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25/02/2003 | CJUE | N°C-410/01

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 25 février 2003., Fritsch, Chiari & Partner, Ziviltechniker GmbH et autres contre Autobahnen- und Schnellstraßen-Finanzierungs-AG (Asfinag)., 25/02/2003, C-410/01


Avis juridique important

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62001C0410

Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 25 février 2003. - Fritsch, Chiari & Partner, Ziviltechniker GmbH et autres contre Autobahnen- und Schnellstraßen-Finanzierungs-AG (Asfinag). - Demande de décision préjudicielle: Bundesvergabeamt - Autriche. - Marchés p

ublics - Directive 89/665/CEE - Procédures de recours en matière de passat...

Avis juridique important

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62001C0410

Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 25 février 2003. - Fritsch, Chiari & Partner, Ziviltechniker GmbH et autres contre Autobahnen- und Schnellstraßen-Finanzierungs-AG (Asfinag). - Demande de décision préjudicielle: Bundesvergabeamt - Autriche. - Marchés publics - Directive 89/665/CEE - Procédures de recours en matière de passation de marchés publics - Article 1er, paragraphe 3 - Personnes auxquelles les procédures de recours doivent être accessibles - Notion d'intérêt à obtenir un
marché public. - Affaire C-410/01.
Recueil de jurisprudence 2003 page I-06413

Conclusions de l'avocat général

1. Le Bundesvergabeamt (Autriche) nous demande d'interpréter larticle 1er, paragraphe 3, de la directive 89/665/CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à lapplication des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux , telle que modifiée par la directive 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics
de services (ci-après la «directive 89/665»).

2. Confronté au cas d'un opérateur économique qui n'a pas suivi une procédure de conciliation prévue en droit autrichien, le Bundesvergabeamt demande si la disposition précitée doit être comprise en ce sens qu'un opérateur économique n'a un intérêt à obtenir un marché que s'il a pris toutes les mesures à sa disposition, en vertu des dispositions nationales, pour que le marché ne soit pas attribué à un autre soumissionnaire et que ce soit ainsi sa propre offre qui soit retenue.

I Le cadre juridique

A La réglementation communautaire

3. Larticle 1er, paragraphes 1 et 3, de la directive 89/665 dispose:

«1. Les États membres prennent, en ce qui concerne les procédures de passation des marchés publics relevant du champ dapplication des directives 71/305/CEE, 77/62/CEE et 92/50/CEE [¼ ], les mesures nécessaires pour garantir que les décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs peuvent faire lobjet de recours efficaces et, en particulier, aussi rapides que possible, dans les conditions énoncées aux articles suivants, et notamment à larticle 2 paragraphe 7, au motif que ces décisions ont violé le
droit communautaire en matière de marchés publics ou les règles nationales transposant ce droit.

[¼ ]

3. Les États membres assurent que les procédures de recours sont accessibles, selon des modalités que les États membres peuvent déterminer, au moins à toute personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché public de fournitures ou de travaux déterminé et ayant été ou risquant dêtre lésée par une violation alléguée. En particulier, ils peuvent exiger que la personne qui souhaite utiliser une telle procédure ait préalablement informé le pouvoir adjudicateur de la violation alléguée et de son
intention dintroduire un recours.»

4. Aux termes de larticle 2, paragraphes 1 et 6, de la même directive:

«1. Les États membres veillent à ce que les mesures prises aux fins de recours visés à larticle 1er prévoient les pouvoirs permettant:

a) de prendre, dans les délais les plus brefs et par voie de référé, des mesures provisoires ayant pour but de corriger la violation alléguée ou dempêcher dautres dommages dêtre causés aux intérêts concernés, y compris des mesures destinées à suspendre ou à faire suspendre la procédure de passation de marché public en cause ou de lexécution de toute décision prise par les pouvoirs adjudicateurs;

b) dannuler ou de faire annuler les décisions illégales, y compris de supprimer les spécifications techniques, économiques ou financières discriminatoires figurant dans les documents de lappel à la concurrence, dans les cahiers des charges ou dans tout autre document se rapportant à la procédure de passation du marché en cause;

c) daccorder des dommages-intérêts aux personnes lésées par une violation.

