CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. ANTONIO Tizzano
présentées le 6 avril 2006 (1)
Affaire C-433/04
Commission des Communautés européennes
contre
Royaume de Belgique
«Libre prestation des services – Opérateur non enregistré en Belgique – Obligation de retenue – Garantie de paiement des dettes fiscales – Responsabilité solidaire – Compatibilité»
1. Un État membre qui impose aux commettants et entrepreneurs qui font appel à des opérateurs du secteur de la construction non enregistrés en Belgique l’obligation de retenir 15 % de la somme due à ces derniers, ainsi qu’une responsabilité solidaire pour le paiement des dettes fiscales de leurs cocontractants non enregistrés, viole‑t‑il les articles 49 CE et 50 CE? Voilà ce que la Commission des Communautés européennes a demandé à la Cour de vérifier, en introduisant le 8 octobre 2004 contre le
Royaume de Belgique un recours fondé sur l’article 226 CE.
I – Cadre juridique
Le droit communautaire pertinent
2. Aux fins de la présente affaire, la disposition la plus importante est l’article 49 CE, qui, comme on le sait, garantit la libre prestation des services à l’intérieur de la Communauté. Il prévoit, en particulier, à son premier alinéa, que «les restrictions à la libre prestation des services à l’intérieur de la Communauté sont interdites à l’égard des ressortissants des États membres établis dans un pays de la Communauté autre que celui du destinataire de la prestation».
3. Il y a lieu aussi de faire référence à l’article 50 CE, qui est formulé comme suit:
«Au sens du présent traité, sont considérées comme services les prestations fournies normalement contre rémunération, dans la mesure où elles ne sont pas régies par les dispositions relatives à la libre circulation des marchandises, des capitaux et des personnes.
Les services comprennent notamment:
a) des activités de caractère industriel;
b) des activités de caractère commercial;
c) des activités artisanales;
d) les activités des professions libérales.
Sans préjudice des dispositions du chapitre relatif au droit d’établissement, le prestataire peut, pour l’exécution de sa prestation, exercer, à titre temporaire, son activité dans le pays où la prestation est fournie, dans les mêmes conditions que celles que ce pays impose à ses propres ressortissants.»
4. Nous rappelons enfin que, conformément à l’article 46 CE, auquel renvoie l’article 55 CE, les restrictions à la libre prestation des services peuvent être justifiées «par des raisons d’ordre public, de sécurité publique et de santé publique».
Le droit national
5. En Belgique, la fourniture de services dans le secteur de la construction par des personnes physiques ou morales est, en principe, subordonnée à l’obligation de s’enregistrer en qualité d’«entrepreneur» auprès de l’une des commissions provinciales d’enregistrement compétentes.
6. Un arrêté royal du 26 décembre 1998 (2) définit les catégories de travaux et d’activités soumises à cette obligation (3) (article 1^er), les conditions à remplir pour pouvoir être enregistré (article 2) (4), ainsi que la procédure applicable aux demandes d’enregistrement (articles 4 à 6).
7. Les opérateurs non enregistrés en Belgique ne sont pas exclus de l’accès au marché national, mais sont soumis à un régime fiscal spécifique prévu aux articles 400 à 408 (titre VII) du Code des impôts sur les revenus de 1992 (ci‑après le «CIR 92»).
8. Parmi ces dispositions du CIR 92 figurent, pour ce qui nous concerne, deux mesures visant à garantir le paiement des impôts par les opérateurs non enregistrés.
9. Il s’agit, en premier lieu, de l’article 402 du CIR 92, en vertu duquel:
«1. Le commettant qui […] fait appel à un entrepreneur qui n’est pas enregistré au moment de la conclusion de la convention est solidairement responsable du paiement des dettes fiscales de son cocontractant.
2. L’entrepreneur qui […] fait appel à un sous-traitant qui n’est pas enregistré au moment de la conclusion de la convention est solidairement responsable du paiement des dettes fiscales de son cocontractant.
[…]
5. La responsabilité solidaire est limitée à 35 pour cent du prix total des travaux, non compris la taxe sur la valeur ajoutée, concédés à l’entrepreneur ou au sous-traitant non enregistré.
