CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. PAOLO MENGOZZI
présentées le 9 septembre 2015 ( 1 )
Affaire C‑115/14
RegioPost GmbH & Co. KG
contre
Stadt Landau
[demande de décision préjudicielle formée par l’Oberlandesgericht Koblenz (Allemagne)]
«Situation purement interne — Identité nationale — Article 4, paragraphe 2, TUE — Libre prestation des services — Article 56 TFUE — Directive 96/71/CE — Article 3, paragraphe 1 — Directive 2004/18/CE — Article 26 — Marchés publics — Services postaux — Réglementation nationale imposant aux soumissionnaires et à leurs sous‑traitants de s’engager à verser un salaire minimal au personnel exécutant les prestations faisant l’objet du marché public»
I – Introduction
1. Dans le cadre d’une procédure de passation d’un marché public, un pouvoir adjudicateur d’un État membre est‑il habilité, au regard des dispositions du droit de l’Union, à exiger des soumissionnaires et de leurs sous‑traitants qu’ils s’engagent à verser le salaire horaire minimal légal au personnel qui sera chargé d’exécuter les prestations faisant l’objet dudit marché?
2. Tel est, pour l’essentiel, le cœur des questions posées par l’Oberlandesgericht Koblenz (Allemagne) dans le cadre d’un litige qui oppose RegioPost GmbH & Co. KG (ci‑après «RegioPost»), un prestataire de services postaux, à la Stadt Landau in der Pfalz, une commune située dans le Land de Rhénanie‑Palatinat.
3. Cette problématique, à laquelle la Cour a déjà été confrontée dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts Rüffert (C‑346/06, EU:C:2008:189) et Bundesdruckerei (C‑549/13, EU:C:2014:2235), dans des circonstances juridiques et factuelles toutefois différentes, nécessite, en substance, d’interpréter les dispositions de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fourniture et
de services ( 2 ), et l’article 56 TFUE en matière de libre prestation de services.
4. Il ressort de la décision de renvoi que, le 23 avril 2013, la Stadt Landau in der Pfalz a lancé, à l’échelle de l’Union européenne, un appel d’offres, ayant pour objet un marché public relatif aux services postaux de cette ville, divisé en deux lots.
5. Il est constant qu’il n’existait, à l’époque des faits au principal, ni salaire minimal général en Allemagne, celui‑ci n’ayant été introduit, au taux horaire de 8,50 euros (brut), qu’à compter du 1er janvier 2015, ni convention collective d’application générale obligatoire couvrant les relations et les conditions de travail dans le secteur des services postaux.
6. Cela étant, conformément aux indications de l’avis de marché lancé par la Stadt Landau in der Pfalz relatives à la «capacité économique et financière» de l’adjudicataire, celui‑ci devait respecter les dispositions de la loi du Land de Rhénanie‑Palatinat relative à la garantie du respect des conventions collectives et du salaire minimal dans l’attribution des marchés publics [(Landesgesetz zur Gewährleistung von Tariftreue und Mindestentgelt bei öffentlichen Auftragsvergaben
(Landestariftreuegesetz), ci‑après le «LTTG»], du 1er décembre 2010.
7. L’article 1er du LTTG énonce que cette loi vise à lutter contre les distorsions de la concurrence dans le cadre de l’attribution des marchés publics, qui résultent de l’utilisation de personnel à bas salaires, et à atténuer les charges pour les systèmes de sécurité sociale. Le pouvoir adjudicateur ne peut ainsi attribuer des marchés publics qu’à des entreprises qui paient à leurs salariés le salaire minimal prévu par la loi.
8. L’article 3, paragraphe 1, du LTTG précise que les marchés publics ne peuvent être attribués qu’à des entreprises qui, lors du dépôt de l’offre, s’engagent par écrit à verser à leur personnel, pour l’exécution de la prestation, un salaire d’au moins 8,50 euros (brut) par heure (salaire minimal) et à mettre en œuvre, au profit des salariés, pendant la durée d’exécution, les modifications du salaire minimal. À l’époque des faits du litige au principal, conformément à la procédure prévue à
l’article 3, paragraphe 2, du LTTG, le salaire horaire minimal visé à l’article 3 du LTTG a été porté à 8,70 euros (brut) par règlement du gouvernement du Land de Rhénanie‑Palatinat. Par ailleurs, l’article 3, paragraphe 1, du LTTG ajoute que, si la déclaration relative au salaire minimal fait défaut lors du dépôt de l’offre et si elle n’est pas non plus présentée après une demande en ce sens, l’offre est exclue de l’évaluation.
9. Le cahier des charges du marché public en question contenait une «déclaration modèle» en vertu de l’article 3 du LTTG invitant les soumissionnaires à présenter, lors du dépôt de leur offre, leur propre déclaration relative au respect du salaire minimal et des déclarations au nom de leurs sous‐traitants.
10. Le 16 mai 2013, RegioPost a fait valoir que les déclarations relatives au salaire minimal visées à l’article 3 du LTTG étaient contraires au droit des marchés publics. Elle a joint à son offre, déposée dans les délais requis, des déclarations des sous‑traitants rédigées par ses soins, sans toutefois en déposer une pour elle‑même.
11. Le 25 juin 2013, la Stadt Landau in der Pfalz a accordé à RegioPost la possibilité de produire, a posteriori, dans un délai de quatorze jours, les déclarations relatives au salaire minimal, visées à l’article 3 du LTTG, tout en indiquant qu’elle exclurait l’offre de RegioPost au cas où celle‑ci ne donnerait pas suite à cette demande.
12. Le 27 juin 2013, sans avoir produit les déclarations réclamées par le pouvoir adjudicateur, RegioPost a réitéré ses griefs et a annoncé que, en cas d’exclusion de son offre, elle exercerait un recours.
13. Le 11 juillet 2013, le pouvoir adjudicateur a informé RegioPost que son offre ne pouvait être évaluée en l’absence des déclarations sollicitées. Par la même occasion, il a indiqué que les deux lots du marché en question seraient attribués respectivement à PostCon Deutschland GmbH et à Deutsche Post AG.
14. Le 23 octobre 2013, la Vergabekammer Rheinland‑Pfalz (chambre des marchés publics du Land de Rhénanie‑Palatinat) a rejeté le recours introduit par RegioPost, en considérant, notamment, que l’offre de cette dernière avait à juste titre été exclue en raison de l’absence des déclarations relatives au salaire minimal qui avaient été légitimement sollicitées par le pouvoir adjudicateur.
15. Saisie du litige en appel, la juridiction de renvoi estime que la solution de celui‑ci dépend du point de savoir si l’article 3 du LTTG est compatible avec le droit de l’Union.
16. Plus précisément, elle considère que l’article 3 du LTTG contient une «condition particulière concernant l’exécution du marché» qui vise des «considérations sociales» au sens de l’article 26 de la directive 2004/18, condition qui serait licite uniquement si elle est compatible avec les dispositions du droit de l’Union concernant la libre prestation des services.
