CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. PEDRO CRUZ VILLALÓN
présentées le 7 novembre 2013 ( 1 )
Affaire C‑47/12
Kronos International Inc.
contre
Finanzamt Leverkusen
[demande de décision préjudicielle formée par le Finanzgericht Köln (Allemagne)]
«Liberté d’établissement — Libre circulation des capitaux — Législation fiscale — Impôt sur les sociétés — Imposition des dividendes — Champ d’application respectif des articles 49 TFUE et 63 TFUE — Réglementation nationale indistinctement applicable aux participations de contrôle et aux participations de portefeuille — Dispositifs de prévention de la double imposition des dividendes — Régime d’exonération des dividendes d’origine étrangère — Régime d’imputation des dividendes d’origine nationale —
Différence de traitement des pertes de la société mère — Restriction — Justifications — Répartition du pouvoir d’imposition entre les États membres — Cohérence globale du système»
1. La Cour est, dans la présente affaire, à nouveau saisie d’une demande préjudicielle concernant la compatibilité avec le droit de l’Union, en l’occurrence les dispositions du traité relatives à la liberté d’établissement et à la libre circulation des capitaux, d’une réglementation nationale concernant l’impôt sur les sociétés, qui soumet les dividendes versés aux sociétés mères résidentes à des régimes fiscaux distincts suivant leur origine nationale ou étrangère.
2. La Cour sera tout d’abord appelée à déterminer quelle liberté trouve à s’appliquer au litige au principal, sachant que la société résidente en cause est incorporée aux États-Unis d’Amérique, que les participations qu’elle détient dans ses différentes filiales sont supérieures à 90 % et que la réglementation nationale trouve à s’appliquer à toute participation supérieure à 10 %. La Cour sera ainsi conduite à approfondir sa très riche jurisprudence relative à la détermination de la liberté
applicable au traitement fiscal des dividendes.
3. La Cour devra ensuite examiner si la réglementation nationale en cause en l’espèce au principal ( 2 ), qui poursuit l’objectif d’éviter l’imposition en chaîne ou la double imposition économique des dividendes versés aux sociétés résidentes en exonérant les dividendes d’origine étrangère, qui font par ailleurs l’objet d’une imposition à la source, tout en soumettant les dividendes d’origine nationale à un régime d’imputation, est compatible avec les dispositions du traité.
4. La Cour a, certes, déjà eu l’occasion de se prononcer sur des questions de cette nature, mais dans des situations où, à l’inverse de celle en cause dans le litige au principal, ce sont les dividendes d’origine nationale qui étaient exemptés d’impôts et les dividendes d’origine étrangère qui bénéficiaient d’un régime d’imputation ( 3 ) ou auraient dû en bénéficier ( 4 ).
5. La présente affaire comporte, cependant, un élément de complexité qui la distingue des affaires jusqu’à maintenant examinées par la Cour. Ce qui est contesté dans le cadre du litige au principal, ce n’est pas tant la dualité des régimes applicables aux dividendes que les conséquences que leur application peut produire dans l’hypothèse dans laquelle la société résidente bénéficiaire enregistre des pertes. La Cour se trouve donc confrontée à une problématique s’inscrivant à la croisée de sa
jurisprudence déjà très fournie sur le traitement fiscal des dividendes et de sa jurisprudence sur le traitement des pertes ( 5 ), mais dans une configuration totalement inédite.
I – Le cadre juridique
A – Les conventions de double imposition
6. Les différentes conventions bilatérales pertinentes, en vigueur au cours des exercices d’imposition en cause dans le litige au principal, respectivement conclues par la République fédérale d’Allemagne avec le Royaume de Belgique, le Royaume de Danemark, la République française, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et le Canada, prévoyaient toutes, d’une manière générale, que les dividendes versés à une société mère établie en Allemagne par ses filiales n’étaient, à compter d’une
participation variant de 10 à 25 %, pas imposables en Allemagne, mais dans l’État d’établissement de ces dernières.
B – La réglementation allemande
7. L’article 49, paragraphe 1, de la loi allemande relative à l’impôt sur les sociétés (Körperschaftsteuergesetz) ( 6 ) renvoie aux dispositions de la loi relative à l’impôt sur le revenu (Einkommensteuergesetz) ( 7 ) pour ce qui est de la mise en œuvre de l’imposition des sociétés, en ce compris le régime de l’imputation.
8. L’article 36, paragraphe 2, point 3, de l’EStG, qui régit le régime dit «de l’imputation intégrale», prévoit:
«[…] Sont imputés sur l’impôt sur le revenu:
3. l’impôt sur les sociétés d’une société ou association intégralement assujettie à l’impôt sur les sociétés à hauteur de 3/7 des revenus au sens de l’article 20, paragraphe 1, point 1 ou 2, dans la mesure où ceux-ci ne proviennent pas de distributions de dividendes impliquant une utilisation de capitaux propres au sens de l’article 30, paragraphe 2, point 1, de la loi relative à l’impôt sur les sociétés. Il en va de même pour les revenus au sens de l’article 20, paragraphe 2, point 2, sous a),
obtenus de la première cession, par l’associé, de coupons ou d’autres droits; dans ces cas, l’impôt sur les sociétés imputable est limité aux 3/7 du montant distribué pour les droits cédés. L’impôt sur les sociétés n’est pas imputé:
[…]
f) lorsque les revenus n’ont pas été comptabilisés lors de la détermination de la base d’imposition;
[…]»
9. La juridiction de renvoi précise, par ailleurs, que les dividendes d’origine étrangère étaient également exonérés d’impôt sur les sociétés en Allemagne, en vertu de l’article 26, paragraphe 7, du KStG, dans la version en vigueur jusqu’en 1993, et de l’article 8 b, paragraphe 5, du KStG, dans la version en vigueur de 1994 à 2000.
II – Les faits à l’origine du litige au principal
10. Kronos International Inc. ( 8 ), la requérante au principal, est une société holding constituée en 1988 conformément au droit de l’État du Delaware (États-Unis d’Amérique), qui a son siège statutaire dans ce dernier État et son siège de direction en Allemagne, où elle est inscrite au registre du commerce avec une succursale.
11. Elle a été constituée aux fins d’assurer la direction unique de différentes sociétés européennes et canadiennes qu’elle devait racheter à NL Industries Inc. (USA). Elle détient 99,95 % des parts de la société allemande Kronos Titan GmbH depuis 1989 ainsi que des participations directes ou indirectes dans plusieurs sociétés, dont l’importance a varié entre 1991 et 2001, années en cause dans le litige au principal, oscillant entre 90 et 100 %.
12. Entre 1991 et 2001, KII a ainsi détenu 100 % du capital de Kronos Canada Inc. et du capital de Kronos UK Ltd ainsi qu’une participation représentant entre 92,941 et 93,771 % du capital de la Société Industrielle Titane (France).
13. Entre 1999 et 2001, elle a également détenu 100 % du capital de Kronos Denmark APS, par l’intermédiaire de laquelle elle a contrôlé 99,99 % du capital de Kronos Europa SA/NV (Belgique) et 100 % du capital de Kronos Norge (Norvège) en 2000 et en 2001.
14. Le litige au principal concerne l’impôt sur les sociétés dû par KII en Allemagne pour les années 1991 à 2001 et, plus précisément, l’impossibilité pour KII d’imputer sur l’impôt sur les sociétés dus en Allemagne l’impôt sur les sociétés acquitté par ses filiales et sous-filiales établies dans d’autres États membres ou des États tiers, et d’en obtenir, le cas échéant, le remboursement en Allemagne en cas de pertes.
15. Entre 2004 et 2010, des avis d’imposition ont été émis à l’encontre de KII pour l’impôt sur les sociétés dû pour les années 1991 à 2001. KII a, en l’occurrence, payé 4190788,57 euros d’impôt sur les sociétés pour l’année 1991 et 2 050 183,81 euros pour l’année 1992. Elle n’a, en revanche, pas payé d’impôts sur les sociétés entre 1993 et 2001, du fait des pertes qu’elle avait enregistrées.
16. Dans ce contexte, KII a demandé l’imputation, sur les impôts sur les sociétés dont elle était redevable en Allemagne, et le remboursement des impôts payés par ses filiales et sous-filiales établies dans d’autres États membres (Belgique, France et Royaume-Uni) ou des États tiers (Canada, Norvège) entre 1991 et 2001.
17. Par décision du 15 décembre 2005, le Finanzamt Leverkusen a refusé de faire droit à cette demande. Cette décision de refus était fondée sur les dispositions combinées de l’article 36, paragraphe 2, point 3, sous f), de l’EStG et de l’article 49, paragraphe 1, du KStG, en vertu desquels l’imputation de l’impôt sur les sociétés grevant les dividendes n’est possible que lorsque lesdits dividendes sont comptabilisés en tant que revenus imposables. Or, les dividendes d’origine étrangère étant
exonérés, ils ne pourraient être pris en compte en tant que revenus imposables.
18. Par décision du 10 janvier 2007, le Finanzamt Leverkusen a rejeté comme non fondé le recours formé par KII en ce qui concerne l’avis relatif au décompte et à l’imputation de l’avoir fiscal pour l’impôt sur les sociétés de l’exercice 1994.