Elle peut être engagée pour le paiement en principal, accroissements, frais et intérêts, quelle que soit leur date d’établissement:
1° de toutes les dettes en matière d’impôts directs et de taxes assimilées aux impôts sur les revenus relatives aux périodes imposables durant lesquelles les travaux concernés ont été effectués et aux périodes imposables antérieures;
2° de toutes les dettes en matière de précomptes relatives aux périodes durant lesquelles les travaux ont été effectués et aux périodes antérieures;
3° des créances fiscales d’origine étrangère pour lesquelles l’assistance au recouvrement est demandée dans le cadre d’une convention internationale.
[…]»
10. En second lieu, conformément à l’article 403 du CIR 92:
«1. Le commettant qui effectue le paiement de tout ou partie du prix de travaux […] à un entrepreneur qui, au moment du paiement, n’est pas enregistré, est tenu, lors du paiement, de retenir et de verser 15 pour cent du montant dont il est redevable, non compris la taxe sur la valeur ajoutée, au fonctionnaire désigné par le Roi et selon les modalités qu’Il détermine.
2. L’entrepreneur qui effectue le paiement de tout ou partie du prix de travaux […] à un sous-traitant, est tenu, lors du paiement, de retenir et de verser 15 pour cent du montant dont il est redevable, non compris la taxe sur la valeur ajoutée, au fonctionnaire désigné par le Roi et selon les modalités qu’Il détermine.
[…]»
11. L’article 406, paragraphe 1, du CIR 92 dispose:
«Le montant versé en exécution de l’article 403 est affecté en premier lieu à l’apurement des dettes fiscales visées à l’article 402, des amendes et, ensuite, des dettes en matière de taxe sur la valeur ajoutée.»
12. En cas d’absence de paiement des sommes faisant l’objet de l’obligation de retenue, le commettant ou l’entrepreneur peut, en vertu de l’article 404 du CIR 92, se voir infliger une amende administrative égale au double de la retenue.
13. En vertu de l’article 403, paragraphes 7 à 9, du CIR 92, pour obtenir le remboursement des sommes versées aux autorités fiscales, les opérateurs non enregistrés doivent présenter une demande expresse à ces autorités, lesquelles procéderont à la restitution des sommes en question uniquement après avoir vérifié que l’opérateur est en règle en ce qui concerne ses obligations fiscales.
14. Il convient, enfin, de relever que conformément à l’article 407 du CIR 92, les dispositions susmentionnées relatives à la responsabilité solidaire et à l’obligation de retenue ne sont pas applicables au commettant personne physique qui fait exécuter des travaux à des fins strictement privées.
II – Faits et procédure
15. Le 13 février 2001, la Commission a adressé au Royaume de Belgique une lettre de mise en demeure dans laquelle elle déplorait l’incompatibilité de diverses dispositions fiscales et sociales applicables au secteur de la construction avec les règles du traité CE relatives à la libre prestation des services.
16. Cette lettre a été suivie, le 23 octobre 2001, d’un avis motivé.
17. N’étant pas satisfaite des explications et des réponses fournies par le gouvernement belge au sujet des deux dispositions susmentionnées du CIR 92, la Commission a, par un recours formé le 8 octobre 2004, demandé à la Cour de constater que, en obligeant les commettants et entrepreneurs, qui font appel à des cocontractants étrangers non enregistrés en Belgique, à retenir 15 % de la somme due en vertu des travaux effectués, et en imposant aux mêmes commettants et entrepreneurs une responsabilité
solidaire pour des dettes fiscales de leurs cocontractants non enregistrés en Belgique, le Royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 49 CE et 50 CE.
18. Le Royaume de Belgique et la Commission ont présenté des observations écrites devant la Cour.
III – Analyse juridique
a) Introduction
19. Nous devons, tout d’abord, faire observer que les objections soulevées par la Commission ne concernent pas la procédure d’enregistrement en elle‑même mais – et exclusivement – les deux dispositions susmentionnées applicables aux opérateurs non enregistrés, à savoir l’article 402 du CIR 92 en matière de responsabilité solidaire du commettant et l’article 403 du CIR 92 en ce qui concerne la retenue de 15 % du montant facturé.