17. Or, la juridiction de renvoi estime ne pas être en mesure de vérifier cette compatibilité, y compris en tenant compte de la jurisprudence de la Cour, en particulier de l’arrêt Rüffert (C‑346/06, EU:C:2008:189).
18. S’agissant de la compatibilité de l’article 3 du LTTG avec l’article 56, premier alinéa, TFUE, la juridiction de renvoi observe que l’obligation pesant sur des entreprises établies dans d’autres États membres d’adapter les salaires versés à leurs employés au niveau de rémunération, normalement plus élevé, applicable sur le lieu d’exécution du marché en Allemagne, fait perdre à ces entreprises un avantage concurrentiel. Par conséquent, l’obligation contenue à l’article 3 du LTTG constituerait une
entrave interdite, en principe, par l’article 56, premier alinéa, TFUE.
19. La juridiction de renvoi considère cependant que le droit de l’Union ne s’opposerait pas à l’application de l’article 3 du LTTG auxdites entreprises s’il devait être constaté que les conditions d’application de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 1996, concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services ( 3 ), étaient satisfaites.
20. Elle nourrit toutefois des doutes à cet égard.
21. D’une part, la juridiction de renvoi relève que, si l’article 3 du LTTG constitue bien une disposition législative qui fixe elle‑même le taux de salaire minimal, cette disposition ne garantirait pas à l’ensemble du personnel des adjudicataires le paiement d’un tel salaire. Elle se limiterait en effet à interdire aux pouvoirs adjudicateurs d’attribuer un marché public à des soumissionnaires qui ne s’engageraient pas à verser le salaire minimal aux seuls travailleurs affectés à l’exécution dudit
marché.
22. D’autre part, la juridiction de renvoi souligne que l’obligation prévue à l’article 3 du LTTG ne s’applique qu’aux marchés publics et non à l’exécution de marchés privés. Or, un travailleur affecté à l’exécution d’un tel marché ne serait pas moins digne de protection sociale qu’un travailleur exécutant un marché public. À cet égard, la juridiction de renvoi fait observer que l’application de l’arrêt Rüffert (C‑346/06, EU:C:2008:189) dans une situation telle que celle en cause dans l’affaire au
principal ferait débat en Allemagne. De plus, la juridiction de renvoi fait part de ses doutes sérieux quant à la thèse selon laquelle l’exigence d’une application générale d’un taux de salaire minimal à l’ensemble des types de marchés en cause ne serait limitée qu’à la situation, à l’origine de l’arrêt Rüffert, dans laquelle ce taux est fixé par voie de conventions collectives et non pas par des dispositions législatives.
23. Enfin, s’il devait être conclu à la compatibilité de l’exigence fixée à l’article 3 du LTTG avec l’article 56 TFUE, la juridiction de renvoi estime qu’il y aurait ensuite lieu de s’interroger sur la compatibilité avec l’article 26 de la directive 2004/18 de la sanction prévue à l’article 3 du LTTG, à savoir l’exclusion du soumissionnaire de la participation à la procédure de passation du marché. En particulier, la juridiction de renvoi exprime ses doutes quant à la question de savoir si la
condition de l’article 3 du LTTG peut être qualifiée de critère de sélection qualitatif, dont l’inobservation serait susceptible de justifier l’exclusion d’un soumissionnaire. De surcroît, elle considère que la sanction prescrite par l’article 3 du LTTG serait inutile, puisque l’adjudicataire serait contractuellement tenu de verser le salaire minimal légal une fois le marché conclu, le non‑respect de cette obligation étant assorti d’une pénalité prévue à l’article 7 du LTTG.
24. C’est dans ces circonstances que la juridiction de renvoi a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) L’article 56, premier alinéa, TFUE lu conjointement avec l’article 3, paragraphe 1, de la directive 96/71 doit‑il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une disposition nationale prescrivant à un pouvoir adjudicateur de n’attribuer des marchés qu’à des soumissionnaires qui s’engagent, et dont les sous‑traitants s’engagent, par écrit, lors du dépôt de l’offre, à payer à leur personnel chargé de l’exécution du marché un salaire minimal qui est fixé par l’État uniquement pour les marchés
publics, mais pas pour les marchés privés, lorsqu’un tel salaire minimal n’est imposé ni par une législation d’application générale ni par une convention collective de portée générale liant les soumissionnaires et leurs éventuels sous‑traitants?
2) Au cas où il serait répondu par la négative à la première question:
Le droit de l’Union en matière de passation de marchés publics, notamment l’article 26 de la directive 2004/18, doit‑il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une disposition nationale telle que l’article 3, paragraphe 1, troisième phrase, du LTTG qui prévoit l’exclusion obligatoire d’une offre dans le cas où un soumissionnaire ne s’oblige pas, dès le dépôt de l’offre, dans une déclaration séparée, à un acte auquel, en cas d’attribution du marché, il serait contractuellement tenu même
sans avoir déposé cette déclaration?»
25. Ces questions ont fait l’objet d’observations écrites de la part de la Stadt Landau in der Pfalz, de Deutsche Post AG, des gouvernements allemand, danois, italien, autrichien et norvégien ainsi que de la part de la Commission européenne. À l’exception des gouvernements italien et autrichien, ces parties ainsi que RegioPost ont présenté des observations orales lors de l’audience du 29 avril 2015.
II – Analyse
A – Sur la première question préjudicielle
26. Par sa première question, la juridiction de renvoi interroge la Cour sur la compatibilité avec l’article 56 TFUE et l’article 3, paragraphe 1, de la directive 96/71 d’une législation adoptée par une entité fédérée d’un État membre qui oblige les soumissionnaires et leurs sous‑traitants à s’engager, par voie de déclaration écrite devant être jointe à leur offre, à verser au personnel qui sera appelé à exécuter les prestations faisant l’objet d’un marché public un salaire horaire minimal de
8,70 euros (brut), fixé par ladite législation.
1. Sur la compétence de la Cour
27. La Stadt Landau in der Pfalz ainsi que les gouvernements allemand et italien soutiennent que, dans la mesure où tous les éléments de l’affaire au principal seraient cantonnés à l’intérieur de la République fédérale d’Allemagne, il n’y aurait pas lieu de répondre à cette question, puisque les dispositions du droit de l’Union afférentes à la libre prestation des services ne trouveraient pas à s’appliquer dans une telle situation.
28. Cette argumentation ne saurait, à mon sens, prospérer.
29. Certes, comme cela résulte de la décision de renvoi, toutes les entreprises ayant participé à la procédure de passation du marché public en question sont établies en Allemagne, ce marché est exécuté sur le territoire allemand, sans que, de surcroît, aucun élément du dossier ne laisse apparaître que des entreprises sous‐traitantes établies sur le territoire d’autres États membres aient été appelées à participer à l’exécution dudit marché.
