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07/12/2004 | CJUE | N°T-251/00

CJUE | CJUE, Ordonnance du Tribunal de première instance, Lagardère SCA et Canal+ SA contre Commission des Communautés européennes., 07/12/2004, T-251/00


Affaire T-251/00 DEP

Lagardère SCA et Canal+ SA
contre

...

Affaire T-251/00 DEP

Lagardère SCA et Canal+ SA
contre
Commission des Communautés européennes

« Taxation des dépens »

Ordonnance du Tribunal (troisième chambre élargie) du 7 décembre 2004

Sommaire de l'ordonnance

1.
Procédure – Dépens – Taxation – Dépens récupérables – Notion – Frais exposés par les parties dans la phase préalable à l’introduction du recours – Exclusion
[Règlement de procédure du Tribunal, art. 91, b)]

2.
Procédure – Dépens – Taxation – Éléments à prendre en considération
[Règlement de procédure du Tribunal, art. 91, b)]

3.
Procédure – Dépens – Taxation – Éléments à prendre en considération – Analyse d’une question de droit nouvelle et importante
[Règlement de procédure du Tribunal, art. 91 b)]

4.
Procédure – Dépens – Taxation – Éléments à prendre en considération – Questions déjà soulevées au cours de la procédure administrative – Collaboration entre les parties requérantes

5.
Procédure – Dépens – Taxation – Dépens récupérables – Frais indispensables exposés par les parties – Frais d’acheminement d’actes de procédure – Conditions
[Règlement de procédure du Tribunal, art. 43, § 6, 91, b), et 102, § 2]

1.
Il découle de l’article 91, sous b), du règlement de procédure du Tribunal que les dépens récupérables sont limités à ceux qui, d’une part, ont été exposés aux fins de la procédure devant le Tribunal et, d’autre part, ont été indispensables à ces fins.

À cet égard, doivent être considérés comme dépens irrécupérables les frais imputés par les parties requérantes pour des échanges avec les services de la Commission à la suite de l’adoption de la décision attaquée dans l’affaire au principal et avant l’introduction du recours. En effet, par « procédure », l’article 91 du règlement de procédure ne vise que la procédure devant le Tribunal, à l’exclusion de la phase précédant celle-ci, indépendamment du fait qu’une réunion avec les services de
la Commission a pu avoir pour objet d’éviter une procédure devant le Tribunal.

(cf. points 21-22)

2.
Le juge communautaire n’est pas habilité à taxer les honoraires dus par les parties à leurs propres avocats, mais à déterminer le montant à concurrence duquel ces rémunérations peuvent être récupérées contre la partie condamnée aux dépens. En statuant sur la demande de taxation des dépens, le Tribunal n’a pas à prendre en considération un tarif national fixant les honoraires des avocats ni un éventuel accord conclu à cet égard entre la partie intéressée et ses agents ou conseils.

À défaut de dispositions communautaires de nature tarifaire, le juge communautaire doit apprécier librement les données de la cause, en tenant compte de l’objet et de la nature du litige, de son importance sous l’angle du droit communautaire ainsi que des difficultés de la cause, de l’ampleur du travail que la procédure contentieuse a pu requérir de la part des agents ou des conseils intervenus, ainsi que des intérêts économiques que le litige a représentés pour les parties.

(cf. points 23-24)

3.
S’agissant de l’objet et de la nature du litige dans l’affaire au principal ainsi que de son importance sous l’angle du droit communautaire, l’analyse d’une question de droit nouvelle et importante, qui n’a pas été évoquée au cours de la procédure administrative devant la Commission et qui est liée à une matière au sujet de laquelle la Commission a développé et publié sa nouvelle politique au cours de la procédure dans l’affaire au principal, peut justifier l’intervention d’avocats hautement
spécialisés nécessitant un nombre important d’heures de travail à des taux horaires très élevés et le fait que les parties requérantes soient représentées par plusieurs avocats.

(cf. point 26)

4.
S’agissant de l’ampleur du travail effectué dans le cadre de l’affaire au principal, le juge communautaire peut tenir compte du fait que certains moyens invoqués par les parties requérantes avaient déjà fait l’objet d’un échange de vues au cours de la procédure administrative devant la Commission et que les avocats de ces parties avaient donc nécessairement une connaissance approfondie des questions soulevées du fait de leur participation à cette autre procédure.

