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20/11/2003 | CJUE | N°C-416/01

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Sociedad Cooperativa General Agropecuaria (ACOR) contre Administración General del Estado., 20/11/2003, C-416/01


Affaire C-416/01

Sociedad Cooperativa General Agropecuaria (ACOR)
contre

...

Affaire C-416/01

Sociedad Cooperativa General Agropecuaria (ACOR)
contre
Administración General del Estado

(demande de décision préjudicielle, formée par le Tribunal Supremo)

«Organisation commune des marchés dans le secteur du sucre – Réattribution ou transfert de quotas – Interprétation des règlements du Conseil (CEE) nº 1785/81, (CEE) nº 193/82 et (CE) nº 1260/2001 – Décision des autorités compétentes d'un État membre d'imposer, à l'occasion de l'autorisation d'une fusion d'entreprises sucrières, une réattribution de quotas de production de sucre – Vente aux enchères publiques – Caractère onéreux du transfert de quotas»

Conclusions de l'avocat général M. J. Mischo, présentées le 15 mai 2003

Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 20 novembre 2003

Sommaire de l'arrêt

1.
Agriculture – Organisation commune des marchés – Application du droit national de la concurrence – Compétence des autorités nationales – Limites
(Art. 32 CE à 38 CE; règlement du Conseil nº 26)

2.
Agriculture – Organisation commune des marchés – Sucre – Quotas de production – Décision de l'autorité nationale compétente d'imposer, à l'occasion de l'autorisation d'une fusion d'entreprises sucrières, une réattribution de quotas – Réattribution à titre onéreux – Inadmissibilité
(Règlements du Conseil nº 1785/81, art. 25, § 1, nº 193/82, art. 4, et nº 1260/2001)

1.
Lorsque les États membres sont habilités à appliquer leur droit national de la concurrence dans un secteur relevant d’une organisation commune des marchés, ils doivent respecter les principes et les règles générales qui régissent la politique agricole commune et s’abstenir de toute mesure qui serait de nature à déroger ou à porter atteinte à l’organisation commune des marchés concernée.

(cf. point 54)

2.
Si l’autorité compétente de l’État membre chargée d’exercer le contrôle administratif des opérations de fusion d’entreprises estime qu’il est nécessaire à la protection de la concurrence de redistribuer les quotas de production de sucre entre les entreprises établies sur son territoire, les dispositions du règlement nº 1785/81, portant organisation commune des marchés dans le secteur du sucre, et celles du règlement nº 193/82, arrêtant les règles générales relatives aux transferts de quotas
dans le secteur du sucre, s’opposent à ce que cette autorité décide que ce transfert ou cette réattribution se fasse à titre onéreux.
En effet, le régime des quotas constitue un mécanisme de régulation du marché dans le secteur du sucre qui vise à garantir la réalisation d’objectifs d’intérêt général. Ces caractéristiques du régime des quotas dans le secteur du sucre excluent que les quotas puissent être transférés d’une entreprise à l’autre à titre onéreux, selon les mécanismes du marché. Une mise en vente publique de quotas, en ce qu’elle se fonderait sur des considérations purement financières, ne tiendrait pas compte
des objectifs d’intérêt général définis par la réglementation communautaire dans le secteur du sucre, et partant, elle ne permettrait pas aux autorités nationales de garantir le respect des conditions prévues par ces dispositions. En outre, un transfert à titre onéreux conférerait aux entreprises qui acquerraient les quotas un titre de propriété sur ceux-ci. Or, l’existence d’un tel droit affecterait la marge dont disposent les États membres dans l’exercice de la compétence que leur
attribuent, en matière de quotas, les dispositions communautaires. Partant, l’existence d’un tel titre de propriété serait de nature à porter atteinte à la flexibilité propre à un instrument de régulation du marché tel que les quotas dans le secteur du sucre, qui sont susceptibles de varier dans le temps en fonction de la situation du marché et des nécessités de la politique agricole commune.
À cet égard, l’entrée en vigueur du règlement nº 1260/2001, portant organisation commune des marchés dans le secteur du sucre, en ce qu’il reprend le contenu des dispositions pertinentes des règlements précités qu’il remplace, n’a pas pour effet de modifier l’interprétation de la réglementation communautaire.

(cf. points 47-50, 62, 65-66, disp. 1-2)

ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)
20 novembre 2003(1)

«Organisation commune des marchés dans le secteur du sucre – Réattribution ou transfert de quotas – Interprétation des règlements du Conseil (CEE) n° 1785/81, (CEE) n° 193/82 et (CE) n° 1260/2001 – Décision des autorités compétentes d'un État membre d'imposer, à l'occasion de l'autorisation d'une fusion d'entreprises sucrières, une réattribution de quotas de production de sucre – Vente aux enchères publiques – Caractère onéreux du transfert de quotas»

Dans l'affaire C-416/01,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 234 CE, par le Tribunal Supremo (Espagne) et tendant à obtenir, dans le cadre du litige pendant devant cette juridiction entre

Sociedad Cooperativa General Agropecuaria (ACOR)

et

Administración General del Estado,

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation des règlements (CEE) n° 1785/81du Conseil, du 30 juin 1981, portant organisation commune des marchés dans le secteur du sucre (JO L 177, p. 4), (CEE) n° 193/82 du Conseil, du 26 janvier 1982, arrêtant les règles générales relatives aux transferts de quotas dans le secteur du sucre (JO L 21, p. 3), et (CE) n° 1260/2001 du Conseil, du 19 juin 2001, portant organisation commune des marchés dans le secteur du sucre (JO L 178, p. 1),

