droit hongrois, ce qui impliquerait qu’elles disposent d’un siège social en Hongrie, et qu’elles soient constituées sous la forme juridique de sociétés anonymes ou de sociétés à responsabilité limitée,
viole-t-il l’article 15, paragraphe 2, sous b), de la directive 2006/123?

112. Nous notons qu’il ressort des pièces du dossier que ces deux exigences, relatives, premièrement, au siège social et, deuxièmement, à la forme juridique particulière, ressortiraient de l’article 13 du décret SZÉP, lu en combinaison avec les articles 1er, 2, paragraphes 1 et 2, 55, paragraphes 1 et 3, ainsi que 64, paragraphe 1, de la loi sur les sociétés commerciales.

113. Bien que nous estimions, à l’instar de la Commission, que lesdites exigences ne soient pas conformes à la directive 2006/123, nous ne pouvons adhérer, en revanche, à l’interprétation que celle-ci fait de l’article 15, paragraphe 2, sous b), de cette directive, dans la mesure où elle les fait toutes deux relever du champ d’application de cette disposition.

114. Selon nous, il convient d’analyser ces deux exigences de manière distincte. Contrairement à la Commission, nous estimons que l’exigence liée au siège social relève non pas de l’article 15, paragraphe 2, sous b), de ladite directive, mais de l’article 14, point 1, ou de l’article 16, paragraphe 2, sous a), de celle-ci, selon que la société commerciale du groupe de sociétés concerné souhaite s’établir en Hongrie ou fournir le service en cause de manière transfrontalière.

115. Notre appréciation se limitera alors à l’examen de l’exigence liée à la forme juridique telle que relevée par la Commission dans sa requête.

116. À l’instar de la Commission, nous constatons que l’exigence selon laquelle les entreprises fonctionnant comme un groupe de sociétés doivent être constituées sous la forme juridique de sociétés anonymes ou de sociétés à responsabilité limitée relève du champ d’application de l’article 15, paragraphe 2, sous b), de la directive 2006/123 ( 43 ).

117. Comme le considère à juste titre la Commission, cette exigence ne permet pas à des entreprises de remplir les conditions d’émission de la carte SZÉP en s’appuyant sur l’expérience acquise par une société commerciale constituée sous une forme juridique autre que celle prévue par le droit hongrois et elle exclut même les entreprises ayant leur siège social en Hongrie, mais qui n’opèrent pas sous la forme exigée.

118. Nous sommes d’avis qu’une telle exigence constitue un sérieux obstacle à l’établissement de prestataires provenant d’États membres autres que la Hongrie étant donné qu’elle pourrait les contraindre à changer leur forme ou leur structure juridique ( 44 ).

119. Il ressort du mémoire en défense de la Hongrie qu’elle ne conteste pas la nature restrictive de cette exigence. Elle estime, en revanche, qu’elle serait justifiée par la protection des consommateurs et des créanciers, sans apporter davantage de précisions concernant son caractère nécessaire et proportionné. En effet, la Hongrie se borne à soutenir que seules les entreprises constituées sous la forme juridique de sociétés anonymes ou de sociétés à responsabilité limitée disposeraient de
l’expérience et de l’infrastructure requises pour exercer l’activité d’émission de la carte SZÉP et pour garantir les exigences en termes de garanties qui découleraient de la nature de cette activité.

120. Bien que ces motifs puissent constituer des raisons impérieuses d’intérêt général, au sens de l’article 15, paragraphe 3, sous b), de la directive 2006/123 ( 45 ), justifiant l’exigence d’une forme juridique particulière, nous considérons qu’une telle exigence n’est pas propre à garantir la réalisation des objectifs poursuivis. En effet, les risques inhérents à l’activité des entreprises émettrices tels que décrits par la Hongrie, comme leur insolvabilité, ne sont pas directement liés à la
forme juridique de ces entreprises ( 46 ). Ainsi, nous ne comprenons pas en quoi cette exigence serait propre à garantir la protection des consommateurs et celle des créanciers.

121. Dans ces conditions, le deuxième grief doit être accueilli, dans la mesure où il concerne l’exigence relative à la forme juridique particulière.

e) Sur le troisième grief, tiré de la violation de l’article 15, paragraphes 1, 2, sous d), et 3, de la directive 2006/123

i) Les principaux arguments des parties

122. Selon la Commission, l’article 13 du décret SZÉP, lu en combinaison avec les articles 1er, 2, paragraphes 1 et 2, 55, paragraphes 1 et 3, ainsi que 64, paragraphe 1, de la loi sur les sociétés commerciales, avec l’article 2, paragraphe 2, sous d), de la loi sur les mutuelles et avec l’article 2, sous b), de la loi sur les succursales, réserverait la possibilité d’émission de la carte SZÉP aux banques et aux établissements financiers établis sur le marché hongrois, à savoir trois banques ayant
leur siège social en Hongrie, lesquelles seraient les seules capables de réunir les conditions prévues à l’article 13 du décret SZÉP.

123. Ainsi, selon la Commission, ce dernier article réserverait l’accès à l’activité de services concernée à des prestataires particuliers en raison de la nature spécifique de l’activité et violerait, par voie de conséquence, l’article 15, paragraphes 2, sous d), et 3, de la directive 2006/123, dans la mesure où ces conditions d’émission seraient indirectement discriminatoires et ne seraient ni nécessaires ni proportionnées.

124. S’agissant du caractère indirectement discriminatoire, la Commission considère que les conditions d’émission visées à l’article 13, sous b) et c), du décret SZÉP, relatives, respectivement, à l’émission par le prestataire d’au moins 100000 instruments de paiement autres que des espèces au cours de son dernier exercice clôturé et à deux ans d’expérience au moins en matière d’émission de titres électroniques sur le marché hongrois, excluraient l’entrée de nouvelles entreprises sur le marché
concerné et ne sauraient être respectées que par des entreprises déjà présentes sur le marché hongrois.

125. Quant aux raisons impérieuses d’intérêt général invoquées par la Hongrie pour justifier ces restrictions, à savoir la protection des consommateurs et celle des créanciers, la Commission relève que, prises individuellement, elles seraient conformes à la jurisprudence de la Cour et à l’article 4, point 8, de la directive 2006/123.

126. Néanmoins, selon la Commission, ces raisons ne satisferaient pas aux exigences en matière de nécessité et de proportionnalité. À ce titre, elle considère, notamment, premièrement, que la Hongrie n’a pas démontré dans quelle mesure sa nouvelle réglementation constituerait une réponse aux problèmes concrets qui auraient surgi sous l’empire de la réglementation antérieure, deuxièmement, que, dans la plupart des États membres, l’émission d’instruments identiques à la carte SZÉP n’était pas
subordonnée à des exigences comparables, troisièmement, que la protection des consommateurs et celle des créanciers contre des risques d’insolvabilité et d’inefficacité des émetteurs de cette carte pourraient être assurées par des mesures moins contraignantes telles que, par exemple, des systèmes de surveillance des émetteurs, de gestion du dépôt des montants mis en circulation, de garanties bancaires, la mise en place d’un service d’appels téléphoniques ou le recrutement de représentants
commerciaux, quatrièmement, que la Cour a déjà considéré qu’une exigence identique à celle relative à l’ouverture d’un bureau dans toutes les communes ayant une population supérieure à 35000 habitants était contraire au droit de l’Union ( 47 ) et, cinquièmement, que même les établissements de crédit ne seraient pas soumis à des conditions aussi strictes.

127. La Hongrie rappelle, d’abord, que les conditions d’émission strictes applicables à la carte SZÉP se justifieraient par les raisons impérieuses d’intérêt général déjà mentionnées.

128. La Hongrie précise, ensuite, que les risques dans le fonctionnement du régime de cette carte, notamment le risque d’insolvabilité, se concentrent sur l’émetteur de ladite carte ( 48 ). Ainsi, pour protéger au mieux l’employeur, le salarié et la personne qui accepte la carte SZÉP, l’adoption d’une réglementation avec des conditions d’émission strictes de cette carte était nécessaire. Par ailleurs, selon la Hongrie, cette nécessité ne saurait être mise en cause par le fait que d’autres États
membres n’imposent pas de conditions aussi strictes.

129. Quant au respect du principe de proportionnalité, la Hongrie estime que les conditions d’émission ont été adoptées en tenant compte, notamment, de l’ampleur attendue du système des cartes SZÉP. Selon elle, rapportées aux chiffres effectifs, lesdites conditions ne sauraient être considérées ni comme dépourvues de nécessité ni comme disproportionnées ( 49 ).

130. La Hongrie énumère, enfin, les raisons pour lesquelles elle considère que les conditions d’émission figurant à l’article 13, sous a) à c), du décret SZÉP sont justifiées, nécessaires et proportionnées.

131. Concernant l’exigence pour un émetteur de la carte SZÉP ou le groupe de sociétés dont il fait partie de disposer d’un bureau ouvert à la clientèle dans chaque commune de Hongrie dont la population est supérieure à 35000 habitants ( 50 ), visée à l’article 13, sous a), du décret SZÉP, la Hongrie constate qu’elle viserait à garantir que tout titulaire de cette carte ait la possibilité de poser des questions en rapport avec ladite carte au moyen d’un contact personnel, situé à proximité de son
domicile.