30. Il est également vrai que les dispositions du traité relatives à la libre prestation des services ne sont pas applicables à des activités dont l’ensemble des éléments pertinents se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre ( 4 ).
31. La Cour s’estime néanmoins compétente pour répondre à des questions portant notamment sur l’interprétation des dispositions du traité relatives aux libertés fondamentales dans des contextes où tous les éléments sont circonscrits à un seul État membre dans trois cas de figure: tantôt lorsqu’il ne saurait «nullement être exclu» que des ressortissants d’autres États membres puissent, dans des situations similaires, être confrontés aux mesures nationales litigieuses de l’État membre en cause à
l’occasion de l’exercice d’une desdites libertés ( 5 ), tantôt lorsque le droit interne interdit les discriminations dites «à rebours» ( 6 ) et/ou tantôt lorsque, pour résoudre un litige purement interne, le droit interne renvoie, en principe de manière «directe et inconditionnelle», aux normes du droit de l’Union ( 7 ).
32. Dans le contexte du premier courant jurisprudentiel qui vient d’être mentionné, la Cour a précisé, dans ses arrêts Venturini e.a. et Sokoll‑Seebacher qu’elle était compétente pour répondre à des questions préjudicielles qui, malgré le caractère purement interne des situations à l’origine desdites questions, portaient sur la compatibilité avec la liberté d’établissement garantie par le traité de réglementations nationales qui étaient susceptibles de produire des effets qui ne sont pas cantonnés à
un seul État membre. En effet, dans ces cas, il n’était «nullement exclu» que des ressortissants d’autres États membres eussent été ou fussent intéressés à faire usage de la liberté fondamentale en cause dans ces affaires ( 8 ).
33. Par‑delà la situation particulière du litige au principal, la Cour paraît ainsi s’attacher à vérifier si, en raison de son objet ou de sa nature même, la mesure nationale en cause est susceptible de produire des effets transfrontaliers. Si tel est le cas, la Cour acceptera de répondre aux questions qui lui sont déférées.
34. Cette jurisprudence peut être transposée à la présente affaire.
35. Le LTTG a pour objet d’imposer aux adjudicataires de marchés publics organisés par les pouvoirs adjudicateurs du Land de Rhénanie‑Palatinat le respect du salaire minimal fixé par ce Land, lors de l’exécution de ces marchés. L’article 3 du LTTG oblige chacun des soumissionnaires ainsi que leurs éventuels sous‐traitants, indépendamment de leur nationalité ou du lieu de leur résidence, à s’engager par écrit, lors du dépôt de l’offre, à respecter ledit salaire minimal dans l’hypothèse où le marché
leur serait finalement attribué. En tant que tel, le LTTG peut donc produire des effets au‑delà du territoire allemand, puisque les exigences que ce texte pose s’appliquent indistinctement à tous les appels d’offres, y compris ceux à l’échelle de l’Union européenne, lancés par les pouvoirs adjudicateurs du Land de Rhénanie‑Palatinat.
36. Telle était d’ailleurs la situation au moment de l’appel d’offres à l’origine du litige au principal. En effet, comme cela ressort du dossier communiqué par la juridiction de renvoi et comme cela a été confirmé à l’audience par la Stadt Landau in der Pfalz, le marché public en question a été lancé à l’échelle de l’Union et sa valeur estimée excède largement le seuil de 200000 euros prévu à l’article 7, sous b), de la directive 2004/18 applicable, au moment des faits du litige au principal, aux
marchés publics de services ( 9 ).
37. Il ne saurait donc nullement être exclu que, lors de sa publication au Journal officiel de l’Union européenne, cet appel d’offres ait pu intéresser un certain nombre d’entreprises établies dans des États membres autres que l’Allemagne, mais que ces entreprises n’aient finalement pas participé à la procédure de passation pour des raisons qui seraient susceptibles d’être liées aux exigences posées par l’article 3 du LTTG.
38. Mais c’est surtout le rattachement de l’affaire au principal aux dispositions de la directive 2004/18, dont l’applicabilité ne fait pas de doute, qui forge ma conviction selon laquelle il importe d’écarter l’objection d’incompétence ou d’irrecevabilité soulevée par la Stadt Landau in der Pfalz et les gouvernements allemand et italien ( 10 ).
39. Comme la juridiction de renvoi l’a relevé à juste titre, l’article 26 de cette directive octroie aux pouvoirs adjudicateurs le droit «d’exiger des conditions particulières concernant l’exécution du marché» qui peuvent viser des «considérations sociales», pour autant qu’elles soient indiquées dans l’avis de marché ou dans le cahier des charges et soient «compatibles avec le droit [de l’Union]».
40. Le renvoi ainsi opéré par l’article 26 de la directive 2004/18 aux dispositions du droit de l’Union signifie que les conditions tenant au respect d’un taux de salaire minimal prévues à l’article 3 du LTTG, qui sont liées à l’exécution du marché public, doivent être compatibles avec lesdites dispositions, y inclus, partant, avec la libre prestation des services garantie par le traité.
41. Par ailleurs, ainsi que la Cour l’a déjà jugé, le devoir de respecter le principe d’égalité de traitement correspond à l’essence même des directives en matière de marchés publics, qui visent notamment à favoriser le développement d’une concurrence effective et énoncent des critères d’attribution du marché tendant à garantir une telle concurrence ( 11 ).
42. La juridiction de renvoi devant, tout comme le pouvoir adjudicateur, assurer que soit garantie l’égalité de traitement entre les soumissionnaires participant à un appel d’offres relatif à un marché relevant du champ d’application de la directive 2004/18, cette dernière impose donc à ladite juridiction de se conformer, pour les solutions à apporter à une situation purement interne, aux solutions retenues dans le droit de l’Union, en particulier afin d’éviter l’apparition de toute discrimination
entre les opérateurs économiques ou d’éventuelles distorsions de concurrence ( 12 ).
43. C’est pourquoi, en tout état de cause, dans la mesure où l’avis de marché dans l’affaire au principal relève du champ d’application des dispositions de la directive 2004/18, il me semble que ce sont avant tout les conditions d’application de l’article 26 de celle‑ci qui font, en réalité, l’objet de l’interprétation demandée par la juridiction de renvoi dans sa première question préjudicielle. Dès lors, si la première question déférée par la juridiction de renvoi est reformulée de sorte à porter
sur l’interprétation de l’article 26 de la directive 2004/18, la Cour est nécessairement compétente pour interpréter cet article. En effet, l’applicabilité des dispositions de la directive 2004/18 ne dépend pas d’un lien effectif avec la libre circulation entre les États membres; ces dispositions sont pertinentes dès lors que le montant du marché en cause au principal dépasse les seuils d’application de cette directive ( 13 ), ce qui est le cas dans l’affaire au principal.
