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21/01/2014 | CJUE | N°C-574/13

CJUE | CJUE, Ordonnance du vice-président de la Cour du 21 janvier 2014., République française contre Commission européenne., 21/01/2014, C-574/13


ORDONNANCE DU VICE-PRÉSIDENT DE LA COUR

21 janvier 2014 ( *1 )

«Pourvoi — Ordonnance de référé — Aide d’État — Décision ordonnant la récupération — Absence de mesures contraignantes visant à la récupération de l’aide au niveau national — Défaut d’urgence»

Dans l’affaire C‑574/13 P(R),

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 57, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 7 novembre 2013,

République française, représentée par MM. G. de Bergues

et D. Colas ainsi que par Mmes E. Belliard et N. Rouam, en qualité d’agents,

partie requérante,

l’autre partie à la procé...

ORDONNANCE DU VICE-PRÉSIDENT DE LA COUR

21 janvier 2014 ( *1 )

«Pourvoi — Ordonnance de référé — Aide d’État — Décision ordonnant la récupération — Absence de mesures contraignantes visant à la récupération de l’aide au niveau national — Défaut d’urgence»

Dans l’affaire C‑574/13 P(R),

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 57, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 7 novembre 2013,

République française, représentée par MM. G. de Bergues et D. Colas ainsi que par Mmes E. Belliard et N. Rouam, en qualité d’agents,

partie requérante,

l’autre partie à la procédure étant:

Commission européenne, représentée par Mme M. Afonso et M. B. Stromsky, en qualité d’agents,

partie défenderesse en première instance,

LE VICE-PRÉSIDENT DE LA COUR,

le premier avocat général, M. P. Cruz Villalón, entendu,

rend la présente

Ordonnance

1 Par son pourvoi, la République française demande l’annulation de l’ordonnance du président du Tribunal de l’Union européenne du 29 août 2013, France/Commission (T‑366/13 R, ci-après l’«ordonnance attaquée»), par laquelle celui-ci a rejeté sa demande de sursis à l’exécution de la décision C(2013) 1926 final de la Commission, du 2 mai 2013, concernant l’aide d’État SA.22843 (2012/C) (ex 2012/NN) mise à exécution par la France en faveur de la Société nationale Corse Méditerranée et de la Compagnie
méridionale de navigation (ci-après la «décision litigieuse»).

Les antécédents du litige et la procédure devant le juge des référés

2 Les antécédents du litige ont été résumés comme suit aux points 1 à 9 de l’ordonnance attaquée:

«1 À la suite d’une procédure d’appel d’offres portant sur la desserte des liaisons maritimes Marseille-Bastia, Marseille-Ajaccio, Marseille-Balagne (Ile-Rousse et Calvi), Marseille-Porto Vecchio et Marseille-Propriano, le groupement constitué par la Société nationale Corse Méditerranée (SNCM) et la Compagnie méridionale de navigation (CMN), des opérateurs français de service de transport maritime, assure, pour une période allant du 1er juillet 2007 au 31 décembre 2013, la desserte desdites cinq
liaisons maritimes dans le cadre d’une convention de délégation de service public (ci-après la ‘CDSP’) signée avec la collectivité territoriale de Corse (CTC) et avec l’Office des transports de Corse (OTC). Les deux délégataires reçoivent une contribution annuelle de la part de l’OTC, en contrepartie du service permanent ‘passager et fret’ qu’elles doivent assurer pendant toute l’année (ci-après le ‘service de base’) et du service complémentaire ‘passager’ à fournir pendant les périodes de
pointe, c’est-à-dire pendant les périodes de Noël, de février, de printemps-automne et/ou d’été, sur les lignes Marseille-Ajaccio, Marseille-Bastia et Marseille-Propriano (ci-après le ‘service complémentaire’).

2 Aux termes de la CDSP, la compensation financière finale de chaque délégataire pour chaque année est limitée au montant du déficit d’exploitation entraîné par les obligations résultant du cahier des charges, en tenant compte d’un rendement raisonnable du capital nautique engagé au prorata des journées de son utilisation effective pour les traversées correspondant à ces obligations. Dans l’hypothèse où les recettes réalisées seraient inférieures aux recettes prévisionnelles fixées par les
délégataires dans leur offre, la CDSP prévoit un ajustement de la compensation publique. Postérieurement à sa signature, la CDSP a été modifiée de telle sorte que plus de 100 traversées par an entre la Corse et Marseille ont été supprimées, que les montants annuels de la compensation financière de référence ont été réduits de 6,5 millions d’euros pour les deux délégataires et que le mécanisme d’ajustement annuel des recettes par délégataire a été plafonné.