LA COUR (sixième chambre),,

composée de M. V. Skouris (rapporteur), faisant fonction de président de la sixième chambre, MM. C. Gulmann, J. N. Cunha Rodrigues, J.- P. Puissochet, et M ^me F. Macken, juges,

avocat général: M. J. Mischo,
greffier: M. H. von Holstein, greffier adjoint,

considérant les observations écrites présentées:


pour la Sociedad Cooperativa General Agropecuaria (ACOR), par M ^e R. García-Palencia, abogado,


pour Ebro Puleva SA, anciennement Azucarera Ebro Agrícolas SA, par M. F. Santos Carrascosa, abogado,


pour le gouvernement espagnol, par M ^me N. Díaz Abad, en qualité d'agent,


pour la Commission des Communautés européennes, par M ^mes M. Condou-Durande et S. Pardo Quintillán, en qualité d'agents,

ayant entendu les observations orales de la Sociedad Cooperativa General Agropecuaria (ACOR), représentée par M ^e R. García-Palencia, d'Ebro Puleva SA, représentée par M ^e M. Araujo Boyd, abogado, d'Azucareras Reunidas de Jaén SA, représentée par M ^e J. Pérez-Bustamante, abogado, du gouvernement espagnol, représenté par M ^me N. Díaz Abad, ainsi que de la Commission, représentée par M ^mes M. Condou-Durande et S. Pardo Quintillán, à l'audience du 26 février 2003,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 15 mai 2003,

rend le présent

Arrêt

1
Par ordonnance du 3 octobre 2001, parvenue à la Cour le 22 octobre suivant, le Tribunal Supremo a posé, en application de l’article 234 CE, une question préjudicielle relative à l’interprétation des règlements (CEE) n° 1785/81du Conseil, du 30 juin 1981, portant organisation commune des marchés dans le secteur du sucre (JO L 177, p. 4), (CEE) n° 193/82 du Conseil, du 26 janvier 1982, arrêtant les règles générales relatives aux transferts de quotas dans le secteur du sucre (JO L 21, p. 3), et
(CE) n° 1260/2001 du Conseil, du 19 juin 2001, portant organisation commune des marchés dans le secteur du sucre (JO L 178, p. 1).

2
Cette question a été soulevée dans le cadre d’un litige opposant la Sociedad Cooperativa General Agropecuaria (ci-après «ACOR») à l’Administración General del Estado. Sont intervenues dans le litige au principal la société Ebro Puleva SA, anciennement Azucarera Ebro Agrícolas SA, et la société Azucareras Reunidas de Jaén SA (ci-après «ARJ»).

Le cadre juridique

La réglementation communautaire

3
Il résulte du dossier que la réglementation communautaire pertinente en vigueur à l’époque des faits de l’affaire au principal était constituée par les règlements n ^os 1785/81 et 193/82.

4
Le règlement n° 1785/81 a été entre-temps remplacé par le règlement (CE) n° 2038/1999 du Conseil, du 13 septembre 1999, portant organisation commune des marchés dans le secteur du sucre (JO L 252, p. 1), lui-même remplacé par le règlement n° 1260/2001 qui est le règlement actuellement en vigueur. Ce dernier a également remplacé le règlement n° 193/82 (voir article 49 du règlement n° 1260/2001).

5
L’organisation commune des marchés dans le secteur du sucre comporte, notamment, un régime de quotas. La réglementation communautaire fait la distinction entre deux types de quota et trois types de sucre. Le sucre relevant du quota A, qui représente la consommation dans la Communauté, peut être commercialisé librement dans le marché commun et son écoulement est garanti par le prix d’intervention. Le quota B est la quantité de production de sucre dépassant le quota A, sans toutefois dépasser
un «quota maximal» prévu par le règlement. Le sucre relevant du quota B peut également être commercialisé librement dans le marché commun, mais sans la garantie du prix d’intervention, ou peut être exporté dans les pays tiers avec une restitution à l’exportation. Le sucre produit dans des quantités qui excèdent la somme des quotas A et B est dénommé «sucre C» et doit être exporté sans qu’aucune restitution à l’exportation soit accordée.

6
Aux termes de l’article 24, paragraphe 1, du règlement n° 1785/81 (devenu article 27, paragraphe 1, du règlement nº 2038/1999, puis article 11, paragraphe 1, du règlement n° 1260/2001), «[l]es États membres attribuent, dans les conditions du présent titre, un quota A et un quota B à chaque entreprise productrice de sucre […] qui […] a été pourvue […] d’un quota de base tel que défini […] par le règlement (CEE) n° 3330/70 ou par le règlement (CEE) n° 1111/77 […]».

7
En ce qui concerne les transferts de quotas, le quatorzième considérant du règlement n° 1785/81 énonce que les États membres ont, «dans le cadre de règles et critères communautaires particuliers, outre la compétence d’attribuer les quotas par entreprise productrice […] celle de modifier ultérieurement les quotas des entreprises existantes […] et de réallouer à d’autres entreprises les quantités de quotas retranchées», et cela dans le but de «répondre, le cas échéant, aux besoins de
restructuration des secteurs de la culture de la betterave et de la canne, de la production du sucre et de la production d’isoglucose […]». En outre, selon le quinzième considérant du même règlement, «les quotas de production attribués aux entreprises constituant un moyen de garantir aux producteurs les prix communautaires et l’écoulement de leur production, les transferts de quotas doivent se faire en prenant en considération l’intérêt de toutes les parties concernées et notamment celui des
producteurs de betteraves ou de cannes à sucre». Le vingt-quatrième considérant du règlement nº 2038/1999 a une formulation identique à celle du quinzième considérant du règlement nº 1785/81. Les dix-huitième et dix-neuvième considérants du règlement n° 1260/2001 ont, quant à eux, une teneur analogue à celle des deux considérants susmentionnés du règlement n° 1785/81.