[¼ ]

6. Les effets de lexercice des pouvoirs visés au paragraphe 1 sur le contrat qui suit lattribution dun marché sont déterminés par le droit national.

En outre, sauf si une décision doit être annulée préalablement à loctroi de dommages-intérêts, un État membre peut prévoir que, après la conclusion du contrat qui suit lattribution dun marché, les pouvoirs de linstance responsable des procédures de recours se limitent à loctroi des dommages-intérêts à toute personne lésée par une violation.

[¼ ]»

B La réglementation nationale

5. La directive 89/665 a été transposée en droit autrichien par le Bundesgesetz über die Vergabe von Aufträgen (Bundesvergabegesetz 1997) (loi fédérale de 1997 sur lattribution des marchés publics, BGBl. I, 1997/56, ci-après le «BVergG»). Le BVergG prévoit linstitution dune Bundes-Vergabekontrollkommission (commission fédérale de contrôle des adjudications, ci-après la «B-VKK») et dun Bundesvergabeamt (office fédéral des adjudications).

6. Larticle 109 du BVergG détermine les compétences de la B-VKK. Il contient les dispositions suivantes:

«(1) La B-VKK est compétente:

1) jusquà lattribution du marché, pour concilier des divergences dopinion entre lentité adjudicatrice et lun ou plusieurs candidats ou soumissionnaires relatives à lapplication de la présente loi fédérale ou de ses règlements dapplication;

[¼ ]

(6) Une demande dintervention de la B-VKK introduite en application du paragraphe 1, point 1, doit être présentée à la direction de cet organisme le plus rapidement possible après connaissance de la divergence dopinion.

(7) Au cas où la B-VKK nintervient pas à la suite dune demande de lentité adjudicatrice, elle doit informer celle-ci sans délai de son intervention.

(8) Lentité adjudicatrice ne peut pas attribuer le marché dans un délai de quatre semaines à compter de [¼ ] linformation prévue au paragraphe 7, sous peine de nullité de ladjudication. [¼ ]»

7. Larticle 113 du BVergG détermine les compétences du Bundesvergabeamt. Il prévoit:

«(1) Le Bundesvergabeamt est compétent pour examiner les procédures de recours dont il est saisi, conformément aux dispositions du chapitre ci-après.

(2) En vue de mettre fin aux violations de la présente loi fédérale et de ses règlements dapplication, le Bundesvergabeamt est compétent, jusquà lattribution du marché, pour 1) prescrire des mesures provisoires et 2) annuler des décisions illégales de lentité adjudicatrice du pouvoir adjudicateur.

(3) Après lattribution du marché ou après la clôture de la procédure dadjudication, le Bundesvergabeamt est compétent pour constater si, du fait dune infraction à la présente loi fédérale ou à ses règlements dapplication, le marché na pas été attribué au mieux-disant. [¼ ]»

8. Larticle 115, paragraphe 1, du BVergG dispose:

«Tout entrepreneur, qui allègue un intérêt à la conclusion dun contrat soumis au champ dapplication de la présente loi fédérale, peut introduire, contre les décisions prises par le pouvoir adjudicateur dans le cadre de la procédure dadjudication, une procédure de recours pour illégalité, lorsque cette illégalité la lésé ou risque de le léser.»

9. Conformément à larticle 122, paragraphe 1, du BVergG,

«[e]n cas de violation fautive de la loi fédérale ou de ses règlements dapplication par les organes dune entité adjudicatrice, un candidat ou soumissionnaire non retenu peut faire valoir un droit au remboursement des frais engagés pour élaborer son offre et des autres coûts supportés du fait de sa participation à la procédure dadjudication à lencontre du pouvoir adjudicateur auquel le comportement des organes de lentité adjudicatrice est imputable».

10. En vertu de larticle 125, paragraphe 2, première phrase, du BVergG, une demande de dommages-intérêts, qui est à introduire devant les juridictions civiles, nest recevable que si, auparavant, une constatation du Bundesvergabeamt au titre de larticle 113, paragraphe 3, est intervenue.