20. C’est donc à ces dispositions que doit se limiter la réponse de la Cour. Nous n’examinerons donc pas les arguments des autorités belges visant à démontrer la licéité de la procédure d’enregistrement et sur lesquels se focalise, en réalité, une grande partie de leur défense. Le gouvernement défendeur fait, en effet, valoir que, pour éviter l’application des deux mesures litigieuses, il suffit de se faire enregistrer comme entrepreneur en recourant à une procédure spécifique, qui ne serait ni
discriminatoire ni particulièrement lourde (d’autant plus qu’elle est gratuite) pour un opérateur étranger actif dans le secteur de la construction et souhaitant fournir des services en Belgique. Mais, comme nous l’avons dit, c’est précisément le traitement appliqué aux opérateurs non enregistrés qui fait l’objet du présent recours, traitement sur lequel nous concentrerons donc notre analyse.
b) Sur l’existence d’une restriction à la libre prestation des services
21. Cela dit, et passant à l’examen des objections soulevées par la Commission, nous observons que les parties sont, tout d’abord, en désaccord sur la possibilité de qualifier les mesures en question de restrictions à la libre prestation des services au sens de l’article 49 CE.
22. En effet, selon le Royaume de Belgique, il s’agirait de mesures applicables indistinctement aux opérateurs belges et étrangers, qui ont simplement pour objet d’assurer la perception des dettes fiscales, sans avoir aucune incidence sur les conditions d’accès au marché national ou sur les conditions d’exercice d’activités économiques dans le secteur de la construction.
23. On ne pourrait donc pas parler d’entraves à la libre circulation des services, comme le fait, par contre, la Commission, en soutenant que ces dispositions dissuaderaient à la fois les opérateurs étrangers non enregistrés d’offrir leurs services sur le marché belge et les opérateurs nationaux de faire appel aux premiers.
24. Nous disons tout de suite que nous partageons la thèse de la Commission.
25. Nous rappelons, en effet, que, selon une jurisprudence constante, il y a lieu de considérer comme restriction à la libre prestation des services toute mesure nationale qui «même si elle s’applique indistinctement aux prestataires nationaux et à ceux des autres États membres […] est de nature à prohiber, à gêner ou à rendre moins attrayantes les activités du prestataire établi dans un autre État membre, où il fournit légalement des services analogues» (5). Des mesures simplement susceptibles de
«dissuader» un opérateur d’exercer cette liberté relèvent donc aussi de l’interdiction énoncée par le traité (6).
26. La même jurisprudence prévoit, en outre, que, en vertu de l’article 49 CE, un État membre doit non seulement permettre à un opérateur étranger de fournir des services sur son territoire, mais aussi permettre à un opérateur national de recourir aux services offerts par un prestataire étranger (7). En d’autres termes, les restrictions sont interdites tant «à l’entrée» qu’«à la sortie» du territoire national.
27. Or, si l’on applique ces principes au cas de l’espèce et comme la Commission le pense à juste titre, il nous semble indiscutable que les deux mesures nationales en cause sont, à tout le moins, susceptibles de dissuader aussi bien des opérateurs belges que des opérateurs établis dans d’autres États membres d’user de la liberté consacrée par l’article 49 CE.
28. En premier lieu, en effet, du seul fait qu’il recourt à des fournisseurs non enregistrés en Belgique, le destinataire de la prestation de services est considéré, sur le fondement de l’article 402 du CIR 92, comme solidairement responsable du paiement des dettes fiscales éventuelles de son cocontractant. Cette responsabilité a une portée particulièrement étendue étant donné qu’elle s’applique, à concurrence d’un montant équivalent à 35 % des travaux commandés, à «toutes» les dettes fiscales du
fournisseur, y compris à celles relatives aux «périodes imposables antérieures» (article 402, paragraphe 5, du CIR 92). Le bénéficiaire de la prestation de services peut donc être appelé à répondre aussi de dettes nées dans le cadre de relations contractuelles auxquelles il est demeuré totalement étranger, ce qui – cela nous paraît évident – lie au choix d’un opérateur étranger non enregistré en Belgique un risque financier susceptible (à tout le moins!) de rendre ce choix «moins attrayant».