8
L’article 25 du règlement n° 1785/81 (devenu article 30 du règlement nº 2038/1999, puis article 12 du règlement n° 1260/2001) dispose:

«1. Les États membres peuvent effectuer des transferts de quotas A et de quotas B entre entreprises dans les conditions du présent article et en prenant en considération l’intérêt de chacune des parties concernées et notamment celui des producteurs de betteraves ou de cannes à sucre.

2. Les États membres peuvent diminuer le quota A et le quota B de chaque entreprise productrice de sucre ou de chaque entreprise d’isoglucose établies sur leur territoire d’une quantité totale n’excédant pas […] 10 %, selon le cas, du quota A ou du quota B déterminé pour chacune d’elles conformément à l’article 24.

[…]

3. Les quantités de quotas A ou de quotas B retranchées sont attribuées comme telles par les États membres à une ou plusieurs autres entreprises pourvues ou non d’un quota et qui sont établies dans la même région, au sens de l’article 24, paragraphe 2, que les entreprises auxquelles ces quantités ont été retranchées.

[…]»

9
En ce qui concerne plus particulièrement le sort des quotas en cas de fusion ou d’aliénation d’entreprises productrices de sucre, l’article 2, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 193/82 [devenu point II.1, sous a), de l’annexe IV du règlement n° 1260/2001] prévoit que «l’État membre attribue à l’entreprise résultant de la fusion un quota A et un quota B respectivement égal à la somme des quotas A et à la somme des quotas B attribués, avant la fusion, aux entreprises productrices de sucre
fusionnées».

10
Cependant, aux termes du paragraphe 2 de la même disposition (devenu point II.2 de l’annexe IV du règlement n° 1260/2001) :

«Lorsqu’une partie des producteurs de betteraves ou de cannes directement affectés par une des opérations visées au paragraphe 1 manifestent expressément leur volonté de livrer leurs betteraves ou leurs cannes à une entreprise productrice de sucre qui n’est pas partie prenante à ces opérations, l’État membre peut effectuer l’attribution en fonction des quantités de production absorbées par l’entreprise à laquelle ils entendent livrer leurs betteraves ou leurs cannes.»

11
Enfin, selon l’article 4 du règlement n° 193/82 (devenu point IV de l’annexe IV du règlement n° 1260/2001):

«[…] les mesures prises en vertu des articles 2 et 3 ne peuvent intervenir que si:

a)
l’intérêt de chacune des parties concernées est pris en considération,

et

b)
si l’État membre concerné les considère comme étant de nature à améliorer la structure des secteurs de production de la betterave ou de la canne et de la fabrication de sucre,

et

c)
si elles concernent des entreprises établies dans une même région au sens de l’article 24 paragraphe 2 du règlement (CEE) n° 1785/81.»

Le droit national

12
La loi espagnole n° 16/89, du 17 juillet 1989, de protection de la concurrence (BOE n° 170, du 18 juillet 1989, p. 22747), réglemente, notamment, le contrôle des opérations de concentration. C’est sur le fondement de cette loi qu’a été adopté, le 25 septembre 1998, l’acte attaqué au principal, par lequel le Conseil des ministres espagnol a approuvé la fusion entre les sociétés Ebro Agrícolas, Compañía de Alimentación SA et Sociedad General Azucarera de España SA.

Les faits au principal et la question préjudicielle

13
Au moment des faits à l’origine du litige au principal, le secteur de l’industrie sucrière en Espagne comptait quatre entreprises, entre lesquelles se répartissait le quota maximal de production de sucre attribué à cet État membre, soit 1 000 000 tonnes métriques de sucre (ci-après «tm»), dont 960 000 tm pour le quota A et 40 000 tm pour le quota B. Cette répartition était la suivante:


Ebro Agrícolas, Compañía de Alimentación SA, l’une des entreprises fusionnées, 540 786 tm; cette entreprise avait dix fabriques de sucre (sur les dix-neuf installations de transformation industrielle du sucre opérant en Espagne);


Sociedad General Azucarera de España SA, l’autre entreprise fusionnée, 241 688 tm; cette entreprise comptait cinq établissements de transformation de la betterave sucrière et une usine de transformation de la canne à sucre;


ACOR, 147 797 tm; cette entreprise avait deux usines situées dans la zone nord;


ARJ, 69 732 tm, dont 66 900 tm pour le quota A et 2 832 tm pour le quota B; cette entreprise possédait une seule usine située dans la zone sud.

