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27/02/2003 | CJUE | N°C-420/01

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 27 février 2003., Commission des Communautés européennes contre République italienne., 27/02/2003, C-420/01


Avis juridique important

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62001C0420

Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 27 février 2003. - Commission des Communautés européennes contre République italienne. - Manquement - Libre circulation des marchandises - Articles 28 CE et 30 CE - Interdiction de commercialisation de boissons énergétique

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Avis juridique important

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62001C0420

Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 27 février 2003. - Commission des Communautés européennes contre République italienne. - Manquement - Libre circulation des marchandises - Articles 28 CE et 30 CE - Interdiction de commercialisation de boissons énergétiques dont la teneur en caféine est supérieure à une certaine limite - Santé publique - Maintien d'une disposition nationale incompatible avec le droit communautaire. - Affaire C-420/01.
Recueil de jurisprudence 2003 page I-06445

Conclusions de l'avocat général

I. La Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en appliquant aux boissons fabriquées et commercialisées dans dautres États membres un régime interdisant la commercialisation en Italie de boissons énergétiques dont la teneur en caféine est supérieure à une certaine limite, sans démontrer pourquoi cette limite est nécessaire et proportionnée au regard de la protection de la santé publique, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des
articles 28 CE et 30 CE.

I Cadre juridique

A La réglementation communautaire

II. Il nexiste pas de législation communautaire fixant les conditions dajout de substances nutritives dans les denrées alimentaires de consommation courante.

B La réglementation nationale

III. Larticle 15, paragraphe 3, du décret du président de la République n° 719, du 18 mai 1958 (GURI n° 178, du 24 juillet 1958, p. 3081, ci-après le «DPR n° 719/58»), intitulé «Règlement fixant les dispositions générales en matière dhygiène de la production et du commerce des eaux gazeuses et des boissons sans alcool gazeuses et non gazeuses fabriquées dans les récipients fermés», prévoit:

«Ladjonction de substances autres que celles indiquées dans le présent règlement et qui nont pas été préalablement reconnues par le Haut commissariat à lhygiène et à la santé publique doit être autorisée ponctuellement par ledit Haut commissariat sur proposition de lautorité sanitaire de la province dans laquelle lusine a son siège et après avis du conseil provincial de santé.»

II Faits et procédure précontentieuse

IV. Lattention de la Commission a été attirée sur les obstacles à limportation et à la commercialisation en Italie de certaines boissons énergétiques légalement produites et commercialisées dans dautres États membres. Ces boissons, au nom desquelles figurent les marques Red Bull, CULT et GUVI, se caractérisent par la présence de caféine dont la quantité varie entre 250 et 320 mg/l et souvent par la présence dautres substances telles que la taurine.

V. Dans un premier temps, les autorités italiennes ont interdit la commercialisation de ces boissons, surtout de celles contenant de la taurine, sur la base du décret législatif n° 111, du 27 janvier 1992, ainsi que conformément à un avis rendu par le Conseil supérieur de la santé (ci-après le «CSS») le 13 décembre 1995.

VI. Toutefois, les autorités italiennes ont par la suite changé davis, autorisant la commercialisation en Italie desdites boissons à condition, toutefois, que leur teneur en caféine ne dépasse pas 125 mg/l.

VII. Considérant que cette limite représentait une mesure deffet équivalant à une restriction quantitative à limportation contraire à larticle 28 CE et non justifiée par larticle 30 CE, la Commission, en labsence de preuves scientifiques aptes à démontrer que le dépassement de cette limite risquerait de nuire à la santé publique, a adressé au gouvernement italien une lettre de mise en demeure en date du 4 octobre 1996.

VIII. Dans sa lettre de réponse du 8 janvier 1997, les autorités italiennes ont relevé que, à la suite des décisions du ministère de la Santé du 13 décembre 1995, il nexistait désormais plus dobstacle à la commercialisation en Italie des boissons en cause légalement vendues dans dautres États membres, à condition que leur teneur en caféine ne dépasse pas 125 mg/l, limite qui ne tarderait pas à être fixée à 150 mg/l, conformément à la législation italienne en vigueur, notamment au DPR n° 719/58.

