CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. Yves Bot
présentées le 14 juillet 2011 (1)
Affaire C‑474/10
Department of the Environment for Northern Ireland
contre
Seaport (NI) Ltd,
Magherafelt district Council e.a.
[demande de décision préjudicielle formée par la Court of Appeal in Northern Ireland (Royaume-Uni)]
«Directive 2001/42/CE – Évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement – Procédure de consultation – Désignation des autorités en charge de responsabilités environnementales – Délais fixés aux fins de la procédure de consultation»
1. La directive 2001/42/CE du Parlement européen et du Conseil, du 27 juin 2001, relative à l’évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement (2) requiert que certains plans et programmes publics fassent l’objet d’une évaluation environnementale avant leur adoption. Cette évaluation inclut de la part de l’autorité responsable de l’élaboration du plan la consultation du public et d’entités en charge de responsabilités environnementales.
2. La demande de décision préjudicielle a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Seaport (NI) Ltd ainsi que Magherafelt district Council e.a. au Department of the Environment for Northern Ireland (ministère de l’Environnement) au sujet de la procédure de consultation ayant été menée dans le cadre de l’élaboration de projets de plans de développement régionaux en Irlande du Nord.
3. Cette demande invite la Cour à préciser deux des modalités liées à la mise en œuvre de la procédure de consultation. La première, visée à l’article 6, paragraphe 3, de la directive, concerne la désignation des autorités consultatives. En effet, dans la présente affaire, le Department of the Environment for Northern Ireland est à la fois l’autorité responsable du plan en cause et l’autorité désignée par la législation nationale aux fins de la procédure de consultation. Par conséquent, la
question est de savoir si, dans une situation telle que celle en cause au principal, l’État membre est tenu de désigner une nouvelle autorité consultative, distincte et indépendante de la première.
4. La seconde modalité, visée à l’article 6, paragraphe 2, de la directive, concerne le délai fixé aux fins de la procédure de consultation. La question est de savoir si ce délai peut être fixé, au cas par cas, par l’autorité responsable du plan ou du programme ou s’il est nécessaire qu’il soit précisé dans la législation de transposition de la directive.
5. Pour les raisons que nous allons à présent développer, nous estimons qu’une mise en œuvre crédible et utile de la directive exige que, dans une situation telle que celle en cause au principal, l’État membre désigne une nouvelle autorité consultative, distincte et indépendante de l’autorité responsable de l’élaboration du plan. En revanche, rien ne s’oppose, à notre avis, à ce qu’une législation nationale prévoie que le délai fixé aux fins de la procédure de consultation est précisé, au cas
par cas, par l’autorité responsable du plan, à condition, néanmoins, que ce délai soit suffisant pour donner aux autorités et au public consultés une possibilité réelle d’exprimer leur avis sur le projet de plan.
I – Le cadre juridique
A – La directive
6. L’objectif essentiel de la directive, ainsi qu’il ressort de son article 1^er, consiste à soumettre les plans et les programmes susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement, lors de leur élaboration et avant leur adoption, à une évaluation environnementale. Le législateur de l’Union entend ainsi assurer un niveau élevé de protection de l’environnement, conformément aux articles 174 CE et 37 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
7. La directive définit un cadre minimal d’évaluation environnementale, laissant aux États membres le soin de définir les modalités de la procédure eu égard au principe de subsidiarité (3).
8. Conformément à l’article 2, sous b), de la directive, une évaluation environnementale inclut l’établissement d’un rapport sur les incidences environnementales (indiquant les incidences notables probables sur l’environnement et les solutions de substitution raisonnables) ainsi que la réalisation de consultations auprès des autorités chargées des questions d’environnement, du public et des autres États membres en cas d’incidences transfrontières notables. Le rapport sur les incidences
environnementales et les résultats des consultations sont pris en compte avant l’adoption du plan ou du programme. Une fois que ce plan ou ce programme est adopté, les autorités chargées des questions d’environnement, le public ainsi que tout État membre consulté sont informés et les renseignements pertinents sont mis à leur disposition.