Par ailleurs, le juge communautaire peut tenir compte de ce que les parties requérantes ont collaboré pour la préparation du recours et des autres mémoires en introduisant ceux-ci conjointement et non par des actes séparés, même si chacune des parties requérantes a été représentée par des avocats différents et si aucun accord formel de répartition des tâches n’a été conclu, et considérer ainsi que l’introduction conjointe du recours a dû réduire le temps consacré, notamment, à la préparation
et à la rédaction des mémoires par les avocats de chacune des parties requérantes. Le juge communautaire peut toutefois également tenir compte de ce que, en collaborant ainsi, les parties requérantes ont sensiblement réduit les coûts, en termes de travail, de la partie adverse et également du juge communautaire.

(cf. points 29-30)

5.
Le Tribunal, dans son appréciation du caractère indispensable des frais d’acheminement des mémoires et autres documents au Tribunal, tient compte du fait, premièrement, qu’il existe des moyens sûrs et peu onéreux de transmission desdits documents, deuxièmement, qu’un délai de distance à été prévu, afin de permettre un acheminement par des voies conventionnelles et peu onéreuses, à l’article 102, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal et, enfin, que l’article 43, paragraphe 6, du
règlement de procédure prévoit la possibilité d’une transmission des mémoires par des moyens de communication modernes, notamment par télécopie, à condition que l’original signé des actes soit déposé au plus tard dix jours après.

(cf. point 34)

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (troisième chambre élargie)
7 décembre 2004(1)

« Taxation des dépens »

Dans l'affaire T-251/00 DEP,

Lagardère SCA, établie à Paris (France), représentée par M^e A. Winckler, avocat,Canal+ SA, établie à Paris, représentée par M^e J.-P. de La Laurencie, avocat, ayant élu domicile à Luxembourg,

parties requérantes,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée initialement par MM. F. Lelievre et W. Wils puis par M. É. Gippini Fournier, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet des requêtes en taxation des dépens à la suite de l'arrêt du Tribunal du 20 novembre 2002, Lagardère et Canal+/Commission (T-251/00, Rec. p. II-4825),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre élargie),

composé de M. M. Jaeger, président, M^me V. Tiili, M. J. Azizi, M^me E. Cremona et M. O. Czúcz, juges,

greffier : M. H. Jung,

rend la présente

Ordonnance

Faits, procédure et conclusions des parties

1
Par arrêt du 20 novembre 2002, Lagardère et Canal+/Commission (T‑251/00, Rec. p. II-4825, ci-après l’« affaire au principal »), le Tribunal a annulé la décision de la Commission du 10 juillet 2000, portant modification de la décision de la Commission du 22 juin 2000, déclarant des opérations de concentration compatibles avec le marché commun et le fonctionnement de l’accord sur l’Espace économique européen (affaires COMP/JV40 – Canal+/Lagardère et COMP/JV47 – Canal+/Lagardère/Liberty Media),
et a condamné la Commission aux dépens.

2
Par lettre du 6 janvier 2003, Lagardère a demandé à la Commission de lui verser la somme de 179 160,44 euros au titre de ses dépens dans l’affaire au principal. Le 16 janvier 2003, la Commission a invité Lagardère à justifier sa demande. Par courrier du 12 février 2003, Lagardère a fourni un relevé plus précis des dépens engagés tout en maintenant sa demande dans son intégralité. Le 10 mars 2003, la Commission a refusé le remboursement des dépens demandés et a proposé à Lagardère de lui
verser la somme de 20 000 euros.

3
Par lettre du 5 mars 2003, Canal+ a demandé à la Commission de lui verser la somme de 225 863,24 euros au titre de ses dépens dans l’affaire au principal. Le 12 mars 2003, la Commission a invité Canal+ à justifier sa demande. Par courrier du 4 juin 2003, Canal+ a fourni un relevé plus précis des dépens engagés tout en maintenant sa demande dans son intégralité. Le 17 juin 2003, la Commission a refusé le remboursement des dépens demandés et a proposé à Canal+ de lui verser la somme de 20 000
euros. Le 29 octobre 2003, Canal+ a réitéré sa demande du 5 mars 2003 auprès de la Commission.

4
Par requêtes déposées au greffe du Tribunal respectivement les 2 juillet 2003 et 20 avril 2004, Lagardère et Canal+ ont formé des demandes de taxation des dépens en application de l’article 92, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal.

