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62001J0410
Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 19 juin 2003. - Fritsch, Chiari & Partner, Ziviltechniker GmbH et autres contre Autobahnen- und Schnellstraßen-Finanzierungs-AG (Asfinag). - Demande de décision préjudicielle: Bundesvergabeamt - Autriche. - Marchés publics - Directive 89/665/CEE - Procédures de recours en matière de passation de marchés publics - Article 1er, paragraphe 3 - Personnes auxquelles les procédures de recours doivent être accessibles - Notion d'intérêt à obtenir un marché public. -
Affaire C-410/01.
Recueil de jurisprudence 2003 page I-06413
Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif
Mots clés
Rapprochement des législations - Procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux - Directive 89/665 - Obligation pour les États membres de prévoir une procédure de recours - Accès aux procédures de recours - Perte de l'intérêt à obtenir le marché à défaut de saisine préalable d'une commission de conciliation - Inadmissibilité
irective du Conseil 89/665, art. 1er, § 3)
Sommaire
$$Le fait que l'article 1er, paragraphe 3, de la directive 89/665, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l'application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux, telle que modifiée par la directive 92/50, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services, permet expressément aux États membres de déterminer les modalités selon lesquelles ils doivent
rendre les procédures de recours prévues par ladite directive accessibles à toute personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché public déterminé et ayant été ou risquant d'être lésée par une violation alléguée ne les autorise toutefois pas à donner à la notion d'«intérêt à obtenir un marché public» une interprétation qui soit susceptible de porter atteinte à l'effet utile de ladite directive.
Cette disposition s'oppose ainsi à ce qu'un entrepreneur qui a participé à une procédure de passation d'un marché public soit considéré comme ayant perdu son intérêt à obtenir ce marché au motif que, avant d'introduire une procédure de recours prévue par ladite directive, il a omis de saisir une commission de conciliation.
En effet, d'une part, la saisine préalable d'une telle commission a inévitablement pour effet de retarder l'introduction des procédures de recours et, d'autre part, une simple commission de conciliation n'a aucun des pouvoirs que la directive 89/665 oblige les États membres à accorder aux instances responsables desdites procédures de recours, de sorte que sa saisine n'est pas de nature à garantir l'application effective des directives communautaires en matière de passation de marchés publics.
( voir points 32-35 et disp. )
Parties
Dans l'affaire C-410/01,
ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 234 CE, par le Bundesvergabeamt (Autriche) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre
Fritsch, Chiari & Partner, Ziviltechniker GmbH e.a.
et Autobahnen- und Schnellstraßen-Finanzierungs-AG (Asfinag),
une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de l'article 1er, paragraphe 3, de la directive 89/665/CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l'application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux (JO L 395, p. 33), telle que modifiée par la directive 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des
marchés publics de services (JO L 209, p. 1),
LA COUR (sixième chambre),
composée de M. J.-P. Puissochet, président de chambre, MM. R. Schintgen (rapporteur) et V. Skouris, Mme F. Macken et M. J. N. Cunha Rodrigues, juges,
avocat général: M. J. Mischo,
greffier: Mme M.-F. Contet, administrateur principal,
considérant les observations écrites présentées:
- pour le gouvernement autrichien, par M. M. Fruhmann, en qualité d'agent,
- pour le gouvernement français, par M. G. de Bergues et Mme A. Bréville-Viéville, en qualité d'agents,
- pour la Commission des Communautés européennes, par M. M. Nolin, en qualité d'agent, assisté de Me R. Roniger, Rechtsanwalt,
vu le rapport d'audience,
ayant entendu les observations orales de Fritsch, Chiari & Partner, Ziviltechniker GmbH e.a., représentées par Me S. Wurst, Rechtsanwalt, du gouvernement autrichien, représenté par M. M. Fruhmann, du gouvernement français, représenté par M. S. Pailler, en qualité d'agent, et de la Commission, représentée par M. M. Nolin, assisté de Me R. Roniger, à l'audience du 16 janvier 2003,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 25 février 2003,
rend le présent
Arrêt
Motifs de l'arrêt
I. Par ordonnance du 8 octobre 2001, parvenue à la Cour le 16 octobre suivant, le Bundesvergabeamt a posé, en application de l'article 234 CE, deux questions préjudicielles sur l'interprétation de l'article 1er, paragraphe 3, de la directive 89/665/CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l'application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux (JO L
395, p. 33), telle que modifiée par la directive 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services (JO L 209, p. 1, ci-après la «directive 89/665»).
II. Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant plusieurs entreprises, dont la société Fritsch, Chiari & Partner, Ziviltechniker GmbH, réunies dans un consortium de soumissionnaires (ci-après, ensemble, «Fritsch e.a.»), à la société Autobahnen- und Schnellstraßen-Finanzierungs-AG (ci-après l'«Asfinag») au sujet de l'attribution d'un marché public de services pour lequel Fritsch e.a. avaient soumissionné.
Le cadre juridique
La réglementation communautaire
III. L'article 1er, paragraphes 1 et 3, de la directive 89/665 dispose:
«1. Les États membres prennent, en ce qui concerne les procédures de passation des marchés publics relevant du champ d'application des directives 71/305/CEE, 77/62/CEE et 92/50/CEE [¼ ], les mesures nécessaires pour garantir que les décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs peuvent faire l'objet de recours efficaces et, en particulier, aussi rapides que possible, dans les conditions énoncées aux articles suivants, et notamment à l'article 2 paragraphe 7, au motif que ces décisions ont violé le
droit communautaire en matière de marchés publics ou les règles nationales transposant ce droit.
[¼ ]
3. Les États membres assurent que les procédures de recours sont accessibles, selon des modalités que les États membres peuvent déterminer, au moins à toute personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché public de fournitures ou de travaux déterminé et ayant été ou risquant d'être lésée par une violation alléguée. En particulier, ils peuvent exiger que la personne qui souhaite utiliser une telle procédure ait préalablement informé le pouvoir adjudicateur de la violation alléguée et de son
intention d'introduire un recours.»
IV. Aux termes de l'article 2, paragraphes 1 et 6, de la directive 89/665:
«1. Les États membres veillent à ce que les mesures prises aux fins des recours visés à l'article 1er prévoient les pouvoirs permettant:
a) de prendre, dans les délais les plus brefs et par voie de référé, des mesures provisoires ayant pour but de corriger la violation alléguée ou d'empêcher d'autres dommages d'être causés aux intérêts concernés, y compris des mesures destinées à suspendre ou à faire suspendre la procédure de passation de marché public en cause ou de l'exécution de toute décision prise par les pouvoirs adjudicateurs;
b) d'annuler ou de faire annuler les décisions illégales, y compris de supprimer les spécifications techniques, économiques ou financières discriminatoires figurant dans les documents de l'appel à la concurrence, dans les cahiers des charges ou dans tout autre document se rapportant à la procédure de passation du marché en cause;
c) d'accorder des dommages-intérêts aux personnes lésées par une violation.
[¼ ]
6. Les effets de l'exercice des pouvoirs visés au paragraphe 1 sur le contrat qui suit l'attribution d'un marché sont déterminés par le droit national.
En outre, sauf si une décision doit être annulée préalablement à l'octroi de dommages-intérêts, un État membre peut prévoir que, après la conclusion du contrat qui suit l'attribution d'un marché, les pouvoirs de l'instance responsable des procédures de recours se limitent à l'octroi des dommages-intérêts à toute personne lésée par une violation.»
La législation nationale
V. La directive 89/665 a été transposée en droit autrichien par le Bundesgesetz über die Vergabe von Aufträgen (Bundesvergabegesetz) 1997 (loi fédérale de 1997 sur la passation des marchés publics, BGBl. I, 1997/56, ci-après le «BVergG»). Le BVergG prévoit l'institution d'une Bundes-Vergabekontrollkommission (commission fédérale de contrôle des adjudications, ci-après la «B-VKK») et d'un Bundesvergabeamt (office fédéral des adjudications).
VI. L'article 109 du BVergG détermine les compétences de la B-VKK. Il contient les dispositions suivantes:
«1. La B-VKK est compétente:
1) jusqu'à l'attribution du marché, pour concilier des divergences d'opinion entre l'entité adjudicatrice et un ou plusieurs candidats ou soumissionnaires relatives à l'application de la présente loi fédérale ou de ses règlements d'application;
[¼ ]
6. Une demande d'intervention de la B-VKK introduite en application du paragraphe 1, point 1, doit être présentée à la direction de cet organisme le plus rapidement possible après connaissance de la divergence d'opinion.
