Avis juridique important
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62001C0192
Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 12 décembre 2002. - Commission des Communautés européennes contre Royaume de Danemark. - Manquement d'État - Articles 28 CE et 30 CE - Interdiction de commercialisation de denrées alimentaires auxquelles des vitamines et des minéraux ont été ajoutés - Justification - Santé publique - Besoin nutritionnel. - Affaire C-192/01.
Recueil de jurisprudence 2003 page I-09693
Conclusions de l'avocat général
1. La Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en appliquant une pratique administrative impliquant que des denrées alimentaires enrichies qui sont légalement produites ou commercialisées dans d'autres États membres ne peuvent être commercialisées au Danemark que s'il est démontré que cet enrichissement en éléments nutritifs répond à un besoin dans la population danoise, le royaume de Danemark a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 28 CE.
I - Cadre juridique
2. L'article 14 de la lov n° 471 om fødevarer m.m. (loi danoise relative aux denrées alimentaires), du 1er juillet 1998, cette loi ayant remplacé la loi n° 310, du 6 juin 1973, tout en laissant inchangé l'état du droit en ce qui concerne les additifs, prévoit que:
«Par additif alimentaire, on entend dans la présente loi toute substance qui, sans être en soi un aliment ou un ingrédient habituel d'aliments composés, est destinée à être ajoutée à des aliments afin d'en modifier la valeur nutritive, la durée de conservation, la consistance, la couleur, le goût ou l'arôme, ou dans d'autres buts d'ordre technologique ou autre.»
3. En vertu de l'article 15, paragraphe 1, de ladite loi, seules peuvent être utilisées ou vendues comme additifs des substances autorisées par le ministre de l'Alimentation.
4. Conformément à l'article 15, paragraphe 2, de cette loi, le ministre peut établir des règles relatives aux conditions d'utilisation des additifs, notamment le but, les quantités et les produits auxquels ils sont associés, ainsi que les règles relatives à l'identité et à la pureté des additifs.
5. En vertu de l'article 16, paragraphe 1, de la même loi, le ministre peut établir des règles prévoyant la possibilité d'utilisation de certains groupes d'additifs déterminés (à savoir des cultures bactériennes, des moisissures et levures, des enzymes et des éléments nutritifs), après l'expiration d'un délai, fixé par le ministre, pouvant aller jusqu'à six mois suivant la déclaration faite au ministère. Le ministre peut, avant l'expiration de ce délai, interdire l'utilisation de la substance ayant
fait l'objet de la déclaration.
6. Le bekendtgørelse n° 282 om tilsætningsstoffer til fødevarer (décret danois relatif aux additifs destinés à l'alimentation), du 19 avril 2000, prévoit l'obligation de les déclarer à l'office vétérinaire et alimentaire, six mois avant leur utilisation.
7. La pratique danoise subordonne l'autorisation de l'adjonction de vitamines et de minéraux, seuls en cause dans la présente affaire, à un ou plusieurs des critères arrêtés conformément aux principes généraux régissant l'adjonction d'éléments nutritifs aux aliments, repris du Codex Alimentarius, établi par une commission internationale sous l'égide de la FAO (Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture) et de l'OMS (Organisation mondiale de la Santé) en 1963.
8. L'adjonction de vitamines et de minéraux ne peut être légalement pratiquée que dans les cas suivants:
- l'adjonction de l'additif est supposée remédier à une situation (ou à prévenir une situation) dans laquelle une partie importante de la population ingère une quantité insuffisante de l'élément nutritif en question (par exemple, l'adjonction d'iode au sel);
- l'adjonction de l'additif doit avoir pour but de compenser une perte de la valeur nutritive d'un produit survenue durant le processus industriel de transformation (par exemple, l'adjonction de vitamine C aux jus de fruits);
- l'adjonction a trait à de nouvelles denrées alimentaires, ou produits analogues, pouvant être utilisés à la place et de la même manière qu'un produit traditionnel (par exemple, l'adjonction de vitamine A à la margarine, qui est un substitut du beurre);
- l'adjonction à des denrées alimentaires constituant en elles-mêmes un repas ou destinées à une alimentation spéciale (par exemple, des substituts du lait maternel, des aliments pour enfants ou des produits pour régimes amaigrissants).
