CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
M. JEAN MISCHO
présentées le 26 juin 2003(1)
Affaire C-470/00 P
Parlement européen
contre
Carlo Ripa di Meana e.a.
«Pourvoi – Députés au Parlement européen – Régime provisoire de pension de retraite – Délai de présentation de la demande – Connaissance acquise»
1. Le Parlement européen a formé un pourvoi contre l'arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes (quatrième chambre) du 26 octobre 2000, Ripa di Meana e.a./Parlement (2) (ci-après l'«arrêt attaqué»), et tendant à l'annulation de cet arrêt en ce qui concerne les affaires T-83/99 et T‑84/99.
I – Le cadre juridique
2. En l'absence d'un régime de pension communautaire uniforme pour tous les députés au Parlement, le bureau de ce dernier a adopté, les 24 et 25 mai 1982, un régime de pension de retraite provisoire pour les députés des pays dont les autorités nationales ne prévoient pas de régime de pension pour les membres du Parlement (ci-après le «régime provisoire de pension»). Ce régime, qui s'applique également dans le cas où le niveau et/ou les modalités de la pension prévue ne sont pas identiques à
ceux applicables aux membres du parlement de l'État pour lequel le membre considéré du Parlement a été élu, est visé à l'annexe III de la réglementation du Parlement concernant les frais et indemnités des députés du Parlement européen (ci-après l'«annexe III»).
3. Dans sa version en vigueur depuis le 25 mai 1982, l'annexe III prévoyait notamment ce qui suit:
«Article premier
1. Tous les membres du Parlement ont droit à bénéficier d'une pension de retraite.
2. En attendant l'instauration d'un régime communautaire de pension définitif pour tous les membres du Parlement, une pension de retraite provisoire est payée, sur demande du membre concerné, sur le budget de la Communauté, section Parlement.
Article 2
1. Le niveau et les modalités de la pension provisoire sont identiques à ceux de la pension que perçoivent les membres de la Chambre basse de l'État pour lequel le membre considéré du Parlement a été élu.
2. Tout membre bénéficiant des dispositions de l'article 1^er, paragraphe 2, verse au budget de la Communauté une cotisation qui est calculée d'une manière telle qu'il paie au total la même contribution que paie un membre de la Chambre basse de l'État où il a été élu, en vertu des dispositions nationales.
Article 3
Pour le calcul du montant de la pension, les années de mandat exercé au parlement d'un État membre peuvent être cumulées avec les années de mandat exercé au Parlement. Les années de double mandat sont calculées une fois seulement.»
4. Le régime provisoire de pension a été modifié par une décision du bureau du Parlement du 13 septembre 1995 (ci-après la «décision de 1995») visant, en substance, à subordonner tant l'adhésion audit régime que la liquidation de la pension à l'introduction, dans un certain délai, d'une demande en ce sens.
5. Ainsi, l'article 3 de l'annexe III, telle qu'amendée par la décision de 1995, dispose désormais:
«1. La demande d'adhésion au présent régime de pension provisoire doit être introduite dans un délai de six mois à compter du début du mandat de l'intéressé.
Passé ce délai, la date d'effet de l'adhésion au régime de pension est fixée au premier du mois de la réception de la demande.
2. La demande de liquidation de la pension doit être introduite dans un délai de six mois suivant la naissance du droit.
Passé ce délai, la date d'effet du bénéfice de la pension est fixée au premier du mois de la réception de la demande.»
6. L'article 4 de l'annexe III, telle qu'amendée par la décision de 1995, reproduit intégralement les termes de l'ancien article 3 de cette annexe.
7. Quant à l'article 5 de l'annexe III, il dispose à présent:
«La présente réglementation entre en vigueur à la date de son adoption par le bureau [c'est-à-dire le 13 septembre 1995].
Toutefois, les membres dont le mandat est en cours à la date d'adoption de la présente réglementation disposent d'un délai de six mois à compter de l'entrée en vigueur de ces dispositions pour introduire leur demande d'adhésion au présent régime.»
8. La modification de l'annexe III, opérée par la décision de 1995, a été portée à la connaissance de tous les députés européens par la communication du Parlement n° 25/95, du 28 septembre 1995.
9. L'article 27, paragraphes 1 et 2, de la réglementation «concernant les frais et indemnités des députés du Parlement européen» prévoit ce qui suit:
«1. Dès leur prise de fonctions, les députés reçoivent du Secrétaire général une copie de la présente réglementation; ils en accusent réception par écrit.
2. Un député estimant que cette réglementation a été incorrectement appliquée peut s'adresser par écrit au Secrétaire général. Si aucun accord n'intervient entre le député et le Secrétaire général, la question est renvoyée au Collège des questeurs, qui prend une décision après consultation du Secrétaire général. Le Collège peut également consulter le Président et/ou le Bureau.»
II – Les faits à l'origine du litige et la procédure devant le Tribunal
10. Ainsi qu'il ressort de l'arrêt attaqué, les faits à l'origine du litige ont été les suivants:
«1
[MM. Carlo Ripa di Meana, Leoluca Orlando et Gastone Parigi] ont été députés au Parlement […] pendant la législature 1994-1999.
[…]
6
[MM. Ripa di Meana, Orlando et Parigi], ayant cru être soumis d'office au régime provisoire de pension, comme tel est le cas pour le parlement italien, n'ont pas introduit de demandes d'adhésion au régime provisoire comme prévu par la modification du 13 septembre 1995. Ce n'est que pendant les premiers mois de l'année 1998 qu['ils] ont su par hasard qu'en réalité ils ne bénéficiaient d'aucune pension de retraite puisqu'ils n'avaient pas adhéré expressément au régime provisoire de pension,
dans le délai de six mois à partir de l'entrée en vigueur du nouvel article 3, paragraphe 1, de l'annexe III tel qu'il a été modifié par le bureau, le 13 septembre 1995.
7
Ensuite, [MM. Ripa di Meana, Orlando et Parigi] ont procédé de façons différentes. M. Parigi a présenté sa demande d'adhésion audit régime à la division des affaires sociales de la direction générale du personnel du Parlement […] le 18 février 1998. Il a demandé l'application rétroactive du régime provisoire de pension. Le collège des questeurs lui a répondu par deux lettres, datées des 2 juillet et 20 octobre 1998, l'informant qu'il était impossible d'adhérer à titre rétroactif au régime
provisoire de pension.
8
MM. Ripa di Meana et Orlando ont contacté l'administration du Parlement sans demandes écrites.
9
Après ces tentatives infructueuses faites auprès des services compétents, les requérants se sont adressés aux vice-présidents du Parlement, MM. Imbeni et Podestà, en leur demandant d'intervenir pour résoudre ce problème.
10
Ces derniers ont adressé une lettre, datée du 19 novembre 1998, au collège des questeurs en vue d'obtenir un réexamen de la situation des requérants. Cette demande a été rejetée par lettres individuelles, adressées aux requérants (n° 300762 à M. Ripa di Meana, n° 300763 à M. Orlando et n° 300761 à M. Parigi), du collège du 4 février 1999, au motif que tous les députés avaient été informés de ce que l'adhésion au régime de retraite susmentionné n'aurait lieu que si une demande était effectuée
en ce sens dans les délais prévus dans la décision du bureau du Parlement du 13 septembre 1995 […].»
11. C'est dans ces circonstances que, par requêtes déposées au greffe du Tribunal le 13 avril 1999, MM. Ripa di Meana (affaire T-83/99), Orlando (affaire T-84/99) et Parigi (affaire T-85/99) ont introduit un recours en annulation des décisions du Parlement du 4 février 1999, rejetant leurs demandes visant à obtenir l'application, avec effet rétroactif, du régime provisoire de pension de retraite visé à l'annexe III.
12. En raison de leur connexité, ces trois affaires ont été jointes aux fins de la procédure orale et de l'arrêt, par ordonnance du président de la quatrième chambre du Tribunal du 22 mai 2000.
III – L'arrêt attaqué
13. Par l'arrêt attaqué, le Tribunal a fait partiellement droit à l'exception d'irrecevabilité soulevée par le Parlement.
14. S'agissant, en effet, du recours introduit par M. Parigi, le Tribunal a considéré que la lettre adressée à ce dernier par le collège des questeurs le 4 février 1999 ne contenait aucun élément nouveau par rapport aux lettres des 2 juillet et 20 octobre 1998 et constituait, dès lors, une décision purement confirmative des décisions antérieures. Les deux décisions de 1998 n'ayant pas été attaquées dans les délais légaux et la décision du 4 février 1999 n'ayant été précédée, par ailleurs,
d'aucun réexamen de la situation de M. Parigi, le Tribunal a jugé, au point 36 de l'arrêt attaqué, que le recours de ce dernier était irrecevable dans son ensemble.
15. S'agissant, en revanche, des recours introduits par MM. Ripa di Meana et Orlando, le Tribunal a écarté la thèse du Parlement selon laquelle lesdits recours seraient irrecevables au motif que les lettres du 4 février 1999 ne feraient que rééditer le contenu de la décision du bureau du Parlement du 13 septembre 1995. Estimant, au point 26 de l'arrêt attaqué, que «la lettre du 19 novembre 1998 […] doit être considérée comme une demande des requérants faite pour leur compte par les
vice-présidents», le Tribunal, aux points 27 à 31 du même arrêt, a déclaré ce qui suit:
«27
Il convient de rappeler, ensuite, que, déjà dans l'arrêt du 14 décembre 1962, Confédération nationale des producteurs de fruits et légumes e.a./Conseil (16/62 et 17/62, Rec. p. 901), la Cour a considéré que le terme décision figurant à l'article 173, deuxième alinéa, du traité CE (devenu article 230, quatrième alinéa, CE), doit être entendu dans le sens technique que lui confère l'article 189 du traité CE (devenu article 249 CE) et que le critère de distinction entre un acte de nature
normative et une décision au sens de ce dernier article doit être recherché dans la portée générale ou non de l'acte en question.
28
De plus, ainsi qu'il résulte d'une jurisprudence constante, la possibilité de déterminer avec plus ou moins de précision le nombre ou même l'identité des sujets de droit auxquels s'applique un acte n'est pas de nature à remettre en cause la nature normative de ce dernier (voir ordonnance de la Cour du 23 novembre 1995, Asocarne/Conseil, C-10/95 P, Rec. p. I-4149, point 30, et jurisprudence citée).