7. Au cas où l'intervention de la B-VKK ne fait pas suite à une demande de l'entité adjudicatrice, elle doit informer celle-ci sans délai de ladite intervention.
8. L'entité adjudicatrice ne peut pas attribuer le marché dans un délai de quatre semaines à compter de [¼ ] l'information prévue au paragraphe 7, sous peine de nullité de l'adjudication. [¼ ]»
VII. L'article 113 du BVergG détermine les compétences du Bundesvergabeamt. Il prévoit:
«1. Le Bundesvergabeamt est compétent pour examiner les procédures de recours dont il est saisi, conformément aux dispositions du chapitre ci-après.
2. En vue de mettre fin aux violations de la présente loi fédérale et de ses règlements d'application, le Bundesvergabeamt est compétent, jusqu'à l'attribution du marché, pour
1) prescrire des mesures provisoires et
2) annuler des décisions illégales de l'entité adjudicatrice du pouvoir adjudicateur.
3. Après l'attribution du marché ou après la clôture de la procédure d'adjudication, le Bundesvergabeamt est compétent pour constater que, du fait d'une infraction à la présente loi fédérale ou à ses règlements d'application, le marché n'a pas été attribué au mieux-disant. [¼ ]»
VIII. L'article 115, paragraphe 1, du BVergG dispose:
«Tout entrepreneur qui allègue un intérêt à la conclusion d'un contrat soumis au champ d'application de la présente loi fédérale peut introduire, contre les décisions prises par le pouvoir adjudicateur dans le cadre de la procédure d'adjudication, une procédure de recours pour illégalité, lorsque cette illégalité l'a lésé ou risque de le léser.»
IX. Conformément à l'article 122, paragraphe 1, du BVergG, «[e]n cas de violation fautive de la loi fédérale ou de ses règlements d'application par les organes d'une entité adjudicatrice, un candidat ou un soumissionnaire non retenu peut faire valoir un droit au remboursement des frais engagés pour élaborer son offre et des autres coûts supportés du fait de sa participation à la procédure d'adjudication à l'encontre du pouvoir adjudicateur auquel le comportement des organes de l'entité adjudicatrice
est imputable».
X. En vertu de l'article 125, paragraphe 2, du BVergG, une demande de dommages-intérêts, laquelle doit être introduite devant les juridictions civiles, n'est recevable que si une constatation du Bundesvergabeamt au titre de l'article 113, paragraphe 3, est intervenue auparavant. La juridiction civile, appelée à statuer sur une telle demande de dommages-intérêts, ainsi que les parties à l'instance devant le Bundesvergabeamt sont liées par cette constatation.
Le litige au principal et les questions préjudicielles
XI. En automne 1999, l'Asfinag a lancé un appel d'offres pour l'attribution d'un marché public de services consistant dans la «supervision sur le terrain des travaux de construction et d'installation des équipements électriques, des bâtiments et des équipements mécaniques des postes de péages principaux et secondaires, ainsi que de la mise en place du système de transmission de données dans le cadre du projet LKW Maut Österreich'». L'ouverture des offres a eu lieu le 18 novembre 1999.
XII. Par lettre du 28 janvier 2000, Fritsch e.a. ont été informées que l'offre qu'elles avaient présentée avait été classée en deuxième position lors de l'évaluation des offres et ne serait donc pas retenue. Par lettre du 8 février 2001, elles ont été informées de l'attribution du marché à un concurrent et du montant dudit marché.
XIII. Fritsch e.a. ont alors saisi le Bundesvergabeamt d'une procédure de recours au titre de l'article 113, paragraphe 3, du BVergG afin de faire constater que le marché n'avait pas été attribué au mieux-disant.
XIV. Devant le Bundesvergabeamt, l'Asfinag a souligné que, en vertu de l'article 115, paragraphe 1, du BVergG, seul l'entrepreneur qui allègue un intérêt à obtenir un marché relevant du champ d'application de cette loi peut former un recours pour illégalité contre une décision du pouvoir adjudicateur, dans la mesure où cette illégalité lui a causé un préjudice ou risque de lui en causer un. Or, selon l'Asfinag, Fritsch e.a. n'auraient manifestement pas été intéressées à obtenir le marché en cause,
puisqu'elles n'auraient introduit aucune demande de conciliation auprès de la B-VKK, ainsi que l'article 109, paragraphe 1, du BVergG le leur aurait permis.