44. Dans ces conditions, j’estime que la Cour est compétente pour répondre à la première question préjudicielle déférée par la juridiction de renvoi. Comme indiqué, une telle compétence est, selon moi, évidente si cette question doit être reformulée en ce sens qu’elle vise l’interprétation de la portée des conditions prévues à l’article 26 de la directive 2004/18.
2. Sur le fond
45. Au vu des observations qui précèdent quant à la reformulation de la question déférée par la juridiction de renvoi, j’estime que cette dernière cherche, en substance, à savoir s’il y a lieu d’interpréter l’article 26 de la directive 2004/18 en ce sens qu’il s’oppose à la législation d’une entité régionale d’un État membre qui oblige les soumissionnaires et leurs sous‑traitants à s’engager, par voie de déclaration écrite devant être jointe à leur offre, à verser au personnel qui sera appelé à
exécuter les prestations faisant l’objet d’un marché public un salaire horaire minimal de 8,70 euros (brut), fixé par ladite législation.
46. L’article 26 de la directive 2004/18 autorise les pouvoirs adjudicateurs à subordonner l’exécution du marché public à des «conditions particulières» qui peuvent viser des «considérations sociales», pour autant, d’une part, que ces conditions soient indiquées dans l’avis de marché ou dans le cahier des charges et, d’autre part, soient «compatibles avec le droit [de l’Union]».
47. En l’occurrence, le respect par l’adjudicataire des dispositions du LTTG, en particulier de son article 3, était clairement indiqué tant dans l’avis de marché que dans le cahier des charges dans l’affaire au principal. Par ailleurs, il ne fait pas de doute, selon moi, que les «considérations sociales», visées par l’article 26 de la directive 2004/18, incluent le respect par une entreprise adjudicataire et ses éventuels sous‑traitants, lors de l’exécution d’un marché public, d’un taux de salaire
minimal fixé par la loi au profit des travailleurs affectés à cette tâche.
48. Le considérant 34 de cette même directive confirme que «les lois, réglementations […], nationales […], en vigueur en matière de conditions de travail […], s’appliquent pendant l’exécution d’un marché public, pourvu que de telles règles, ainsi que leur application, soient conformes au droit de [l’Union]» ( 14 ). Le respect d’un taux de salaire minimal est parfaitement susceptible de faire partie de la catégorie des conditions de travail ( 15 ).
49. Aux termes de l’article 26 de la directive 2004/18, lu à la lumière du considérant 34 de celle‑ci, la possibilité d’imposer le respect d’un tel taux de salaire minimal doit néanmoins être compatible avec le droit de l’Union.
50. Partant, il s’agit de vérifier si l’exigence de respecter un taux de salaire minimal lors de l’exécution d’un marché public, telle que celle en cause dans l’affaire au principal, est compatible avec les dispositions pertinentes du droit de l’Union.
51. À cet égard, la juridiction de renvoi ainsi que les parties intéressées considèrent qu’un tel examen doit avant tout, sinon exclusivement, être entrepris à la lumière de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 96/71, dans la mesure où cette disposition règle les conditions de travail et d’emploi que peuvent exiger les États membres de la part d’entreprises qui détachent des travailleurs, à titre temporaire, dans le cadre d’une prestation de services.
52. Cette approche ne me convainc pas.
53. La raison en est qu’il est constant que l’affaire au principal ne relève d’aucune des mesures de détachement de travailleurs visées à l’article 1er, paragraphe 3, de la directive 96/71. En particulier, pour l’exécution du marché public auquel elle a soumissionné, RegioPost, qui est établie en Allemagne, n’entendait ni faire appel à un établissement ou à une entreprise de son groupe qui aurait détaché des travailleurs sur le territoire allemand ni même utiliser les services d’une entreprise
d’intérim ou de mise à disposition de travailleurs d’un autre État membre, en bénéficiant du détachement de ces derniers en Allemagne.
54. Sous l’angle de l’application de la directive 96/71, la situation à l’origine de la présente affaire ne diffère pas substantiellement de celle ayant donné lieu à l’arrêt Bundesdruckerei (C‑549/13, EU:C:2014:2235), dans lequel la Cour a exclu d’examiner la compatibilité avec les dispositions de cette directive de la réglementation d’un Land allemand, qui imposait le respect, par des entreprises adjudicataires d’un marché public, d’un taux de salaire minimal fixé par cette même réglementation, au
motif que la situation en cause au principal ne relevait pas de l’une des trois mesures transnationales visées à l’article 1er, paragraphe 3, de la directive 96/71 ( 16 ).
55. En effet, il ressortait de la demande de décision à titre préjudiciel dans cette affaire que l’entreprise Bundesdruckerei entendait exécuter le marché public en question (qui se rapportait à la numérisation de documents et à la conversion de données au profit d’une commune allemande) non pas par le détachement de travailleurs sur le territoire allemand, mais en le confiant à des travailleurs d’une de ses filiales établie sur le territoire d’un autre État membre, à savoir la Pologne ( 17 ).
56. En d’autres termes, selon le raisonnement de la Cour, bien qu’il s’agissait d’une situation transnationale, celle‑ci n’impliquait pas le déplacement de travailleurs, à titre temporaire, sur le territoire allemand pour exécuter la prestation de services en cause.
57. Il importe encore de relever que, pour écarter l’application de la directive 96/71, la Cour a porté attention non pas à la situation telle qu’elle se présentait au moment où le pouvoir adjudicateur a lancé son avis de marché au niveau de l’Union européenne, moment auquel un détachement de travailleurs sur le territoire allemand était encore susceptible de se réaliser, mais bien à la situation précise de l’entreprise Bundesdruckerei, à l’origine du renvoi préjudiciel.
58. La Cour a donc déduit de ces circonstances que seule l’interprétation de l’article 56 TFUE était pertinente dans l’affaire Bundesdruckerei (C‑549/13, EU:C:2014:2235, point 29).
59. Telle doit aussi être, à mon sens, l’approche qu’il convient de retenir dans la présente affaire.
60. Partant, dans une situation comme celle de l’affaire au principal, j’estime que le renvoi opéré par l’article 26 de la directive 2004/18 au droit de l’Union vise exclusivement l’article 56 TFUE.
61. Quant à la vérification de la compatibilité d’une règle de droit national, telle que l’article 3 du LTTG, avec l’article 56 TFUE, elle nécessite pour l’essentiel de déterminer si le taux de salaire minimal, prévu par la réglementation du Land de Rhénanie‑Palatinat, constitue une restriction à la libre prestation de services, susceptible d’être justifiée par les objectifs de lutte contre les distorsions de la concurrence ou de protection des travailleurs, comme l’ont soutenu tant la Stadt Landau
in der Pfalz que le gouvernement allemand.