29
En l'occurrence, il y a lieu de constater que les définitions arrêtées dans la modification du 13 septembre 1995 de l'annexe III, rédigées en termes généraux et abstraits, produisant ainsi des effets juridiques pour des députés européens déterminés de manière générale et abstraite et, partant, pour chacun des députés, doivent être considérées comme ayant une portée générale et normative. Même s'il avait été établi que les députés auxquels s'applique l'article 5, paragraphe 2, de la
modification du 13 septembre 1995 étaient identifiables au moment de son adoption, la nature réglementaire de cette dernière n'en serait pas mise en cause pour autant, compte tenu du fait qu'elle ne vise que des situations de droit ou de fait objectives.
30
Même si la Cour a reconnu qu'une disposition de nature normative peut, dans certaines circonstances, concerner directement et individuellement certaines personnes physiques ou morales (voir arrêt du Tribunal du 27 juin 2000, Salamander e.a./Parlement et Conseil, T-172/98, T-175/98 à T-177/98, Rec. p. II-2487, point 30 et jurisprudence citée), cette jurisprudence ne peut pas être invoquée dans le cas d'espèce dès lors que la disposition attaquée n'a porté atteinte à aucun droit spécifique des
requérants au sens de cette jurisprudence.
31
Il en résulte que les arguments du Parlement relatifs à l'irrecevabilité des recours T-83/99 et T-84/99 doivent être écartés.»
16. Poursuivant, au fond, l'examen des recours introduits par MM. Ripa di Meana et Orlando, le Tribunal a rejeté l'exception d'illégalité soulevée par ces derniers à l'encontre de la décision du bureau du Parlement du 13 septembre 1995, mais il a accueilli leurs moyens tirés, respectivement, de l'absence de méconnaissance du délai de six mois prévu par l'annexe III, de la violation du principe de bonne administration, ainsi que de la violation du principe de sécurité juridique.
17. À cet égard, le Tribunal a jugé plus particulièrement ce qui suit:
«75
Le Tribunal considère que le Parlement, pour répondre aux exigences résultant du respect du principe de sécurité juridique et de bonne administration, et vu l'article 27, paragraphe 1, de la réglementation concernant les frais et indemnités des députés du Parlement, aurait dû informer les députés concernés de la modification de l'annexe III en utilisant une notification individuelle avec un accusé de réception.
76
De cette manière uniquement, le Parlement se serait comporté conformément à la jurisprudence communautaire, qui exige que tout acte de l'administration qui produit des effets juridiques soit clair, précis et porté à la connaissance de l'intéressé de telle manière que celui-ci puisse connaître avec certitude le moment à partir duquel ledit acte existe et commence à produire ses effets juridiques (arrêt du Tribunal du 7 février 1991, Tagaras/Cour de justice, T-18/89 et T-24/89, Rec. p. II-53,
point 40; voir également l'arrêt de la Cour du 23 septembre 1986, AKZO Chemie/Commission, 5/85, Rec. p. 2585, point 39).
77
Une telle notification n'ayant pas été faite, un délai pour l'introduction d'une demande basée sur un acte prévoyant des droits à pension du type de ceux concernant la présente affaire ne saurait courir, selon la jurisprudence communautaire, qu'à partir du moment où l'intéressé, ayant eu connaissance de l'existence de cet acte, a acquis, dans un délai raisonnable, une connaissance exacte dudit acte (dans ce sens, arrêt du Tribunal du 15 mars 1994, La Pietra/Commission, T-100/92, RecFP
p. I-A-83 et II‑275, point 30 et jurisprudence citée).
78
Même si les requérants ne contestent pas avoir eu connaissance de l'existence de la modification de l'annexe III au cours des premiers mois de l'année 1998, le Parlement n'a pas apporté la preuve que la connaissance exacte de l'acte modificatif a eu lieu plus de six mois avant l'introduction de la demande, intervenue le 19 novembre 1998. De plus, les circonstances qui caractérisent l'affaire montrent que cette connaissance exacte a été acquise dans un délai raisonnable.
79
Dès lors, les requérants ont présenté leur demande d'adhésion au régime provisoire de pension dans le délai prévu par la modification de l'annexe III.»
18. Sur le fondement des considérations qui précèdent, le Tribunal, aux points 1 et 3 du dispositif de l'arrêt attaqué, a donc annulé les décisions n^os 300762 et 300763 du Parlement, du 4 février 1999, rejetant, respectivement, les demandes de MM. Ripa di Meana et Orlando, visant à obtenir l'application avec effet rétroactif du régime provisoire de pension de retraite visé à l'annexe III, et condamné le Parlement à supporter ses propres dépens, ainsi que ceux de MM. Ripa di Meana et Orlando,
dans les affaires T-83/99 et T-84/99.
19. Aux points 2 et 4 du dispositif de l'arrêt attaqué, il a, en revanche, rejeté comme irrecevable le recours de M. Parigi et condamné ce dernier à supporter ses propres dépens, ainsi que ceux du Parlement, dans l'affaire T-85/99.
IV – La procédure devant la Cour et les conclusions des parties
20. Par requête déposée au greffe de la Cour le 22 décembre 2000, le Parlement a, en vertu de l'article 49 du statut CE de la Cour de justice, formé le présent pourvoi.
21. Le Parlement conclut à ce qu'il plaise à la Cour:
–
annuler l'arrêt attaqué en ce qui concerne les affaires T-83/99 et T-84/99;
–
déclarer, en conséquence, les recours des requérants en première instance comme irrecevables et non fondés;
–
condamner les requérants en première instance au paiement de la totalité des dépens relatifs aux procédures engagées devant le Tribunal et la Cour.
22. MM. Ripa di Meana et Orlando concluent pour leur part à ce qu'il plaise à la Cour:
–
rejeter dans son ensemble, comme manifestement irrecevable et/ou non fondé, le pourvoi présenté par le Parlement contre les points 1 et 3 du dispositif de l'arrêt attaqué;
–
confirmer, en conséquence, les points 1 et 3 du dispositif de l'arrêt attaqué, accueillant, dès lors, de manière définitive et complète les conclusions présentées par MM. Ripa di Meana et Orlando en première instance;
–
condamner le Parlement à rembourser également les dépens du pourvoi.
23. Dans l'hypothèse où la Cour accueillerait le pourvoi en tout ou en partie, MM. Ripa di Meana et Orlando concluent à ce qu'il plaise à la Cour:
–
déclarer irrecevable la demande du Parlement visant à condamner les requérants en première instance au paiement de la totalité des dépens relatifs aux procédures engagées devant le Tribunal dans la mesure où il s'agit de conclusions présentées pour la première fois au stade du pourvoi, et donc en violation de l'article 113, paragraphe 1, second tiret, du règlement de procédure;
–
répartir, par souci d'équité, les dépens du pourvoi.
24. À titre incident, M. Parigi a formé un pourvoi contre l'arrêt attaqué en ce que le Tribunal l'a condamné à supporter, outre ses propres dépens, également les dépens du Parlement. Dans son mémoire en réponse, M. Parigi conclut à ce qu'il plaise à la Cour:
–
annuler l'arrêt attaqué exclusivement en ce qui concerne le point 4 de son dispositif, consacré à l'affaire T-85/99;
–
déclarer en conséquence que, s'agissant de la procédure dans l'affaire T-85/99, chacune des parties supportera ses propres dépens;
–
condamner le Parlement à rembourser les dépens du présent pourvoi.
25. Dans l'hypothèse où la Cour rejetterait, en tout ou en partie, le pourvoi incident, M. Parigi conclut à ce qu'il plaise à la Cour répartir les dépens du pourvoi pour des raisons d'équité.
26. Le Parlement a soulevé une exception d'irrecevabilité à l'égard de ce pourvoi incident. Il conclut pour sa part à ce qu'il plaise à la Cour:
–
déclarer irrecevable le pourvoi incident présenté par M. Parigi;
–
condamner M. Parigi à la totalité des dépens de la procédure de pourvoi.
V – Analyse du pourvoi principal
A – Sur le premier moyen
1. Arguments des parties
27. Par son premier moyen, le Parlement conteste la qualification de «demande d'adhésion des requérants» donnée par le Tribunal à la lettre des deux vice-présidents du Parlement du 19 novembre 1998. À cet égard, le Tribunal a constaté, au point 26 de l'arrêt attaqué, que «[…] la lettre du 19 novembre 1998 […] doit être considérée comme une demande des requérants faite pour leur compte par les vice-présidents».
28. Le Parlement observe qu'il n'existe aucun argument juridique permettant d'étayer la thèse du Tribunal dans la mesure où les vice-présidents concernés n'auraient aucune qualité particulière pour présenter une demande d'adhésion au régime provisoire de pension pour le compte de MM. Ripa di Meana et Orlando, ni sur la base d'une quelconque disposition réglementaire ni sur la base d'un mandat qui aurait été donné par ces deux députés. Or, selon le Parlement, il serait exclu d'envisager la
possibilité d'une représentation sans mandat pour des actes tels que ceux en cause au principal, ayant une incidence directe sur la situation juridique et financière des députés concernés. La lettre du 19 novembre 1998 s'apparenterait donc à une démarche de nature informelle visant à solliciter un réexamen de la situation des requérants, mais ne pourrait, en aucun cas, être considérée comme une demande d'adhésion au régime provisoire de pension.
29. Cette conclusion, au demeurant, serait confirmée par la lecture des termes mêmes de ladite lettre dont il ressortirait, selon le Parlement, que les vice-présidents n'ont pas totalement compris la situation puisqu'ils comparent, dans cette lettre, la position de MM. Ripa di Meana et Orlando à celle de M. Parigi. Or, il résulterait de la lecture de l'arrêt attaqué que les positions des uns et des autres sont fondamentalement différentes.
30. En tout état de cause, MM. Ripa di Meana et Orlando auraient reconnu explicitement qu'ils n'ont jamais présenté de demande d'adhésion au régime provisoire de pension selon les formalités prescrites par la réglementation concernant les frais et indemnités des députés du Parlement, ni d'aucune autre manière, et n'auraient par ailleurs, jamais demandé, dans leurs mémoires ou lors de la procédure orale devant le Tribunal, de considérer la lettre du 19 novembre 1998 comme une demande d'adhésion
audit régime faite par les vice-présidents en leur nom et pour leur compte. Il en résulterait que le Tribunal se serait prononcé ultra petitum.
31. En ce qui concerne l'argument de MM. Ripa di Meana et Orlando selon lequel ni l'annexe III ni aucune autre disposition de droit national ou communautaire ne préciserait les modalités de présentation d'une demande d'adhésion au régime provisoire de pension, le Parlement fait observer, premièrement, qu'il existe des formulaires spéciaux fournis par les services compétents du Parlement – formulaires dont MM. Ripa di Meana et Orlando connaissaient l'existence – et, deuxièmement, que, si l'on
devait accepter l'idée qu'une demande d'adhésion au régime provisoire de pension n'exige pas de formalités particulières, cette demande devrait, en tout état de cause, être écrite de manière à permettre à l'administration destinataire de cette demande de disposer des données nécessaires pour effectuer les formalités requises, notamment en ce qui concerne les effets de la date de présentation de la demande.