XV. À l'appui de sa thèse, l'Asfinag a fait valoir que le droit des marchés publics n'a pas de finalité propre, mais configure les obligations précontractuelles de toutes les parties à la procédure de passation de marché, y compris les soumissionnaires. Selon l'Asfinag, si un soumissionnaire estime que les critères d'attribution du marché ne sont pas conformes à la loi, il est tenu, ainsi que le prévoit notamment l'article 109, paragraphe 6, du BVergG, de soulever cette objection le plus rapidement
possible, donc éventuellement avant l'ouverture des offres. Le principe de concurrence interdirait à un soumissionnaire qui estime que les critères d'attribution ne sont pas conformes à la loi de présenter d'abord une offre pour voir s'il est le mieux-disant, puis de déterminer ensuite son comportement selon le résultat de l'attribution du marché, en n'introduisant aucune demande s'il est le mieux-disant ou, au contraire, en s'adressant aux instances compétentes pour obtenir, par l'annulation de
l'appel d'offres, une «nouvelle chance», s'il n'obtient pas le marché ou n'est pas le mieux-disant.
XVI. Selon l'Asfinag, il découlerait dès lors de l'article 109, paragraphe 6, du BVergG que le dépôt d'une offre qui n'a pas été précédé d'une demande de conciliation introduite auprès de la B-VKK entraîne la forclusion du droit d'invoquer les illégalités affectant la procédure d'appel d'offres dont le soumissionnaire aurait dû avoir connaissance au moment où il a élaboré son offre, s'il avait manifesté la diligence requise. Si, en l'espèce, Fritsch e.a. avaient saisi la B-VKK avant d'élaborer leur
offre et avaient attiré l'attention de l'Asfinag sur les erreurs alléguées, il n'y aurait pas eu de frais d'élaboration de l'offre.
XVII. Fritsch e.a. ont réfuté le grief d'un défaut d'intérêt en indiquant que, conformément à la pratique décisionnelle constante des organes de contrôle en matière de passation de marché, la présentation d'une offre dans les délais suffit à témoigner de l'intérêt à obtenir un marché.
XVIII. Considérant que la législation autrichienne applicable au litige dont il est saisi doit être interprétée à la lumière de l'article 1er, paragraphe 3, de la directive 89/665 et que la solution de ce litige requiert dès lors l'interprétation de cette disposition, le Bundesvergabeamt a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) Faut-il interpréter l'article 1er, paragraphe 3, de la directive 89/665 [¼ ] en ce sens que les procédures de recours sont accessibles à tout entrepreneur qui a présenté une offre lors d'une procédure de passation de marché ou qui a demandé à participer à une telle procédure?
2) En cas de réponse négative à la première question:
La disposition [¼ ] précitée doit-elle être comprise en ce sens qu'un entrepreneur n'a ou n'avait un intérêt à obtenir un marché public déterminé que lorsque - outre sa participation à la procédure de passation de marché - il prend ou a pris toutes les mesures à sa disposition, en vertu des dispositions nationales, pour que le marché ne soit pas attribué à un autre soumissionnaire et que ce soit ainsi sa propre offre qui soit retenue?»
Sur la compétence de la Cour
XIX. Se fondant sur la décision de renvoi du Bundesvergabeamt, du 11 juillet 2001, rendue dans le cadre d'une autre affaire de passation d'un marché public, enregistrée au greffe de la Cour sous le numéro C-314/01 et actuellement pendante devant celle-ci, la Commission exprime des doutes quant au caractère juridictionnel de l'instance de renvoi, au motif que celle-ci aurait reconnu, dans ladite décision, que ses décisions «ne comportent pas d'injonctions au pouvoir adjudicateur, susceptibles
d'exécution forcée». Dans ces conditions, la Commission s'interroge sur la recevabilité des questions posées par le Bundesvergabeamt dans la présente affaire au regard de la jurisprudence de la Cour, et notamment des arrêts du 12 novembre 1998, Victoria Film (C-134/97, Rec. p. I-7023, point 14), et du 14 juin 2001, Salzmann (C-178/99, Rec. p. I-4421, point 14), aux termes desquels les juridictions nationales ne sont habilitées à saisir la Cour que si un litige est pendant devant elles et si elles
sont appelées à statuer dans le cadre d'une procédure destinée à aboutir à une décision de caractère juridictionnel.