19. Le 7 février 2007, KII a alors saisi le Finanzgericht Köln d’un recours en annulation contre cette décision ainsi que d’un recours en carence concernant le décompte de l’impôt sur les sociétés pour les exercices 1991 à 1993 et 1995 à 2001.
III – Les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour
20. C’est dans ces circonstances que le Finanzgericht Köln a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) L’exclusion de l’imputation d’impôt sur les sociétés en raison de l’exonération d’impôt de versements de dividendes par des sociétés de capitaux [d’un] pays tiers à des sociétés de capitaux allemandes, pour lesquelles les dispositions nationales requièrent seulement que la société de capitaux percevant les dividendes détienne une participation d’au moins 10 % dans la société versant les dividendes, relève-t-elle uniquement de la liberté d’établissement au sens des dispositions combinées des
articles 49 TFUE et 54 TFUE ou bien aussi de la libre circulation des capitaux au sens des articles 63 TFUE à 65 TFUE, lorsque la participation effective de la société de capitaux percevant les dividendes est de 100 %?
2) Convient-il de comprendre les dispositions relatives à la liberté d’établissement (désormais article 49 TFUE) et, le cas échéant, aussi à la libre circulation des capitaux (jusqu’en 1993 article 67 CEE/CE, désormais articles 63 TFUE à 65 TFUE) en ce sens qu’elles s’opposent à une règle qui, lorsque les dividendes de filiales étrangères sont exonérés d’impôt, exclut l’imputation et le remboursement d’impôt sur les sociétés sur ces versements de dividendes, même si la société mère réalise une
perte, alors que, pour les versements de dividendes de filiales allemandes, est prévu un allégement par le biais d’une imputation de l’impôt sur les sociétés?
3) Convient-il de comprendre les dispositions relatives à la liberté d’établissement (désormais article 49 TFUE) et, le cas échéant, aussi à la libre circulation des capitaux (jusqu’en 1993 article 67 CEE/CE, désormais articles 63 TFUE à 65 TFUE) en ce sens qu’elles s’opposent à une règle qui exclut l’imputation et le remboursement d’impôt sur les sociétés sur des dividendes de (sous-)sous-filiales exonérés d’impôt dans le pays de la filiale, (re)versés à la société mère allemande et également
exonérés d’impôt en Allemagne, mais qui, dans le cadre de constructions purement allemandes, permet le cas échéant un remboursement par le biais de l’imputation, chez la filiale, de l’impôt sur les sociétés sur des dividendes de la sous-filiale et de l’imputation, chez la société mère, de l’impôt sur les sociétés sur des dividendes de la filiale, si la société mère réalise une perte?
4) Si les dispositions relatives à la libre circulation des capitaux sont également applicables, selon la réponse apportée à la deuxième question, une question supplémentaire se pose en ce qui concerne les dividendes canadiens:
Convient-il de comprendre l’actuel article 64, paragraphe 1, TFUE en ce sens qu’il permet l’application de dispositions du droit national et des conventions de double imposition, qui n’ont connu aucune modification de fond substantielle depuis le 31 décembre 1993, et donc l’exclusion constante de l’imputation d’impôt sur les sociétés canadien sur des dividendes exonérés d’impôt en Allemagne?»
21. Les parties requérante et défenderesse au principal, les gouvernements allemand et du Royaume-Uni, ainsi que la Commission européenne, ont déposé des observations écrites.
22. Les parties requérante et défenderesse au principal, le gouvernement allemand, ainsi que la Commission, ont également été entendus en leurs observations orales lors de l’audience qui s’est tenue le 16 mai 2013.
IV – Observation liminaire
23. Les quatre questions préjudicielles posées par la juridiction de renvoi soulèvent, d’une manière générale, deux problèmes clairement distincts, qui seront examinés successivement, le premier concernant la liberté applicable au litige, correspondant à la première question, et le second concernant la compatibilité avec la liberté applicable de la réglementation allemande, correspondant aux deuxième, troisième et quatrième questions.
V – Sur les libertés invocables et applicables dans le litige au principal (première question)
24. Par sa première question, la juridiction de renvoi interroge la Cour, en substance, sur la question de savoir si la réglementation d’un État membre (la République fédérale d’Allemagne) applicable à l’imposition des dividendes versés à des sociétés dudit État membre («sociétés de capitaux allemandes») par des filiales établies dans un État tiers («sociétés de capitaux d’un pays tiers») relève exclusivement des articles 49 TFUE et 54 TFUE, relatifs à la liberté d’établissement, ou si elle relève
également des articles 63 TFUE à 65 TFUE, relatifs à la libre circulation des capitaux, sachant que, d’une part, ladite réglementation trouve à s’appliquer à toute participation supérieure à 10 % et, d’autre part, que la participation en cause est effectivement de 100 %.
25. Anticipant sur les développements à venir, nous pouvons d’emblée préciser que, telle qu’elle est ainsi formulée, la première question de la juridiction de renvoi doit trouver une réponse dans la jurisprudence de la Cour, en l’occurrence dans l’arrêt Test Claimants in the FII Group Litigation II ( 9 ) très précisément.
26. Exprimé en des termes très simples et comme nous le verrons par la suite, la Cour a en effet jugé dans cet arrêt que, dans la mesure où la liberté d’établissement ne trouvait pas à s’appliquer ratione loci à une réglementation nationale concernant le traitement fiscal des dividendes versés à une société résidente d’un État membre par une filiale établie dans un États tiers ( 10 ), la libre circulation des capitaux devait trouver à s’appliquer, sous réserve d’abus, pour autant que ladite
réglementation s’applique indistinctement aux participations permettant d’exercer une influence certaine sur les décisions d’une société et de déterminer les activités de celle-ci (les «participations de contrôle») et aux participations effectuées dans la seule intention de réaliser un placement financier sans intention d’influer sur la gestion et le contrôle de l’entreprise (les participations de portefeuille).
27. Or, si la question de la liberté applicable dans le litige au principal se pose à l’égard des dividendes versés à KII par sa filiale établie dans un État tiers, ce que par commodité de langage nous appellerons la «dimension extracommunautaire» du litige au principal, elle se pose toutefois également à l’égard des dividendes versés à KII par ses filiales établies dans d’autres États membres ou encore dans des États parties à l’accord sur l’Espace économique européen du 2 mai 1992 ( 11 ),
c’est-à-dire à la «dimension intracommunautaire» du litige au principal, nonobstant le fait que la juridiction de renvoi n’ait pas cru devoir interroger la Cour à cet égard, et cela pour la raison suivante.
28. En application de la jurisprudence établie de la Cour, c’est la liberté d’établissement qui est, en principe, seule applicable à la dimension intracommunautaire du litige au principal. Or, contrairement à ce que les questions de la juridiction de renvoi semblent postuler, KII ne peut invoquer la liberté d’établissement, ni à l’égard de ses filiales établies dans des États tiers ni à l’égard de ses filiales établies dans d’autres États membres ou des États membres parties à l’accord EEE, du fait
de sa «nationalité».
29. La Cour se trouve ainsi confrontée à la question de savoir si, dans la ligne de son arrêt Test Claimants in the FII Group Litigation II et eu égard à la ratio legis de la solution qu’elle a adoptée dans ce dernier, la libre circulation des capitaux doit trouver à s’appliquer non seulement à la dimension extracommunautaire du litige au principal, mais également à sa dimension intracommunautaire.
30. Comme nous nous efforcerons de le démontrer, cette question appelle une réponse positive. Dans la mesure où la liberté d’établissement ne trouve pas à s’appliquer ratione personae à une réglementation nationale concernant le traitement fiscal des dividendes versés à une société résidente d’un État membre par une filiale établie dans un autre État membre, la libre circulation des capitaux doit trouver à s’appliquer, sous réserve d’abus, pour autant que ladite réglementation s’applique
indistinctement aux participations de contrôle et aux participations de portefeuille.
31. Examinons ces questions dans le détail.
A – Sur la liberté applicable à la dimension extracommunautaire du litige au principal
32. Dans son arrêt Test Claimants in the FII Group Litigation II ( 12 ), dont il faut souligner qu’il a été rendu postérieurement à la date à laquelle la présente demande préjudicielle lui est parvenue, la Cour a apporté une réponse positive à une question très proche de la première question de la juridiction de renvoi posée dans une configuration comparable ( 13 ), tout en réservant l’hypothèse de l’abus de droit ( 14 ).
33. Elle a, en effet, jugé qu’une société résidente d’un État membre et détenant une participation de contrôle dans une société résidente d’un pays tiers pouvait se prévaloir de l’article 63 TFUE afin de mettre en cause la conformité avec cette disposition d’une législation dudit État membre relative au traitement fiscal de dividendes originaires dudit pays tiers applicable aux participations de contrôle comme aux participations de portefeuille ( 15 ).
34. L’arrêt Test Claimants in the FII Group Litigation II, il importe d’insister à cet égard, modifie l’approche définie par la Cour dans une jurisprudence consolidée pour déterminer la liberté applicable aux réglementations nationales concernant le traitement fiscal des dividendes, de façon expresse pour ce qui est spécifiquement des situations extracommunautaires.
1. L’inflexion apportée à la jurisprudence par l’arrêt Test Claimants in the FII Group Litigation II dans les situations extracommunautaires
35. En effet, jusqu’à l’intervention de l’arrêt Test Claimants in the FII Group Litigation II, comme la Cour l’expose du reste aux points 89 à 92, la liberté applicable au traitement fiscal des dividendes devait être déterminée en tenant compte à la fois de l’objet de la réglementation nationale en cause (critère juridique) et de la situation de fait en cause (critère factuel).
