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31/03/2011 | CJUE | N°C-184/10

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Bot présentées le 31 mars 2011., Mathilde Grasser contre Freistaat Bayern., 31/03/2011, C-184/10


CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. Yves Bot

présentées le 31 mars 2011 (1)

Affaire C‑184/10

Mathilde Grasser

contre

Freistaat Bayern

[demande de décision préjudicielle formée par le Bayerischer Verwaltungsgerichtshof (Allemagne)]

«Directive 91/439/CEE – Reconnaissance mutuelle des permis de conduire – Permis de conduire délivré par un État membre en méconnaissance de la condition de résidence – Refus de la reconnaissance par l’État membre d’accueil fondé uniquement sur la violation de l

a condition de résidence»

1. Par la présente question préjudicielle, la Cour est, une fois encore, amenée à inter...

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. Yves Bot

présentées le 31 mars 2011 (1)

Affaire C‑184/10

Mathilde Grasser

contre

Freistaat Bayern

[demande de décision préjudicielle formée par le Bayerischer Verwaltungsgerichtshof (Allemagne)]

«Directive 91/439/CEE – Reconnaissance mutuelle des permis de conduire – Permis de conduire délivré par un État membre en méconnaissance de la condition de résidence – Refus de la reconnaissance par l’État membre d’accueil fondé uniquement sur la violation de la condition de résidence»

1. Par la présente question préjudicielle, la Cour est, une fois encore, amenée à interpréter les dispositions de la directive 91/439/CEE du Conseil, du 29 juillet 1991, relative au permis de conduire (2).

2. Selon l’article 1^er, paragraphe 2, de la directive 91/439, les permis de conduire délivrés par les États membres sont mutuellement reconnus. La délivrance de ces permis est soumise au respect de plusieurs conditions. Notamment, l’article 7, paragraphe 1, sous b), de cette directive subordonne l’obtention du permis de conduire à l’existence d’une résidence normale sur le territoire de l’État membre de délivrance.

3. Le Bayerischer Verwaltungsgerichtshof (Allemagne) se demande, dès lors, si un État membre peut refuser de reconnaître un permis de conduire délivré par un autre État membre, lorsqu’il est établi sur ce permis que celui-ci a été délivré en méconnaissance de la condition de résidence.

4. Cette question nous amènera, en réalité, à préciser la jurisprudence dégagée par la Cour dans les arrêts du 26 juin 2008, Wiedemann et Funk (3), ainsi que Zerche e.a. (4), en vertu de laquelle l’État membre d’accueil peut refuser de reconnaître sur son territoire le droit de conduire résultant d’un permis de conduire ultérieurement délivré par un autre État membre s’il est établi sur la base des mentions figurant sur celui-ci ou d’autres informations incontestables provenant de l’État
membre de délivrance que, lorsque ledit permis a été délivré, son titulaire, qui a fait l’objet, sur le territoire du premier État membre, d’une mesure de retrait d’un permis de conduire antérieur, n’avait pas sa résidence normale sur le territoire de l’État membre de délivrance.

5. La particularité du litige au principal tient au fait que, contrairement aux cas soumis à la Cour dans les affaires ayant donné lieu à ces arrêts, M^me Grasser, une ressortissante allemande à qui les autorités allemandes refusent de reconnaître le permis de conduire délivré par les autorités tchèques, n’a jamais eu de permis de conduire allemand et n’a donc jamais fait l’objet d’une mesure de retrait d’un permis de conduire antérieur. Dès lors, la question qui se pose est celle de savoir
si la jurisprudence Wiedemann et Funk ainsi que Zerche e.a. trouve à s’appliquer au cas de M^me Grasser.

6. Dans les présentes conclusions, nous proposerons à la Cour de dire que les articles 1^er, paragraphe 2, et 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 91/439 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à ce qu’un État membre refuse de reconnaître sur son territoire le droit de conduire résultant d’un permis de conduire délivré par un autre État membre, lorsqu’il est établi sur la base des mentions figurant sur celui-ci ou d’autres informations incontestables provenant de
l’État membre de délivrance que, lorsque ledit permis a été délivré, son titulaire n’avait pas sa résidence normale sur le territoire de l’État membre de délivrance.

