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04/12/2014 | CJUE | N°C-439/13

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général M. N. Jääskinen, présentées le 4 décembre 2014., Elitaliana SpA contre Eulex Kosovo., 04/12/2014, C-439/13


CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NIILO JÄÄSKINEN

présentées le 4 décembre 2014 ( 1 )

Affaire C‑439/13 P

Elitaliana SpA

contre

Eulex Kosovo

«Pourvoi — Action commune 2008/124/PESC — Appel d’offres concernant le soutien par hélicoptère à la mission Eulex au Kosovo — Décision d’attribuer le marché à un soumissionnaire autre que la requérante — Recours en annulation et demande de réparation du préjudice prétendument subi — ‘Organe ou organisme de l’Union’ au sens de l’article 2

63, premier alinéa, TFUE — Identification de la partie défenderesse correcte pour des décisions prises par le chef de la mission — Irreceva...

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NIILO JÄÄSKINEN

présentées le 4 décembre 2014 ( 1 )

Affaire C‑439/13 P

Elitaliana SpA

contre

Eulex Kosovo

«Pourvoi — Action commune 2008/124/PESC — Appel d’offres concernant le soutien par hélicoptère à la mission Eulex au Kosovo — Décision d’attribuer le marché à un soumissionnaire autre que la requérante — Recours en annulation et demande de réparation du préjudice prétendument subi — ‘Organe ou organisme de l’Union’ au sens de l’article 263, premier alinéa, TFUE — Identification de la partie défenderesse correcte pour des décisions prises par le chef de la mission — Irrecevabilité du recours devant
le Tribunal de l’Union européenne — Erreur excusable — Article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne — Principe de protection juridictionnelle effective»

I – Introduction

1. Le 4 février 2008, le Conseil de l’Union européenne a adopté l’action commune 2008/124/PESC relative à la mission «État de droit» menée par l’Union européenne au Kosovo, Eulex Kosovo ( 2 ).

2. Dans le cadre de cette mission, un avis de marché restreint concernant un projet intitulé «Soutien par hélicoptère à la mission Eulex au Kosovo», visant à la conclusion d’un contrat de service, a été publié. Elitaliana SpA (ci‑après «Elitaliana») a participé à ce marché. Son offre a été classée deuxième. Le chef de mission d’Eulex Kosovo a adjugé le marché en cause au soumissionnaire dont l’offre avait été classée première.

3. Elitaliana a introduit un recours contre Eulex Kosovo devant le Tribunal de l’Union européenne.

4. Dans la procédure devant le Tribunal, Eulex Kosovo a soulevé une exception d’irrecevabilité fondée premièrement sur l’absence de qualité de partie défenderesse dans le chef d’Eulex Kosovo et deuxièmement sur l’absence de compétence du Tribunal en ce qui concerne les actes relatifs à la politique étrangère et de sécurité commune (PESC).

5. Par ordonnance du Tribunal Elitaliana/Eulex Kosovo ( 3 ) (ci‑après l’«ordonnance attaquée»), celui‑ci a rejeté le recours comme irrecevable.

6. Par le présent pourvoi, Elitaliana demande l’annulation de l’ordonnance attaquée.

7. Dans le cadre du présent pourvoi, la Cour est appelée à se pencher sur la question de savoir si Eulex Kosovo est juridiquement responsable des décisions prises par le chef de cette mission et, plus particulièrement, si un recours en annulation au titre de l’article 263 TFUE peut être introduit contre Eulex Kosovo, une question qui semble inédite. La Cour doit également prendre position sur les allégations d’Elitaliana portant sur une infraction au droit fondamental à un recours effectif et
l’existence d’une erreur excusable dans son chef en ce qui concerne l’identification de la partie défenderesse dans la procédure devant le Tribunal.

II – Le cadre juridique

8. En vertu de l’article 1er, paragraphe 1, de l’action commune 2008/124, Eulex Kosovo a été créée par l’Union européenne comme une mission «État de droit» au Kosovo.

9. Il ressort de l’article 2, premier alinéa, de l’action commune 2008/124 qu’Eulex Kosovo aide les institutions du Kosovo, les autorités judiciaires et les organismes chargés de l’application des lois à progresser sur la voie de la viabilité et de la responsabilisation et à poursuivre la mise sur pied et le renforcement d’un système judiciaire multiethnique indépendant ainsi que des services de police et des douanes multiethniques, de manière à ce que ces institutions soient libres de toute
interférence politique et s’alignent sur les normes reconnues au niveau international et sur les bonnes pratiques européennes.

10. L’article 6 de l’action commune 2008/124 détermine la structure d’Eulex Kosovo. Ainsi le paragraphe 1 de cet article dispose que celle‑ci est une mission de politique européenne de sécurité et de défense (PESD) unifiée, déployée dans tout le Kosovo. En vertu du paragraphe 2 dudit article, Eulex Kosovo établit son principal quartier général et des bureaux régionaux et locaux au Kosovo, un élément de soutien à Bruxelles (Belgique) et des bureaux de liaison, s’il y a lieu. Selon le paragraphe 3 de
ce même article, Eulex Kosovo est constituée du chef de la mission et du personnel ainsi que de composantes policière, judiciaire et douanière.

11. En vertu de l’article 7, paragraphes 1 et 2, de l’action commune 2008/124, le directeur de la capacité civile de planification et de conduite est le commandant d’opération civil d’Eulex Kosovo, qui, sous le contrôle politique et la direction stratégique du Comité politique et de sécurité (COPS) et sous l’autorité générale du haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité (HR), exerce le commandement et le contrôle d’Eulex Kosovo au niveau stratégique. Selon
le paragraphe 3 de cet article, il veille à la mise en œuvre adéquate et effective des décisions du Conseil et de celles du COPS, y compris en donnant des instructions au niveau stratégique, s’il y a lieu, au chef de la mission auquel il fournit par ailleurs des conseils et un soutien technique.