36. Ainsi, si la réglementation nationale en cause avait vocation à s’appliquer aux seules participations de contrôle, elle devait alors être examinée au regard de la liberté d’établissement ( 16 ), en principe exclusivement.
37. Si la réglementation nationale trouvait à s’appliquer à des participations de portefeuille, elle devait alors être examinée, au regard de la libre circulation des capitaux, en principe exclusivement également.
38. En revanche, si la réglementation nationale s’appliquait indépendamment de l’importance de la participation détenue, c’est-à-dire indifféremment aux participations de contrôle et aux participations de portefeuille, il n’était alors pas possible de déterminer, sur la seule base de son objet, si elle relevait de manière prépondérante de l’une ou de l’autre liberté et il fallait alors recourir au critère factuel.
39. Ainsi, si une participation de contrôle était en cause, c’est la liberté d’établissement qui trouvait à s’appliquer, si c’était une participation de portefeuille, c’était la libre circulation des capitaux qui trouvait à s’appliquer, dans les deux cas de manière en principe exclusive. S’il n’était pas possible de déterminer la nature des participations en cause, la réglementation nationale devait alors être examinée au regard des deux libertés ( 17 ).
40. Ce double test trouvait à s’appliquer pleinement aussi bien dans les situations dans lesquelles étaient en cause des dividendes versés à des sociétés résidentes par des filiales établies dans d’autres États membres, les situations intracommunautaires, que dans celles dans lesquelles étaient en cause des dividendes versés par des filiales établies dans des États tiers, les situations extracommunautaires.
41. Désormais, et d’après l’arrêt Test Claimants in the FII Group Litigation II, dans un contexte relatif au traitement fiscal de dividendes originaires d’un État tiers, une situation extracommunautaire, l’examen du seul objet de la législation nationale suffit donc pour déterminer la liberté applicable ( 18 ).
42. Ainsi, dès lors que la réglementation nationale en cause a vocation à s’appliquer aussi bien à des participations de contrôle qu’à des participations de portefeuille (critère juridique), la libre circulation des capitaux peut être invoquée indépendamment des participations en cause (critère factuel).
43. En redéfinissant ainsi la méthode et les critères de détermination de la liberté applicable au traitement fiscal des dividendes dans les situations extracommunautaires, l’arrêt Test Claimants in the FII Group Litigation II permet de remédier aux conséquences parfois radicales d’une jurisprudence pouvant conduire la Cour à déclarer le droit de l’Union tout simplement inapplicable dans certaines situations ( 19 ).
44. Ce qui justifie donc essentiellement la solution novatrice de l’arrêt Test Claimants in the FII Group Litigation II, c’est que, appliquée aux dividendes originaires de pays tiers, ladite réglementation n’est pas susceptible de relever de la liberté d’établissement, avec la conséquence qu’elle échappe alors à l’emprise du droit de l’Union.
2. L’application de la jurisprudence Test Claimants in the FII Group Litigation II à la dimension extracommunautaire du litige au principal
45. En l’occurrence, KII, qui est une société considérée comme «résidente» en Allemagne, nonobstant son immatriculation aux États-Unis d’Amérique, détient une participation de 100 % dans le capital d’une filiale établie dans un États tiers, ce qui lui confère incontestablement une influence certaine sur les décisions de cette dernière. Elle est, par ailleurs, soumise au régime d’exonération des dividendes versés par cette filiale, qui est applicable à toute participation supérieure à 10 % et ne
s’applique donc pas exclusivement aux situations dans lesquelles la société mère exerce une influence décisive sur la société distribuant les dividendes.
46. La première question posée par la juridiction de renvoi, prise à la lettre, vise ainsi une situation qui peut être considérée comme correspondant précisément à celle couverte par l’arrêt Test Claimants in the FII Group Litigation II, de sorte qu’il peut y être répondu par l’affirmative, dans les mêmes termes et pour les mêmes motifs que ceux dudit arrêt.
B – Sur la liberté applicable à la dimension intracommunautaire du litige au principal
47. Cependant, ainsi que nous l’avons déjà souligné, la première question de la juridiction de renvoi ne vise, dans les circonstances du litige au principal, que la filiale de KII établie dans un État tiers à l’Union («Drittland») et ne semble donc pas concerner celles qui sont établies dans d’autres États membres que l’Allemagne ou encore dans des États parties à l’accord EEE. La juridiction de renvoi semble d’ailleurs postuler, ainsi qu’il ressort de ses deuxième et troisième questions, que la
dimension intracommunautaire du litige au principal relève de la liberté d’établissement ainsi que, «le cas échéant», de la libre circulation des capitaux.
48. Or, la liberté d’établissement n’est, dans les circonstances du litige au principal, applicable ni ratione loci ni ratione personae. KII ne peut, en effet, invoquer la liberté d’établissement à l’égard des dividendes versés par ses filiales établies dans des États tiers, comme rappelé ci-dessus. Elle ne peut pas non plus l’invoquer à l’égard des dividendes versés par ses filiales établies dans d’autres États membres, du fait de sa «nationalité».
1. KII n’est pas en état d’invoquer la liberté d’établissement
49. Le litige au principal présente une configuration particulière, en ce sens que KII ne peut invoquer la liberté d’établissement ni à l’égard de ses filiales établies dans des États tiers, compte tenu de la nature purement intracommunautaire de cette liberté, ni à l’égard de ses filiales établies dans d’autres États membres ou des États parties à l’accord EEE, du fait de sa «nationalité».
50. En outre, et par ailleurs, la Cour a souligné, dans son avis 1/94 ( 20 ), que l’objectif du chapitre du traité relatif à la liberté d’établissement est d’assurer la liberté d’établissement au profit des seuls ressortissants, personnes physiques ou morales, des États membres. Ledit chapitre ne comporte aucune disposition qui étende le champ d’application de ses dispositions aux situations externes à l’Union européenne. La liberté d’établissement ne peut, ainsi, être invoquée ni dans un contexte
dans lequel une personne morale d’un pays tiers détient une participation lui conférant une influence déterminante sur les décisions et les activités d’une société d’un État membre ( 21 ), ni dans des situations concernant l’établissement d’une société d’un État membre dans un pays tiers ( 22 ).
51. KII, en effet, est une société constituée conformément au droit américain et dont le siège statutaire est aux États-Unis d’Amérique. Son siège de direction est toutefois situé en Allemagne, de sorte que, ainsi qu’il ressort des observations écrites gouvernement allemand, elle se trouve intégralement assujettie à l’impôt sur les sociétés dans cet État membre, conformément à l’article 1er, paragraphe 1, du KStG. C’est en cette qualité de société «résidente» assujettie à l’impôt sur les sociétés en
Allemagne que KII invoque tant la liberté d’établissement que la libre circulation des capitaux aux fins de s’opposer à l’application à son égard de la réglementation fiscale allemande ou, plus exactement, d’obtenir le traitement fiscal des dividendes qu’elle revendique.
52. KII ne peut donc, eu égard aux dispositions de l’article 54 TFUE, invoquer la liberté d’établissement, dès lors qu’elle n’est pas constituée en conformité de la législation d’un État membre ( 23 ). La question qui se pose immédiatement est celle de savoir si elle peut invoquer, le cas échéant, la libre circulation des capitaux.
53. L’affaire au principal pose donc également la question de savoir si la libre circulation des capitaux est, dans les circonstances du litige au principal, applicable à sa dimension intracommunautaire ou, autrement formulé, si la solution adoptée par la Cour à l’égard des situations extracommunautaires dans son arrêt Test Claimants in the FII Group Litigation II est transposable aux situations intracommunautaires et donc applicable à l’ensemble du litige au principal.
2. La réponse donnée dans l’arrêt Test Claimants in the FII Group Litigation II doit pouvoir trouver application dans les circonstances du litige au principal
54. Selon nous, dès lors que la liberté d’établissement ne peut être invoquée à l’égard d’une réglementation nationale relative au traitement fiscal des dividendes d’application générale, visant tant les participations de contrôle que les participations de portefeuille, la libre circulation des capitaux doit pouvoir trouver à s’appliquer, sous réserve d’abus, quand bien même des participations de contrôle seraient en cause en l’espèce au principal.
55. Ainsi qu’il ressort de l’analyse qui précède, cette solution s’inscrit dans la parfaite continuité de celle adoptée par la Cour dans l’arrêt Test Claimants in the FII Group Litigation II, rien dans les motifs de ce dernier n’étant de nature à faire obstacle à sa transposition dans la présente affaire.
56. En effet, il se dégage sans difficulté de l’arrêt Test Claimants in the FII Group Litigation II que la raison fondamentale pour laquelle la Cour a considéré que la libre circulation des capitaux devait trouver à s’appliquer aux réglementations nationales d’application générale dans les situations extracommunautaires n’est autre que l’impossibilité de leur appliquer la liberté d’établissement.
57. Or, ainsi que nous l’avons vu et tout comme des sociétés filiales établies dans des États tiers, KII ne peut, en tant que société mère, invoquer la liberté d’établissement et remplit donc la condition à laquelle la Cour subordonne l’applicabilité de la libre circulation des capitaux. En outre, la réglementation nationale en cause au principal trouve à s’appliquer indistinctement aux participations de portefeuilles et aux participations de contrôle et remplit donc la condition à laquelle la Cour
subordonne l’application de la libre circulation des capitaux.