IX. Considérant la réponse des autorités italiennes comme insatisfaisante, la Commission leur a adressé un avis motivé le 23 septembre 1997.

X. Par lettre du 11 décembre 1997, les autorités italiennes ont indiqué que le ministère de la Santé avait demandé un nouvel avis au CSS et ont demandé à la Commission de suspendre provisoirement la procédure dinfraction en attendant sa réponse.

XI. Par lettre du 6 mars 1998, les autorités italiennes ont informé la Commission que le CSS avait établi que les boissons en cause ne suscitaient, au stade actuel des connaissances, aucune préoccupation fondée au regard de la santé publique et que leur mise à la consommation avait été autorisée sur la base dune circulaire, dont elles ont fourni une copie, laquelle prévoyait de communiquer certaines informations aux consommateurs au moyen dindications et davertissements figurant sur une étiquette.

XII. Par lettre du 2 avril 1998, la Commission a répondu, notamment, que, bien quune circulaire représente une solution apte à garantir le respect immédiat des dispositions communautaires en matière de libre circulation des marchandises, les autorités italiennes nétaient pas pour autant dispensées de lobligation de modifier à titre définitif et selon les procédures habituelles la législation litigieuse, dans les délais les plus brefs.

XIII. Par lettre du 18 juin 1998, le ministère de la Santé a notifié à la Commission la publication de la circulaire n° 5, du 3 avril 1998 (GURI n° 101, série générale, du 4 mai 1998, p. 72), intitulée «Boissons dorigine communautaire caractérisées par des teneurs élevées en caféine et taurine», déclarant que les observations de la Commission avaient été prises en compte dans lapplication de ladite circulaire.

XIV. Entre-temps, la Commission a pris contact avec les opérateurs plaignants, qui lui ont confirmé que, en pratique, la libre circulation en Italie des boissons provenant dautres États membres était assurée grâce à la circulaire n° 5, du 3 avril 1998.

XV. Toutefois, par télécopie du 14 avril 1999, la Commission a rappelé aux autorités italiennes quelles sétaient engagées à adopter une disposition appropriée, à savoir une modification législative, en vue de régir la matière en question.

XVI. Les autorités italiennes ont transmis à la Commission un projet de règlement portant «réglementation de la production et du commerce des eaux de table et des boissons sans alcool» établi par le ministère de lIndustrie, du Commerce et de lArtisanat.

XVII. Même si la Commission estimait que le projet de règlement appelait plusieurs observations à propos de létendue de la clause de reconnaissance mutuelle, elle a indiqué, dans une lettre du 22 novembre 1999, que ledit projet donnerait lieu, une fois adopté, au classement de la procédure dinfraction.

XVIII. Á la suite d'autres rappels de la Commission aux autorités italiennes de la nécessité dapporter une modification législative à la disposition litigieuse, celles-ci ont, le 13 novembre 2000, notifié à la Commission un projet de règlement, comportant en annexe le texte du DPR n° 719/58, destiné à actualiser la législation en matière de production et de vente de boissons sans alcool en général, y compris de celles contenant de la caféine, et comportant en son article 9 une clause de
reconnaissance mutuelle excluant de son champ dapplication les boissons sans alcool légalement produites et commercialisées dans les autres États de lUnion européenne et dans les pays signataires de laccord sur l'espace économique européen.

XIX. La Commission a rappelé aux autorités italiennes, comme elle lavait déjà observé dans sa lettre du 22 novembre 1999, que ladite clause de reconnaissance mutuelle devait faire lobjet de quelques modifications afin déliminer toute ambiguïté. En labsence de réaction de la part de la République italienne, la Commission, par lettre du 9 avril 2001, se référant à sa lettre précédente du 22 novembre 1999, a demandé aux autorités italiennes si elles avaient reçu les observations formulées sur le projet
notifié et dans quel délai le gouvernement italien entendait adopter le règlement.