12. L’article 11 de l’action commune 2008/124 présente la chaîne de commandement d’Eulex Kosovo. Selon son paragraphe 2, le COPS exerce, sous la responsabilité du Conseil et du HR, le contrôle politique et la direction stratégique d’Eulex Kosovo. En vertu des paragraphes 3 et 4 de cet article, le commandant d’opération civil, qui est le commandant au niveau stratégique d’Eulex Kosovo, rend compte au Conseil par l’intermédiaire du HR. Le paragraphe 5 de cette disposition énonce que le chef de la
mission exerce le commandement et le contrôle d’Eulex Kosovo au niveau du théâtre et relève directement du commandant d’opération civil.

13. Enfin, il ressort de l’article 12, paragraphe 1, de l’action commune 2008/124 que le COPS exerce, sous la responsabilité du Conseil, le contrôle politique et la direction stratégique de la mission.

III – Les «mesures litigieuses», la procédure devant le Tribunal, l’ordonnance attaquée et la procédure devant la Cour

A – Les mesures litigieuses

14. L’adoption des mesures litigieuses est décrite comme suit dans l’ordonnance attaquée:

«2 Le 18 octobre 2011, un avis de marché restreint concernant un projet intitulé ‘Soutien par hélicoptère à la mission Eulex au Kosovo’, visant à la conclusion d’un contrat de service, a été publié dans le supplément du Journal officiel de l’Union européenne (JO 2011/S 200‑324817), sous la référence EuropeAid/131516/D/SER/XK. Cet avis comprenait la mention suivante: ‘Pouvoir adjudicataire: le chef d’Eulex Kosovo, Pristina, Kosovo’.

3 Par lettre du 23 décembre 2011, à laquelle étaient notamment annexées des instructions pour les soumissionnaires, le chef d’Eulex Kosovo a invité la requérante, Elitaliana [...], une société italienne dont le domaine d’activité porte sur les services d’hélicoptère qu’elle fournit à des organismes publics, à participer à la procédure d’appel d’offres restreint.

4 La requérante a présenté une offre dans le cadre de la procédure susmentionnée.

5 Par lettre du 29 mars 2012, le directeur de l’administration et des services de soutien d’Eulex Kosovo a informé la requérante du fait que son offre avait été classée deuxième.

6 Par lettre du 2 avril 2012, la requérante a demandé à Eulex Kosovo d’avoir accès à certains documents présentés par le soumissionnaire dont l’offre avait été classée première. Par lettre du 17 avril 2012, le chef d’Eulex Kosovo a refusé d’accorder l’accès à ces documents.

7 Le 24 avril 2012, le chef d’Eulex Kosovo a adjugé le marché en cause au soumissionnaire dont l’offre avait été classée première.»

B – La procédure devant le Tribunal

15. La procédure devant le Tribunal, pour autant que cela est pertinent pour le présent pourvoi, peut être résumée comme suit.

16. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 23 mai 2012, Elitaliana a introduit un recours contre Eulex Kosovo aux fins:

— d’annuler les mesures prises par Eulex Kosovo dans le cadre de l’adjudication à un autre soumissionnaire du marché public intitulé «EuropeAid/131516/D/SER/XK – Soutien par hélicoptère à la mission Eulex au Kosovo (PROC/272/11)», qui lui a été communiquée par Eulex Kosovo par lettre du 29 mars 2012, ainsi que tout autre acte connexe et, en particulier, la note du 17 avril 2012 par laquelle Eulex Kosovo a refusé de lui accorder l’accès aux documents demandés;

— de condamner Eulex Kosovo à la réparation des dommages subis en raison de la non‑adjudication à son profit dudit marché, et

— de condamner Eulex Kosovo aux dépens.

17. Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 14 septembre 2012, Eulex Kosovo a soulevé une exception d’irrecevabilité en vertu de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal. Eulex Kosovo a demandé de rejeter le recours comme irrecevable et de condamner Elitaliana à l’ensemble des dépens de l’affaire.

18. Le 28 novembre 2012, Elitaliana a déposé ses observations sur l’exception d’irrecevabilité, en demandant de rejeter l’exception d’irrecevabilité et, en tout état de cause, de procéder à la notification du recours à l’institution considérée comme étant la partie défenderesse.

C – L’ordonnance attaquée

19. Par l’ordonnance attaquée, le Tribunal a déclaré le recours irrecevable en se fondant sur le premier moyen d’irrecevabilité soulevé par la partie défenderesse.

20. En premier lieu, le Tribunal a analysé l’exception soulevée par Eulex Kosovo faisant valoir «qu’elle ne peut avoir la qualité de partie défenderesse dans le cas d’espèce du fait qu’elle ne bénéficie pas du statut d’organisme indépendant» (ordonnance attaquée, points 18 à 37).

21. Le Tribunal a commencé son analyse par la question de savoir si Eulex Kosovo disposait de la qualité de partie défenderesse, plus précisément si Eulex Kosovo constituait un organe ou un organisme de l’Union au sens de l’article 263, premier alinéa, TFUE (ordonnance attaquée, points 19 à 21).

22. Ayant analysé le libellé des articles 1er, paragraphe 1, 6, 7, paragraphes 1 et 2, et 11 de l’action commune 2008/124, le Tribunal a conclu comme suit (ordonnance attaquée, point 26):

«Eu égard aux dispositions susmentionnées, Eulex Kosovo ne dispose pas de personnalité juridique et il n’est pas prévu qu’elle puisse être partie à une procédure devant les juridictions de l’Union.»