58. La situation en cause au principal répond donc substantiellement aux conditions posées par la Cour dans son arrêt Test Claimants in the FII Group Litigation II sans relever du cas de figure qu’elle a clairement entendu exclure du champ d’application de la nouvelle jurisprudence. La Cour a, en effet, pris grand soin de souligner que la libre circulation des capitaux et, partant, le droit de l’Union, demeuraient inapplicables aux situations extracommunautaires lorsque la réglementation nationale
relative au traitement fiscal de dividendes s’applique exclusivement aux participations de contrôle. Dans ce cas, la liberté d’établissement demeure la seule liberté applicable et la situation extracommunautaire échappe à l’emprise du droit de l’Union ( 24 ).
59. Enfin, la transposition de la jurisprudence Test Claimants in the FII Group Litigation II permettrait surtout d’éviter que le droit de l’Union trouve à s’appliquer à la dimension extracommunautaire du litige au principal tout en ne pouvant trouver à s’appliquer à sa dimension intracommunautaire, ce qui ne peut être considéré que comme une anomalie.
60. L’applicabilité de la libre circulation des capitaux dans des circonstances telles que celles en cause dans le litige au principal nous paraît devoir s’imposer, d’autant plus qu’elle ne saurait être ni automatique ni systématique, au point de contribuer à la création de situations caractérisées d’abus, ainsi que la Cour l’a relevé au point 100 de son arrêt Test Claimants in the FII Group Litigation II.
61. La Cour a, en effet, précisé qu’il importait d’éviter que l’interprétation de l’article 63, paragraphe 1, TFUE ne permette aux opérateurs économiques bénéficiant de la libre circulation des capitaux mais n’entrant pas dans les limites du champ d’application territorial de la liberté d’établissement de tirer profit de celle-ci. Elle a toutefois jugé que tel n’était pas le cas dans cette affaire, dès lors que la réglementation de l’État membre en cause ne visait pas les «conditions d’accès au
marché» d’une société dudit État membre dans un État tiers ou d’une société d’un État tiers dans ledit État membre.
62. Ce critère des conditions d’accès au marché est le même que celui utilisé par la Cour dans son arrêt Fidium Finanz ( 25 ), de sorte que, si les justifications profondes de la réserve ainsi posée par la Cour ne transparaissent pas explicitement dans les motifs de son arrêt Test Claimants in the FII Group Litigation II, elles se comprennent toutefois parfaitement à la lumière de l’arrêt Fidium Finanz.
63. Dans l’affaire Fidium Finanz, la réglementation allemande subordonnait l’exercice par les établissements financiers établis dans les États tiers de leurs activités, en l’occurrence la prestation de services financiers sur le territoire allemand, à l’obtention d’un agrément assimilable dans les faits à une obligation d’établissement. Elle avait pour effet «d’entraver l’accès au marché financier allemand des sociétés établies dans des États tiers» ( 26 ). Il était difficile d’admettre, dans de
telles circonstances, qu’une société établie dans un États tiers puisse se prévaloir de la libre circulation des capitaux pour, en quelque sorte, contourner, neutraliser la réglementation d’un État membre régissant très spécifiquement les conditions de prestation des services financiers, les conditions d’accès au marché dudit État membre.
64. En l’occurrence, et à l’instar de la réglementation britannique en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Test Claimants in the FII Group Litigation II, la réglementation allemande en cause en l’espèce au principal n’a en aucune manière pour objet ou pour effet d’affecter les «conditions d’accès au marché» au sens de l’arrêt Fidium Finanz.
C – Conclusion
65. Il ressort des développements qui précèdent que, dans les circonstances de l’espèce au principal, une société résidente d’un État membre détenant des participations de contrôle dans des sociétés résidentes d’autres États membres, d’États parties à l’accord EEE ou d’États tiers peut se prévaloir des dispositions du traité relatives à la libre circulation des capitaux aux fins de mettre en cause la compatibilité avec lesdites dispositions de la réglementation d’un État membre concernant le
traitement fiscal de dividendes, dès lors que cette réglementation a vocation à s’appliquer aussi bien aux participations permettant d’exercer une influence certaine sur les décisions d’une société et de déterminer les activités de celle-ci (participations de contrôle) qu’aux participations effectuées dans la seule intention de réaliser un placement financier sans intention d’influer sur la gestion et le contrôle de l’entreprise (participations de portefeuille) et pour autant qu’elle n’ait pas
pour objet de régir les conditions d’accès au marché des sociétés dudit État membre dans les autres États membres ou les États tiers ou des sociétés des autres États membres et des États tiers dans ledit État membre.
66. Je propose, par conséquent, à la Cour de dire pour droit, en réponse à la première question posée par la juridiction de renvoi telle que reformulée, que le droit de l’Union doit être interprété en ce sens que la compatibilité de la réglementation d’un État membre relative à l’imposition des dividendes qui trouve à s’appliquer à toute participation supérieure à 10 % peut être examinée au regard de la libre circulation des capitaux lorsque les participations en cause permettent d’exercer une
influence certaine sur les décisions des sociétés et de déterminer les activités de celles-ci, pour autant que ladite réglementation n’ait pas pour objet de régir les conditions d’accès au marché des sociétés dudit État membre dans les autres États membres ou dans les États tiers ou des sociétés des autres États membres et des États tiers dans ledit État membre.
VI – Sur la compatibilité de la réglementation allemande avec la libre circulation des capitaux
67. Par ses deuxième, troisième et quatrième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi interroge la Cour, en substance, sur la question de savoir si les dispositions du traité relatives à la libre circulation des capitaux doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à une réglementation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui exclut l’imputation et le remboursement de l’impôt sur les sociétés payé par les filiales et sous-filiales d’une
société résidente établies dans d’autres États membres ou des États tiers lorsque cette dernière réalise des pertes, alors que cette imputation et un tel remboursement sont prévus pour les filiales résidentes.
A – La réglementation allemande sur l’imposition des dividendes (les mécanismes d’imputation des dividendes nationaux et d’exonération des dividendes étrangers)
68. Il faut commencer par rappeler les éléments essentiels de la réglementation fiscale allemande sur les dividendes, qui distingue ceux qui sont versés à une société résidente par une filiale résidente (les dividendes d’origine nationale) et qui sont soumis au régime d’imputation et ceux qui sont versés à une société résidente par une filiale établie dans un autre État membre ou un États tiers (les dividendes d’origine étrangère) bénéficiant d’un régime d’exonération.
1. Le régime d’imputation des dividendes d’origine nationale
69. Les dividendes d’origine nationale sont soumis, en application de l’article 36, paragraphe 2, point 3, de l’EStG, à un régime d’imputation, dans le cadre duquel l’impôt sur les sociétés payé à la source par la société filiale distributrice est imputé sur l’impôt à payer par la société mère bénéficiaire, partiellement lorsque ladite société ne redistribue pas lesdits dividendes aux actionnaires finaux et totalement lorsqu’elle les redistribue totalement.
2. Le régime d’exonération des dividendes d’origine étrangère
70. Les dividendes d’origine étrangère bénéficient, en revanche, d’un régime d’exonération, dit «régime privilégié conventionnel des dividendes intragroupes». Ils sont, en effet, exonérés d’impôts en Allemagne en vertu des différentes conventions bilatérales, à compter d’une participation variant de 10 à 25 %. Comme ces dividendes d’origine étrangère ne constituent pas des revenus imposables, ils ne sont donc pas pris en compte dans le cadre de la détermination de l’impôt et ne peuvent donc être
imputés sur les impôts dus par la société mère. L’article 36, paragraphe 2, point 3, sous f), de l’EStG prévoyait, en effet, que l’impôt sur les sociétés n’était pas imputé sur l’impôt sur le revenu lorsque lesdits revenus n’avaient pas été comptabilisés lors de la détermination de la base d’imposition.
3. Le traitement des pertes dans le cadre du régime d’imputation des dividendes d’origine nationale
71. Il ressort de la décision de renvoi, ainsi que des observations écrites présentées à la Cour, que le régime d’imputation prévu par la réglementation allemande permet à une société mère bénéficiaire de dividendes distribués par une filiale résidente d’obtenir, lorsqu’elle réalise des pertes ou procède à un report de pertes et que le versement de dividendes par la filiale distributrice ne permet pas de compenser lesdites pertes, d’une part, de ne payer aucun impôt sur les sociétés et, d’autre
part, de bénéficier d’un versement correspondant à l’impôt sur les sociétés payé à la source par la filiale distributrice.
72. Un tel versement est en revanche exclu en toute hypothèse dans le cas de dividendes d’origine étrangère, dans la mesure où ils sont exonérés et ne peuvent donc, en application de l’article 36, paragraphe 2, point 3, sous f), de l’EStG être comptabilisés dans la base d’imposition de la société mère.
B – Sur l’existence d’une restriction à la libre circulation des capitaux
1. Résumé des observations soumises à la Cour
73. La juridiction de renvoi considère que la règle de l’article 36, paragraphe 2, point 3, sous f), de l’EStG, qui subordonne l’imputation à la condition que les revenus correspondants soient comptabilisés dans le cadre de la détermination de l’impôt, ne constitue pas une restriction dès lors qu’elle n’établit aucune distinction suivant l’origine des revenus. Si l’existence d’une restriction devait être constatée, elle ne pourrait donc résulter que de l’effet conjugué des règles relatives à la
détermination de l’impôt et des règles relatives à l’imputation de l’impôt.