62. Tout d’abord, au vu de la jurisprudence de la Cour, il ne fait aucun doute que, en exigeant le respect d’un taux de salaire horaire minimal de 8,70 euros (brut) de la part des adjudicataires de marchés publics et de leurs sous‑traitants éventuels, une réglementation, telle que celle du Land de Rhénanie‑Palatinat, peut imposer aux prestataires de services établis dans des États membres autres que l’Allemagne, où les taux de salaire minimal sont inférieurs, une charge économique supplémentaire qui
est susceptible de prohiber, de gêner ou de rendre moins attrayante l’exécution de leurs prestations en Allemagne. Une telle mesure nationale est donc susceptible de constituer une restriction au sens de l’article 56 TFUE ( 18 ).
63. Ensuite, il s’agit de vérifier si une telle mesure nationale peut être justifiée notamment au regard de l’objectif de la protection des travailleurs.
64. À cet égard, tant RegioPost que la Commission estiment, en référence, en particulier, aux points 29 et 39 de l’arrêt Rüffert (C‑346/06, EU:C:2008:189), que tel ne serait pas le cas puisque la protection accordée par l’article 3, paragraphe 1, du LTTG ne s’étend pas aux travailleurs affectés à l’exécution de marchés privés.
65. Je ne partage pas cette position.
66. Dans l’affaire Rüffert, la Cour était interrogée sur la question de savoir si était compatible avec l’article 3, paragraphe 1, de la directive 96/71 et avec l’article 56 TFUE la législation d’un Land allemand qui exigeait des adjudicataires de marchés publics de construction et de transports publics locaux qu’ils respectent, lors de l’exécution desdits marchés, le taux de salaire prévu par une convention collective à laquelle renvoyait la législation du Land en question.
67. Au regard de l’interprétation de la directive 96/71 qui revêt également, aux termes du raisonnement mené par la Cour dans l’arrêt Rüffert (C‑346/06, EU:C:2008:189), une pertinence pour l’interprétation de l’article 56 TFUE, se posait ainsi la question de savoir si la convention collective en cause dans cette affaire avait été déclarée d’application générale, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de cette directive. La Cour a jugé que tel n’était pas le cas et que, partant, les modalités de
fixation du taux de salaire minimal prévues par la directive 96/71 n’étaient pas satisfaites.
68. Allant quelque peu au‑delà de ce problème ( 19 ) et examinant l’effet général et contraignant d’une convention collective telle que celle en cause dans cette affaire, la Cour a jugé, au point 29 de l’arrêt Rüffert (C‑346/06, EU:C:2008:189), qu’un tel effet ne pouvait être constaté dès lors que, en particulier, la «législation» du Land en question, qui renvoyait au respect du taux de salaire prévu par cette convention, «ne s’appliqu[ait] qu’aux marchés publics, à l’exclusion des marchés privés».
69. Au point 39 de l’arrêt Rüffert (C‑346/06, EU:C:2008:189), point qui s’insère dans le raisonnement «confirmatif» de la Cour relatif à l’article 56 TFUE, cette dernière a réitéré mot à mot l’appréciation citée ci‑dessus, figurant au point 29 dudit arrêt.
70. La portée de l’appréciation figurant aux points 29 et 39 de l’arrêt Rüffert doit néanmoins et désormais être relativisée à la lumière de l’article 26 de la directive 2004/18, disposition entièrement nouvelle en droit de l’Union des marchés publics et qui n’était pas applicable au moment des faits à l’origine dudit arrêt ( 20 ).
71. Comme déjà indiqué, l’article 26 de la directive 2004/18 autorise les États membres à exiger de la part des adjudicataires de marchés publics le respect de conditions particulières, y incluses des conditions de travail, dans l’exécution de ces marchés. Afin de conserver un effet utile à cette autorisation, les États membres doivent être habilités, selon moi, à adopter des dispositions législatives, réglementaires ou administratives fixant des conditions de travail, y compris un taux de salaire
minimal, dans le contexte spécifique des marchés publics, au profit des travailleurs qui fournissent des services pour la réalisation de ces marchés.
72. Il est évident que, dans l’exercice de cette compétence, les États membres et les pouvoirs adjudicateurs doivent s’assurer que les principes de transparence et de non‑discrimination, tels qu’ils résultent de l’article 26 de la directive 2004/18 en référence au droit de l’Union, soient respectés.
73. Toutefois, l’exercice de cette compétence ne saurait, à mon sens, être subordonné à ce que les conditions de travail concernées, comme, en l’occurrence, le taux de salaire minimal, soient également applicables aux travailleurs exécutant des marchés privés. Si tel était le cas, ces conditions perdraient alors leur qualité de «conditions particulières», au sens de l’article 26 de la directive 2004/18. De surcroît, imposer une telle extension à l’exécution de marchés privés conduirait, in fine, à
ce que les États membres soient contraints d’introduire un taux de salaire minimal, d’application générale, sur tout ou partie de leur territoire, ce que n’impose nullement, à l’heure actuelle, le droit de l’Union ( 21 ).
74. Dans un contexte tel que celui de l’affaire au principal, une telle extension, qui serait motivée par un souci de cohérence de la législation du Land, me paraît même susceptible de porter atteinte aux compétences des Länder.
75. Ainsi que cela a été mis en exergue par plusieurs parties intéressées, tandis que les Länder sont compétents, en droit allemand, pour établir des règles relatives à la rémunération minimale dans le cadre de la passation des marchés publics, ils n’en possèdent aucune en matière de fixation de taux de salaire minimal applicable à l’ensemble des travailleurs.
76. Il s’ensuivrait, si l’on devait accueillir la thèse de RegioPost et de la Commission, que, dans une affaire telle que celle au principal, un Land ne pourrait faire application de sa législation visant à transposer l’autorisation accordée par la directive 2004/18 au motif que le champ d’application d’une telle législation devrait s’étendre au‑delà du secteur particulier des marchés publics pour lequel le Land a exercé sa compétence.
77. Partant, le Land serait contraint de laisser inappliquée cette législation jusqu’au moment où l’État fédéral aurait décidé d’introduire un taux de salaire minimal, d’application générale.
78. Au niveau de l’État fédéral, cette démarche, qui, si l’on suit la logique de l’argumentation de RegioPost et de la Commission, serait nécessaire pour respecter l’exigence d’extension aux marchés privés du traitement réservé jusque‐là aux marchés publics, reviendrait, en réalité, à transformer la faculté offerte aux États membres d’introduire un salaire minimal sur leur territoire en véritable obligation, ce qui, comme je l’ai déjà précisé, ne résulte aucunement de l’état de développement actuel
du droit de l’Union.
79. Au niveau du Land, l’introduction d’un tel taux de salaire minimal par l’État fédéral rendrait superflues les dispositions législatives du Land visant spécifiquement à assurer le respect par les adjudicataires du versement d’un salaire minimal au profit des travailleurs exécutant un marché public sur son territoire.
80. Dans de telles circonstances, la compétence du Land en la matière serait considérablement réduite, voire inexistante.