23. Le Tribunal, constatant ensuite qu’Elitaliana sollicitait l’annulation des mesures prises par Eulex Kosovo dans le cadre de l’adjudication d’un marché, a analysé l’imputabilité de la décision en cause, en concluant dans les termes suivants (ordonnance attaquée, point 34): «Dans ces circonstances, il y a lieu de considérer que les actes adoptés par le chef d’Eulex Kosovo dans le cadre de la procédure de passation du marché en cause sont imputables à la Commission, qui dispose de la qualité de
partie défenderesse, en vertu de l’article 263, premier alinéa, TFUE. Ces actes sont donc susceptibles de faire l’objet d’un contrôle juridictionnel conforme aux exigences du principe général, invoqué par la requérante, selon lequel tout acte émanant d’une institution, d’un organe ou d’un organisme de l’Union destiné à produire des effets juridiques vis‑à‑vis des tiers doit être susceptible d’un contrôle juridictionnel». Le Tribunal a ajouté (ordonnance attaquée, point 35) que, «[p]ar
conséquent, Eulex Kosovo ne possède pas la qualité de partie défenderesse».

24. En second lieu, Elitaliana a fait valoir à titre subsidiaire que, dans l’hypothèse où Eulex Kosovo n’aurait pas la qualité de partie défenderesse, le Tribunal pourrait, premièrement, identifier la partie à l’égard de laquelle l’affaire pourrait donc être poursuivie (ordonnance attaquée, point 38).

25. Or, le Tribunal a constaté que, en l’occurrence, la désignation d’Eulex Kosovo dans la requête ne constitue pas une erreur de la part d’Elitaliana. En revanche, il ressort clairement du contenu de la requête qu’Elitaliana avait l’intention de former le recours expressément contre Eulex Kosovo qui, selon Elitaliana, constitue un organe ou un organisme de l’Union au sens de l’article 263, premier alinéa, TFUE, ce que Elitaliana a, d’ailleurs, confirmé dans ses observations sur l’exception
d’irrecevabilité (ordonnance attaquée, point 39).

26. Deuxièmement, Elitaliana a demandé au Tribunal de lui reconnaître le bénéfice de l’erreur excusable et invoque à cet égard la jurisprudence, qui reconnaîtrait l’existence d’une telle erreur si l’institution concernée avait adopté un comportement de nature, à lui seul ou dans une mesure déterminante, à provoquer une confusion admissible dans l’esprit d’un justiciable de bonne foi et faisant preuve de toute la diligence requise d’un opérateur normalement averti (ordonnance attaquée,
paragraphe 40).

27. À cet égard, le Tribunal a constaté que l’existence d’une erreur excusable peut, selon la jurisprudence invoquée par Elitaliana, seulement avoir pour conséquence que le recours ne doit pas être rejeté pour tardiveté. Or, en l’espèce, il est constant qu’Elitaliana a respecté le délai de recours (ordonnance attaquée, paragraphe 42).

28. Le Tribunal a également noté qu’Elitaliana n’a, à aucun moment, dirigé un recours contre une partie autre qu’Eulex Kosovo, mais qu’elle s’est bornée à demander au Tribunal d’identifier la partie défenderesse contre laquelle le présent recours devrait être formé pour être recevable (ordonnance attaquée, paragraphe 42).

29. Le Tribunal a conclu son analyse comme suit au point 45 de l’ordonnance attaquée:

«Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que, en raison du défaut de qualité de partie défenderesse d’Eulex Kosovo, le recours introduit contre cette dernière par la requérante est irrecevable, qu’il s’agisse tant de la demande en annulation que de la demande indemnitaire, qui est étroitement liée aux conclusions en annulation (voir, en ce sens, arrêt de la Cour [Bossi/Commission, 346/87, EU:C:1989:59], point 31, et ordonnance Elti/Délégation de l’Union au Monténégro,
[T‑395/11, EU:T:2012:274] [...], point 74, et la jurisprudence citée), sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur la prétendue incompétence du Tribunal en ce qui concerne les actes adoptés sur la base des dispositions du traité [UE] relatives à la PESC.»

D – La procédure devant la Cour

30. Par son pourvoi, Elitaliana demande à la Cour d’annuler l’ordonnance attaquée et de faire droit au recours de première instance ou, si la Cour considère que le litige n’est pas en état d’être jugé, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal.

31. Eulex Kosovo conclut au rejet du pourvoi et à la condamnation d’Elitaliana aux dépens.

IV – Sur les moyens du pourvoi

32. À l’appui du pourvoi, Elitaliana soulève trois moyens, à savoir:

«1) Erreur de jugement tenant à la non‑reconnaissance d’[Eulex Kosovo] comme organe/organisme au sens de l’article 263 TFUE. Violation du principe de protection juridictionnelle effective entendu comme la pleine réalisation des droits de la défense, corollaires du principe plus général d’égalité» ( 4 );

«2) Erreur de jugement quant à la prétendue assimilation d’[Eulex Kosovo] aux délégations. Violation du principe de protection juridictionnelle effective entendu comme la pleine réalisation des droits de la défense, corollaires du principe plus général d’égalité» ( 5 ), et

«3) Erreur de jugement quant à la prétendue absence d’erreur excusable. Violation du principe de protection juridictionnelle effective entendu comme la pleine réalisation des droits de la défense, corollaires du principe plus général d’égalité» ( 6 ).

33. Les trois moyens sont précédés par une section intitulée «Prémisse» ( 7 ) qui fait référence au «principe de la protection juridictionnelle effective [...] consacré aujourd’hui par les articles 6 et 13 [de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci‑après la ‘CEDH’)]», que la Cour est appelée à reconnaître «en faisant droit aux moyens ci‑après».

34. Il convient de commencer l’analyse par cette prémisse.

A – Sur la «prémisse»

1. Argumentation des parties

35. Elitaliana aborde ce principe dans les termes suivants:

«17 Le principe de la protection juridictionnelle effective constitue désormais un principe directeur du système juridique communautaire, consacré aujourd’hui par les articles 6 et 13 de la CEDH garantissant à toute personne le droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal qui connaîtra de toutes contestations sur ses droits et obligations, étant entendu que l’accès à un tribunal, pour être efficace, doit garantir à toute personne l’opportunité claire et effective de contester l’acte qui
a porté atteinte à sa sphère juridique. D’éventuelles limitations ne sont compatibles avec les normes en question que si elles ne tiennent pas en échec les possibilités d’accès d’une personne d’une manière telle à compromettre la substance du droit.