II - Les faits et la procédure précontentieuse
9. La Commission a été saisie en 1998 d'une plainte contre des entraves à la commercialisation de la boisson rafraîchissante Ocean Spray Cranberry. Le plaignant s'était vu refuser une autorisation de mise sur le marché par l'office vétérinaire et alimentaire danois. Le produit contenait de la vitamine C ajoutée.
10. La Commission a adressé aux autorités danoises, le 4 novembre 1999, une lettre de mise en demeure dans laquelle elle attirait l'attention sur le fait que la pratique administrative suivie par les autorités danoises en ce qui concerne les additifs alimentaires constituait une entrave injustifiée aux échanges au sens des articles 28 CE à 30 CE.
11. Cette question a été examinée lors d'une réunion avec les autorités danoises, le 5 mars 1999. Il est ressorti de la discussion que l'office vétérinaire et alimentaire avait en fait refusé l'autorisation de mise sur le marché de la boisson Ocean Spray Cranberry pour étiquetage insuffisant. Dans ce cas précis, la Commission a considéré que la position des autorités danoises était conforme au droit communautaire.
12. Malgré l'absence d'un cas concret où le royaume de Danemark aurait refusé la mise sur le marché d'une denrée alimentaire légalement commercialisée dans un autre État membre, la Commission a procédé à l'envoi d'une lettre de mise en demeure mettant en cause la pratique administrative générale suivie par les autorités danoises au sujet de l'adjonction d'éléments nutritifs aux aliments. Il est incontesté, selon la Commission, que l'office vétérinaire et alimentaire interprète ces dispositions comme
interdisant l'adjonction d'éléments nutritifs, et notamment des vitamines et des minéraux, aux aliments, à moins qu'il n'y ait un besoin nutritionnel de ces substances au Danemark.
13. Dans sa réponse du 22 décembre 1999 à la lettre de mise en demeure, les autorités danoises ont indiqué que, selon la jurisprudence de la Cour, notamment l'arrêt du 14 juillet 1983, Sandoz , les vitamines présentent cette particularité qu'elles se caractérisent par des propriétés qui rendent impossibles une prévision ou un contrôle des quantités que le consommateur absorbe avec d'autres aliments et que leur degré de nocivité ne peut pas être établi avec suffisamment de certitude, ce qui fait que
leur consommation excessive ou pendant une durée prolongée est susceptible d'entraîner un risque pour la santé ou d'avoir des effets secondaires indésirables. Selon les autorités danoises, la Cour a clairement indiqué que les États membres, lorsqu'ils appliquent une interdiction d'adjonction de vitamines, ne sont pas tenus de démontrer un risque concret lié à chaque produit, une telle tâche étant impossible dans les circonstances actuelles. Elles en concluent qu'il suffit aux États membres, pour
respecter le principe de proportionnalité, de démontrer que l'enrichissement des denrées alimentaires ne répond pas à un besoin réel.
14. Le 12 septembre 2000, la Commission a adressé au royaume de Danemark un avis motivé dans lequel elle constatait que, en appliquant une pratique administrative impliquant que des denrées alimentaires enrichies qui sont légalement produites et commercialisées dans d'autres États membres ne peuvent être commercialisées au Danemark que s'il est démontré que cet enrichissement en éléments nutritifs répond à un besoin de la population danoise, le royaume de Danemark a manqué aux obligations qui lui
incombent en vertu de l'article 28 CE. La Commission a, notamment, fait valoir dans l'avis motivé qu'«une interdiction de commercialisation d'un produit n'est donc justifiée que si elle est compatible avec le besoin de protéger la santé publique, et il ne suffit pas de se borner à invoquer cet objectif comme justification. La charge de la preuve incombe à l'État membre, qui doit démontrer qu'il existe un risque réel pour la santé dans chaque cas d'espèce et, même s'il est souhaitable d'avoir pour
objectif de n'inciter à la consommation de produits enrichis en éléments nutritifs que s'ils présentent une valeur nutritionnelle, cela ne signifie pas que la santé publique est menacée si ces éléments sont ajoutés aux aliments même en l'absence d'un besoin nutritionnel. Autrement dit, il ne suffit pas, pour respecter le principe de proportionnalité, que les États membres démontrent l'absence d'un besoin réel d'enrichissement en éléments nutritifs dans leur population».