74. Elle estime que le régime d’exonération dont bénéficient les dividendes d’origine étrangère, par ailleurs conforme aux prescriptions de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 90/435/CEE du Conseil, du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’États membres différents ( 27 ), est toujours plus avantageux que le régime d’imputation auquel sont soumis les dividendes d’origine nationale.
75. Il ne pourrait y avoir inégalité de traitement des dividendes d’origine nationale et des dividendes d’origine étrangère que dans l’hypothèse où les filiales étrangères distribuent des dividendes et où la société mère résidente enregistre des pertes ou procède à un report de pertes. Elle doute, cependant, qu’une telle situation soit incompatible avec le droit de l’Union.
76. Le régime d’exonération des dividendes d’origine étrangère et le régime d’imputation applicable aux dividendes d’origine nationale, examinés aux deux stades de la procédure de détermination et de la procédure d’imputation de l’impôt, seraient en effet équivalents, le premier présentant même un avantage par rapport au second en ce qu’il n’impose aucune obligation de preuve et donc aucune charge procédurale.
77. Elle concède certes, en se référant à la jurisprudence de la Cour ( 28 ), qu’une règle fiscale qui désavantage les dividendes d’origine étrangère constitue une restriction même si son application peut avoir des effets avantageux dans certaines situations. Elle ne partage toutefois pas le point de vue, défendu par KII, selon lequel constituerait une restriction le simple fait que le régime d’exonération procure un avantage au niveau de la procédure de détermination du montant de l’impôt et un
désavantage de trésorerie au niveau de la procédure d’imputation de l’impôt.
78. Les dividendes d’origine étrangère étant exonérés, ils échappent toujours à la détermination du montant de l’impôt et seraient donc toujours privilégiés. Ils ne peuvent, par conséquent, être imputés. Les dividendes d’origine nationale sont, en revanche, toujours pris en compte dans le cadre de la détermination du montant de l’impôt, mais cette prise en compte est compensée par l’imputation de l’impôt sur les sociétés les grevant, payé par la filiale distributrice sur les impôts payés par la
société mère bénéficiaire, imputation qui est totale lorsque cette dernière redistribue immédiatement les dividendes ou partielle lorsque cette dernière ne les redistribue pas.
79. Or, lorsque la société mère résidente réalise des pertes, le versement de dividendes par les filiales résidentes produit également un effet désavantageux, au stade de la procédure de détermination du montant de l’impôt comme au stade de la procédure d’imputation de l’impôt. Au stade de la procédure de détermination du montant de l’impôt, ce versement compense totalement ou partiellement les pertes et contribue à réduire ou à empêcher le report de pertes, pour les années antérieures comme pour
les années postérieures. Au stade de la procédure d’imputation de l’impôt, la diminution du report de pertes pour les années antérieures réduit le remboursement de l’impôt payé les années précédentes.
80. L’avantage de trésorerie que présenterait le régime d’imputation en cas de pertes n’interviendrait qu’au stade de la procédure d’imputation. Au stade de la procédure de détermination de l’impôt, l’impôt à payer par la société mère est, nonobstant les dividendes versés par la filiale résidente, réduit ou nul. Au stade de la procédure d’imputation, l’impôt sur les dividendes payé par la filiale est imputé sur l’impôt de la société mère et peut, par conséquent, conduire à un remboursement, partiel
ou total.
81. Ces effets avantageux et désavantageux, d’un exercice fiscal à un autre, ne seraient cependant que la conséquence logique de l’application de deux régimes différents.
82. KII fait en substance valoir, dans ses observations écrites, que la réglementation fiscale allemande applicable aux dividendes versés à une société mère résidente constitue une restriction à la libre circulation des capitaux, dans la mesure où le régime d’exonération des dividendes d’origine étrangère est moins avantageux que le régime d’imputation des dividendes d’origine nationale lorsque la société mère résidente réalise des pertes.
83. Sachant qu’une société mère allemande peut, lorsqu’elle réalise des pertes, obtenir le remboursement de l’impôt payé par sa filiale allemande, par application du mécanisme d’imputation, KII demande à bénéficier du même avantage, c’est-à-dire à obtenir le remboursement en Allemagne des impôts sur les sociétés payés par ses filiales dans leur État d’établissement. L’exclusion de l’imputation et du remboursement de l’impôt sur les sociétés acquitté en amont par les filiales étrangères sur les
dividendes versés à la société mère, lorsque cette dernière réalise des pertes, serait contraire à la libre circulation des capitaux.
84. KII précise que le régime d’exonération et le régime d’imputation ne sont équivalents que pour autant que l’on ne prenne pas en compte l’imposition de ses actionnaires. Si l’on prend en considération l’imposition des actionnaires finaux, ce n’est que pour les dividendes d’origine nationale que la double imposition est évitée à la fois au niveau de la société mère et au niveau de ses actionnaires. En se référant à l’arrêt Accor ( 29 ), KII fait en particulier valoir que, pour déterminer si les
dividendes d’origine étrangère sont traités de manière équivalente à celle des dividendes d’origine nationale, il faut évaluer la charge d’impôt en prenant en considération la redistribution des dividendes perçus.
85. La République fédérale d’Allemagne ainsi que le Finanzamt Leverkusen estiment, en substance, que le mécanisme d’imputation et le mécanisme d’exonération, qui visent tous deux à éviter la double imposition économique, sont globalement équivalents, que les dividendes d’origine étrangère et d’origine nationale sont soumis à des traitements équivalents dont seules les modalités diffèrent. Ils font également valoir que, à supposer que la réglementation allemande soit considérée comme restrictive,
elle est toutefois justifiée par la nécessité de garantir la cohérence du système fiscal, de préserver la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres et d’éviter la double prise en compte des pertes.
86. La Commission, enfin, estime que la situation des filiales nationales et des filiales étrangères n’est pas comparable, dans la mesure où les dividendes d’origine étrangère sont exonérés d’impôt sur les sociétés en Allemagne, en vertu des conventions bilatérales, alors que les dividendes d’origine nationale sont assujettis à l’impôt sur les sociétés en Allemagne. Le remboursement à la société mère résidente de l’impôt sur les sociétés payé par la filiale résidente distributrice de dividendes
constituerait un élément du mécanisme visant à éviter ou à atténuer la double imposition économique dans le chef de la société mère. Le traitement fiscal différencié des dividendes d’origine étrangère et d’origine nationale serait donc objectivement justifié par cette différence de situation. Il serait, en tout état de cause, justifié par l’exigence impérieuse d’intérêt général tenant à la cohérence du régime fiscal national.
2. Analyse
87. Il importe tout d’abord de rappeler que, en vertu d’une jurisprudence constante, si la fiscalité directe relève de la compétence des États membres, ces derniers doivent toutefois exercer celle-ci dans le respect du droit de l’Union, et notamment des dispositions du traité relatives à la libre circulation des capitaux ( 30 ).
88. C’est donc à chaque État membre qu’il appartient d’organiser, dans le respect du droit de l’Union, son système d’imposition des dividendes en définissant, dans ce cadre, l’assiette imposable ainsi que le taux d’imposition applicables ( 31 ).
89. La Cour a également précisé que, en l’absence de mesures d’unification ou d’harmonisation du droit de l’Union, les États membres demeuraient compétents pour définir, par voie unilatérale ou conventionnelle, les critères de répartition de leur pouvoir d’imposition, en vue notamment d’éliminer les doubles impositions ( 32 ). Ils demeurent ainsi libres de fixer, dans le cadre des conventions bilatérales conclues afin d’éviter la double imposition, les facteurs de rattachement aux fins de la
répartition de leur compétence fiscale ( 33 ).
90. Toutefois, si les États membres sont libres d’aménager leur système fiscal, et notamment de choisir le mécanisme en vertu duquel ils entendent prévenir ou atténuer l’imposition en chaîne ou la double imposition économique ( 34 ) des dividendes versés à une société résidente, ils doivent toutefois, lorsqu’ils font usage de cette faculté, respecter les exigences découlant du droit de l’Union ( 35 ).
91. Lorsqu’un État membre établit un système de prévention ou d’atténuation de l’imposition en chaîne ou de la double imposition économique des dividendes versés à des sociétés résidentes par d’autres sociétés résidentes, il doit par conséquent, en conformité avec l’article 63 TFUE, accorder un traitement équivalent aux dividendes versés à des sociétés résidentes par des sociétés non-résidentes ( 36 ). Il ne saurait, en particulier, traiter de manière moins avantageuse les dividendes d’origine
étrangère que les dividendes d’origine nationale, à moins que cette différence de traitement ne soit justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général ou qu’elle ne concerne des situations qui ne sont pas objectivement comparables ( 37 ).
92. C’est à la lumière de ces principes qu’il convient d’examiner si la réglementation fiscale allemande applicable au litige au principal constitue une restriction à la libre circulation des capitaux et si, dans l’affirmative, cette restriction peut être justifiée.
a) Sur l’existence d’une restriction
93. Il ressort de la demande préjudicielle de la juridiction de renvoi que, par application des différentes conventions bilatérales pertinentes conclues par la République fédérale d’Allemagne avec les États membres ou les États tiers d’établissement des différentes filiales de KII en cause au principal, les dividendes versés à KII par lesdites filiales sont imposables dans lesdits États et exonérés en Allemagne.