9. La procédure de consultation est consacrée à l’article 6 de la directive. Cette disposition est rédigée de la façon suivante:
«1. Le projet de plan ou de programme et le rapport sur les incidences environnementales élaboré en vertu de l’article 5 sont mis à la disposition des autorités visées au paragraphe 3 du présent article ainsi que du public.
2. Une possibilité réelle est donnée, à un stade précoce, aux autorités visées au paragraphe 3 et au public visé au paragraphe 4 d’exprimer, dans des délais suffisants, leur avis sur le projet de plan ou de programme et le rapport sur les incidences environnementales avant que le plan ou le programme ne soit adopté ou soumis à la procédure législative.
3. Les États membres désignent les autorités qu’il faut consulter et qui, étant donné leur responsabilité spécifique en matière d’environnement, sont susceptibles d’être concernées par les incidences environnementales de la mise en œuvre de plans et de programmes.
4. Les États membres définissent le public aux fins du paragraphe 2, et notamment le public affecté ou susceptible d’être affecté par la prise de décision, ou intéressé par celle-ci […].
5. Les modalités précises relatives à l’information et à la consultation des autorités et du public sont fixées par les États membres.»
B – La transposition de la directive dans l’ordre juridique national
10. La directive a été transposée par le règlement de 2004 relatif à l’évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement [Environmental Assessment of Plans and Programmes Regulations (Northern Ireland) 2004, ci-après le «règlement de 2004»].
11. L’article 4 du règlement de 2004 transpose l’article 6, paragraphe 3, de la directive relatif à la désignation des autorités consultatives. Cet article 4 est rédigé comme suit:
«(1) Sous réserve du paragraphe 2, le Department of the Environment for Northern Ireland est l’organe consultatif […].
(2) Lorsque le Department of the Environment for Northern Ireland est à un moment donné l’autorité responsable d’un plan ou d’un programme, il n’exerce pas en même temps les fonctions d’organe consultatif prévues par [le] règlement [de 2004] en ce qui concerne ce plan ou ce programme […]»
12. L’article 12 du règlement de 2004 transpose l’article 6, paragraphe 2, de la directive relatif aux délais fixés aux fins de la procédure de consultation. Cet article 12 dispose:
«(1) Tout projet de plan ou de programme au titre duquel un rapport sur les incidences environnementales a été élaboré […] et le rapport sur les incidences environnementales qui l’accompagne […] sont mis à la disposition de l’organe consultatif et du public conformément aux dispositions suivantes du présent article.
(2) Dans les meilleurs délais après leur élaboration, l’autorité responsable adresse une copie des documents pertinents à l’organe consultatif et l’invite à formuler son avis à leur égard dans un délai défini.
(3) L’autorité responsable doit également:
(a) dans un délai de quatorze jours après l’élaboration des documents pertinents, publier conformément au paragraphe 5, ou veiller à la publication d’une note:
(i) indiquant le titre du plan, du programme ou de la modification;
(ii) indiquant l’adresse (qui peut inclure un site Internet) à laquelle une copie des documents pertinents peut être consultée ou obtenue;
(iii) proposant que des avis soient formulés sur les documents pertinents;
(iv) indiquant l’adresse à laquelle les avis peuvent être communiqués et le délai imparti pour ce faire;
(b) conserver une copie des documents pertinents accessible à son siège à des fins de consultation par le public aux heures d’ouverture normales et gratuitement, et
(c) publier une copie des documents pertinents sur le site Internet de l’autorité.
(4) Il convient que la longueur des délais visés aux paragraphes 2 et 3, sous (a), (iv), soit de nature à donner aux personnes pour lesquelles l’invitation est prolongée une possibilité réelle d’exprimer, à un stade précoce, leur avis sur les documents pertinents.