32. Le Parlement rappelle, ensuite, à propos de ce même argument tiré de l'absence de formalisme de la demande d'adhésion, que le problème n'est pas constitué, en l'espèce, par les modalités de la demande d'adhésion, mais par l'absence d'une quelconque demande d'adhésion de la part de MM. Ripa di Meana et Orlando. À cet égard, il observe que ces deux députés se sont adressés à l'administration du Parlement non pas pour introduire une demande «orale» d'adhésion au régime provisoire de retraite,
mais seulement pour demander des «informations» à ce propos. Les services compétents du Parlement les auraient informés, à cette occasion, de l'existence d'une obligation de demande écrite d'adhésion et de formulaires spéciaux disponibles à cet effet.
33. MM. Ripa di Meana et Orlando observent que ni l'annexe III ni aucune autre disposition de droit national ou communautaire ne précise les modalités de présentation d'une demande d'adhésion au régime provisoire de pension. Rien n'empêchait, dès lors, MM. Ripa di Meana et Orlando de se faire représenter par les vice-présidents italiens du Parlement pour effectuer une telle demande. En l'absence de règles obligatoires concernant la forme que le mandat doit revêtir, celui-ci pourrait, en effet,
être accordé sous quelque forme que ce soit, même oralement ou tacitement.
34. En l'espèce, la lettre des vice-présidents mentionnait de manière claire et non équivoque l'existence d'un mandat de la part des deux députés concernés, de sorte qu'il y aurait lieu de considérer la lettre des vice-présidents comme une véritable demande d'adhésion au régime provisoire de pension, faite au nom et pour le compte de MM. Ripa di Meana et Orlando. Cette conclusion serait, d'ailleurs, confirmée par le fait que le collège des questeurs – qui aurait pu refuser de répondre ou
déclarer la lettre des vice-présidents irrecevable au motif que la procédure prévue à l'article 27, paragraphe 2, de la réglementation concernant les frais et indemnités des députés du Parlement n'aurait pas été respectée – non seulement a répondu à cette lettre, mais encore a répondu directement et individuellement à MM. Ripa di Meana et Orlando, en faisant une référence expresse à leur demande d'adhésion au régime provisoire de pension. Cette circonstance démontrerait clairement, selon ces
députés, que la lettre des vice-présidents doit être considérée comme une demande d'adhésion valable audit régime, ce que le Tribunal aurait d'ailleurs confirmé au point 26 de l'arrêt attaqué.
35. MM. Ripa di Meana et Orlando soulignent encore que les arguments du Parlement relatifs à la prétendue absence de demandes d'adhésion au régime provisoire de pension seraient, en tout état de cause, dépourvus de pertinence dans la mesure où les actes attaqués et annulés par le Tribunal seraient les lettres du collège des questeurs du 4 février 1999 et où, dès lors, c'est au regard de ces lettres seulement qu'il y aurait lieu d'examiner la recevabilité des recours en première instance.
2. Appréciation
36. Il est certain que la manière de procéder de MM. Ripa di Meana et Orlando a été singulière.
37. Toutefois, la thèse du Parlement selon laquelle la lettre des vice-présidents du 19 novembre 1998 ne pouvait être qualifiée par le Tribunal comme une demande d'adhésion est battue en brèche par le fait qu'un de ses propres organes, à savoir le collège des questeurs, l'a également considérée comme étant une demande d'adhésion, faite par les vice-présidents pour le compte des députés concernés.
38. Cela résulte non seulement de la teneur des lettres du 4 février 1999 du collège des questeurs qui concluent comme suit: «Par conséquent, en application de la réglementation en vigueur, votre demande ne saurait être accueillie» (3) , mais également, comme l'observent à juste titre MM. Ripa di Meana et Orlando, du fait que lesdites lettres, tout en constituant, dans leur contenu, une réponse à la lettre des vice-présidents du 19 novembre 1998, ont été adressées aux trois membres du
Parlement concernés directement et individuellement.
39. Je propose donc de rejeter le premier moyen du Parlement comme non fondé.
B – Sur le deuxième moyen
1. Arguments des parties
40. Par son deuxième moyen, le Parlement conteste le point de vue du Tribunal selon lequel les lettres du collège des questeurs du 4 février 1999 seraient des «décisions du Parlement». À ses yeux, il s'agirait, en effet, de simples communications faites, à titre purement informatif, par les questeurs du Parlement, qui se borneraient à confirmer une situation existante, parfaitement connue des députés concernés.
41. Le Parlement conteste, en premier lieu, l'affirmation contenue au point 30 de l'arrêt attaqué, selon laquelle la décision du bureau du Parlement du 13 septembre 1995 «n'a porté atteinte à aucun droit spécifique des requérants au sens de [la] jurisprudence». En effet, en insérant des termes d'échéance en vue de l'obtention de la pension parlementaire, ladite décision porterait bien atteinte à la position juridique subjective des députés et MM. Ripa di Meana et Orlando étaient donc
parfaitement en droit de former un recours en annulation contre cette décision. Ce recours, toutefois, devait être formé dans les délais prévus par l'article 230 CE. L'expiration infructueuse de ces délais ne pourrait, en aucun cas, être régularisée par un recours contre des lettres que le Parlement considère comme de simples lettres de politesse, qui ne feraient que confirmer une règle connue des parlementaires. Une interprétation contraire entraînerait, selon lui, une violation du principe
fondamental de la sécurité juridique.
42. Le Parlement relève, en deuxième lieu, les contradictions du Tribunal lorsqu'il affirme, d'une part, aux points 29 et 30 de l'arrêt attaqué, que la décision du bureau du Parlement est un acte normatif de portée générale, qui n'a porté atteinte à aucun droit spécifique des requérants, et, d'autre part, au point 75 du même arrêt, que le Parlement, pour répondre aux exigences résultant du respect du principe de sécurité juridique et de bonne administration, aurait dû informer les députés
concernés de la modification de l'annexe III en utilisant une notification individuelle avec un accusé de réception. Selon le Parlement, une seule de ces thèses peut être défendue: soit la décision de 1995 doit être considérée comme un acte de portée générale qui ne lèse pas les droits de ses destinataires et les modalités ordinaires par lesquelles une institution communique avec ses membres doivent alors être considérées comme suffisantes; soit pareille décision constitue un acte de portée
individuelle qui devait être notifié à tous les députés et, dans ce cas, les députés auraient dû introduire un recours en annulation contre cet acte dans le délai prévu, lequel délai aurait couru à partir du jour où ils avaient eu connaissance de l'acte. Dès lors que ce délai avait expiré, le recours aurait dû être déclaré irrecevable par le Tribunal.
43. Le Parlement relève, en dernier lieu, que les lettres du 4 février 1999 ne pourraient, en aucun cas, être qualifiées de «décisions du Parlement» dans la mesure où MM. Ripa di Meana et Orlando, par leur démarche informelle et atypique auprès des vice-présidents, se situeraient, en toute hypothèse, en dehors des règles et procédures ordinaires. Le Parlement renvoie plus particulièrement, à cet égard, à la règle prévue à l'article 27, paragraphe 2, de la réglementation concernant les frais et
indemnités des députés du Parlement européen aux termes duquel «[u]n député estimant que cette réglementation a été incorrectement appliquée peut s'adresser par écrit au Secrétaire général. Si aucun accord n'intervient entre le député et le Secrétaire général, la question est renvoyée au collège des questeurs, qui prend une décision après consultation du Secrétaire général. Le collège peut également consulter le Président et/ou le Bureau».
44. Quant à l'argument tiré par MM. Ripa di Meana et Orlando de l'arrêt Weber/Parlement (4) , le Parlement rappelle que si, aux termes de cet arrêt, sont certes soumis à contrôle juridictionnel les actes du Parlement produisant des effets juridiques à l'égard des tiers, il faut qu'existe un acte d'application de la réglementation en cause. Il s'agissait, dans l'arrêt Weber/Parlement, précité, d'une décision du collège des questeurs concernant l'indemnité transitoire de fin de mandat, qui avait
été sollicitée par M^me Weber. Or, dans le cas présent, il n'y aurait aucun acte d'application de la réglementation pertinente puisque les conditions juridiques requises pour qu'un tel acte voie le jour n'étaient pas réunies. En d'autres termes, les lettres du collège des questeurs ne pouvaient produire aucun effet juridique dans la mesure où il n'y avait eu, en l'occurrence, aucune demande d'adhésion formelle au régime provisoire de pension de la part de MM. Ripa di Meana et Orlando. Le Parlement
rappelle, à ce propos, qu'un acte d'initiative – écrit et signé par l'intéressé – est indispensable pour ouvrir une procédure de nature administrative et déboucher, le cas échéant, sur une décision attaquable. Or, en l'occurrence, aucun acte semblable n'aurait été posé par les deux députés. La lettre des deux vice-présidents – qui, par définition, ne provenait pas des intéressés eux-mêmes – ne pouvait donc avoir aucune valeur juridique.
45. Tout en observant, dans leur réponse au deuxième moyen du Parlement, que c'est le collège des questeurs lui-même qui, en répondant directement aux députés concernés, a méconnu la procédure prévue à l'article 27, paragraphe 2, de la réglementation concernant les frais et indemnités des députés du Parlement européen, MM. Ripa di Meana et Orlando contestent la thèse du Parlement selon laquelle les lettres du collège des questeurs seraient de simples communications de politesse et le seul acte
attaquable la décision du 13 septembre 1995. Ils font valoir, à cet égard, que cette thèse est démentie tant par le caractère univoque des termes employés dans lesdites lettres, selon lesquels «[la] demande [de MM. Ripa di Meana et Orlando] ne saurait être accueillie» que par un précédent décisif dans la jurisprudence de la Cour, à savoir l'arrêt Weber/Parlement, précité.
46. Dans cette dernière affaire, en effet, le collège des questeurs avait rejeté la demande d'un membre du Parlement européen tendant à obtenir, après la cessation de ses fonctions, l'indemnité transitoire de fin de mandat. Le collège des questeurs avait rejeté la demande de cette députée sur la base d'une décision du bureau du Parlement à laquelle la lettre du collège des questeurs faisait expressément référence. Dans son arrêt, la Cour a déclaré recevable le recours introduit par M^me Weber
contre la lettre du collège des questeurs rejetant sa demande au motif «qu'une réglementation relative à l'indemnité de fin de mandat en faveur des députés du Parlement ainsi que des actes individuels d'application d'une telle réglementation produisent des effets juridiques allant au-delà de l'organisation interne des travaux de l'institution, dans la mesure où ils affectent la situation patrimoniale du député lors de la cessation de ses fonctions». Selon MM. Ripa di Meana et Orlando, tous les actes
affectant la situation patrimoniale des députés seraient donc attaquables, y compris les actes d'application d'une réglementation à caractère général.