81. On pourrait certes tenter de soutenir que, dans le cas de figure envisagé dans les points précédents des présentes conclusions, les Länder seraient toujours autorisés à adopter un taux de salaire (minimal) supérieur à celui fixé au niveau fédéral afin, en particulier, de prendre en compte les coûts de la vie locale. Cependant, la question demeurerait posée de savoir si un tel taux conserverait la qualification de taux de salaire minimal et si, surtout, il ne devrait pas lui‑même être étendu aux
travailleurs affectés à l’exécution de marchés privés. En définitive, les Länder devraient tout simplement renoncer à exercer leur compétence dans le secteur des marchés publics, en appliquant dans ce secteur le taux de salaire minimal adopté au niveau fédéral.
82. Or, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 4, paragraphe 2, TUE, l’Union est tenue de respecter l’identité nationale des États membres, inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles, y compris en ce qui concerne l’autonomie locale et régionale.
83. Il est vrai que les États membres ayant une structure fédérale, telle la République fédérale d’Allemagne, ne sauraient exciper de la répartition interne des compétences entre les autorités des entités régionales ou locales et les autorités fédérales dans le but d’éluder le respect de leurs obligations découlant du droit de l’Union ( 22 ). Pour assurer le respect desdites obligations, ces diverses autorités sont tenues de coordonner l’exercice de leurs compétences respectives ( 23 ).
84. Cette exigence présuppose toutefois que les compétences de ces autorités puissent être effectivement exercées. À mon sens, il découle de l’article 4, paragraphe 2, TUE que le droit de l’Union ne saurait priver une entité régionale ou locale de l’exercice effectif des compétences qui lui ont été conférées au sein de l’État membre concerné. Or, ainsi que les développements qui précèdent tendent à le démontrer, telle serait, en définitive, la conséquence de l’argument de RegioPost et de la
Commission selon lequel, afin d’être compatible avec l’article 56 TFUE, la règle posée par l’article 3 du LTTG au profit des travailleurs exécutant un marché public devrait être étendue aux travailleurs affectés à l’exécution de marchés privés.
85. Il me paraît donc parfaitement cohérent, eu égard à la compétence du Land de Rhénanie‑Palatinat, que le champ d’application de l’article 3 du LTTG se borne aux travailleurs exécutant des marchés publics.
86. Cette approche est, à mes yeux, également cohérente avec la jurisprudence de la Cour développée dans le contexte des considérations environnementales particulières, indistinctement applicables, que peuvent imposer les pouvoirs adjudicateurs. Ainsi, cette jurisprudence admet notamment que de telles considérations puissent être prises en compte dans le contexte de l’examen des critères d’attribution de prestations de services de transport urbain faisant l’objet de marchés publics et soient
compatibles avec le principe de non‑discrimination, sans qu’il soit requis que ces considérations soient, en outre, étendues aux entreprises de transport urbain lorsqu’elles exécutent des marchés privés ( 24 ). Or, il importe de faire observer que l’article 26 de la directive 2004/18 se réfère aux considérations environnementales au même titre que les considérations sociales examinées dans la présente affaire. L’analogie, esquissée par le gouvernement allemand, entre ces deux types de
considérations me paraît clairement mettre en évidence la nécessité de permettre aux États membres d’adopter des mesures spécifiques au secteur de la vie économique que constitue le domaine des marchés publics.
87. En outre, une mesure nationale telle que l’article 3 du LTTG me paraît tout à fait proportionnée. En effet, elle n’impose le respect du salaire minimal fixé par le Land de Rhénanie‑Palatinat par les adjudicataires ou leurs sous‑traitants qu’au profit de ceux de leurs travailleurs affectés à l’exécution des marchés publics et non au bénéfice de tous leurs salariés.
88. Par conséquent, j’estime que l’article 3 du LTTG peut être justifié par l’objectif de la protection des travailleurs et donc que l’article 56 TFUE ne s’oppose pas à l’application d’une telle disposition dans une situation comme celle de l’affaire au principal, sans qu’il soit nécessaire que le champ d’application de cette disposition soit étendu aux marchés privés.
89. Pour l’ensemble de ces considérations, je propose de répondre à la première question préjudicielle déférée par la juridiction de renvoi de la manière suivante: l’article 26 de la directive 2004/18 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à la réglementation d’une entité régionale d’un État membre qui oblige les soumissionnaires et leurs sous‑traitants à s’engager, par voie de déclaration écrite devant être jointe à leur offre, à verser au personnel qui sera appelé à exécuter les
prestations faisant l’objet d’un marché public un salaire horaire minimal de 8,70 euros (brut), fixé par ladite réglementation.
B – Sur la seconde question préjudicielle
90. Par sa seconde question préjudicielle, la juridiction de renvoi souhaite savoir, en substance, si l’article 26 de la directive 2004/18 doit néanmoins être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une disposition d’une entité régionale d’un État membre, telle que l’article 3, paragraphe 1, du LTTG, qui prévoit l’exclusion obligatoire d’une offre dans le cas où un soumissionnaire ne s’oblige pas, dès le dépôt de l’offre, dans une déclaration séparée, à respecter le taux de salaire minimal fixé par
ladite disposition, auquel il serait de toute manière contractuellement tenu même en cas d’attribution du marché.
91. Cette question appelle l’examen, d’une part, des moyens par lesquels les États membres sont autorisés à vérifier la satisfaction des conditions posées par l’article 26 de la directive 2004/18 et, d’autre part, dans l’hypothèse où ces conditions ne seraient pas réunies, du point de savoir si une sanction, telle que l’exclusion de la participation à la procédure de passation du marché public, s’avère appropriée.
92. Exception faite de RegioPost, toutes les parties ayant déposé des observations sur cette question estiment que les États membres sont habilités à contrôler le respect des conditions prévues à l’article 26 de la directive 2004/18, en particulier par le truchement d’un système de déclaration d’engagement au moment du dépôt de l’offre du soumissionnaire et que, à défaut de production d’une telle déclaration, le pouvoir adjudicateur est autorisé à exclure le soumissionnaire de la procédure de
passation.
93. J’adhère à la position défendue par ces dernières parties.
94. Quant au premier point, il est, à mon sens, évident que si, comme je le pense, les États membres sont autorisés en vertu du droit de l’Union à adopter des dispositions législatives ou réglementaires visant à imposer aux entreprises adjudicataires des conditions de travail particulières, telles que le respect d’un taux de salaire minimal, dans le cadre de l’exécution de marchés publics, cette autorisation implique nécessairement qu’ils puissent prendre des mesures permettant au pouvoir
adjudicateur de s’assurer que les soumissionnaires et leurs sous‑traitants sont prêts à respecter ces conditions dans l’hypothèse où le marché leur serait attribué.
95. En l’occurrence, la mesure en cause prend la forme d’une déclaration d’engagement par écrit que doit fournir le soumissionnaire tant pour lui‑même que, le cas échéant, pour ses sous‑traitants.