15. En appliquant ces principes à la pratique administrative danoise, la Commission a conclu qu'un refus de l'office vétérinaire et alimentaire au motif que l'adjonction de vitamines ou de minéraux ne répond à aucun besoin nutritionnel constitue une entrave injustifiée aux échanges au sens des articles 28 CE, 29 CE et 30 CE. Selon la Commission, les autorités danoises devaient démontrer que le produit constituerait une menace réelle pour la santé publique s'il était commercialisé et consommé sur le
marché danois. Cela signifie, de l'avis de la Commission, que les autorités danoises devaient indiquer les données scientifiques sur lesquelles elles ont fondé leur refus ainsi que les raisons pour lesquelles la teneur en vitamines et en minéraux des produits considérés représentait une menace pour la santé publique.
16. Par lettre du 6 novembre 2000, les autorités danoises ont répondu à l'avis motivé. Elles ont fait valoir que la Cour a clairement indiqué dans l'arrêt Sandoz, précité, que les États membres, lorsqu'ils appliquent une interdiction d'adjonction de vitamines, ne sont pas tenus de démontrer un risque concret s'attachant au produit considéré, une telle tâche étant impossible dans les conditions actuelles. De l'avis des autorités danoises, il suffit, pour assurer le respect du principe de
proportionnalité, que les États membres démontrent que l'adjonction de l'élément nutritif en cause ne répond pas à un besoin réel. Selon les autorités danoises, les incertitudes scientifiques qui existaient au moment de l'arrêt Sandoz, précité, n'ont nullement été levées depuis lors. Au contraire, il continue d'apparaître de nouvelles connaissances et de nouvelles preuves au sujet de la nocivité de la consommation de vitamines et de minéraux à doses élevées par rapport à un régime alimentaire
normal. Ce sont les incertitudes scientifiques au sujet des conséquences de l'adjonction de vitamines et de minéraux qui sont à la base des dispositions danoises, lesquelles, selon les autorités danoises, sont conformes au principe de précaution qui découle de la communication de la Commission du 2 février 2000 [COM(2000) 1]. En définitive, les autorités danoises ont fait valoir qu'il est impossible d'appliquer des mesures moins radicales, telles que l'étiquetage, en raison de la connaissance
insuffisante de la composition effective de l'alimentation des personnes, et que l'étiquetage serait, en outre, susceptible d'avoir l'effet négatif d'inciter le consommateur à acheter le produit.
III - Les conclusions des parties
17. La requête de la Commission a été déposée au greffe de la Cour le 4 mai 2001.
18. La Commission conclut à ce qu'il plaise à la Cour:
«-constater, en vertu de l'article 226 CE, que, en appliquant une pratique administrative impliquant que des denrées alimentaires enrichies qui sont légalement produites et commercialisées dans d'autres États membres ne peuvent être commercialisées au Danemark que s'il est démontré que cet enrichissement en éléments nutritifs répond à un besoin dans la population danoise, le royaume de Danemark a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 28 CE;
-condamner le royaume de Danemark aux dépens de l'instance.»
19. Le royaume de Danemark conclut à ce qu'il plaise à la Cour:
-rejeter le recours;
20. condamner la Commission aux dépens.
IV - Analyse
A - Sur l'existence d'une entrave à la libre circulation
21. Les parties ne contestent pas que la pratique, fondée sur la loi danoise relative aux denrées alimentaires, constitue une entrave à la libre circulation.