132. S’agissant de l’exigence visée à l’article 13, sous b), du décret SZÉP imposant à l’émetteur de la carte SZÉP ou au groupe de sociétés dont il fait partie d’avoir, au cours de son dernier exercice clôturé, émis au moins 100000 instruments de paiement autres que des espèces dans le cadre de ses services de paiement, la Hongrie considère, notamment, que, eu égard aux montants conséquents qui transitent via cette carte, seules des entreprises disposant d’une assise financière stable et d’une
expérience certaine dans la gestion de sommes importantes et dans l’émission de moyens de paiement autres que les espèces pourraient émettre ladite carte.

133. Quant à l’exigence visée à l’article 13, sous c), du décret SZÉP, prévoyant que l’émetteur doit avoir émis plus de 25000 cartes de titres dans l’année précédente et doit disposer d’au moins deux ans d’expérience dans cette activité, elle permettrait, selon la Hongrie, de garantir que cet émetteur ait une expérience dans le fonctionnement de cartes de titres électroniques identiques aux cartes SZÉP.

ii) Notre appréciation

134. Tout d’abord, nous notons que la Commission vise expressément les conditions prévues à l’article 13 du décret SZÉP, lu en combinaison avec les autres dispositions nationales mentionnées dans sa requête. Ainsi, par son troisième grief, elle se réfère non seulement aux conditions d’émission spécifiquement prévues aux points a) à c) de cet article 13, mais également aux conditions déjà examinées relatives à la nécessité de disposer d’un établissement principal en Hongrie pour pouvoir émettre,
individuellement ou en tant que groupe de sociétés, la carte SZÉP. Ce grief vise donc les exigences dans leur ensemble.

135. Nous estimons, ensuite, à l’instar de la Commission, que les conditions prévues à l’article 13 du décret SZÉP, prises conjointement, constituent une discrimination non pas directe, mais indirecte, fondée sur l’emplacement du siège social.

136. À ce titre, nous notons qu’aucune des conditions visées ne réserve expressément l’activité d’émission des cartes SZÉP aux seules sociétés qui ont leur siège social en Hongrie et il ne s’agit donc pas d’une discrimination directe.

137. Néanmoins, il ressort des pièces du dossier, et cela n’a pas été contesté par la Hongrie, que seules les entreprises financières ayant leur siège social en Hongrie seraient, de facto, capables de remplir les conditions prévues à l’article 13 du décret SZÉP.

138. Or, dans la mesure où il s’agit de conditions indirectement discriminatoires fondées sur l’emplacement du siège social, ces conditions ne sauraient constituer des exigences qui réservent l’accès à l’activité de service concernée à des prestataires particuliers en raison de la nature spécifique de l’activité, au sens de l’article 15, paragraphe 2, sous d), de la directive 2006/123. En effet, cette disposition vise uniquement les «exigences non discriminatoires» ( 51 ).

139. Il s’ensuit, selon nous, que lesdites conditions, prises conjointement, relèvent non pas de ladite disposition, mais de l’article 14, point 1, de la directive 2006/123, lequel interdit, notamment, les exigences discriminatoires fondées indirectement sur l’emplacement du siège social ( 52 ).

140. Au regard des considérations qui précèdent, nous estimons que la Commission a procédé à une mauvaise interprétation de l’article 15, paragraphe 2, sous d), de la directive 2006/123, lequel ne saurait trouver application en l’occurrence.

141. Nous ajoutons que, même si la Cour devait considérer que cette disposition s’applique, nous estimons que l’activité d’émission de titres repas ainsi que de titres loisirs et vacances ne se caractérise pas par une «nature spécifique» nécessitant de réserver l’accès à cette activité à des prestataires particuliers. En effet, l’émission de ces titres constitue, dans des États membres autres que la Hongrie, une activité couramment exercée par des opérateurs privés autres que des établissements
financiers ( 53 ).

142. Dans ces conditions, le troisième grief doit être rejeté comme étant non fondé.

f) Sur le quatrième grief, tiré d’une violation de l’article 16 de la directive 2006/123

i) Les principaux arguments des parties

143. Contrairement à la Hongrie, la Commission considère que l’article 16 de la directive 2006/123 trouve à s’appliquer en l’espèce. À cet égard, elle constate que la carte SZÉP pourrait être émise par une entreprise établie dans un État membre autre que la Hongrie, notamment, en exerçant son droit d’utiliser, sur le territoire hongrois, l’infrastructure nécessaire aux fins de l’accomplissement de sa prestation. De surcroît, selon la Commission, une telle entreprise pourrait également fournir ses
services d’une manière transfrontalière sans disposer d’une infrastructure importante en Hongrie.

144. Selon la Commission, en prévoyant qu’un émetteur de la carte SZÉP doit disposer d’un établissement permanent en Hongrie, l’article 13 du décret SZÉP violerait l’article 16, paragraphe 2, sous a), de la directive 2006/123, dans la mesure où cette exigence ne respecterait pas les principes de non-discrimination, de nécessité et de proportionnalité, tels qu’énumérés à l’article 16, paragraphe 1, de cette directive.

ii) Notre appréciation

145. Les conditions visées à l’article 13 du décret SZÉP reviennent, comme nous avons déjà pu le constater, à imposer au prestataire qui souhaiterait émettre la carte SZÉP, de disposer d’un établissement permanent en Hongrie. En effet, nous rappelons que seules les entreprises ayant leur «siège social» en Hongrie et disposant, notamment, d’un «bureau» ouvert à la clientèle dans chaque commune de Hongrie dont la population est supérieure à 35000 habitants peuvent émettre cette carte.

146. Une telle exigence d’établissement permanent en Hongrie constitue-t-elle une restriction interdite au titre de l’article 16 de la directive 2006/123?

147. Selon nous, une réponse positive à cette question s’impose.

148. En premier lieu, nous constatons que l’article 16, paragraphe 2, sous a), de la directive 2006/123 interdit clairement cette exigence.

149. En effet, en vertu de cette disposition, les États membres ne peuvent pas restreindre la libre prestation de services par un prestataire établi dans un autre État membre en obligeant le prestataire d’avoir un «établissement» sur leur territoire.

150. À cet égard, nous notons que la notion d’établissement, telle que visée par la directive 2006/123, constitue une notion large, susceptible de regrouper tant les entreprises ayant leur siège social dans l’État membre de destination, et ainsi les établissements à titre principal, que les établissements à titre secondaire prenant, par exemple, la forme d’un bureau.

151. En effet, conformément au considérant 37 et à l’article 4, point 5, de cette directive, cette notion implique, tout d’abord, l’exercice effectif d’une activité économique au moyen d’une installation stable et pour une durée indéterminée. Ce considérant précise, ensuite, notamment, que cette exigence est également remplie lorsqu’une société est constituée pour une période donnée. Ledit considérant énonce, enfin, qu’un établissement ne doit pas nécessairement prendre la forme d’une filiale, d’une
succursale ou d’une agence. Il peut s’agir d’un bureau géré par le propre personnel du prestataire ou par une personne indépendante, mais mandatée pour agir de façon permanente pour l’entreprise, comme le ferait une agence.

152. Au regard des éléments qui précèdent, nous considérons que les conditions prévues à l’article 13 du décret SZÉP, qui soumettent l’émission de la carte SZÉP à l’exigence de disposer d’un siège social et de plusieurs bureaux en Hongrie, relèvent de l’article 16, paragraphe 2, sous a), de la directive 2006/123 et doivent être considérées comme interdites sur le fondement de cette disposition.

153. En second lieu, nous notons que la jurisprudence voit dans une telle exigence la négation même de la liberté de prestation des services ( 54 ).

154. En effet, l’exigence selon laquelle une entreprise doit avoir son établissement dans l’État membre de destination va directement à l’encontre de la libre prestation des services, dans la mesure où elle rend impossible la prestation, sur le territoire de cet État, de services par des entreprises établies dans d’autres États membres ( 55 ). Ainsi, les entreprises qui souhaitent émettre la carte SZÉP en Hongrie seraient obligées soit de renoncer à cette prestation, soit de créer sur le territoire
hongrois un établissement permanent, ce qui revient à leur imposer un exercice stable et continu de cette activité professionnelle en Hongrie ( 56 ).

155. Au vu des considérations qui précèdent, nous constatons que l’exigence visée à l’article 16, paragraphe 2, sous a), de la directive 2006/123 constitue l’un des exemples d’exigences qu’un État membre ne peut pas, en principe, imposer dans le cas de services fournis sur son territoire par une entreprise établie dans un autre État membre et qui a déjà été considéré comme incompatible avec l’article 56 TFUE par la Cour.

156. Selon nous, l’article 16, paragraphe 2, de la directive 2006/123, comme l’article 14 de cette directive, constitue une «liste noire» et contient donc certaines exigences qui sont interdites per se ( 57 ).

157. En effet, dès lors que la jurisprudence a déjà jugé ces exigences comme incompatibles avec l’article 56 TFUE, il existe une forte présomption qu’elles ne puissent pas être justifiées par l’un des quatre objectifs d’intérêt général visés à l’article 16, paragraphe 3, de ladite directive ( 58 ), étant donné qu’elles ne seront normalement pas proportionnées ( 59 ).

158. Eu égard à ce qui précède, nous sommes d’avis que l’article 16, paragraphe 3, de la directive 2006/123 ne s’applique pas aux exigences énumérées à l’article 16, paragraphe 2, de celle-ci de telle sorte que l’exigence d’un établissement en Hongrie ne peut être justifiée.

159. Il s’ensuit, selon nous, que, en obligeant les entreprises à disposer d’un établissement permanent sur son territoire, la Hongrie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 16 de la directive 2006/123.

