ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)
11 mars 2008 (*)
«Manquement d’État – Emplois dans l’administration publique – Emplois de capitaine et d’officier (second de navire) à bord de tous les bateaux battant pavillon d’un État membre – Condition de nationalité»
Dans l’affaire C-89/07,
ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 226 CE, introduit le 15 février 2007,
Commission des Communautés européennes, représentée par M. G. Rozet, en qualité d’agent, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie requérante,
contre
République française, représentée par M. G. de Bergues et M^me O. Christmann, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
LA COUR (sixième chambre),
composée de M. L. Bay Larsen (rapporteur), président de chambre, MM. P. Kūris et J.-C. Bonichot, juges,
avocat général: M^me E. Sharpston,
greffier: M. R. Grass,
vu la procédure écrite,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en maintenant dans sa législation l’exigence de la nationalité française pour l’accès aux emplois de capitaine et d’officier (second de navire) à bord de tous les bateaux battant pavillon français, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 39 CE.
Le cadre juridique
2 L’article 3, deuxième alinéa, du code du travail maritime français dispose:
«À bord des navires battant pavillon français, le capitaine et l’officier chargé de sa suppléance doivent être français.»
La procédure précontentieuse
3 Par suite d’une plainte d’un cabinet d’avocats mettant en cause la législation française en raison du refus opposé par les autorités françaises à des propriétaires de bateaux battant pavillon français souhaitant embaucher des travailleurs migrants originaires d’autres États membres comme capitaines et officiers (seconds de navire), la Commission a adressé, le 19 décembre 2003, une lettre de mise en demeure à la République française. Dans cette lettre, elle a attiré l’attention de cet État
membre sur les arrêts du 30 septembre 2003, Colegio de Oficiales de la Marina Mercante Española (C-405/01, Rec. p. I-10391), et Anker e.a. (C-47/02, Rec. p. I-10447), relatifs aux conditions de nationalité posées en vue de l’accès aux emplois de capitaine et de second à bord de certains navires battant pavillon d’États membres, et lui a indiqué qu’elle considérait que la législation française n’était pas en conformité avec le droit communautaire sur la libre circulation des travailleurs dans la
mesure où la nationalité française demeurait requise pour l’exercice des fonctions de capitaine et d’officier (second de navire) à bord des bateaux battant pavillon français.
4 Par une lettre du 27 février 2004, la République française a fait valoir que, compte tenu de l’intervention des arrêts auxquels la Commission faisait référence, une réflexion avait été engagée sur la conformité de la législation française en matière d’emploi maritime avec le droit communautaire et notamment avec l’article 39, paragraphe 4, CE, tel qu’interprété par la Cour.
5 Estimant, toutefois, que la situation demeurait insatisfaisante, la Commission a, le 5 juillet 2005, émis un avis motivé invitant la République française à prendre les mesures nécessaires pour s’y conformer dans un délai de deux mois à compter de sa réception.
6 La République française a répondu à cet avis motivé par deux lettres datées, respectivement, des 13 octobre 2005 et 7 juin 2006, dont il ressort que cet État membre a décidé d’ouvrir à tous les ressortissants communautaires les fonctions de capitaine et d’officier chargé de la suppléance de ce dernier à bord des navires battant pavillon français. Par la suite, elle a informé la Commission que le projet de loi destiné à mettre sa législation en conformité avec le droit communautaire serait
examiné par le Parlement au cours du second semestre de l’année 2007.
7 N’ayant toutefois reçu aucune information relative à l’adoption de la loi annoncée, la Commission a décidé d’introduire le présent recours.
Sur le recours
Argumentation des parties
8 Dans sa requête, la Commission, s’appuyant sur les arrêts précités Colegio de Oficiales de la Marina Mercante Española, et Anker e.a., soutient, d’une part, que la législation française en cause, en tant qu’elle prévoit que la nationalité française est requise pour l’accès aux emplois de capitaine et d’officier (second de navire) sur tous les bateaux battant pavillon français, n’est pas en conformité avec l’article 39 CE et, d’autre part, que cette législation devrait être modifiée, afin
que la nationalité française soit uniquement requise lorsque ces emplois supposent l’exercice effectif par les personnes concernées, de façon habituelle et pour une part de leur activité qui ne soit pas très réduite, des prérogatives de puissance publique qui leur sont attribuées.
