CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. JÁN MazÁk
présentées le 9 septembre 2010 (1)
Affaire C‑274/09
Privater Rettungsdienst und Krankentransport Stadler
contre
Zweckverband für Rettungsdienst und Feuerwehralarmierung Passau
[demande de décision préjudicielle formée par l’Oberlandesgericht München (Allemagne)]
«Service de secours – Critères de distinction entre marché public de services et concession de services – Mode de rémunération – Transfert du risque lié à l’exploitation des services»
1. Dans la présente affaire, la Cour est une nouvelle fois appelée à se prononcer sur les critères permettant de distinguer une concession de services d’un marché public de services.
2. Les questions préjudicielles posées par l’Oberlandesgericht München (Allemagne) sont libellées comme suit:
«1) Un contrat portant sur des services (en l’occurrence des services de secours) qui, au vu de son contenu, ne prévoit pas que le contractant soit rémunéré directement par le pouvoir adjudicateur, mais dans lequel:
a) le droit d’utilisation des prestations à fournir est fixé dans le cadre de négociations entre le contractant et des tiers qui sont pour leur part pouvoirs adjudicateurs (en l’occurrence des organismes de sécurité sociale),
b) en cas de désaccord, il est prévu qu’une instance d’arbitrage instituée à cet effet, dont la décision est soumise au contrôle des tribunaux étatiques, tranche le différend,
c) le droit est payé non pas directement par les utilisateurs, mais par un bureau central de règlement, auquel le contractant est légalement tenu de s’adresser, et qui le lui verse sous forme d’acomptes réguliers,
doit-il être considéré pour cette seule raison comme une concession de services au sens de l’article 1^er, paragraphe 4, de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (2), par opposition au marché de services au sens de l’article 1^er, paragraphe 2, sous a) et d), de la directive?
2) En cas de réponse négative à la première question préjudicielle, est-on en présence d’une concession de services lorsque le risque d’exploitation lié au service public est limité parce que:
a) une règle législative prévoit que les droits d’utilisation du service doivent être calculés sur la base des coûts pouvant être estimés en vertu des principes de gestion des entreprises et correspondant à un service correct, à une gestion rationnelle et économe ainsi qu’à une organisation efficace,
b) les débiteurs des droits d’utilisation sont des organismes de sécurité sociale solvables,
c) une certaine exclusivité de l’exploitation est assurée dans le secteur fixé contractuellement,
mais que le contractant prend intégralement en charge ce risque limité?»
3. La réponse que la Cour apportera aux questions posées devrait aider la juridiction de renvoi à statuer sur un appel formé par Privater Rettungsdienst und Krankentransport Stadler (ci-après «Stadler») contre une décision de la Vergabekammer Südbayern (chambre des marchés publics de Bavière méridionale) par laquelle cette dernière a rejeté un recours de Stadler relatif à la procédure de passation de contrats de prestation de services dans le domaine des services de secours suivie par le
Zweckverband für Rettungsdienst und Feuerwehralarmierung Passau (groupement communal chargé du service de secours et de l’alarme incendie de Passau, ci-après le «groupement communal de Passau») au sens de la loi bavaroise sur le service de secours (Bayerisches Rettungsdienstgesetz, ci-après la «BayRDG») comme irrecevable au motif que la mission consistant à fournir des prestations de services de secours constituerait une concession de services ne relevant pas de la législation relative à la
passation des marchés.
4. Selon Stadler qui a effectué des prestations de services de secours pour le groupement communal de Passau jusqu’au 31 décembre 2008 (3), le marché en cause constitue non pas une concession de services au sens de l’article 1^er, paragraphe 4, de la directive 2004/18, mais un marché public de services au sens de l’article 1^er, paragraphe 2, sous a) et d), de ladite directive.
5. En revanche, le groupement communal de Passau, en tant que partie défenderesse au principal, ainsi que deux parties intervenantes dans la procédure au principal, à savoir le Malteser Hilfsdienst eV et la Bayerisches Rotes Kreuz (la Croix rouge bavaroise) (4), estiment que les contrats en cause constituent une concession de services.