[…]»
II – Les faits et la procédure au principal
13. À l’époque des faits du litige au principal, le Department of the Environment for Northern Ireland se compose de quatre agences dont le service de la planification et le service de l’environnement et du patrimoine (4).
14. Au cours de l’élaboration des projets «Northern Area Plan 2016» et «Magherafelt Area Plan 2015», le service de la planification a travaillé très étroitement avec le service de l’environnement et du patrimoine. Ce dernier a fourni des informations ainsi qu’un avis sur le contenu des projets en cause.
15. Aux fins de la procédure de consultation, le Department of the Environment for Northern Ireland a adressé le projet «Northern Area Plan 2016» et le rapport sur les incidences environnementales au public ainsi qu’à son service de l’environnement et du patrimoine et à d’autres autorités publiques. Le délai pour soumettre des observations a été fixé à huit semaines. Le Department of the Environment for Northern Ireland a reçu 5 250 observations concernant le projet de plan de la part du public
ainsi que 4 observations relatives au rapport sur les incidences environnementales. Parmi celles-ci figuraient 49 observations de la part de Seaport (NI) Ltd, dont l’une était liée au contenu de ce rapport et à la conduite de l’évaluation environnementale.
16. En ce qui concerne le projet «Magherafelt Area Plan 2015» et le rapport sur les incidences environnementales, ils ont été communiqués au service de l’environnement et du patrimoine ainsi qu’aux autres organismes intéressés. Le Department of the Environment for Northern Ireland les a invités à formuler leurs observations dans un délai de six semaines. Il a reçu environ 5 300 observations concernant le projet de plan et 5 observations relatives au rapport sur les incidences environnementales.
17. Au cours des mois de novembre et de décembre 2005, Seaport (NI) Ltd ainsi que Magherafelt district Council e.a. ont respectivement introduit un recours devant la High Court of Justice in Northern Ireland (Royaume-Uni), estimant que l’évaluation environnementale relative aux projets de plans en cause n’avait pas été réalisée conformément aux prescriptions de la directive.
18. Dans chacune de ces deux procédures, la High Court of Justice in Northern Ireland a jugé que l’article 4 du règlement de 2004 n’a pas correctement transposé l’exigence, posée à l’article 6, paragraphe 3, de la directive, de désigner une nouvelle autorité consultative, lorsque le Department of the Environment for Northern Ireland est également l’autorité responsable du plan. De la même façon, elle a estimé que l’article 12 du règlement de 2004 n’a pas convenablement transposé les
dispositions de l’article 6, paragraphe 2, de la directive, en ne fixant pas un délai spécifique dans lequel les observations doivent être déposées.
19. Le Department of the Environment for Northern Ireland a introduit un recours devant la Court of Appeal in Northern Ireland (Royaume-Uni).
III – Les questions préjudicielles
20. Estimant qu’une interprétation du droit de l’Union était nécessaire afin de pouvoir statuer sur ce litige, la Court of Appeal in Northern Ireland a décidé de poser à la Cour les trois questions préjudicielles suivantes:
«1) Afin de bien interpréter la directive […], lorsqu’une autorité nationale qui élabore un plan relevant de l’article 3 est elle-même l’autorité chargée d’une responsabilité environnementale générale dans l’État membre, est-il possible à l’État membre de refuser de désigner, en vertu de l’article 6, paragraphe 3, une autorité devant être consultée aux fins des articles 5 et 6?
2) De manière à bien interpréter [la] directive, lorsque l’autorité qui élabore un plan relevant de l’article 3 est également chargée d’une responsabilité environnementale générale dans l’État membre, cet État est-il tenu de garantir qu’il existe un organe consultatif devant être désigné qui est distinct de cette autorité?