XX. Considérant que le texte initial du DPR n° 719/58 était toujours en vigueur et quaucune modification législative na été apportée pour adapter à la législation communautaire la question de la reconnaissance des boissons sans alcool fabriquées et commercialisées dans dautres États membres, la Commission a introduit le présent recours.

III Conclusions des parties

XXI. Dans sa requête déposée au greffe de la Cour le 23 octobre 2001, la Commission conclut à ce quil plaise à la Cour:

« constater que, en appliquant aux boissons fabriquées ou commercialisées dans dautres États membres un régime qui interdit la commercialisation en Italie de boissons énergétiques dont la teneur en caféine est supérieure à une certaine limite, sans démontrer pourquoi cette limite est nécessaire et proportionnée au regard de la protection de la santé publique, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 28 et 30 du traité CE;

condamner la République italienne aux dépens de linstance».

XXII. La République italienne conclut à ce quil plaise à la Cour de rejeter le recours comme nétant pas fondé.

IV Analyse

A Arguments des parties

XXIII. La Commission fait valoir que, même sil nest pas possible didentifier clairement la base juridique de linterdiction dimporter et de commercialiser en Italie des boissons sans alcool dont la teneur en caféine dépasse 125 mg/l, il est incontestable quune telle interdiction subsiste. Selon la Commission, ce fait est confirmé par les plaintes adressées à la Commission par certains producteurs communautaires de boissons énergétiques sans alcool, par le texte même de larticle 15, paragraphe 3, du
DPR n° 719/58 et par le fait que les autorités italiennes ont elles-mêmes reconnu la nécessité, si ce nest lobligation, de modifier et de supprimer diverses dispositions prévues par la législation actuellement en vigueur dans le secteur des boissons sans alcool, comme le montre ladoption de la circulaire ministérielle n° 5, du 3 avril 1998, et du projet de règlement notifié à la Commission.

XXIV. En tenant compte de la jurisprudence de la Cour relative aux articles 28 CE et 30 CE et, plus particulièrement, de l'arrêt du 12 mars 1987, Commission/Allemagne, dit «Loi de pureté pour la bière» , la Commission estime que la question de fond ne semble donc pas être contestée.

XXV. En tout état de cause, quant à une éventuelle justification tirée de la protection de la santé et de la vie des personnes, la Commission fait valoir quil est difficile de considérer que lon puisse, comme le font les autorités italiennes, dune part, affirmer que les boissons ayant une teneur en caféine supérieure peuvent présenter un risque pour la santé et, dautre part, autoriser leur distribution, ainsi que la fait la République italienne en vertu de la circulaire ministérielle n° 5, du 3
avril 1998.

XXVI. Par ailleurs, la Commission souligne que lavis du CSS du 13 décembre 1995 auquel les autorités italiennes se réfèrent est devenu caduc, le CSS ayant émis un avis ultérieur qui affirme que les boissons en cause ne nuisent pas à la santé. Selon la Commission, ce dernier avis est, en outre, confirmé par celui rendu le 21 janvier 1999 par le comité scientifique de l'alimentation humaine.

XXVII. De lavis de la Commission, le point litigieux porte plutôt sur la mesure adoptée par la République italienne en vue dadapter sa législation aux principes du droit communautaire, une fois son incompatibilité constatée. En tenant compte du fait quun État membre ne peut sacquitter des obligations que lui impose une directive au moyen dune simple circulaire modifiable au gré de ladministration, la Commission, en se référant à l'arrêt du 20 mars 1997, Commission/Allemagne , estime que l'on ne
saurait considérer que la circulaire n° 5, du 3 avril 1998, soit à même de modifier larticle 15 du DPR n° 719/58 contenant les dispositions litigieuses.

XXVIII. Le gouvernement italien se défend en faisant valoir que la fixation dune teneur maximale en caféine est justifiée notamment par les évaluations effectuées par lorgane sanitaire de contrôle. Il estime que lensemble de la question doit être résolu du point de vue de la légalité de la position scientifique adoptée par les autorités sanitaires italiennes. Une autre solution aboutirait, selon lui, à vider de son contenu larticle 30 CE en remplaçant le pouvoir dappréciation non arbitraire de lÉtat
membre par lopinion subjective des autorités sanitaires dun autre État membre, légitime mais certainement pas incontestable de par sa nature.