18 L’ordonnance attaquée qui, d’une part, a retenu le prétendu défaut de personnalité juridique d’Eulex (du reste tout sauf évidente et, surtout, insusceptible d’être identifiée par un tiers diligent car jamais révélée) et, d’autre part, a rejeté l’erreur excusable (nonobstant le fait que le Tribunal en avait identifié les conditions), a de fait mis Elitaliana dans l’impossibilité de mettre en œuvre l’instrument juridictionnel utilisé, en lui déniant ses propres droits de la défense que nous
espérons que la Cour reconnaîtra en faisant droit aux moyens ci‑après.»

36. Eulex Kosovo fait valoir que cet argument est présenté, à titre subsidiaire, par Elitaliana, dans l’hypothèse où la Cour s’estimerait compétente, ce qu’Eulex Kosovo réfute. En tout état de cause, la défenderesse considère que le Tribunal n’a pas violé les articles 6 et 13 de la CEDH.

2. Appréciation

37. Elitaliana soutient que le Tribunal a enfreint les articles 6 et 13 de la CEDH en constatant qu’Eulex Kosovo n’aurait pas de personnalité juridique et en rejetant l’erreur excusable en ce qui concerne l’identité de la partie défenderesse.

38. Il convient de préciser d’abord que les principes visés aux articles 6 et 13 de la CEDH correspondent à ceux dorénavant énoncés à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci‑après la «Charte») qui avait, en principe, vocation à s’appliquer en l’espèce. Néanmoins, une infraction à l’article 47 de la Charte ne peut être invoquée en l’espèce que si les recours engagés contre les institutions dont la compétence est plausible sont déclarés irrecevables pour des raisons
autres que procédurales et que, dans un tel cas, le demandeur ne disposerait d’aucun recours juridictionnel effectif ( 8 ).

39. Le recours engagé devant le Tribunal l’a été contre une partie qui, selon celui‑ci, n’est pas la bonne partie défenderesse. Il ressort du pourvoi qu’Elitaliana estime que cette constatation équivaut à une infraction à ses droits fondamentaux, garantis en l’occurrence par l’article 47 de la Charte.

40. Je note que la constatation selon laquelle Eulex Kosovo n’est pas la bonne partie défenderesse soit parce qu’elle n’a pas la capacité d’ester en justice, soit pour d’autres raisons ne permet pas de conclure à l’absence de protection juridictionnelle.

41. En effet, la problématique portant sur l’article 47 de la Charte est clairement prématurée. Si l’action a été engagée contre une partie qui n’est pas la bonne partie défenderesse, il ne saurait y avoir, de ce fait, une infraction audit article. La situation d’Elitaliana ne peut être analysée au regard de cette disposition que dans le cas où une action contre la bonne partie défenderesse est introduite devant la juridiction compétente, laquelle constate l’absence de voies de recours.

42. Dès lors l’argumentation présentée par Elitaliana sur ce point est inopérante. Quant à l’allégation selon laquelle il était excessivement difficile pour Elitaliana d’identifier la partie défenderesse à attraire devant le Tribunal, je reviendrai sur ce point dans le cadre du troisième moyen.

B – Sur le premier moyen, tiré de la non‑reconnaissance d’Eulex Kosovo comme un organe ou un organisme de l’Union au sens de l’article 263, premier alinéa, TFUE

1. Arguments des parties

43. Par son premier moyen, Elitaliana soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en concluant qu’«Eulex Kosovo ne dispose pas de personnalité juridique et [qu’]il n’est pas prévu qu’elle puisse être partie à une procédure devant les juridictions de l’Union» (ordonnance attaquée, point 26). Elitaliana soutient qu’Eulex Kosovo possède toutes les caractéristiques requises pour être considérée comme un organe ou un organisme de l’Union au sens de l’article 263, premier alinéa, TFUE.

44. Eulex Kosovo conclut au rejet de ce moyen.

2. Appréciation

45. Il y a lieu de noter que, conformément à la jurisprudence de la Cour, le mécanisme de contrôle juridictionnel prévu à l’article 263 TFUE s’applique aux organes et aux organismes institués par le législateur de l’Union qui ont été habilités à adopter des actes juridiquement contraignants à l’égard de personnes physiques ou morales dans des domaines spécifiques, tels que l’Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA), l’Agence européenne des médicaments (EMA), l’Agence européenne des produits
chimiques (ECHA), l’Office communautaire des variétés végétales (OCVV) et l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI) ( 9 ).

46. Pour apprécier si un organe ou un organisme relève de la définition de l’article 263, premier alinéa, TFUE, il importe d’examiner l’instrument créant cette entité. La jurisprudence permet de dégager, à cet égard, au moins deux critères ( 10 ) qu’Eulex Kosovo ne semble pas remplir.

47. Premièrement, l’action commune 2008/124 ne prévoit pas qu’Eulex Kosovo est dotée de la personnalité juridique, ce qui est souvent le cas, par exemple en ce qui concerne les actes créant des agences ( 11 ) ni même de la capacité d’ester devant les juridictions de l’Union ( 12 ).

48. Deuxièmement, les actes établissant des organes ou des organismes de l’Union contiennent fréquemment une disposition mentionnant l’article pertinent du traité et définissant dans le même temps l’étendue du recours ( 13 ). Or, dans l’action commune 2008/124, une telle disposition fait défaut.

