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03/06/2003 | CJUE | N°C-239/01

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 3 juin 2003., République fédérale d'Allemagne contre Commission des Communautés européennes., 03/06/2003, C-239/01


Avis juridique important

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62001C0239

Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 3 juin 2003. - République fédérale d'Allemagne contre Commission des Communautés européennes. - Agriculture - FEOGA - Annulation partielle du règlement (CE) nº 690/2001 - Mesures spéciales de soutien dans le secteur de l

a viande bovine - Règlement d'exécution de la Commission prévoyant un cofinan...

Avis juridique important

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62001C0239

Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 3 juin 2003. - République fédérale d'Allemagne contre Commission des Communautés européennes. - Agriculture - FEOGA - Annulation partielle du règlement (CE) nº 690/2001 - Mesures spéciales de soutien dans le secteur de la viande bovine - Règlement d'exécution de la Commission prévoyant un cofinancement obligatoire par les États membres. - Affaire C-239/01.
Recueil de jurisprudence 2003 page I-10333

Conclusions de l'avocat général

I. La République fédérale d'Allemagne demande à la Cour d'annuler l'article 5, paragraphe 5, du règlement (CE) n° 690/2001 de la Commission, du 3 avril 2001, relatif à des mesures spéciales de soutien dans le secteur de la viande bovine (ci-après le «règlement attaqué»), dans la mesure où ladite disposition impose à chaque État membre concerné de financer 30 % du prix de la viande achetée au titre dudit règlement.

I - Le cadre juridique

A - Le traité CE

II. Aux termes de l'article 202, troisième tiret, CE:

«En vue d'assurer la réalisation des objets fixés par le présent traité et dans les conditions prévues par celui-ci, le Conseil:

[...]

- confère à la Commission, dans les actes qu'il adopte, les compétences d'exécution des règles qu'il établit. [¼ ]»

III. Aux termes de l'article 211, quatrième tiret, CE:

«En vue d'assurer le fonctionnement et le développement du marché commun, la Commission:

[...]

- exerce les compétences que le Conseil lui confère pour l'exécution des règles qu'il établit.»

IV. Aux termes de l'article 268, paragraphe 1, CE:

«Toutes les recettes et les dépenses de la Communauté, y compris celles qui se rapportent au Fonds social européen, doivent faire l'objet de prévisions pour chaque exercice budgétaire et être inscrites au budget.»

V. Selon l'article 269, paragraphe 1, CE:

«Le budget est, sans préjudice des autres recettes, intégralement financé par des ressources propres.»

VI. L'article 270 CE dispose:

«En vue d'assurer la discipline budgétaire, la Commission ne fait pas de proposition d'acte communautaire, ne modifie pas ses propositions et n'adopte pas de mesures d'exécution susceptibles d'avoir des incidences notables sur le budget sans donner l'assurance que cette proposition ou cette mesure peut être financée dans la limite des ressources propres de la Communauté découlant des dispositions fixées par le Conseil en vertu de l'article 269.»

B - Les règlements relatifs au financement de la politique agricole commune

1. Le règlement n° 25

VII. Le règlement n° 25 du Conseil, du 4 avril 1962, relatif au financement de la politique agricole commune , modifié en dernier lieu par le règlement (CEE) n° 728/70 du Conseil, du 21 avril 1970, portant dispositions complémentaires pour le financement de la politique agricole commune (ci-après le «règlement n° 25»), a institué le Fonds européen d'orientation et de garantie agricole (FEOGA, ci-après le «Fonds»), qui est une partie du budget général des Communautés européennes, et a fixé les
principes qui s'appliquent au financement de la politique agricole commune.

VIII. Aux termes de l'article 2, paragraphe 2, du règlement n° 25:

«2. Étant donné qu'au stade du marché unique, les systèmes de prix sont unifiés et la politique agricole est communautaire, les conséquences financières qui en résultent incombent à la Communauté. Sont ainsi financées par le Fonds:

a) Les restitutions à l'exportation vers les pays tiers;

b) Les interventions destinées à la régularisation des marchés;

c) Les actions communes décidées en vue de réaliser les objectifs définis à l'article 39 paragraphe 1 alinéa a) du traité [¼ ]»

2. Le règlement (CEE) n° 1883/78

IX. Aux termes de l'article 2 du règlement (CEE) n° 1883/78 du Conseil, du 2 août 1978, relatif aux règles générales sur le financement des interventions par le Fonds européen d'orientation et de garantie agricole, section «garantie» , modifié en dernier lieu par le règlement (CE) n° 1259/96 du Conseil, du 25 juin 1996 (ci-après le «règlement n° 1883/78»):

«Lorsque, dans le cadre d'une organisation commune de marché, un montant par unité est fixé pour une mesure d'intervention, les dépenses qui en résultent relèvent entièrement du financement communautaire».

X. L'article 3 du règlement n° 1883/78 dispose:

«Lorsque, dans le cadre d'une organisation commune de marché, un montant par unité n'est pas fixé pour une mesure d'intervention, celle-ci est financée par le Fonds européen d'orientation et de garantie agricole (FEOGA), section «garantie», conformément aux articles 4 à 8.»

XI. Les articles 4 à 8 du règlement n° 1883/78 fixent les règles applicables pour le calcul des dépenses d'intervention qui sont mises à la charge du budget communautaire et les modalités de paiement de ces dépenses.

3. Le règlement (CE) n° 1258/1999

XII. Le deuxième considérant du règlement (CE) n° 1258/1999 du Conseil, du 17 mai 1999, relatif au financement de la politique agricole commune , indique:

«considérant que, au stade du marché unique, les systèmes de prix étant unifiés et la politique agricole étant communautaire, les conséquences financières qui en résultent incombent à la Communauté; que, en vertu de ce principe tel qu'il figure à l'article 2, paragraphe 2, du règlement n° 25, les restitutions à l'exportation vers les pays tiers, les interventions destinées à la régularisation des marchés agricoles, [¼ ] sont financées par la section garantie' du Fonds en vue de réaliser les
objectifs définis à l'article 33, paragraphe 1, du traité».

XIII. Aux termes de l'article 1er du règlement n° 1258/1999:

«1. Le Fonds européen d'orientation et de garantie agricole, ci-après dénommé Fonds', est une partie du budget général des Communautés européennes.

Il comprend deux sections:

- la section garantie',

- la section orientation'.

2. La section garantie' finance:

a) les restitutions à l'exportation vers les pays tiers;

b) les interventions destinées à la régularisation des marchés agricoles;

c) les actions de développement rural en dehors des programmes relevant de l'objectif n° 1, à l'exception de l'initiative communautaire de développement rural;

d) la contribution financière de la Communauté à des actions vétérinaires ponctuelles, à des actions de contrôle dans le domaine vétérinaire et à des programmes d'éradication et de surveillance des maladies animales (mesures vétérinaires) de même qu'à des actions phytosanitaires;

[¼ ]

4. Les dépenses concernant les coûts administratifs et le personnel supportées par les États membres et par les bénéficiaires du concours du Fonds ne sont pas prises en charge par ce dernier.»