5
Lagardère conclut à ce qu’il plaise au Tribunal de fixer à 179 160,44 euros le montant des dépens à lui rembourser par la Commission.

6
Canal+ conclut à ce qu’il plaise au Tribunal de fixer à 228 463,24 euros le montant des dépens à lui rembourser par la Commission.

7
Par mémoires déposés au greffe du Tribunal les 18 août 2003 et 23 juillet 2004, la Commission a présenté ses observations sur les demandes respectives de Lagardère et de Canal+. La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal de fixer les dépens récupérables pour les deux parties requérantes à 43 250 euros à répartir entre ces deux parties.

Arguments des parties

Arguments de Lagardère

8
Dans ses lettres des 6 janvier et 12 février 2003, auxquelles Lagardère se réfère dans sa demande de taxation des dépens, Lagardère a demandé à la Commission le remboursement des dépens détaillés comme suit :


au titre des honoraires des avocats, 407,5 heures de travail, dont 72,75 heures pour un avocat associé à un taux horaire variant de 550 dollars des États-Unis (USD) à 765 USD, 246 heures pour un avocat confirmé à un taux horaire variant de 360 à 480 USD et 88,75 heures pour des avocats stagiaires à un taux horaire variant de 120 à 190 USD, soit, au total, des honoraires d’avocats d’environ 167 000 euros détaillés dans quatre notes d’honoraires portant, en substance, sur des
frais relatifs, premièrement, à une réunion avec les services de la Commission le 27 juillet 2000 ainsi qu’à la préparation et à la rédaction de la requête dans l’affaire au principal, deuxièmement, à la rédaction d’observations sur l’exception d’irrecevabilité, troisièmement, à la préparation et à la rédaction du mémoire en réplique ainsi qu’à l’analyse des mémoires en défense et en duplique et, quatrièmement, à la préparation d’observations sur les mesures d’organisation de la
procédure du Tribunal et à l’audience ;


au titre de frais de télécommunication (téléphone et télécopie), environ 1 819 euros ;


au titre de frais de production de documents (copies et reliures, heures supplémentaires de secrétariat), environ 4 254 euros ;


au titre de frais de courrier (courriers exprès, timbres, courriers « mains propres »), environ 360 euros ;


au titre de frais de taxis pour dépôt de pièces de procédure au Tribunal et de déplacement, environ 3 985 euros.

9
Selon Lagardère, le temps qui a été consacré par les avocats au litige n’a pas été excessif, compte tenu de l’objet et de la nature du litige, de son importance sous l’angle du droit communautaire et des intérêts économiques que le litige a représentés pour les parties. Lagardère fait valoir que l’affaire au principal a soulevé des questions juridiques complexes et nouvelles et a donc nécessité un travail de recherche et d’interprétation très substantiel. Elle souligne que, notamment en
raison de l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission, l’affaire a nécessité la production d’un nombre important de mémoires. En outre, elle fait valoir que, dans un souci d’économie de procédure et afin de diminuer le temps de travail consacré à l’affaire, le recours ayant été introduit par trois parties requérantes, dont une s’est désistée après la fin de la procédure écrite, la rédaction des mémoires a exigé un travail de coordination entre les avocats des trois parties
requérantes. Lagardère souligne que les avocats des parties requérantes ont collaboré pour la préparation du recours et des autres mémoires, qu’ils ont introduits conjointement et non pas par des actes séparés, mais qu’aucun accord formel de répartition des tâches n’ait été conclu entre ces avocats.

10
Selon Lagardère, l’affaire a affecté ses intérêts économiques en ce que, comme le Tribunal l’a constaté au point 111 de l’arrêt rendu dans l’affaire au principal, la décision attaquée créait une incertitude juridique dans son chef quant à la validité de certaines clauses contractuelles. Au vu de ce qui précède, Lagardère estime que, conformément à la jurisprudence du Tribunal, le nombre d’heures des avocats impliqués et le taux horaire de leurs honoraires sont appropriés. La référence au
taux horaire moyen d’honoraires d’avocats impliqués dans d’autres affaires serait sans pertinence, le montant des dépens devant être fixé cas par cas.