94. Il importe de souligner, à cet égard, que ce régime d’exonération des dividendes d’origine étrangère, qui résulte à la fois des conventions de double imposition et du droit interne allemand, est en lui-même conforme aux prescriptions de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 90/435.
95. Les dividendes d’origine étrangère étant exonérés en Allemagne et n’entrant pas dans la base d’imposition de la société mère bénéficiaire, ils ne sont donc pas susceptibles de faire l’objet d’une imposition en chaîne dans le chef de la société mère bénéficiaire. Comme la Cour a eu l’occasion de le relever, un système d’exonération des dividendes distribués élimine, par hypothèse, le risque d’une imposition en chaîne de ces derniers ( 38 ).
96. Il s’ensuit que, du point de vue de l’objectif poursuivi par la réglementation allemande, qui est d’éviter l’imposition en chaîne ou la double imposition économique des dividendes versés aux sociétés résidentes, le régime d’exonération des dividendes d’origine étrangère est en soi parfaitement légitime, dans la mesure où il permet de parvenir à un résultat équivalent au régime d’imputation applicable aux dividendes d’origine nationale. Par conséquent, et pour autant que les dividendes d’origine
étrangère ne soient effectivement pas imposés, ce dont il appartient à la juridiction de renvoi de s’assurer, il ne saurait être fait grief à l’Allemagne de soumettre les dividendes versés aux sociétés résidentes à des régimes distincts suivant leur origine.
97. L’argumentation tirée par KII de l’arrêt Accor, selon laquelle l’équivalence du régime d’exonération et du régime d’imputation devrait être évaluée en prenant en considération l’imposition des actionnaires finaux, doit dans cette perspective être rejetée.
98. C’est, en effet, l’imposition de KII en Allemagne qui est en cause dans le litige au principal et non pas celle de ses actionnaires et c’est, en conséquence la société elle-même et non ses actionnaires qui sont à l’origine du litige au principal ( 39 ). KII précise, du reste, dans ses observations écrites que ses actionnaires directs résident aux États-Unis, sans fournir la moindre indication sur leur éventuelle imposition en Allemagne.
99. Le désavantage que KII critique ne réside toutefois pas, comme la Commission l’a relevé à juste titre, dans l’existence d’une double imposition économique des dividendes d’origine étrangère, mais dans la différence du résultat auquel l’application respective du régime d’exonération et du régime d’imputation conduit dans l’hypothèse dans laquelle la société mère bénéficiaire des dividendes réalise des pertes.
100. KII dénonce, plus précisément, la circonstance que, du fait de l’application du régime d’exonération aux dividendes d’origine étrangère, elle n’est pas en mesure de bénéficier de l’avantage que procurerait l’application du mécanisme d’imputation en cas de pertes, avantage constitué par le remboursement d’un montant correspondant à l’impôt sur les sociétés grevant les dividendes distribués, payé par la filiale résidente. Elle revendique, en conséquence, l’application du régime d’imputation aux
dividendes d’origine étrangère, de manière à pouvoir bénéficier dudit remboursement.
101. Il doit, à cet égard, être observé que la Cour ne dispose que de peu de précisions sur le fondement sur lequel et les conditions dans lesquelles une société résidente réalisant des pertes ou procédant à un report de pertes peut obtenir, dans le cadre du régime d’imputation applicable aux dividendes d’origine nationale, le remboursement de l’impôt sur les sociétés grevant les bénéfices distribués par sa filiale résidente.
102. Cela précisé, il n’est pas contesté qu’un tel remboursement ne peut intervenir dans le cadre du régime d’exonération applicable aux dividendes d’origine étrangère, ces derniers n’étant, par définition, pas intégrés à la base d’imposition de la société mère résidente du fait de leur exonération.
103. Le Finanzamt Leverkusen comme la République fédérale d’Allemagne, confirmant les précisions fournies à cet égard par la juridiction de renvoi, concèdent que, dans l’hypothèse où la société mère résidente réalise des pertes ou opère un report de pertes, le régime d’exonération peut comporter un désavantage de trésorerie par rapport au régime d’imputation, dans la mesure où, pour l’année de distribution des dividendes, son application peut aboutir à une charge d’impôt supérieure.
104. Ils estiment toutefois, en substance, qu’il ne s’agit que d’un désavantage temporaire de trésorerie, qui ne se produit que dans la circonstance particulière dans laquelle la société mère réalise des pertes ou reporte des pertes supérieures aux dividendes perçus, ce qui ne permettrait pas de remettre en cause l’équivalence des deux régimes. Ce désavantage serait, par ailleurs et en substance, relativisé par le fait qu’un régime d’exonération ne comporte, à la différence d’un régime d’imputation,
aucune obligation de preuve de la charge d’impôt grevant les dividendes distribués et donc aucun frais de mise en œuvre pesant sur la société mère bénéficiaire.
105. Il ressort, cependant, des explications fournies à la Cour que la position d’une société mère résidente semble effectivement plus avantageuse lorsqu’elle perçoit des dividendes d’origine nationale que lorsqu’elle perçoit des dividendes d’origine étrangère, dans la mesure où, lorsqu’elle réalise des pertes ou opère un report de pertes, elle peut obtenir le remboursement de l’impôt grevant les dividendes versés par sa filiale résidente, à tout le moins lorsque les dividendes versés ne compensent
pas les pertes enregistrées.
106. Il ne saurait, par conséquent, être exclu que la différenciation ainsi établie par la réglementation allemande puisse être de nature à dissuader les sociétés résidentes à investir des capitaux dans des sociétés établies dans d’autres États membres ou des États tiers ( 40 ), et qu’il faille, en conséquence, la qualifier de restriction à la libre circulation des capitaux.
107. Cependant, ainsi qu’il ressort d’une jurisprudence itérative, une restriction à la libre circulation des capitaux n’est prohibée que pour autant qu’elle ne puisse être justifiée au titre de l’article 64, paragraphe 1, TFUE ou de l’article 65, paragraphe 1, TFUE ou par des exigences impérieuses d’intérêt général.
b) Sur les justifications
108. Ainsi qu’il ressort du résumé des observations présentées à la Cour, la juridiction de renvoi, soutenue par le Finanzamt Leverkusen, la République fédérale d’Allemagne ainsi que la Commission, estime que, à supposer que la réglementation allemande puisse être considérée comme restrictive, elle serait toutefois justifiée par la nécessité de garantir la cohérence du système fiscal allemand, de préserver la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres et de faire obstacle
à une double prise en compte des pertes.
109. Nous estimons pour notre part que, en l’état actuel du développement du droit de l’Union et dans les circonstances très particulières, et pour tout dire totalement inédites, de l’affaire au principal, il ne saurait être fait droit à la revendication de KII, quand bien même ce serait pour des motifs qui s’écartent quelque peu des justifications traditionnellement admises par la Cour.
110. S’il devait, en effet, être constaté que le système d’imposition des dividendes en Allemagne, tel qu’il résulte des conventions de double imposition et des dispositions du droit interne allemand, est incompatible avec les dispositions du traité relatives à la libre circulation des capitaux, et si ledit État membre devait, en conséquence, rembourser à une société résidente les impôts sur les dividendes acquittés par ses filiales dans les États membres et les États tiers dans lesquels elles sont
établies, tant la cohérence globale dudit système que la répartition du pouvoir d’imposition entre les États membres et entre les États membres et les États tiers seraient gravement compromises.
111. Il convient, à cet égard, de rappeler, tout d’abord, que l’Allemagne, où KII est considérée comme résidente, ainsi que les différents États membres et États tiers dans lesquelles sont établies ses filiales ont convenu en toute légitimité de la répartition de leur pouvoir d’imposition respectif en concluant des conventions tendant notamment à l’élimination de la double imposition économique des dividendes, qui correspondent aux prescriptions de la directive 90/435, comme la juridiction de renvoi
l’a relevé, ainsi qu’aux grands principes du droit fiscal international ( 41 ).
112. Ces conventions prévoient, d’une part, l’imposition des dividendes par l’État membre ou l’État tiers où ils trouvent leur source, c’est-à-dire l’État d’établissement des filiales distributrices, et, d’autre part et corrélativement, leur exonération dans l’État membre où ils sont distribués, c’est-à-dire l’État de résidence de la société mère bénéficiaire. Elles garantissent ainsi le droit des États membres comme des États tiers d’exercer leur compétence fiscale en relation avec les activités
réalisées sur leur territoire ( 42 ).
113. Il n’est du reste, nullement allégué, comme il a été relevé ci-dessus, que l’absence de toute imposition en chaîne des dividendes d’origine étrangère n’est pas garantie dans le cadre de l’application du régime d’exonération ( 43 ).
114. Il demeure, comme nous l’avons constaté, que le régime d’exonération des dividendes d’origine étrangère comporte un désavantage par rapport au régime d’imputation applicable aux dividendes d’origine nationale. Ce désavantage, qui peut être qualifié d’inévitable, doit toutefois être replacé dans le contexte très particulier dans lequel il prend naissance et qui distingue l’affaire au principal de toutes celles dont la Cour a eu à connaître jusqu’à présent, qu’il s’agisse des affaires concernant
le traitement fiscal des dividendes ou de celles concernant la compensation des pertes au sein des groupes de sociétés ( 44 ).