96. Contrairement à ce qui semble avoir été indiqué dans l’avis de marché dans l’affaire au principal, cette déclaration ne paraît pas correspondre à un document relatif au niveau minimal de capacité économique et financière qui peut être exigé du soumissionnaire, au sens de l’article 47 de la directive 2004/18, niveau qui peut être démontré par une ou plusieurs références énumérées à cet article ou par tout document considéré comme approprié par le pouvoir adjudicateur, relatifs notamment au bilan
ou au chiffre d’affaires global ou sectoriel de l’opérateur économique.
97. Il s’agit en effet avant tout d’une déclaration d’engagement du respect de la loi, à savoir, plus précisément, des conditions de travail requises par la réglementation du Land de Rhénanie‑Palatinat lors de l’exécution des prestations faisant l’objet du marché public.
98. Il est certes possible de soutenir, à l’instar de la Commission à l’audience devant la Cour, que la démonstration du fait que le soumissionnaire ou ses sous‑traitants soient en mesure de verser le salaire minimal fixé par la réglementation du Land de Rhénanie‑Palatinat aux salariés affectés à l’exécution du marché public nécessite une certaine capacité financière.
99. Si la Cour devait considérer que la déclaration d’engagement du versement d’un salaire minimal se rapporte à la capacité financière du soumissionnaire, l’exigence du dépôt d’une telle déclaration ne serait, de toute manière, pas prohibée par l’article 47 de la directive 2004/18. En effet, la Cour a déjà précisé que l’énumération des éléments permettant d’apprécier le niveau minimal de capacité économique et financière requis n’est pas exhaustive ( 25 ).
100. En tout état de cause, une telle déclaration d’engagement à verser le salaire minimal fixé par la réglementation du Land de Rhénanie‑Palatinat n’est pas, à elle seule, susceptible de faire peser sur le soumissionnaire une charge supplémentaire à tel point insupportable qu’elle rendrait la procédure de passation plus gênante qu’elle ne le serait sans que la production de cette déclaration soit requise. En effet, par cette déclaration, le pouvoir adjudicateur vise uniquement à vérifier que le
soumissionnaire s’engage à respecter la condition d’exécution du marché prévue à l’article 3 du LTTG. Une telle déclaration est d’ailleurs, ainsi que le soutient la Commission, un moyen éprouvé de vérifier auprès des soumissionnaires et de leurs sous‑traitants la satisfaction des conditions d’exécution des marchés publics. Exiger le dépôt d’une telle déclaration permet aussi d’assurer la transparence des conditions particulières de l’avis de marché et/ou du cahier des charges, en sensibilisant
les soumissionnaires à l’importance qu’accorde le pouvoir adjudicateur auxdites conditions.
101. Quant au second point, à savoir la question de l’exclusion de la procédure de passation dans l’hypothèse où le soumissionnaire refuse de déposer une telle déclaration d’engagement, je souscris à l’argument de la Commission selon lequel cette situation autorise à supposer que le soumissionnaire n’entend pas se soumettre à la condition prévue à l’article 3 du LTTG.
102. Il serait paradoxal et peu compatible avec l’utilisation rationnelle des finances publiques de poursuivre une procédure de passation de marché avec un tel opérateur économique et, le cas échéant, de conclure le marché avec cet opérateur pour devoir ensuite lui infliger des pénalités contractuelles en raison de l’inobservation de la condition inscrite à l’article 3 du LTTG.
103. Au demeurant, il convient de faire observer que le considérant 34 de la directive 2004/18 prévoit notamment que, en cas de non‑respect des obligations liées à l’observation des lois et des réglementations en vigueur en matière, notamment, de conditions de travail, les États membres peuvent qualifier un tel non‑respect de faute grave ou de délit affectant la moralité professionnelle de l’opérateur économique pouvant entraîner l’exclusion de cet opérateur de la procédure de marché public.
104. Si le refus de déposer une déclaration d’engagement portant sur le salaire minimal ne saurait, selon moi, en tant que tel, être considéré comme une faute grave, l’idée sous‑jacente au considérant 34 de la directive 2004/18 est bien celle d’admettre que les États membres sont en droit d’exclure un opérateur économique qui n’a aucune intention de respecter les conditions de travail applicables sur le lieu d’exécution du marché public. Il ne saurait, à mon sens, être exigé des États membres qu’ils
réservent une telle mesure uniquement aux situations dans lesquelles leurs autorités constatent une violation des obligations liées au respect desdites conditions de travail par l’adjudicataire du marché public.
105. L’exclusion du soumissionnaire de la procédure de passation de marché au motif qu’il refuse de déposer la déclaration d’engagement visée à l’article 3 du LTTG constitue donc, selon moi, une mesure appropriée afin d’éviter que le pouvoir adjudicateur puisse être conduit à sélectionner un candidat qui n’a pas l’intention de s’acquitter des exigences requises par ce pouvoir adjudicateur en matière de respect de salaire minimal.
106. Enfin, ainsi que cela ressort des faits de l’affaire au principal, il importe de relever que l’exclusion d’un soumissionnaire n’ayant pas, au moment du dépôt de son offre, adjoint une déclaration d’engagement relative au salaire minimal n’est pas automatique. En effet, selon l’article 3 du LTTG, avant d’être autorisé à exclure une telle offre, le pouvoir adjudicateur doit de nouveau solliciter la production de la déclaration d’engagement dans un certain délai, ce qui permet de rectifier les cas
d’oubli ou d’erreur de la part du soumissionnaire au moment du dépôt de l’offre. Une telle obligation à la charge du pouvoir adjudicateur paraît être une mesure tout à fait proportionnée.
107. Au vu de ces considérations, je propose de donner la réponse suivante à la seconde question préjudicielle: l’article 26 de la directive 2004/18 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à la réglementation d’une entité régionale d’un État membre qui prévoit l’exclusion obligatoire d’une offre dans le cas où un soumissionnaire d’un marché public ne s’oblige pas, pour lui et ses sous‑traitants, dans une déclaration séparée au moment du dépôt de l’offre et après en avoir de nouveau été
invité par le pouvoir adjudicateur, à respecter le taux de salaire minimal fixé par ladite réglementation, dans l’hypothèse où ce soumissionnaire se verrait attribuer l’exécution des prestations faisant l’objet du marché public en question.
III – Conclusion
108. Pour l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose de répondre comme suit aux questions posées par l’Oberlandesgericht Koblenz:
«1) L’article 26 de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fourniture et de services, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à la réglementation d’une entité régionale d’un État membre qui oblige les soumissionnaires et leurs sous‑traitants à s’engager, par voie de déclaration écrite devant être jointe à leur offre, à verser au personnel qui sera appelé
à exécuter les prestations faisant l’objet d’un marché public un salaire horaire minimal de 8,70 euros (brut), fixé par ladite réglementation.