29. En second lieu, la mesure visée à l’article 403 du CIR 92 produit un effet restrictif à l’égard des opérateurs établis dans d’autres États membres. En effet, en application de cette disposition, l’administration fiscale belge retient, pendant une certaine période, 15 % du prix facturé par les entreprises de construction non enregistrées, de telle sorte que, qu’il existe ou non des dettes fiscales à leur charge, elles ne peuvent disposer immédiatement d’une partie non négligeable de leurs
revenus et ne pourront la récupérer qu’au terme d’une procédure administrative spécifique. On pourrait donc difficilement nier qu’un tel «retard de paiement» automatique constitue une «entrave» susceptible d’avoir une incidence directe – et négative – sur la décision d’opérateurs étrangers non enregistrés en Belgique de fournir des services dans ce pays.
30. Du reste, l’effet fortement dissuasif des deux dispositions en cause a été confirmé par la Cour d’arbitrage dans un arrêt cité par le gouvernement défendeur lui‑même où elle fait observer que lesdites mesures visent à ce que «nul n’ait intérêt à recourir aux services d’entrepreneurs non enregistrés» (8).
31. À la lumière des considérations qui précèdent, nous estimons, par conséquent, que les deux mesures fiscales belges constituent, dans le sens que nous avons indiqué, une restriction à la libre prestation des services et sont donc contraires aux articles 49 CE et 50 CE.
c) Sur la prétendue justification des mesures nationales en cause
32. Cela dit, il reste, cependant, à vérifier si l’incompatibilité des dispositions en cause ne pourrait pas disparaître en raison des motifs invoqués par le gouvernement défendeur pour les justifier.
33. En effet, le gouvernement belge fait valoir, à titre subsidiaire, que les deux mesures litigieuses font partie d’un système unique visant à remédier aux graves problèmes de fraude fiscale dont souffre le secteur de la construction. Pour lutter efficacement contre ces phénomènes qui «constitue[nt] une escroquerie à l’égard des pouvoirs publics, fausse[nt] la concurrence et perturbe[nt] le marché de l’emploi» (9), il serait nécessaire d’encourager la fourniture de services par les opérateurs
enregistrés, qui offriraient de meilleures garanties quant au respect de leurs obligations fiscales et sociales (10) et, d’une manière générale, de meilleures garanties de «fiabilité».
34. Donc, même si la Cour devait décider que les dispositions des articles 402 et 403 du CIR 92 constituent une restriction à la libre prestation des services, cette restriction serait, de toute façon, légitime dans la mesure où elle a pour objet de lutter contre la fraude fiscale, c’est‑à‑dire de satisfaire à une exigence qui, selon le gouvernement belge, a été reconnue par la jurisprudence communautaire comme étant de nature à justifier de telles mesures.
35. Pour notre part, et en simplifiant, nous rappelons, tout d’abord, que, en ce qui concerne les exceptions permises aux libertés fondamentales, le droit communautaire fait une distinction claire entre mesures discriminatoires et mesures non discriminatoires. Les premières sont, en fait, permises seulement si elles peuvent relever d’une dérogation expressément prévue par le traité, c’est‑à‑dire, en ce qui concerne la libre prestation des services, par l’article 46 CE, auquel renvoie
l’article 55 CE. Celles, par contre, qui s’appliquent indistinctement aux nationaux et aux ressortissants des autres États membres ne peuvent être admises que si elles sont justifiées par d’éventuelles raisons impérieuses d’intérêt général et, de toute façon, à condition qu’elles soient propres à garantir la réalisation de l’objectif qu’elles poursuivent et n’aillent pas au‑delà de ce qui est nécessaire à cette fin (11).