160. Ainsi, le quatrième grief doit être accueilli.

g) Sur la violation des articles 49 TFUE et 56 TFUE

i) Les principaux arguments des parties

161. Dans sa requête, la Commission relève, à titre subsidiaire, que, si la directive 2006/123 n’était pas applicable, les dispositions nationales relatives aux conditions d’émission de la carte SZÉP devraient être appréciées au regard tant de l’article 49 TFUE que de l’article 56 TFUE, dans la mesure où un prestataire pourrait fournir le service en question en s’établissant ou non en Hongrie. Ainsi, la libre prestation des services ne saurait être considérée comme tout à fait secondaire par rapport
à la liberté d’établissement et ne pourrait être rattachée à cette dernière.

162. Selon la Commission, une violation de l’article 49 TFUE devrait être constatée, car, premièrement, les dispositions hongroises visées dans le cadre des premier à troisième griefs constitueraient des restrictions à la liberté d’établissement et ne satisferaient pas aux exigences de nécessité et de proportionnalité et, deuxièmement, l’introduction des nouvelles conditions d’émission se serait effectuée sans période transitoire appropriée, ce qui porterait atteinte au principe de
proportionnalité ( 60 ).

163. Concernant l’article 56 TFUE, la Commission constate que, pour les mêmes raisons que celles soulevées dans le cadre du quatrième grief, l’exigence relative à un établissement permanent en Hongrie constituerait une restriction discriminatoire, dont ni la nécessité ni la proportionnalité n’ont été établies par la Hongrie, de sorte qu’elle violerait cet article 56.

164. S’agissant de l’absence alléguée de période transitoire suffisante, la Hongrie considère, notamment, que la Commission n’aurait pas apporté d’éléments probants au soutien de ses affirmations. En outre, en matière de politique fiscale et sociale, les entreprises ne pourraient compter sur une absence de modification de la réglementation.

ii) Notre appréciation

165. Dans la mesure où nous estimons que la directive 2006/123 trouve à s’appliquer dans le présent recours, l’examen de la réglementation nationale en cause au regard des articles 49 TFUE et 56 TFUE n’est pas nécessaire.

166. Dans ces conditions, le grief soulevé à titre subsidiaire par la Commission doit être rejeté.

2. Le grief relatif aux titres Erzsébet

167. D’emblée, nous notons qu’il ressort des pièces du dossier que la Commission et la Hongrie partent de la prémisse que la FNHV constitue une «société», au sens du traité FUE, à laquelle les articles 49 TFUE et 56 TFUE seront applicables. Nous tenons donc comme acquis cet élément de fait.

a) Les principaux arguments des parties

168. Dans sa requête, la Commission considère que la réglementation hongroise relative à l’émission et à l’utilisation des titres Erzsébet violerait les articles 49 TFUE et 56 TFUE.

169. La Commission précise, préalablement, que son recours ne vise le régime de ces titres que dans la mesure où celui-ci prévoit que la contribution de l’employeur à l’achat de repas prêts à la consommation ne peut être considérée comme un avantage en nature que si cet achat s’effectue à l’aide desdits titres. Ainsi, son recours ne porterait pas sur les autres actions de politique sociale mises en œuvre dans le cadre du programme Erzsébet, comme, par exemple, les aides directes et ciblées aux
personnes socialement défavorisées.

170. Selon la Commission, l’émission des titres Erzsébet constituerait une activité économique relevant du champ d’application du traité FUE. Au soutien de sa position, elle relève, notamment, en premier lieu, que, par le passé, cette activité était assurée en Hongrie par des sociétés commerciales et que cela serait encore le cas dans de nombreux États membres, en deuxième lieu, que l’émission des titres Erzsébet ne constituerait pas une mesure d’ordre social, étant donné que ces titres seraient
librement octroyés par l’employeur à concurrence d’un montant déterminé par celui-ci, et ce indépendamment de la situation sociale de leurs salariés de sorte qu’il n’y aurait ni mise en œuvre du principe de solidarité ni contrôle de l’État et fixation par celui-ci du montant des prestations et, en troisième lieu, que l’émission des titres Erzsébet ne saurait être qualifiée d’«activité participant à l’exercice de l’autorité publique», au sens des articles 51 TFUE ( 61 ) et 62 TFUE ( 62 ), faute
de constituer une participation directe et spécifique à cet exercice.

171. La Commission relève également que la réglementation hongroise restreindrait l’émission des titres Erzsébet, en soumettant l’organisation et la promotion de l’activité économique à un régime d’exclusivité en faveur d’un seul opérateur, de telle sorte que tout autre opérateur, établi dans un État membre autre que la Hongrie ou établi en Hongrie, ne pourrait émettre ces titres.

172. La Commission indique qu’une telle restriction à la libre prestation des services et à la liberté d’établissement ne saurait être justifiée au moyen d’objectifs de politique sociale. La Commission ajoute que la nécessité de préserver la cohérence du système d’imposition ne saurait pas non plus constituer une justification valable dans la mesure, notamment, où les règles relatives à l’émission des titres Erzsébet et à leur imposition seraient indépendantes les unes des autres.

173. Selon la Commission, la réglementation hongroise serait, de surcroît, de nature disproportionnée, dans la mesure où, premièrement, des mesures moins restrictives existeraient en cas de financement des objectifs sociaux par l’intermédiaire d’avantages en nature, telles que le prélèvement d’une contribution unique sur ces avantages, la diminution du dégrèvement d’impôt d’un montant identique ou encore l’acquisition par l’État membre des titres Erzsébet avant de les distribuer aux plus démunis et,
deuxièmement, la mise en œuvre du régime de monopole se serait effectuée sans le respect d’une période transitoire appropriée à l’égard des entreprises jusqu’alors présentes sur le marché de l’émission des titres Erzsébet.

174. Selon la Hongrie, l’activité consistant à émettre des titres Erzsébet ne constituerait pas une activité économique, étant donné qu’elle ne serait exercée ni aux conditions du marché ni en vue de réaliser un but lucratif et qu’elle ne poursuivrait pas non plus un objectif de capitalisation. En effet, les recettes provenant de l’émission ne pourraient être utilisées qu’à des fins d’aides sociales et dans un esprit de solidarité.

175. La Hongrie ajoute que l’activité d’émission des titres Erzsébet relèverait du contrôle de l’État, car elle serait créée, réglementée et encadrée par celui-ci. En effet, selon elle, l’État membre serait libre de déterminer si et dans quelle mesure ces avantages pouvaient être accordés. De même, il pourrait aussi décider d’émettre lui-même ces titres au lieu d’ouvrir cette activité au marché. En Hongrie, l’État a décidé d’exercer lui-même cette activité, par l’intermédiaire de la FNHV, créée par
le gouvernement et plusieurs fédérations professionnelles.

176. En outre, la Hongrie précise que l’émission des titres donnant lieu à des avantages fiscaux serait intégrée dans le système de protection sociale dont cette activité alimente les ressources, ce qui serait conforme au principe selon lequel le droit de l’Union ne porterait pas atteinte à la compétence des États membres pour aménager leur système de sécurité sociale, tout en assurant l’équilibre financier.

177. Selon la Hongrie, l’émission des titres Erzsébet constituerait, par ailleurs, une activité vis-à-vis de laquelle la libre prestation des services serait, par définition, exclue, car les titres repas n’auraient de sens que dans le cadre de la politique fiscale et sociale propre à la Hongrie. En effet, il appartiendrait à la Hongrie de décider si elle souhaite introduire ou non de tels titres dans le cadre de son système fiscal ou social et ces titres ne pourraient être distribués que sur la base
des règles et des avantages fiscaux valables en Hongrie.

178. La Hongrie souligne que la communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique social européen et au Comité des régions, intitulée «Investir dans le domaine sociale en faveur de la croissance et de la cohésion, notamment par l’intermédiaire du Fonds social européen, au cours de la période 2014-2020» ( 63 ), encouragerait le recours à des formules de financement innovantes dans le domaine social, dont les titres Erzsébet constitueraient, selon la Hongrie, un
exemple.

179. Si la Cour devait considérer que l’activité concernée constitue une activité économique, la Hongrie, à titre subsidiaire, estime que l’organisation de cette activité sous forme de monopole public serait compatible avec le droit de l’Union.

180. La Hongrie ajoute que, au titre du principe de proportionnalité, le fait de confier l’activité en question à un organisme de droit public tenu de consacrer la totalité des recettes à un objectif défini constituerait un moyen plus efficace d’atteindre l’objectif poursuivi que l’organisation de l’activité sur le fondement du marché ou encore la taxation de cette activité ( 64 ). Au soutien de son argumentation, la Hongrie se réfère ici à la jurisprudence pertinente en matière de jeux de hasard (
65 ).

181. Concernant l’absence alléguée d’une période transitoire suffisante, la Hongrie constate que, en matière de politique fiscale et sociale, les opérateurs ne pourraient compter sur une absence de modification de la réglementation. À ce titre, la Hongrie souligne, premièrement, que les modifications législatives étaient prévisibles dès le mois d’avril 2011, au moment de l’adoption du décret SZÉP, de telle sorte que les prestataires ont bénéficié d’un délai plus long que ne le prétend la Commission,
deuxièmement, que les titres Erzsébet ne constitueraient qu’une forme d’avantages en nature fiscalement avantageux, représentant environ 8 % du total de ces avantages octroyés aux salariés par les opérateurs et, troisièmement, que ces opérateurs, qui émettent une large palette d’autres titres, continueraient à émettre des titres, y compris des titres repas, comme avant. Ainsi, selon la Hongrie, la modification des règles n’aurait pas affecté la part de marché des titres repas et les
prestataires n’auraient pas été évincés du marché.

b) Notre appréciation

182. Avant d’entamer notre examen, nous constatons que, en l’occurrence, les questions de savoir, d’une part, si la réglementation hongroise concernant les titres Erzsébet relève du champ d’application de la directive 2006/123 et, d’autre part, si cette directive a fait l’objet d’une harmonisation exhaustive n’ont pas été soulevées par les parties. En effet, la Commission semble partir du constat que ladite directive ne serait pas applicable dans la mesure où elle examine la conformité de cette
réglementation au regard des articles 49 TFUE et 56 TFUE.