XXIX. Le gouvernement italien soutient qu'il incombe à la Commission de fournir les preuves scientifiques que, dans les conditions en vigueur en Italie en matière denvironnement, la fixation de la quantité maximale de caféine admise, qui est considérée dans une majorité des cas comme nétant pas nocive pour la santé des consommateurs, ne répond pas aux critères dune pondération responsable des intérêts en cause.

XXX. Le gouvernement italien ajoute, cependant, qu'il maintient son intention de formaliser sa position en ce qui concerne la quantité maximale admissible de caféine dans les boissons alcoolisées et lintégration des règles qui réglementent la composition des boissons sans alcool. Toutefois, il insiste que cette volonté ne correspond pas à une obligation juridique ni à une nécessité absolue dans la mesure où une règle technique, comme celle qui est prévue, est nécessairement liée à létat des
connaissances scientifiques et ne tient pas compte des interactions éventuelles des ingrédients des boissons alcoolisées spécifiques citées ou non dans le texte des dispositions applicables. Le maintien dune réserve dautorisation spécifique en ce qui concerne lutilisation dingrédients différents de ceux prévus sert, au contraire, à évaluer précisément linteraction entre ceux-ci et, par conséquent, à garantir la vie et la santé des consommateurs qui ne doivent pas être sacrifiées à la logique du
profit ou à des interprétations abstraites du traité CE.

XXXI. Le gouvernement italien rappelle également que la règle qui sapplique aux boissons importées dautres États membres sapplique également aux boissons produites en Italie.

XXXII. Dans sa duplique, le gouvernement italien confirme encore qu'un texte de loi a été élaboré modifiant les règles qui navaient pas été considérées comme adaptées aux orientations suivies par les autres autorités sanitaires de la Communauté et que ce texte a été soumis à lexamen de lorgane représentant la totalité des entités locales concernées en avril 2002. En outre, il soutient que la circulaire n° 5, du 3 avril 1998, a permis de commercialiser en Italie des produits à contenu en caféine plus
élevé que celui qui était admis par les dispositions applicables dans ce domaine.

B Appréciation

XXXIII. Il ressort des éléments du dossier que, à la date de l'expiration du délai fixé par l'avis motivé, qui, selon une jurisprudence constante , constitue la date à laquelle il convient d'apprécier l'existence d'un manquement et qui, en l'espèce, se situe fin novembre 1997 , il existait une interdiction de commercialiser en Italie des boissons énergétiques légalement vendues dans dautres États membres dont la teneur en caféine dépassait 125 mg/l.

XXXIV. En effet, malgré le fait que, même après une question écrite posée par la Cour à ce sujet, il existe toujours des imprécisions sur la base réglementaire en droit interne italien de cette interdiction l'article 15, paragraphe 3, du DPR n° 719/58 ne prévoit, effectivement, pas une telle interdiction , le gouvernement italien n'a jamais nié l'existence, à la date précitée, de cette interdiction. Il l'a même explicitement reconnue, notamment, dans la réponse du 8 janvier 1997 à la lettre de mise
en demeure.

XXXV. Or, même si l'interdiction ne prenait que la forme d'une pratique administrative, elle serait susceptible de constituer un manquement .

XXXVI. Cette interdiction de commercialisation constituant, dans la mesure où elle est appliquée aux produits importés, une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative à l'importation au sens de l'article 28 CE, se pose, dès lors, la question de savoir si elle est justifiée par une des exigences prévues à l'article 30 CE et, plus particulièrement, par la nécessité de protéger la santé et la vie des personnes.

XXXVII. À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, il appartient aux autorités nationales compétentes de démontrer, dans chaque cas, que leur réglementation est nécessaire pour protéger effectivement les intérêts visés à l'article 30 CE et, notamment, que la commercialisation du produit en question présente un risque pour la santé publique .