II Le litige au principal

11. En automne 1999, la société Autobahnen- und Schnellstraßen-Finanzierungs-AG (ci-après l«Asfinag») a lancé un appel doffres pour lattribution dun marché public de services pour la «supervision sur le terrain des travaux de construction et dinstallation des équipements électriques, des bâtiments et des équipements mécaniques des postes de péages principaux et secondaires ainsi que de la mise en place du système de transmission de données dans le cadre du projet LKW Maut Österreich». Louverture des
offres a eu lieu le 18 novembre 1999.

12. Ensemble avec plusieurs partenaires, la société Fritsch, Chiari & Partner, Ziviltechniker GmbH (ci-après la «partie demanderesse») a présenté une offre en tant que consortium soumissionnaire. Par lettre du 28 janvier 2000, la partie demanderesse a été informée que son offre a été classée en deuxième position lors de lévaluation des offres et ne serait donc pas retenue. Le 8 février 2001, elle a été informée de lattribution du marché à un concurrent et du montant dudit marché.

13. La partie demanderesse a alors saisi le Bundesvergabeamt dune procédure de recours au titre de larticle 113, paragraphe 3, du BVergG afin de faire constater que le marché na pas été attribué au mieux-disant, au motif que, en fixant les critères dattribution, le pouvoir adjudicateur aurait violé lobligation de déterminer le mieux-disant d'une manière qui soit compréhensible, conformément à larticle 53 du BVergG.

14. Devant le Bundesvergabeamt, lAsfinag a souligné que, en vertu de larticle 115, paragraphe 1, du BVergG, seul lentrepreneur qui allègue un intérêt à obtenir un marché relevant du champ dapplication du BVergG peut demander le contrôle pour illégalité dune décision du pouvoir adjudicateur, dans la mesure où cette illégalité lui a causé un préjudice ou risque de lui en causer un. Or, selon lAsfinag, la partie demanderesse naurait manifestement pas été intéressée à obtenir le marché, puisquelle
naurait introduit aucune demande de conciliation auprès de la B-VKK, ainsi que larticle 109, paragraphe 1, du BVergG le lui aurait permis.

15. À lappui de sa thèse, lAsfinag a fait valoir que le droit des marchés publics na pas de finalité propre mais configure les obligations précontractuelles de toutes les parties à la procédure de passation de marché, y compris des soumissionnaires. Si un soumissionnaire estime que les critères dattribution ne sont pas conformes à la loi, il serait tenu de linvoquer, ainsi que le prévoit notamment larticle 109, paragraphe 6, du BVergG, le plus rapidement possible auprès de la B-VKK, donc
éventuellement avant louverture des offres. Le principe de concurrence interdirait de permettre à un soumissionnaire estimant que les critères dattribution ne sont pas conformes à la loi de présenter dabord une offre pour voir sil est le mieux-disant et de déterminer ensuite son comportement selon le résultat de lattribution du marché: sil est le mieux-disant, il nintroduit aucune demande; si, en revanche, il nobtient pas le marché ou nest pas le mieux-disant, il sadresse aux instances compétentes
pour obtenir par lannulation de lappel doffres une «nouvelle chance».

16. Selon lAsfinag, larticle 109, paragraphe 6, du BVergG aurait, dès lors, un effet de forclusion tel que le dépôt dune offre sans demande préalablement introduite auprès de la B-VKK entraîne la forclusion des vices de lappel doffres dont le soumissionnaire aurait dû avoir connaissance au moment délaborer son offre, sil avait eu la diligence requise. Si, en lespèce, la partie demanderesse avait saisi la B-VKK avant délaborer son offre et avait attiré lattention de lAsfinag sur les erreurs
alléguées, il ny aurait pas eu de frais délaboration de loffre.

17. La partie demanderesse a réfuté le grief dun défaut dintérêt en indiquant que, conformément à la pratique décisionnelle constante des organes de contrôle en matière de passation de marché, la présentation dune offre dans les délais suffit à témoigner de lintérêt à obtenir un marché.

