ORDONNANCE DE LA COUR (dixième chambre)
14 novembre 2013 ( *1 )
«Renvoi préjudiciel — Espace de liberté, de sécurité et de justice — Convention de Bruxelles — Coopération judiciaire en matière civile — Règlement (CE) no 44/2001 — Article 5, point 1, sous b) — Compétence judiciaire — Compétences spéciales — Matière contractuelle — Notion de ‘fourniture de services’ — Contrat de stockage»
Dans l’affaire C‑469/12,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Handelsgericht Wien (Autriche), par décision du 17 septembre 2012, parvenue à la Cour le 22 octobre 2012, dans la procédure
Krejci Lager & Umschlagbetriebs GmbH
contre
Olbrich Transport und Logistik GmbH,
LA COUR (dixième chambre),
composée de M. Juhász, président de chambre, MM. A. Rosas (rapporteur) et D. Šváby, juges,
avocat général: Mme E. Sharpston,
greffier: M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées:
— pour Krejci Lager & Umschlagbetriebs GmbH, par Me M. Stögerer, Rechtsanwalt,
— pour le gouvernement autrichien, par Mme C. Pesendorfer, en qualité d’agent,
— pour le gouvernement hellénique, par Mmes S. Chala et L. Kotroni, en qualité d’agents,
— pour la Commission européenne, par MM. M. Wilderspin et W. Bogensberger, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 99 du règlement de procédure de la Cour,
rend la présente
Ordonnance
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 5, point 1, du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Krejci Lager & Umschlagbetriebs GmbH (ci-après «Krejci Lager»), société de droit autrichien, à Olbrich Transport und Logistik GmbH (ci-après «Olbrich Transport»), société de droit allemand, au sujet du paiement du prix demandé pour l’entreposage de marchandises sur un site à Vienne (Autriche).
Le cadre juridique
La convention de Bruxelles
3 Aux termes de l’article 5, point 1, de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32), telle que modifiée par la convention du 29 novembre 1996 relative à l’adhésion de la République d’Autriche, de la République de Finlande et du Royaume de Suède (JO 1997, C 15, p. 1, ci-après la «convention de Bruxelles»):
«Le défendeur domicilié sur le territoire d’un État contractant peut être attrait, dans un autre État contractant:
1) en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l’obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée [...]».
Le règlement no 44/2001
4 Aux termes du considérant 11 du règlement no 44/2001:
«Les règles de compétence doivent présenter un haut degré de prévisibilité et s’articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur et cette compétence doit toujours être disponible, sauf dans quelques cas bien déterminés où la matière en litige ou l’autonomie des parties justifie un autre critère de rattachement. [...]»
5 Le considérant 12 du règlement no 44/2001 énonce:
«Le for du domicile du défendeur doit être complété par d’autres fors autorisés en raison du lien étroit entre la juridiction et le litige ou en vue de faciliter une bonne administration de la justice.»
6 Aux termes du considérant 19 du règlement no 44/2001:
«Pour assurer la continuité nécessaire entre la convention de Bruxelles et le [...] règlement, il convient de prévoir des dispositions transitoires. La même continuité doit être assurée en ce qui concerne l’interprétation des dispositions de la convention de Bruxelles par la Cour [...]»
7 Les règles de compétence édictées par le règlement no 44/2001 figurent au chapitre II de celui-ci, constitué des articles 2 à 31.
8 Sous la section 1 dudit chapitre II, intitulée «Dispositions générales», l’article 2, paragraphe 1, du règlement no 44/2001 prévoit:
«Sous réserve des dispositions du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre.»
9 L’article 3, paragraphe 1, du règlement no 44/2001 dispose:
«Les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre ne peuvent être attraites devant les tribunaux d’un autre État membre qu’en vertu des règles énoncées aux sections 2 à 7 du présent chapitre.»
10 Sous la section 2 du même chapitre II, intitulée «Compétences spéciales», l’article 5 du règlement no 44/2001 prévoit:
«Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite, dans un autre État membre:
1) a) en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l’obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée;
b) aux fins de l’application de la présente disposition, et sauf convention contraire, le lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande est:
— pour la vente de marchandises, le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées,
— pour la fourniture de services, le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis;
c) le point a) s’applique si le point b) ne s’applique pas [...]».
11 Sous la section 6 dudit chapitre II, intitulée «Compétences exclusives», l’article 22 du règlement no 44/2001 dispose:
«Sont seuls compétents, sans considération de domicile:
1) en matière de droits réels immobiliers et de baux d’immeubles, les tribunaux de l’État membre où l’immeuble est situé.