XXXVIII. Or, je me rallie à la position de la Commission selon laquelle le gouvernement italien ne prouve pas que l'interdiction, telle qu'en vigueur fin novembre 1997, se justifie par la nécessité de protéger la santé et la vie des personnes.

XXXIX. En effet, le seul élément de preuve soumis par le gouvernement italien consiste dans l'avis rendu par le CSS le 13 décembre 1995.

XL. Or, indépendamment du fait que, ainsi qu'il ressort de la lettre des autorités italiennes du 6 mars 1998, ce même CSS est, ensuite, revenu sur cet avis, il résulte de la lecture de celui-ci que, en tout état de cause, il concerne des boissons ayant un contenu élevé de caféine et de taurine et, en outre, une teneur en caféine s'élevant à 320 mg/l, soit plus du double de la limite de 125 mg/l.

XLI. On ne saurait donc déduire de cet avis que l'interdiction de commercialiser en Italie des boissons énergétiques légalement vendues dans dautres États membres dont la teneur en caféine dépasse 125 mg/l est nécessaire pour protéger effectivement la santé et la vie des personnes.

XLII. Dans sa réponse à une question écrite posée par la Cour, le gouvernement italien soutient encore que le problème à la base du recours en manquement a, selon lui, été résolu par l'adoption de la circulaire n° 5, du 3 avril 1998.

XLIII. Cette circonstance ne permet, cependant, pas de conclure que le recours en manquement n'est pas fondé. Ainsi qu'il a déjà été indiqué ci-dessus, il est, en effet, «[¼ ] de jurisprudence constante que l'existence d'un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l'État membre telle qu'elle se présentait au terme du délai fixé dans l'avis motivé et que les changements intervenus par la suite ne sauraient être pris en compte par la Cour [¼ ]» .

XLIV. Par ailleurs, on ne saurait se rallier à la thèse de la Commission, exprimée dans sa requête, selon laquelle le point litigieux porte plutôt sur la mesure adoptée par l'État italien en vue d'adapter sa législation aux principes du droit communautaire, une fois son incompatibilité constatée, et, par conséquent, sur la question de savoir si le gouvernement italien a, par l'adoption de la circulaire n° 5, du 3 avril 1998, remédié au manquement constaté.

XLV. Je suis, en effet, d'avis que cette question n'est pas pertinente dans le cadre du présent litige.

XLVI. Il convient de se référer, à cet égard, à l'arrêt du 10 mars 1970, Commission/Italie , qui a trait à un cas de figure analogue à celui qui se présente en l'espèce.

XLVII. Dans cette affaire, la Commission avait saisi la Cour d'un recours en manquement contre la République italienne en raison d'un régime d'imposition de la taxe sur le chiffre d'affaires qu'elle considérait comme contraire à l'article 95 du traité CEE (devenu, après modification, article 90 CE).

XLVIII. Dans son mémoire en défense, la République italienne avait fait état d'un décret-loi qui avait modifié le régime fiscal litigieux et qui était, à son avis, de nature à entraîner le retrait du recours. La Commission a contesté ce point de vue et une discussion s'est développée entre les parties sur les effets et l'incidence du régime fiscal introduit par le décret-loi en question jusqu'à un point tel qu'elles ont invité la Cour à apprécier dans son ensemble la situation ainsi créée.

XLIX. En réponse à cette invitation, la Cour a jugé, au point 4 de l'arrêt Commission/Italie, précité, que «[¼ ] ce faisant la requérante a modifié ainsi l'objet de son recours de sorte que celui-ci ne vise plus la seule question de savoir si, au moment de l'introduction du recours, il existait un manquement de la République italienne aux obligations lui incombant en vertu de l'article 95, mais principalement celle de savoir si, depuis l'entrée en vigueur du décret-loi, un tel manquement subsiste
encore».