6. Devant la Cour, des observations écrites ont été déposées non seulement par les parties au principal, mais également par la République fédérale d’Allemagne, la République tchèque ainsi que par la Commission des Communautés européennes. Le Royaume de Suède et ces derniers, à l’exception de la République tchèque, ont été entendus en leurs plaidoiries lors de l’audience du 24 juin 2010.
Réglementation nationale
7. En Allemagne, dans le domaine des services publics de secours, les collectivités locales concluent, en leur qualité d’autorités responsables de l’organisation de ces services, des contrats avec des prestataires en vue de la fourniture desdits services à l’ensemble de la population du territoire de leur ressort.
8. En ce qui concerne la rémunération des prestataires de services en cause, il existe deux modèles distincts dans les différents Länder. Selon le premier, dit de «soumission», la rémunération est effectuée directement par la collectivité locale (5). Selon le second, dit de «concession», la rémunération du prestataire des services de secours implique la perception, par ses soins, d’une contrepartie financière auprès des patients ou des organismes de sécurité sociale.
9. Le Land de Bavière, dans lequel se déroule l’affaire au principal, a opté en faveur du modèle de concession. Les services de secours, englobant les secours d’urgence, le transport des patients accompagnés par un médecin, le transport des malades, les secours en montagne et dans les grottes ainsi que les secours aquatiques sont régis en Bavière par la BayRDG, qui est entrée en vigueur le 1^er janvier 2009.
10. En ce qui concerne les services de secours d’urgence, du transport des patients accompagnés par un médecin et du transport des malades, l’article 13, paragraphes 1 et 2, de la BayRDG prévoit que le groupement communal pour le service de secours et l’alarme incendie confie leur exécution à des organisations d’aide, telles que la Bayerisches Rotes Kreuz, l’Arbeiter-Samariter-Bund (l’Union des travailleurs samaritains), le Malteser-Hilfsdienst (le service d’aide de l’Ordre de Malte) ou la
Johanniter-Unfall-Hilfe (volontaires de saint Jean). Ce n’est que dans le cas où les organisations d’aide ne sont pas disposées à accepter la mission ou ne sont pas en mesure de le faire que le groupement communal pour le service de secours et l’alarme incendie confie l’exécution terrestre des services en cause à des tiers ou s’en charge lui-même ou par l’intermédiaire de ses membres.
11. Aux termes de l’article 13, paragraphe 4, de la BayRDG, le rapport juridique entre le groupement communal pour les services de secours et l’alarme incendie et l’opérateur chargé de l’exécution du service de secours est réglé par contrat de droit public.
12. L’article 21 de la BayRDG prévoit que toute personne qui exploite une entreprise de secours d’urgence, de transport des patients accompagnés d’un médecin ou de transport de malades doit en demander l’autorisation. Aux termes de l’article 24, paragraphe 2, de la BayRDG, cette autorisation doit être délivrée dès lors qu’un contrat de droit public est produit en application de l’article 13, paragraphe 4, de cette même loi.
13. L’article 32 de la BayRDG dispose que les prestations de services de secours, y compris la participation de médecins, donne lieu à la perception de droits d’utilisation qui doivent être basés sur les coûts pouvant être estimés en vertu des principes de gestion des entreprises et correspondant à un service correct, à une gestion rationnelle et économe ainsi qu’à une organisation efficace.
14. Les droits d’utilisation des opérateurs des services de secours d’urgence, du transport des patients accompagnés par un médecin et du transport des malades sont régis par l’article 34 de la BayRDG qui est libellé comme suit:
«[…]
(2) Les organismes de sécurité sociale conviennent de manière uniforme avec les opérateurs du service de secours ou avec leurs groupements régionaux des droits d’utilisation qu’ils devront payer pour les secours d’urgence, le transport des patients accompagnés d’un médecin et le transport des malades […]
(3) L’accord relatif aux droits d’utilisation est conclu chaque année à l’avance.