3 Quant aux liaisons maritimes entre la Corse et les ports de Nice et de Toulon, elles sont principalement opérées par la société française Corsica Ferries, qui a également participé à la procédure d’appel d’offres mentionnée au point 1 ci-dessus, mais dont les offres n’ont pas été retenues. Sur ces liaisons, la société Corsica Ferries est soumise à des obligations de service public, au titre de l’article 4 du règlement (CEE) no 3577/92 du Conseil, du 7 décembre 1992, concernant l’application du
principe de la libre circulation des services aux transports maritimes à l’intérieur des États membres (cabotage maritime) (JO L 364, p. 7), lui imposant, notamment, un nombre minimum de rotations par semaine en fonction des périodes. En outre, il existe, sur lesdites liaisons, un dispositif d’aide sociale accordée aux passagers éligibles.

4 S’agissant de la desserte globale de la Corse depuis la France continentale, elle est marquée, depuis de nombreuses années, par une très forte saisonnalité, l’essentiel du trafic de passagers s’effectuant durant les mois d’été. Au cours des années 2000, la tendance principale des marchés du transport entre la France continentale et la Corse a été le développement de l’offre de transport au départ de Toulon, devenu le premier port de desserte de la Corse en termes de trafic. Cette tendance à
l’augmentation du trafic au départ de Toulon va de pair avec l’augmentation de la part de marché de la société Corsica Ferries.

5 En 2007, la Commission européenne a été saisie d’une plainte par la société Corsica Ferries au sujet d’aides d’État illégales et incompatibles avec le marché commun, dont la SNCM et la CMN bénéficieraient grâce à la CDSP. À la suite d’informations complémentaires communiquées par le plaignant et d’un échange de courrier avec les autorités françaises, la Commission a, par lettre du 27 juin 2012, informé la République française de sa décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen, au titre de
l’article 108, paragraphe 2, TFUE, sur les aides potentielles au bénéfice de la SNCM et de la CMN contenues dans la CDSP (JO C 301, p. 1). À l’issue de cette procédure, la Commission a adopté, en date du 2 mai 2013, la décision [litigieuse].

6 La décision [litigieuse] a été notifiée à la République française le 3 mai 2013.

7 Dans la décision [litigieuse], pour déterminer si les compensations octroyées à la SNCM et à la CMN constituaient une aide d’État, la Commission a examiné si les critères fixés par la Cour dans l’arrêt du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg (C-280/00, Rec. p. I-7747) (ci-après les ‘critères Altmark’), étaient remplis en l’espèce. Ce faisant, elle a constaté que le service de base, fourni par la SNCM et la CMN, répondait à un besoin réel de service public, tandis que
le service complémentaire, fourni par la seule SNCM, n’était ni nécessaire ni proportionné à la satisfaction d’un tel besoin, pour en conclure que seul le service de base remplissait le premier des critères Altmark. Ensuite, estimant que les conditions de l’appel d’offres (voir point 1 ci-dessus) n’avaient pas permis de sélectionner le candidat capable de fournir les services en cause au moindre coût pour la collectivité et que les autorités françaises ne lui avaient fourni aucun élément
d’information susceptible de démontrer que les compensations étaient calculées sur le modèle d’une entreprise moyenne, bien gérée et adéquatement équipée, elle a considéré que le quatrième des critères Altmark n’était rempli pour aucun des deux services en cause. Selon la Commission, les compensations en cause constituaient donc des aides d’État (article 1er de la décision [litigieuse]).

8 En ce que concerne la compatibilité des aides examinées avec le marché intérieur, la Commission a estimé que le service de base constituait un service d’intérêt économique général, mais que ce n’était pas le cas pour le service complémentaire. Elle n’a donc déclaré compatible avec le marché intérieur que les compensations versées à la SNCM et à la CMN au titre du service de base (article 2, paragraphe 2, de la décision [litigieuse]), alors que celles versées à la seule SNCM au titre du service
complémentaire ont été qualifiées d’incompatibles avec le marché intérieur (article 2, paragraphe 1, de la décision [litigieuse]).