47. Or, selon eux, tel serait précisément le cas des lettres du collège des questeurs du 4 février 1999. Loin d'être de simples communications informatives ou de politesse, pareilles communications seraient, en effet, des actes d'application de la réglementation générale du Parlement en matière de pension de retraite. Même si elles ont été prises en application de la modification apportée à l'annexe III par la décision de 1995, ce sont ces lettres-là qui ont affecté concrètement la situation
patrimoniale des députés concernés et ce sont donc elles – et non la décision de 1995 – qui devaient être attaquées devant le Tribunal.
48. Par ailleurs, selon MM. Ripa di Meana et Orlando, le fait que les lettres du collège des questeurs du 4 février 1999 constituent bien des décisions qui produisent des effets juridiques à leur égard serait confirmé par une lettre du même collège du 21 mai 1999, écrite en réponse à deux lettres, datées de mars et d'avril 1999, dans lesquelles MM. Ripa di Meana et Orlando auraient averti le collège des questeurs de leur intention de saisir le Tribunal de première instance. Dans cette lettre du
21 mai 1999, le collège des questeurs aurait, en effet, déclaré, d'une part, «que le collège a examiné [les lettres de MM. Ripa di Meana et Orlando dans lesquelles ils contestent] le refus du collège de [leur] accorder l'adhésion rétroactive au fonds de pension» et, d'autre part, que, «en l'absence d'autres éléments au soutien de [leur] demande, le collège répète l'impossibilité d'exprimer un avis favorable». Ces deux affirmations confirmeraient bien, selon MM. Ripa di Meana et Orlando, que les
lettres du 4 février 1999, loin d'être assimilables à de simples communications de politesse, constituent des décisions attaquables au titre de l'article 230 CE.
49. Rappelant également qu'ils n'avaient aucun intérêt à demander l'annulation de la modification apportée à l'annexe III – qui n'aurait pas été portée à leur connaissance –, mais seulement à obtenir que cette modification leur soit appliquée à partir de la date à laquelle ils en avaient pris connaissance, MM. Ripa di Meana et Orlando concluent, sur cet aspect, que c'est à juste titre que le Tribunal a déclaré leurs recours recevables.
2. Appréciation
50. Je vous propose d'accueillir la thèse de MM. Ripa di Meana et Orlando selon laquelle le Tribunal n'a pas commis d'erreur de droit en qualifiant les lettres du collège des questeurs du 4 février 1999 comme des décisions au sens de l'article 230 CE.
51. D'abord, pour autant que le Parlement soutient que les lettres du collège des questeurs ne sauraient être qualifiées de décisions au motif qu'il n'y avait eu, en l'occurrence, aucune demande d'adhésion formelle au régime provisoire de pension de la part de MM. Ripa di Meana et Orlando, il convient de constater que ce deuxième moyen se confond avec le premier qui, comme indiqué ci-dessus, ne me paraît pas fondé.
52. Ensuite, l'argument du Parlement selon lequel les lettres du collège des questeurs du 4 février 1999 ne seraient qu'une confirmation de la décision de 1995 et que le délai de recours serait donc expiré ne saurait être accueilli.
53. C'est, en effet, à bon droit que le Tribunal a jugé, aux points 29 et 30 de l'arrêt attaqué, que la décision de 1995 a une portée générale et normative qui, en elle-même, n'a porté atteinte à aucun droit spécifique des députés concernés. Celle-ci se limite, effectivement, à prévoir, de façon générale, l'obligation d'introduire dans un délai de six mois la demande d'adhésion au régime provisoire de pension sous peine de ne plus obtenir la pension rétroactivement.
54. Les lettres du collège des questeurs du 4 février 1999 sont, en revanche, d'une autre nature en ce qu'elles appliquent au cas concret des députés concernés la décision de 1995. Ce n'est qu'à ce moment-là, par le rejet concret de la demande d'adhésion rétroactive au régime provisoire de pension, qu'il a été porté atteinte à un de leurs droits spécifiques et qu'une décision au sens de l'article 230 CE existe.
55. La différence entre la décision de 1995 et les lettres du 4 février 1999 et donc l'absence d'une simple confirmation de la première par les dernières sont d'ailleurs fort bien démontrées par l'argument de MM. Ripa di Meana et Orlando selon lequel ceux-ci n'avaient aucun intérêt à demander l'annulation de la décision de 1995, mais seulement à obtenir que cette modification leur soit appliquée à partir de la date à laquelle ils en avaient pris connaissance.
56. De même, la comparaison effectuée par MM. Ripa di Meana et Orlando entre la présente affaire et l'affaire Weber/Parlement, précitée, me paraît pertinente en ce sens que la dernière avait également pour objet le rejet d'un avantage financier par le collège des questeurs en application d'une réglementation adoptée par le bureau du Parlement. Or, dans cette dernière affaire, il n'a pas du tout été contesté par le Parlement que le recours introduit par M^me Weber contre cette décision de rejet
prise par le bureau des questeurs était recevable.
57. Enfin, quant à l'argument du Parlement relatif à une prétendue contradiction entre, d'une part, les points 29 et 30 et, d'autre part, le point 75 de l'arrêt attaqué, celui-ci me paraît relever du troisième moyen invoqué par le Parlement, qui revient d'ailleurs sur cet argument dans le contexte de son troisième moyen.
58. En tenant compte de ce qui précède, je propose de rejeter le deuxième moyen invoqué par le Parlement.
C – Sur le troisième moyen
59. Par son troisième moyen, le Parlement remet en cause la conclusion du Tribunal selon laquelle MM. Ripa di Meana et Orlando auraient bien présenté leur demande d'adhésion au régime provisoire de pension dans le délai prévu dans la décision de 1995. Il fait valoir, à cet égard, quatre arguments que je propose de regrouper en deux branches: la première branche, composée des deux premiers arguments, concerne la question de savoir si une notification individuelle de la décision de 1995
s'imposait (points 75 et 76 de l'arrêt attaqué); la seconde branche, composée des deux derniers arguments, a trait aux modalités de la prise de connaissance par MM. Ripa di Meana et Orlando de la décision de 1995 (points 77 et 78 de l'arrêt attaqué).
1. Sur la première branche du troisième moyen, relative à l'obligation de notification de la décision de 1995
a) Arguments des parties
i) Le premier argument invoqué par le Parlement
60. Le Parlement conteste l'affirmation contenue au point 75 de l'arrêt attaqué selon laquelle le Parlement aurait dû informer les députés concernés de la modification de l'annexe III en utilisant une notification individuelle avec un accusé de réception «vu l'article 27, paragraphe 1, de la réglementation concernant les frais et indemnités des députés du Parlement européen». Selon le Parlement, ce dernier article – qui prévoit que, «[d]ès leur prise de fonctions, les députés européens
reçoivent du Secrétaire général une copie de la présente réglementation [et] en accusent réception par écrit» – ne concerne, en effet, que la réglementation complète en vigueur au début du mandat des députés, et non les modifications ultérieures de ladite réglementation et de ses annexes.
61. À cet égard, il fait valoir, d'une part, que la réglementation complète constitue un corpus de règles bien plus important que les actes ultérieurs qui la modifient ou qui la complètent et, d'autre part, que la réglementation en vigueur au début du mandat a été adoptée, en règle générale, par un Parlement dont l'intéressé ne faisait pas encore partie et ne peut donc pas être connue du député, si ce n'est dans le cas de mandats successifs. Les modifications de la réglementation intervenues au
cours de son mandat constitueraient, en revanche, des actes du Parlement dont il fait partie et il serait donc normal qu'elles puissent être portées à la connaissance de ce député selon des modalités plus souples, typiques de la diffusion interne des actes parlementaires et connues de toutes les assemblées parlementaires. En interprétant de manière extensive l'article 27, paragraphe 1, de la réglementation concernant les frais et indemnités des députés du Parlement européen, le Tribunal aurait donc
traité de manière semblable des situations différentes et enfreint, de la sorte, le principe d'égalité substantielle.
62. MM. Ripa di Meana et Orlando répondent que l'annexe III ferait partie intégrante de la réglementation dont chaque député recevrait une copie, avec accusé de réception, en début de mandat, et il conviendrait donc d'appliquer la procédure prévue à l'article 27, paragraphe 1, de ladite réglementation pour toute modification de cette réglementation, en ce compris les modifications de ses annexes. Seule cette interprétation permettrait de respecter les principes de sécurité juridique et de bonne
administration.
63. MM. Ripa di Meana et Orlando soulignent, à cet égard, qu'il serait absurde d'imposer un accusé de réception par écrit pour l'ensemble de la réglementation concernée si les modifications ultérieures à celle-ci pouvaient sortir leurs effets après une communication informelle aux intéressés, laquelle, de surcroît, serait incertaine. Pareille solution serait, à leurs yeux, aussi absurde que celle qui consisterait à imposer l'obligation de publier les règlements communautaires au Journal
officiel et permettrait une publication des modifications apportées auxdits règlements dans un bulletin quelconque, interne aux institutions.
ii) Le second argument invoqué par le Parlement
64. Tout en partageant l'appréciation faite au point 76 de l'arrêt attaqué, selon laquelle «la jurisprudence communautaire […] exige que tout acte de l'administration qui produit des effets juridiques soit clair, précis et porté à la connaissance de l'intéressé de telle manière que celui-ci puisse connaître avec certitude le moment à partir duquel ledit acte existe et commence à produire ses effets juridiques», le Parlement souligne que cette règle vaut seulement pour les actes individuels ou,
en toute hypothèse, pour les actes ayant une incidence sur la situation de certaines personnes. De tels actes, en effet, ont des destinataires et peuvent leur être notifiés. Or, il résulterait des points 28 à 30 de l'arrêt attaqué que la modification de l'annexe III est assimilée par le Tribunal à un acte réglementaire de portée générale, adopté pour régir la jouissance des droits à retraite de tous les députés, présents et futurs, qui ne sont pas couverts par un régime définitif à charge de leur
État membre. Le Tribunal aurait donc commis une erreur de droit en considérant ensuite, aux points 75 et suivants de l'arrêt attaqué, la modification de l'annexe III comme un acte administratif individuel, requérant une notification individuelle avec accusé de réception.