49. À l’appui de ses conclusions, Elitaliana invoque l’arrêt du Tribunal Sogelma/AER ( 14 ). Dans cet arrêt, le Tribunal a analysé sa compétence pour statuer sur un recours introduit sur le fondement de l’article 230, quatrième alinéa, CE (aujourd’hui article 263 TFUE), contre un acte de l’Agence européenne pour la reconstruction (AER). Or, cet arrêt a été rendu dans un contexte complétement diffèrent, le Tribunal ayant précisément constaté que l’AER était un organisme communautaire doté de la
personnalité juridique et que le règlement établissant l’agence prévoyait expressément la compétence de la Cour ( 15 ).

50. Le fait que l’instrument constitutif prévoit expressément une voie de recours devant la Cour confirme ce lien avec l’article 263 TFUE. Néanmoins, l’absence d’une telle disposition ne permet pas en soi, à mon avis, de constater l’absence d’un tel lien.

51. En effet, même en l’absence d’une disposition expresse dotant l’entité en question de la personnalité juridique, j’estime que le libellé de l’article 263, cinquième alinéa, TFUE crée une présomption très forte en ce sens que si les institutions créent une entité qui peut prendre des décisions affectant les individus, une voie de recours doit néanmoins exister. Dans une telle situation, cette présomption de voie de recours peut être admise à des conditions très strictes. Une entité dotée d’une
identité distincte, jouissant de compétences juridiques propres et à qui sont attribuées des tâches d’une certaine nature, pourrait être présumée bénéficier de la capacité d’ester en justice ou d’être attraite devant les juridictions européennes même en l’absence de disposition expresse ( 16 ).

52. L’examen de l’action commune 2008/124 démontre qu’il s’agit d’une mission conjointe du Conseil et de la Commission. Ladite action commune n’établit pas de personnalité juridique distincte pour Eulex Kosovo. En effet, selon ses articles 11 et 12, le Conseil et le COPS exercent le contrôle politique et déterminent les directions stratégiques. De plus, son article 16 soumet l’aspect financier de la mission au contrôle de la Commission.

53. Ces éléments m’amènent à conclure que, dans le cadre de l’article 263, premier alinéa, TFUE, Eulex Kosovo n’est pas un organe ou un organisme visé par ledit article. Il s’agit plutôt d’une mission conjointe de deux institutions. Cela dit, il n’est pas exclu selon moi de reconnaître, en principe, à la mission la personnalité juridique sur la base d’une appréciation fonctionnelle ( 17 ). La mission a été créée par un acte normatif et elle est capable par exemple de prendre des décisions créant des
effets juridiques envers des tiers. Cependant, l’économie de l’action commune 2008/124 démontre la volonté de soumettre la mission à une dépendance organique aux deux institutions mentionnées ( 18 ). Une situation semblable, en l’occurrence entre la Commission et le Centre de recherches nucléaires, avait déjà été analysée par l’avocat général Roemer dans ses conclusions dans l’affaire Ufficio imposte consumo/Commission ( 19 ). Ainsi, en l’espèce, il s’agit plutôt d’une structure de coopération
interinstitutionnelle provisoire que d’un organisme ayant une existence juridique propre.

54. Dans de telles circonstances, je suis d’avis qu’Eulex Kosovo ne peut pas être considérée comme une entité contre laquelle un recours sur la base de l’article 263, premier alinéa, TFUE puisse être formé. Dès lors le Tribunal a pu à juste titre constater qu’Eulex Kosovo n’était pas un organe ou un organisme de l’Union au sens de ladite disposition.

55. Par conséquent, je propose de rejeter le premier grief comme non fondé.

C – Sur le deuxième moyen, tiré de l’assimilation erronée de la mission Eulex Kosovo aux délégations de l’Union

1. Arguments des parties

56. Par son deuxième moyen, Elitaliana soutient que le Tribunal a à tort considéré qu’Eulex Kosovo devrait être traitée comme une délégation de la Commission, conformément à la jurisprudence du Tribunal portant sur la délégation de l’Union au Monténégro, et, par conséquent, que la Commission était ainsi l’institution à laquelle il appartenait de défendre l’acte en cause devant les juridictions de l’Union en vertu de l’article 263, premier alinéa, TFUE (ordonnance attaquée, points 27 à 35).

57. Eulex Kosovo conclut au rejet de ce moyen.

2. Appréciation

a) La distinction entre les délégations et les missions

58. En ce qui concerne la distinction entre délégation et mission, il convient de noter tout d’abord deux aspects de la présence de l’Union en dehors du territoire de l’Union.

59. Le premier aspect concerne la présence et l’action extérieures en vertu du traité CE. Sont inclues dans ce cadre les délégations dans les pays tiers et auprès des organisations internationales. La jurisprudence, issue pour la plupart du Tribunal, est assez claire et, à mon sens, correcte. La compétence de la Cour est basée sur les dispositions habituelles du traité, telles que celles portant sur le recours en annulation et l’action en indemnité. Il ressort de la jurisprudence du Tribunal, qui
précède l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne et la création du SEAE ( 20 ), que, dans une telle situation, la partie défenderesse à attraire est bien la Commission. Les délégations sont rattachées à la Commission et tout recours doit être formé contre la Commission ( 21 ). Ainsi, une action dirigée seulement contre une délégation a été jugée irrecevable par le Tribunal ( 22 ).

60. Le second aspect concerne l’action extérieure dans le cadre de la PESC. Il s’agit notamment des actions créant des missions PESC dans les pays tiers. La jurisprudence, émanant également du Tribunal, n’est pas étoffée. Seules quelques actions ont été introduites et elles ont été retirées ensuite et donc radiées ( 23 ). Parmi les rares affaires qui ont donné lieu à une décision du Tribunal, il convient de citer l’affaire H/Conseil e.a. Dans l’ordonnance attaquée, le Tribunal se réfère également à
l’ordonnance du président du Tribunal portant sur les mesures provisoires ( 24 ). En ce qui concerne l’affaire au principal, H/Conseil e.a., le Tribunal a rejeté le recours comme irrecevable, toutefois un pourvoi est en cours ( 25 ). Cette affaire portait sur la Mission de la police de l’Union européenne en Bosnie‑Herzégovine ( 26 ). Étant donné le peu de décisions du Tribunal concernant les missions PESC, il importe de constater que la jurisprudence en la matière est loin d’être établie.