3) Dans le souci d’une bonne interprétation de la directive, l’exigence prévue à l’article 6, paragraphe 2, peut-elle, de manière à ce que les autorités visées à l’article 6, paragraphe 3, et le public visé à l’article 6, paragraphe 4, puissent disposer d’une possibilité réelle d’exprimer à un stade précoce leur avis ‘dans des délais suffisants’, être transposée par des règles prévoyant que l’autorité chargée d’élaborer le plan fixe le délai dans chaque cas où des avis sont formulés, ou les
règles transposant la directive doivent-elles définir elles-mêmes un délai, ou des délais différents dans des circonstances différentes, au cours desquels ces avis sont exprimés?»
IV – Notre analyse
A – Sur les première et deuxième questions
21. Par ses deux premières questions, la juridiction de renvoi demande à la Cour si l’article 6, paragraphe 3, de la directive doit être interprété en ce sens que, aux fins de la procédure de consultation, un État membre est tenu de désigner une nouvelle autorité en charge des questions environnementales, lorsque celle visée par la législation nationale à cette fin n’est autre que l’autorité responsable de l’élaboration du plan ou du programme en cause. Le cas échéant, la juridiction de renvoi
demande à la Cour si cette nouvelle autorité doit être distincte de l’autorité responsable de l’élaboration du plan ou du programme.
22. Les gouvernements du Royaume-Uni et danois ainsi que la Commission européenne proposent de répondre par la négative aux deux premières questions.
23. Les gouvernements du Royaume-Uni et danois estiment, en substance, que la directive réalise une harmonisation minimale des procédures d’évaluation environnementale. Aussi, les États membres ne seraient pas tenus de créer une nouvelle entité, distincte et indépendante, de celle visée par la législation nationale. En l’occurrence, la collaboration des services de l’environnement et de la planification du Department of the Environment for Northern Ireland aurait permis d’atteindre les
résultats visés par la directive tant en ce qui concerne la transparence du processus décisionnel que l’exhaustivité et la fiabilité des données environnementales. En raison des responsabilités qui lui incombent, le Department of the Environment for Northern Ireland veillerait à ce que l’incidence environnementale du plan soit dûment prise en considération et que les intérêts privés ne soient pas pris en compte au détriment de l’intérêt public.
24. La Commission signale les disparités existant dans l’organisation administrative des États membres. Certains États seraient en mesure de désigner plusieurs autorités aux fins de la procédure de consultation. En revanche, d’autres, comme le Grand-Duché de Luxembourg ou la République de Malte, rencontreraient des difficultés à désigner une nouvelle autorité répondant aux exigences posées à l’article 6, paragraphe 3, de la directive, et ce compte tenu de leur dimension. La Commission relève,
en outre, que rien dans le libellé de la directive ne suggère que, dans un cas comme celui en cause au principal, l’État membre soit tenu de désigner une nouvelle autorité. Si tel était le cas, la Commission note qu’une entité aussi artificielle ne serait pas en mesure de fournir des informations utiles.
25. Nous ne partageons pas les observations émises dans le cadre de cette procédure. Pour les raisons que nous allons à présent développer, nous sommes d’avis qu’un État membre, placé dans une situation telle que celle en cause au principal, ne peut pas s’exonérer des obligations qui lui incombent au titre de l’article 6, paragraphe 3, de la directive au motif que l’autorité responsable de l’élaboration du plan est également l’autorité désignée par la législation nationale aux fins de la
procédure de consultation. Dans une telle situation, nous estimons qu’une mise en œuvre crédible et utile de la directive exige que cet État membre désigne une nouvelle autorité consultative, distincte et indépendante de la première.
26. Cette appréciation se fonde sur la nature et la portée de la procédure de consultation établie par le législateur de l’Union ainsi que sur les objectifs que celui-ci poursuit.