XX. À cet égard, il convient de relever, d'une part, que, après l'attribution du marché, le Bundesvergabeamt est compétent, en vertu de l'article 113, paragraphe 3, du BVergG, pour constater que, en raison d'une infraction à la réglementation nationale pertinente, le marché n'a pas été attribué au mieux-disant.
XXI. D'autre part, il résulte des termes mêmes de l'article 125, paragraphe 2, du BVergG qu'une constatation du Bundesvergabeamt au titre de l'article 113, paragraphe 3, de la même loi non seulement constitue une condition de recevabilité de toute demande de dommages-intérêts introduite devant les juridictions civiles en raison d'une violation fautive de ladite réglementation, mais, de surcroît, lie tant les parties à l'instance devant le Bundesvergabeamt que la juridiction civile saisie.
XXII. Dans ces conditions, ni la nature contraignante d'une décision prise par le Bundesvergabeamt au titre de l'article 113, paragraphe 3, du BVergG ni, partant, le caractère juridictionnel de celui-ci ne sauraient être valablement remis en cause.
XXIII. Il s'ensuit que la Cour est compétente pour répondre aux questions posées en l'espèce par le Bundesvergabeamt.
Sur les questions préjudicielles
XXIV. Dans son ordonnance de renvoi, le Bundesvergabeamt rappelle, d'une part, que, en vertu de l'article 115, paragraphe 1, du BVergG, un entrepreneur peut introduire une procédure de recours contre une décision du pouvoir adjudicateur lorsqu'il allègue un intérêt à la conclusion d'un contrat dans le cadre d'une procédure de passation de marché et que l'illégalité qu'il invoque lui a causé ou risque de lui causer un préjudice.
XXV. La juridiction de renvoi explique, d'autre part, que les dispositions de l'article 109, paragraphes 1, 6 et 8, du BVergG visent à garantir qu'aucun contrat ne soit conclu pendant la durée de la procédure de conciliation. Elle ajoute que, si aucun accord amiable n'est atteint au cours de cette procédure, un entrepreneur peut encore demander, avant la conclusion du contrat, l'annulation de toute décision du pouvoir adjudicateur, y compris la décision d'attribution du marché.
XXVI. La juridiction de renvoi considère dès lors que, aux fins de la solution du litige au principal, il importe de savoir si les dispositions combinées des articles 115, paragraphe 1, et 109, paragraphes 1, 6 et 8, du BVergG, interprétées à la lumière de l'article 1er, paragraphe 3, de la directive 89/665, doivent être comprises en ce sens qu'un soumissionnaire qui, avant la conclusion du contrat, a été informé par le pouvoir adjudicateur de l'attribution du marché à un concurrent, mais a omis de
recourir aux procédures de contrôle prévues par le droit national afin de retarder ladite conclusion et, éventuellement, de faire modifier la décision d'attribution en sa faveur, peut valablement affirmer avoir un intérêt à la conclusion dudit contrat et, partant, introduire une procédure de recours afin de faire valoir l'illégalité de la décision d'attribution du marché et de demander des dommages-intérêts.
XXVII. S'agissant de l'article 1er, paragraphe 3, de la directive 89/665, le Bundesvergabeamt relève que, dans un arrêt du 12 juin 2001 (B 485/01-12, B 584/01-9, B 685/01-6), le Verfassungsgerichtshof (Autriche) a jugé, par référence à son arrêt du 8 mars 2001 (B 707/00), que, conformément à la jurisprudence de la Cour (voir arrêt du 28 octobre 1999, Alcatel Austria e.a., C-81/98, Rec. p. I-7671, points 34 et 35), la légitimation pour introduire une procédure de recours au titre de l'article 1er de
la directive 89/665 doit être interprétée de manière large et devrait donc être reconnue à toute personne qui désire obtenir un marché public déterminé faisant l'objet d'un appel d'offres. La juridiction de renvoi considère dès lors que se pose la question de savoir si tel doit également être le cas lorsque cette personne n'a pas recouru à la possibilité, offerte par le pouvoir adjudicateur, d'épuiser les voies de protection juridique du droit interne en matière de marchés publics (première
question), ou si le fait de ne pas avoir épuisé toutes les possibilités de protection juridique internes implique la disparition de cet intérêt (seconde question).