14
Le 25 septembre 1998, le Conseil des ministres espagnol a, conformément à la loi n°16/89, approuvé l’opération de fusion entre les sociétés Ebro Agrícolas, Compañía de Alimentación SA et Sociedad General Azucarera de España SA. Cette fusion permettait à la nouvelle société Azucarera Ebro Agricolas SA (ci-après «Ebro») de contrôler 78,23 % du quota espagnol de sucre A et B, contre 14,77 % contrôlé par ACOR et 6,97 % par ARJ. Pour ce qui concerne les achats de betteraves nationales A et B, la
nouvelle société en contrôlerait 75,21 % dans la zone nord, où sa concurrente ACOR n’en contrôlerait que 24,79 %, 88,36 % dans la zone sud, où sa concurrente ARJ en contrôlerait 11,64 % et 50,08 % dans la zone du centre, où sa concurrente ARJ en contrôlerait 49,92 %.

15
Pour des raisons de protection de la concurrence effective sur le marché du sucre, le gouvernement espagnol a cependant soumis cette fusion au respect de certaines conditions. Conformément à la première condition, Ebro «devra élaborer un plan de reconversion industrielle mentionnant les objectifs concrets et le calendrier de celle-ci. Elle devra le présenter, en vue de son approbation, avant le 1 ^er septembre 1999, au ministre de l’Économie et des Finances ainsi qu’au ministre de
l’Agriculture, de la Pêche et de l’Alimentation». La deuxième de ces conditions prévoit que, «afin d’augmenter les possibilités de concurrence sur le marché, le ministre de l’Agriculture, de la Pêche et de l’Alimentation réattribue, conformément aux dispositions du règlement (CEE) n° 1785/81 du Conseil, en temps voulu et à titre onéreux, jusqu’à 30 000 tm du quota espagnol de production de sucre à des entreprises établies sur le territoire espagnol. Afin d’assurer que cette réattribution de
quotas est opérée selon des mécanismes de marché, le prix du quota à transférer et sa répartition seront déterminés par la vente aux enchères publiques d’un maximum de 30 000 tm des quotas […]» attribués à Ebro. La sixième condition énonce que, «en cas de réattribution de quotas opérée en temps voulu suivant la procédure de vente publique, le gouvernement adoptera les mesures qu’il jugera opportunes afin d’éviter toute répercussion négative éventuelle sur les betteraviers nationaux […]».

16
Il ressort du dossier que les services de la Commission ont été informés de cet accord du gouvernement espagnol pour l’opération de fusion et que, après l’avoir examiné, ils ont décidé d’ouvrir une procédure d’infraction. La deuxième condition mentionnée, relative au transfert de quotas de production de sucre par vente aux enchères publiques, était l’un des aspects analysés par les services de la Commission. Cependant, les autorités espagnoles s’étant montrées disposées à confirmer par écrit
qu’elles renonçaient à recourir à la vente aux enchères publiques pour la réattribution des quotas, la procédure d’infraction n’a pas été poussée plus avant. Néanmoins, n’ayant pas reçu ladite confirmation, les services de la Commission ont communiqué aux autorités espagnoles que la Commission se réservait le droit de recourir, sans limite de temps, à la procédure d’infraction visée à l’article 226 CE dans l’hypothèse où il serait décidé de mettre en pratique la deuxième condition.

17
Dans l’intervalle, le 1 ^er décembre 1998, ACOR a formé contre la décision du Conseil des ministres du 25 septembre 1998 un recours devant le Tribunal Supremo, en faisant valoir que la réattribution des quotas à titre onéreux et non pas gratuit était contraire à la réglementation communautaire relative à l’organisation commune des marchés dans le secteur du sucre.

18
Le Tribunal Supremo constate, d’une part, que, même s’il résulte de la réglementation communautaire présentée aux points 8 à 11 du présent arrêt que l’État membre peut exercer le pouvoir de transfert de quotas sans imposer que l’entreprise destinataire fournisse une contre-prestation économique en faveur de l’entreprise cédante, en raison, peut-être, de l’objectif primordial de régulation du marché poursuivi par le régime des quotas, il n’en résulte pas, en tout cas pas de manière évidente,
qu’il serait interdit d’imposer une telle contre-prestation et qu’il serait donc interdit d’opérer le transfert à titre onéreux. Le Tribunal Supremo relève, d’autre part, que, lorsque l’État décide de ne pas appliquer la règle prévue à l’article 2, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 193/82 en cas de fusion d’entreprises, c’est parce qu’il considère qu’une réattribution distincte est nécessaire pour améliorer la structure des secteurs de la production de la betterave et de la fabrication
de sucre et que, en raison du même objectif primordial de régulation du marché qu’elle poursuit, une disposition prévoyant un transfert à titre onéreux ne semble pas devoir empêcher ou entraver gravement une telle réattribution.

19
Il ajoute que, les conditions imposées dans la décision du Conseil des ministres du 25 septembre 1998 n’ayant pas encore été remplies ou mises à exécution, l’interprétation dont il a besoin ne porte pas seulement sur la réglementation communautaire en vigueur à la date d’adoption de cette décision, mais également sur celle en vigueur actuellement.