III Les questions préjudicielles

18. Considérant que la législation autrichienne applicable au litige dont il était saisi doit être interprétée à la lumière de larticle 1er, paragraphe 3, de la directive 89/665 et que la solution dudit litige requiert dès lors l'interprétation de cette disposition, le Bundesvergabeamt a, par ordonnance du 11 juillet 2001, décidé de surseoir à statuer jusqu'à ce que la Cour se soit prononcée à titre préjudiciel sur les questions suivantes:

«1) Faut-il interpréter l'article 1er, paragraphe 3, de la directive 89/665 en ce sens que les procédures de recours sont accessibles à tout entrepreneur qui a présenté une offre lors d'une procédure de passation de marché ou qui a demandé à participer à une telle procédure?

2) En cas de réponse négative à cette question:

La disposition précitée doit-elle être comprise en ce sens qu'un entrepreneur n'a ou n'avait un intérêt à obtenir un marché public déterminé que lorsque outre sa participation à la procédure de passation de marché il prend ou a pris toutes les mesures à sa disposition, en vertu des dispositions nationales, pour que le marché ne soit pas attribué à un autre soumissionnaire et que ce soit ainsi sa propre offre qui soit retenue?»

19. Dans lordonnance de renvoi, le Bundesvergabeamt relève que, dans un arrêt du 12 juin 2001 (B 485/01-12, B 584/01-9, B 685/01-6), le Verfassungsgerichtshof (Autriche) (Cour constitutionnelle) a jugé, par référence à son arrêt du 8 mars 2001 (B 707/00), que, conformément à la jurisprudence de la Cour , la légitimation pour introduire une procédure de recours au titre de larticle 1er de la directive 89/665 doit être interprétée de manière large et devrait donc revenir à toute personne qui désire
obtenir un marché public déterminé faisant lobjet dun appel doffres. La question se poserait dès lors de savoir si tel doit être le cas indépendamment du point de savoir si cette personne a eu ou na pas eu recours à la possibilité, offerte par le pouvoir adjudicateur, dépuiser les voies de protection juridique du droit interne en matière de marchés publics (première question) ou si le fait de ne pas avoir épuisé toutes les possibilités de protection juridique internes implique la disparition de cet
intérêt (seconde question).

IV Analyse

A Sur la compétence de la Cour pour répondre aux questions préjudicielles

20. La Commission se demande dans ses observations écrites si la Cour est compétente pour répondre aux questions préjudicielles dès lors que les décisions du Bundesvergabeamt seraient, selon elle, dépourvues de caractère juridictionnel.

21. Il convient cependant de constater que cette question a entre-temps été tranchée par la Cour dans son arrêt du 14 novembre 2002, Felix Swoboda , au moins pour ce qui concerne les questions posées par le Bundesvergabeamt dans l'exercice des compétences qui lui reviennent pendant la période postérieure à l'attribution du marché. Dans ce contexte, la Cour l'a considéré comme une juridiction au sens de l'article 234 CE .

22. Or, il résulte de l'ordonnance de renvoi que, dans l'affaire au principal, le Bundesvergabeamt exerce également ses compétences pendant la période postérieure à l'attribution du marché. L'affaire a, en effet, été introduite sur le fondement de l'article 113, paragraphe 3, du BVergG selon lequel, «[a]près lattribution du marché ou après la clôture de la procédure dadjudication, le Bundesvergabeamt est compétent pour constater si, du fait dune infraction à la présente loi fédérale ou à ses
règlements dapplication, le marché na pas été attribué au mieux-disant. [¼ ]» .

23. Il y a donc lieu de conclure que la Cour est compétente pour répondre aux questions préjudicielles posées par le Bundesvergabeamt.

B Sur les questions préjudicielles

24. Comme le gouvernement français, je propose de traiter ensemble les deux questions préjudicielles.

25. Chaque question préjudicielle correspond, en effet, à la thèse défendue par une des parties au principal sur le point litigieux en cause, à savoir la notion d'«intérêt à obtenir un marché»: la première question reflète la thèse de la partie demanderesse selon laquelle la présentation d'une offre lors d'une procédure de passation de marché ou la demande de participer à une telle procédure suffisent pour considérer qu'un soumissionnaire a, une fois pour toutes, un intérêt à obtenir le marché,
alors que la seconde question se réfère à la thèse défendue par l'Asfinag et selon laquelle le fait pour un soumissionnaire de ne pas prendre ou de ne pas avoir pris toutes les mesures à sa disposition, en vertu des dispositions nationales, pour que le marché ne soit pas attribué à un autre soumissionnaire, à savoir, en l'espèce, le fait de ne pas avoir saisi la B-VKK, permet de considérer que ce soumissionnaire a perdu l'intérêt à obtenir le marché.