22. À cet égard, la Commission relève, à juste titre, que l'interdiction de l'enrichissement en vitamines porte sur des exigences concernant la «composition» du produit et constitue, par conséquent, une entrave aux échanges communautaires .
23. De même, le gouvernement danois, tout en relativisant l'importance des effets de sa pratique sur la libre circulation, reconnaît que sa pratique «constitue [...] une entrave à la vente de produits auxquels on a ajouté des éléments nutritifs qui ne sont pas justifiés du point de vue nutritionnel».
24. La question qui est, dès lors, au coeur de la présente affaire et sur laquelle les parties s'opposent est celle de savoir si cette entrave est justifiée par une des exigences prévues à l'article 30 CE et, plus particulièrement, par la «protection de la santé et de la vie des personnes».
B - Sur la justification de l'entrave à la libre circulation
1. Résumé des observations des parties
25. Au cours de la procédure devant la Cour, les parties ont encore précisé leur position de la manière suivante.
26. La Commission estime que la pratique danoise litigieuse ne prend pour critère que le besoin nutritionnel d'un additif alors que, selon elle, ce critère ne constitue pas un motif admis par l'article 30 CE.
27. En se référant à l'arrêt de notre Cour du 14 juillet 1994, Van der Veldt , et à l'arrêt de la Cour de l'Association européenne de libre-échange (ci-après la «Cour AELE») du 5 avril 2001, Autorité de surveillance de l'AELE/Royaume de Norvège , la Commission fait valoir que l'État membre doit pouvoir démontrer dans chaque cas d'espèce que la restriction des échanges est nécessaire à la protection de la santé publique.
28. Selon elle, l'interdiction de l'enrichissement en vitamines suppose que l'État membre effectue une analyse de risque complète au sujet des conséquences pour la santé de l'adjonction de certaines vitamines à des denrées alimentaires précises. Le fait qu'il existe un risque lié à l'ingestion de certaines vitamines, telles les vitamines A, B ou B6, ne justifie pas une interdiction générale de l'enrichissement des denrées alimentaires dans les cas autres que ceux visés par le Codex Alimentarius.
29. Selon le gouvernement danois, l'interdiction danoise est précisément justifiée par le fait qu'il existe un risque potentiel pour la santé dans la mesure où des éléments nutritifs sont ajoutés à des denrées alimentaires, alors qu'il n'existe pas de «besoin nutritionnel» correspondant pour la population. Le besoin nutritionnel est utilisé comme critère de détermination du caractère acceptable, du point de vue de la santé publique, de l'adjonction de vitamines et de minéraux.
30. À cet égard, le gouvernement danois se réfère à une longue série d'études scientifiques sur l'ajout de vitamines et de minéraux dans des denrées alimentaires qui, selon lui, montrent l'effet nocif des vitamines et des minéraux non seulement à fortes doses, mais également du fait des combinaisons de vitamines et de minéraux à doses relativement faibles. Il souligne à nouveau que sa pratique litigieuse s'inspire directement du Codex Alimentarius.
31. Le gouvernement danois se réfère encore au point 19 de l'arrêt Sandoz, précité, dont il résulte, selon lui, que les États membres ne sont pas tenus de démontrer l'existence d'un danger concret concernant un produit donné.
32. Concrètement, le gouvernement danois soutient que «la Cour a, au point 19 de l'arrêt Sandoz, constaté que, au cas où ils maintiennent une interdiction d'ajouter des vitamines, les États membres ne sont pas tenus de démontrer l'existence d'un danger concret concernant un produit donné, une telle tâche étant impossible en l'état actuel de la science».
33. Par ailleurs, en se référant à l'arrêt du 16 juillet 1992, Commission/France , le gouvernement danois soutient qu'une autorité nationale peut refuser de donner l'autorisation d'utiliser un additif s'il n'y a pas de véritable besoin technologique ou alimentaire militant en faveur de l'adjonction de l'additif considéré.