11
Quant aux « frais de taxis » en cause, Lagardère soutient qu’ils comprennent essentiellement les frais de porteur afférents au dépôt de pièces de procédure au greffe du Tribunal. En outre, en ce qui concerne les dépens afférents à la réunion du 27 juillet 2000, Lagardère soutient que cette réunion avait pour objet d’obtenir le retrait de la décision du 10 juillet 2000 et d’éviter ainsi un recours devant le Tribunal.

Arguments de Canal+

12
Dans ses lettres des 5 mars et 4 juin 2003, auxquelles Canal+ se réfère dans sa demande de taxation des dépens, Canal+ a demandé à la Commission le remboursement des dépens détaillés comme suit :


au titre des honoraires des avocats, 594 heures de travail à un taux horaire variant de 414 à 572 USD pour des avocats associés et confirmés et de 120 à 150 USD pour des avocats stagiaires, soit, au total, des honoraires d’avocats de 216 662 euros, détaillés dans six notes d’honoraires portant, en substance, premièrement, sur des échanges avec les services de la Commission à la suite de l’adoption de la décision attaquée dans l’affaire au principal et sur la préparation et la
rédaction de la requête dans l’affaire au principal, deuxièmement, sur la rédaction d’observations sur l’exception d’irrecevabilité, troisièmement, sur la rédaction du mémoire en réplique, quatrièmement, sur la rédaction d’observations sur le mémoire en duplique, cinquièmement, sur la rédaction d’observations sur les mesures d’organisation de la procédure du Tribunal et, sixièmement, sur l’audience ;


au titre d’autres frais divers (frais de déplacement, de courriers, de copies, de téléphone et de télécopies), 9 201 euros ;


au titre de frais exposés pour la préparation et la présentation de la demande de taxation des dépens faisant l’objet de la présente procédure, 2 600 euros.

13
En ce qui concerne les frais exposés au titre des échanges avec les services de la Commission à la suite de l’adoption de la décision attaquée dans l’affaire au principal, Canal+ estime qu’il s’agit de frais directement liés à la procédure. En effet, Canal+ souligne que, après l’adoption de la décision attaquée dans l’affaire au principal, il était nécessaire de déterminer quel comportement elle devait adopter eu égard à l’incertitude créée par cette décision et d’examiner l’opportunité d’un
recours contre celle-ci.

14
Selon Canal+, tous les autres frais ont été indispensables aux fins de la procédure devant le Tribunal. Le montant des honoraires d’avocats est, selon Canal+, justifié par la complexité de l’affaire qui a soulevé des questions de droit n’ayant pas encore été examinées par le juge communautaire. En outre, Canal+ fait valoir qu’elle a dû présenter un nombre inhabituel de mémoires, en partie en raison de l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission. Cette complexité de l’affaire
aurait également nécessité l’intervention de plusieurs avocats et la prestation par ceux-ci d’un grand nombre d’heures. Le taux des honoraires correspondrait par ailleurs aux taux habituellement pratiqués par des avocats spécialisés. Canal+ souligne également que le litige dans l’affaire au principal non seulement représentait pour elle un intérêt économique important, mais posait également des questions très importantes sous l’angle du droit communautaire.

15
Enfin, Canal+ considère que, compte tenu de ce que le Tribunal, en fixant les dépens récupérables, tient compte de toutes les circonstances de l’affaire jusqu’au moment où il statue et qu’il ne statue pas séparément sur les frais exposés par les parties aux fins de la procédure de taxation des dépens, il convient d’inclure les frais spécifiquement exposés pour cette phase de la procédure dans la présente demande, à savoir 2 600 euros.

Arguments de la Commission

16
La Commission estime que l’affaire au principal ne présentait un degré de complexité relatif qu’en ce qui concernait des questions de droit relatives à la recevabilité du recours. En revanche, contrairement aux affaires de concurrence habituellement portées devant le Tribunal, l’affaire au principal n’aurait comporté aucune complexité d’ordre factuel. Dès lors, selon la Commission, la rédaction des mémoires devait exiger entre un tiers et la moitié du travail habituellement requis pour une
affaire de concurrence. Par conséquent, la Commission estime que le nombre d’heures de travail réclamé par les deux parties requérantes est manifestement excessif. La Commission conteste que l’exception d’irrecevabilité ait été de nature à augmenter le temps de travail des avocats des parties requérantes par rapport à celui requis en tout état de cause pour la rédaction de la requête et de la réplique dans l’affaire au principal.