9 En vertu de l’article 3 de la décision [litigieuse], la Commission a ordonné, en conséquence, la cessation immédiate du versement des compensations relatives au service complémentaire et la récupération, auprès du bénéficiaire, des aides déjà versées à cette fin – dont le montant s’élève à environ 220 millions d’euros –, en précisant que cette récupération devait être immédiate et effective et que les autorités françaises devaient veiller à ce que cette décision soit mise en œuvre dans les
quatre mois suivant la date de sa notification (article 4 de la décision [litigieuse]), c’est-à-dire pour le 3 septembre 2013. Les autorités françaises étaient tenues de communiquer, dans les deux mois suivant la notification de la décision [litigieuse], à la Commission, notamment, le montant total à récupérer auprès du bénéficiaire, une description détaillée des mesures déjà prises et prévues pour se conformer à cette décision ainsi que les documents démontrant que le bénéficiaire avait été mis
en demeure de rembourser l’aide (article 5).»

3 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 12 juillet 2013, la République française a introduit un recours visant à l’annulation de la décision litigieuse. À l’appui de ce recours, elle a fait valoir que la Commission avait violé la notion d’«aide d’État» au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, en considérant que les compensations versées à la SNCM et à la CMN dans le cadre de la CDSP procuraient à leurs bénéficiaires un avantage sélectif et en qualifiant ces compensations d’aides d’État
au sens de cette disposition. À titre subsidiaire, elle a soutenu que la Commission avait violé l’article 106, paragraphe 2, TFUE, en considérant que les compensations versées à la SNCM au titre du service complémentaire constituaient des aides d’État incompatibles avec le marché intérieur dans la mesure où ce service ne constituerait pas un service d’intérêt économique général.

4 Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le même jour, la République française a introduit une demande en référé, par laquelle elle a demandé, en substance, au président du Tribunal de surseoir à l’exécution de la décision litigieuse, jusqu’à ce que le Tribunal ait statué sur le fond. Dans ses observations déposées au greffe du Tribunal le 31 juillet 2013, la Commission a conclu au rejet de cette demande en référé. La République française a répliqué aux observations de la Commission par
mémoire du 8 août 2013. La Commission a pris position sur celui-ci par mémoire du 14 août 2013.

L’ordonnance attaquée

5 Estimant qu’il disposait de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la demande sans qu’il soit besoin d’entendre les parties oralement, le président du Tribunal a décidé d’examiner d’abord si la condition relative à l’urgence était remplie.

6 Il a relevé, aux points 19 à 22 de l’ordonnance attaquée, que, selon la République française, une mise en œuvre immédiate de la décision litigieuse, laquelle ordonnerait la récupération auprès de la SNCM d’une somme de plus de 220 millions d’euros, ainsi que l’annulation de tous les versements postérieurs à la date de la notification de cette décision, entraînerait inévitablement l’insolvabilité et la liquidation de cette société et, partant, des préjudices graves, irréparables et imminents pour
cet État membre. Selon ce dernier, ledit préjudice résultant d’une telle liquidation consisterait, premièrement, en une rupture de la continuité territoriale avec la Corse, deuxièmement, en des conflits sociaux importants en Corse et dans le port de Marseille et, troisièmement, en des répercussions négatives sur l’emploi et sur l’activité économique, non seulement au sein de cette société, mais également dans les bassins marseillais et corse.

7 Au point 27 de l’ordonnance attaquée, le président du Tribunal a observé que les trois types de préjudice invoqués par la République française, bien que distincts du préjudice individuel que pourrait subir la SNCM, dépendent tous de la mise en liquidation de celle-ci. À partir du point 28 de ladite ordonnance, il a donc examiné si la République française avait établi que la mise à exécution de la décision litigieuse risquerait de causer inévitablement une telle liquidation.

8 Il a relevé à cet égard, au point 29 de l’ordonnance attaquée, que c’était à la République française, seule destinataire de la décision litigieuse, qu’il appartenait d’exiger la restitution, par la SNCM, des prétendues aides d’État et d’annuler les versements de la compensation future jusqu’au 31 décembre 2013, ladite décision étant obligatoire à l’égard des seules autorités françaises en vertu de l’article 288, quatrième alinéa, TFUE. Dès lors, il a jugé que la décision litigieuse ne pouvait
juridiquement, à elle seule, être considérée comme étant susceptible de contraindre cette société à restituer lesdites aides ni à renoncer auxdits versements. Ainsi, le président du Tribunal a considéré que seule l’adoption par les autorités françaises d’une mesure juridiquement contraignante visant à l’exécution de la décision litigieuse pourrait rendre le risque de liquidation de la SNCM suffisamment imminent pour justifier l’octroi du sursis à l’exécution sollicité.