20
Eu égard à ces considérations, le Tribunal Supremo a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«Si l’autorité compétente de l’État membre chargée d’exercer le contrôle administratif des opérations de fusion d’entreprises estime qu’il est nécessaire à la protection de la concurrence de redistribuer les quotas de production de sucre entre les entreprises établies sur son territoire:

a)
les dispositions du règlement (CEE) n° 1785/81 du Conseil, du 30 juin 1981, et celles du règlement (CEE) n° 193/82 du Conseil, du 26 janvier 1982, s’opposent-elles à ce que cette autorité décide que ce transfert ou cette réattribution se fera à titre onéreux et, partant, à ce qu’elle impose à l’entreprise ou aux entreprises destinataires l’obligation de verser une contre-prestation économique?

b)
Même en cas de réponse négative à la première partie de la question, ces dispositions font-elles néanmoins obstacle à ce que le prix du quota à transférer et la répartition de celui-ci soient décidés au moyen d’enchères publiques? S’opposent-elles à l’organisation de pareilles enchères publiques même lorsqu’il est prévu que l’opération de réattribution des quotas réalisée selon cette procédure d’enchères sera assortie de mesures permettant d’éviter toute répercussion négative
éventuelle sur les betteraviers nationaux?

c)
L’entrée en vigueur du règlement (CE) n° 1260/2001 du Conseil, du 19 juin 2001, qui déroge aux règlements antérieurs et porte organisation commune des marchés dans le secteur du sucre, a‑t‑elle pour effet de modifier l’interprétation de la réglementation communautaire et les réponses de la Cour?»

Réponse de la Cour

Sur la première branche de la question

21
Le sucre étant un produit couvert par une organisation commune des marchés, il convient de rappeler, à titre liminaire, que, en présence d’un règlement portant organisation commune des marchés dans un domaine déterminé, les États membres sont tenus, selon une jurisprudence constante, de s’abstenir de toute mesure qui serait de nature à y déroger ou à y porter atteinte (voir arrêts du 16 janvier 2003, Hammarsten, C‑462/01, Rec. p. I-781, point 28; du 22 mai 2003, Freskot, C‑355/00, non encore
publié au Recueil, point 19, et du 9 septembre 2003, Milk Marque et National Farmers’ Union, C-137/00, non encore publié au Recueil, point 63).

22
Il y a donc lieu d’examiner si les dispositions régissant l’organisation commune des marchés dans le secteur du sucre permettent aux États membres d’adopter, en matière de quotas de sucre, des mesures telles que celles contestées devant la juridiction de renvoi.

23
À l’époque des faits de l’affaire au principal, l’organisation commune des marchés dans le secteur du sucre était régie par le règlement n° 1785/81.

24
L’article 24, paragraphe 1, de ce règlement habilite les États membres à attribuer, dans les conditions prévues par ledit règlement, un quota A et un quota B à chaque entreprise productrice de sucre qui a été pourvue d’un quota de base.

25
L’article 25, paragraphe 1, du même règlement permet aux États membres d’effectuer des transferts de quotas A et de quotas B entre entreprises en respectant les conditions énoncées dans cet article et en prenant en considération l’intérêt de chacune des parties concernées et notamment celui des producteurs de betteraves ou de cannes à sucre.

26
Selon le paragraphe 2 de cet article, les États membres peuvent, à cet égard, diminuer le quota A et le quota B de chaque entreprise productrice de sucre établie sur leur territoire d’une quantité totale n’excédant pas 10 %, selon le cas, du quota A ou du quota B déterminé pour chacune d’elles conformément à l’article 24 dudit règlement.

27
Aux termes de l’article 25, paragraphe 3, du règlement n° 1785/81, les quantités de quotas A ou de quotas B retranchées sont attribuées comme telles par les États membres à une ou plusieurs autres entreprises établies sur leur territoire.

28
Il ressort du quatorzième considérant de ce règlement que la compétence des États membres pour modifier les quotas des entreprises existantes et réallouer à d’autres entreprises les quantités de quotas retranchées leur est conférée «dans le but de répondre, le cas échéant, aux besoins de restructuration des secteurs de la culture de la betterave et de la canne, de la production du sucre et de la production d’isoglucose».

29
L’article 25, paragraphe 4, dudit règlement prévoit que le Conseil établit les règles générales pour la modification des quotas, notamment en cas de fusion ou d’aliénation d’entreprises. De telles règles ont été adoptées par le règlement n° 193/82.

30
Selon l’article 2, paragraphe 1, sous a), de ce dernier règlement, en cas de fusion d’entreprises productrices de sucre, l’État membre attribue à l’entreprise résultant de la fusion un quota A et un quota B respectivement égal à la somme des quotas A et à la somme des quotas B attribués, avant la fusion, aux entreprises productrices de sucre fusionnées.

31
Il est toutefois précisé au paragraphe 2 de cet article que, lorsqu’une partie des producteurs de betteraves ou de cannes directement affectés par une telle fusion manifestent expressément leur volonté de livrer leurs betteraves ou leurs cannes à une entreprise productrice de sucre qui n’est pas partie prenante à la fusion, l’État membre peut effectuer l’attribution des quotas A et B à l’entreprise résultant de la fusion en fonction des quantités de production absorbées par l’entreprise à
laquelle ils entendent livrer leurs betteraves ou leurs cannes.

32
Enfin, l’article 4 du même règlement prévoit que les mesures ainsi prises ne peuvent intervenir que si l’intérêt de chacune des parties concernées est pris en considération et si l’État membre concerné les considère comme étant de nature à améliorer la structure des secteurs de la production de la betterave ou de la canne et de la fabrication de sucre et si elles concernent des entreprises établies sur le territoire de cet État.

33
Dans l’arrêt du 11 août 1995, Cavarzere Produzioni Industriali e.a. (C‑1/94, Rec. p. I-2363, point 34), la Cour a admis que le pouvoir de manœuvre reconnu aux États membres par l’article 25 du règlement n° 1785/81 peut être exercé en même temps qu’une modification de quotas effectuée, en vertu de l’article 2 du règlement n° 193/82, à la suite d’une aliénation d’entreprises ou d’usines de production, pour autant que les conditions d’application propres à chacune de ces dispositions sont
respectées.