27. La procédure de consultation, visée à l’article 6 de la directive, tend à garantir le droit de tout un chacun de vivre dans un environnement propre à assurer sa santé et son bien-être, conformément aux articles 174 CE et 37 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
28. Elle consacre ainsi le droit de tous à participer aux procédures décisionnelles lorsque ces dernières ont un impact sur l’environnement. À cet égard, le législateur de l’Union s’est fondé sur les obligations incombant à l’Union dans le cadre de la convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, dite «convention d’Aarhus» (5). La convention d’Aarhus, nous le rappelons, a pour objectif de garantir
le droit du public à participer aux procédures décisionnelles en matière d’environnement et, en particulier, en ce qui concerne les plans et les programmes relatifs à l’environnement (6). Néanmoins, la consultation n’est pas uniquement un droit. Elle est également un devoir, celui de protéger et d’améliorer la qualité de l’environnement en exprimant des préoccupations et en aidant les autorités responsables de l’élaboration de plans à dûment tenir compte de celles-ci et en adoptant les meilleures
décisions.
29. L’ensemble des dispositions de la directive témoigne de la volonté du législateur de l’Union de respecter ces droits. Celui-ci établit un cadre procédural permettant d’assurer, à chacune des étapes de l’élaboration et de l’adoption du plan, une réelle prise en compte des préoccupations environnementales des autorités et des personnes concernées par les incidences de ces projets. L’objectif est, notamment, d’assurer l’exhaustivité et la fiabilité de l’information fournie en vue de
l’évaluation environnementale (7).
30. La consultation des autorités s’entend dès les premières étapes de l’élaboration du plan, et ce jusqu’à l’adoption de ce dernier. En effet, elles sont, tout d’abord, entendues quant à la nécessité de procéder à une évaluation environnementale pour le plan en cause (article 3, paragraphe 6, de la directive). Les autorités doivent, ensuite, se prononcer quant à l’ampleur et au degré de précision des informations que le rapport sur les incidences environnementales doit contenir (article 5,
paragraphe 4, de la directive). Enfin, elles doivent donner leur avis sur ce rapport ainsi que sur le projet de plan ou de programme (article 6, paragraphe 2, de la directive).
31. Le propre même de la procédure de consultation est donc d’obtenir un avis éclairé de la part d’une autorité disposant d’une compétence en matière environnementale et qui soit surtout directement concernée par les incidences du plan sur l’environnement. Cette procédure doit permettre d’obtenir une opinion, à chacune des étapes, non seulement quant à la nécessité d’une évaluation environnementale, mais également quant au contenu même du rapport sur les incidences environnementales et du
projet de plan. L’autorité désignée aux fins de la consultation doit donc être en mesure de fournir des informations actuelles et utiles. Elle doit également être à même de critiquer les évaluations faites et les choix opérés par l’autorité responsable de l’élaboration du plan, en suggérant, sur la base de ses connaissances et de ses compétences, des modifications et des solutions de substitution.
32. Cette autorité ne peut donc être qu’une entité distincte et indépendante de l’autorité de planification, seul gage de crédibilité et d’efficacité de la procédure de consultation. Comme le relève la Commission dans ses observations, un «organe ne peut manifestement pas se consulter lui-même». De la même façon qu’un individu ne peut être juge et partie à une procédure, une autorité publique ne peut être consultée sur les incidences d’un plan dont elle est elle-même à l’origine.
33. Admettre le contraire prive, à notre sens, de tout effet utile la procédure de consultation et entrave la poursuite des objectifs visés par le législateur de l’Union.
34. En effet, le Department of the Environment for Northern Ireland ne peut pas, de la même façon qu’il élabore son plan, émettre des critiques constructives à l’égard de son projet et proposer des solutions de substitution autres que les choix qu’il a déjà opérés. En outre, s’il est effectivement l’une des autorités les mieux à même de défendre les intérêts environnementaux, il n’en reste pas moins qu’il doit pouvoir prendre en considération les avis et les préoccupations que peuvent, par
exemple, exprimer des instituts plus spécialisés ou des autorités locales concernées par les incidences du plan en raison de son champ d’application géographique. À cet égard, il est intéressant de relever que les compétences du Department of the Environment for Northern Ireland n’ont pas empêché le public concerné de déposer plus de 5 250 observations sur le projet «Northern Area Plan 2016» et plus de 5 300 observations sur le projet «Magherafelt Area Plan 2015». Le Department of the Environment
for Northern Ireland ne peut donc pas s’exonérer de l’obligation de consulter une autre autorité en charge de questions environnementales, sauf à amputer la directive d’un élément substantiel de celle-ci.