65. Quant à la référence par MM. Ripa di Meana et Orlando au cas d'un membre du Parlement qui, ainsi qu'il ressortirait du rapport annuel 1998 du médiateur européen, aurait reçu communication écrite de la décision de 1995 tant au Parlement qu'à son domicile, le Parlement soutient que cette situation était différente de celle de MM. Ripa di Meana et Orlando et, en outre, que le fait qu'il ait effectué, dans un cas donné, une communication écrite d'un acte tant au Parlement qu'au domicile de
l'intéressé ne signifie pas qu'il ait l'obligation juridique de procéder de la sorte dans toutes les hypothèses ou que le principe de bonne administration imposerait nécessairement plusieurs modalités de communication.
66. MM. Ripa di Meana et Orlando soulignent le caractère contradictoire des propos du Parlement consistant à soutenir, d'une part, qu'ils ne peuvent attaquer que la décision du 13 septembre 1995 et, d'autre part, que cette décision doit être qualifiée d'acte réglementaire de portée générale, ayant vocation à régir la jouissance des droits à retraite de tous les députés, présents et futurs, même ceux des futurs États membres de l'Union européenne. La portée de cette décision serait, en effet,
tellement générale qu'il serait difficile de soutenir que deux députés pourraient l'attaquer en application de l'article 230 CE.
67. Ensuite, MM. Ripa di Meana et Orlando rappellent que, même si la décision de 1995 constitue un acte réglementaire de portée générale, une notification individuelle avec accusé de réception s'impose en toute hypothèse dans la mesure où pareille exigence découlerait du texte même de l'article 27, paragraphe 1, de la réglementation concernant les frais et indemnités des députés du Parlement européen.
68. Enfin, ces deux députés renvoient à la situation d'un député européen qui avait omis d'introduire en temps utile une demande d'adhésion au régime de pension de retraite complémentaire et qui, en 1997, après le rejet de sa demande (tardive) par les services compétents du Parlement, avait présenté au médiateur une plainte pour mauvaise gestion contre le Parlement. Le service juridique du Parlement avait répondu, dans cette affaire, que l'affirmation du plaignant selon laquelle il n'avait pas
été dûment informé des modifications apportées au régime de pension de retraite complémentaire – lesquelles modifications consistaient, comme dans la présente affaire, à subordonner le bénéfice dudit régime de pension à la présentation d'une demande dans un délai de six mois – n'était pas fondée dans la mesure où le député «en avait reçu communication écrite tant au Parlement qu'à son domicile». Par la suite, la plainte avait été rejetée par le médiateur au motif que cette double possibilité de
prendre connaissance du délai de présentation de la demande protégeait à suffisance tant le député que l'impératif d'une bonne administration. MM. Ripa di Meana et Orlando s'étonnent, en l'occurrence, de l'absence d'une méthode similaire de communication pour les modifications apportées à l'annexe III.
b) Appréciation
69. Par ces deux arguments, le Parlement conteste respectivement les points 75 et 76 de l'arrêt attaqué par lesquels le Tribunal motive son jugement selon lequel la décision de 1995 aurait dû être notifiée individuellement avec un accusé de réception aux députés concernés.
70. Rappelons que le point 75 est rédigé comme suit:
«Le Tribunal considère que le Parlement, pour répondre aux exigences résultant du respect du principe de sécurité juridique et de bonne administration et vu l'article 27, paragraphe 1, de la réglementation concernant les frais et indemnités des députés du Parlement, aurait dû informer les députés concernés de la modification de l'annexe III en utilisant une notification individuelle avec un accusé de réception.»
71. Comme MM. Ripa di Meana et Orlando, j'estime que le Tribunal n'a pas commis d'erreur de droit en raisonnant de cette façon.
72. En prévoyant à l'article 27, paragraphe 1, de la réglementation que, dès «leur prise de fonctions, les députés reçoivent du Secrétaire général une copie de la présente réglementation, ils en accusent réception par écrit», le Parlement a montré qu'il accordait une grande importance à ce que les députés aient une connaissance exacte de leurs droits.
73. Or, la modification intervenue en 1995 revêtait une importance considérable puisque le non-respect du délai de six mois était susceptible d'affecter de façon non négligeable les droits à pension des députés tels qu'ils résultaient de la version antérieure de la réglementation.
74. Dès lors, le principe de bonne administration, le devoir de sollicitude ainsi que, d'une certaine façon, le principe du parallélisme des formes auraient dû amener le Parlement à donner une interprétation large à l'article 27, paragraphe 1, en considérant qu'il couvrait au moins les modifications dont la méconnaissance pouvait entraîner des conséquences négatives pour les parlementaires.
75. C'est donc à juste titre que le Tribunal a considéré que l'attention des membres du Parlement aurait dû être attirée sur le délai nouvellement instauré en utilisant à cet effet le moyen d'une notification individuelle assortie d'un accusé de réception.
76. En revanche, quant au point 76 de l'arrêt attaqué, je ne partage pas le raisonnement du Tribunal.
77. Il est rappelé que ce point 76 prévoit ce qui suit:
«De cette manière uniquement [c'est-à-dire, par une notification individuelle avec accusé de réception], le Parlement se serait comporté conformément à la jurisprudence communautaire, qui exige que tout acte de l'administration qui produit des effets juridiques soit clair, précis et porté à la connaissance de l'intéressé de telle manière que celui-ci puisse connaître avec certitude le moment à partir duquel ledit acte existe et commence à produire ses effets juridiques (arrêt du Tribunal du 7
février 1991, Tagaras/Cour de justice, T-18/89 et T-24/89, Rec. p. II-53, point 40; voir également l'arrêt de la Cour du 23 septembre 1986, AKZO Chemie/Commission, 5/85, Rec. p. 2585, point 39)» 5 –Souligné par l'auteur..
78. Or, la notion d'«acte de l'administration qui produit des effets juridiques» est ambiguë compte tenu des références jurisprudentielles figurant dans ce passage de l'arrêt attaqué.
79. Dans l'arrêt Tagaras/Cour de justice, précité, il était question de la publication d'une décision de nomination d'un fonctionnaire qui est, par sa nature même, une décision à caractère individuel. Or, comme l'observe à juste titre le Parlement, le Tribunal a jugé, au point 30 de l'arrêt attaqué, que la décision de 1995 ne constitue précisément pas une telle décision. En ce sens, le raisonnement suivi par le Tribunal au point 76 n'est donc pas pertinent.
80. En revanche, dans l'arrêt AKZO Chemie/Commission, précité, il s'agissait de la publication des décisions d'habilitation des membres de la Commission qui elles sont bel et bien, comme la décision de 1995, des actes de portée générale. Cependant, dans le passage cité par le Tribunal, la Cour s'est référée seulement à la nécessité de publier les décisions d'habilitation et pas du tout à une quelconque obligation de les notifier individuellement.
81. Dès lors, dans la mesure où le raisonnement suivi par le Tribunal au point 76 de l'arrêt attaqué s'applique à des actes de portée générale, celui-ci est erroné. Il n'est, en effet, pas possible de déduire de l'arrêt AKZO Chemie/Commission, précité, une obligation de notifier individuellement des actes de nature normative, obligation qui serait d'ailleurs dans la plupart des cas impraticable.
82. Malgré le point 76 de l'arrêt attaqué, je suis cependant d'avis que, pour les raisons exposées ci-dessus, le Tribunal a décidé, à juste titre, que la décision de 1995 aurait dû être notifiée individuellement.
83. Je propose donc de rejeter la première branche du troisième moyen.
2. Sur la seconde branche du troisième moyen, relative aux modalités de la prise de connaissance de la décision de 1995
a) Arguments des parties
i) Le premier argument invoqué par le Parlement
84. Le Parlement conteste l'affirmation contenue au point 77 de l'arrêt attaqué selon laquelle, en l'absence d'une notification individuelle avec accusé de réception, «un délai pour l'introduction d'une demande basée sur un acte prévoyant des droits à pension du type de ceux concernant la présente affaire ne saurait courir, selon la jurisprudence communautaire, qu'à partir du moment où l'intéressé, ayant eu connaissance de l'existence de cet acte, a acquis, dans un délai raisonnable, une
connaissance exacte dudit acte». Selon le Parlement, cette règle, formulée antérieurement par le Tribunal en matière de rapports entre une institution et ses employés, ne serait pas transposable aux rapports entre une institution et ses membres. Tandis que les fonctionnaires se trouveraient dans un rapport de soumission par rapport à l'institution qui les emploie, de sorte que les actes de l'autorité investie du pouvoir de nomination qui les concernent ne produisent pas d'effets aussi longtemps que
lesdits fonctionnaires n'en ont pas une connaissance exacte dans un délai raisonnable, la situation juridique des députés serait complètement différente.
85. D'une part, en effet, les députés ne seraient pas soumis à l'institution, mais en feraient eux-mêmes partie. En conséquence, les députés participeraient – même indirectement, dans le cas des décisions du bureau – à la formation de la volonté de l'institution et il ne saurait être question d'un quelconque lien de subordination entre les députés et cette institution.
86. D'autre part, le délai raisonnable dans lequel ces députés, qui font partie de l'institution auteur d'un acte, peuvent passer de la connaissance de l'existence de cet acte à une connaissance exacte de son contenu, génératrice d'effets juridiques, est particulièrement court et ne pourrait, en aucun cas, dépasser le délai d'un mois.
87. En ce qui concerne, tout d'abord, l'affirmation du Parlement selon laquelle les règles dégagées par le Tribunal en matière de rapports entre une institution et ses employés ne seraient pas transposables aux rapports entre une institution et ses membres, MM. Ripa di Meana et Orlando font valoir que ce n'est pas le rapport organique liant une personne à une institution qui détermine l'application des règles spécifiques à une relation de travail. Il faut, au contraire, procéder à un examen au
cas par cas en prenant dûment en considération la matière dont il s'agit. En l'espèce, il serait indéniable, s'agissant de problèmes liés au régime de pension de retraite des députés, que le rapport entre le Parlement et ses (anciens) députés est de nature purement administrative et ne serait en rien lié au mandat politique desdits députés. Dès lors, le recours engagé par MM. Ripa di Meana et Orlando devant le Tribunal devrait être appréhendé, en l'espèce, à l'instar de tout autre recours formé
contre les institutions par un de ses agents.