183. Pourtant, ces questions sont importantes. En effet, comme nous l’avons déjà précisé, si nous devions constater que la directive 2006/123 trouve à s’appliquer à l’activité d’émission des titres Erzsébet et qu’elle a procédé à une harmonisation exhaustive dans ce domaine, l’examen de ladite réglementation ne saurait être apprécié au regard du traité FUE, mais uniquement au titre de cette directive.

184. L’activité d’émission des titres Erzsébet, exclusivement exercée par la FNHV, relève-t-elle du champ d’application de la directive 2006/123?

185. Selon nous, la réponse à cette question doit être négative.

186. En effet, l’article 1er de la directive 2006/123, relatif à l’objet de celle-ci, prévoit, à son paragraphe 3, premier alinéa, que cette directive ne traite pas, notamment, de l’abolition des monopoles fournissant des services.

187. Le considérant 8 de ladite directive apporte des clarifications sur ce point en précisant que «[l]es dispositions de [celle-ci] concernant la liberté d’établissement et la libre circulation des services ne devraient s’appliquer que dans la mesure où les activités en cause sont ouvertes à la concurrence, de manière à ce qu’elles n’obligent pas les États membres [...] à abolir les monopoles existants» ( 66 ).

188. Ainsi, selon nous, lorsqu’une activité n’est pas ouverte à la concurrence, notamment parce qu’elle est exercée par un monopole public existant, cette activité échappe au champ d’application de la directive 2006/123.

189. Nous estimons, au vu des travaux préparatoires de cette directive ( 67 ), que cette exclusion se justifie, notamment, par le fait que ladite directive ne devrait pas affecter la poursuite de l’existence de monopoles fournissant déjà des services ( 68 ).

190. Au vu des éléments qui précèdent, nous considérons que l’activité consistant pour un monopole à émettre des titres repas, tels que les titres Erzsébet, n’entre pas dans le champ d’application ratione materiae de la directive 2006/123. Il s’ensuit que l’examen de la question relative à l’harmonisation de cette directive dans ce domaine n’est plus nécessaire.

191. Toutefois, nous notons que la circonstance que cette activité soit exclue du champ d’application de cette directive ne la soustrait nullement du champ d’application du droit primaire, et notamment des articles 49 TFUE et 56 TFUE ( 69 ).

192. Encore faut-il que l’activité d’émission en cause constitue une activité économique, car seule une telle activité relève du champ d’application de ces articles. Cet élément déterminera la suite de notre appréciation. Dans ces circonstances, il n’est pas étonnant que les parties aient développé de nombreux arguments au soutien de leur position respective sur ce point.

193. À ce titre, nous observons qu’il est de jurisprudence constante que la notion d’«établissement», au sens des dispositions du traité relatives à la liberté d’établissement, implique l’exercice effectif d’une «activité économique» au moyen d’une installation stable dans l’État membre d’accueil pour une durée indéterminée ( 70 ). Ainsi, l’activité économique doit être considérée comme la raison d’être même de la liberté d’établissement.

194. Concernant la libre prestation des services, il ressort du libellé de l’article 57 TFUE que la notion de «services», au sens des traités, comprend les prestations fournies normalement contre rémunération. La définition de cette notion repose sur la jurisprudence de la Cour selon laquelle ladite notion recouvre toute activité économique non salariée normalement fournie contre rémunération ( 71 ). De surcroît, selon la Cour, la caractéristique essentielle de la rémunération réside dans le fait
que celle-ci constitue la contrepartie économique de la prestation en cause ( 72 ).

195. Nous ajoutons qu’il est de jurisprudence constante que les notions d’activité économique et de prestation de services doivent recevoir une interprétation large dans la mesure où elles définissent le champ d’application d’une des libertés fondamentales garanties par le traité FUE ( 73 ).

196. Au regard des solutions jurisprudentielles qui précèdent, il convient de vérifier si l’activité d’émission des titres Erzsébet constitue une activité économique non salariée ( 74 ), car fournie contre rémunération.

197. Il ressort des pièces du dossier que la FNHV émet des titres Erzsébet pour l’employeur dès lors que celui-ci a choisi d’en acquérir. Comme le constate la Hongrie elle-même dans son mémoire en défense, l’acquisition de ces titres est économiquement bénéfique pour l’employeur parce qu’elle va de pair avec des «obligations fiscales réduites» ( 75 ). Nous comprenons que l’employeur bénéficie d’un «allègement fiscal» pour les titres acquis et accordés à ses salariés sous la forme d’avantages en
nature.

198. Au regard de ces éléments, nous estimons que l’activité d’émission des titres Erzsébet doit être considérée comme une activité économique, et ce pour quatre raisons.

199. En premier lieu, nous considérons que l’allègement fiscal dont bénéficie l’employeur constitue la «contrepartie économique» de l’émission des titres Erzsébet et présente un caractère rémunératoire dans le chef de la FNHV, dans la mesure où, sans ces recettes, celle-ci ne saurait financer le programme Erzsébet.

200. En effet, il ressort des pièces du dossier que ce programme bénéficie non pas des ressources budgétaires de l’État, mais seulement des recettes provenant de ces titres. Ainsi, l’activité d’émission desdits titres constitue l’unique moyen de financement dudit programme. De surcroît, comme le précise la Hongrie dans son mémoire en défense, en accordant un allègement fiscal aux employeurs en cas d’avantages en nature, l’État renonce à des recettes fiscales significatives au travers de cet
allègement et ces recettes seront alors affectées au programme Erzsébet, lequel est mis en œuvre par la FNHV.

201. En deuxième lieu, l’argument de la Hongrie visant à démontrer que l’activité en cause ne serait pas une activité économique en raison de sa finalité sociale ne nous convainc pas.

202. À cet égard, nous considérons, à l’instar de la Commission, que la nature de l’activité doit être distinguée de l’utilisation des recettes tirées de celle-ci. Ainsi, l’activité d’émission des titres Erzsébet constitue une activité économique indépendamment du fait que les recettes qui en sont tirées soient utilisées à un objectif social.

203. Une telle solution ressort, selon nous, de la jurisprudence de la Cour. En effet, dans son arrêt Schindler ( 76 ), concernant l’activité de loterie, la Cour a constaté que, «[s]i [...] la loi prévoit que les bénéfices procurés par une loterie ne peuvent être utilisés qu’à certains objectifs, notamment d’intérêt général, ou même qu’ils doivent être affectés au budget de l’État, ces règles d’affectation des profits ne modifient pas la nature de l’activité en cause et ne la privent pas de son
caractère économique» ( 77 ).

204. À ce titre, nous observons également qu’une solution similaire a été retenue par la Cour lors de l’appréciation de la notion d’activité économique caractérisant la notion d’entreprise dans le contexte du droit de la concurrence ( 78 ).

205. En effet, la Cour a considéré, à plusieurs reprises, que «la finalité sociale [du régime en cause] n’est pas en soi suffisante pour exclure que l’activité concernée soit qualifiée d’activité économique» ( 79 ). Selon la Cour, pour que cette activité ne constitue pas une activité économique, deux autres conditions devraient alors être réunies, à savoir, premièrement, la mise en œuvre du principe de solidarité et, deuxièmement, le contrôle exercé par l’État ( 80 ).

206. Bien que cette jurisprudence intervienne dans le contexte du droit de la concurrence et concerne l’activité des organismes d’assurance contre les accidents du travail et les maladies professionnelles, nous estimons qu’elle est pertinente, par analogie, pour notre appréciation dans la mesure où la définition de la notion d’activité économique en cause conditionne, comme pour la liberté d’établissement et la libre prestation des services, l’applicabilité des règles du traité FUE en matière du
droit de la concurrence.

207. À l’instar de la Commission, nous constatons que, en l’occurrence, aucune des deux conditions mentionnées par ladite jurisprudence n’est remplie dans le cadre de l’émission des titres Erzsébet. En effet, le principe de solidarité n’est pas mis en œuvre dès lors que ces titres ne peuvent être octroyés que par la volonté de l’employeur et dans la mesure fixée par lui. Comme le soutient à juste titre la Commission, une telle marge de manœuvre ne garantit pas que les salariés aux revenus plus
modestes puissent accéder auxdits titres à des conditions préférentielles par rapport aux salariés aux revenus plus élevés. S’agissant de la seconde condition relative au contrôle de l’État, nous notons que la Hongrie ne peut ni imposer l’acquisition, par l’employeur, des titres Erzsébet, ni spécifier qui seront les destinataires effectifs de ces titres, ni édicter le montant auquel l’employeur devrait accorder lesdits titres.