115. Tout d’abord, la dualité du régime d’imposition des dividendes en cause dans l’affaire au principal est inverse à celle dont la Cour a eu à connaître jusqu’à présent. Ce sont, en effet, les dividendes d’origine étrangère qui bénéficient d’un régime d’exonération et les dividendes d’origine nationale qui sont soumis à un régime d’imputation. Or, la circonstance que, dans notre cas de figure, les dividendes d’origine étrangère échappent à toute imposition en Allemagne change radicalement les
termes de la comparaison à effectuer aux fins de déterminer si les deux régimes sont équivalents.
116. Par ailleurs, il doit être conservé à l’esprit que le régime d’imputation en cause au principal comporte un mécanisme, classique, de compensation des pertes d’une société mère avec les bénéfices distribués par sa filiale qui s’inscrit dans un mécanisme, tout aussi classique, d’imputation de l’impôt sur les sociétés payé par la filiale sur l’impôt sur les sociétés à payer par la société mère tendant à éviter la double imposition économique des dividendes. L’imbrication des deux mécanismes fait
toutefois toute la spécificité, et toute la complexité, de l’affaire au principal.
117. Il importe, à cet égard, de souligner que ce ne sont pas les pertes d’une filiale non-résidente qui sont imputées sur la base d’imposition d’une société mère résidente et viennent donc réduire le bénéfice imposable de cette dernière ( 45 ). Ici, ce sont les pertes de la société mère résidente qui, prises en compte dans le cadre de son imposition et de la mise en œuvre d’un mécanisme d’imputation, permettent d’obtenir le remboursement de l’impôt sur les dividendes payé par sa filiale résidente
en amont.
118. C’est dans ce contexte que doit être évalué le désavantage affectant les dividendes d’origine étrangère dénoncé par KII, lequel correspond à l’avantage dont bénéficient les dividendes d’origine nationale.
119. Le remboursement à la société mère résidente du montant des impôts sur les dividendes payés par sa filiale résidente intervient lorsque les dividendes distribués par la filiale ne couvrent pas les pertes de la société mère. Le remboursement à la société mère est ainsi, comme la Commission le souligne, en liaison directe avec l’imposition de la filiale, il n’intervient qu’à raison de cette imposition. En l’absence de tout bénéfice de l’ensemble constitué par la société mère et sa filiale sur son
territoire, la République fédérale d’Allemagne renonce ainsi, en sa double qualité d’État membre de résidence de la société mère et de la filiale et d’État membre de source des bénéfices ( 46 ), à toute imposition des dividendes.
120. Dans le cadre du régime d’exonération, la situation est tout autre. Les dividendes distribués à une société mère résidente par les filiales non-résidentes ne sont pas imposés en Allemagne, mais dans les États dans lesquels ces dernières sont établies, par application des conventions de double imposition et dans le respect des grands principes du droit fiscal international. Il ne peut, dans ces conditions, exister aucun lien entre l’imposition de la société filiale en amont et le remboursement à
la société mère en aval.
121. Par conséquent, si l’Allemagne devait, en sa qualité d’État de résidence de la société mère, rembourser à cette dernière les impôts sur les dividendes perçus par les États membres ou les États tiers dans lesquels sont établies ses filiales, agissant en leur qualité d’État de source des bénéfices, cela romprait la symétrie devant exister entre le droit d’imposition des bénéfices et la faculté de déduction des pertes ( 47 ), et affecterait irrémédiablement tant la cohérence globale du système
d’imposition des dividendes que la répartition du pouvoir d’imposition résultant de la conclusion de conventions de double imposition par les différents États membres et États tiers en cause.
3. Conclusion
122. Il ressort des développements qui précèdent que la différence de traitement établie par la réglementation fiscale allemande entre dividendes d’origine étrangère, bénéficiant d’un régime d’exonération, et dividendes d’origine nationale, soumis à un régime d’imputation, est justifiée. Il n’y a, dans ces conditions, pas lieu de distinguer les dividendes provenant des filiales et ceux provenant de sous-filiales, objet de la troisième question. Il n’y a pas lieu non plus, a fortiori ( 48 ), de
distinguer les dividendes qui proviennent d’autres États membres et ceux qui proviennent d’États tiers, objet de la quatrième question.
123. Il n’est, dans ces conditions, pas nécessaire d’apporter aux troisième et quatrième questions préjudicielles une réponse spécifique, différente de celle apportée à la deuxième.
124. Par conséquent, je propose à la Cour de répondre aux deuxième, troisième et quatrième questions préjudicielles en disant pour droit que les dispositions du traité relatives à la libre circulation des capitaux doivent être interprétées en ce sens qu’elles ne s’opposent pas à la réglementation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui exclut l’imputation et le remboursement de l’impôt sur les sociétés payé par les filiales et sous-filiales d’une société résidente établies dans
d’autres États membres, des États parties à l’accord EEE ou des États tiers lorsque cette dernière réalise des pertes, alors que cette imputation est prévue pour les filiales résidentes et qu’un remboursement est possible en cas de pertes.
VII – Conclusions
125. Je propose, en conséquence, à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par le Finanzgericht Köln dans les termes suivants:
«1) Le droit de l’Union doit être interprété en ce sens que la compatibilité de la réglementation d’un État membre relative à l’imposition des dividendes, qui trouve à s’appliquer à toute participation supérieure à 10 %, peut être examinée au regard de la libre circulation des capitaux lorsque les participations en cause permettent d’exercer une influence certaine sur les décisions des sociétés et de déterminer les activités de celles-ci, pour autant que ladite réglementation n’ait pas pour
objet de régir les conditions d’accès au marché des sociétés dudit État membre dans les autres États membres ou dans les États tiers ou des sociétés des autres États membres et des États tiers dans ledit État membre.
2) Les dispositions du traité relatives à la libre circulation des capitaux doivent être interprétées en ce sens qu’elles ne s’opposent pas à la réglementation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui exclut l’imputation et le remboursement de l’impôt sur les sociétés payé par les filiales et sous-filiales d’une société résidente établies dans d’autres États membres, des États parties à l’accord sur l’Espace économique européen ou des États tiers lorsque cette dernière
réalise des pertes, alors que cette imputation est prévue pour les filiales résidentes et qu’un remboursement est possible en cas de pertes.»
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( 1 ) Langue originale: le français.
( 2 ) Réglementation dont la Cour a déjà eu l’occasion d’examiner certains aspects; voir arrêts du 6 mars 2007, Meilicke e.a. (C-292/04, Rec. p. I-1835), et du 30 juin 2011, Meilicke e.a. (C-262/09, Rec. p. I-5669).
( 3 ) Voir arrêt du 12 décembre 2006, Test Claimants in the FII Group Litigation (C-446/04, Rec. p. I-11753, ci-après l’«arrêt Test Claimants in the FII Group Litigation I»); ordonnance du 23 avril 2008, Test Claimants in the CFC and Dividend Group Litigation (C-201/05, Rec. p. I-2875); arrêts du 23 avril 2009, Commission/Grèce (C‑406/07), ainsi que du 13 novembre 2012, Test Claimants in the FII Group Litigation (C‑35/11, ci-après l’«arrêt Test Claimants in the FII Group Litigation II»).
( 4 ) Voir arrêt du 10 février 2011, Haribo Lakritzen Hans Riegel et Österreichische Salinen (C-436/08 et C-437/08, Rec. p. I-305).
( 5 ) Voir, notamment, arrêts du 16 juillet 1998, ICI (C-264/96, Rec. p. I-4695); du 8 mars 2001, Metallgesellschaft e.a. (C-397/98 et C-410/98, Rec. p. I-1727); du 13 décembre 2005, Marks & Spencer (C-446/03, Rec. p. I-10837); du 15 mai 2008, Lidl Belgium (C-414/06, Rec. p. I-3601); Haribo Lakritzen Hans Riegel et Österreichische Salinen, précité; du 6 septembre 2012, Philips Electronics UK (C‑18/11), et du 21 février 2013, A (C‑123/11).
( 6 ) Ci-après le «KStG».
( 7 ) Ci-après l’«EStG».
( 8 ) Ci-après «KII».
( 9 ) Précité (points 88 à 104).
( 10 ) Rappelons que la Cour a souligné, dans son avis 1/94, du 15 novembre 1994 (Rec. p. I‑5267, point 81), que l’objectif du chapitre du traité relatif à la liberté d’établissement est d’assurer la liberté d’établissement au profit des seuls ressortissants, personnes physiques ou morales, des États membres. Ledit chapitre ne comporte aucune disposition qui étende le champ d’application de ses dispositions aux situations externes à l’Union européenne. La liberté d’établissement ne peut, ainsi, être
invoquée ni dans un contexte dans lequel une personne morale d’un pays tiers détient une participation lui conférant une influence déterminante sur les décisions et les activités d’une société d’un État membre (voir, notamment, ordonnance du 10 mai 2007, Lasertec, C-492/04, Rec. p. I-3775, points 15 à 28), ni dans des situations concernant l’établissement d’une société d’un État membre dans un pays tiers (voir, notamment, ordonnance du 10 mai 2007, A et B, C-102/05, Rec. p. I-3871, points 19 à 30).