88. En ce qui concerne l'affirmation du Parlement selon laquelle le délai raisonnable dans lequel les députés doivent passer de la connaissance de l'existence d'un acte à une connaissance exacte de son contenu ne pourrait, en aucun cas, dépasser un mois, MM. Ripa di Meana et Orlando soulignent que ce délai ne peut pas être quantifié de manière abstraite et mathématique, mais doit faire l'objet d'une appréciation au cas par cas, selon les circonstances de l'espèce, et sur la base des résultats
de l'instruction menée en première instance. Cette quantification relèverait de la compétence exclusive du Tribunal, seul juge du fond, et ne pourrait donc pas, en tant que telle, faire l'objet d'un pourvoi.
ii) Le second argument invoqué par le Parlement
89. Le Parlement conteste l'affirmation contenue au point 78 de l'arrêt attaqué selon laquelle, «[m]ême si les requérants ne contestent pas avoir eu connaissance de l'existence de la modification de l'annexe III au cours des premiers mois de l'année 1998, le Parlement n'a pas apporté la preuve que la connaissance exacte de l'acte modificatif a eu lieu plus de six mois avant l'introduction de la demande, intervenue le 19 novembre 1998».
90. D'une part, en effet, l'acquisition de la connaissance «exacte» ne pourrait pas être distinguée, en l'espèce, de la connaissance «simple» dans la mesure où la modification de l'annexe III a été nette et concise. Elle impliquerait simplement qu'une demande d'adhésion au régime provisoire de pension qui avait, auparavant, un effet rétroactif dans tous les cas ne gardait, à partir de cette modification, un tel effet rétroactif que si elle était présentée dans les six mois ayant suivi la
modification ou, le cas échéant, le début du mandat d'un député. Le Parlement s'interroge, dans ces conditions, sur la signification exacte de ces deux adjectifs qualifiant des degrés différents de connaissance d'un acte aussi simple que celui de l'espèce et, en particulier, sur le contenu d'une connaissance «simple» qui, aux yeux du Tribunal, ne serait pas de nature à faire courir les délais de recours.
91. D'autre part, selon le Parlement, le Tribunal aurait commis un vice de procédure en renversant la charge de la preuve et en exigeant du Parlement qu'il démontre que la simple connaissance de la modification de l'annexe III, admise par les requérants, est devenue une connaissance «exacte» de cette modification plus de six mois avant la lettre des vice-présidents, considérée par le Tribunal comme une demande d'adhésion au régime provisoire de pension.
92. Selon le Parlement, dès lors que la connaissance effective de la modification apportée à l'annexe III avait été établie en justice, il appartenait aux deux députés concernés – et non au Parlement – de prouver que cette simple connaissance de l'existence de cette modification ne suffisait pas à faire courir le délai de la demande d'adhésion au régime provisoire de pension. Cela ressortirait, notamment, de l'arrêt Michel/Parlement (6) . Si MM. Ripa di Meana et Orlando voulaient donc tirer un
avantage de la distinction entre la simple connaissance et la connaissance exacte (ou suffisante) et du délai qui courrait seulement à partir de cette dernière, ils devaient expliquer ce qu'ils avaient besoin de savoir précisément avant de présenter leur demande d'adhésion, laquelle, en l'occurrence, n'aurait jamais été présentée.
93. Au point 78 de son arrêt, le Tribunal négligerait, aux yeux du Parlement, les conséquences de l'affirmation faite par les requérants, au cours des procédures écrite et orale, selon laquelle lesdits requérants avaient eu connaissance de la modification apportée à l'annexe III «au plus tard au cours des premiers mois de l'année 1998». Le Parlement rappelle, à cet égard, que le texte de ladite modification a été envoyé aux députés à travers la communication n° 25/95, datée du 28 septembre
1995, et via le procès-verbal de la réunion du bureau du 13 septembre 1995 qui, sur la base de l'article 28, paragraphe 1, du règlement interne du Parlement, est distribué à tous les députés, dans les langues officielles de l'Union européenne.
94. Cette modification aurait, en outre, été portée à la connaissance des députés à travers la transmission à ces derniers – selon les procédures normales de transmission des règles internes à caractère général relatives à tous les membres du Parlement – du texte consolidé de la réglementation concernant les frais et indemnités des députés du Parlement européen, lequel texte aurait été publié en mars 1996 et en septembre 1997.
95. Enfin, MM. Ripa di Meana et Orlando recevraient chaque mois, à leur demande expresse, un extrait relatif à leurs frais et indemnités. Or, de tels extraits mentionneraient toujours les déductions opérées par l'administration du Parlement sur le montant des versements effectués aux députés ainsi que les sommes dues, le cas échéant, à la suite de l'adhésion au régime provisoire de pension ou à d'autres régimes de pension. Il était donc aisé, pour les députés concernés, de vérifier si, oui ou
non, ils bénéficiaient d'un régime de pension.
96. En ce qui concerne, tout d'abord, l'argument du Parlement selon lequel il n'y aurait pas lieu de distinguer, en l'espèce, la connaissance «exacte» de la simple connaissance de la modification apportée à l'annexe III, MM. Ripa di Meana et Orlando relèvent une contradiction dans les propos du Parlement. Celui-ci semblerait rejeter ici l'existence d'une distinction entre ces deux notions, alors même qu'il l'aurait acceptée précédemment en affirmant que le délai raisonnable dans lequel les
députés doivent passer de la connaissance de l'existence d'un acte à sa connaissance exacte ne peut excéder un mois.
97. MM. Ripa di Meana et Orlando allèguent, ensuite, que, contrairement à ce qu'affirme le Parlement dans son pourvoi, ce n'est pas dans le cadre de la présente affaire que le Tribunal aurait introduit la condition d'une «connaissance exacte» de l'acte pour faire courir le délai de six mois pour présenter une demande d'adhésion au régime provisoire de pension. Cette condition ainsi que la distinction entre la connaissance de l'existence d'un acte et la connaissance exacte de son contenu
trouveraient, en effet, leurs fondements dans la jurisprudence constante de la Cour et du Tribunal et, notamment, dans l'arrêt La Pietra/Commission, précité.
98. Selon MM. Ripa di Meana et Orlando, il résulterait notamment du point 30 de ce dernier arrêt que, pour que l'on puisse considérer que le principe de diligence a été respecté par une personne qui, sans avoir commis de faute, n'a pas pu présenter dans le délai de six mois la demande d'adhésion requise au régime provisoire de pension, il faut que cette personne, une fois informée de l'existence de l'acte instaurant ce délai, a) effectue, dans un délai raisonnable, des démarches, fussent-elles
seulement verbales, auprès des services compétents afin d'obtenir une connaissance exacte du contenu et de la motivation de l'acte concerné et b) présente ensuite dans les six mois la demande d'adhésion en cause. Or, dans la présente espèce, le Tribunal aurait estimé que les phases a) et b) précitées se sont succédé entre les mois de février et de novembre 1998, dans un délai conforme à la jurisprudence précitée. Le moyen du Parlement serait donc irrecevable dans la mesure où il tend à remettre en
cause, devant la Cour, une appréciation souveraine des faits par le Tribunal.
99. En ce qui concerne, par ailleurs, l'argument du Parlement selon lequel le Tribunal aurait commis un vice de procédure en renversant la charge de la preuve et en exigeant du Parlement qu'il démontre que la simple connaissance de la modification de l'annexe III est devenue une connaissance «exacte» de cette modification plus de six mois avant la lettre des vice-présidents, MM. Ripa di Meana et Orlando font observer, d'une part, que les questions liées à la charge de la preuve relèvent du
fond, et non de la forme, et ne peuvent donc pas entraîner un «vice de procédure» et, d'autre part, qu'il résulterait de la jurisprudence précitée de la Cour et du Tribunal que c'est à l'institution concernée qu'il incombe de prouver que le destinataire d'une mesure déterminée en a effectivement pris connaissance.
100. S'agissant, enfin, de l'argument du Parlement tiré du fait que MM. Ripa di Meana et Orlando recevraient chaque mois, à leur demande, un extrait relatif à leurs frais et indemnités dont la lecture devrait instantanément leur permettre de vérifier si, oui ou non, des cotisations au régime provisoire de pension ont été déduites, ces deux députés le rejettent au motif qu'il serait irrecevable puisqu'il constituerait une nouvelle tentative du Parlement de remettre en cause devant la Cour une
appréciation souveraine des faits par le Tribunal.
101. Ils font également valoir que, en tout état de cause, cet argument ne serait pas fondé dans la mesure où la présentation des extraits mensuels ne serait pas identique s'agissant des fonctionnaires et des députés. Pour les premiers, en effet, le chiffre «zéro» figurerait sur lesdits extraits lorsque, pour une rubrique donnée, la contribution des fonctionnaires intéressés est inexistante. Les fonctionnaires seraient donc mis en mesure de se rendre compte de leur situation administrative
concernant cette rubrique comptable, de sorte que toute inattention de leur part serait injustifiable. Pour les seconds, en revanche, les extraits mensuels reprendraient un montant unique, de sorte qu'il serait impossible de constater les déductions éventuelles opérées et, partant, une inattention ne saurait être reprochée à ces députés.
b) Appréciation
102. C'est à bon droit, selon moi, que le Tribunal s'est référé, au point 77 de l'arrêt attaqué, à la distinction entre, d'une part, la connaissance de l'existence d'un acte – en l'espèce, la décision de 1995 – et, d'autre part, la connaissance exacte dudit acte. Il convient, en effet, de rappeler que la Cour a jugé, au point 14 de l'arrêt Dillinger Hüttenwerke/Commission (7) , auquel le Tribunal s'est indirectement référé au point 77 de l'arrêt attaqué, que:
«[i]l résulte de la jurisprudence de la Cour relative à l'article 173, alinéa 3, du traite CEE (arrêts du 5 mars 1980, Könecke, 76/79, Rec. p. 665, et du 5 mars 1986, Tezi Textiel, 59/84, Rec. p. 887) que, à défaut de publication ou de notification, il appartient à celui qui a connaissance de l'existence d'un acte qui le concerne d'en demander le texte intégral dans un délai raisonnable, mais que, sous cette réserve, le délai de recours ne saurait courir qu'à partir du moment où le tiers concerné a
une connaissance exacte du contenu et des motifs de l'acte en cause de manière à pouvoir faire fruit de son droit de recours» 8 –Voir, également, arrêts du 6 décembre 1990, Wirtschaftsvereinigung Eisen- und Stahlindustrie/Commission (C-180/88, Rec. p. I-4413, point 22), et du 19 février 1998, Commission/Conseil (C-309/95, Rec. p. I-655, point 18), et ordonnance du 5 mars 1993, Ferriere Acciaierie Sarde/Commission (C-102/92, Rec. p. I-801, point 18)..
103. Contrairement à ce qu'allègue le Parlement, la pertinence de la distinction entre ces deux formes de connaissance n'est pas limitée au domaine de la fonction publique, ainsi que le démontre, d'ailleurs, l'arrêt Dillinger Hüttenwerke/Commission, précité, qui concerne une affaire CECA.