XIV. L'article 2, paragraphe 2, du règlement n° 1258/1999 dispose :

«2. Sont financées au titre de l'article 1er, paragraphe 2, point b), les interventions destinées à la régularisation des marchés agricoles entreprises selon les règles communautaires dans le cadre de l'organisation commune des marchés agricoles.»

C - Les règlements relatifs à l'organisation commune des marchés dans le secteur de la viande bovine

1. Le règlement (CE) n° 1254/1999

XV. Le trente et unième considérant du règlement CE n° 1254/1999 du Conseil, du 17 mai 1999, portant organisation commune des marchés dans le secteur de la viande bovine , est ainsi rédigé:

«considérant qu'il y a lieu de prévoir la possibilité de prendre des mesures lorsque le marché de la Communauté est perturbé ou menacé d'être perturbé en raison d'une hausse ou d'une baisse sensible des prix; que ces mesures peuvent aussi inclure un achat à l'intervention ad hoc».

XVI. Aux termes du trente-sixième considérant du règlement n° 1254/1999:

«considérant que les dépenses encourues par les États membres du fait des obligations découlant de l'application du présent règlement doivent être financées par la Communauté conformément au règlement (CE) n° 1258/1999 du Conseil du 17 mai 1999 concernant le financement de la politique agricole commune».

XVII. Aux termes de l'article 38 du règlement n° 1254/1999:

«1. Lorsqu'une hausse ou une baisse sensible des prix est constatée sur le marché de la Communauté, que cette situation est susceptible de persister et que, de ce fait, ce marché est perturbé ou risque d'être perturbé, les mesures nécessaires peuvent être prises.

2. Les modalités d'application du présent article sont arrêtées selon la procédure prévue à l'article 43.»

XVIII. Selon l'article 45 du règlement n° 1254/1999:

«Le règlement (CE) n° 1258/1999 et les dispositions arrêtées pour la mise en oeuvre dudit règlement s'appliquent aux produits visés à l'article 1er.»

2. Le règlement (CE) n° 2777/2000

XIX. Sur la base de l'article 38, paragraphe 2, du règlement n° 1254/1999, la Commission a adopté le règlement (CE) n° 2777/2000, du 18 décembre 2000, arrêtant des mesures de soutien exceptionnelles en faveur du marché de la viande bovine , modifié par le règlement (CE) n° 111/2001 de la Commission, du 19 janvier 2001 , qui prévoyait, du 1er janvier 2001 au 30 juin 2001 au plus tard, un régime d'achat à des fins de destruction des animaux âgés de plus de 30 mois et essentiellement des animaux non
soumis à un test de dépistage de l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) lors de l'abattage.

XX. L'article 4, paragraphe 2, du règlement n° 2777/2000 prévoyait, pour chaque animal intégralement détruit, un cofinancement de la Communauté à hauteur de 70 % des dépenses d'achat de l'animal sur une base forfaitaire, les 30 % restants étant à la charge des autorités nationales.

3. Le règlement attaqué

XXI. Le règlement attaqué a été adopté sur le fondement de l'article 38, paragraphe 2, du règlement n° 1254/1999.

XXII. Il institue un nouveau régime d'achat spécial, pour la viande issue de certaines catégories de bovins de plus de 30 mois soumis au dépistage de l'ESB, permettant aux États membres de stocker la viande au lieu de la détruire. Ce régime est applicable dans tout État membre, à l'exception du Royaume-Uni, du 1er juillet 2001 au 31 décembre 2001.

XXIII. Aux termes du cinquième considérant du règlement attaqué:

«Compte tenu de l'ampleur de la crise de l'ESB et en particulier de sa durée probable, et, partant, de l'importance des efforts nécessaires afin de soutenir le marché, il conviendrait que ces efforts soient répartis entre la Communauté et les États membres, notamment eu égard aux effectifs importants d'animaux dont l'achat peut être envisagé au titre du régime ainsi qu'au caractère limité des ressources budgétaires disponibles en vue du financement communautaire.»

XXIV. L'article 1er, paragraphe 1, du règlement attaqué dispose:

«1. Les États membres achètent des carcasses ou des demi-carcasses réfrigérées de bovins de plus de 30 mois appartenant à une des catégories suivantes [¼ ]»

XXV. Aux termes de l'article 2 du règlement attaqué:

«1. Le prix d'achat des carcasses réfrigérées à acheter dans un État membre au titre du présent règlement est déterminé par une procédure d'appel d'offres.

2. La procédure d'adjudication est ouverte dans un État membre lorsque, pendant deux semaines consécutives, le prix de marché moyen de la classe de référence de la catégorie D s'est situé à un niveau égal ou inférieur au prix de déclenchement énuméré à l'annexe I pour l'État membre concerné [¼ ]»

XXVI. Selon l'article 3, paragraphe 1, du règlement attaqué:

«1. À la lumière des offres reçues au titre de chaque adjudication particulière et conformément à la procédure établie à l'article 43 du règlement (CE) n° 1254/1999, un prix d'achat maximal est fixé pour la classe de référence. Le prix peut être différent d'un État membre à l'autre.

Le prix maximal n'excède pas le prix de déclenchement majoré de 14 euros par 100 kg de poids de la carcasse».

XXVII. Aux termes de l'article 5 du règlement attaqué:

«1. L'autorité compétente verse aux adjudicataires le prix cité dans leur offre dans un délai de 65 jours suivant la fin des opérations de prise en charge des produits en cause.

2. Le paiement ne porte que sur la quantité effectivement livrée et acceptée, dans les limites de la quantité adjugée.

[¼ ]

5. La Communauté finance 70 % du prix de la viande achetée au titre du présent règlement.

L'État membre concerné finance les 30 % restants ainsi que tous les coûts découlant des opérations visées aux articles 6, 7, 8 et 9.»

II - La procédure écrite et les conclusions des parties

XXVIII. Dans son recours, enregistré au greffe de la Cour le 14 juin 2001, la République fédérale d'Allemagne conclut à ce qu'il plaise à la Cour:

- annuler l'article 5, paragraphe 5, du règlement attaqué, dans la mesure où ladite disposition impose à chaque État membre concerné de financer 30 % du prix de la viande achetée au titre dudit règlement;

- condamner la Commission aux dépens.

XXIX. Elle indique que, afin de ne pas porter atteinte à la confiance légitime des bénéficiaires des mesures de soutien, il conviendrait, au cas où il serait fait droit au recours, et dans le souci de respecter les exigences du principe de sécurité juridique, de maintenir les effets du règlement attaqué.

XXX. La Commission conclut à ce qu'il plaise à la Cour:

- rejeter le recours;

- condamner la République fédérale d'Allemagne aux dépens.

XXXI. Elle indique que, au cas où il serait fait droit au recours, elle soutient la suggestion de la République fédérale d'Allemagne de maintenir les effets du règlement attaqué en application de l'article 231, deuxième alinéa, CE.