2. Appréciation
a) Introduction
34. La présente affaire pose donc la question de savoir dans quelle mesure un État membre peut s'appuyer sur l'absence du besoin nutritionnel pour justifier une entrave à la libre circulation.
35. Pour ma part, j'ai déjà eu l'occasion d'examiner cette question dans mes conclusions du 16 mai 2002 relatives à l'affaire Greenham et Abel .
36. Entre deux positions extrêmes qui sont, d'une part, la position selon laquelle l'absence d'un besoin nutritionnel peut justifier une entrave à la libre circulation indépendamment de toute considération relative à la protection de la santé - position que l'on pourrait éventuellement déduire d'une lecture littérale de l'arrêt Commission/France, précité, - et, d'autre part, la position qui consiste à écarter le besoin nutritionnel du débat en retenant comme seul critère le risque concret pour la
santé qu'entraînerait la consommation de la denrée alimentaire en question, je me suis exprimé dans mes conclusions précitées pour une solution intermédiaire qui découle, à mon avis, de l'arrêt Sandoz, précité, et selon laquelle le besoin nutritionnel joue un rôle dans un contexte d'incertitude scientifique quant à la nocivité du nutriment en cause.
37. Le gouvernement danois se référant précisément à l'arrêt Sandoz, précité, pour justifier sa pratique, je propose d'examiner, dans un premier temps, celle-ci sous l'angle de cette jurisprudence.
38. La Commission soulignant, cependant, l'importance d'une analyse des risques pour qu'un État membre puisse invoquer l'exception de la protection de la santé, j'examinerai, dans un second temps, les implications pour la présente affaire d'une telle approche.
b) Analyse sous l'angle de l'arrêt Sandoz, précité
39. Vu l'importance de l'arrêt Sandoz, précité, pour la présente affaire, il me paraît approprié de citer in extenso les points 16 à 20 de cet arrêt:
«166Ainsi que la Cour l'a constaté dans l'arrêt du 17 décembre 1981 (Frans-Nederlandse Maatschappij voor Biologische Producten, 272/80, Recueil p. 3277), dans la mesure où des incertitudes subsistent en l'état actuel de la recherche scientifique, il appartient aux États membres, à défaut d'harmonisation, de décider du niveau auquel ils entendent assurer la protection de la santé et de la vie des personnes, tout en tenant compte des exigences de la libre circulation des marchandises à l'intérieur de
la Communauté.
177Ces principes sont également applicables aux substances telles que les vitamines qui ne sont en règle générale pas nocives par elles-mêmes mais peuvent produire des effets nuisibles particuliers dans le seul cas de leur consommation excessive avec l'ensemble de la nourriture dont la composition est imprévisible et incontrôlable. Étant donné les incertitudes inhérentes à l'appréciation scientifique, une réglementation nationale interdisant, sauf autorisation préalable, la commercialisation des
denrées alimentaires auxquelles de la vitamine a été ajoutée est dans son principe justifiée, au sens de l'article 36 du traité, pour des raisons de protection de la santé humaine.
188Toutefois, le principe de proportionnalité qui est la base de la dernière phrase de l'article 36 du traité exige que la faculté des États membres d'interdire les importations des produits en cause en provenance d'autres États membres soit limitée à ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs de protection de la santé légitimement poursuivis. Dès lors, une réglementation nationale prévoyant une telle interdiction n'est justifiée que si des autorisations de commercialiser sont accordées
lorsqu'elles sont compatibles avec les besoins de la protection de la santé.
199Une telle appréciation est cependant difficile s'agissant d'additifs tels que les vitamines, caractérisées par les propriétés ci-dessus indiquées qui excluent la possibilité de prévoir ou de contrôler les quantités absorbées avec l'ensemble de la nourriture et dont le degré de nocivité ne peut être déterminé avec une certitude suffisante. Toutefois, si, compte tenu du stade actuel de l'harmonisation des législations nationales au niveau communautaire, une large marge d'appréciation doit être
laissée aux États membres, ceux-ci doivent, pour respecter le principe de la proportionnalité, autoriser la commercialisation lorsque l'adjonction de vitamines à des denrées alimentaires répond à un besoin réel notamment d'ordre technologique ou alimentaire.