34
Cette constatation est également valable en cas de fusion d’entreprises.

35
Il découle dès lors des articles 25, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 1785/81 et 2, paragraphe 1, sous a), et 4 du règlement n°193/82 qu’un État membre est autorisé, en cas de fusion d’entreprises productrices de sucre, à réattribuer, entre les entreprises de sucre établies sur son territoire, une partie des quotas de l’entreprise résultant de la fusion, pourvu que cette partie n’excède pas la limite des 10 % du quota A ou du quota B de cette entreprise, que l’intérêt de chacune des
parties concernées soit pris en considération, notamment celui des producteurs de betteraves ou de cannes à sucre, et que cette réattribution soit de nature à améliorer la structure des secteurs de la production de la betterave ou de la canne et de la fabrication de sucre par suite de la fusion opérée.

36
La Commission fait valoir que la compétence pour modifier l’attribution des quotas de production a été déléguée aux États membres par l’article 25 du règlement n° 1785/81 afin de répondre aux besoins d’adaptation structurelle des secteurs de la culture de la betterave et de la production de sucre, et que, dès lors, les États membres ne sont pas autorisés à faire usage de cette compétence déléguée dans un but autre que ceux poursuivis par cette disposition. Or, dans l’affaire au principal,
les autorités espagnoles auraient prévu la possibilité de modifier l’attribution des quotas alloués à l’entreprise issue de la fusion, non pas en vue de procéder à l’adaptation structurelle des secteurs de la culture de la betterave et de la production de sucre, mais afin de préserver la concurrence sur le marché espagnol du sucre.

37
Il convient de relever à cet égard que le fait qu’une réattribution de quotas ait lieu en vue de protéger la concurrence sur le marché national du sucre ne signifie pas nécessairement qu’elle est effectuée dans un but autre que ceux poursuivis par les dispositions communautaires en matière de quotas de sucre.

38
En effet, s’agissant d’une organisation commune telle que celle du sucre, dans laquelle les marchés sont réglementés de façon détaillée et la concurrence est faible, y compris au niveau national, il ne saurait être exclu que des mesures tendant au maintien de la concurrence sur le marché national, telles qu’une réattribution de quotas, puissent également contribuer à améliorer la structure non seulement du secteur de la fabrication de sucre, mais également de celui de la production de la
betterave, eu égard aux liens qui se nouent entre les producteurs de betteraves et les fabricants de sucre dans le cadre de cette organisation commune des marchés.

39
En l’occurrence, il est certes vrai que les conditions auxquelles l’administration espagnole a subordonné son autorisation, au nombre desquelles figuraient l’élaboration d’un plan de reconversion industrielle de l’entreprise issue de la fusion et la réattribution d’une partie de ses quotas, ont été imposées en vue de préserver la concurrence sur le marché national du sucre par suite de la fusion des deux plus importantes entreprises de production en Espagne. Il ressort, toutefois, de
l’ordonnance de renvoi, que l’administration espagnole a estimé à cet égard «que l’opération pourrait contribuer à améliorer les systèmes de production et de commercialisation du sucre […] si cette fusion permettait de réaliser une restructuration globale du secteur, une reconversion industrielle des entreprises fusionnées et un transfert des gains en efficacité vers les consommateurs et utilisateurs».

40
Dans ces conditions, un acte tel que celui contesté au principal ne saurait être critiqué pour avoir subordonné l’autorisation d’une opération de fusion d’entreprises sucrières à la réattribution d’une partie des quotas de l’entreprise issue de la fusion, en application du droit national de la concurrence.

41
Il convient encore d’examiner si un tel acte peut être critiqué pour avoir prescrit que cette réattribution de quotas soit faite à titre onéreux au moyen d’une vente publique.

42
À cet égard, ainsi que le relève à juste titre la juridiction nationale dans son ordonnance de renvoi, ni les articles 24 et 25 du règlement n° 1785/81, qui concernent respectivement l’attribution et le transfert de quotas, ni les autres dispositions du titre III de ce règlement qui est consacré au régime des quotas, ni, enfin, les dispositions du règlement n° 193/82 ne se prononcent explicitement sur le caractère onéreux ou gratuit d’une réattribution des quotas.

43
Toutefois, contrairement à ce que soutiennent Ebro et le gouvernement espagnol, le silence des dispositions communautaires sur cette question ne signifie pas qu’un État membre est autorisé à imposer que la réattribution de quotas soit effectuée à titre onéreux.

44
Eu égard au caractère détaillé de la réglementation communautaire portant organisation commune des marchés dans le secteur du sucre, y compris pour ce qui concerne le régime des quotas, on pourrait raisonnablement estimer que, si le législateur communautaire avait eu l’intention d’autoriser une mise en vente des quotas, il aurait réglé cette question de manière explicite. Or, l’article 24 du règlement n° 1785/81 énonce que «[l]es États membres attribuent» un quota A et un quota B à chaque
entreprise productrice de sucre et, en cas de transfert ultérieur de ces quotas, l’article 25, paragraphe 3, dudit règlement dispose de la même manière que les quantités de quotas A ou de quotas B retranchées «sont attribuées» par les États membres à une ou plusieurs autres entreprises. L’utilisation du verbe «attribuer» suggère qu’il s’agit d’un octroi sans contrepartie financière.