35. Afin d’assurer une mise en œuvre crédible et utile de la directive, il nous semble donc indispensable que, dans une situation telle que celle en cause au principal, l’État membre désigne, conformément à l’article 6, paragraphe 3, de la directive, une nouvelle autorité aux fins de la procédure de consultation, distincte et indépendante de l’autorité responsable de l’élaboration du plan.
36. À notre sens, une telle obligation n’impose pas une charge insurmontable aux États membres qui, en raison de leur taille, ne disposent pas d’un large réseau d’autorités publiques en charge de responsabilités environnementales.
37. En effet, les termes de l’article 6, paragraphe 3, de la directive sont larges. Ils laissent aux États membres, conformément à l’article 6, paragraphe 5, de la directive, une marge d’appréciation importante dans l’organisation de la procédure de consultation environnementale (8).
38. Il ressort ainsi du point 7.11 des lignes directrices de la Commission (9) que les États membres peuvent choisir de désigner des instances gouvernementales ou des autorités publiques qui agissent au niveau national, régional ou local. Il peut s’agir d’autorités concernées par les incidences de la mise en œuvre du plan sur l’environnement, telles que les inspections de l’environnement, les instituts de recherches qui effectuent des travaux d’ordre public ou bien encore les services du
gouvernement. Il peut également s’agir, conformément au point 7.15 des lignes directrices, d’autorités ayant des responsabilités en matière d’environnement sur un plan plus général, telles que les «autorités locales de proximité».
39. Les États membres sont également libres de déterminer le mode de désignation des autorités consultatives. Selon les lignes directrices, ces autorités peuvent être désignées dans le cadre de la législation de transposition, ce qui est le cas dans la présente affaire. Les États membres peuvent également préférer une approche au cas par cas, permettant de prendre en considération le contenu du plan ou du programme (10). Dans cette hypothèse, l’État membre peut effectivement tenir compte de
l’identité de l’autorité responsable du plan pour désigner, aux fins de l’évaluation environnementale en cause, une nouvelle autorité consultative.
40. Tant le libellé de l’article 6, paragraphe 3, de la directive que l’interprétation que la Commission en a donnée permettent de considérer que les États membres disposent d’une marge de manœuvre suffisante pour adopter une procédure de nature à assurer une mise en œuvre utile et crédible de la directive. Dans une situation telle que celle en cause au principal, nous estimons que le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord peut atteindre cet objectif en désignant, par exemple, aux
fins de la procédure de consultation en cause, une autorité locale susceptible d’être concernée par les incidences environnementales du plan (11).
41. Au vu de l’ensemble de ces éléments, nous sommes par conséquent d’avis que l’article 6, paragraphe 3, de la directive doit être interprété en ce sens que, lorsque l’autorité responsable du plan est également l’autorité désignée par la législation nationale aux fins de la procédure de consultation, l’État membre est tenu de désigner une nouvelle autorité consultative, qui doit être distincte et indépendante de la première.
B – Sur la troisième question
42. Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande à la Cour si l’article 6, paragraphe 2, de la directive s’oppose à ce que le délai fixé aux fins de la procédure de consultation soit précisé, au cas par cas, par l’autorité responsable de l’élaboration du plan.