208. En outre, nous estimons que, si nous devions qualifier l’activité d’émission des titres Erzsébet d’instrument d’investissement social identique aux obligations d’investissements sociaux visées par la communication de la Commission mentionnée au point 178 des présentes conclusions ( 81 ), cela conforterait alors notre solution de qualifier cette activité d’«activité économique». En effet, comme le précise la Hongrie, l’acquisition des titres Erzsébet constituerait alors un investissement social,
en échange de quoi l’entreprise obtient un allègement fiscal, lequel devrait alors être considéré comme contrepartie économique.

209. En troisième lieu, nous estimons que l’argumentation de la Hongrie concernant la question de savoir si l’activité constitue ou non une activité économique n’est pas cohérente. En effet, alors qu’elle soutient, d’abord, qu’il ne saurait être question d’une activité économique, de telle sorte que les articles 49 TFUE et 56 TFUE ne seraient pas applicables ( 82 ), la Hongrie constate, ensuite, que ces deux articles ne seraient enfreints en l’occurrence ( 83 ), ce qui présuppose toutefois, selon
nous, leur applicabilité au préalable.

210. En quatrième lieu, nous considérons, comme la Commission, que l’activité d’émission des titres Erzsébet ne saurait être qualifiée d’activité participant à l’exercice de l’autorité publique, au sens des articles 51, premier alinéa, TFUE et 62 TFUE.

211. À ce titre, nous constatons, tout d’abord, que, en tant que dérogations aux règles fondamentales de la liberté d’établissement et de la liberté de prestation de services, les articles 51, premier alinéa, TFUE et 62 TFUE doivent recevoir une interprétation qui limite leur portée à ce qui est strictement nécessaire pour sauvegarder les intérêts que ces dispositions permettent aux États membres de protéger ( 84 ). Il ressort également d’une jurisprudence bien établie que la dérogation prévue
auxdites dispositions doit être restreinte aux activités qui, prises en elles-mêmes, constituent une participation directe et spécifique à l’exercice de l’autorité publique ( 85 ).

212. Il ressort des pièces du dossier, et notamment de la réponse de la Hongrie à l’avis motivé du 27 décembre 2012, que celle-ci se borne à constater que l’émission des titres serait qualifiée de mission publique et sociale, sans apporter la preuve d’une participation directe et spécifique à l’exercice de l’autorité publique. Dans ces circonstances, l’applicabilité des articles 51 TFUE et 62 TFUE à l’activité en cause ne saurait être retenue.

213. Au regard de l’ensemble des éléments qui précèdent, nous considérons que l’activité d’émission des titres Erzsébet constitue une activité économique relevant du champ d’application des articles 49 TFUE et 56 TFUE.

214. Il reste à examiner si la réglementation hongroise en cause instaure des restrictions à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services et, le cas échéant, si ces restrictions peuvent être justifiées.

215. Premièrement, nous constatons que l’article 106 TFUE n’a pas été mentionné par les parties lors de la procédure écrite. En réponse à une question posée lors de l’audience, la Commission a précisé que l’article 106, paragraphe 2, TFUE ( 86 ) ne s’appliquerait pas, en l’occurrence, dans la mesure où l’émission des titres Erzsébet ne constituerait pas un service d’intérêt économique général.

216. Au regard des pièces du dossier, nous ne disposons pas d’éléments suffisants permettant d’apprécier la question de savoir si l’activité d’émission de ces titres constitue un service d’intérêt économique général. Néanmoins, nous notons que l’article 106, paragraphe 1, TFUE, lequel renvoie à d’autres articles du droit matériel du traité FUE, s’oppose à ce que les États membres, en ce qui concerne, notamment, les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs, édictent et
maintiennent en vigueur une réglementation nationale contraire aux articles 49 TFUE et 56 TFUE ( 87 ).

217. Deuxièmement, nous constatons qu’il ressort de la jurisprudence que les articles 49 TFUE et 56 TFUE imposent la suppression des restrictions à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services et que doivent être considérées comme de telles restrictions toutes les mesures qui interdisent, gênent ou rendent moins attrayant l’exercice de ces libertés ( 88 ).

218. La Cour a déjà caractérisé une restriction auxdites libertés dans une affaire où était visée une réglementation nationale analogue à celle en cause dans le présent recours, dans la mesure où cette réglementation attribuait une compétence exclusive aux seuls centres d’assistance fiscale d’offrir aux contribuables certains services de conseil et d’assistance en matière fiscale ( 89 ).

219. En effet, dans cette affaire, la Cour a considéré que, concernant la libre prestation des services, ladite réglementation, en réservant ces activités à ces centres, «empêche totalement l’accès au marché des services en cause aux opérateurs économiques établis dans d’autres États membres» ( 90 ).

220. S’agissant de la liberté d’établissement, la Cour a constaté qu’une telle réglementation, en limitant la possibilité de constituer des centres d’assistance fiscale à certains sujets de droit ayant leur siège en Italie, «est susceptible de rendre plus difficile, voire d’empêcher totalement, l’exercice par les opérateurs économiques en provenance d’autres États membres de leur droit de s’établir en Italie dans le but de fournir les services en question» ( 91 ).

221. Nous ajoutons que le Tribunal de l’Union européenne a également considéré que «la réglementation flamande qui octroie le droit exclusif à [une société privée de télévision d’expression néerlandaise établie en Flandre] rend impossible l’établissement en Belgique d’une société concurrente d’un autre État membre désireuse d’émettre depuis la Belgique de la publicité télévisée destinée à l’ensemble de la Communauté flamande. Cette seule constatation [est] suffisante pour caractériser l’entrave au
libre établissement» ( 92 ).

222. En l’occurrence, la réglementation hongroise attribue des droits exclusifs à la FNHV pour émettre les titres Erzsébet.

223. Au regard des solutions jurisprudentielles susmentionnées, le fait de réserver l’exclusivité de l’activité d’émission de ces titres à la FNHV constitue, selon nous, une restriction à la libre prestation des services, dans la mesure où l’accès au marché de l’émission desdits titres est totalement exclu.

224. En outre, il serait possible, selon nous, pour un prestataire ne disposant pas d’établissement en Hongrie, d’émettre des titres repas, tels que les titres Erzsébet. En effet, comme l’a considéré à juste titre la Commission lors de l’audience, une telle activité est susceptible d’être effectuée à distance, notamment par Internet ou par téléphone, et un tel mode de fonctionnement serait déjà pratiqué pour l’émission de titres de services en Belgique.

225. S’agissant de la liberté d’établissement, nous considérons que la réglementation hongroise en cause empêche d’autres entreprises qui souhaitent émettre des titres Erzsébet de s’établir en Hongrie, de telle sorte qu’elle constitue une restriction à cette liberté.

226. Il ressort d’une jurisprudence constante qu’une réglementation nationale restrictive, qui s’applique à toute entreprise exerçant ou souhaitant exercer une activité sur le territoire de l’État membre d’accueil, telle que celle en cause dans le présent recours, peut être justifiée lorsqu’elle répond à des raisons impérieuses d’intérêt général, pour autant qu’elle soit propre à garantir la réalisation de l’objectif qu’elle poursuit et n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre (
93 ).

227. En ce qui concerne la justification de cette réglementation nationale restrictive, nous constatons que l’argumentation de la Hongrie n’est pas empreinte d’une parfaite clarté. Au regard de ses écritures, la Hongrie invoque principalement trois justifications, à savoir la nécessité de préserver la cohérence du système d’imposition, l’amélioration de l’alimentation de la population et le financement du régime des prestations sociales.

228. Concernant la préservation de la cohérence du système d’imposition, nous notons que la Hongrie n’apporte pas d’arguments au soutien de sa position. Ainsi, à l’instar de la Commission, nous ne comprenons pas en quoi l’activité d’émission des titres Erzsébet attribuée à un monopole préserverait la cohérence de ce système.

229. S’agissant de l’amélioration de l’alimentation de la population, la Hongrie ne développe aucune argumentation démontrant que le système d’émission des titres Erzsébet tel qu’il a été mis en place serait nécessaire et constituerait la mesure la plus appropriée pour atteindre cet objectif.

230. Quant à l’objectif de financement du régime des prestations sociales, la Hongrie se borne à énoncer, premièrement, que, dans le régime actuel, l’émission de ces titres donnant lieu à des avantages fiscaux serait intégrée dans le système de protection sociale et fonctionnerait comme un élément du système d’alimentation des ressources sociales, deuxièmement, qu’il serait de jurisprudence constante que le droit de l’Union ne porte pas atteinte à la compétence des États membres pour aménager leur
système de sécurité sociale, y compris les dispositions nationales destinées à assurer l’équilibre financier, et, troisièmement, que les titres Erzsébet seraient l’unique ressource pour les activités financées à travers le programme Erzsébet et que, à défaut des recettes provenant de ces titres, il ne serait pas possible de financer, sur le budget de l’État, un projet d’une telle ampleur.

231. Selon la Hongrie, si l’objectif de financement des prestations sociales poursuivi pouvait être atteint par d’autres moyens, confier l’activité en question à un organisme de droit public tenu de consacrer la totalité des recettes à un objectif défini constituerait un moyen plus efficace pour atteindre cet objectif.

232. À cet égard, nous observons qu’il est effectivement de jurisprudence constante que les États membres ont compétence pour aménager leur système de sécurité sociale ( 94 ). Néanmoins, la Cour a précisé que ces États membres doivent, dans l’exercice de cette compétence, veiller à ne pas enfreindre les dispositions du traité FUE, et notamment celles relatives aux principes de la liberté d’établissement et de la libre prestation des services ( 95 ). De surcroît, en vertu de cette jurisprudence, il
est admis qu’un risque d’atteinte grave à l’équilibre financier du système de sécurité sociale puisse constituer, en lui-même, une raison impérieuse d’intérêt général susceptible de justifier une entrave à ces principes ( 96 ).