I – Le cadre juridique

A – La réglementation de l’Union

7. Dans le but de faciliter la circulation des personnes à l’intérieur de la Communauté européenne ou leur établissement dans un État membre autre que celui dans lequel ces personnes ont obtenu leur permis de conduire, la directive 91/439 a instauré le principe de reconnaissance mutuelle des permis de conduire (5).

8. La fixation, dans cette directive, de conditions minimales auxquelles le permis de conduire peut être délivré a également pour objectif d’améliorer la sécurité routière sur le territoire de l’Union européenne (6).

9. Notamment, l’article 7, paragraphe 1, sous b), de ladite directive prévoit ce qui suit:

«La délivrance du permis de conduire est également subordonnée à:

[…]

b) l’existence de la résidence normale ou la preuve de la qualité d’étudiant pendant une période d’au moins six mois sur le territoire de l’État membre délivrant le permis de conduire [(7)].»

10. Selon l’article 7, paragraphe 5, de la directive 91/439, toute personne ne peut être titulaire que d’un seul permis de conduire.

11. L’article 8, paragraphe 2, de cette directive prévoit que l’État membre de résidence normale peut appliquer au titulaire d’un permis de conduire délivré par un autre État membre ses dispositions nationales concernant la restriction, la suspension, le retrait ou l’annulation du droit de conduire.

12. En vertu de l’article 8, paragraphe 4, premier alinéa, de ladite directive, un État membre peut également refuser de reconnaître la validité d’un permis de conduire délivré par un autre État membre à une personne qui fait l’objet sur son territoire d’une des mesures susmentionnées.

B – La réglementation nationale

13. Le règlement relatif à l’accès des personnes à la circulation routière (Verordnung über die Zulassung von Personen zum Straβenverkehr), dans sa version en vigueur au 19 janvier 2009 (ci-après la «FeV»), prévoit, à son article 28, paragraphe 1, que les titulaires d’un permis de conduire valide de l’Union ou de l’Espace économique européen (EEE) ayant leur résidence normale, au sens de l’article 7, paragraphe 1 ou 2, de la FeV, en Allemagne, sont autorisés, sous réserve des restrictions
prévues aux paragraphes 2 à 4 dudit article 28, à conduire des véhicules automobiles sur le territoire national, dans la limite autorisée par leur permis de conduire.

14. L’article 28, paragraphe 4, première phrase, points 2 et 3, et deuxième phrase, de la FeV indique que cette autorisation de conduire ne s’applique pas aux titulaires d’un permis de conduire de l’Union ou de l’EEE dans deux circonstances. D’une part, ladite autorisation ne s’applique pas, lorsque, sur la foi des mentions qui figurent sur le permis de conduire ou d’informations incontestables provenant de l’État membre de délivrance, les titulaires avaient, à la date de délivrance de ce
permis, leur résidence normale sur le territoire national, sauf s’ils ont obtenu ledit permis au cours d’un séjour d’au moins six mois effectué en tant qu’écolier ou étudiant. D’autre part, les titulaires d’un permis de conduire de l’Union ou de l’EEE ne sont pas autorisés à conduire sur le territoire allemand, lorsque leur permis de conduire a fait l’objet, sur ce territoire, d’une mesure de retrait provisoire ou définitif prise par un tribunal ou d’une mesure de retrait immédiatement exécutoire ou
définitive prise par une autorité administrative ou bien lorsque leur permis de conduire a été refusé par une décision définitive ou qu’il n’a pas été retiré uniquement parce qu’ils y ont, entre-temps, renoncé.

II – Les faits dans le litige au principal et la question préjudicielle

15. M^me Grasser, partie requérante au principal, est de nationalité allemande et réside à Viereth-Trunstadt (Allemagne). Elle n’a jamais eu de permis de conduire allemand.