200Il y a donc lieu de répondre à la première question que le droit communautaire ne fait pas obstacle à une réglementation nationale interdisant, sauf autorisation préalable, la commercialisation de denrées alimentaires, légalement commercialisées dans un autre État membre, auxquelles de la vitamine a été ajoutée, pourvu que la commercialisation soit autorisée lorsque l'adjonction de vitamines répond à un besoin réel notamment d'ordre technologique ou alimentaire.»
40. Les parties interprètent de façon divergente ce dernier point 20 de l'arrêt Sandoz, précité.
41. Selon le gouvernement danois, «on relève dans cet arrêt [...] une constatation suivant laquelle il suffit, pour respecter le principe de proportionnalité, de n'autoriser la commercialisation que lorsque l'adjonction répond à un besoin réel d'enrichir l'alimentation».
42. Selon la Commission, en revanche, «[l]'interprétation que le gouvernement danois donne à l'arrêt Sandoz repose sur une déduction a contrario erronée du point 20 des motifs de l'arrêt. [...] [Cet arrêt] établit seulement qu'une interdiction de commercialiser des denrées alimentaires auxquelles des vitamines ont été ajoutées est contraire au principe de proportionnalité lorsque l'adjonction répond à un besoin nutritionnel».
43. Je ne puis me rallier à l'interprétation que la Commission donne ainsi de l'arrêt Sandoz, précité.
44. D'une part, il est vrai que le besoin nutritionnel ne saurait jamais être, indépendamment de toute considération sur la santé publique, un critère justifiant une interdiction à la libre circulation.
45. En effet, en rappelant, au point 18 de l'arrêt Sandoz, précité, que «[...] [u]ne réglementation nationale prévoyant une telle interdiction n'est justifiée que si des autorisations de commercialiser sont accordées lorsqu'elles sont compatibles avec les besoins de la protection de la santé», la Cour montre clairement que son analyse s'inscrit dans un cadre qui est celui de la protection de la santé publique .
46. D'autre part, après avoir constaté, au point 19, une incertitude scientifique quant à la nocivité des additifs en cause et indiqué, plus particulièrement, qu'un risque pour la santé n'était pas à exclure , mais que le degré de celui-ci ne pouvait être déterminé avec une certitude suffisante, la Cour a introduit, au point 20, le besoin nutritionnel en tant qu'exception au droit des États membres d'interdire l'importation des denrées enrichies.
47. Il ressort ainsi de l'articulation entre les points 19 et 20 que le critère du besoin nutritionnel n'entre en jeu que dans un contexte d'incertitude scientifique relative au risque que pose un additif pour la santé.
48. Contrairement à ce que soutient la Commission, je suis d'avis qu'une fois que cette incertitude scientifique a été constatée, l'arrêt Sandoz, précité, permet, effectivement, aux États membres d'interdire des denrées alimentaires auxquelles l'additif en cause a été ajouté à moins que l'adjonction de celui-ci ne réponde à un besoin nutritionnel.
49. Il ne me paraît, en effet, pas possible de lire différemment le point 20, identique au point 1 du dispositif, de l'arrêt Sandoz, précité, dans lequel il a été jugé que «[...] le droit communautaire ne fait pas obstacle à une réglementation nationale interdisant [...] la commercialisation de denrées alimentaires [...] auxquelles de la vitamine a été ajoutée, pourvu que la commercialisation soit autorisée lorsque l'adjonction de vitamines répond à un besoin réel notamment d'ordre technologique ou
alimentaire».