[...]»
Le litige au principal et la question préjudicielle
12 Krejci Lager, sise à Vienne, a formé un recours auprès du Bezirksgericht für Handelssachen Wien (tribunal cantonal pour les affaires commerciales de Vienne), tendant à ce que Olbrich Transport, sise à Gornau (Allemagne), lui verse un montant correspondant au prix du stockage des marchandises entreposées sur un site lui appartenant et se trouvant à Vienne. Ce montant concerne la période comprise entre la quarantième semaine et la cinquante-deuxième semaine calendaire de l’année 2008. Le prix du
stockage a été fixé par la requérante à 325 euros.
13 Le Bezirksgericht für Handelssachen Wien s’est déclaré internationalement incompétent et a rejeté le recours. Cette juridiction a estimé que celui-ci devait être porté, conformément à l’article 5, point 1, du règlement no 44/2001, devant le tribunal du lieu d’exécution de l’obligation contractuelle litigieuse. Cette obligation comporterait le paiement du prix du stockage, qui constitue une dette d’argent correspondant au droit sur lequel est fondé le recours.
14 Selon le même juge de première instance, les dettes d’argent telles celle en cause au principal doivent être qualifiées, conformément au droit autrichien, de «dettes expédiables» («Schickschulden») et sont payables au domicile du débiteur. Ainsi, le «lieu où l’obligation qui sert de base à la demande [...] doit être exécutée», au sens de l’article 5, point 1, sous a), du règlement no 44/2001, se trouverait en Allemagne et, par conséquent, les juridictions autrichiennes ne seraient pas compétentes
pour statuer sur le litige en cause au principal.
15 La requérante au principal a interjeté appel de cette décision devant le Handelsgericht Wien (tribunal de commerce de Vienne), affirmant que l’article 5, point 1, sous a), du règlement no 44/2001 n’était pas applicable aux faits en cause au principal. Selon elle, le contrat de stockage constitue un contrat pour la fourniture de services. Partant, le lieu d’exécution d’un tel contrat est, conformément à l’article 5, point 1, sous b), de ce règlement, le lieu où le service a été fourni. Il ressort
de la décision de renvoi que la défenderesse au principal soutient, en revanche, que le contrat de stockage implique non pas une prestation de services, mais la mise à disposition d’un espace.
16 La juridiction de renvoi indique que, dans une procédure où les enjeux représentent moins de 5000 euros, elle est la juridiction de dernier ressort. Toutefois, elle estime que la réponse à la question d’interprétation de droit de l’Union ne s’impose pas avec une telle évidence qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable.
17 Dans ces conditions, le Handelsgericht Wien a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:
«Un contrat relatif au stockage de marchandises constitue‑t‑il un contrat de ‘fourniture de services’ au sens de l’article 5, [point] 1, sous b), du règlement [...] no 44/2001 [...]?»
Sur la question préjudicielle
18 En vertu de l’article 99 de son règlement de procédure, lorsque la réponse à une question posée à titre préjudiciel peut être clairement déduite de la jurisprudence ou ne laisse place à aucun doute raisonnable, la Cour peut à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de statuer par voie d’ordonnance motivée. La Cour estime qu’il y a lieu de faire usage de cette disposition dans la présente affaire.
19 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 5, point 1, sous b), second tiret, du règlement no 44/2001 doit être interprété en ce sens qu’un contrat relatif au stockage de marchandises constitue un contrat de fourniture de services au sens de cette disposition.
20 À titre liminaire, il convient de rappeler que l’article 5, point 1, du règlement no 44/2001 énonce une règle de compétence spéciale portant sur la matière contractuelle. L’attribution de ladite compétence spéciale, dont le choix dépend d’une option du demandeur et qui complète le critère général de compétence du for du domicile du défendeur, est motivée par l’existence, dans certaines hypothèses bien déterminées, d’un lien de rattachement étroit entre une contestation et la juridiction qui peut
être appelée à en connaître (voir, en ce sens, arrêt du 9 juillet 2009, Rehder, C-204/08, Rec. p. I-6073, point 32).
21 Il y a lieu de relever que, selon la jurisprudence de la Cour, le requérant bénéficie du for du lieu d’exécution du contrat, même si la formation du contrat, qui est à l’origine du recours, est litigieuse entre les parties (voir, en ce qui concerne la convention de Bruxelles, arrêt du 4 mars 1982, Effer, 38/81, Rec. p. 825, point 8).