61. À mon avis, la jurisprudence du Tribunal portant sur les délégations de l’Union n’est pas applicable aux missions créées par l’Union, même si ces deux types de structures ont certes des caractéristiques similaires telles l’absence de personnalité juridique propre. Partant, en l’absence de dispositions expresses, il y a lieu de vérifier la nature réelle du lien entre les missions et les institutions.

62. Il y a lieu de souligner que dans l’ordonnance attaquée le raisonnement du Tribunal n’est pas basé sur une analogie parfaite entre les positions d’une délégation et d’une mission. Certes, le Tribunal mentionne une ordonnance portant sur la délégation de l’Union européenne au Monténégro ( 27 ), mais ce faisant il vise à rappeler que «les actes adoptés en vertu de pouvoirs délégués sont normalement imputés à l’institution délégante, à laquelle il appartient de défendre en justice l’acte en cause»
(ordonnance attaquée, point 33). Après avoir formulé cette constatation il s’est prononcé ainsi au point 34 de l’ordonnance attaquée:

«Dans ces circonstances, il y a lieu de considérer que les actes adoptés par le chef d’Eulex Kosovo dans le cadre de la procédure de passation du marché en cause sont imputables à la Commission, qui dispose de la qualité de partie défenderesse, en vertu de l’article 263, premier alinéa, TFUE. Ces actes sont donc susceptibles de faire l’objet d’un contrôle juridictionnel conforme aux exigences du principe général, invoqué par Elitaliana, selon lequel tout acte émanant d’une institution, d’un
organe ou d’un organisme de l’Union destiné à produire des effets juridiques vis‑à‑vis des tiers doit être susceptible d’un contrôle juridictionnel.»

63. Ainsi, contrairement à ce que soutient Elitaliana, le Tribunal n’a pas assimilé les missions PESC aux délégations de la Commission.

b) Le lien entre les missions et les institutions

64. S’agissant du premier moyen, je viens de constater qu’Eulex Kosovo ne réunit pas les caractéristiques requises pour être considérée comme ayant la capacité propre de se défendre devant la Cour dans le cadre de l’article 263, premier alinéa, TFUE. J’ai aussi relevé que la mission Eulex Kosovo n’est pas rattachée à la Commission en tant que délégation. Il convient dès lors de s’interroger sur le lien de cette mission avec les institutions.

65. Il ressort de l’action commune 2008/124 qu’Eulex Kosovo a été créée comme une entité séparée du Conseil et de la Commission. En particulier, il ressort des éléments de l’action commune 2008/124 et du contrat conclu entre le chef de mission et la Commission que, en ce qui concerne l’administration et les aspects financiers, les liens avec la Commission sont particulièrement étroits. Le Tribunal a estimé que les éléments, pris ensemble, constituent une délégation de pouvoirs normalement exercés
par la Commission à Eulex Kosovo et son chef de mission. Il en conclut que les actes adoptés par Eulex Kosovo, y compris son chef, sont imputables en dernier lieu à la Commission (ordonnance attaquée, points 34). Le raisonnement du Tribunal se déroule comme suit:

«30 Il y a lieu de constater que les mesures prises dans le cadre de la procédure de passation du marché public en cause concernent le budget d’Eulex Kosovo.

31 Or, selon l’article 16, paragraphe 2, de l’action commune 2008/124, l’ensemble des dépenses doit être géré conformément aux règles et procédures communautaires applicables au budget général de l’Union. En vertu de l’article 8, paragraphe 5, de cette action commune, le chef de la mission est responsable de l’exécution du budget d’Eulex Kosovo et signe, à cette fin, un contrat avec la Commission européenne. Ainsi qu’il ressort du dossier, le chef d’Eulex Kosovo a signé un tel contrat avec la
Commission. La Commission a donc délégué certaines tâches d’exécution du budget d’Eulex Kosovo au chef d’Eulex Kosovo, comme prévu à l’article 54, paragraphe 2, sous d), du règlement (CE, Euratom) no 1605/2002 du Conseil, du 25 juin 2002, portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes (JO L 248, p. 1), tel que modifié.

32 Cette délégation est notamment reflétée à l’article 16, paragraphes 3 et 4, de l’action commune 2008/124, relatif aux dispositions financières. En effet, selon le paragraphe 3, le chef de la mission ne peut conclure des accords techniques portant sur la fourniture d’équipements, de services et de locaux à Eulex Kosovo que sous réserve d’approbation par la Commission. Le paragraphe 4 dispose que le chef de la mission rend pleinement compte à la Commission des activités menées dans le cadre de
son contrat, dont cette dernière assure la supervision.»

66. Ce raisonnement, que je partage, est exempt d’erreur de droit. Le Tribunal a considéré, à bon droit, qu’en l’absence de capacité juridique propre, il y a lieu de chercher un point de rattachement aux fonctions en question, en l’occurrence, s’agissant des mesures prises dans le cadre de la procédure de passation de marché public en cause, aux questions budgétaires. Contrairement à ce que soutient Elitaliana, le raisonnement du Tribunal n’est pas basé sur une assimilation de la mission Eulex
Kosovo aux délégations de l’Union, mais sur une approche fonctionnelle relative aux tâches en question.