(4) Les coûts des secours d’urgence, du transport des patients accompagnés d’un médecin et du transport des malades sont répartis sur les utilisateurs selon des critères uniformes. Les opérateurs facturent également les droits d’utilisation convenus avec les organismes de sécurité sociale à toutes les autres personnes et institutions qui recourent aux prestations du service public de secours.
(5) Les droits d’utilisation sont basés dans chaque cas sur les coûts prévisionnels du service pouvant être pris en compte en application de l’article 32, deuxième phrase, dans les secteurs opérationnels du service de secours d’urgence, du transport des patients accompagnés d’un médecin et du transport des malades, ainsi que sur le nombre prévisionnel d’interventions durant la période d’intervention. Les coûts de la fourniture du service comprennent en particulier également les coûts de la
participation de médecins au service de secours, […] ainsi que les coûts liés à l’activité du bureau central de règlement du service de secours en Bavière, conformément au paragraphe 8. Les organismes de sécurité sociale fixent dans chaque cas, dans des négociations séparées menées avec les différents opérateurs, les gestionnaires des directions intégrées et le bureau central de règlement pour le service de secours en Bavière les coûts prévisionnels encourus par ces derniers durant la période
pertinente aux fins de la rémunération. Les coûts peuvent être convenus en tant que budget.
(6) Si un accord relatif aux droits d’utilisation en application du paragraphe 2 ou un accord en application du paragraphe 5 n’est pas conclu le 30 novembre au plus tard de l’exercice précédant la période de versement des droits d’utilisation, une procédure d’arbitrage relative au montant des coûts prévisionnels et des droits d’utilisation se déroule devant l’instance d’arbitrage […]. Les droits d’utilisation ne peuvent être adaptés rétroactivement.
(7) Les coûts prévisionnels convenus avec les organismes de sécurité sociale ou passés en force de chose jugée sont couverts par les droits perçus au titre des secours d’urgence, du transport des patients accompagnés d’un médecin et du transport des malades (compensation des recettes). À l’expiration d’une période de versement des droits d’utilisation chaque opérateur, chaque gestionnaire d’une direction intégrée et le bureau central de règlement pour le service de secours en Bavière justifient
des coûts réels dans un décompte final et les comparent à ceux convenus dans l’accord sur les coûts (reddition des comptes). En cas de différence entre les coûts réels et les coûts prévisionnels reconnus par les organismes de sécurité sociale aux fins de l’accord sur les coûts, le résultat de la reddition des comptes est inscrit à l’ordre du jour des négociations les plus proches relatives aux droits d’utilisation; le report de ce résultat est exclu si les coûts de l’opérateur […] ou du bureau
central de règlement ont été convenus en tant que budget.
(8) Aux fins de l’exécution des paragraphes 2 à 7 et de l’article 35, il est fait appel à un bureau central de règlement pour le service de secours en Bavière, lequel a notamment pour mission
1. de participer à titre consultatif à l’accord relatif aux droits d’utilisation prévu au paragraphe 2 et aux accords prévus au paragraphe 5;
2. de calculer les droits d’utilisation nécessaires sur la base des coûts prévisionnels des parties intéressées et du nombre d’interventions prévisibles du service public de secours, et de les proposer aux parties intéressées pour accord; il en est de même de l’adaptation nécessaire des droits d’utilisation durant l’exercice en cours;
3. d’encaisser auprès des redevables les droits d’utilisation des prestations du service public de secours […];
4. d’effectuer la compensation des recettes […];
5. de reverser les sommes correspondant aux coûts du service aux opérateurs du service de secours […];
6. de contrôler la reddition des comptes des opérateurs […] et d’en vérifier la plausibilité et l’exactitude;
7. d’établir un décompte final global vérifié du service public de secours.
À cet égard, le bureau central de règlement pour le service de secours en Bavière fournit ses prestations dans un but non lucratif. Toutes les parties intéressées sont tenues de soutenir le bureau central de règlement pour le service de secours en Bavière dans l’exécution de ses tâches et de lui remettre les informations et documents écrits nécessaires à cet effet.»