43. Dans l’affaire au principal, la High Court of Justice in Northern Ireland a, en effet, estimé que, conformément au principe de sécurité juridique, les États membres devraient être tenus de préciser ce délai dans le cadre de la législation de transposition et ne pourraient pas déléguer à l’autorité responsable du plan la responsabilité de fixer celui-ci, au cas par cas.
44. Le gouvernement du Royaume-Uni soutient que les délais accordés aux fins de la procédure de consultation ne doivent pas être nécessairement définis dans le cadre de la législation de transposition. La Commission estime, quant à elle, que rien dans le texte de la directive ni aucun autre principe de droit n’exigent des États membres qu’ils fixent dans le cadre de leur loi de transposition un délai précis aux fins de la procédure de consultation. Il suffirait que ce délai soit déterminé au
moment de la consultation.
45. À l’instar du gouvernement du Royaume-Uni et de la Commission, nous sommes d’avis que l’article 6, paragraphe 2, de la directive ne s’oppose pas à une législation nationale telle que celle en cause au principal, qui prévoit que le délai fixé aux fins de la procédure de consultation est précisé, au cas par cas, par l’autorité responsable du plan ou du programme. Nous fondons notre appréciation sur les raisons suivantes.
46. D’une part, nous savons que la directive ne procède pas à une harmonisation exhaustive des procédures d’évaluation environnementale et, en particulier, de la procédure de consultation. Ainsi que cela ressort du huitième considérant et de l’article 6, paragraphe 5, de la directive, le législateur de l’Union a entendu fixer un cadre minimal, en laissant aux États membres le soin de préciser les modalités précises relatives à la consultation des autorités et du public.
47. Ainsi, en ce qui concerne le délai fixé aux fins de la procédure de consultation, le législateur de l’Union précise uniquement, à l’article 6, paragraphe 2, de la directive, que ce délai doit être «suffisant» pour donner aux autorités et au public consultés une «possibilité réelle» d’exprimer leur avis (12). La directive laisse donc à l’appréciation des États membres la manière dans laquelle il convient de transposer cette disposition dans l’ordre juridique national (13). Rien ne s’oppose,
par conséquent, à ce qu’un État membre décide de conférer à l’autorité responsable du plan en cause le soin de fixer le délai dans lequel les avis doivent être rendus, dès lors que ce délai respecte les conditions visées à l’article 6, paragraphe 2, de la directive (14).
48. Cette solution présente l’avantage d’éviter une rigidité excessive de la procédure en permettant à l’autorité responsable du plan de fixer un délai susceptible de tenir compte de la nature du plan, de son envergure et de sa complexité. À cet égard, il convient de rappeler que le champ d’application de la directive est extrêmement large puisqu’il couvre, aux termes de son article 3, des secteurs d’activités extrêmement variés comme les secteurs de l’agriculture, de l’énergie, de l’industrie,
des télécommunications ou bien encore du tourisme. Au-delà de la diversité des projets élaborés, chaque plan présente, à notre avis, des caractéristiques spécifiques et mérite, par conséquent, un examen particulier dans un délai qui doit être approprié. Or, il nous semble que l’autorité responsable du plan est, à cet égard, la mieux à même de déterminer ce délai.
49. En outre, ladite solution ne nous semble pas contraire au principe de sécurité juridique dès lors que l’autorité responsable du plan indique le délai de consultation dès la publication du projet de plan et du rapport sur les incidences environnementales, et ce conformément aux termes de l’article 6, paragraphe 2, de la directive.
50. Dans la présente affaire, nous constatons que le Department of the Environment for Northern Ireland a, conformément à l’article 12 du règlement de 2004, fixé un délai de huit semaines pour le projet «Northern Area Plan 2016» et de six semaines pour le projet «Magherafelt Area Plan 2015». Ces délais semblent suffisants puisqu’ils ont permis aux autorités et au public consultés de déposer plus de 5 250 observations en ce qui concerne le premier projet, et plus de 5 300 observations en ce qui
concerne le second. Ainsi que le souligne le gouvernement du Royaume-Uni dans ses observations, en vertu du droit national, si, dans un cas donné, les organes consultatifs ou le public considèrent que le délai fixé est trop bref, une prolongation peut être demandée et, si elle est refusée, une procédure de contrôle juridictionnel peut être engagée au motif que le délai de consultation ouvert était insuffisant.