2) L’article 26 de la directive 2004/18 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas non plus à la réglementation d’une entité régionale d’un État membre qui prévoit l’exclusion obligatoire d’une offre dans le cas où un soumissionnaire d’un marché public ne s’oblige pas, pour lui et ses sous‑traitants, dans une déclaration séparée au moment du dépôt de l’offre et après en avoir de nouveau été invité par le pouvoir adjudicateur, à respecter le taux de salaire minimal fixé par ladite
réglementation dans l’hypothèse où ce soumissionnaire se verrait attribuer l’exécution des prestations faisant l’objet du marché public en question.»
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( 1 ) Langue originale: le français.
( 2 ) JO L 134, p. 114, rectificatif au JO L 351, p. 44. Cette directive a été modifiée en dernier lieu par le règlement (UE) no 1251/2011 de la Commission, du 30 novembre 2011, modifiant les directives 2004/17/CE, 2004/18 et 2009/81/CE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne leurs seuils d’application pour les procédures de passation des marchés (JO L 319, p. 43). Elle a été remplacée par la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur la
passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18 (JO L 94, p. 65). Cette dernière directive n’était toutefois pas applicable à l’époque des faits à l’origine du litige au principal.
( 3 ) JO 1997, L 18, p. 1.
( 4 ) Voir, notamment, arrêt Omalet (C‑245/09, EU:C:2010:808, point 12) et ordonnance Tudoran (C‑92/14, EU:C:2014:2051, point 37).
( 5 ) Voir, notamment, en matière de liberté d’établissement, arrêt Blanco Pérez et Chao Gómez (C‑570/07 et C‑571/07, EU:C:2010:300, point 40) et, dans le domaine de la libre prestation des services, arrêts Garkalns (C‑470/11, EU:C:2012:505, point 21) et Citroën Belux (C‑265/12, EU:C:2013:498, point 33).
( 6 ) Voir, en particulier, arrêts Guimont (C‑448/98, EU:C:2000:663, point 23); Salzmann (C‑300/01, EU:C:2003:283, point 34); Susisalo e.a. (C‑84/11, EU:C:2012:374, points 21 et 22), et Ordine degli Ingegneri di Verona e Provincia e.a. (C‑111/12, EU:C:2013:100, point 34).
( 7 ) Voir, entre autres, arrêts Dzodzi (C‑297/88 et C‑197/89, EU:C:1990:360, point 37); Cicala (C‑482/10, EU:C:2011:868, point 19); Nolan (C‑583/10, EU:C:2012:638, point 47), et Romeo (C‑313/12, EU:C:2013:718, point 23).
( 8 ) Arrêts Venturini e.a. (C‑159/12 à C‑161/12, EU:C:2013:791, points 25 et 26), et Sokoll‑Seebacher (C‑367/12, EU:C:2014:68, points 10 et 11).
( 9 ) Les services visés par la directive 2004/18 comprennent les services de transport de courrier par voie terrestre, conformément au point 4 de l’annexe II A. Le seuil de 200000 euros visé à l’article 7, sous b), de la directive 2004/18 a été fixé par l’article 2, paragraphe 1, sous b) du règlement no 1251/2011.
( 10 ) Bien que ces parties intéressées soutiennent que la première question est irrecevable, les conséquences de la constatation de l’existence d’une situation purement interne devraient conduire la Cour à déclarer, en principe, son incompétence pour répondre à la question. En effet, il s’agit là d’une situation qui, en principe, ne possède aucun lien de rattachement avec le droit de l’Union et qui ne peut donc pas être rectifiée par l’envoi d’une nouvelle demande de décision à titre préjudiciel.
( 11 ) Voir arrêts Concordia Bus Finland (C‑513/99, EU:C:2002:495, point 81) et Fabricom (C‑21/03 et C‑34/03, EU:C:2005:127, point 26).
( 12 ) Voir, par analogie, s’agissant de l’obligation, résultant de l’application de la législation nationale, d’étendre les solutions retenues par le droit de l’Union aux situations purement internes: arrêts Modehuis A. Zwijnenburg (C‑352/08, EU:C:2010:282, point 33) et Isbir (C‑522/12, EU:C:2013:711, point 28).
( 13 ) Voir, par analogie, concernant la directive 93/37/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (JO L 199, p. 54), qui a été abrogée par la directive 2004/18, arrêt Michaniki (C‑213/07, EU:C:2008:731, points 29 et 30).
( 14 ) Italiques ajoutés par mes soins.
( 15 ) À titre d’illustration, l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 96/71, qui énumère les «conditions de travail et d’emploi» que les États membres sont en droit d’exiger des entreprises détachant des travailleurs sur leur territoire pour la réalisation de prestations de services, vise, notamment, le «taux de salaire minimal».
( 16 ) Point 27 de l’arrêt.
( 17 ) Idem (points 25 et 26).
( 18 ) Voir arrêt Rüffert (C‑346/06, EU:C:2008:189, point 37). Voir, également, arrêt Bundesdruckerei (C‑549/13, EU:C:2014:2235, point 30).
( 19 ) La Cour a en effet vérifié si la convention collective en question satisfaisait aux conditions matérielles de l’article 3, paragraphe 8, de la directive 96/71, disposition qui ne s’applique, ainsi qu’elle l’a elle‑même confirmé au point 27 de l’arrêt Rüffert (C‑346/06, EU:C:2008:189), qu’aux États membres privés de système de déclaration d’application générale des conventions collectives (comme cela était le cas du Royaume de Suède, dans l’affaire Laval un Partneri, C‑341/05,
EU:C:2007:809). Or, la République fédérale d’Allemagne possédant un tel système, il n’y avait pas lieu d’examiner si les conditions de l’article 3, paragraphe 8, de la directive 96/71 étaient réunies.
( 20 ) En effet, tandis que le délai de transposition de la directive 2004/18 était fixé au 31 janvier 2006, les faits à l’origine de l’affaire Rüffert se sont déroulés dans le courant des années 2003 et 2004.
( 21 ) Sur l’absence d’une telle obligation qui résulterait en particulier de la directive 96/71, voir arrêt Commission/Allemagne (C‑341/02, EU:C:2005:220, point 26) ainsi que mes conclusions dans l’affaire Laval un Partneri (C‑341/05, EU:C:2007:291, point 196).
( 22 ) Voir, notamment, arrêt Carmen Media Group (C‑46/08, EU:C:2010:505, point 69 et jurisprudence citée).
( 23 ) Voir arrêts Carmen Media Group (C‑46/08, EU:C:2010:505, point 70) et Digibet et Albers (C‑156/13, EU:C:2014:1756, point 35).
( 24 ) Voir arrêt Concordia Bus Finland (C‑513/99, EU:C:2002:495, points 83 à 86).
( 25 ) Voir arrêt Édukövízig et Hochtief Construction (C‑218/11, EU:C:2012:643, point 28).