233. Or, en l’occurrence, comme le constate à juste titre la Commission, la Hongrie n’apporte pas d’éléments démontrant qu’un tel risque d’atteinte grave à l’équilibre financier du système de sécurité sociale existerait.

234. En outre, nous estimons, à l’instar de la Commission, que, même s’il convenait d’admettre l’existence de cette raison impérieuse d’intérêt général, la Hongrie aurait dû démontrer en quoi l’attribution exclusive de l’activité d’émission des titres Erzsébet à la FNHV constituait une mesure nécessaire et proportionnée pour atteindre l’objectif de financement des prestations sociales.

235. En effet, il appartient aux autorités nationales compétentes de démontrer, d’une part, que leur réglementation est nécessaire pour réaliser l’objectif poursuivi et, d’autre part, que ladite réglementation est conforme au principe de proportionnalité ( 97 ).

236. Au regard des éléments dont nous disposons, nous observons qu’il n’a pas été établi de manière concluante que la Hongrie ait étudié le point de savoir si l’objectif poursuivi pouvait être atteint par d’autres moyens moins restrictifs ( 98 ). En effet, elle se limite à affirmer que le système, tel qu’il a été mis en place, constituerait la mesure la plus efficace sans apporter d’éléments probants sur ce point.

237. Dans ces circonstances, nous considérons que la Cour n’est pas en mesure de vérifier si les conditions de nécessité et de proportionnalité sont remplies en l’espèce.

238. Par ailleurs, comme le constate la Commission, des mesures moins contraignantes auraient pu être mises en place par la Hongrie pour atteindre l’objectif de financement des prestations sociales.

239. En outre, nous considérons, à l’instar de la Commission, qu’une période transitoire limitée à un peu plus d’un mois ( 99 ) nous semble insuffisante pour permettre raisonnablement aux opérateurs concernés de s’adapter aux nouvelles circonstances ( 100 ). Selon nous, une telle solution s’impose d’autant plus que, en l’espèce, ces nouvelles circonstances donnaient naissance à une situation monopolistique sur le marché de l’émission des titres repas bénéficiant d’un dégrèvement fiscal, ce qui
impliquait l’évincement des opérateurs préalablement actifs sur ce marché et ainsi une chute de leur chiffre d’affaires ( 101 ).

240. Enfin, contrairement à la Hongrie, nous estimons que la référence à la jurisprudence en matière des jeux de hasard pour soutenir que l’instauration d’un monopole public pour l’émission des titres Erzsébet serait justifiée et proportionnée n’est pas pertinente.

241. À ce titre, nous notons qu’il est de jurisprudence constante qu’un État membre, au titre de son pouvoir d’appréciation, peut légitimement attribuer le droit d’exploiter des jeux d’argent à un opérateur unique ( 102 ).

242. Néanmoins, il ressort également de cette jurisprudence que, d’une part, ce choix de recourir à un régime de droit exclusif attribué à un opérateur unique poursuit l’objectif spécifique de protéger les consommateurs contre une dépense excessive liée au jeu et de prévenir le risque de fraude créé par les sommes importantes que les jeux d’argent permettent de récolter et que, d’autre part, les restrictions qui résultent dudit choix devront aussi répondre aux exigences de non-discrimination et de
proportionnalité ( 103 ).

243. En l’occurrence, comme le constate à juste titre la Commission, de tels effets négatifs liés aux jeux d’argent, à savoir l’addiction et la fraude, n’existent pas dans le cadre de l’activité d’émission des titres Erzsébet. Il s’ensuit que, selon nous, ces solutions jurisprudentielles ne sont pas transposables à notre cas d’espèce.

244. Compte tenu de tous les éléments qui précèdent, nous estimons que le grief relatif aux titres Erzsébet doit être accueilli.

V – Conclusion

245. Au vu des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de:

— déclarer le recours en manquement irrecevable en ce qui concerne le moyen relatif à l’exigence d’une relation contractuelle d’au moins cinq ans avec une mutuelle, telle que visée à l’article 13 du décret gouvernemental no 55/2011, du 12 avril 2011, régissant l’émission et l’utilisation de la carte de loisirs Széchenyi;

— déclarer le recours en manquement recevable et fondé en ce qu’il est fait grief à la Hongrie d’avoir:

— en excluant les succursales de sociétés étrangères de la possibilité d’émettre la carte électronique Széchenyi, manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 14, point 3, de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur;

— en réservant la possibilité d’émettre cette carte aux groupes de sociétés dont les membres sont constitués sous la forme juridique de sociétés prévues par le droit hongrois, manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 15, paragraphes 1, 2, sous b), et 3, de la directive 2006/123;

— en imposant l’existence d’un établissement permanent en Hongrie pour pouvoir émettre ladite carte, manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 16, paragraphe 2, sous a), de la directive 2006/123;

— en attribuant les droits exclusifs d’émission des titres qui permettent aux salariés d’obtenir des avantages en nature sous la forme de repas prêts à la consommation à un organisme public sans période ni mesures transitoires appropriées, manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 49 TFUE et 56 TFUE;

— rejeter le recours pour le surplus;

— condamner la Commission européenne et la Hongrie à supporter leurs propres dépens.

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( 1 )   Langue originale: le français.

( 2 )   Directive du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur (JO L 376, p. 36).

( 3 )   Dès à présent, nous notons que ladite carte peut être utilisée par les salariés d’une entreprise aux fins d’obtenir un avantage en nature sous forme de services de restauration, d’hébergement ou de loisirs.

( 4 )   Directive du Parlement européen et du Conseil du 7 septembre 2005 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles (JO L 255, p. 22).

( 5 )   Ci-après la «loi no CLVI de 2011».

( 6 )   Ci-après le «décret SZÉP».

( 7 )   Point 6.

( 8 )   Point 64.

( 9 )   En vertu de cette disposition, la requête visée à l’article 21 du statut contient l’objet du litige, les moyens et les arguments invoqués ainsi qu’un exposé sommaire desdits moyens.

( 10 )   Voir arrêts Commission/Espagne (C‑211/08, EU:C:2010:340, point 32 et jurisprudence citée); Commission/Portugal (C‑458/08, EU:C:2010:692, point 49 et jurisprudence citée), ainsi que Commission/Pologne (C‑678/13, EU:C:2015:358, point 16 et jurisprudence citée).

( 11 )   Voir arrêts Commission/Estonie (C‑39/10, EU:C:2012:282, point 25 et jurisprudence citée) ainsi que Commission/Pologne (C‑281/11, EU:C:2013:855, points 121 à 123). Voir également, en ce sens, arrêt Commission/République tchèque (C‑343/08, EU:C:2010:14, point 25).

( 12 )   Voir arrêt Commission/Espagne (C‑375/10, EU:C:2011:184, point 11 et jurisprudence citée). Italique ajouté par nos soins.

( 13 )   En vertu de cette disposition, cette directive «ne s’applique pas en matière fiscale».

( 14 )   Cette disposition prévoit que la directive 2006/123 ne s’applique pas aux «services financiers tels que ceux ayant trait à la banque, au crédit, à l’assurance et à la réassurance, aux retraites professionnelles ou individuelles, aux titres, aux fonds d’investissements, aux paiements et aux conseils en investissement, y compris les services énumérés à l’annexe I de la directive 2006/48/CE [du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2006, concernant l’accès à l’activité des
établissements de crédit et son exercice (JO L 177, p. 1)]».

( 15 )   Voir Chabaud, L., «La directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur. Les exclusions explicites: article 2», La directive «services», Bruxelles, Bruylant, 2011, p. 35, spécialement p. 39.

( 16 )   Voir article 2, paragraphe 1, de cette directive.

( 17 )   Directive du Parlement européen et du Conseil du 13 novembre 2007 concernant les services de paiement dans le marché intérieur, modifiant les directives 97/7/CE, 2002/65/CE, 2005/60/CE ainsi que 2006/48/CE et abrogeant la directive 97/5/CE (JO L 319, p. 1). Voir article 3, sous k), de la directive 2007/64.

( 18 )   Directive du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 concernant l’accès à l’activité des établissements de monnaie électronique et son exercice ainsi que la surveillance prudentielle de ces établissements, modifiant les directives 2005/60/CE et 2006/48/CE et abrogeant la directive 2000/46/CE (JO L 267, p. 7). L’article 1er, paragraphe 4, de la directive 2009/110 renvoie à l’article 3, sous k), de la directive 2007/64.

( 19 )   Selon de nombreux auteurs, s’agissant des services financiers, l’adage Specialia generalibus derogant s’appliquerait. Ainsi, la directive 2006/123 constituerait la loi générale applicable dès lors qu’aucune autre législation spécifique n’existerait. Voir, notamment, Chabaud, L., op. cit., p. 39 et 40. Une telle analyse est confirmée, selon nous, par le considérant 18 de la directive 2006/123. En effet, en vertu de la première phrase de ce considérant, «[i]l convient d’exclure les services
financiers du champ d’application de [cette] directive étant donné que ces activités font l’objet d’une législation communautaire spécifique visant à réaliser, comme [ladite] directive, un véritable marché intérieur des services».

( 20 )   Voir arrêt UPC DTH (C‑475/12, EU:C:2014:285, point 63 et jurisprudence citée).