50. Autrement dit, si l'additif correspond à un besoin nutritionnel ou technologique, l'interdiction de la libre circulation n'est pas justifiée. En revanche, s'il ne correspond pas à un tel besoin, l'État membre est en droit de suivre la voie plus sûre et d'interdire la mise sur le marché de la denrée alimentaire incorporant cet additif , et ceci en vertu du large pouvoir d'appréciation que la Cour lui reconnaît dans les cas où il existe une incertitude scientifique.
51. Ce critère du besoin nutritionnel n'est, dès lors, pas un critère qui supplante celui de la protection de la santé. En effet, ce que la Cour a fait dans l'arrêt Sandoz, précité, c'est de préciser, aux points 19 et 20, la façon dont la justification de la protection de la santé, rappelée au point 18, doit être comprise en présence d'une incertitude scientifique relative au risque que pose un additif pour la santé. En ce sens, cet arrêt me paraît constituer une application avant la lettre du
principe de précaution .
52. Est-ce que la pratique danoise litigieuse, qui interdit l'ajout de vitamines et de minéraux dans les denrées alimentaires sauf si leur besoin nutritionnel est établi, constitue une application correcte de ce que la Cour a jugé dans l'arrêt Sandoz, précité?
53. Je suis d'avis que oui.
54. Il est, certes, vrai que, dans l'arrêt Sandoz, précité, la Cour n'a pas jugé une fois pour toutes qu'il existe une incertitude scientifique quant au risque que pose pour la santé l'adjonction de vitamines dans les denrées alimentaires.
55. Le gouvernement danois se réfère, cependant, à une longue série d'études scientifiques sur l'ajout de vitamines et de minéraux dans des denrées alimentaires qui, selon lui, mettent en évidence l'effet nocif des vitamines et des minéraux non seulement à fortes doses, mais également en cas de combinaisons de vitamines et de minéraux à des doses relativement faibles.
56. Il résulte, en effet, des explications détaillées du gouvernement danois que, s'il existe une évolution depuis vingt ans, celle-ci ne va pas de l'incertitude scientifique vers la certitude, mais plutôt en sens inverse: toujours plus d'enquêtes scientifiques font apparaître des effets négatifs, jusque-là inconnus, tant à fortes doses que par suite de combinaisons d'éléments nutritifs à doses relativement faibles.
57. La Commission, quant à elle, ne conteste pas les études auxquelles se réfère le gouvernement danois. Elle se limite à indiquer qu'elle n'a connaissance d'aucune donnée scientifique permettant de considérer qu'une consommation excessive de vitamine C entraîne en soi un risque pour la santé publique. Le gouvernement danois y répond, cependant, en se référant à des études scientifiques, que l'un des effets de la vitamine C, qui est celui de favoriser l'absorption du fer dans le tube digestif,
entraîne un risque pour les personnes présentant des concentrations ferriques importantes, concentrations qui, à leur tour, sont associées à un risque plus élevé de maladies cardio-vasculaires et de cancer.
58. Certes, interrogée à l'audience sur la question de savoir si l'incertitude scientifique quant à la nocivité de l'adjonction de vitamines dans les denrées alimentaires, telle que constatée par la Cour il y a près de vingt ans, persiste à l'heure actuelle, la Commission a répondu que l'évolution dans la recherche depuis le début des années 80 a permis de faciliter la fixation de marges de sécurité pour les vitamines et les minéraux.
59. Le gouvernement danois conteste, cependant, ce point de vue. Selon lui, «[...] il n'est pas possible de soutenir [...] que l'analyse de risque permet de fixer des limites supérieures de sécurité pour les éléments nutritifs. La question des effets préjudiciables pour la santé [de l'adjonction] des vitamines et, en particulier, la question de l'interaction [des vitamines et des sels minéraux] n'ont pas été [...] suffisamment éclairées par la recherche scientifique. La détermination de valeurs
limites maximales n'est donc pas susceptible d'être fondée sur des données scientifiques suffisamment sûres».
60. À cet égard, il y a lieu de constater que, au cours des dix-neuf années qui se sont écoulées depuis l'arrêt Sandoz, précité, la Communauté elle-même n'a pas été en mesure d'établir des limites maximales de sécurité pour les vitamines et les minéraux.