36. Donc, en l’espèce, on ne peut absolument pas exclure – la Commission ne l’exclut pas non plus, ne serait‑ce qu’à titre d’hypothèse – que la réglementation en question, tout en paraissant indistinctement applicable, soit en réalité discriminatoire. En effet, comme nous l’avons rappelé ci‑dessus, les mesures litigieuses s’appliquent seulement aux opérateurs non enregistrés en Belgique. Mais, s’il en est ainsi, on doit aussi considérer, à la lumière notamment de la jurisprudence traditionnelle de
la Cour (12), qu’un tel critère est en soi susceptible d’entraîner une disparité de traitement entre les opérateurs sur la base du pays où il sont établis ou de leur nationalité. Les opérateurs non enregistrés seront, en effet, (quasi) exclusivement des opérateurs étrangers, et en particulier ceux qui souhaitent fournir leurs services en Belgique seulement à titre occasionnel, tandis que les opérateurs nationaux seront (quasiment) toujours enregistrés comme entrepreneurs, puisqu’ils doivent
satisfaire à cette obligation précisément pour pouvoir exercer leur activité en Belgique.
37. Il en résulte, dans cette optique, que les mesures en question ne pourraient être admises que si elles étaient justifiées par une des dérogations expressément prévues à l’article 46 CE, c’est‑à‑dire par des motifs d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique. De plus, s’agissant précisément de dérogations à un principe fondamental du traité, elles doivent être interprétées de manière restrictive, et en effet la Cour a subordonné la possibilité d’invoquer la protection de l’ordre
public et de la sécurité publique à l’existence d’une «menace réelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société» (13).
38. Or il nous semble que le simple risque, évoqué par le gouvernement belge, que des opérateurs non enregistrés en Belgique ne satisfassent pas à leurs obligations fiscales ne peut constituer une «menace» d’une telle nature affectant un «intérêt fondamental de la société» et, par conséquent, rentrer dans le champ d’application de l’article 55 CE.
39. Cependant, même si l’on voulait considérer que les mesures en cause ne présentent pas un caractère discriminatoire, le résultat ne serait pas différent. La raison en est qu’il ne serait, de toute façon, pas satisfait aux conditions cumulativement imposées par la jurisprudence communautaire pour les cas de restrictions indistinctement applicables, c’est‑à‑dire l’existence de raisons impérieuses d’ordre public ainsi que la nécessité et la proportionnalité des restrictions en cause (voir point 35
ci‑dessus).
40. Si, en effet, il est vrai que, comme le gouvernement belge le fait observer, la lutte contre l’évasion fiscale et l’efficacité des contrôles fiscaux constituent des raisons impérieuses susceptibles de justifier des restrictions à l’exercice des libertés fondamentales (14), la Cour a aussi eu l’occasion de préciser à plusieurs reprises que de tels motifs ne peuvent être invoqués pour justifier des mesures fondées sur «une présomption générale d’évasion ou de fraude fiscales» de la part de
contribuables qui ont exercé leur droit de circulation (15). Il s’agit, en réalité, de mesures qui s’appliquent à ces contribuables de manière générale, automatique et préventive; en tant que telles, elles excèdent ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs poursuivis et doivent donc être considérées comme non proportionnées (16).
41. Or les deux dispositions dont il s’agit se basent précisément sur un tel présupposé, puisqu’elles présument, toujours et de toute façon, l’«intention frauduleuse» de l’entrepreneur de construction non enregistré en Belgique, indépendamment, comme on l’a vu, de l’existence de dettes fiscales à sa charge ou d’autres risques d’évasion fiscale (voir points 28 et 29 ci‑dessus).
42. Le caractère disproportionné des dispositions nationales est encore aggravé, à notre avis, par l’application cumulative des deux mesures, dont il résulte que le destinataire de la prestation de services est, dans tous les cas, solidairement responsable des dettes fiscales de son cocontractant, même si, en application de l’obligation de retenue, des sommes importantes ont déjà été immobilisées en garantie des dettes susdites – qui, nous le rappelons, sont uniquement éventuelles.
43. Nous ajoutons que l’objectif poursuivi, c’est‑à‑dire la lutte contre la fraude fiscale, pourrait être atteint, dans ce cas, par des mesures moins lourdes et moins restrictives de la libre prestation des services. Par exemple, on pourrait demander aux opérateurs non enregistrés de fournir à l’administration fiscale certaines informations concernant leur situation fiscale, et en particulier l’existence d’éventuelles dettes à l’égard du fisc belge. Ce type de déclaration, d’une part, offrirait
des garanties, en termes d’information, très semblables à celles fournies par les entreprises enregistrées et, d’autre part, permettrait aux autorités belges d’effectuer leurs contrôles, durant l’exécution des travaux, et d’adopter éventuellement les mesures nécessaires, au cas par cas et uniquement en présence de risques manifestes et prouvés d’évasion, cela sans porter indûment atteinte à la libre prestation des services et sans pénaliser indistinctement l’ensemble des opérateurs non
enregistrés (17).