51. Au vu de l’ensemble de ces éléments, nous sommes d’avis que l’article 6, paragraphe 2, de la directive ne s’oppose pas à une législation nationale qui prévoit que le délai fixé aux fins de la procédure de consultation est précisé, au cas par cas, par l’autorité responsable du plan ou du programme, à condition que ce délai soit suffisant pour donner aux autorités et au public consultés une possibilité réelle d’exprimer leur avis sur le projet de plan ou de programme ainsi que sur le rapport
sur les incidences environnementales.
V – Conclusion
52. Au vu des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre de la manière suivante aux questions préjudicielles posées par la Court of Appeal in Northern Ireland:
«1) L’article 6, paragraphe 3, de la directive 2001/42/CE du Parlement européen et du Conseil, du 27 juin 2001, relative à l’évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement, doit être interprété en ce sens que, lorsque l’autorité responsable du plan est également l’autorité désignée par la législation nationale aux fins de la procédure de consultation, l’État membre est tenu de désigner une nouvelle autorité consultative qui doit être distincte et indépendante de
la première.
2) L’article 6, paragraphe 2, de la directive 2001/42 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une législation nationale qui prévoit que le délai fixé aux fins de la procédure de consultation est précisé, au cas par cas, par l’autorité responsable du plan ou du programme, à condition que ce délai soit suffisant pour donner aux autorités et au public consultés une possibilité réelle d’exprimer leur avis sur le projet de plan ou de programme ainsi que sur le rapport sur les
incidences environnementales.»
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1 – Langue originale: le français.
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2 – JO L 197, p. 30, ci-après la «directive».
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3 – Huitième considérant de la directive.
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4 – Ces deux agences n’ont pas de personnalité juridique propre, mais disposent d’un personnel propre ainsi que de ressources administratives et de locaux propres.
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5 – Convention signée le 25 juin 1998 et approuvée au nom de la Communauté européenne par la décision 2005/370/CE du Conseil, du 17 février 2005, relative à la conclusion, au nom de la Communauté européenne, de la convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement (JO L 124, p. 1).
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6 – Article 7 de la convention d’Aarhus.
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7 – Quinzième considérant de la directive.
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8 – Voir, également, cinquième considérant de la directive.
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9 – Lignes directrices relatives à la mise en œuvre de la directive, ci-après les «lignes directrices».
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10 – Points 7.13 à 7.15 des lignes directrices.
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11 – À cet égard, la juridiction de renvoi souligne que d’autres organismes publics en Irlande du Nord possèdent des compétences réglementaires liées à des aspects spécifiques de l’environnement.
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12 – Voir, également, quinzième considérant de la directive qui indique que ledit délai doit être «suffisamment long» pour permettre des consultations ainsi que la formulation d’un avis.
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13 – Voir, à titre d’illustration, article 14, paragraphe 2, de la directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2000, établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau (JO L 327, p. 1), en vertu duquel les «États membres prévoient au moins six mois pour la formulation par écrit des observations sur [les] documents [de référence], afin de permettre une consultation et une participation actives».
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14 – À cet égard, il est intéressant de noter que l’article 6 de la convention d’Aarhus, applicable à la participation du public en ce qui concerne les plans, les programmes et les politiques relatifs à l’environnement, dispose, à son paragraphe 3, que, «[p]our les différentes étapes de la procédure de participation du public, il est prévu des délais raisonnables laissant assez de temps pour informer le public […] et pour que [celui-ci] se prépare et participe effectivement aux travaux tout au
long du processus décisionnel en matière d’environnement».