9 La République française, qui, lors de la procédure précontentieuse, avait souligné la nature spécifique des affaires ayant donné lieu aux arrêts précités Colegio de Oficiales de la Marina Mercante Española, et Anker e.a., a reconnu, dans son mémoire en défense, que la législation française n’est pas compatible avec l’article 39 CE, tel qu’interprété par la Cour dans ces arrêts.
Appréciation de la Cour
10 Il convient de rappeler, à titre liminaire, que l’article 39, paragraphes 1 à 3, CE consacre le principe de la libre circulation des travailleurs et l’abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres. L’article 39, paragraphe 4, CE prévoit toutefois que les dispositions de cet article ne sont pas applicables aux emplois dans l’administration publique.
11 S’agissant de l’article 39, paragraphe 3, CE, la Cour a jugé au point 49 de l’arrêt Colegio de Oficiales de la Marina Mercante Española, précité, et au point 68 de l’arrêt Anker e.a., précité, qu’une exclusion générale de l’accès aux emplois, respectivement, de capitaine et de second de la marine marchande ainsi que de capitaine de navire de pêche ne saurait être justifiée par des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique telles que celles visées à ladite disposition
du traité CE.
12 Il s’ensuit que, en prévoyant d’une manière générale, à son article 3, deuxième alinéa, que, à bord des bateaux battant pavillon français, le capitaine et l’officier chargé de la suppléance de ce dernier doivent obligatoirement être de nationalité française, le code du travail maritime français institue une limitation à la libre circulation des travailleurs qui excède, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence citée au point précédent du présent arrêt, celles prévues à l’article 39, paragraphe
3, CE.
13 En outre, la Cour a également interprété, dans les arrêts précités Colegio de Oficiales de la Marina Mercante Española, et Anker e.a., la dérogation prévue à l’article 39, paragraphe 4, CE au regard de situations dans lesquelles les États membres en cause réservaient à leurs ressortissants respectifs les emplois de capitaine et de second des navires marchands ainsi que de capitaine des navires de pêche battant pavillon de ces États membres.
14 Relevant que l’exercice par le capitaine ou le second de la fonction de représentation de l’État du pavillon était, en pratique, occasionnel dans un cas et occupait une place insignifiante dans l’autre, la Cour a jugé que l’article 39, paragraphe 4, CE devait être interprété en ce sens qu’il n’autorise un État membre à réserver à ses ressortissants les emplois de capitaine et de second des navires battant son pavillon qu’à la condition que les prérogatives de puissance publique attribuées
aux capitaines et aux seconds de ces navires soient effectivement exercées de façon habituelle et ne représentent pas une part très réduite de leurs activités (voir, en ce sens, arrêts précités Colegio de Oficiales de la Marina Mercante Española, point 50, et Anker e.a., point 69).
15 Dans la présente affaire, la République française ne conteste pas que la dérogation prévue à l’article 39, paragraphe 4, CE ne saurait couvrir les emplois de capitaine et d’officier (second de navire) à bord des bateaux battant pavillon français si les personnes concernées n’exercent pas effectivement de façon habituelle des prérogatives de puissance publique qui représentent une part non négligeable de leurs activités.
16 Or, il ne ressort pas du dossier que les capitaines et officiers (seconds de navire) exercent effectivement de façon habituelle à bord de tous les bateaux battant pavillon français, pour une part de leurs activités qui ne soit pas très réduite, des prérogatives de puissance publique.
17 Dans ces conditions, le recours introduit par la Commission doit être considéré comme fondé.
18 Par conséquent, il convient de constater que, en maintenant dans sa législation l’exigence de la nationalité française pour l’accès aux emplois de capitaine et d’officier (second de navire) à bord de tous les bateaux battant pavillon français, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 39 CE.
Sur les dépens
19 Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République française et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) déclare et arrête:
1) En maintenant dans sa législation l’exigence de la nationalité française pour l’accès aux emplois de capitaine et d’officier (second de navire) à bord de tous les bateaux battant pavillon français, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 39 CE.
2) La République française est condamnée aux dépens.
Signatures
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* Langue de procédure: le français.