L. Ensuite, aux points 5 et 6 de ce même arrêt, la Cour a continué dans les termes suivants:

«5 [¼ ]

que [la Cour] ne peut donc statuer en l'espèce sur le manquement consécutif à une modification législative intervenue en cours d'instance sans porter atteinte aux droits de l'État membre à faire valoir ses moyens de défense sur la base d'une articulation de griefs dans le cadre de la procédure prévue à l'article 169;

6 attendu que, dans ces conditions, il incomberait à la Commission d'engager, au sujet des effets du décret-loi n° 319, une nouvelle procédure telle que prévue à l'article 169 et de saisir éventuellement la Cour du manquement précis qu'elle entendrait faire sanctionner;

[¼ ]» .

LI. Cet arrêt constitue le précurseur d'une jurisprudence qui, entre-temps, est devenue constante et selon laquelle le recours introduit en vertu de l'article 226 CE doit être fondé sur les mêmes motifs et moyens que l'avis motivé .

LII. Or, en l'espèce, le reproche formulé par la Commission, selon lequel la République italienne a manqué aux articles 28 CE et 30 CE en levant une interdiction de commercialisation contraire au traité par une circulaire, constitue un motif de manquement différent du reproche fait à ce même État membre d'avoir manqué aux mêmes dispositions en raison de la simple existence de cette interdiction.

LIII. C'est uniquement sur ce second motif de manquement que s'est fondé l'avis motivé. Le premier est donc irrecevable.

LIV. Par ailleurs, je m'interroge sur la question de savoir si nous disposons de suffisamment d'éléments pour examiner utilement ce premier motif de manquement sans qu'il ait fait l'objet d'une procédure précontentieuse dont, selon la Cour, «[l]a régularité [¼ ] constitue une garantie essentielle voulue par le traité non seulement pour la protection des droits de l'État membre en cause, mais également pour assurer que la procédure contentieuse éventuelle aura pour objet un litige clairement défini
(voir arrêt du 13 décembre 2001, Commission/France, C-1/00, [Rec. p. I-9989], point 53)» .

LV. Il convient, en effet, de rappeler les imprécisions quant à la base réglementaire, en droit interne italien, de l'interdiction litigieuse. La Commission, tout en considérant que la circulaire n° 5, du 3 avril 1998, ne saurait être à même de modifier larticle 15 du DPR n° 719/58, a cependant reconnu, en réponse à une question écrite posée par la Cour, que l'interdiction litigieuse pourrait ne pas découler dudit article mais d'une simple pratique administrative.

LVI. Or, cette question de la base réglementaire de l'interdiction litigieuse me paraît d'une importance fondamentale pour apprécier la façon dont la République italienne doit remédier au manquement qui, selon moi, est avéré et découle de l'existence de cette interdiction à la date de l'expiration du délai fixé par l'avis motivé.

LVII. S'il n'est, en effet, pas permis à un État membre d'«abroger» une disposition réglementaire nationale, source d'un manquement, par une circulaire, je ne vois, en revanche, pas, à première vue, pour quelle raison, en dehors du contexte de la transposition d'une directive qui n'est pas celui de l'espèce, un État membre ne serait pas autorisé à transformer, par une circulaire, une pratique administrative non conforme au traité en une pratique administrative conforme au traité.

V Conclusion

LVIII. Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose, dès lors, de:

constater que, en appliquant aux boissons fabriquées ou commercialisées dans dautres États membres un régime qui interdit la commercialisation en Italie de boissons énergétiques dont la teneur en caféine est supérieure à une certaine limite, sans démontrer pourquoi cette limite est nécessaire et proportionnée au regard de la protection de la santé publique, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 28 CE et 30 CE;

condamner la République italienne aux dépens.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-420/01
Date de la décision : 27/02/2003
Type de recours : Recours en constatation de manquement - fondé

Analyses

Manquement - Libre circulation des marchandises - Articles 28 CE et 30 CE - Interdiction de commercialisation de boissons énergétiques dont la teneur en caféine est supérieure à une certaine limite - Santé publique - Maintien d'une disposition nationale incompatible avec le droit communautaire.

Libre circulation des marchandises

Restrictions quantitatives

Mesures d'effet équivalent


Parties
Demandeurs : Commission des Communautés européennes
Défendeurs : République italienne.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mischo
Rapporteur ?: Macken

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2003:119

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