44. Du reste, de tels systèmes sont déjà utilisés par certains États membres. À titre d’exemple, en effet, la Commission mentionne une réglementation allemande en vertu de laquelle le destinataire d’une prestation de services dans le secteur de la construction n’est considéré comme solidairement responsable des dettes fiscales du cocontractant national ou étranger que si ce dernier ne présente pas un certificat délivré par les autorités fiscales attestant qu’il a régulièrement satisfait à ses
obligations fiscales.
45. Il nous semble, en définitive, pouvoir déduire des considérations exposées ci‑dessus que les dispositions nationales en cause ne sont justifiées ni sur le fondement de l’article 55 CE, ni sur la base des raisons impérieuses invoquées par le gouvernement belge. Elles doivent, par conséquent, être considérées comme contraires aux articles 49 CE et 50 CE.
46. Nous proposons donc de déclarer le recours de la Commission fondé et, en conséquence, de l’accueillir.
IV – Sur les dépens
47. En vertu de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il a été conclu en ce sens. Puisque la Commission a conclu en ce sens, le Royaume de Belgique, succombant en ses moyens, doit être condamné aux dépens.
V – Conclusions
48. À la lumière des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de déclarer:
«1) Le Royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 49 CE et 50 CE, en obligeant les commettants et les entreprises qui choisissent comme cocontractants des opérateurs non enregistrés en Belgique à retenir 15 % du montant dû pour les travaux effectués ainsi qu’en imposant à ces mêmes personnes une responsabilité solidaire pour les dettes fiscales de leurs cocontractants non enregistrés en Belgique.
2) Le Royaume de Belgique est condamné aux dépens.»
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1 – Langue originale: l’italien.
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2 – Arrêté royal portant exécution des articles 400, 401, 403, 404 et 406 du Code des impôts sur les revenus 1992 et de l’article 30bis de la loi du 27 juin 1969 révisant l’arrêté‑loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs (Moniteur belge du 31 décembre 1998).
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3 – Par exemple, la construction, la démolition, la transformation, l’installation de systèmes de chauffage, l’installation d’équipements sanitaires et les revêtements de surface.
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4 – Parmi ces conditions, figurent, par exemple, les conditions suivantes: être inscrit au registre des entreprises ou au registre professionnel conformément aux exigences fixées par l’État d’établissement; posséder un numéro d’identification TVA en Belgique; ne pas être en état de faillite ou être l’objet d’une interdiction d’exercer une activité commerciale; ne pas avoir commis d’infractions dans le domaine des obligations fiscales, sociales ou salariales; ne pas avoir de dettes de nature fiscale,
sociale ou salariale; disposer de moyens financiers, administratifs et techniques suffisants pour garantir le respect des obligations fiscales, sociales et salariales.
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5 – Arrêts du 25 juillet 1991, Säger (C-76/90, Rec. p. I-4221, point 12); du 23 novembre 1999, Arblade e.a. (C‑369/96 et C‑376/96, Rec. p. I-8453, point 33); du 3 octobre 2000, Corsten (C‑58/98, Rec. p. I-7919, point 33); du 20 février 2001, Analir e.a. (C‑205/99, Rec. p. I-1271, point 21); du 29 novembre 2001, De Coster (C‑17/00, Rec. p. I-9445, point 29); du 13 février 2003, Commission/Italie (C‑131/01, Rec. p. I-1659, point 26), et du 26 janvier 2006, Commission/Espagne (C‑514/03, Rec. p. I‑963,
point 24).
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6 – Voir, par exemple, arrêts De Coster, précité, point 33; du 11 décembre 2003, AMOK (C‑289/02, Rec. p. I-15059, point 36), et du 18 mars 2004, Leichtle, (C‑8/02, Rec. p. I-2641, point 32).