16. La requérante a obtenu un permis de conduire le 31 mai 2006, délivré par la municipalité de Plzeň (République tchèque). Sur ce permis de conduire, figure comme lieu de résidence la ville de Viereth-Trunstadt.

17. Par lettre du 3 avril 2009, l’autorité allemande compétente en matière de délivrance des permis de conduire a invité M^me Grasser à présenter son permis de conduire tchèque afin que soit notée sur ce permis l’absence de droit de conduire sur le territoire allemand, au motif que la condition de résidence, lors de la délivrance dudit permis, n’a pas été respectée. Cette autorité a également entendu la requérante afin de rendre une décision de déchéance de son droit de conduire.

18. M^me Grasser, contestant la décision de ladite autorité, a demandé à cette dernière que lui soit accordé le droit de faire usage de son permis de conduire tchèque sur le territoire allemand, au motif qu’elle n’avait jamais commis d’infraction à la circulation routière. À défaut, elle a demandé à ce qu’un permis de conduire allemand lui soit délivré. Ces demandes ont toutes deux été refusées par l’autorité allemande compétente.

19. Par décision du 3 juin 2009, cette autorité a interdit à M^me Grasser de faire usage de son permis de conduire tchèque sur le territoire allemand et lui a enjoint de présenter ce permis afin d’y inscrire la mention indiquant l’absence du droit de conduire. À défaut, ledit permis serait confisqué.

20. Le 1^er juillet 2009, la requérante a saisi le Verwaltungsgericht Bayreuth (tribunal administratif de Bayreuth) d’un recours en annulation à l’encontre de cette décision. Par arrêt du 22 septembre 2009, ce dernier a fait droit à la demande de M^me Grasser et a annulé ladite décision. Le Verwaltungsgericht Bayreuth a considéré que la violation du principe de résidence ne saurait, à elle seule, constituer un motif de non-reconnaissance du droit de conduire sur le territoire allemand. Selon
cette juridiction, il aurait fallu que la requérante fasse, en plus, l’objet d’une mesure de retrait, de suspension, d’annulation ou de restriction de son permis de conduire.

21. Le Freistaat Bayern, partie défenderesse au principal, a fait appel de la décision rendue par le Verwaltungsgericht Bayreuth devant le Bayerischer Verwaltungsgerichtshof qui a décidé de surseoir à statuer et de saisir la Cour de la question préjudicielle suivante:

«Les articles 1^er, paragraphe 2, et 8, paragraphes 2 et 4, de la directive 91/439[…] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’un État membre d’accueil a le droit de ne pas reconnaître le permis de conduire délivré par un autre État membre lorsqu’il est établi, sur la base des mentions figurant sur celui-ci, que l’article 7, paragraphe 1, sous b), de cette même directive n’a pas été respecté, mais que son titulaire n’a pas auparavant fait l’objet, de la part de l’État membre d’accueil, d’une
mesure au sens de l’article 8, paragraphe 2, de la directive 91/439[…]?»

III – Notre analyse

22. Par sa question, le juge de renvoi se demande, en substance, si un État membre peut refuser de reconnaître un permis de conduire délivré par un autre État membre, lorsqu’il est établi, sur la base de mentions figurant sur ce permis, que la condition de résidence n’a pas été respectée, alors même que le titulaire dudit permis n’a jamais fait l’objet, sur le territoire du premier État membre, d’une mesure de retrait d’un permis de conduire antérieur.

23. Nous rappelons, tout d’abord, que la directive 91/439 poursuit deux objectifs, à savoir, d’une part, faciliter la circulation des personnes qui s’établissent dans un État membre autre que celui dans lequel elles ont passé leur examen de conduite et, d’autre part, améliorer la sécurité de la circulation routière (8).

24. Ces objectifs sont indissociables. En effet, le principe de la libre circulation des personnes postule que celle-ci puisse se faire en sécurité.

25. Dès lors, en matière de sécurité routière, afin de répondre à ces impératifs, le législateur de l’Union a estimé nécessaire d’instaurer des conditions minimales auxquelles les permis de conduire peuvent être délivrés (9).