67. Cela étant, il convient de rejeter le deuxième moyen dans sa totalité.

D – Sur le troisième moyen, tiré de la prétendue absence d’erreur excusable

1. Arguments des parties

68. Par son troisième moyen, Elitaliana avance que le Tribunal a, à tort, considéré qu’il n’existait pas d’erreur excusable dans l’identification de la partie défenderesse, le Tribunal ayant considéré que «l’existence d’une erreur excusable peut [...] seulement avoir pour conséquence que le recours ne doive pas être rejeté pour tardiveté» (ordonnance attaquée, points 41 et 43). Elitaliana estime que la jurisprudence relative à l’erreur excusable peut aussi s’appliquer à l’identité de la partie
défenderesse et demande que la Cour identifie, le cas échéant, la partie défenderesse correcte.

69. Eulex Kosovo conclut au rejet de ce moyen.

2. Appréciation

70. J’observe d’emblée que le Tribunal a constaté que, en l’occurrence, la désignation d’Eulex Kosovo dans la requête devant le Tribunal ne constituait pas une erreur de la part d’Elitaliana (ordonnance attaquée, point 39). Cependant, dans l’ordonnance attaquée, le Tribunal a admis qu’«il était incontestablement difficile pour [Elitaliana] d’identifier la partie à laquelle les mesures en cause étaient imputables et qui disposait de la qualité de partie défenderesse» (point 41).

71. Cette constatation, qui me semble être entièrement justifiée, se base sur la prémisse, retenue par le Tribunal, selon laquelle l’action aurait dû être engagée contre la Commission.

72. Je partage l’analyse du Tribunal selon laquelle la jurisprudence portant sur l’erreur excusable ne peut pas fonder les prétentions d’Elitaliana. En effet, cette jurisprudence porte sur les délais procéduraux ( 28 ) et ne peut pas être invoquée dans une situation où la partie requérante se trompe sur l’identité de la partie défenderesse.

73. Même si l’on admettait une telle erreur, la défenderesse à l’encontre de laquelle l’action a été introduite ne pourrait pas pour autant se voir reconnaître la capacité juridique d’y répondre. Ainsi, l’erreur excusable ne peut pas être invoquée en ce sens. Une erreur excusable pourrait seulement s’appliquer dans une autre procédure engagée contre une autre partie et invoquée comme une justification à la tardiveté éventuelle du recours en annulation et/ou en indemnité.

74. Enfin, je rappelle que le Tribunal n’a pas pris position sur sa prétendue incompétence ( 29 ), et que dans son pourvoi, Elitaliana n’a pas contesté l’ordonnance attaquée à cet égard. Cette question est susceptible d’être soulevée dans un autre recours et, une fois que le Tribunal aura statué à cet égard, la Cour sera en mesure, au stade du pourvoi, d’examiner le bien‑fondé de la décision prise par le Tribunal. Toutefois, en l’espèce, le Tribunal ne s’étant pas prononcé, il n’appartient pas non
plus à la Cour de statuer sur ce point.

75. Le Tribunal n’a donc commis aucune erreur de droit lorsqu’il a conclu, dans l’ordonnance attaquée, au rejet du moyen d’Elitaliana tiré d’une erreur excusable.

76. Aucun des moyens n’étant fondé, il convient de rejeter le pourvoi dans son ensemble.

V – Conclusion

77. Par ces motifs, je propose à la Cour de rejeter le recours et de condamner Elitaliana SpA aux dépens.

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( 1 )   Langue originale: le français.

( 2 )   JO L 42, p. 92.

( 3 )   T‑213/12, EU:T:2013:292.

( 4 )   Points 19 à 32 du pourvoi.

( 5 )   Points 33 à 39 du pourvoi.

( 6 )   Points 40 à 47 du pourvoi.

( 7 )   Points 16 à 18 du pourvoi.

( 8 )   Je note que dans l’ordonnance H/Conseil e.a. (T‑271/10, EU:T:2014:702) le Tribunal avait estimé que, selon lui, une voie de recours existait, en l’occurrence devant les autorités nationales.

( 9 )   Voir arrêts Royaume‑Uni/Parlement et Conseil (C‑270/12, EU:C:2014:18, point 81) ainsi que Liivimaa Lihaveis (C‑562/12, EU:C:2014:2229, point 46).

( 10 )   Voir mes conclusions dans l’affaire Liivimaa Lihaveis (C‑562/12, EU:C:2014:155, points 34 à 36).

( 11 )   Voir, par exemple, article 100, paragraphe 1, du règlement (CE) no 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006, concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH), instituant une agence européenne des produits chimiques [ECHA], modifiant la directive 1999/45/CE et abrogeant le règlement (CEE) no 793/93 du Conseil et le règlement (CE) no 1488/94 de la Commission ainsi que
la directive 76/769/CEE du Conseil et les directives 91/155/CEE, 93/67/CEE, 93/105/CE et 2000/21/CE de la Commission (JO L 396, p. 1, et rectificatif JO 2007, L 136, p. 3, ci‑après le «règlement REACH»), prévoyant que ladite agence est un organisme de la Communauté européenne et est dotée de la personnalité juridique. Par ailleurs, dans le budget de l’Union, les organes créés par l’Union et dotés de la personnalité juridique sont traités à part, voir, à cet égard, document COM(2012) 300, du 25 mai
2012, intitulé «Draft General Budget of the European Commission for the Financial Year 2013. Working Document Part III. Bodies set up by the European Union and having legal personality» (document disponible en anglais).

( 12 )   Il est tout à fait possible, en droit privé et en droit public, qu’une entité sans personnalité juridique propre soit toutefois dotée de la capacité procédurale d’ester devant les tribunaux. Sur la capacité d’ester en justice, voir arrêt Überseering (C‑208/00, EU:C:2002:632) et mes conclusions dans l’affaire VALE Építési (C‑378/10, EU:C:2011:841, point 37).

( 13 )   Voir, par exemple, article 94, paragraphe 1, du règlement REACH qui prévoit que le Tribunal ou la Cour peuvent être saisis, conformément à l’article 263 TFUE, d’une contestation d’une décision de la chambre de recours de l’ECHA ou, dans les cas où il n’existe pas de droit de recours auprès de cette chambre, d’une décision de l’ECHA.