XXXII. Par ordonnance du 8 novembre 2001, le président de la Cour a admis la demande d'intervention présentée par le royaume de Danemark, à l'appui des conclusions de la République fédérale d'Allemagne.

III - Analyse

A - Sur la recevabilité du recours

XXXIII. La Cour a interrogé les parties sur la question de la recevabilité du recours au regard de sa jurisprudence selon laquelle l'annulation partielle d'un acte communautaire n'est possible que pour autant que les éléments dont l'annulation est demandée soient détachables du reste de l'acte .

1. Observations des parties

XXXIV. Selon le gouvernement allemand, l'annulation de l'article 5, paragraphe 5, du règlement attaqué, dans la mesure où ladite disposition impose à chaque État membre concerné de financer 30 % du prix de la viande achetée au titre dudit règlement, n'affecterait aucunement les mesures spéciales qui ont été mises en oeuvre en vertu du règlement attaqué dont la durée de validité était limitée au 31 décembre 2001. Cette annulation partielle n'aurait des conséquences que pour la relation entre la
Communauté et les États membres. Plus particulièrement, cette annulation entraînerait l'application des règles générales en matière de financement de la politique agricole communautaire et, dès lors, la Communauté serait appelée à rembourser aux États membres la partie du financement qui, jusqu'à présent, aurait été, à tort, à leur charge.

XXXV. Le gouvernement allemand estime que, dans ces conditions, l'aspect contesté du règlement attaqué est détachable du reste de celui-ci. Il souligne également qu'il n'est pas démontré que la Commission n'aurait pas adopté le règlement attaqué si elle n'avait pas pu compter sur le cofinancement. Finalement, le gouvernement allemand se réfère à l'arrêt Lomas e.a. , qui, selon lui, confirme le caractère détachable des dispositions en matière de calcul d'une mesure d'intervention agricole par rapport
à des dispositions régissant l'application elle-même de cette mesure.

XXXVI. La Commission estime que, d'un point de vue purement juridique, on peut considérer que l'aspect du règlement attaqué dont le gouvernement allemand demande l'annulation est détachable du reste de ce même règlement. En effet, l'annulation partielle demandée, si la Cour y procédait, n'obligerait pas le législateur communautaire à adopter un nouvel acte prévoyant la prise en charge par la Communauté des frais liés à l'achat des carcasses de bovins, car, en l'absence d'une réglementation
spécifique, les règles générales en matière de financement prévues par les règlements nos 1254/1999 et 1258/1999 trouveraient à s'appliquer.

XXXVII. Cependant, la Commission constate que, matériellement, il existe un lien très étroit entre la disposition en matière de cofinancement, d'une part, et le reste du règlement attaqué, d'autre part.

XXXVIII. En premier lieu, elle doute fort que, si le cofinancement n'avait pas été possible, elle aurait adopté le règlement attaqué tel quel, en mettant à la charge du budget communautaire l'ensemble des coûts résultant des mesures arrêtées.

XXXIX. En deuxième lieu, elle soutient que la règle en matière de cofinancement ne saurait être détachée de la règle prévue à l'article 10 du règlement attaqué selon lequel «[l]e montant des recettes provenant de la vente des produits effectuée au titre du présent règlement est la propriété de l'État membre concerné». Selon elle, il n'y aurait eu aucune raison de faire bénéficier les États membres des recettes de la vente si le financement des mesures avait été communautaire à 100 %.

XL. En raison de ce lien matériel et objectif, la Commission estime que l'on peut considérer que la règle en matière de cofinancement n'est pas détachable du reste du règlement attaqué. Elle se dit confirmée dans sa position par les conclusions de l'avocat général Fennelly du 15 juin 2000, dans l'affaire Allemagne/Parlement et Conseil , et de l'avocat général Geelhoed du 3 octobre 2002, dans l'affaire Commission/Parlement et Conseil .

XLI. Selon la Commission, si la Cour juge que la règle en matière de cofinancement n'est effectivement pas détachable du reste du règlement attaqué, le recours en annulation partielle doit être déclaré irrecevable.

XLII. Selon le gouvernement danois, la question du financement est séparable du reste du règlement attaqué. Il souligne que l'annulation de l'article 5, paragraphe 5, de ce règlement impliquerait uniquement que le financement des achats de viande de boeuf prévus dans le règlement suivrait les règles normales, c'est-à-dire que les achats seraient financés à 100 % par la Communauté. Les États membres qui ont procédé à des achats de viande de boeuf et qui ont à cette occasion financé 30 % du prix de la
viande se verraient, dans ce cas, rembourser ces dépenses par la Communauté.

2. Appréciation

XLIII. Il me paraît utile de prendre comme point de départ du raisonnement l'arrêt Commission/Conseil, précité. Saisie par la Commission d'un recours en annulation partielle de la décision du Conseil du 7 décembre 1998 portant approbation de l'adhésion de la Communauté européenne de l'énergie atomique à la convention sur la sûreté nucléaire (non publiée) et en réponse à un moyen d'irrecevabilité soulevé par le Conseil et tiré de l'indivisibilité de cette décision, la Cour a jugé ce qui suit:

«45 Il ressort de la jurisprudence de la Cour que l'annulation partielle d'une décision est possible pour autant que les éléments dont l'annulation est demandée soient détachables du reste de la décision (voir, en ce sens, arrêts du 23 octobre 1974, Transocean Marine Paint/Commission, 17/74, Rec. p. 1063, point 21, et du 31 mars 1998, France e.a./Commission, C-68/94 et C-30/95, Rec. p. I-1375, point 256). Tel est le cas en l'espèce.

46 Les éléments dont l'omission entacherait d'illégalité la déclaration ne sont, par définition, pas contenus dans celle-ci et sont, de ce fait, séparables des dispositions qui y figurent. L'annulation du troisième alinéa de la déclaration dans la mesure où certains articles de la convention n'y sont pas mentionnés n'affecterait en rien la portée juridique des dispositions sur lesquelles le Conseil s'est déjà prononcé. Une telle annulation ne modifierait donc pas la substance de la décision
attaquée. Dès lors, ces éléments peuvent être considérés comme détachables du reste de la décision attaquée» .

XLIV. Or, comme le gouvernement allemand, je suis d'avis que l'aspect du règlement attaqué dont celui-ci demande l'annulation, à savoir le financement à concurrence de 30 % par les États membres, prévu à l'article 5, paragraphe 5, deuxième alinéa, est détachable du reste de ce même règlement en ce sens que l'annulation de cet élément ne modifierait pas la substance du règlement attaqué.

XLV. La substance réside, en effet, dans l'instauration d'un régime d'achat spécial de viande bovine afin de faire face à la crise provoquée par l'ESB, ainsi que nous le confirment, notamment, les premier et quatrième considérants du règlement attaqué.

XLVI. Une annulation partielle de celui-ci laisserait entièrement intacte cette substance du règlement attaqué, d'ailleurs exécutée depuis plusieurs années, et ne donnerait, comme le confirment aussi bien les gouvernements allemand et danois que la Commission, lieu qu'à une compensation financière entre la Communauté et les États membres concernés en ce sens que la première devrait rembourser à ces derniers les dépenses effectuées par ceux-ci en vertu de l'obligation de cofinancement, à supposer
celle-ci illégale.