22 Lorsque le contrat litigieux a pour obligation caractéristique la vente de marchandises ou la fourniture de services, l’article 5, point 1, sous b), du règlement no 44/2001 prévoit qu’une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite, en vertu d’un tel contrat, devant la juridiction du lieu d’un autre État membre où l’obligation caractéristique dudit contrat a été ou aurait dû être exécutée. Ainsi, en ce qui concerne le lieu d’exécution des obligations découlant des
contrats de fourniture de services, ledit règlement définit, à son article 5, point 1, sous b), second tiret, de manière autonome, ce critère de rattachement, afin de renforcer les objectifs d’unification des règles de compétence judiciaire et de prévisibilité (voir, en ce sens, arrêts Rehder, précité, points 33 et 36, ainsi que du 11 mars 2010, Wood Floor Solutions Andreas Domberger, C-19/09, Rec. p. I-2121, points 23 et 26).
23 Il ressort des informations transmises à la Cour par la juridiction de renvoi que le contrat en cause dans l’affaire au principal porte sur le stockage de marchandises. Cette dernière juridiction indique, notamment, qu’elle doit résoudre le problème de sa compétence internationale dans une situation où les marchandises de la défenderesse au principal, une société de droit allemand, ont été entreposées sur un site qui se trouve en Autriche.
24 Afin de savoir si une telle situation relève de l’article 5, point 1, sous b), second tiret, du règlement no 44/2001, il convient de s’interroger si le stockage de marchandises constitue une «fourniture de services» au sens de cette disposition.
25 Force est de constater que tel est le cas.
26 En effet, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, la notion de services, figurant à l’article 5, point 1, sous b), second tiret, du règlement no 44/2001, implique, pour le moins, que la partie qui les fournit effectue une activité déterminée en contrepartie d’une rémunération (arrêt du 23 avril 2009, Falco Privatstiftung et Rabitsch, C-533/07, Rec. p. I-3327, point 29).
27 À cet égard, ainsi que le font valoir les gouvernements autrichien et hellénique ainsi que la Commission européenne dans leurs observations écrites, il convient de relever que l’élément prépondérant d’un contrat de stockage est le fait que l’entreposeur se charge de stocker les biens en cause pour le compte de l’autre partie au contrat. Ainsi, cet engagement implique une activité déterminée consistant, tout au moins, en la réception des biens, leur conservation en un lieu sûr et leur remise à
l’autre partie au contrat dans un état approprié.
28 Quant à l’argument selon lequel le contrat en cause n’aurait pour objet que la simple location d’un espace, il convient de relever que, dans le cadre d’une procédure visée à l’article 267 TFUE, lequel est fondé sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, toute appréciation des faits relève de la compétence du juge national. La Cour, en particulier, est uniquement habilitée à se prononcer sur l’interprétation ou la validité d’un texte de l’Union à partir
des faits qui lui sont indiqués par la juridiction nationale (arrêts du 8 mai 2008, Danske Svineproducenter, C-491/06, Rec. p. I-3339, point 23, ainsi que du 10 novembre 2011, X et X BV, C‑319/10 et C‑320/10, point 29).
29 Or, selon les informations qui ressortent de la décision de renvoi, le contrat en cause dans l’affaire au principal concerne non pas la location de locaux, mais le stockage de marchandises. Par ailleurs, outre le fait qu’il n’appartient pas à la Cour de remettre en cause cette appréciation factuelle, il y a lieu de relever que la compétence judiciaire relative à ce premier type de contrat est, en tout état de cause, régie par l’article 22, point 1, du règlement no 44/2001, relatif à la compétence
exclusive en matière de baux d’immeubles (voir, en ce qui concerne la convention de Bruxelles, arrêts du 15 janvier 1985, Rösler, 241/83, Rec. p. 99, point 24, ainsi que du 26 février 1992, Hacker, C-280/90, Rec. p. I-1111, point 10), aux termes duquel seules les juridictions de l’État membre où l’immeuble est situé sont compétentes.
30 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient donc de répondre à la question posée que l’article 5, point 1, sous b), second tiret, du règlement no 44/2001 doit être interprété en ce sens qu’un contrat relatif au stockage de marchandises, tel que celui en cause dans l’affaire au principal, constitue un «contrat de fourniture de services» au sens de cette disposition.
Sur les dépens
31 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) dit pour droit:
L’article 5, point 1, sous b), second tiret, du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens qu’un contrat relatif au stockage de marchandises, tel que celui en cause dans l’affaire au principal, constitue un «contrat de fourniture de services» au sens de cette disposition.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure: l’allemand.