26. La partie demanderesse et le gouvernement autrichien ont confirmé à l'audience que, au moment des faits en cause dans le litige au principal, il n'existait pas d'obligation légale dans le chef de cette première de saisir la B-VKK après avoir été informée, par lettre du 28 janvier 2000, que son offre avait été classée en deuxième position lors de l'évaluation des offres et n'avait donc pas été retenue.

27. L'ordonnance de renvoi ne contient pas d'informations de nature à me faire conclure que cette thèse serait inexacte.

28. Les questions préjudicielles reviennent donc, en substance, à la question de savoir si la directive 89/665 doit être comprise en ce sens qu'un soumissionnaire n'a ou n'avait un intérêt à obtenir un marché public que lorsqu'il a saisi préalablement une commission consultative dont la saisine était facultative.

29. Je suis d'avis que la réponse à cette question est négative.

30. D'une part, il est d'emblée tout à fait clair que la directive 89/665 ne définit aucunement des conditions dans lesquelles un soumissionnaire perdrait l'intérêt à obtenir le marché.

31. D'autre part, une réponse positive à la question impliquerait que l'on déduise de la directive une obligation pour le soumissionnaire, sous peine pour lui de perdre l'intérêt à obtenir le marché public, de saisir une commission consultative dont la saisine n'est que facultative en droit national. Une telle déduction ne saurait être effectuée.

32. Certes, la directive ne s'oppose pas à ce que certaines obligations soient imposées aux opérateurs économiques par le droit national.

33. En témoigne, par exemple, la dernière phrase de l'article 1er, paragraphe 3, de la directive 89/665 selon laquelle «[¼ ] [les États membres] peuvent exiger que la personne qui souhaite utiliser une telle procédure [de recours] ait préalablement informé le pouvoir adjudicateur de la violation alléguée et de son intention dintroduire un recours».

34. En témoigne également l'arrêt du 12 décembre 2002, Universale-Bau e.a. , dans lequel la Cour a jugé compatible avec la directive 89/665 l'existence, au niveau national, de délais de forclusion, pour autant que ceux-ci soient raisonnables.

35. En revanche, ce n'est pas la directive elle-même qui impose de telles obligations aux opérateurs économiques, ce que, en l'absence d'effet direct à l'égard d'un particulier , elle ne pourrait d'ailleurs jamais faire.

36. Je propose, dès lors, de répondre aux questions préjudicielles que, en lui-même, l'article 1er, paragraphe 3, de la directive 89/665 n'implique pas qu'un entrepreneur n'a ou n'avait un intérêt à obtenir un marché public déterminé que lorsque outre sa participation à la procédure de passation de marché il prend ou a pris toutes les mesures à sa disposition, en vertu des dispositions nationales, pour que le marché ne soit pas attribué à un autre soumissionnaire et que ce soit ainsi sa propre offre
qui soit retenue.

37. À titre subsidiaire, je voudrais, cependant, examiner encore les questions préjudicielles sous un autre angle.

38. Elles pourraient également être comprises en ce sens que le Bundesvergabeamt demande si la directive 89/665 s'oppose à une règle de droit national selon laquelle un soumissionnaire perd son intérêt à obtenir le marché s'il n'a pas pris toutes lesdites mesures à sa disposition pour éviter que le marché soit attribué à un autre soumissionnaire.

39. Je souligne que je n'ai pas trouvé, dans l'ordonnance de renvoi, de référence explicite à une règle de droit autrichien selon laquelle, bien que la saisine de la B-VKK soit facultative, le fait de ne pas la saisir ferait perdre au soumissionnaire l'intérêt à obtenir le marché. Cependant, la juridiction de renvoi étant seule compétente pour interpréter son droit national, on ne saurait a priori exclure qu'une telle règle existe. Dès lors, dans un souci de fournir une réponse aussi utile que
possible au Bundesvergabeamt, je propose que l'on réponde également aux questions préjudicielles telles que je viens de les reformuler à titre subsidiaire.