26. Notamment, l’article 7, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive 91/439 subordonne la délivrance du permis de conduire à la réussite d’une épreuve de contrôle des aptitudes physiques et médicales ainsi qu’à celle d’une épreuve de contrôle des connaissances, et également à l’existence de la résidence normale sur le territoire de l’État membre de délivrance.

27. Ainsi, les permis de conduire délivrés sur la base de ces conditions minimales bénéficient de l’application du principe de reconnaissance mutuelle, en vertu de l’article 1^er, paragraphe 2, de cette directive.

28. Parmi les conditions minimales auxquelles le permis de conduire peut être délivré, la condition relative à la résidence normale sur le territoire de l’État membre de délivrance joue un rôle particulier au sein du système instauré par le législateur de l’Union, ainsi que la Cour l’a défini dans sa jurisprudence.

29. En effet, dans les arrêts précités Wiedemann et Funk ainsi que Zerche e.a., la Cour a indiqué que la condition de résidence contribue, notamment, à combattre le «tourisme du permis de conduire» en l’absence d’une harmonisation complète des réglementations des États membres relatives à la délivrance des permis de conduire (10). Par ailleurs, cette condition est indispensable au contrôle du respect de la condition d’aptitude à la conduite (11). En effet, ladite condition est une condition
préalable qui permet la vérification du respect des autres conditions par l’État membre de délivrance (12). C’est la raison pour laquelle la condition de résidence, qui détermine l’État membre de délivrance, revêt une importance particulière par rapport aux autres conditions imposées par la directive 91/439 (13).

30. La Cour en a donc conclu que la sécurité routière pourrait être compromise si cette condition n’était pas respectée (14).

31. Lors de l’audience, l’avocat de M^me Grasser a avancé le fait que, dans la présente affaire, il n’y a pas de danger imminent ni d’urgence, contrairement aux cas soumis à la Cour dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts précités Wiedemann et Funk ainsi que Zerche e.a. Il a indiqué que, dans ces affaires, les titulaires des permis de conduire litigieux avaient déjà fait état de leur dangerosité, puisqu’ils s’étaient vu retirer leur permis de conduire antérieur pour des infractions au
code de la route. M^me Grasser, quant à elle, n’a jamais eu de permis de conduire auparavant et n’a donc pas fait l’objet d’une mesure de retrait d’un permis de conduire antérieur. Pour cette raison, cette jurisprudence ne s’appliquerait pas.

32. Un tel argument ne nous paraît pas recevable. Il revient à nier les objectifs de prévention visés par la directive 91/439.

33. Comme nous l’avons vu, le législateur de l’Union a imposé des conditions minimales auxquelles un permis de conduire peut être délivré, et ce afin d’assurer la sécurité routière sur le territoire de l’Union. Ces conditions s’imposent à tous les candidats au permis de conduire. Le texte de la directive 91/439 ne fait aucune distinction, à cet égard, entre les candidats qui passent leur examen de conduite pour la première fois et ceux qui sollicitent un nouveau permis de conduire à la suite du
retrait d’un précédent permis de conduire.

34. La raison en est évidente, à savoir que l’état de dangerosité d’un conducteur s’apprécie bien avant la délivrance du permis de conduire. Il serait inconcevable d’attendre qu’un conducteur provoque un accident pour constater sa dangerosité et appliquer les mesures nécessaires lors de la demande de renouvellement de son permis de conduire. Ainsi que l’a relevé la partie défenderesse au principal lors de l’audience, les aspects de la sécurité routière se posent non pas uniquement pour les
personnes ayant déjà provoqué un accident, mais pour tous les candidats au permis de conduire.

35. Ce sont donc, conformément à l’article 7, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive 91/439, les mêmes exigences minimales qui doivent être respectées, lorsqu’une autorité nationale compétente délivre un premier permis de conduire.