( 14 )   T‑411/06, EU:T:2008:419.

( 15 )   Arrêt Sogelma/AER (EU:T:2008:419, points 34 et 50).

( 16 )   Il convient toutefois de souligner que la présente espèce se distingue de l’arrêt Les Verts/Parlement (294/83, EU:C:1986:166, points 23 et 24).

( 17 )   Sur l’approche fonctionnelle, voir décision 2010/427/UE du Conseil, du 26 juillet 2010, fixant l’organisation et le fonctionnement du service européen pour l’action extérieure (JO L 201, p. 30), qui dispose à son article 1er que le service européen pour l’action extérieure (SEAE) «est un organe de l’Union européenne fonctionnant de manière autonome [qui] est distinct du secrétariat général du Conseil [de l’Union européenne] et de la Commission [européenne] et possède la capacité juridique
nécessaire pour accomplir les tâches qui lui incombent et réaliser ses objectifs» (mis en italiques pas mes soins). Voir également Gatti, M., «Diplomats at the Bar: The European External Action Service before EU Courts», European Law Review, 2014, p. 664.

( 18 )   Contrairement au service européen pour l’action extérieure SEAE, qui, en vertu de l’article 1er, paragraphe 2, de la décision 2010/427 est un organe fonctionnellement autonome et qui dispose d’une légitimation passive, Eulex Kosovo ne possède pas les mêmes caractéristiques. Les éléments présentés par Eulex Kosovo dans son mémoire en réponse peuvent se résumer ainsi. Premièrement, Eulex Kosovo a plutôt un statut d’opération de gestion de crise sous la responsabilité du Conseil qui l’a
instituée et qui exerce un contrôle politique et une direction stratégique. Deuxièmement, la volonté du législateur de voir les missions comme de simples «opérations» et non comme des organes est soulignée par le fait que les États membres détachent du personnel «en commandement» auprès de la mission, mais qu’«[i]l appartient à l’État contributeur ou à l’institution de l’[Union] ayant détaché [auprès d’Eulex Kosovo] un agent de répondre à toute plainte liée au détachement, qu’elle émane de cet agent
ou qu’elle le concerne. Il incombe à l’État contributeur ou à l’institution de l’[Union] en question d’intenter toute action contre l’agent détaché» (voir article 10, paragraphe 2, de l’action commune 2008/124). Troisièmement, les pays tiers participent aux activités d’Eulex Kosovo. Quatrièmement, le chef de mission d’Eulex Kosovo a conclu un contrat avec la Commission selon lequel «la Commission s’attache les services de M. Xavier Bout de Marnhac comme conseiller spécial» qui n’a donc pas été
recruté sur la base d’un concours selon la procédure des organes des institutions européennes, mais en tant que conseiller indépendant pour une durée déterminée.

( 19 )   2/68‑IMM, EU:C:1968:45, p. 647.

( 20 )   Voir note en bas de page 17.

( 21 )   Arrêt IDT Biologika/Commission (T‑503/10, EU:T:2012:575).

( 22 )   Ordonnance Tecnoprocess/Commission et Délégation de l’Union au Maroc (T‑264/09, EU:T:2011:319).

( 23 )   Voir, à titre d’exemple, ordonnances Fucci/MINUK (T‑51/05, EU:T:2005:175) ainsi que Unity OSG FZE/Conseil et EUPOL Afghanistan (T‑511/08, EU:T:2010:138).

( 24 )   Voir ordonnance H/Conseil e.a. (T‑271/10 R, EU:T:2010:315) ainsi que ordonnance attaquée (point 26).

( 25 )   Voir ordonnance H/Conseil e.a. (EU:T:2014:702) et l’affaire H/Conseil e.a. (C‑455/14 P), pendante devant la Cour.

( 26 )   Voir action commune 2002/210/PESC du Conseil, du 11 mars 2002, relative à la Mission de police de l’Union européenne (JO L 70, p. 1), et la décision 2009/906/PESC du Conseil, du 8 décembre 2009, concernant la Mission de police de l’Union européenne (MPUE) en Bosnie‑et‑Herzégovine (JO L 322, p. 22).

( 27 )   Ordonnance Elti/Délégation de l’Union au Monténégro (T‑395/11, EU:T:2012:274).

( 28 )   Voir ordonnance attaquée (point 40).

( 29 )   Voir point 45 de l’ordonnance attaquée, cité au point 29 des présentes conclusions. Il me semble, par ailleurs, que dans l’ordonnance attaquée une faute de frappe s’est glissée audit point 45. Au lieu de lire «les actes adoptés sur la base des dispositions du traité FUE relatives à la PESC» il faut probablement lire «les actes adoptés sur la base des dispositions du traité UE relatives à la PESC». Cette même observation s’applique au point 18 de l’ordonnance attaquée.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-439/13
Date de la décision : 04/12/2014
Type d'affaire : Pourvoi - non fondé
Type de recours : Recours en responsabilité, Recours en annulation

Analyses

Pourvoi – Marchés publics de services – Action commune 2008/124/PESC – Appel d’offres concernant le soutien par hélicoptère à la mission Eulex Kosovo – Recours contre la décision d’attribution –Article 24, paragraphe 1, second alinéa, TUE – Article 275, premier alinéa, TFUE – Politique étrangère et de sécurité commune (PESC) – Compétence de la Cour – Article 263, premier alinéa, TFUE – Notion d’‘organe ou d’organisme de l’Union’ – Mesures imputables à la Commission européenne – Erreur excusable.

Marchés publics de l'Union européenne


Parties
Demandeurs : Elitaliana SpA
Défendeurs : Eulex Kosovo.

Composition du Tribunal
Avocat général : Jääskinen

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2014:2416

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