( 21 )   Voir, notamment, Lemaire, C., «La directive, la liberté d’établissement et la libre prestation des services. Confirmations, innovations?», Revue Europe, juin 2007, no 6, dossier 10, p. 15, point 42, et Huglo, J.-G., «Droit d’établissement et libre prestation de services», Jurisclasseur Europe, Fascicule 710, points 7, 73 et 101.

( 22 )   Voir, notamment, Huglo, J.-G., op. cit., points 7, 55, 73, 99 et 101; Lemaire, C., op. cit., point 42, et Hatzopoulos, V., «Que reste-t-il de la directive sur les services?», Cahiers de droit européen, nos 3-4, 2007, p. 299, spécialement p. 323 et 324.

( 23 )   Arrêt Rina Services et Rina (C‑593/13, EU:C:2015:399).

( 24 )   Point 37. Italique ajouté par nos soins.

( 25 )   Conclusions de l’avocat général Cruz Villalón dans l’affaire Rina Services et Rina (C‑593/13, EU:C:2015:159).

( 26 )   Point 22 de ces conclusions. Voir, déjà en ce sens, conclusions de l’avocat général Cruz Villalón dans les affaires jointes Duomo Gpa e.a. (C‑357/10 à C‑359/10, EU:C:2011:736, point 61). À cet égard, nous notons que, dans sa proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux services dans le marché intérieur [COM(2004) 2 final], la Commission a constaté que cette proposition repose sur une «harmonisation ciblée» et que cette harmonisation porte, notamment, sur la
suppression de certains types d’exigences (p. 9 et 10).

( 27 )   Point 24 desdites conclusions.

( 28 )   Voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Cruz Villalón dans les affaires jointes Duomo Gpa e.a. (C‑357/10 à C‑359/10, EU:C:2011:736, point 61) et Hatzopoulos, V., op. cit., p. 351, point 3.1.2.1.3.

( 29 )   Voir arrêt Duomo Gpa e.a. (C‑357/10 à C‑359/10, EU:C:2012:283, point 30 et jurisprudence citée). Voir, également, arrêt Commission/Espagne (C‑514/03, EU:C:2006:63, point 22 et jurisprudence citée).

( 30 )   Voir considérant 77 de cette directive.

( 31 )   Voir, en ce sens, arrêt Commission/Espagne (C‑514/03, EU:C:2006:63, point 22).

( 32 )   Voir, en ce sens, arrêts Commission/Italie (C‑439/99, EU:C:2002:14, point 21 et jurisprudence citée) ainsi que Liga Portuguesa de Futebol Profissional et Bwin International (C‑42/07, EU:C:2009:519, point 46).

( 33 )   Voir, en ce sens, arrêt Commission/Italie (C‑145/99, EU:C:2002:142, point 22 et jurisprudence citée).

( 34 )   Voir, en ce sens, arrêt Commission/Bulgarie (C‑198/12, EU:C:2014:1316, point 16 et jurisprudence citée).

( 35 )   Elle mentionne que «les consommateurs ou les personnes qui font appel à des services sont les salariés qui disposent d’une carte SZÉP».

( 36 )   Voir arrêt Rina Services et Rina (C‑593/13, EU:C:2015:399, point 28).

( 37 )   Ibidem (point 29).

( 38 )   Ibidem (point 30).

( 39 )   Ibidem (point 31).

( 40 )   Ibidem (point 32).

( 41 )   Ibidem (point 35).

( 42 )   Nous relevons que la Hongrie a souligné, lors de l’audience, que cette situation se présenterait uniquement si le prestataire ne pouvait remplir seul les exigences visées à l’article 13 du décret SZÉP.

( 43 )   La Cour a reconnu, dans plusieurs arrêts, la nature restrictive d’une telle condition [voir notamment, en ce sens, arrêts Commission/Italie (C‑439/99, EU:C:2002:14, point 32); Gambelli e.a. (C‑243/01, EU:C:2003:597, point 48); Commission/Portugal (C‑171/02, EU:C:2004:270, points 41 à 44), ainsi que Commission/Espagne (C‑514/03, EU:C:2006:63, point 31)].

( 44 )   Voir manuel relatif à la mise en œuvre de la directive «services», dont la version en langue française est disponible à l’adresse Internet http://ec.europa.eu/internal_market/services/docs/services-dir/guides/handbook_fr.pdf. Nous notons qu’il ne s’agit pas d’un instrument juridiquement contraignant, mais qu’il peut constituer une aide pour interpréter la directive 2006/123.

( 45 )   La notion de «raisons impérieuses d’intérêt général», visée à cette disposition, est définie au considérant 40 de ladite directive, lequel vise, notamment, la protection des consommateurs et celle des créanciers.

( 46 )   Voir, en ce sens, arrêt Commission/Espagne (C‑514/03, EU:C:2006:63, point 32).

( 47 )   La Commission se réfère à l’arrêt Commission/Italie (C‑465/05, EU:C:2007:781, points 87 et 88 ainsi que jurisprudence citée).

( 48 )   Dans son mémoire en défense, la Hongrie précise que, dans le fonctionnement de la carte SZÉP, le rôle clé serait joué par l’entreprise qui émet cette carte. En effet, si un employeur décide d’accorder à ses salariés le bénéfice de la carte SZÉP, il conclut un contrat avec une ou plusieurs entreprises émettrices de cette carte et leur indique la valeur des avantages à accorder aux salariés. Les émetteurs de ladite carte ouvrent alors un registre nominal de titres électroniques et y
inscrivent les montants correspondant aux instructions de l’employeur. Lorsque les salariés se procurent, ensuite, un service avec la carte SZÉP, la contrevaleur du service est versée par l’émetteur de celle-ci quelques jours plus tard aux personnes qui acceptent cette carte. La Hongrie souligne que, dans ce système, la circulation de l’argent ne peut se faire qu’avec la coopération de l’émetteur. Elle ajoute que, si l’émetteur devait devenir insolvable, l’argent des salariés disparaîtrait
également, puisqu’ils ne disposent que des titres qui n’ont, en soi, aucune valeur financière et les personnes acceptant la carte SZÉP n’obtiendront pas la contrevaleur des services déjà fournis.

( 49 )   Il ressort du mémoire en défense de la Hongrie que, à la fin du mois d’avril 2014, 970000 personnes disposaient d’une carte SZÉP et 22000 cartes avaient été distribuées par les entreprises émettrices à des proches des salariés. En 2013, les employeurs ont versé 68 milliards de forints (227 millions d’euros) sur les cartes SZÉP. Les dépenses effectuées avec ces cartes, en 2013, ont été de 68 milliards de forints (227 millions d’euros), ce qui représente plus de 20 millions de transactions.
Les entreprises émettrices ont conclu, jusqu’à présent, 55000 contrats avec des points d’accueil des cartes SZÉP.

( 50 )   Dans son mémoire en défense, la Hongrie précise qu’il existe 25 villes dont le nombre d’habitants est supérieur à 35000.

( 51 )   Nous notons que l’article 15 de cette directive mentionne à deux reprises qu’il ne s’applique qu’aux exigences non discriminatoires. En effet, selon son paragraphe 2, sous d), les États membres examinent si leur système juridique subordonne l’accès à une activité de service ou son exercice au respect des «exigences non discriminatoires» qui réservent l’accès à l’activité de service concernée à des prestataires particuliers en raison de la nature spécifique de l’activité. De même, il est
précisé, à son paragraphe 3, sous a), que les États membres vérifient que les exigences visées audit paragraphe 2 remplissent la condition de «non-discrimination» selon laquelle les exigences ne sont pas directement ou indirectement discriminatoires en fonction de l’emplacement du siège statutaire des sociétés.

( 52 )   Ainsi, il convient de considérer que, lorsque les exigences visées à l’article 15 de cette directive sont discriminatoires, elles tombent alors dans le champ d’application de l’article 14 de celle-ci et doivent être considérées d’office comme inadmissibles. Voir, en ce sens, D’Acunto, S., «Directive Service (2006/123/CE): radiographie juridique en dix points», Revue du droit de l’Union européenne, no 2-2007, p. 261, spécialement p. 291.

( 53 )   Nous observons que, en Belgique et en France notamment, des opérateurs privés proposent des services similaires.

( 54 )   Voir arrêts Commission/Italie (C‑101/94, EU:C:1996:221, point 31); Commission/Italie (C‑439/99, EU:C:2002:14, point 30 et jurisprudence citée), ainsi que Commission/Portugal (C‑518/09, EU:C:2011:501, point 71).

( 55 )   Voir, en ce sens, arrêts Commission/Autriche (C‑257/05, EU:C:2006:785, point 21 et jurisprudence citée); Commission/Italie (C‑465/05, EU:C:2007:781, point 84 et jurisprudence citée); Commission/Allemagne (C‑546/07, EU:C:2010:25, point 39 et jurisprudence citée), ainsi que Commission/Portugal (C‑518/09, EU:C:2011:501, point 71 et jurisprudence citée).

( 56 )   Voir, en ce sens, arrêt Commission/Portugal (C‑518/09, EU:C:2011:501, point 70).

( 57 )   Voir, en ce sens, Sibony, A.-L., et Defossey, A., «Liberté d’établissement et libre prestation de services», Revue trimestrielle de droit européen, 2009, p. 511; Peglow, K., «La libre prestation de services dans la directive no 2006/123/CE – réflexion sur l’insertion de la directive dans le droit communautaire existant», Revue trimestrielle de droit européen, no 1, 2008, p. 67, spécialement points 56, 61 et 62, ainsi que D’Acunto, S., op. cit., qui constate, notamment, que «la liste
d’entraves indiquées à l’article 16, paragraphe 2, est une liste noire d’entraves interdites tout comme celle figurant à l’article 14, avec la seule (et importante) différence que, aux termes de la directive, la deuxième liste est exhaustive là où celle de l’article 16 est purement indicative» (p. 296).