36. Or, nous le rappelons, la condition de résidence joue ici un rôle essentiel. Si cette condition n’est pas respectée, il est impossible, ou, en tout cas, très difficile, pour l’autorité nationale qui délivre le permis de conduire, de vérifier certaines des conditions imposées par cette directive. La première d’entre elles est celle de l’unicité du permis de conduire. L’article 7, paragraphe 5, de ladite directive prévoit, en effet, que toute personne ne peut être titulaire que d’un seul
permis de conduire (15). Comme il n’existe pas encore de fichiers centralisés des permis de conduire au niveau de l’Union, qui mieux que les autorités nationales du lieu de résidence normale du candidat au permis de conduire peut être en mesure de vérifier que ce candidat ne possède pas déjà un permis de conduire?

37. Il en va de même en ce qui concerne d’autres informations essentielles, comme la vérification du casier judiciaire, afin de s’assurer que d’éventuels antécédents ne font pas obstacle à la délivrance du permis de conduire.

38. C’est la raison pour laquelle le respect de la condition de résidence est la condition indispensable qui permet la vérification, dans le chef du candidat, du respect des autres conditions minimales exigées par la directive 91/439.

39. Faire fi de cette condition de résidence, lorsque le candidat passe l’examen de conduite pour la première fois, aurait, dès lors, pour conséquence de mettre à mal le système instauré par le législateur de l’Union, au détriment de la sécurité des usagers de la route.

40. Nous ajoutons, également, que, au cours de l’audience, la Commission européenne et, par la suite, l’avocat de M^me Grasser, ont évoqué le fait que la mention de la résidence qui figure sur le permis de conduire de cette dernière pourrait être une simple erreur de plume, que l’État membre de délivrance aurait pu se tromper en indiquant une résidence en Allemagne, et que, dès lors, il ne fallait pas en tenir compte et reconnaître ce permis comme valide. Selon nous, cet argument n’est pas
acceptable.

41. Si un tel raisonnement était admis, toutes les informations fournies par l’État membre de délivrance qui apparaissent sur un document officiel, en l’occurrence le permis de conduire, pourraient être remises en cause. Comme l’a jugé la Cour, les informations figurant sur le permis de conduire sont des informations incontestables, provenant des autorités de l’État membre de délivrance (16).

42. Par conséquent, nous pensons que, lorsqu’il est possible d’établir, sur la base de mentions figurant sur le permis de conduire lui-même ou d’autres informations incontestables provenant de l’État membre de délivrance, que la condition de résidence imposée à l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 91/439 n’était pas remplie lors de la délivrance de ce permis, l’État membre d’accueil peut refuser de reconnaître le droit de conduire résultant dudit permis.

43. Il pourrait nous être opposé l’argument selon lequel une telle solution ruinerait la confiance mutuelle entre les États membres que postule le principe de reconnaissance mutuelle.

44. Cependant, le principe de reconnaissance mutuelle des permis de conduire ne peut acquérir toute sa force que si les conditions minimales de délivrance du permis de conduire, érigées par une directive prise aux fins d’harmonisation, sont remplies et respectées par tous les États membres. C’est ici l’essence même de ce principe. Les États membres se font mutuellement confiance et reconnaissent mutuellement les permis de conduire que leurs autorités délivrent, parce que le législateur de
l’Union a mis en place un dispositif permettant de s’assurer que tous les États membres auront un niveau d’exigence minimal concernant la délivrance de ces permis.

45. Dès lors, à partir du moment où ce niveau d’exigence minimal n’est pas respecté, le principe de reconnaissance mutuelle ne peut pas recevoir son application normale.

46. Nous ajoutons, par ailleurs, que le fait d’admettre qu’un permis de conduire, tel que celui de M^me Grasser, doit être reconnu par l’État membre d’accueil, alors même que la condition de résidence n’a pas été respectée, aurait pour effet d’encourager le «tourisme du permis de conduire». En effet, si la directive 91/439 impose, certes, des conditions minimales d’aptitude à la conduite, il n’en reste pas moins que les États membres restent libres d’imposer des normes plus sévères que celles
mentionnées dans cette directive (17). Il deviendrait, dès lors, plus avantageux pour une personne résidente d’un État membre imposant de telles normes de passer l’examen dans un autre État membre pratiquant des normes moins sévères.