15. La composition de l’instance d’arbitrage compétente en matière de droits d’utilisation est spécifiée à l’article 48 de la BayRDG. Selon cet article, dans les différends relatifs aux droits d’utilisation des secours terrestres, elle est composée de trois membres représentant les opérateurs des services de secours terrestre et de trois membres représentant les organismes de sécurité sociale ainsi que du président nommé conjointement par les opérateurs du service public de secours, par l’Union
bavaroise des médecins conventionnés, par les personnes chargées d’assurer la participation des médecins accompagnateurs et par les organismes de sécurité sociale.
16. En ce qui concerne le bureau central de règlement pour le service de secours en Bavière, l’article 53 de la BayRDG autorise l’administration centrale compétente en matière de service de secours, à savoir le ministère de l’Intérieur du Land de Bavière, à le désigner par voie réglementaire.
Appréciation
17. La juridiction de renvoi est appelée à déterminer si les contrats conclus selon le modèle de concession doivent être qualifiés de concession de services ou, nonobstant la dénomination du modèle en question, de marché de services. À cet égard, il convient de rappeler que cette question doit s’apprécier exclusivement au regard du droit de l’Union (6), en l’occurrence, à la lumière des définitions des notions de «marchés publics», «marchés publics de services» et de «concession de services»
figurant à l’article 1^er, paragraphes 2, sous a) et d), et 4, de la directive 2004/18, ainsi qu’à la lumière de la jurisprudence de la Cour y relative.
18. Dès lors que l’article 17 de la directive 2004/18 exclut l’application de cette dernière aux concessions de services, la qualification des contrats en cause influence une procédure de leur conclusion. Pour autant, quand bien même, en l’état actuel du droit de l’Union, les contrats de concession de services ne sont régis par aucune des directives par lesquelles le législateur de l’Union a réglementé le domaine des marchés publics, les autorités publiques qui concluent de tels contrats sont
néanmoins tenues de respecter les règles fondamentales du traité CE, notamment les articles 43 CE et 49 CE, ainsi que l’obligation de transparence qui en découle (7).
19. À cet égard, nous souhaitons encore souligner qu’il appartient non pas à la Cour dans le cadre de la procédure préjudicielle, mais à la juridiction nationale, de qualifier les contrats conclus selon le modèle de concession. La tâche de la Cour consiste, en réponse aux deux questions préjudicielles, qui sont étroitement liées et devront, selon nous, être examinées conjointement, à expliquer et à préciser des critères qui seraient utiles aux fins de cette qualification (8).
20. Il convient de relever d’emblée la ressemblance existant entre les questions préjudicielles dans la présente affaire et celles déférées dans l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt du 10 septembre 2009, Eurawasser (9). Dans les deux cas, les juridictions de renvoi se sont interrogées, en substance, sur le point de savoir, d’une part, si le fait que le prestataire de services n’est pas rémunéré directement par l’autorité publique avec laquelle il est en relation contractuelle, implique, en
lui-même, que le contrat doit être qualifié de concession de services et, d’autre part, s’il est décisif, aux fins de cette qualification, que le risque d’exploitation lié au service faisant l’objet du contrat en cause pesant sur le prestataire du service est dès l’origine limité, c’est-à-dire même en cas de fourniture du service par l’autorité publique concernée.
21. Les questions préjudicielles se rapportent donc aux deux critères que la Cour utilise pour distinguer une concession de services d’un marché de services. Il s’agit, premièrement, de l’«absence de la rémunération directe» d’un prestataire de services, c’est-à-dire la rémunération provient non pas de l’autorité publique attribuant le service en question, mais des tiers, et, deuxièmement, de la «prise en charge du risque d’exploitation lié au service en cause».
22. La Cour a expliqué l’interaction entre ces deux critères dans l’arrêt Parking Brixen (10) en jugeant que l’absence de rémunération directe du prestataire de services implique que le prestataire prend en charge le risque d’exploitation des services en question et caractérise, ainsi, une concession de services publics.