40. À l'audience, les gouvernements français et autrichien ainsi que la Commission ont soutenu, à juste titre, que la réponse aux questions, formulées de telle façon, doit s'inspirer de l'arrêt Universale-Bau e.a., précité, intervenu depuis la déposition de leurs observations écrites.

41. Dans cet arrêt, la Cour, saisie également par le Bundesvergabeamt, s'est prononcée dans les termes suivants:

«[¼ ] [L]a directive 89/665 ne s'oppose pas à une réglementation nationale qui prévoit que tout recours contre une décision du pouvoir adjudicateur doit être formé dans un délai prévu à cet effet et que toute irrégularité de la procédure d'adjudication invoquée à l'appui de ce recours doit être soulevée dans le même délai, sous peine de forclusion, de sorte que, passé ce délai, il n'est plus possible de contester une telle décision ou de soulever une telle irrégularité, pour autant que le délai en
question soit raisonnable» .

42. Tout comme les parties intervenantes précitées, je suis d'avis que ce jugement est transposable au cas d'espèce.

43. En effet, comme dans l'affaire Universale-Bau e.a., précitée, dans laquelle la Cour avait constaté que la directive 89/665 ne comporte aucune disposition ayant trait spécifiquement aux conditions de délai concernant le recours qu'elle vise à instaurer , cette même directive ne comporte également, comme nous l'avons d'ailleurs déjà constaté ci-dessus , aucune disposition ayant trait aux conditions dans lesquels un soumissionnaire peut perdre l'intérêt à obtenir un marché.

44. La directive 89/665, dans son article 1er, paragraphe 3, oblige, en effet, à rendre accessible les voies de recours à «toute personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché public de fournitures ou de travaux déterminé et ayant été ou risquant dêtre lésée par une violation alléguée» mais elle ne définit plus amplement ni la notion d'intérêt ni les éventuelles conditions dans lesquelles l'absence de diligence de la part d'un soumissionnaire peut lui faire perdre l'intérêt à obtenir un
marché en ce sens qu'il est considéré comme n'ayant pas et n'ayant jamais eu un tel intérêt. Il appartient donc à l'ordre juridique interne de chaque État membre de le faire le cas échéant .

45. Arrivé à ce stade du raisonnement, je me permets de citer in extenso les points 72 à 76 de l'arrêt Universale-Bau e.a., précité, qui me paraissent applicables mutatis mutandis à la question qui nous occupe:

«72 Néanmoins, dès lors qu'il s'agit de modalités procédurales de recours en justice destinés à assurer la sauvegarde des droits conférés par le droit communautaire aux candidats et soumissionnaires lésés par des décisions des pouvoirs adjudicateurs, elles ne doivent pas porter atteinte à l'effet utile de la directive 89/665.

73 Il convient donc de vérifier si, au regard de la finalité de cette directive, une réglementation nationale telle que celle en cause au principal ne porte pas atteinte aux droits conférés aux particuliers par le droit communautaire.

74 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, ainsi qu'il résulte de ses premier et deuxième considérants, la directive 89/665 vise à renforcer les mécanismes existant, tant sur le plan national que sur le plan communautaire, pour assurer l'application effective des directives en matière de passation des marchés publics, en particulier à un stade où les violations peuvent encore être corrigées. À cet effet, l'article 1er, paragraphe 1, de ladite directive impose aux États membres l'obligation de
garantir que les décisions illégales des pouvoirs adjudicateurs peuvent faire l'objet de recours efficaces et aussi rapides que possible.

75 Or, la réalisation complète de l'objectif poursuivi par la directive 89/665 serait compromise s'il était loisible aux candidats et soumissionnaires d'invoquer à tout moment de la procédure d'adjudication des infractions aux règles de passation des marchés, obligeant ainsi le pouvoir adjudicateur à reprendre la totalité de la procédure afin de corriger ces infractions.

76 En outre, il y a lieu de considérer que la fixation de délais de recours raisonnables à peine de forclusion satisfait, en principe, à l'exigence d'effectivité découlant de la directive 89/665, dans la mesure où elle constitue une application du principe fondamental de sécurité juridique (voir, par analogie, s'agissant du principe d'effectivité du droit communautaire, arrêts du 10 juillet 1997, Palmisani, C-261/95, Rec. p. I-4025, point 28, et du 16 mai 2000, Preston e.a., C-78/98, Rec. p. I-3201,
point 33)» .