104. En revanche, je partage l'opinion du Parlement qu'il a soulignée encore à l'audience et selon laquelle le Tribunal a mal appliqué cette jurisprudence de la Cour et, de ce fait, son propre arrêt La Pietra/Commission, précité, qui s'inspire fidèlement de cette jurisprudence, en jugeant, au point 78 de l'arrêt attaqué, que, une fois que la date de la connaissance de l'existence de l'acte était établie, il appartenait au Parlement d'apporter la preuve de la date de la connaissance exacte de
l'acte.
105. La Cour a, en effet, jugé, dans le passage cité ci-dessus de l'arrêt Dillinger Hüttenwerke/Commission, qu'«il appartient à celui qui a connaissance de l'existence d'un acte qui le concerne d'en demander le texte intégral dans un délai raisonnable». Or, ce passage manque entièrement dans l'arrêt attaqué.
106. Ce passage est pourtant essentiel. Il serait, en effet, contraire à la sécurité juridique d'admettre qu'une personne dont il est établi qu'elle a connaissance de l'existence d'un acte qui est susceptible de produire pour elle des effets juridiques puisse se prévaloir de sa propre passivité pour justifier l'inopposabilité de cet acte.
107. Je suis donc d'avis que le Tribunal a commis une erreur de droit en n'examinant pas, une fois qu'il était établi que MM. di Ripa di Meana et Orlando avaient eu connaissance de l'existence de la décision de 1995 au cours des premiers mois de l'année 1998, la question de savoir s'ils s'étaient acquittés de leur obligation de demander le texte de la décision dans un délai raisonnable.
108. Au lieu de cela, il s'est limité, au point 78 de l'arrêt attaqué, à instaurer dans le chef du Parlement l'obligation de démontrer que MM. Ripa di Meana et Orlando avaient eu connaissance du contenu de la décision de 1995 plus de six mois avant l'introduction de leur demande. Or, il me paraît que, ces députés ayant l'obligation de demander le texte de la décision dans un délai raisonnable, la charge de la preuve résidait auprès d'eux: c'est à eux qu'il incombait de démontrer qu'ils avaient
effectué les démarches nécessaires dans un délai raisonnable.
109. La seconde branche du troisième moyen est donc fondée et je propose d'annuler l'arrêt attaqué en tant qu'il a accueilli, dans les affaires T-83/99 et T-84/99, le recours en annulation des décisions du Parlement du 4 février 1999, n^os 300762 et 300763, rejetant respectivement les demandes de M. Ripa di Meana et de M. Orlando, visant à obtenir l'application, avec effet rétroactif, du régime provisoire de pension de retraite visé à l'annexe III.
110. Conformément à l'article 54, premier alinéa, seconde phrase, du statut CE de la Cour de justice, cette dernière, en cas d'annulation de la décision du Tribunal, peut statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d'être jugé. Tel me paraît le cas en l'espèce.
111. Il est établi que MM. Ripa di Meana et Orlando, ainsi qu'il ressort du point 78 de l'arrêt attaqué, avaient connaissance de l'existence de la décision de 1995 «au cours des premiers mois de l'année 1998».
112. Quant à la prise de connaissance du contenu de la décision de 1995, MM. Ripa di Meana et Orlando, interrogés à ce sujet à l'audience par l'intermédiaire de leur conseil, n'ont pu donner aucune explication, ni sur la date ni sur les modalités de la prise de connaissance de leur part du contenu de la décision de 1995.
113. Or, dans ces circonstances, MM. Ripa di Meana et Orlando ne démontrent pas que, une fois au courant de l'existence de la décision de 1995, ils ont effectivement demandé le texte de cette décision dans un délai raisonnable. Ils ne peuvent donc se prévaloir de la jurisprudence Dillinger Hüttenwerke/Commission, précitée, qui soumet, par l'expression «sous cette réserve», l'exception selon laquelle le délai de recours ne court qu'à partir du moment où le tiers concerné a une connaissance exacte
du contenu et des motifs de l'acte en cause à la condition que ce tiers, une fois qu'il a eu connaissance de l'existence de l'acte concerné, ait eu la diligence de demander le texte de celui-ci dans un délai raisonnable.
114. Dès lors, il n'y a pas lieu d'admettre que MM. Ripa di Meana et Orlando aient eu connaissance du contenu de la décision de 1995 à une date ultérieure par rapport à la date à laquelle ils ont incontestablement eu connaissance de l'existence de cet acte.
115. Les faits confirment, d'ailleurs, que, comme le soutient le Parlement, ces deux connaissances ne se sont pas produites à des moments substantiellement différents dans le temps.
116. Je me réfère, à cet égard, à un passage dans la duplique de MM. Ripa di Meana et Orlando dans lequel ceux-ci discutent le premier moyen en pourvoi invoqué par le Parlement et qui se lit ainsi:
«Soutenir, comme le fait le Parlement, que les requérants en première instance n'avaient pas présenté de demande d'adhésion formelle et qu'ils l'auraient eux-mêmes reconnu revient à reproduire incorrectement le déroulement des faits: une lecture attentive du dossier (voir points 8 et 9 des requêtes introductives et point 2 de la réplique dans les affaires T‑83/99 et T-84/99; points 8, 21, 25 et 26 de l'arrêt attaqué; point 18 du mémoire en réponse au pourvoi) démontre clairement que MM. Ripa di
Meana et Orlando, immédiatement après avoir pris connaissance par hasard, au cours des premiers mois de 1998, de la modification à l'annexe III, avaient demandé, fût-ce oralement, aux services compétents du Parlement à adhérer au régime provisoire avec effet rétroactif, et ces services leur avaient répondu que cela n'était pas possible car le délai de six mois introduit en 1995 était écoulé» 9 –Point 13, sous d), premier alinéa, de la duplique. Souligné dans le texte original à l'exception de la
partie de phrase «immédiatement […] modification» qui l'a été par l'auteur..
117. Il ressort donc incontestablement de ce qui précède que MM. Ripa di Meana et Orlando ont eu connaissance du contenu de la modification «immédiatement» après avoir appris son existence.
118. En effet, la réponse donnée par les services du Parlement coïncide entièrement avec le contenu de la décision de 1995 qui, en substance, ne contient rien d'autre que ce délai de six mois pour pouvoir bénéficier de façon rétroactive des droits à pension.
119. À cet égard, il convient de rappeler que la décision de 1995 n'innove même pas en ce qui concerne la nécessité d'introduire une demande pour pouvoir adhérer au régime de pension provisoire. Cette obligation résultait déjà de la version de l'annexe III en vigueur avant l'adoption de la décision de 1995 et dont il n'est pas contesté que MM. Ripa di Meana et Orlando l'ont reçue, contre accusé de réception, au moment de leur entrée en fonction.
120. Il résulte donc de ce qui précède que l'on ne saurait soutenir que MM. Ripa di Meana et Orlando ont introduit leur demande d'adhésion au régime provisoire de pension dans un délai de six mois à partir de la prise de connaissance de la décision de 1995.
121. En effet, la demande ayant été introduite le 19 novembre 1998, par la lettre des vice-présidents, la prise de connaissance de la décision de 1995 aurait dû se situer à une date postérieure au 19 mai 1998 pour que la demande puisse encore se situer dans le délai de six mois.
122. Or, comme nous venons de le voir, cette prise de connaissance, aussi bien quant à l'existence de la décision de 1995 que quant au contenu de celle-ci, a eu lieu – au plus tard – au cours des premiers mois de 1998, ce qui correspond aux mois de janvier, de février, tout au plus au mois de mars mais pas au mois de mai.
123. Le Parlement avait donc raison de rejeter, par ses décisions du 4 février 1999, les demandes introduites par MM. Ripa di Meana et Orlando. Je propose, en conséquence, de rejeter le recours en annulation introduit contre ces décisions.
D – Sur les dépens
1. Arguments des parties
124. Dans l'hypothèse où la Cour devrait accueillir le pourvoi, en tout ou en partie, MM. Ripa di Meana et Orlando invitent celle-ci à rejeter en tout état de cause comme irrecevables les conclusions du Parlement tendant à la condamnation des requérants en première instance au paiement «de la totalité des dépens relatifs aux procédures engagées devant le Tribunal de première instance […]». Selon eux, ces conclusions constitueraient, en effet, une demande nouvelle présentée, pour la première fois,
au stade du pourvoi, ce qui serait prohibé par l'article 113, paragraphe 1, second tiret, du règlement de procédure de la Cour. Ils rappellent, à cet égard, que, en première instance, le Parlement n'avait pas présenté de demande spécifique de condamnation des requérants, mais avait simplement invité le Tribunal à «statuer sur les dépens comme de droit». En application de l'article 87, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement de procédure du Tribunal, aux termes duquel «toute partie qui succombe
est condamnée aux dépens, [seulement] s'il est [expressément] conclu en ce sens», le Parlement aurait donc dû supporter ses propres dépens s'il avait eu gain de cause en première instance. La demande, présentée au stade du pourvoi, visant à obtenir la condamnation de MM. Ripa di Meana et Orlando au paiement de la totalité des dépens relatifs aux procédures engagées devant le Tribunal de première instance constituerait donc une demande nouvelle qu'il conviendrait de rejeter comme irrecevable.
125. Le Parlement souligne que sa demande de condamnation des requérants en première instance au paiement de la totalité des dépens relatifs aux procédures engagées devant le Tribunal n'est pas nouvelle au stade du pourvoi, mais avait déjà été formulée, avec d'autres mots, devant le Tribunal. La meilleure preuve en serait que ce dernier a correctement interprété ces mots, dans l'affaire T-85/99, en condamnant M. Parigi à supporter ses propres dépens, ainsi que ceux du Parlement.
2. Appréciation
126. Il est, certes, vrai, comme l'observent, à juste titre, MM. Ripa di Meana et Orlando, qu'une demande de statuer comme de droit sur les dépens n'équivaut pas à une demande tendant à la condamnation aux dépens de la partie adverse. La Cour l'a expressément jugé dans l'arrêt Lestelle/Commission (10) .
127. Je suis, cependant, d'avis que le fait que le Parlement a demandé, devant le Tribunal, qu'il soit statué sur les dépens comme de droit, ne lie pas la Cour dans son appréciation, au stade du pourvoi, de la répartition des dépens, y compris de ceux relevant de la procédure devant le Tribunal.
128. Le raisonnement de MM. Ripa di Meana et Orlando se fonde, en effet, sur l'article 113, paragraphe 1, second tiret, du règlement de procédure alors que les dépens sont régis par l'article 122 dudit règlement et, sous réserve de cette dernière disposition, par les articles 69 à 75, rendus applicables à la procédure de pourvoi en vertu de l'article 118 du règlement de procédure.