23. Dans l’arrêt Commission/Italie (11), la Cour a, conformément à la définition de la notion de «concession de services» donnée par la directive 2004/18, remplacé le critère de l’absence de rémunération directe par celui de «rémunération consistant en droit du prestataire d’exploiter sa propre prestation». En application de ce critère, la Cour a alors considéré que l’on est en présence d’une concession de services, lorsque le mode de rémunération convenu tient dans le droit d’exploiter le
service et que le prestataire prend en charge le risque lié à l’exploitation des services en question. La Cour a ultérieurement confirmé cette jurisprudence dans l’arrêt Acoset (12).
24. Dans l’arrêt Eurawasser (13), la Cour est revenue sur le critère de l’absence de rémunération directe en expliquant que le fait que le prestataire de services est rémunéré par des paiements provenant de tiers constitue l’une des formes que peut prendre l’exercice du droit, reconnu au prestataire, d’exploiter le service.
25. Selon nous, les constatations de la Cour citées ci-dessus permettent de conclure au caractère décisif du critère de l’absence de rémunération directe afin de qualifier un contrat portant sur des services de concession de services, dès lors que, selon la Cour, l’absence de la rémunération directe du prestataire de services est l’une des formes que peut prendre l’exercice du droit, reconnu au prestataire, d’exploiter le service et implique simultanément que le prestataire prend en charge le
risque d’exploitation des services en question (14).
26. Nous parvenons à la même conclusion si nous prenons en considération l’interaction entre la définition de la notion de marché public de services et celle de concession de services contenues dans la directive 2004/18. Celles-ci englobent tous les contrats portant sur des services conclus par les autorités publiques. Il s’ensuit que si le contrat en cause n’est pas un marché public de services, il doit nécessairement être une concession de services, et vice versa. En conséquence, si la Cour a
itérativement déclaré qu’une contrepartie payée directement par le pouvoir adjudicateur au prestataire de services constitue le critère de définition du marché public de services (15), l’absence d’un tel mode de rémunération signifie nécessairement que l’on est en présence d’une concession de services.
27. En résumé, comme le montrent les arrêts cités précédemment, l’absence de rémunération directe du prestataire de services implique de qualifier le contrat de services en cause de concession de services.
28. Cependant, l’existence d’une rémunération directe du prestataire de services de la part de l’autorité publique concernée n’implique pas nécessairement l’existence d’un marché public de services. En effet, il découle de la constatation de la Cour selon laquelle la rémunération indirecte est «l’une des formes» que peut prendre l’exercice du droit, reconnu au prestataire, d’exploiter le service (16), qu’il existe également d’autres formes que l’exercice du droit d’exploiter le service est
susceptible de prendre. C’est ce qui explique pourquoi, dans les arrêts du 27 octobre 2005, Contse e.a. (17), Commission/Italie (18) ainsi que du 11 juin 2009, Hans & Christophorus Oymanns (19), la Cour a recherché si les contrats en cause pouvaient constituer des concessions de services, même si les prestataires de services ont été rémunérés directement par les autorités publiques concernées.
29. Dans lesdits arrêts, la Cour a désigné les «critères subsidiaires» permettant, en présence d’une rémunération directe, de conclure que le prestataire de services a pris en charge le risque d’exploitation lié au service en cause, tels que le critère de la délégation de la responsabilité de tout préjudice subi en raison d’un manquement dans le service concerné (20) ou celui de l’existence d’une certaine liberté économique pour déterminer les conditions d’exploitation d’un service
déterminé (21). En outre, la Cour a également précisé, à l’évidence sans prétendre à l’exhaustivité, quelles sont les caractéristiques qui ne sont pas déterminantes aux fins de la qualification des conventions en cause, telles que la durée des conventions en cause, les investissements initiaux importants à la charge du prestataire de services ou une importante autonomie d’exécution des services de la part du prestataire de services (22).
30. Force est néanmoins de constater que les «critères subsidiaires» n’ont été utilisés qu’en présence d’une rémunération directe du prestataire de services. Cela pourrait établir que l’absence de rémunération directe du prestataire de services représente un critère suffisant aux fins de la qualification d’un contrat en cause d’une concession de services.