46. Tout comme pour les délais de forclusion dont il était question dans l'affaire Universale-Bau e.a., précitée, je suis d'avis qu'une règle nationale qui impose à un soumissionnaire, sous peine de perdre l'intérêt à obtenir le marché, de prendre toutes les mesures qui sont raisonnablement à sa disposition pour éviter que le marché ne soit attribué à un autre soumissionnaire participe à cet objectif de la directive 89/665 qui est de mettre en place des recours efficaces et aussi rapides que
possible . En outre, elle répond également à l'exigence d'effectivité découlant de la directive 89/665 dans la mesure où elle est dans l'intérêt de la sécurité juridique.

47. Je souligne, cependant, que cette perte de l'intérêt à obtenir le marché ne saurait, selon moi, intervenir que si le soumissionnaire n'a pas pris toutes les mesures qui sont raisonnablement à sa disposition, tout comme les délais de forclusion doivent également être raisonnables .

48. À l'audience, la partie demanderesse a, en effet, indiqué qu'il lui manquait des informations pour pouvoir utilement saisir la B-VKK après avoir été informée, par lettre du 28 janvier 2000, que son offre avait été classée en deuxième position lors de l'évaluation des offres et n'avait donc pas été retenue.

49. Or, il appartient à la juridiction de renvoi d'examiner si, eu égard à de telles circonstances, la partie demanderesse avait raisonnablement à sa disposition la mesure consistant à saisir la B-VKK. Si tel n'était pas le cas, on ne saurait lui reprocher de ne pas avoir pris cette mesure.

50. Je propose donc de répondre aux questions préjudicielles, à titre subsidiaire, que l'article 1er, paragraphe 3, de la directive 89/665 ne s'oppose pas à une règle de droit national selon laquelle un entrepreneur n'a ou n'avait un intérêt à obtenir un marché public déterminé que lorsque outre sa participation à la procédure de passation de marché il prend ou a pris toutes les mesures raisonnablement à sa disposition, en vertu des dispositions nationales, pour que le marché ne soit pas attribué à
un autre soumissionnaire et que ce soit ainsi sa propre offre qui soit retenue.

V Conclusion

51. Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose de répondre aux questions préjudicielles posées par le Bundesvergabeamt de la manière suivante:

«L'article 1er, paragraphe 3, de la directive 89/665/CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à lapplication des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux, telle que modifiée par la directive 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services, n'implique pas qu'un entrepreneur n'a ou
n'avait un intérêt à obtenir un marché public déterminé que lorsque outre sa participation à la procédure de passation de marché il prend ou a pris toutes les mesures à sa disposition, en vertu des dispositions nationales, pour que le marché ne soit pas attribué à un autre soumissionnaire et que ce soit ainsi sa propre offre qui soit retenue.

L'article 1er, paragraphe 3, de la directive 89/665 ne s'oppose cependant pas à une règle de droit national selon laquelle un entrepreneur n'a ou n'avait un intérêt à obtenir un marché public déterminé que lorsque outre sa participation à la procédure de passation de marché il prend ou a pris toutes les mesures raisonnablement à sa disposition, en vertu des dispositions nationales, pour que le marché ne soit pas attribué à un autre soumissionnaire et que ce soit ainsi sa propre offre qui soit
retenue.»


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-410/01
Date de la décision : 25/02/2003
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Bundesvergabeamt - Autriche.

Marchés publics - Directive 89/665/CEE - Procédures de recours en matière de passation de marchés publics - Article 1er, paragraphe 3 - Personnes auxquelles les procédures de recours doivent être accessibles - Notion d'intérêt à obtenir un marché public.

Rapprochement des législations


Parties
Demandeurs : Fritsch, Chiari & Partner, Ziviltechniker GmbH et autres
Défendeurs : Autobahnen- und Schnellstraßen-Finanzierungs-AG (Asfinag).

Composition du Tribunal
Avocat général : Mischo
Rapporteur ?: Schintgen

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2003:104

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