XXVIII. Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de comprendre les deux questions préjudicielles comme visant à savoir si l'article 1er, paragraphe 3, de la directive 89/665 doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à ce qu'un entrepreneur qui a participé à une procédure de passation d'un marché public soit considéré comme ayant perdu son intérêt à obtenir ce marché au motif que, avant d'introduire une procédure de recours prévue par ladite directive, il a omis de saisir une
commission de conciliation, telle la B-VKK.
XXIX. C'est à la lumière de la finalité de la directive 89/665 qu'il convient d'examiner la question de savoir si son article 1er, paragraphe 3, permet à un État membre de faire dépendre l'intérêt d'un soumissionnaire à obtenir un marché public déterminé, et donc le droit de celui-ci d'accéder aux procédures de recours prévues par ladite directive, de la condition qu'il ait saisi, au préalable, une commission de conciliation, telle la B-VKK.
XXX. À cet égard, il y a lieu de rappeler que, ainsi qu'il résulte de ses premier et deuxième considérants, la directive 89/665 vise à renforcer les mécanismes existants, tant sur le plan national que sur le plan communautaire, pour assurer l'application effective des directives communautaires en matière de passation de marchés publics, en particulier à un stade où les violations peuvent encore être corrigées. À cet effet, l'article 1er, paragraphe 1, de ladite directive impose aux États membres
l'obligation de garantir que les décisions illégales des pouvoirs adjudicateurs peuvent faire l'objet de recours efficaces et aussi rapides que possible (voir, notamment, arrêts Alcatel Austria e.a., précité, points 33 et 34, et du 12 décembre 2002, Universale-Bau e.a., C-470/99, non encore publié au Recueil, point 74).
XXXI. Or, force est de constater que le fait de subordonner l'accès aux procédures de recours prévues par la directive 89/665 à la saisine préalable d'une commission de conciliation, telle la B-VKK, serait contraire aux objectifs de rapidité et d'efficacité de cette directive.
XXXII. En effet, d'une part, la saisine préalable d'une telle commission de conciliation a inévitablement pour effet de retarder l'introduction des procédures de recours que la directive 89/665 a pour objet d'obliger les États membres à mettre en place.
XXXIII. D'autre part, une simple commission de conciliation, telle la B-VKK, n'a aucun des pouvoirs que l'article 2, paragraphe 1, de la directive 89/665 oblige les États membres à accorder aux instances responsables desdites procédures de recours, de sorte que sa saisine n'est pas de nature à garantir l'application effective des directives communautaires en matière de passation de marchés publics.
XXXIV. Il convient d'ajouter que le fait que l'article 1er, paragraphe 3, de la directive 89/665 permet expressément aux États membres de déterminer les modalités selon lesquelles ils doivent rendre les procédures de recours prévues par ladite directive accessibles à toute personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché public déterminé et ayant été ou risquant d'être lésée par une violation alléguée ne les autorise toutefois pas à donner à la notion d'«intérêt à obtenir un marché public»
une interprétation qui soit susceptible de porter atteinte à l'effet utile de ladite directive (voir, en ce sens, arrêt Universale-Bau, e.a., précité, point 72).
XXXV. Au vu de ce qui précède, il y a lieu de répondre aux questions préjudicielles que l'article 1er, paragraphe 3, de la directive 89/665 s'oppose à ce qu'un entrepreneur qui a participé à une procédure de passation d'un marché public soit considéré comme ayant perdu son intérêt à obtenir ce marché au motif que, avant d'introduire une procédure de recours prévue par ladite directive, il a omis de saisir une commission de conciliation, telle la B-VKK instituée par le BVergG.
Décisions sur les dépenses
Sur les dépens XXXVI. Les frais exposés par les gouvernements autrichien et français, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Dispositif
Par ces motifs,
LA COUR (sixième chambre),
statuant sur les questions à elle soumises par le Bundesvergabeamt, par ordonnance du 8 octobre 2001, dit pour droit:
L'article 1er, paragraphe 3, de la directive 89/665/CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l'application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux, telle que modifiée par la directive 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services, s'oppose à ce qu'un entrepreneur qui a
participé à une procédure de passation d'un marché public soit considéré comme ayant perdu son intérêt à obtenir ce marché au motif que, avant d'introduire une procédure de recours prévue par ladite directive, il a omis de saisir une commission de conciliation, telle la Bundes-Vergabekontrollkommission instituée par le Bundesgesetz über die Vergabe von Aufträgen (Bundesvergabegesetz) 1997 (loi fédérale autrichienne de 1997 sur la passation des marchés publics).