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7 – Voir, notamment, arrêts Säger, précité, point 14; du 29 avril 1999, Ciola (C‑224/97, Rec. p. I-2517, point 11); du 26 octobre 1999, Eurowings Luftverkehr (C‑294/97, Rec. p. I-7447), et du 6 novembre 2003, Gambelli e.a. (C‑243/01, Rec. p. I-13031, point 55).
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8 – Arrêt n° 188/2002 du 19 décembre 2002 (Moniteur belge du 18 mars 2003).
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9 – Mémoire en défense, point 14, où le gouvernement belge se réfère aux travaux parlementaires relatifs à l’une des lois qui contiennent les mesures litigieuses.
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10 – Parmi les conditions fixées pour l’enregistrement par l’article 2 de l’arrêté royal du 26 décembre 1998 figurent celle de «ne pas avoir commis des infractions […] dans le domaine des obligations fiscales, sociales ou salariales» et de «ne pas être redevable d’arriérés de salaires, d’impôts […] ou de cotisations à percevoir par un organisme de sécurité sociale».
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11 – Voir notamment, arrêts Säger, précité, point 15; du 31 mars 1993, Kraus (C‑19/92, Rec. p. I‑1663, point 32); du 30 novembre 1995, Gebhard (C‑55/94, Rec. p. I‑4165, point 37); Arblade e.a, précité, points 34 et 35; Corsten, précité, points 38 et 39; Gambelli e.a., précité, point 65, et Commission/Espagne, précité, point 26.
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12 – Selon une jurisprudence constante, constituent en fait une violation des articles 49 CE et 50 CE «non seulement les discriminations ouvertes fondées sur la nationalité du prestataire mais encore toutes formes dissimulées de discrimination qui, bien que fondées sur des critères en apparence neutres, aboutissent en fait au même résultat» (arrêt du 3 février 1982, Seco et Desquenne & Giral, 62/81 et 63/81, Rec. p. 223, point 8; souligné par nous). Pour des exemples de ce type de discrimination,
voir arrêts du 5 décembre 1989, Commission/Italie (C‑3/88, Rec. p. I-4035, point 8); du 27 mars 1990, Rush Portuguesa (C‑113/89, Rec. p. I-1417, point 12), et du 3 juin 1992, Commission/Italie (C‑360/89, Rec. p. I-3401, point 12).
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13 – Voir, notamment, arrêts du 27 octobre 1977, Bouchereau (30/77, Rec. p. 1999, point 35); du 19 janvier 1999, Calfa (C‑348/96, Rec. p. I-11, points 21 et 23), et du 26 novembre 2002 Oteiza Olazabal (C‑100/01, Rec. p. I-10981, point 39).
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14 – Voir, par exemple, arrêts du 15 mai 1997, Futura Participations (C‑250/95, Rec. p. I-2471, point 31); du 26 septembre 2000, Commission/Belgique (C‑478/98, Rec. p. I-7587, point 45); du 21 novembre 2002, X et Y (C‑436/00, Rec. p. I‑10829, point 51); du 4 mars 2004, Commission/France (C‑334/02, Rec. p. I‑2229, point 27); et du 13 décembre 2005, Marks & Spencer (C‑446/03, Rec. p. I‑10837, point 49).
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15 – Arrêts Commission/Belgique, précité, point 45; X et Y, précité, point 62; Commission/France, précité, point 27; et du 11 mars 2004, De Lasteyrie du Saillant (C‑9/02, Rec. p. I-2409, points 51 et 52). Souligné par nous.
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16 – Ibidem.
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17 – À cet égard, nous faisons observer que ce type d’obligation d’information a été considéré par la Cour comme une solution valable et efficace pour remplacer des mesures plus restrictives (par exemple, les autorisations administratives) appliquées par certains États membres en cas de détachement de travailleurs de sociétés étrangères dans le cadre d’une prestation de services. Voir arrêts du 21 octobre 2004, Commission/Luxembourg (C‑445/03, Rec. p. I-10191, point 46), et du 19 janvier 2006,
Commission/Allemagne (C-244/04, Rec. p. I‑885, point 41).