XLVII. Par ailleurs, le fait que, selon la Commission, celle-ci n'aurait vraisemblablement pas adopté le règlement attaqué tel quel si le cofinancement n'avait pas été possible ne s'oppose pas à ce que ce cofinancement puisse être considéré comme détachable du reste du règlement attaqué.

XLVIII. Un argument similaire invoqué par le Conseil dans l'affaire Commission/Conseil, précitée , n'a, effectivement, pas empêché la Cour de juger que l'aspect de la décision du Conseil dont la Commission demandait l'annulation était détachable du reste de la décision. Le critère qui résulte de cet arrêt, à savoir l'effet de l'annulation partielle sur la substance de la réglementation concernée, est, en effet, un critère objectif et pas un critère subjectif, lié à la volonté politique de l'autorité
qui a adopté l'acte litigieux. Un critère subjectif ne serait d'ailleurs pas praticable en ce sens qu'il serait difficile d'établir d'une manière certaine quelle aurait été la position adoptée par l'institution si une participation financière des États membres avait été exclue dès le début.

XLIX. De même, le lien qui existe, selon la Commission, entre le cofinancement, d'une part, et le fait que les recettes des ventes reviennent aux États membres, d'autre part, ne me paraît pas suffire pour considérer que le cofinancement est lié de façon inséparable au reste du règlement attaqué.

L. Il s'agit, en effet, d'un lien avec un aspect très ponctuel du règlement attaqué, aspect qui lui non plus ne concerne pas la substance dudit règlement. Par ailleurs, il ne serait pas impossible pour la Commission de prévoir, dans le cadre des mesures que celle-ci serait, en cas d'annulation partielle, tenue de prendre en vertu de l'article 233 CE, des dispositions ayant pour but d'éviter un enrichissement sans cause des États membres.

LI. Enfin, j'ajoute encore que l'annulation totale du règlement attaqué - qui n'est cependant pas demandée en l'occurrence - pourrait même être considérée comme disproportionnée à l'objectif à atteindre qui est, pour le gouvernement allemand, l'élimination du cofinancement obligatoire. Une telle annulation créerait, en effet, une situation d'insécurité juridique pour les opérateurs qui ont pu bénéficier des interventions en vertu de ce règlement, ce qui n'est pas le cas si la demande en annulation
partielle est accordée.

LII. Je suis donc d'avis que le recours, tel que formulé par la République fédérale d'Allemagne, est recevable.

B - Sur le premier moyen, tiré d'une absence de base juridique

1. Arguments des parties

LIII. S'agissant du fond du recours, le gouvernement allemand soutient, en tant que premier moyen, que le règlement attaqué est dépourvu de toute base juridique valable. La Commission n'aurait, en effet, aucune compétence pour prévoir un cofinancement obligatoire à la charge des États membres dans un règlement d'exécution tel que le règlement attaqué.

LIV. En effet, en vertu de l'article 38, paragraphe 2, du règlement n° 1254/1999, qui constitue la base juridique du règlement attaqué, la Commission est seulement habilitée à arrêter les modalités d'application du paragraphe 1 dudit article, qui prévoit l'adoption des mesures nécessaires lorsque le marché de la Communauté est perturbé ou menacé d'être perturbé en raison d'une hausse ou d'une baisse sensible des prix.

LV. Or, selon le gouvernement allemand, le Conseil, en habilitant la Commission à adopter des mesures d'application, n'a pas donné à celle-ci compétence pour adopter des dispositions qui s'écartent du règlement de base sur un point essentiel en instituant un cofinancement obligatoire.

LVI. Le règlement n° 1254/1999 prévoit, en effet, le financement exclusif par la Communauté de toutes les mesures de soutien nécessaires sur le marché de la viande bovine. Une telle conclusion découle du fait que, conformément au trente-sixième considérant et à l'article 45 du règlement n° 1254/1999, les dépenses encourues par les États membres du fait des obligations découlant de l'application dudit règlement doivent être financées par la Communauté conformément au règlement n° 1258/1999.

LVII. Or, l'article 1er, paragraphe 2, sous b), du règlement n° 1258/1999 ne prévoit pas de cofinancement par les États membres des interventions destinées à la régularisation des marchés agricoles. Il ressort, en outre, du deuxième considérant dudit règlement que les coûts des mesures d'intervention communautaires sont supportés exclusivement par le budget communautaire.

LVIII. Le gouvernement allemand ajoute que cette analyse est confirmée par les articles 2 et 3 du règlement n° 1883/78 qui, même s'ils distinguent entre les mesures d'intervention pour lesquelles un montant par unité est fixé et celles pour lesquelles un tel montant n'est pas fixé, prévoient dans les deux cas que les dépenses pour les mesures d'intervention sont exclusivement financées par la Communauté .

LIX. Selon le gouvernement allemand, l'institution par le règlement attaqué d'un cofinancement obligatoire porte également atteinte à l'équilibre institutionnel entre le Conseil et la Commission prévu par les articles 202 CE et 211 CE. En effet, le fait de prévoir, à l'article 5, paragraphe 5, du règlement attaqué, un cofinancement obligatoire par les États membres à hauteur de 30 % ne constitue pas une exécution, mais une modification d'une règle essentielle du règlement n° 1254/1999.

LX. Le gouvernement allemand indique, à cet égard, que, si la Commission est en principe autorisée à prévoir des mesures d'achat (comme en l'espèce) au moyen d'un règlement d'exécution, lorsque l'évolution de la structure des prix sur les marchés de la viande bovine l'exige, elle ne peut toutefois modifier l'un des fondements des marchés communautaires de la viande bovine, à savoir le financement à 100 % de ce type de mesures de soutien par les ressources budgétaires communautaires, tel que prévu
par le règlement n° 1254/1999.

LXI. Finalement, il découle, selon le gouvernement allemand, de l'article 2, paragraphe 2, sous b), du règlement nº 25, toujours en vigueur, que les conséquences financières qui résultent des systèmes de prix uniformes et de la politique agricole commune incombent à la Communauté, en particulier dans le cas des interventions destinées à la régularisation des marchés, c'est-à-dire des mesures telles que celles décidées par le règlement attaqué.

LXII. De son côté, la Commission fait valoir, en premier lieu, que l'article 38 du règlement n° 1254/1999 l'autorise à prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger le marché des perturbations qui l'affectent ou le menacent, en cas de hausse ou de baisse sensible et persistante des prix. La Commission souligne que ladite disposition ne fixe pas d'autre condition que la nécessité des mesures en cause. En l'espèce, les achats de viande ordonnés par le règlement attaqué seraient
incontestablement aptes à contribuer à la stabilisation du marché communautaire de la viande bovine, affecté par la crise de l'ESB.