17
Ensuite, la Commission estime que l’affaire ne saurait avoir nécessité l’intervention de sept avocats associés et de quatre collaborateurs dans les différents cabinets d’avocats impliqués. En outre, la Commission estime que certaines des heures de travail imputées ne peuvent manifestement pas être considérées comme indispensables aux fins de la procédure devant le Tribunal. En ce que les parties requérantes font valoir que l’affaire a nécessité la coordination de tous leurs avocats dans
l’affaire au principal, la Commission considère que les fruits de cette coordination ne se reflètent aucunement dans le montant des dépens dont la taxation est demandée.

18
La Commission estime que les taux horaires des avocats des parties requérantes sont nettement plus élevés que ceux qui sont habituellement pratiqués par des avocats spécialisés. Elle considère que, même si la jurisprudence ne reconnaît pas l’existence d’honoraires de référence et qu’il est dès lors nécessaire d’apprécier cas par cas le caractère raisonnable des frais engagés, il serait utile de mentionner des précédents et de faire quelques comparaisons de nature à limiter le risque
d’arbitraire et le manque d’équité. Elle se réfère, à cet égard, à l’ordonnance du 10 janvier 2002, Starway/Conseil (T-80/97 DEP, Rec. p. II-1, point 36), dans laquelle le Tribunal a retenu un taux horaire de 285,05 euros pour le calcul des dépens récupérables.

19
La Commission estime que les frais afférents à la réunion du 27 juillet 2000 étaient relatifs à la phase précontentieuse. En outre, les frais divers présentés par Lagardère seraient exagérés. Notamment, des copies de documents ne peuvent raisonnablement être facturées à 0,16 euro la page lorsque, dans le commerce, de tels services coûtent moins de 0,02 euro la page. De même, en ce qui concerne les « frais de taxi », la Commission conteste qu’il soit indispensable aux fins de la procédure
devant le Tribunal, au sens de l’article 91, sous b), du règlement de procédure, de demander régulièrement à un taxi de porter des pièces de procédure au Tribunal.

20
Enfin, la Commission conteste que l’affaire ait représenté un intérêt économique particulier pour Lagardère ou ait été d’une importance fondamentale pour le droit communautaire.

Appréciation du Tribunal

21
Aux termes de l’article 91, sous b), du règlement de procédure, sont considérés comme dépens récupérables « les frais indispensables exposés par les parties aux fins de la procédure, notamment les frais de déplacement et de séjour et la rémunération d’un agent, d’un conseil ou d’un avocat ». Il découle de cette disposition que les dépens récupérables sont limités à ceux qui, d’une part, ont été exposés aux fins de la procédure devant le Tribunal et, d’autre part, ont été indispensables à ces
fins.

22
Tout d’abord, doivent être considérés comme dépens irrécupérables les frais imputés par les parties requérantes pour des échanges avec les services de la Commission à la suite de l’adoption de la décision attaquée dans l’affaire au principal et avant l’introduction du recours. En effet, il convient de rappeler que, par « procédure », l’article 91 du règlement de procédure ne vise que la procédure devant le Tribunal, à l’exclusion de la phase précédant celle-ci (voir ordonnance
Starway/Conseil, point 18 supra, point 25, et la jurisprudence y citée), indépendamment du fait que la réunion en cause en l’espèce a pu, comme le fait valoir Lagardère, avoir pour objet d’éviter une procédure devant le Tribunal.

23
S’agissant des dépens relatifs à la procédure devant le Tribunal, il est de jurisprudence constante que, à défaut de dispositions communautaires de nature tarifaire, le Tribunal doit apprécier librement les données de la cause, en tenant compte de l’objet et de la nature du litige, de son importance sous l’angle du droit communautaire ainsi que des difficultés de la cause, de l’ampleur du travail que la procédure contentieuse a pu requérir de la part des agents ou des conseils intervenus,
ainsi que des intérêts économiques que le litige a représentés pour les parties (voir ordonnance Starway/Conseil, point 18 supra, point 27, et la jurisprudence y citée).