47. Le but de la directive 91/439 n’est pas d’offrir au ressortissant de l’Union un forum shopping du permis de conduire, mais il est de permettre à une personne qui possède un permis de conduire de s’établir sur le territoire d’un État membre autre que l’État membre de délivrance de ce permis, sans avoir à repasser un quelconque examen de conduite ou sans avoir à échanger ledit permis.

48. Il nous semble que le principe de reconnaissance mutuelle a été, dans la présente affaire, détourné de sa fonction afin de contourner les règles nationales plus sévères.

49. Par conséquent, pour l’ensemble de ces raisons, nous sommes d’avis que les articles 1^er, paragraphe 2, et 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 91/439 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à ce qu’un État membre refuse de reconnaître sur son territoire le droit de conduire résultant d’un permis de conduire délivré par un autre État membre, lorsqu’il est établi sur la base des mentions figurant sur celui-ci ou d’autres informations incontestables provenant de
l’État membre de délivrance que, lorsque ledit permis a été délivré, son titulaire n’avait pas sa résidence normale sur le territoire de l’État membre de délivrance.

IV – Conclusion

50. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre comme suit à la question posée par le Bayerischer Verwaltungsgerichtshof:

«Les articles 1^er, paragraphe 2, et 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 91/439/CEE du Conseil, du 29 juillet 1991, relative au permis de conduire, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à ce qu’un État membre refuse de reconnaître sur son territoire le droit de conduire résultant d’un permis de conduire délivré par un autre État membre, lorsqu’il est établi sur la base des mentions figurant sur celui-ci ou d’autres informations incontestables provenant de l’État membre
de délivrance que, lorsque ledit permis a été délivré, son titulaire n’avait pas sa résidence normale sur le territoire de l’État membre de délivrance.»

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1 – Langue originale: le français.

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2 – JO L 237, p. 1.

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3 – C‑329/06 et C‑343/06, Rec. p. I‑4635.

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4 – C‑334/06 à C‑336/06, Rec. p. I‑4691.

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5 – Voir article 1^er de ladite directive.

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6 – Voir quatrième considérant de la même directive.

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7 – Selon l’article 9, premier alinéa, de la directive 91/439, la résidence normale est le lieu où une personne demeure habituellement, c’est-à-dire 185 jours au moins par année civile. Si le titulaire du permis est étudiant dans cet État membre, il doit apporter la preuve qu’il est établi depuis six mois au moins dans ledit État.

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8 – Voir premier considérant de cette directive.

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9 – Voir quatrième considérant de ladite directive.

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10 – Arrêts précités Wiedemann et Funk (point 69) ainsi que Zerche e.a. (point 66).

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11 – Idem.

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12 – Arrêts précités Wiedemann et Funk (point 70) ainsi que Zerche e.a. (point 67).

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13 – Idem.

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14 – Arrêts précités Wiedemann et Funk (point 71) ainsi que Zerche e.a. (point 68).

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15 – Voir, en ce sens, arrêts précités Wiedemann et Funk (point 70) ainsi que Zerche e.a. (point 67).

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16 – Voir, en ce sens, arrêts précités Wiedemann et Funk (point 72) ainsi que Zerche e.a. (point 69). Voir, également, ordonnance du 9 juillet 2009, Wierer (C‑445/08, point 51).

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17 – Voir point 5 de l’annexe III de ladite directive.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-184/10
Date de la décision : 31/03/2011
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Bayerischer Verwaltungsgerichtshof - Allemagne.

Directive 91/439/CEE - Reconnaissance mutuelle des permis de conduire - Permis de conduire délivré par un État membre en méconnaissance de la condition de résidence - Refus de reconnaissance par l’État membre d’accueil fondé uniquement sur la méconnaissance de la condition de résidence.

Transports


Parties
Demandeurs : Mathilde Grasser
Défendeurs : Freistaat Bayern.

Composition du Tribunal
Avocat général : Bot
Rapporteur ?: Rosas

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2011:201

Source

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