31. En l’espèce, il est évident que le prestataire du service de secours en cause est rémunéré non pas par l’autorité publique qui lui a attribué le service en question, mais par des tiers, à savoir par des organismes de sécurité sociale, des personnes assurées à titre privé et des personnes non assurées (23).
32. Sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, il nous semble que, quand bien même les organismes de sécurité sociale eux-mêmes pourraient être considérés comme pouvoir adjudicateur au sens de la définition figurant à l’article 1^er, paragraphe 9, de la directive 2004/18, ils représentent des sujets suffisamment distincts et indépendants de l’autorité publique qui a attribué le service en question pour justifier de considérer qu’il s’agit d’une rémunération du prestataire du
service «de la part des tiers» (24).
33. La particularité de la présente affaire réside dans le fait que les entités qui acquittent le droit d’utilisation, à savoir les organismes de sécurité sociale, les personnes assurées à titre privé ainsi que les personnes non assurées payent ce droit non pas directement au prestataire du service de secours, mais au bureau central de règlement pour le service de secours en Bavière. Il reste donc à savoir si cette circonstance est susceptible d’avoir une incidence sur le constat selon lequel
l’absence de rémunération directe du prestataire de services constitue un critère suffisant aux fins de la qualification du contrat en cause de concession de services.
34. Nous estimons qu’il convient de répondre par la négative à cette question. Le fait qu’un «intermédiaire» quelconque figure entre le prestataire de services et le payeur dudit service ne remet aucunement en cause l’autre constat, à savoir que le prestataire de services n’est pas rémunéré directement par l’autorité publique qui lui a attribué le service en question, notamment lorsque l’autorité publique concernée n’a aucune influence sur les paiements.
35. Cela nous amène à conclure que l’absence de la rémunération directe du prestataire de services de la part de l’autorité publique qui lui a attribué un service en question représente un critère suffisant aux fins de la qualification du contrat en cause de concession de services. À cet égard, il importe peu de savoir, premièrement, qui verse la rémunération due au titre des services fournis, à supposer qu’il s’agisse d’un organisme suffisamment distinct et indépendant de l’autorité publique
qui a attribué le service en question, et, deuxièmement, quelles sont les modalités de perception de la rémunération.
36. En ce qui concerne la question de savoir s’il est décisif, aux fins de la qualification d’un tel contrat de services de concession de services, que le risque d’exploitation lié au service en cause pris en charge par le prestataire de services est dès l’origine limité, c’est-à-dire même en cas de fourniture du service par le pouvoir adjudicateur, nous estimons que la réponse devrait se fonder sur l’arrêt Eurawasser (25).
37. Certes, en l’espèce, la question de savoir quelle quantité du risque d’exploitation est liée au service de secours pouvait prêter à discussion. Toutefois, il s’agit de constatations de fait auxquelles il appartient, pour autant que de besoin, à la juridiction de renvoi de procéder.
38. En effet, la quantité du risque d’exploitation liée au service en question n’est pas déterminante. Ce qui est décisif, c’est le transfert du risque, auquel l’autorité publique attribuant le service en question serait elle-même exposée si elle devait exécuter elle-même la prestation, dans le chef du prestataire du service (26).
Conclusion
39. Au vu des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre de la manière suivante aux questions préjudicielles posées par l’Oberlandesgericht München:
«L’absence de rémunération directe du prestataire du service par l’autorité publique qui lui a attribué le service en question constitue un critère suffisant aux fins de la qualification d’un contrat de concession de services au sens de l’article 1^er, paragraphe 4, de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services. À cet égard, il importe peu de savoir,
premièrement, qui verse la rémunération due au titre des services fournis, à supposer qu’il s’agisse d’un organisme suffisamment distinct et indépendant de l’autorité publique qui a attribué le service en question, deuxièmement, quelles sont les modalités de perception de la rémunération et, troisièmement, si le risque d’exploitation lié au service en question est, dès l’origine, limité.»
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
1 – Langue originale: le français.