24
En particulier, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le juge communautaire n’est pas habilité à taxer les honoraires dus par les parties à leurs propres avocats, mais à déterminer le montant à concurrence duquel ces rémunérations peuvent être récupérées contre la partie condamnée aux dépens. En statuant sur la demande de taxation des dépens, le Tribunal n’a pas à prendre en considération un tarif national fixant les honoraires des avocats ni un éventuel accord
conclu à cet égard entre la partie intéressée et ses agents ou conseils (voir ordonnances du Tribunal du 24 janvier 2002, Groupe Origny/Commission, T‑38/95 DEP, Rec. p. II-217, point 32, et Starway/Conseil, point 18 supra, point 26, et la jurisprudence y citée).

25
C’est en fonction de ces critères qu’il convient de fixer le montant des dépens récupérables en l’espèce. À cet égard, il y a lieu de tenir compte des éléments d’appréciation qui suivent.

26
Tout d’abord, en ce qui concerne l’objet et la nature du litige ainsi que son importance sous l’angle du droit communautaire, il apparaît que l’affaire a soulevé une question de droit nouvelle et importante. En effet, la Commission ayant soulevé une exception d’irrecevabilité tirée, en substance, de ce que la décision attaquée dans l’affaire au principal ne constituait pas un acte faisant grief, il y avait lieu d’analyser l’étendue des obligations de la Commission dans l’appréciation des
restrictions accessoires notifiées dans le cadre d’une concentration au titre du règlement (CEE) n° 4064/89 du Conseil, du 21 décembre 1989, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises (JO L 395, p. 1). Cette question n’avait pas été évoquée au cours de la procédure administrative devant la Commission. Qui plus est, ce n’est qu’au cours de la procédure dans l’affaire au principal que la Commission a développé et publié sa nouvelle politique concernant le traitement
des restrictions accessoires dans le cadre des procédures de concentration. L’analyse de cette question, notamment dans le cadre des observations des parties sur l’exception d’irrecevabilité, a ainsi justifié l’intervention d’avocats hautement spécialisés nécessitant un nombre important d’heures de travail à des taux horaires très élevés et le fait que les parties requérantes soient représentées par plusieurs avocats (voir, en ce sens, ordonnance Starway/Conseil, point 18 supra, point 31, et
la jurisprudence y citée).

27
De même, la préparation des mémoires dans l’affaire au principal a, en ce qui concerne cette question, certainement pu nécessiter des travaux importants de recherche et engendré d’autres frais, tels que la reproduction de documents.

28
Toutefois, notamment en ce qui concerne les honoraires pour la rédaction des mémoires autres que lesdites observations sur l’exception d’irrecevabilité, il convient de tenir compte de ce que, à l’exception de cette question juridique spécifique, l’affaire ne présentait pas un degré de complexité particulier, ni du point de vue juridique ni du point de vue factuel. De même, le dossier dans l’affaire au principal n’a pas été excessivement volumineux.

29
En outre, il y a lieu de relever que certains moyens invoqués par les parties requérantes dans l’affaire au principal avaient déjà fait l’objet d’un échange de vues au cours de la procédure administrative devant la Commission et que les avocats de ces parties avaient donc nécessairement une connaissance approfondie des questions soulevées du fait de leur participation à cette autre procédure.

30
Par ailleurs, il convient de tenir compte de ce que les parties requérantes ont collaboré pour la préparation du recours et des autres mémoires, qu’ils ont introduits conjointement et non par des actes séparés, même si chacune des parties requérantes a été représentée par des avocats différents et si aucun accord formel de répartition des tâches ne semble avoir été conclu entre ceux-ci. Dans une telle situation, même en tenant compte de ce que, comme le souligne Lagardère, chaque partie doit
porter sa propre appréciation sur l’ensemble des éléments relevés au cours de la procédure devant le Tribunal et les avocats des différentes parties doivent coordonner leur travail, il n’en reste pas moins que, dans une certaine mesure, l’introduction conjointe du recours a dû réduire le temps consacré, notamment, à la préparation et à la rédaction des mémoires par les avocats de chacune des parties requérantes dans l’affaire au principal. Le Tribunal tient toutefois également compte de ce
que, en introduisant le recours et en produisant les autres mémoires conjointement et non par actes séparés, les parties requérantes dans l’affaire au principal ont sensiblement réduit les coûts, en termes de travail, de la partie adverse et, d’ailleurs, également du Tribunal.

31
Enfin, le litige a mis en jeu des intérêts économiques des parties requérantes étant donné que la validité de l’opération de concentration a été, dans une mesure limitée, remise en cause par la décision attaquée dans l’affaire au principal. Toutefois, en comparaison avec des affaires couramment traitées en matière de concentrations, il ne saurait être considéré que le litige a représenté des intérêts économiques exceptionnels pour ces parties.