9 Aux points 30 à 34 de l’ordonnance attaquée, le président du Tribunal a examiné la pertinence des lettres adressées le 10 juillet 2013 par le préfet de Corse à la CTC et à la SNCM. Il a conclu que l’envoi de ces deux lettres, qui n’aurait été suivi d’aucune action de la part de leurs destinataires, ne saurait être considéré comme une prise de mesures de nature à contraindre impérativement la SNCM à restituer les aides déjà versées et à annuler, en résiliant la CDSP, les versements encore dus.
Ainsi, le risque d’une liquidation de la SNCM ne saurait être considéré comme suffisamment imminent pour justifier le sursis à l’exécution sollicité.

10 Le président du Tribunal a rejeté les arguments en sens contraire invoqués par la République française, aux points 35 et suivants de l’ordonnance attaquée. Au point 37 de cette ordonnance, il a notamment observé que, en l’espèce, les lettres du préfet de Corse du 10 juillet 2013 ne pouvaient être considérées comme des mesures contraignantes visant à l’exécution de la décision litigieuse, d’autant plus que ce dernier y annonçait explicitement l’intention de la République française d’introduire un
recours en annulation à l’encontre de cette décision assorti d’une demande en référé de sursis à l’exécution de celle-ci. Au point 38 de ladite ordonnance, il a rejeté l’argument selon lequel c’était à la CTC d’émettre un titre de recouvrement, estimant que ce défaut d’émission était, en tout état de cause, imputable à la République française.

11 Dans la mesure où la République française avait soutenu qu’il serait paradoxal de l’obliger à mener à son terme la procédure de récupération des aides déjà versées alors qu’elle avait introduit une demande en référé, le président du Tribunal a rappelé, au point 40 de l’ordonnance attaquée, que les actes adoptés par les institutions bénéficient d’une présomption de légalité et que l’introduction d’un recours en annulation n’a aucun effet suspensif, en vertu de l’article 278 TFUE, le sursis à
l’exécution ne pouvant être octroyé que par le juge. Il a également relevé, au point 41 de l’ordonnance attaquée, que, en application de la jurisprudence du Tribunal, la République française était tenue non pas de mener la procédure de récupération des aides à son terme, mais d’adopter des mesures contraignantes. Au point 42 de celle-ci, il a ainsi conclu que, à défaut de mesures contraignantes visant impérativement à l’exécution de la décision litigieuse, dont la conséquence inéluctable serait
la mise en liquidation de la SNCM, la République française n’avait pas établi que la condition relative à l’urgence était remplie en l’espèce.

12 Aux points 43 et suivants de l’ordonnance attaquée, le président du Tribunal a examiné, à toutes fins utiles, la situation telle qu’elle existerait s’il devait être considéré que la République française avait déjà adopté de telles mesures contraignantes en l’espèce. Il a considéré, en substance, que, conformément à une jurisprudence constante et à la lumière des éléments du dossier, il n’était pas établi que les voies de recours nationales françaises ne permettraient pas à la SNCM d’éviter à
celle-ci une mise en liquidation et, partant, le risque de subir un préjudice grave et irréparable, en attaquant, devant le juge national, les mesures nationales contraignantes qui auraient été adoptées dans cette situation.

13 Au vu de l’ensemble de ces éléments, le président du Tribunal a conclu, au point 56 de l’ordonnance attaquée, qu’il y avait lieu de rejeter la demande en référé pour défaut d’urgence, sans examiner la condition relative au fumus boni juris et sans procéder à la mise en balance des intérêts en présence.

Les conclusions des parties

14 La République française demande à la Cour:

— d’annuler l’ordonnance attaquée;

— de statuer elle-même sur le litige ou de renvoyer l’affaire devant le Tribunal, et

— de condamner la Commission aux dépens.

15 La Commission demande à la Cour:

— de rejeter le pourvoi, et

— de condamner la République française aux dépens.