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
2 – JO L 134, p. 114.
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
3 – Les contrats conclus entre Stadler, d’une part, et le groupement communal de Passau, d’autre part, ont été résiliés à l’initiative de ce dernier. Il semble que la résiliation des contrats ait été liée à la BayRDG, qui est entrée en vigueur le 1^er janvier 2009, et, plus précisément, à son article 13, paragraphe 1, contenant une liste des organisations auxquelles il faut prioritairement confier des services de secours.
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
4 – Il s’agit d’organisations avec lesquelles, après la résiliation des contrats conclus avec Stadler, le groupement communal de Passau a conclu des contrats de prestation de services dans le domaine des services de secours.
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
5 – Il ressort de la décision de renvoi que le Bundesgerichtshof (la cour fédérale de justice) a déjà jugé que le modèle de soumission s’analyse comme un marché de services. En partant de l’arrêt du 29 avril 2010, Commission/Allemagne (C-160/08, non encore publié au Recueil), il est possible de constater que la Cour est du même avis.
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
6 – Voir arrêts du 18 juillet 2007, Commission/Italie (C-382/05, Rec. p. I-6657, point 31), et du 15 octobre 2009, Acoset (C-196/08, non encore publié au Recueil, point 38).
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
7 – Voir arrêt du 13 avril 2010, Wall (C-91/08, non encore publié au Recueil, point 33 et jurisprudence citée).
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
8 – Voir, en ce sens, arrêt du 13 octobre 2005, Parking Brixen (C-458/03, Rec. p. I‑8585, point 32).
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
9 – C-206/08, Rec. p. I‑8377.
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
10 – Cité note 8, point 40.
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
11 – Cité note 6, point 34.
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
12 – Cité note 6, point 39.
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
13 – Cité note 9, point 53.
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
14 – Il est possible de trouver également dans la jurisprudence de la Cour des arrêts dans lesquels le caractère indirect de la rémunération a suffi à lui seul à la Cour pour constater que le contrat en cause représente une concession de services. Il s’agit, par exemple, des arrêts du 6 avril 2006, ANAV (C-410/04, Rec. p. I-3303, point 16), et du 13 novembre 2008, Coditel Brabant (C-324/07, Rec. p. I-8457, point 24).
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
15 – Voir, en ce sens, arrêts Parking Brixen (cité note 8, point 39); Eurawasser (cité note 9, point 51), et Acoset (cité note 6, point 39).
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
16 – Arrêt Eurawasser (cité note 9, point 53).
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
17 – C-234/03, Rec. p. I-9315.
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
18 – Cité note 6.
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
19 – C-300/07, Rec. p. I‑4779.
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
20 – Arrêt Contse e.a. (cité note 17, point 22).
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
21 – Arrêt Hans & Christophorus Oymanns (cité note 19, point 71).
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
22 – Arrêt Commission/Italie (cité note 6, points 42 et 44).
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
23 – Les parties au principal s’accordent pour affirmer que 10 % environ des droits d’utilisation sont dus par des personnes assurées à titre privé et des personnes non assurées.
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
24 – Les organismes de sécurité sociale se trouvaient également au cœur de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Hans & Christophorus Oymanns (cité note 19). Alors que, dans cette affaire, ils avaient la qualité d’autorité publique ayant attribué le service en question tout en ayant acquitté la rémunération due en contrepartie dudit service, ils se bornent, en l’espèce, à acquitter la rémunération due en contrepartie des services fournis.
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
25 – Cité note 9.
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
26 – Dans le cadre de ses conclusions du 29 octobre 2009 dans affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 6 mai 2010, Club Hotel Loutraki e.a. (C-145/08 et C-149/08, non encore publié au Recueil), l’avocat général Sharpston est parvenue à une conclusion semblable, en considérant que l’élément déterminant est non pas que le risque d’exploitation soit en lui-même significatif, mais que le risque d’exploitation, quel qu’il soit, auparavant encouru par le pouvoir adjudicateur, soit transféré, intégralement ou
dans une mesure significative, à l’adjudicataire.