45
Cette première constatation qui se dégage du libellé de ces dispositions trouve sa confirmation dans la finalité poursuivie par le régime de quotas ainsi que dans la nature juridique de ceux-ci.

46
En effet, il résulte du quinzième considérant du règlement n° 1785/81 que «les quotas de production attribués aux entreprises constituent un moyen de garantir aux producteurs les prix communautaires et l’écoulement de leur production». Ainsi que la Cour l’a relevé dans son arrêt du 22 janvier 1986, Eridania e.a. (250/84, Rec. p. 117, point 19), le régime de quotas pour la production du sucre est un élément essentiel de l’organisation commune dans ce secteur, qui tend à contenir la production
en la rapprochant le plus possible de la consommation intérieure, tout en promouvant la spécialisation régionale. En outre, tant le quinzième considérant que l’article 25, paragraphe 1, du règlement n° 1785/81, ainsi que l’article 4 du règlement n° 193/82, soulignent l’importance que revêt pour la réalisation d’un transfert de quotas la prise en considération de l’intérêt de chacune des parties concernées et notamment celui des producteurs de betteraves ou de cannes à sucre.

47
Il s’ensuit que le régime des quotas constitue un mécanisme de régulation du marché dans le secteur du sucre qui vise à garantir la réalisation d’objectifs d’intérêt général.

48
Ces caractéristiques du régime des quotas dans le secteur du sucre excluent que les quotas puissent être transférés d’une entreprise à l’autre à titre onéreux, selon les mécanismes du marché.

49
Comme l’a, à juste titre, souligné la Commission, une telle mise en vente de quotas, en ce qu’elle se fonderait sur des considérations purement financières, ne tiendrait pas compte des objectifs d’intérêt général définis par la réglementation communautaire dans le secteur du sucre, et partant, elle ne permettrait pas aux autorités nationales de garantir le respect des conditions prévues par ces dispositions.

50
En outre, un transfert à titre onéreux conférerait aux entreprises qui acquerraient les quotas un titre de propriété sur ceux-ci. Or, l’existence d’un tel droit affecterait la marge dont disposent les États membres dans l’exercice de la compétence que leur attribuent, en matière de quotas, les dispositions communautaires. Partant, l’existence d’un tel titre de propriété serait de nature à porter atteinte à la flexibilité propre à un instrument de régulation du marché tel que les quotas dans
le secteur du sucre, qui sont susceptibles de varier dans le temps en fonction de la situation du marché et des nécessités de la politique agricole commune.

51
La constatation selon laquelle les entreprises n’ont pas un titre de propriété sur les quotas qui leur sont attribués ne saurait être remise en cause par la circonstance, soulignée par Ebro, que, en cas de vente d’une entreprise sucrière ou d’une usine à sucre, celles-ci acquièrent une valeur supérieure du fait qu’elles sont associées à un quota de production.

52
En effet, le prix payé dans ces cas correspond à la valeur de l’actif transféré, mais cela n’implique nullement que le quota auquel cet actif est associé soit la propriété de l’entreprise aliénée ou cédante. S’il en était ainsi, il serait superflu de prévoir, à l’article 2, paragraphe 1, sous b) et c), du règlement n° 193/82, l’intervention de l’État membre pour attribuer le quota correspondant de l’entreprise aliénée ou de l’entreprise cédante à l’entreprise aliénataire ou cessionnaire.

53
Ebro soutient que, conformément au droit national de la concurrence, dans le cadre duquel intervient un transfert de quotas, les opérations de désinvestissement auxquelles l’autorisation d’une concentration est souvent soumise comportent toujours un transfert à titre onéreux de ce dont l’entité fusionnée est obligée de se défaire, qui plus est au profit de ses concurrents.

54
Indépendamment du fait que cet argument repose sur la prémisse erronée selon laquelle les quotas seraient la propriété de l’entreprise à laquelle ils sont attribués, il y a lieu de rappeler que, lorsque les États membres sont habilités à appliquer leur droit national de la concurrence dans un secteur relevant d’une organisation commune des marchés, ils doivent respecter les principes et les règles générales qui régissent la politique agricole commune et s’abstenir de toute mesure qui serait
de nature à déroger ou à porter atteinte à l’organisation commune des marchés concernée (voir arrêt du 17 novembre 1993, Mörlins, C‑134/92, Rec. p. I‑6017, ainsi que jurisprudence citée au point 21 du présent arrêt).

55
Dès lors, l’application du droit national de la concurrence à un transfert de quotas de sucre ne saurait aucunement impliquer que ce transfert soit effectué à titre onéreux.

56
Ebro et le gouvernement espagnol font encore valoir que, dans un cas de concentration, à dimension communautaire, d’entreprises productrices de sucre, à savoir la concentration entre l’entreprise Südzucker AG (ci-après «Südzucker») et l’entreprise Saint‑Louis, la Commission a imposé des conditions qui ressemblent au transfert à titre onéreux par vente publique, exigé par le gouvernement espagnol dans l’acte attaqué au principal.

57
Cependant, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 77 et 78 de ses conclusions, les deux conditions imposées par la Commission concernaient, l’une, l’obligation faite à Südzucker de vendre une participation de 68 % dans une entreprise belge, en veillant à ce que le quota reste auprès de cette entreprise, et l’autre l’obligation faite à Südzucker de vendre à une entreprise commerciale indépendante non pas un quota, mais une quantité annuelle de 90 000 tm de sucre déjà produit dans
ses usines.