LXIII. Par ailleurs, la légalité d'une mesure arrêtée dans le domaine de la politique agricole commune ne peut, en vertu d'une jurisprudence constante de la Cour, être affectée que lorsqu'elle est manifestement inappropriée ou que l'institution qui en est l'auteur a manifestement excédé les limites de son pouvoir discrétionnaire.

LXIV. Dans ces conditions, la Commission considère que l'article 38 du règlement n° 1254/1999, qui lui conférait une compétence d'exception afin de résoudre des situations de crise, l'habilitait nécessairement à déroger aux autres dispositions dudit règlement, et notamment à celles relatives au financement, si cela s'avérait absolument indispensable.

LXV. Par ailleurs, la Commission souligne qu'il est de jurisprudence constante que la notion de compétences d'exécution conférées à la Commission doit être interprétée largement.

LXVI. En second lieu, la Commission fait valoir qu'elle n'a pas enfreint les règles de financement définies par le Conseil en adoptant l'article 5, paragraphe 5, du règlement attaqué.

LXVII. En effet, s'il est exact que les interventions de régularisation des marchés agricoles sont généralement financées dans leur intégralité par la section garantie du Fonds, il s'agirait d'une pratique et non d'une obligation juridique. En particulier, l'article 1er, paragraphe 2, sous b), du règlement n° 1258/1999 ne pourrait pas être interprété comme instituant une telle obligation, dès lors qu'il ne prévoit pas expressément le caractère exclusif du financement communautaire.

LXVIII. Selon la Commission, il faut, en outre, tenir compte de l'article 2 du règlement n° 1883/78. Une interprétation a contrario de ladite disposition démontre clairement qu'il n'y a pas d'obligation juridique de financement communautaire exclusif dans le cas des mesures d'intervention non visées par ladite disposition. La mesure prévue par le règlement attaqué correspondrait à cette situation, puisqu'elle prévoit que le prix d'achat de la viande est déterminé dans le cadre d'un appel d'offre et
non en fonction d'un montant par unité fixé à l'avance.

LXIX. Dans l'hypothèse où la Cour ne partagerait pas l'opinion de la Commission et considérerait que la section «garantie»du Fonds doit obligatoirement financer intégralement les mesures d'intervention en matière agricole, la Commission fait valoir, à titre subsidiaire, que la dérogation à cette obligation juridique qui résulte de l'article 5, paragraphe 5, du règlement attaqué était nécessaire en l'espèce et donc couverte par l'article 38 du règlement n° 1254/1999. En effet, les surcoûts engendrés
par la nouvelle crise de l'ESB pour la Communauté n'avaient pas pu être pris en considération lors de l'établissement du budget pour l'exercice 2001, pour des raisons de calendrier. Les fonds initialement prévus pour financer les dépenses agricoles risquaient donc de ne pas suffire.

LXX. En troisième lieu, la Commission fait valoir que la République fédérale d'Allemagne fait erreur lorsqu'elle soutient que l'article 5, paragraphe 5, du règlement attaqué est une règle essentielle, réservée par la jurisprudence de la Cour à la compétence du Conseil et ne pouvant donc être arrêtée par la Commission dans le cadre des compétences d'exécution qui lui sont conférées.

LXXI. En effet, ladite disposition ne serait pas une règle traduisant une orientation fondamentale de la politique agricole commune dans le secteur de la viande bovine, mais seulement une mesure ponctuelle applicable pendant un semestre.

LXXII. Par ailleurs, ajoute la Commission, dans le domaine des règles de financement comme dans tout autre, le Conseil doit seulement régler les éléments généraux de base de la matière et peut valablement déléguer la compétence nécessaire à leur exécution à la Commission.

LXXIII. Le gouvernement danois indique que, pas plus que le gouvernement allemand, il ne conteste la faculté, pour le Conseil, dans le cadre de son activité législative, de prendre une mesure dérogeant au principe du financement communautaire intégral des mesures de régularisation des marchés agricoles.

LXXIV. Ce principe fondamental ressortait déjà explicitement du règlement n° 25, qui a créé le Fonds et continue d'être en vigueur à ce jour ainsi que le confirment les articles 1er, paragraphe 2, sous b), du règlement n° 1258/1999 et 2 du règlement n° 1883/78.

LXXV. S'agissant de l'argument de la Commission selon lequel les mesures qui relèvent de l'article 3 du règlement n° 1883/78 peuvent être financées par les États membres, il doit, selon le gouvernement danois, être écarté. En effet, en admettant même que l'article 3 susmentionné soit applicable en l'espèce, cette disposition ne précise pas le mode de financement applicable aux mesures relevant de son champ d'application. Il n'y aurait donc aucun élément en faveur de la thèse selon laquelle le
Conseil aurait, par ladite disposition, souhaité modifier le principe du financement communautaire intégral des interventions dans le cadre des organisations communes de marchés.

LXXVI. Le gouvernement danois observe encore que, à s'en tenir aux arguments de la Commission, celle-ci aurait pu théoriquement établir un régime de financement suivant lequel les États membres devraient acquitter 95 % et la Communauté 5 % des dépenses liées aux opérations d'achat imposées aux États membres par le règlement attaqué.

LXXVII. Or, une telle faculté pour la Commission d'écarter le principe fondamental du financement communautaire au sein des organisations communes de marchés aurait pour effet, de l'avis du gouvernement danois, d'une part, de déplacer l'équilibre institutionnel au sein de la Communauté et, d'autre part, de contribuer à rendre illusoire le plafond des dépenses agricoles communes, puisque le budget communautaire ne reflèterait plus les dépenses liées à la politique agricole commune.

LXXVIII. Selon le gouvernement danois, si le budget communautaire ne prévoit pas de moyens pouvant financer les mesures d'intervention comme celles prévues par le règlement attaqué, la Commission est tenue, dans le respect des dispositions financières du traité CE, de rechercher l'instauration de la base financière nécessaire aux fins du financement des dépenses.

2. Appréciation

LXXIX. La force de conviction des arguments présentés par les gouvernements allemand et danois l'emporte, à mon avis, sur celle des arguments avancés par la Commission.

LXXX. Il convient, en effet, de rappeler qu'il est de jurisprudence constante que les mesures d'application adoptées par la Commission ne sauraient être contraires à la réglementation de base adoptée par le Conseil , ce qui n'est rien d'autre que l'expression du principe fondamental de la hiérarchie des normes .

LXXXI. La Commission soutient que, en prévoyant un cofinancement obligatoire dans le règlement attaqué, elle n'a pas dérogé à la réglementation de base, constituée, en l'espèce, par le règlement n° 1254/1999 et par le règlement n° 1258/1999 (en raison de la référence à ce dernier dans l'article 45 du premier).

LXXXII. Ceci ne me paraît pas convaincant.

LXXXIII. Il est, certes, vrai que l'article 38 du règlement n° 1254/1999, sur lequel se fonde, en particulier, le règlement attaqué, ne spécifie pas les modalités de financement des «mesures nécessaires» adoptées en vertu de cette disposition. D'autres dispositions de la réglementation de base incitent cependant à conclure que les mesures relevant du champ d'application dudit règlement doivent être intégralement financées par le FEOGA.