129. Or, ces dispositions ne font pas dépendre la compétence de la Cour en matière de dépens de ce qu'une partie aurait ou n'aurait pas demandé à ce sujet devant le Tribunal.
130. En effet, dans son premier alinéa, l'article 122 prévoit, de façon générale, que «[…] lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle-même définitivement le litige, elle statue sur les dépens».
131. Par ailleurs, aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. MM. Ripa di Meana et Orlando devant, à mon avis, succomber dans les affaires T-83/99 et T-84/99 ainsi que dans la présente affaire au pourvoi et le Parlement ayant conclu, devant la Cour, à leur condamnation aux dépens de ces deux instances, il n'y a pas de raison pour ne pas lui adjuger ses conclusions. Je propose donc de
condamner MM. Ripa di Meana et Orlando à l'ensemble des dépens des deux instances.
VI – Analyse du pourvoi incident
A – Arguments des parties
132. Par son pourvoi incident, M. Parigi entend obtenir l'annulation du point 4 du dispositif de l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a condamné à supporter également, outre ses propres dépens, ceux exposés par le Parlement dans l'affaire T-85/99. Il fait valoir, à cet égard, les trois arguments suivants.
133. En premier lieu, le Tribunal aurait violé l'article 87, paragraphe 2, premier alinéa, de son règlement de procédure en jugeant, au point 81, troisième phrase, de l'arrêt attaqué, que, M. Parigi ayant succombé en ses conclusions, il devait être condamné aux dépens exposés par le Parlement, «conformément aux conclusions en ce sens de ce dernier». Selon M. Parigi, le Parlement, dans son mémoire en défense et sa duplique, n'aurait, en effet, jamais invité le Tribunal à condamner M. Parigi aux
dépens, mais seulement à «statuer sur les dépens comme de droit».
134. En deuxième lieu, le Tribunal aurait violé l'article 88 du règlement de procédure du Tribunal aux termes duquel «[d]ans les litiges entre les Communautés et leurs agents, les frais exposés par les institutions restent à la charge de celles-ci […]». Selon M. Parigi, le recours engagé par lui devant le Tribunal devrait, en effet, être considéré comme un recours engagé par un agent de la Communauté contre une de ses institutions dans la mesure où ce recours porterait non sur une question liée
au mandat politique qu'il exerce, mais sur une décision de nature strictement administrative adoptée par le collège des questeurs en matière de pension de retraite. Même s'il a succombé, les dépens exposés par le Parlement n'auraient donc jamais pu être mis à sa charge.
135. En ce qui concerne, enfin, l'interdiction des pourvois portant uniquement sur la charge et le montant des dépens, prévue à l'article 51, second alinéa, du statut CE de la Cour de justice, M. Parigi fait observer que cette disposition doit être interprétée en ce sens qu'elle oblige seulement la Cour à déclarer irrecevables les pourvois qui tendent à remettre en cause la décision prise par le Tribunal en matière de dépens, après qu'il a apprécié les faits qui lui ont été soumis. En l'espèce,
en revanche, le pourvoi incident mettrait en exergue une erreur évidente commise par le Tribunal concernant un fait – la demande de condamnation – dont l'existence a été erronément constatée par le Tribunal et qui se serait traduite, en conséquence, par une erreur de droit. S'estimant, dès lors, victime d'une erreur judiciaire, M. Parigi invite la Cour à déclarer le pourvoi incident recevable et fondé.
136. Le Parlement conteste, en premier lieu, la qualification donnée par M. Parigi à son pourvoi. Selon le Parlement, il résulterait, en effet, de l'analyse tant des articles invoqués par M. Parigi que du contenu même de son «mémoire en réponse» qu'il ne s'agit pas tant d'un «pourvoi incident» contre l'arrêt du Tribunal que d'un pourvoi autonome contre cet arrêt, formé hors délais. Le Parlement allègue, à cet égard, que l'article 51, premier alinéa, du statut CE de la Cour de justice qu'invoque
M. Parigi n'est pas applicable au pourvoi incident tandis que l'article 115, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour se référerait au mémoire en réponse au pourvoi et non à un acte «contenant un pourvoi incident». De même, l'article 116, paragraphe 1, premier tiret, dudit règlement de procédure porterait sur le rejet total ou partiel du pourvoi ou l'annulation, totale ou partielle, de la décision du Tribunal faisant l'objet du pourvoi. En l'espèce, les conclusions du mémoire en réponse ne
pourraient donc porter que sur l'arrêt du Tribunal relatif aux affaires T-83/99 et T-84/99, concernant MM. Ripa di Meana et Orlando.
137. Le Parlement relève, en deuxième lieu, que, si l'article 116, paragraphe 1, deuxième tiret, du règlement de procédure de la Cour se réfère à l'acceptation totale ou partielle des conclusions présentées en première instance, à l'exclusion de toute conclusion nouvelle, il ne permet, en aucun cas, de prolonger le délai prévu à l'article 49, premier alinéa, du statut CE de la Cour de justice. Or, en l'occurrence, M. Parigi aurait formé son pourvoi bien après le délai légal de deux mois à compter
de la notification de l'arrêt attaqué.
138. Le Parlement relève, en dernier lieu, que, si le mémoire de M. Parigi était pris en considération, il conviendrait, en toute hypothèse, de le déclarer irrecevable au motif qu'il viole l'article 51, second alinéa, du statut CE de la Cour de justice aux termes duquel «[u]n pourvoi ne peut porter uniquement sur la charge et le montant des dépens». Le Parlement rejette, à cet égard, l'interprétation «fallacieuse» donnée à cette disposition par M. Parigi dans son mémoire.
B – Appréciation
139. Il suffit de constater que le pourvoi incident introduit par M. Parigi constitue un pourvoi ayant pour unique objet de mettre en cause la décision du Tribunal sur les dépens dans l'affaire T-85/99.
140. Or, ainsi que le relève, à juste titre, le Parlement, en vertu de l'article 51, second alinéa, du statut CE de la Cour de justice, un pourvoi ne peut porter uniquement sur la charge et le montant des dépens. Cette disposition est claire et ne permet pas, contrairement à ce que soutient M. Parigi, de faire des exceptions suivant la nature de l'erreur affectant la décision prise par le Tribunal sur les dépens.
141. Je propose donc de rejeter le pourvoi incident comme irrecevable et de condamner M. Parigi aux dépens occasionnés par le pourvoi incident.
142. J'ajoute encore, à toutes fins utiles, que l'argument de M. Parigi selon lequel son recours devait être considéré comme un recours engagé par un agent de la Communauté contre une de ses institutions et que, dès lors, le Tribunal aurait dû appliquer l'article 88 du règlement de procédure du Tribunal ne saurait être accueilli.
143. Il est, certes, vrai, ainsi qu'il résulte de l'arrêt Kontogeorgis/Commission (11) , auquel se réfère M. Parigi, que le membre d'une institution peut introduire un recours fondé sur l'article 236 CE contre son institution.
144. Cependant, pour qu'un tel recours soit recevable, il doit obligatoirement être précédé par la procédure administrative préalable, telle que prévue par les articles 90 et 91 du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (12) .
145. M. Parigi et d'ailleurs aussi MM. Ripa di Meana et Orlando n'ayant pas suivi cette procédure – contrairement à M. Kontogeorgis (13) –, leur recours ne saurait être considéré comme un recours fondé sur l'article 236 CE. Il doit, en revanche, être qualifié comme un recours fondé sur l'article 230 CE qui est également accessible aux membres d'une institution (14) .
VII – Conclusions
146. Eu égard à ce qui précède, je propose:
–
d'annuler l'arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes (quatrième chambre) du 26 octobre 2000, Ripa di Meana e.a./Parlement (T-83/99 à T‑85/99), en tant qu'il a accueilli, dans les affaires T-83/99 et T‑84/99, le recours en annulation des décisions du Parlement européen du 4 février 1999, n^os 300762 et 300763, rejetant respectivement les demandes de M. Ripa di Meana et de M. Orlando, visant à obtenir l'application avec effet rétroactif du régime provisoire de pension
de retraite visé à l'annexe III de la réglementation concernant les frais et indemnités des députés du Parlement européen;
–
de rejeter comme non fondé le recours en annulation dans les affaires T-83/99 et T-84/99;
–
de rejeter comme irrecevable le pourvoi incident introduit par M. Parigi;
–
de condamner MM. Ripa di Meana et Orlando à supporter leurs propres dépens ainsi que ceux du Parlement européen dans les affaires T-83/99 et T-84/99 et à supporter leurs propres dépens ainsi que ceux du Parlement européen occasionnés par le pourvoi principal;
–
de condamner M. Parigi à supporter ses propres dépens ainsi que ceux du Parlement européen occasionnés par le pourvoi incident.
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1 –
Langue originale: le français.
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2 –
T-83/99 à T-85/99, Rec. p. II-3493.
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3 –
Souligné par l'auteur.
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4 –
Arrêt du 23 mars 1993 (C-314/91, Rec. p. I-1093).
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5 –
Souligné par l'auteur.
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6 –
Arrêt du 26 novembre 1981 (195/80, Rec. p. 2861).
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7 –
Arrêt du 6 juillet 1988 (236/86, Rec. p. 3761).
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8 –
Voir, également, arrêts du 6 décembre 1990, Wirtschaftsvereinigung Eisen- und Stahlindustrie/Commission (C-180/88, Rec. p. I-4413, point 22), et du 19 février 1998, Commission/Conseil (C-309/95, Rec. p. I-655, point 18), et ordonnance du 5 mars 1993, Ferriere Acciaierie Sarde/Commission (C-102/92, Rec. p. I-801, point 18).
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9 –
Point 13, sous d), premier alinéa, de la duplique. Souligné dans le texte original à l'exception de la partie de phrase «immédiatement […] modification» qui l'a été par l'auteur.
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10 –
Arrêt du 9 juin 1992 (C-30/91 P, Rec. p. I-3755, point 38).
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11 –
Arrêt du 12 décembre 1989 (163/88, Rec. p. 4189).
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12 –
Voir, notamment, arrêt du 27 juin 1989, Giordani/Commission (200/87, Rec. p. 1877, point 22).
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13 –
Voir conclusions de l'avocat général Jacobs dans l'affaire Kontogeorgis/Commission, précitée, point 7.
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14 –
Voir, par exemple, arrêt du 17 mai 1994, H./Cour des comptes (C-416/92, Rec. p. I‑1741), et plus particulièrement les conclusions de l'avocat général Lenz dans cette affaire, point 31.