58
Aucune de ces conditions ne constituant ou ne pouvant être assimilée à un transfert de quotas à titre onéreux, l’argument avancé par Ebro et par le gouvernement espagnol doit être écarté.

59
Lors de l’audience de plaidoiries, Ebro a en outre soutenu, en se référant à l’arrêt du 17 novembre 1998, Demand (C-186/96, Rec. p. I-8529, point 35), que, dans le cadre de l’organisation commune des marchés dans le secteur du lait et des produits laitiers, la Cour a admis qu’une réattribution de quotas soit effectuée à titre onéreux.

60
À cet égard, sans qu’il soit nécessaire d’examiner si, nonobstant certaines similarités, les différences qui caractérisent le régime des quotas dans le secteur du lait et des produits laitiers, d’une part, et celui dans le secteur du sucre, d’autre part, permettent de transposer sans plus au second les constatations effectuées dans le cadre du premier, il convient de relever que le point 35 de l’arrêt Demand, précité, se situe dans un contexte particulier où des quantités de référence
supplémentaires avaient, après leur retrait du marché contre versement d’une indemnité aux producteurs abandonnant la production laitière, été attribuées à d’autres producteurs, parce que l’opération de retrait avait été soldée par une réduction supérieure à celle initialement prévue. Les autorités nationales compétentes avaient alors offert l’excédent aux producteurs désireux d’augmenter leur quota moyennant paiement de la somme égale au montant versé à titre d’indemnité aux producteurs
ayant abandonné leur production laitière (voir arrêt Demand, précité, point 21).

61
Aucun parallélisme ne pouvant être fait entre cette situation et celle en cause au principal, l’argument tiré de l’arrêt Demand, précité, doit être écarté.

62
Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première branche de la question posée que, si l’autorité compétente de l’État membre chargée d’exercer le contrôle administratif des opérations de fusion d’entreprises estime qu’il est nécessaire à la protection de la concurrence de redistribuer les quotas de production de sucre entre les entreprises établies sur son territoire, les dispositions du règlement n° 1785/81 et celles du règlement n° 193/82 s’opposent à ce que
cette autorité décide que ce transfert ou cette réattribution se fasse à titre onéreux.

Sur la deuxième branche de la question

63
La deuxième branche de la question est posée en cas de réponse négative à la première branche.

64
Dès lors, eu égard à la réponse apportée à la première branche de la question posée, il n’y a pas lieu de répondre à la deuxième branche.

Sur la troisième branche de la question

65
Il ressort des points 6 à 11 du présent arrêt que le contenu des dispositions pertinentes du règlement n° 1785/81 a été en fait successivement repris par les dispositions du règlement n° 2038/1999, puis par celles du règlement n° 1260/2001. De même, le contenu des dispositions pertinentes du règlement n° 193/82 a été repris par les dispositions du règlement n° 1260/2001, qui l’a remplacé.

66
Dans ces conditions, il convient de répondre à la troisième branche de la question posée que l’entrée en vigueur du règlement n° 1260/2001 n’a pas pour effet de modifier l’interprétation de la réglementation communautaire.

Sur les dépens

67
Les frais exposés par le gouvernement espagnol et par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement. La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (sixième chambre),

statuant sur la question à elle soumise par le Tribunal Supremo, par ordonnance du 3 octobre 2001, dit pour droit:

1)
Si l’autorité compétente de l’État membre chargée d’exercer le contrôle administratif des opérations de fusion d’entreprises estime qu’il est nécessaire à la protection de la concurrence de redistribuer les quotas de production de sucre entre les entreprises établies sur son territoire, les dispositions du règlement (CEE) n° 1785/81 du Conseil, du 30 juin 1981, portant organisation commune des marchés dans le secteur du sucre, et celles du règlement (CEE) n° 193/82 du Conseil,
du 26 janvier 1982, arrêtant les règles générales relatives aux transferts de quotas dans le secteur du sucre, s’opposent à ce que cette autorité décide que ce transfert ou cette réattribution se fasse à titre onéreux.

2)
L’entrée en vigueur du règlement (CE) n° 1260/2001 du Conseil, du 19 juin 2001, portant organisation commune des marchés dans le secteur du sucre, n’a pas pour effet de modifier l’interprétation de la réglementation communautaire.

Skouris Gulmann Cunha Rodrigues
Puissochet Macken

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 20 novembre 2003.

Le greffier Le président

R. Grass V. Skouris

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1 –
Langue de procédure: l'espagnol.


Synthèse
Formation : Sixième chambre
Numéro d'arrêt : C-416/01
Date de la décision : 20/11/2003
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Tribunal Supremo - Espagne.

Organisation commune des marchés dans le secteur du sucre - Réattribution ou transfert de quotas - Interprétation des règlements du Conseil (CEE) nº 1785/81, (CEE) nº 193/82 et (CE) nº 1260/2001 - Décision des autorités compétentes d'un État membre d'imposer, à l'occasion de l'autorisation d'une fusion d'entreprises sucrières, une réattribution de quotas de production de sucre - Vente aux enchères publiques - Caractère onéreux du transfert de quotas.

Sucre

Agriculture et Pêche


Parties
Demandeurs : Sociedad Cooperativa General Agropecuaria (ACOR)
Défendeurs : Administración General del Estado.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mischo
Rapporteur ?: Skouris

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2003:631

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