LXXXIV. À cet égard, on rappellera, d'abord, le trente-sixième considérant du règlement n° 1254/1999 aux termes duquel «[¼ ] les dépenses encourues par les États membres du fait des obligations découlant de l'application du présent règlement doivent être financées par la Communauté conformément au règlement (CE) n° 1258/1999 [¼ ]» .

LXXXV. Il convient d'observer, ensuite, que la thèse de la Commission revient à dire que les achats d'intervention «classiques» prévus par l'article 27 du règlement n° 1254/1999 doivent être intégralement financés par la section «garantie» du Fonds, mais que tel ne doit pas être le cas pour les «achats d'intervention ad hoc» permis par l'article 38, si la Commission en décide ainsi dans le cadre de la procédure du Comité de gestion. Nous estimons que, pour le moins, toutes les mesures qui
constituent des achats d'intervention doivent être financées de la même manière.

LXXXVI. On ne saurait pas non plus négliger le deuxième considérant du règlement n° 1258/1999, qui prévoit que, «[¼ ] au stade du marché unique, les systèmes de prix étant unifiés et la politique agricole étant communautaire, les conséquences financières qui en résultent incombent à la Communauté; que, en vertu de ce principe tel qu'il figure à l'article 2, paragraphe 2, du règlement n° 25 [¼ ]» .

LXXXVII. Ensuite, la différence de libellé entre les points b) et d) de l'article 1er, paragraphe 2, de ce même règlement confirme, selon moi, le caractère exclusif du financement par la Communauté des mesures relevant du point b), dont les mesures visées par le règlement attaqué.

LXXXVIII. Aux termes de l'article 1er, paragraphe 2, sous b), «[l]a section garantie' finance [¼ ] les interventions destinées à la régularisation des marchés agricoles». En revanche, l'article 1er, paragraphe 2, sous d), prévoit que «[l]a section garantie' finance [¼ ] la contribution financière de la Communauté à des actions vétérinaires ponctuelles [¼ ]» .

LXXXIX. Les termes «contribution financière de la Communauté» laissent entendre que, dans les cas visés par le point d), la Communauté se limite au financement d'une partie des dépenses. Ceci implique qu'il existe d'autres contributions financières et que l'on est donc en présence d'un cofinancement. Or, ces mêmes termes ne figurent précisément pas à l'article 1er, paragraphe 2, sous b), du règlement en question, ce qui confirme, selon moi, le principe d'un financement exclusif par la Communauté des
interventions visées par cette disposition.

XC. La référence, opérée par la Commission dans ses mémoires, à des règlements et des décisions du Conseil qui prévoient un cofinancement obligatoire dans le domaine de la politique agricole commune ne permet, selon moi, pas d'infirmer cette conclusion. Il n'existe pas de doute, à mes yeux, que le Conseil dispose d'un tel pouvoir, mais la question est de savoir s'il l'a délégué à la Commission, ce qui, à mon avis, n'est pas le cas. À titre subsidiaire, il convient également de noter qu'aucun des
textes évoqués par la Commission ne concerne des achats d'intervention.

XCI. Par ailleurs, je partage l'opinion du gouvernement allemand selon laquelle les règles ayant trait à la question de principe de savoir qui finance les mesures relevant de la politique agricole commune sont des «règles essentielles de la matière envisagée» qui, ainsi que la Cour l'a jugé , relèvent de la compétence du Conseil. De telles règles concernent, en effet, non pas l'une ou l'autre modalité technique mais relèvent des orientations fondamentales d'une politique.

XCII. Il s'ensuit que, selon moi, la Commission n'avait, en l'espèce, pas compétence pour fixer des règles en matière de cofinancement.

XCIII. L'argument de la Commission selon lequel l'article 5, paragraphe 5, du règlement attaqué, prévoyant le cofinancement, ne constituait pas une «règle essentielle» au motif qu'il s'agissait d'une mesure ponctuelle, limitée dans le temps, ne saurait pas non plus être retenu.

XCIV. Tout d'abord, il n'est pas correct de poser le problème en ces termes. La question de savoir si le principe du financement communautaire des interventions constitue une règle essentielle dépend du contenu de cette règle, et ce n'est pas en adoptant une mesure dérogeant à titre temporaire à cette règle, que celle-ci deviendrait non essentielle. Admettre la thèse de la Commission reviendrait, par ailleurs, à permettre à celle-ci de tenir en échec le principe selon lequel des règles essentielles
ne sauraient faire l'objet d'une délégation en reconduisant par périodes successives de six mois des mesures dérogatoires .

XCV. Par ailleurs, la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle la notion d'exécution doit être interprétée largement ne permet pas de conclure que la Commission était habilitée à prévoir un cofinancement en l'espèce.

XCVI. Cette jurisprudence ne saurait, en effet, permettre à la Commission d'adopter des règles qui sont contraires à la réglementation de base et qui, de surcroît, relèvent de la compétence du Conseil.

XCVII. L'arrêt France et Irlande/Commission, précité, auquel se réfère la Commission, n'infirme pas cette conclusion.

XCVIII. Au point 21 de cet arrêt, la Cour a jugé que:

«[¼ ] si la Commission n'était habilitée à adopter au titre de l'article 6, paragraphe 7, cinquième tiret, du règlement n° 805/68 modifié que des mesures qui sont déjà autorisées par d'autres dispositions, cette habilitation serait privée de l'essentiel de son effet utile dans la poursuite de l'objectif consistant à éviter une spirale à la baisse des prix du marché [¼ ]».

XCIX. Or, était en cause dans cette affaire la légalité d'une limitation, prévue par la Commission, du poids des carcasses pouvant être acceptées à l'intervention . Une telle mesure me paraît relever d'un tout autre ordre que l'instauration d'un cofinancement obligatoire par les États membres. Par ailleurs, il n'est pas démontré que l'article 38 du règlement n° 1254/1999 aurait été privé de son effet utile si la Commission s'était tenue au principe d'un financement par la Communauté des mesures
arrêtées en vertu de cette disposition.

C. Par ailleurs, compte tenu de la sensibilisation du Parlement européen et des États membres au problème de l'ESB, elle n'aurait probablement pas éprouvé de difficultés à obtenir l'accord de celui-ci à un nouveau budget rectificatif et supplémentaire. Les contributions des États membres auraient également pu prendre la forme d'avances, à rembourser dans le cadre du budget de l'année subséquente.

CI. La Commission soutient encore que l'article 38 du règlement n° 1254/1999 lui attribue une compétence d'exception («Notkompetenz») afin de résoudre des situations de crise.

CII. Or, si tel est, certes, le cas, une telle compétence ne permet, cependant, pas de conclure que les principes de base en matière d'habilitation, et notamment le principe selon lequel les mesures adoptées par la Commission ne sauraient déroger à la réglementation de base adoptée par le Conseil, ne s'appliqueraient plus.