( 11 ) JO 1994, L 1, p. 3, ci-après l’«accord EEE».
( 12 ) Précité (points 88 à 104).
( 13 ) Il s’agit, en l’occurrence, de la quatrième question préjudicielle. Voir points 30 et 31 ainsi que 88 à 104.
( 14 ) Voir point 100.
( 15 ) Voir point 104 et point 4 du dispositif.
( 16 ) La Cour se contente parfois de constater que la réglementation nationale en cause ne vise que des «relations au sein d’un groupe de sociétés», mais l’idée demeure la même, à savoir que ladite réglementation relève de la liberté d’établissement dans la mesure où, de par son objet, elle affecte de manière prépondérante cette dernière. Sur cette ligne de jurisprudence, dérivée du point 32 de l’arrêt du 12 septembre 2006, Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas (C-196/04, Rec. p. I-7995),
et du point 118 de l’arrêt Test Claimants in the FII Group Litigation I, précité, voir arrêts du 13 mars 2007, Test Claimants in the Thin Cap Group Litigation (C-524/04, Rec. p. I-2107, point 33); du 18 juillet 2007, Oy AA (C-231/05, Rec. p. I-6373, point 23), et du 26 juin 2008, Burda (C-284/06, Rec. p. I-4571, point 68).
( 17 ) C’est notamment le cas dans le cadre des recours en constatation de manquement, pour des raisons inhérentes à cette voie de recours; voir, à cet égard, arrêts du 17 juillet 2008, Commission/Espagne (C‑207/07, point 37); Commission/Grèce, précité (point 22); du 10 novembre 2011, Commission/Portugal (C-212/09, Rec. p. I-10889, points 41 à 45), et du 25 octobre 2012, Commission/Belgique (C‑387/11, point 35). Ce peut également être le cas dans le cadre d’affaires préjudicielles, lorsque les
informations dont dispose la Cour ne lui permettent pas de déterminer l’importance de la participation en cause dans le litige au principal; voir, à cet égard, arrêts Test Claimants in the FII Group Litigation I, précité (point 38); du 12 décembre 2006, Test Claimants in Class IV of the ACT Group Litigation (C-374/04, Rec. p. I-11673, point 40), et du 15 septembre 2011, Accor (C-310/09, Rec. p. I-8115, points 30 à 38).
( 18 ) Point 96.
( 19 ) Arrêt précité (points 26 à 35, 103 à 105); ordonnances Lasertec, précitée (point 27); A et B, précitée (point 29), et du 6 novembre 2007, Stahlwerk Ergste Westig (C‑415/06, points 18 et 19), ainsi qu’arrêt du 19 juillet 2012, Scheunemann (C‑31/11, points 33 et 34).
( 20 ) Point 81.
( 21 ) Voir, notamment, ordonnance Lasertec, précitée (points 15 à 28).
( 22 ) Voir, notamment, ordonnance A et B, précitée (points 19 à 30).
( 23 ) Voir notamment, a contrario, arrêts du 27 septembre 1988, Daily Mail and General Trust (81/87, Rec. p. 5483, point 16); du 9 mars 1999, Centros (C-212/97, Rec. p. I-1459, point 17); du 5 novembre 2002, Überseering (C-208/00, Rec. p. I-9919, points 56 et 57); du 16 décembre 2008, Cartesio (C-210/06, Rec. p. I-9641, point 110), et du 20 juin 2013, Impacto Azul (C‑186/12, point 32).
( 24 ) Arrêt précité (point 98). Voir, également, arrêt du 28 février 2013, Beker (C‑168/11, point 30).
( 25 ) Arrêt du 3 octobre 2006 (C-452/04, Rec. p. I-9521).
( 26 ) Points 46 et 48.
( 27 ) JO L 225, p. 6.
( 28 ) Arrêts du 14 décembre 2000, AMID (C-141/99, Rec. p. I-11619, point 27), et du 18 juillet 2007, Lakebrink et Peters-Lakebrink (C-182/06, Rec. p. I-6705).
( 29 ) Arrêt précité (points 45 et suiv.).
( 30 ) Voir, notamment, arrêts du 11 août 1995, Wielockx (C-80/94, Rec. p. I-2493, point 16); du 6 juin 2000, Verkooijen (C-35/98, Rec. p. I-4071, point 32), et du 15 juillet 2004, Lenz (C-315/02, Rec. p. I-7063, point 19).
( 31 ) Voir, arrêts Test Claimants in Class IV of the ACT Group Litigation, précité (point 50); Test Claimants in the FII Group Litigation I, précité (point 47); du 20 mai 2008, Orange European Smallcap Fund (C-194/06, Rec. p. I-3747, point 30), et du 16 juillet 2009, Damseaux (C-128/08, Rec. p. I-6823, point 25).
( 32 ) Arrêts du 12 mai 1998, Gilly (C-336/96, Rec. p. I-2793, points 24 et 30); du 21 septembre 1999, Saint-Gobain ZN (C-307/97, Rec. p. I-6161, point 57), ainsi que Damseaux, précité (point 30).
( 33 ) Voir, notamment, arrêts Gilly, précité (points 24 et 30); Saint-Gobain ZN, précité (point 57), et du 14 décembre 2006, Denkavit Internationaal et Denkavit France (C-170/05, Rec. p. I-11949, points 43 et 44).
( 34 ) Rappelons, pour mémoire, que la double imposition juridique désigne la situation dans laquelle un même contribuable est soumis à une double imposition pour un même revenu, alors que la double imposition économique désigne la situation dans laquelle des contribuables différents sont respectivement soumis à une imposition pour le même revenu. Voir, à cet égard, glossaire fiscal de l’International Bureau of Fiscal Documentation (IBFD); voir, également, communication de la Commission du
19 décembre 2003, Imposition des dividendes au niveau des personnes physiques dans le marché intérieur [COM(2003) 810 final]; points 2 et suiv. des conclusions de l’avocat général Geelhoed, du 6 avril 2006, dans l’affaire Test Claimants in the FII Group Litigation I et communication de la Commission du 11 novembre 2011, La double imposition au sein du marché unique [COM(2011) 712 final].
( 35 ) Voir arrêts précités Test Claimants in the FII Group Litigation I (point 45) et Accor (point 43).
( 36 ) Voir arrêts précités Test Claimants in the FII Group Litigation I (point 72) et Haribo Lakritzen Hans Riegel et Österreichische Salinen (point 156).
( 37 ) Voir, notamment, arrêt Test Claimants in the FII Group Litigation I, précité (points 45 et 46 ainsi que jurisprudence citée). Voir, également, arrêt Accor, précité (point 44).
( 38 ) Voir arrêts précités Test Claimants in the FII Group Litigation I (point 63) et Haribo Lakritzen Hans Riegel et Österreichische Salinen (point 158).
( 39 ) Il en résulte d’ailleurs, logiquement, que ni la juridiction de renvoi ni les différentes parties ayant présenté des observations écrites et/ou orales à la Cour, à l’exception de KII, n’évoquent la double imposition juridique qui frapperait les dividendes d’origine étrangère invoquée par KII.
( 40 ) Voir, notamment, arrêts du 25 janvier 2007, Festersen (C-370/05, Rec. p. I-1129, point 24), et Haribo Lakritzen Hans Riegel et Österreichische Salinen, précité (points 50 et 80).
( 41 ) Voir, à cet égard, notamment, OCDE, Lutter contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, 2013, p. 37.
( 42 ) Voir, en ce sens, arrêts Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas, précité (point 56); Test Claimants in the Thin Cap Group Litigation, précité (point 75); du 17 septembre 2009, Glaxo Wellcome (C-182/08, Rec. p. I-8591, point 82); du 20 octobre 2011, Commission/Allemagne (C-284/09, Rec. p. I-9879, point 77), et du 29 novembre 2011, National Grid Indus (C-371/10, Rec. p. I-12273, point 46).
( 43 ) C’est là une différence essentielle avec la situation dont la Cour a eu à connaître dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Haribo Lakritzen Hans Riegel et Österreichische Salinen (points 158 et 163).
( 44 ) Voir, à cet égard, communication de la Commission au Conseil, au Parlement européen et au Comité économique et social, du 19 décembre 2006, Le traitement fiscal des pertes dans les situations transfrontalières [COM(2006) 824 final].
( 45 ) Voir, notamment, arrêts du 13 décembre 2005, Marks & Spencer (C-446/03, Rec. p. I-10837); Lidl Belgium, précité; A, précité, et Haribo Lakritzen Hans Riegel et Österreichische Salinen, précité.
( 46 ) Sur cette distinction, voir arrêt Test Claimants in Class IV of the ACT Group Litigation, précité (points 56 à 66).
( 47 ) Voir arrêts précités Lidl Belgium (point 33); National Grid Indus (point 58) et Philips Electronics UK (point 24).
( 48 ) Sur la différence entre les volets intracommunautaire et extracommunautaire de la libre circulation des capitaux, voir arrêts Test Claimants in the FII Group Litigation I, précité (point 170); A, précité (points 60 et suiv.); Orange European Smallcap Fund, précité (points 89 et 90); ordonnances Test Claimants in the CFC and Dividend Group Litigation, précitée (point 92), et du 4 juin 2009, KBC Bank et Beleggen, Risicokapitaal, Beheer (C-439/07 et C-499/07, Rec. p. I-4409, points 71 et 72).