( 58 )   Selon cette disposition, l’État membre dans lequel le prestataire se déplace demeure libre d’imposer des exigences concernant la prestation de l’activité de service lorsque ces exigences sont justifiées par des raisons d’ordre public, de sécurité publique, de santé publique ou de protection de l’environnement et à la condition qu’elles soient non discriminatoires, nécessaires et proportionnées.

( 59 )   Voir point 7.1.3.4 du manuel de la Commission mentionné à la note en bas de page 44.

( 60 )   Selon la Commission, faute d’une telle période transitoire, les entreprises ayant passé des contrats-cadres à long terme avec leurs partenaires contractuels auraient eu des difficultés à s’adapter en si peu de temps au nouveau contexte légal, ce qui aurait entraîné une chute importante de leur chiffre d’affaires et une perte d’emplois.

( 61 )   Selon l’article 51, premier alinéa, TFUE, «[s]ont exceptées de l’application des dispositions du présent chapitre, en ce qui concerne l’État membre intéressé, les activités participant dans cet État, même à titre occasionnel, à l’exercice de l’autorité publique».

( 62 )   L’article 62 TFUE, en renvoyant à l’article 51 TFUE, rend applicable l’exception relative à l’activité participant à l’exercice de l’autorité publique en matière de libre prestation de services.

( 63 )   COM(2013) 83 final/2.

( 64 )   Point 70 de son mémoire en défense.

( 65 )   Arrêt Läärä e.a. (C‑124/97, EU:C:1999:435, point 41). À ce titre, nous notons que, en revanche, au point 26 de son mémoire en duplique, la Hongrie estime que l’émission des titres Erzsébet ne peut se voir appliquer la jurisprudence en rapport avec la prestation de services de jeux de hasard du fait précisément de l’absence de nature transfrontalière et de l’impossibilité d’une telle nature et de la non-existence de risques identiques aux dangers que peuvent présenter les jeux de hasard.
Ainsi, sur la question de savoir si la jurisprudence en matière de jeux de hasard s’applique, le raisonnement de la Hongrie est incohérent.

( 66 )   Italique ajouté par nos soins.

( 67 )   Voir rapport sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux services dans le marché intérieur (document du Parlement A6-0409/2005).

( 68 )   Page 33.

( 69 )   Voir Michel, V., «Le champ d’application de la directive ‘services’: entre cohérence et régression?», La directive «services» en principe(s) et en pratique, Bruylant, 2011, p. 49.

( 70 )   Voir arrêt VALE Építési (C‑378/10, EU:C:2012:440, point 34 et jurisprudence citée).

( 71 )   Voir notamment, en ce sens, arrêt Smits et Peerbooms (C‑157/99, EU:C:2001:404, point 58).

( 72 )   Voir arrêt Humbel et Edel (263/86, EU:C:1988:451, point 17).

( 73 )   Voir arrêt Deliège (C‑51/96 et C‑191/97, EU:C:2000:199, point 52 et jurisprudence citée).

( 74 )   À ce titre, nous notons qu’il ne fait pas de doute que cette activité constitue une activité non salariée. En effet, aucun rapport de subordination ne peut être décelé en l’occurrence.

( 75 )   Point 50.

( 76 )   C‑275/92, EU:C:1994:119.

( 77 )   Point 35. Italique ajouté par nos soins.

( 78 )   À cet égard, nous notons que, dans le contexte du droit de la concurrence, la notion d’activité économique caractérise la notion d’entreprise. En effet, cette dernière notion comprend toute entité exerçant une «activité économique», indépendamment de son statut juridique ou de son mode de financement. Quant à la notion d’activité économique, elle est définie comme toute activité consistant à offrir des biens ou des services sur un marché donné.

( 79 )   Voir arrêt Kattner Stahlbau (C‑350/07, EU:C:2009:127, point 42 et jurisprudence citée).

( 80 )   Ibidem (point 43 et jurisprudence citée).

( 81 )   Selon la Hongrie, les titres Erzsébet seraient identiques à de telles obligations dans leur fonction et dans leur finalité. Dans cette communication, la Commission précise le fonctionnement de ces obligations d’investissements sociaux en mentionnant que, «[g]râce aux obligations à effet social, un investisseur privé finance généralement un prestataire de services sociaux pour l’application d’un programme social. En échange, le secteur public promet (‘obligation’) de lui rembourser
l’investissement initial et de lui verser un taux rémunérateur si le programme atteint, sur le plan social, les résultats escomptés» (note en bas de page 17).

( 82 )   Points 45 à 47 de son mémoire en défense.

( 83 )   Point 48 de son mémoire en défense.

( 84 )   Voir arrêt Commission/Allemagne (C‑160/08, EU:C:2010:230, point 76 et jurisprudence citée).

( 85 )   Ibidem (point 78 et jurisprudence citée).

( 86 )   En vertu de cette disposition, «[l]es entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique général ou présentant le caractère d’un monopole fiscal sont soumises aux règles des traités [...] dans les limites où l’application de ces règles ne fait pas échec à l’accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie».

( 87 )   Voir, en ce sens, arrêts Vlaamse Televisie Maatschappij/Commission (T‑266/97, EU:T:1999:144, point 106 et jurisprudence citée); United Pan-Europe Communications Belgium e.a. (C‑250/06, EU:C:2007:783, points 14 et 15), ainsi que ASM Brescia (C‑347/06, EU:C:2008:416, point 61).

( 88 )   Voir arrêt Commission/Italie (C‑465/05, EU:C:2007:781, point 17 et jurisprudence citée).

( 89 )   Voir arrêt Servizi Ausiliari Dottori Commercialisti (C‑451/03, EU:C:2006:208, point 32).

( 90 )   Ibidem (point 33). Voir également, en ce sens, s’agissant de la constatation d’une restriction à la libre prestation des services en matière de jeux de hasard, arrêt Dickinger et Ömer (C‑347/09, EU:C:2011:582, point 41 et jurisprudence citée).

( 91 )   Ibidem (point 34).

( 92 )   Voir arrêt Vlaamse Televisie Maatschappij/Commission (T‑266/97, EU:T:1999:144, point 114).

( 93 )   Voir arrêts Servizi Ausiliari Dottori Commercialisti (C‑451/03, EU:C:2006:208, point 37 et jurisprudence citée) ainsi que DKV Belgium (C‑577/11, EU:C:2013:146, point 38 et jurisprudence citée).

( 94 )   Voir, en ce sens, arrêt Kattner Stahlbau (C‑350/07, EU:C:2009:127, point 37 et jurisprudence citée).

( 95 )   Ibidem (point 74 et jurisprudence citée).

( 96 )   Ibidem (point 85 et jurisprudence citée).

( 97 )   Voir arrêt Commission/Portugal (C‑438/08, EU:C:2009:651, point 47 et jurisprudence citée). Voir également, en ce sens, arrêts Leichtle (C‑8/02, EU:C:2004:161, point 45) ainsi que Commission/Italie (C‑260/04, EU:C:2007:508, point 33 et jurisprudence citée).

( 98 )   Voir, en ce sens, arrêt Commission/Autriche (C‑320/03, EU:C:2005:684, point 89).

( 99 )   Entre l’adoption de la loi no CLVI de 2011 intervenue le 12 novembre 2011 et son entrée en vigueur, le 1er janvier 2012.

( 100 )   Voir, en ce sens, arrêt Commission/Autriche (C‑320/03, EU:C:2005:684, point 90).

( 101 )   À cet égard, nous notons, à l’instar de la Commission, que, même si les opérateurs concernés peuvent toujours émettre des titres qui continuent de bénéficier d’une imposition avantageuse, comme les chèques-cadeaux ou les chèques de rentrée des classes, les parts de marché de ces titres sont faibles par rapport aux titres Erzsébet. En effet, selon la Commission, pour l’année 2012, c’est-à-dire l’année qui a suivi immédiatement le changement législatif, les titres Erzsébet représentaient une
part de marché de 11,5 %, alors que la part de marché des chèques-cadeaux était de 0,4 % et celle des chèques de rentrée des classes de 0,9 %.

( 102 )   Voir, en ce sens, arrêts Läärä e.a. (C‑124/97, EU:C:1999:435, points 35, 37 et 39); Sporting Exchange (C‑203/08, EU:C:2010:307, point 37), ainsi que Dickinger et Ömer (C‑347/09, EU:C:2011:582, points 48 et 49).

( 103 )   Ibidem (respectivement, points 37 et 39; points 31 et 36, ainsi que points 48 et 50).


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-179/14
Date de la décision : 17/09/2015
Type de recours : Recours en constatation de manquement

Analyses

Manquement d’État – Directive 2006/123/CE – Articles 14 à 16 – Article 49 TFUE – Liberté d’établissement – Article 56 TFUE – Libre prestation de services – Conditions d’émission de titres fiscalement avantageux attribués par les employeurs à leurs salariés et utilisables à des fins d’hébergement, de loisirs et/ou de restauration – Restrictions – Monopole.

Libre prestation des services

Droit d'établissement

Marché intérieur - Principes


Parties
Demandeurs : Commission européenne
Défendeurs : Hongrie.

Composition du Tribunal
Avocat général : Bot

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2015:619

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