32
Eu égard aux éléments d’appréciation qui précèdent, le Tribunal estime tout d’abord excessif, au titre de la taxation des dépens, le nombre d’heures de travail des avocats des parties requérantes imputé au litige (à savoir 407,5 heures de travail pour Lagardère et 594 heures de travail pour Canal+) et considère qu’il sera fait une juste appréciation des dépens récupérables au titre des honoraires d’avocats en fixant leur montant, en tenant compte des frais exposés pour la présente procédure
de taxation de dépens, à 40 000 euros pour chacune des parties requérantes, c’est-à-dire à 80 000 euros pour les honoraires d’avocats des deux parties requérantes dans leur ensemble.

33
En ce qui concerne les autres frais imputés au litige par Lagardère, le Tribunal considère que cette partie n’a pas démontré que les autres frais, à savoir des frais de télécommunication (1 819 euros), de production de documents (4 254 euros), de courrier spécial et de timbres-poste (360 euros) et de déplacement (3 985 euros), étaient, dans leur ensemble, indispensables aux fins de la procédure devant le Tribunal.

34
En particulier, le Tribunal considère que, en principe, il ne saurait être considéré comme indispensable aux fins de la procédure devant le Tribunal de faire parvenir par taxi des mémoires et autres documents au Tribunal. En effet, premièrement, il existe d’autres moyens sûrs et manifestement moins onéreux de transmission de documents au Tribunal. Deuxièmement, un délai de distance a été prévu afin de permettre un acheminement par des voies plus conventionnelles et moins onéreuses à
l’article 102, paragraphe 2, du règlement de procédure. Enfin, depuis le 1^er février 2001, c’est-à-dire à une date située au cours de la procédure écrite dans l’affaire au principal, l’article 43, paragraphe 6, du règlement de procédure prévoit la possibilité d’une transmission des mémoires par des moyens de communication modernes, notamment par télécopie, à condition que l’original signé des actes soit déposé au plus tard dix jours après. Au surplus, compte tenu de ce que Lagardère impute
lesdits frais d’acheminement par taxi des mémoires et autres documents, les frais de télécommunication, notamment de télécopie, semblent également largement exagérés au titre de la taxation des dépens.

35
En l’absence d’informations précises fournies par Lagardère quant à l’affectation de ces différents frais, le Tribunal estime approprié de fixer les dépens récupérables pour ces autres frais à 6 000 euros.

36
En ce qui concerne les autres frais imputés au litige par Canal+, il convient de tenir compte de ce que cette partie en a fourni une description très détaillée. Par conséquent, tout en tenant compte du fait que les frais de télécommunication et de télécopie semblent largement exagérés au titre de la taxation des dépens, le Tribunal estime approprié de fixer les dépens récupérables pour ces autres frais à 8 500 euros pour Canal+.

37
Par conséquent, le Tribunal estime qu’il sera fait juste appréciation des dépens récupérables en les fixant à 46 000 euros pour Lagardère et à 48 500 euros pour Canal+.

38
Étant donné que le Tribunal, en fixant les dépens récupérables, tient compte de toutes les circonstances de l’affaire jusqu’au moment où il statue, il n’y a pas lieu de statuer séparément sur les frais exposés par les parties aux fins de la présente procédure de taxation des dépens (voir, en ce sens, ordonnance Starway/Conseil, point 18 supra, point 39).

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre élargie)

ordonne :

1)
Les dépens à rembourser par la Commission à Lagardère dans l’affaire T-251/00 sont fixés à 46 000 euros.

2)
Les dépens à rembourser par la Commission à Canal+ dans l’affaire T‑251/00 sont fixés à 48 500 euros.

Fait à Luxembourg, le 7 décembre 2004.

Le greffier Le président

H. Jung M. Jaeger

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1 –
Langue de procédure : le français.


Synthèse
Formation : Troisième chambre élargie
Numéro d'arrêt : T-251/00
Date de la décision : 07/12/2004
Type d'affaire : Demande relative aux dépens
Type de recours : Recours en annulation

Analyses

Taxation des dépens.

Ententes

Concurrence


Parties
Demandeurs : Lagardère SCA et Canal+ SA
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:T:2004:353

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