CIII. Enfin, quant à l'absence de recours de la République fédérale d'Allemagne à l'encontre du règlement n° 2777/2000, il suffit de constater, comme l'observe, à juste titre, le gouvernement allemand, qu'une certaine manière de procéder de la Commission dans le passé ne saurait faire obstacle à un contrôle juridictionnel d'une mesure similaire ou identique adoptée ultérieurement.

CIV. Pour toutes les raisons qui précèdent, je suis d'avis que la Commission n'était pas compétente pour prévoir un cofinancement dans le règlement attaqué. Le premier moyen me paraît donc fondé et je propose d'adjuger à la République fédérale d'Allemagne ses conclusions en annulation.

C - Sur le deuxième moyen, tiré d'une violation des articles 268 CE à 270 CE

CV. En raison de la conclusion à laquelle je suis parvenu en ce qui concerne le premier moyen, ce n'est qu'à titre subsidiaire que j'examine les deuxième et troisième moyens invoqués par le gouvernement allemand.

1. Arguments des parties

CVI. Le gouvernement allemand expose, dans son deuxième moyen, que le fait d'imposer aux États membres un cofinancement obligatoire dans le cadre de l'organisation commune des marchés de la viande bovine est contraire à diverses dispositions financières du traité.

CVII. En effet, les mesures de soutien prévues par le règlement attaqué constituent, malgré le financement partiel par des ressources budgétaires nationales, des aides communautaires et, dès lors, des «dépenses de la Communauté» au sens de l'article 268, paragraphe 1, CE. En utilisant l'adjectif «toutes» (recettes et dépenses), l'article 268, paragraphe 1, CE établit le fondement de l'unité du budget, de même que les conditions de base pour une pondération politique des recettes et des dépenses dans
la procédure budgétaire et pour un contrôle démocratique de l'exécution du budget.

CVIII. Selon le gouvernement allemand, le fait de financer (partiellement) des dépenses communautaires en vertu d'une réglementation obligatoire de droit communautaire secondaire, au moyen de ressources qui ne font pas partie du plan budgétaire communautaire, n'est pas compatible avec le principe d'unité du budget communautaire.

CIX. Pour les mêmes raisons, l'article 5, paragraphe 5, du règlement attaqué contreviendrait à la disposition budgétaire de l'article 269, paragraphe 1, CE. En effet, les «autres recettes» mentionnées par ladite disposition ne visent que les recettes versées occasionnellement à la Commission du fait de son activité administrative (comme les amendes et les astreintes), et qui ne proviennent donc pas de ressources budgétaires des États membres. Un cofinancement obligatoire par les États membres prévu
par la Commission est en tout état de cause contraire au principe de l'indépendance financière de la Communauté par rapport aux États membres prévu à l'article 269, paragraphe 1, CE dès lors qu'un tel cofinancement ne constitue pas une source autorisée de ressources propres au sens de l'article 269 CE.

CX. Par ailleurs, le gouvernement allemand fait valoir que, si la Commission était compétente pour organiser des dépenses communautaires sans que de telles dépenses soient financées exclusivement par le budget communautaire, le plafonnement des ressources propres prévues aux articles 269 CE et 270 CE n'établirait plus aucune limitation efficace des dépenses de la Communauté.

CXI. La Commission répond que l'argumentation du gouvernement allemand repose sur la prémisse erronée selon laquelle la partie des dépenses consacrées à l'achat de viande qui doit être supportée par l'État membre concerné en vertu de l'article 5, paragraphe 5, du règlement attaqué constitue une aide communautaire à l'instar de la part financée par la Communauté et donc une dépense de la Communauté au sens de l'article 268, premier alinéa, CE.

CXII. En premier lieu, le gouvernement allemand assimilerait erronément la notion d'aide communautaire à celle de dépenses de la Communauté. En réalité, il résulterait de la jurisprudence de la Cour que les dépenses engagées directement par les États membres, comme dans le cas d'espèce, ne constituent pas des dépenses de la Communauté qui doivent être inscrites au budget communautaire, même si elles reposent sur un acte juridique de la Communauté.

CXIII. En second lieu, le gouvernement allemand oublierait que les fonds que les États membres prélèvent sur leurs budgets nationaux afin de cofinancer une action de la politique agricole commune gardent leur caractère d'aide d'État.

CXIV. Par conséquent, les articles 268 CE et 269 CE ne seraient pas applicables aux fonds que les États membres doivent fournir dans le cadre du cofinancement institué par le règlement attaqué et la Commission ne pourrait donc pas avoir violé lesdits articles en adoptant l'article 5, paragraphe 5, dudit règlement.

CXV. La Commission relève, en outre, que, si l'on admettait l'argument du gouvernement allemand, ce ne serait pas uniquement la Commission, mais aussi le Conseil et le Parlement qui seraient dans l'impossibilité d'instituer un cofinancement obligatoire de certaines mesures communautaires, puisque aucune institution ne peut violer les dispositions financières du traité.

2. Appréciation

CXVI. Je suis d'avis que le deuxième moyen invoqué par le gouvernement allemand n'est pas fondé.

CXVII. Les articles 268 CE à 270 CE concernent, en effet, ainsi qu'il résulte du début de l'article 268 CE, «les recettes et les dépenses de la Communauté» . Ils ne s'appliquent donc pas, par essence même, aux fonds qui, dans le cadre d'un cofinancement, ont une source autre que communautaire.

CXVIII. Par ailleurs, le fait qu'un cofinancement de la part des États membres soit obligatoirement prévu par une réglementation communautaire ne change pas la nature des fonds apportés par les États membres. Une telle obligation n'affecte, en effet, pas la source du financement qui, selon moi, est seule déterminante pour considérer si un financement est communautaire ou non.

CXIX. Ceci me paraît également confirmé par les arrêts précités Parlement/Conseil et Commission ainsi que du 2 mars 1994, Parlement/Conseil, sur lesquels la Commission attire notre attention et dans lesquels, dans les deux cas, la Cour s'est laissé guider essentiellement par le fait que le financement en cause était directement assuré par les États membres pour juger que les dépenses y afférentes ne constituaient pas des dépenses de la Communauté.

D - Sur le troisième moyen, tiré d'une violation de l'article 253 CE

1. Arguments des parties

CXX. Le gouvernement allemand soutient que la motivation du règlement attaqué ne remplit pas les exigences résultant de l'article 253 CE en matière de motivation en ce qui concerne l'institution d'un cofinancement obligatoire pour les États membres. En effet, le cinquième considérant du règlement attaqué se borne, à cet égard, à indiquer que les ressources propres de la Communauté sont limitées. Le règlement attaqué ne justifie, dès lors, pas de quel droit la Commission prétend pouvoir modifier, par
une mesure de cofinancement obligatoire, le principe du financement à 100 % des mesures de soutien sur le marché de la viande bovine par des ressources budgétaires communautaires. Le règlement attaqué ne motive, en outre, pas le choix d'une clé de répartition de 70 % - 30 % pour financer les mesures de soutien.