Sur le pourvoi

16 À l’appui de son pourvoi, la République française invoque un moyen unique tiré d’une erreur de droit dans l’appréciation de la condition tenant à l’urgence. Plus particulièrement, la République française reproche au président du Tribunal d’avoir subordonné la satisfaction de cette condition, premièrement, à l’adoption par les autorités nationales compétentes d’un ordre de recouvrement ou d’une mise en demeure dans le but de récupérer l’aide en cause et, deuxièmement, à la preuve qu’aucune voie de
recours interne ne permettait à l’entreprise bénéficiaire de cette aide de s’opposer au remboursement de celle-ci et, ainsi, d’éviter un préjudice grave et irréparable.

17 En revanche, la Commission invite la Cour à rejeter ces deux griefs et, partant, le pourvoi dans son ensemble.

18 À cet égard, il convient de rappeler, tout d’abord, que, selon l’article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, les demandes en référé doivent spécifier «l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence, ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent». Ainsi, le sursis à l’exécution et les autres mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur
octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents, en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient édictés et produisent leurs effets dès avant la décision sur le recours au fond. Ces conditions sont cumulatives, de sorte que les demandes de mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut [voir ordonnance du président de la Cour
du 14 octobre 1996, SCK et FNK/Commission, C-268/96 P(R), Rec. p. I-4971, point 30]. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (ordonnance du président de la Cour du 23 février 2001, Autriche/Conseil, C-445/00 R, Rec. p. I-1461, point 73).

19 La finalité de la procédure de référé est de garantir la pleine efficacité de la future décision définitive, afin d’éviter une lacune dans la protection juridique assurée par la Cour. C’est pour atteindre cet objectif que l’urgence doit s’apprécier par rapport à la nécessité qu’il y a de statuer provisoirement, afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la protection provisoire [ordonnance du président de la Cour du 14 décembre 2001,
Commission/Euroalliages e.a., C-404/01 P(R), Rec. p. I-10367, points 61 et 62]. C’est à cette dernière partie qu’il appartient d’apporter la preuve qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure au fond, sans risquer de subir un préjudice de cette nature (voir ordonnance du président de la Cour du 12 octobre 2000, Grèce/Commission, C-278/00 R, Rec. p. I-8787, point 14).

20 À cet égard, il ressort du point 43 de l’ordonnance attaquée que le président du Tribunal n’a examiné la question de l’existence de voies de droit internes au profit de la SNCM qu’à titre surabondant, pour le cas où, contrairement à ce qu’il a jugé au point 42 de cette ordonnance, il serait considéré que les autorités françaises ont prouvé qu’elles avaient déjà adopté des mesures contraignantes visant à l’exécution de la décision litigieuse. Or, selon une jurisprudence constante, les griefs
dirigés contre des motifs surabondants d’une décision du Tribunal ne sauraient entraîner l’annulation de cette décision et sont donc inopérants (voir arrêt du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C-189/02 P, C-202/02 P, C-205/02 P à C-208/02 P et C-213/02 P, Rec. p. I-5425, point 148, ainsi que ordonnance du 23 février 2006, Piau/Commission, C‑171/05 P, point 86).

21 Il convient donc d’examiner, dans un premier temps, si la conclusion retenue par le président du Tribunal au point 42 de ladite ordonnance, concernant l’absence de mesures contraignantes et, partant, le défaut d’urgence qui en découle, est entachée de l’erreur de droit alléguée en l’espèce.

22 La République française reconnaît qu’il est justifié d’exiger de l’entreprise bénéficiaire d’une aide la preuve que les autorités nationales compétentes ont adopté des mesures de récupération de l’aide en cause et de considérer que, à défaut, la condition d’urgence n’est pas remplie. En effet, elle relève à juste titre que seules les autorités nationales peuvent imposer à l’entreprise bénéficiaire d’une aide de rembourser cette aide et que la décision de la Commission ordonnant à l’État membre de
récupérer l’aide en cause n’impose en revanche aucune obligation juridiquement contraignante à cette entreprise, de sorte que celle-ci ne peut justifier d’un risque de préjudice grave et irréparable tant que les autorités nationales n’ont pas adopté de mesures contraignantes visant à la suppression et à la récupération de ladite aide. La République française soutient que cette règle ne saurait cependant être transposée aux recours en référé introduits par les États membres eux-mêmes en matière
d’aides d’État, car il serait paradoxal, selon elle, de soumettre le bien-fondé d’une demande en référé introduite par un État membre dans cette matière à l’adoption par les autorités nationales de cet État de mesures contraignantes visant à la récupération de l’aide en cause.

23 Toutefois, il y a lieu de souligner que la République française ne remet pas en cause la prémisse posée par le président du Tribunal, au point 27 de l’ordonnance attaquée, selon laquelle la survenance des préjudices prétendument graves et irréparables qu’elle invoque présuppose la liquidation de la SNCM. Ainsi, dans la mesure où, comme la République française le soutient elle-même à juste titre, la décision litigieuse n’impose aucune obligation de remboursement à la SNCM, cette dernière n’en
étant pas la destinataire, cette société ne risque pas la mise en liquidation tant que les autorités nationales n’ont pas adopté de mesures contraignantes visant à la récupération de l’aide en cause. Il y a donc lieu de constater que cet État membre ne saurait, dans ces conditions, invoquer la probable survenance des préjudices graves et irréparables allégués en l’absence d’adoption, par ces autorités, de telles mesures.

24 S’agissant de l’argumentation de la République française soulignant le caractère «paradoxal» du fait pour un État membre de devoir adopter des mesures contraignantes visant à la récupération d’une aide afin d’obtenir le sursis à l’exécution d’une décision l’obligeant à récupérer cette même aide, il suffit de rappeler que l’ouverture forcée d’une procédure de récupération d’une aide octroyée par un État membre, conformément à l’article 14, paragraphe 3, du règlement (CE) no 659/1999 du Conseil, du
22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [108 TFUE] (JO L 83, p. 1), au motif que cette aide est incompatible avec le marché intérieur, impose à cet État membre d’adopter, contre sa propre volonté, des mesures juridiquement contraignantes, afin de se conformer aux obligations découlant pour lui du droit de l’Union.

25 Par ailleurs, ainsi que le président du Tribunal l’a rappelé à juste titre au point 14 de l’ordonnance attaquée, l’article 278 TFUE pose le principe du caractère non suspensif des recours, le sursis à l’exécution d’un acte dont il est demandé l’annulation, que les justiciables ont la faculté de solliciter au titre de cette même disposition, présentant un caractère exceptionnel.

26 Il s’ensuit que le fait qu’un État membre doive adopter des mesures contraignantes visant à la récupération d’une aide, alors même qu’il sollicite, auprès du juge de l’Union, le sursis à l’exécution de la décision de la Commission qui l’oblige à adopter ces mêmes mesures, découle du régime procédural et de la répartition des compétences entre la Commission et les autorités nationales prévus par le droit de l’Union.

27 Dès lors, il y a lieu de constater que le président du Tribunal n’a commis aucune erreur de droit en subordonnant la satisfaction de la condition relative à l’urgence à l’adoption, par les autorités nationales compétentes, de mesures contraignantes visant à la récupération de l’aide en cause. Ayant également constaté, en particulier aux points 33 et 37 de l’ordonnance attaquée, sans que la République française ne lui reproche une dénaturation des faits à cet égard, que cet État membre n’avait pas
adopté de telles mesures, le président du Tribunal a donc pu juger à bon droit, au point 42 de l’ordonnance attaquée, que cet État membre n’avait pas établi que la condition relative à l’urgence était remplie en l’espèce.

28 Dans ces conditions, il y a lieu de rejeter le présent pourvoi sans qu’il soit besoin d’examiner l’argumentation de la République française concernant l’existence de voies de droit internes permettant à la SNCM d’obtenir, le cas échéant, un sursis à l’exécution des mesures contraignantes que les autorités françaises devraient adopter, le président du Tribunal n’ayant examiné cette question qu’à titre surabondant.

Sur les dépens

29 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, du même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République française et cette dernière ayant succombé en son moyen unique, il y a lieu de la condamner aux dépens.

  Par ces motifs, le vice-président de la Cour ordonne:

  1) Le pourvoi est rejeté.

  2) La République française est condamnée aux dépens.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure: le français.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-574/13
Date de la décision : 21/01/2014
Type d'affaire : Demande en référé, Pourvoi - non fondé
Type de recours : Recours en annulation

Analyses

Pourvoi - Ordonnance de référé - Aide d’État - Décision ordonnant la récupération - Absence de mesures contraignantes visant à la récupération de l’aide au niveau national - Défaut d’urgence.

Aides accordées par les États

Concurrence


Parties
Demandeurs : République française
Défendeurs : Commission européenne.

Composition du Tribunal
Avocat général : Cruz Villalón
Rapporteur ?: Lenaerts

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2014:36

Source

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