CXXI. La Commission fait valoir qu'il résulte d'une jurisprudence constante qu'il n'est pas nécessaire que la motivation exigée par l'article 253 CE spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents. Dans le cas d'un acte destiné à une application générale, la motivation peut se borner à indiquer, d'une part, la situation d'ensemble qui a conduit à son adoption et, d'autre part, les objectifs généraux qu'il se propose d'atteindre.

CXXII. Le règlement attaqué serait conforme à ces exigences en ce qui concerne son article 5, paragraphe 5, qui institue le cofinancement litigieux. D'une part, le visa du règlement attaqué qui fait référence au règlement n° 1254/1999 ne laisse aucun doute sur le fait que le règlement attaqué tout entier, y compris son article 5, paragraphe 5, est fondé sur l'article 38 dudit règlement de base. D'autre part, le cinquième considérant du règlement attaqué contiendrait une présentation succincte, mais
néanmoins complète, des réflexions ayant amené la Commission à instaurer le cofinancement obligatoire. Le règlement attaqué étant un acte de portée générale, il n'était pas nécessaire d'indiquer dans les considérants le détail des calculs ayant abouti à la clé de répartition 70 % - 30 %.

CXXIII. La Commission ajoute qu'il est inutile de fournir une motivation approfondie lorsque les destinataires de l'acte ont été associés à son élaboration, ce qui serait le cas des États membres, représentés au comité de gestion de la viande bovine, qui a été invité à émettre un avis sur le projet de règlement.

2. Appréciation

CXXIV. Il convient de rappeler que, «[¼ ] selon une jurisprudence constante, la portée de l'obligation de motivation dépend de la nature de l'acte en cause et que, s'agissant d'actes à portée générale, la motivation peut se borner à indiquer, d'une part, la situation d'ensemble qui a conduit à son adoption et, d'autre part, les objectifs généraux qu'il se propose d'atteindre. Si l'acte contesté fait ressortir l'essentiel de l'objectif poursuivi par l'institution, il serait excessif d'exiger une
motivation spécifique pour les différents choix techniques opérés (voir, notamment, arrêt du 19 novembre 1998, Royaume-Uni/Conseil, C-150/94, Rec. p. I-7235, points 25 et 26)» .

CXXV. Or, il me paraît que le règlement attaqué, s'agissant du cofinancement obligatoire, répond à cette exigence de faire ressortir l'essentiel de l'objectif poursuivi par la Commission. Au cinquième considérant, on peut lire, en effet, ce qui suit:

«Compte tenu de l'ampleur de la crise de l'ESB et en particulier de sa durée probable, et, partant, de l'importance des efforts nécessaires afin de soutenir le marché, il conviendrait que ces efforts soient répartis entre la Communauté et les États membres, notamment eu égard aux effectifs importants d'animaux dont l'achat peut être envisagé au titre du régime ainsi qu'au caractère limité des ressources budgétaires disponibles en vue du financement communautaire».

CXXVI. Dans le règlement attaqué lui-même, la Commission explique donc pour quelles raisons le cofinancement s'impose à son avis.

CXXVII. En revanche, quant à la fixation de la clé de répartition du cofinancement, celle-ci constitue, selon moi, un «choix technique» au sens de la jurisprudence précitée, à propos duquel il serait excessif d'exiger une motivation spécifique.

CXXVIII. Le troisième moyen invoqué par le gouvernement allemand ne me paraît donc pas fondé.

E - Sur la demande des parties de maintenir les effets du règlement attaqué

CXXIX. Le gouvernement allemand demande que les effets du règlement attaqué soient maintenus en cas d'annulation prononcée par la Cour. La Commission se rallie à cette demande.

CXXX. Le seul fait que les deux parties en litige demandent le maintien des effets n'oblige pas la Cour à l'accorder. En vertu de l'article 231, deuxième alinéa, CE, il appartient, en effet, à la Cour d'apprécier la nécessité d'une telle mesure.

CXXXI. Or, je ne suis pas convaincu qu'il soit nécessaire d'accéder à la demande formulée par les parties.

CXXXII. En effet, ainsi qu'il résulte de l'analyse de la recevabilité du présent recours, une éventuelle annulation partielle du règlement attaqué n'aurait aucun effet sur les mesures déjà adoptées en vertu de celui-ci. Le gouvernement allemand ne demande, d'ailleurs, pas l'annulation de la disposition du règlement attaqué qui crée des droits dans le chef des opérateurs économiques, à savoir, essentiellement, l'article 5, paragraphe 1, aux termes duquel «[l]'autorité compétente verse aux
adjudicateurs le prix cité dans leur offre dans un délai de 65 jours suivant la fin des opérations de prise en charge des produits en cause».

CXXXIII. S'agissant de la compensation financière entre la Communauté, d'une part, et les États membres, d'autre part, à laquelle l'annulation partielle donnerait lieu , je suis d'avis qu'il n'y a pas de raison de l'empêcher en jugeant que les effets du règlement attaqué doivent être maintenus. En effet, une absence de ressources nécessaires dans le budget communautaire relatif à l'année en cours de laquelle interviendra l'arrêt de la Cour dans la présente affaire ne saurait, à elle seule, justifier
que les effets d'une illégalité soient maintenus. Les sommes nécessaires pourront être prévues dans le budget de l'année subséquente. De plus, s'il est vrai que c'est seulement la question de principe qui est en cause, et non pas le remboursement des sommes engagées par les États membres, rien n'empêche que le Conseil adopte un règlement stipulant que les dépenses effectuées par les États membres au titre du règlement litigieux resteront à charge de ceux-ci.

CXXXIV. Enfin, le règlement attaqué ne produisant plus aucun effet à l'heure actuelle, le maintien des effets tel que demandé par les parties conduirait à ce que l'annulation prononcée par la Cour ne produise pas le moindre effet, ni pour le passé ni pour le futur. Le recours introduit par le gouvernement allemand équivaudrait, dès lors, à une consultation de la Cour sur la légalité du règlement attaqué, ce qui ne saurait être le sens du recours en annulation tel qu'il est prévu par l'article 230
CE.

IV - Conclusion

CXXXV. Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose de:

- annuler l'article 5, paragraphe 5, du règlement (CE) n° 690/2001 de la Commission, du 3 avril 2001, relatif à des mesures spéciales de soutien dans le secteur de la viande bovine, dans la mesure où ladite disposition impose à chaque État membre concerné de financer 30 % du prix de la viande achetée au titre dudit règlement;

- rejeter la demande de maintien des effets de la disposition annulée;

- condamner la Commission aux dépens.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-239/01
Date de la décision : 03/06/2003
Type de recours : Recours en annulation - fondé

Analyses

Agriculture - FEOGA - Annulation partielle du règlement (CE) nº 690/2001 - Mesures spéciales de soutien dans le secteur de la viande bovine - Règlement d'exécution de la Commission prévoyant un cofinancement obligatoire par les États membres.

Agriculture et Pêche

Viande bovine


Parties
Demandeurs : République fédérale d'Allemagne
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mischo
Rapporteur ?: La Pergola

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2003:320

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