61. Ceci est confirmé par la directive 2002/46/CE du Parlement européen et du Conseil, du 10 juin 2002, relative au rapprochement des législations des États membres concernant les compléments alimentaires . Ce n'est, en effet, que maintenant que, par son article 5, paragraphe 1, cette directive charge la Commission de fixer, selon la procédure du comité de réglementation, les quantités maximales de minéraux et de vitamines pouvant être incorporées dans les compléments alimentaires en tenant compte
des éléments suivants:
«(a))les limites supérieures de sécurité établies pour les vitamines et les minéraux après une évaluation scientifique des risques fondée sur des données scientifiques généralement admises, compte tenu, le cas échéant, de la différence des niveaux de sensibilité de différents groupes de consommateurs;
(b))les apports en vitamines et en minéraux provenant d'autres sources alimentaires.»
62. La directive 2002/46 est d'ailleurs intéressante à deux autres égards encore.
63. En premier lieu, le législateur communautaire confirme l'appréciation selon laquelle les vitamines et les minéraux peuvent produire des effets nuisibles.
64. Dans le treizième considérant de la directive 2002/46, on peut, en effet, lire ce qui suit:
«Les apports en quantités excessives de vitamines et de minéraux peuvent avoir des effets néfastes pour la santé et ce risque justifie la fixation, selon le cas, de limites maximales de sécurité pour ces substances dans les compléments alimentaires. Ces limites devraient garantir que l'utilisation normale des produits selon les instructions fournies par le fabricant est sans danger pour le consommateur».
65. En deuxième lieu, le législateur communautaire introduit lui-même la notion de besoin nutritionnel dans le débat sur l'adjonction de vitamines et de minéraux aux denrées alimentaires en étant d'avis que le consommateur moyen n'a pas besoin d'un apport additionnel de vitamines et de minéraux et que ce besoin n'existe que pour certains groupes de la population.
66. Dans les troisième et quatrième considérants de la directive 2002/46, on peut, en effet, lire ce qui suit:
«Un régime alimentaire adapté et varié pourrait, dans des circonstances normales, apporter à un être humain tous les nutriments nécessaires à son bon développement et à son maintien dans un bon état de santé, et ce, dans des quantités correspondant à celles qui sont établies et recommandées à la lumière des données scientifiques généralement admises. Des enquêtes montrent cependant que cette situation idéale n'est pas une réalité pour tous les nutriments, ni pour tous les groupes de la population.
En raison d'un mode de vie particulier ou pour d'autres motifs, les consommateurs peuvent souhaiter compléter leur apport de certains nutriments par des compléments alimentaires.»
67. Le législateur communautaire semble donc partir du principe que, si la nourriture de la population ou d'une partie de la population doit être enrichie, cela doit se faire par des compléments alimentaires identifiables en tant que tels et non à travers les denrées alimentaires «ordinaires».
68. Enfin, il convient de constater que la pratique danoise est fondée sur les «principes généraux régissant l'adjonction d'éléments nutritifs aux aliments» adoptés par la Commission du Codex Alimentarius en 1987 et amendés en 1989 et en 1991 .
69. Or, d'une part, la Cour a toujours attaché une grande importance aux «résultats [...] des travaux du comité scientifique communautaire de l'alimentation humaine et de la commission du Codex Alimentarius de la FAO» dans le cadre d'une application de l'article 30 CE.
70. D'autre part, il est manifeste que les principes généraux précités, dont l'adoption est postérieure au prononcé de l'arrêt Sandoz, précité, abordent l'enrichissement des aliments, pour des raisons de protection de la santé, avec une grande réticence, puisqu'ils vont même jusqu'à déclarer que l'enrichissement devrait être de la responsabilité des autorités nationales.
71. L'introduction des principes généraux nous apprend, en effet, que ceux-ci ont pour objet, entre autres, de «éviter l'adjonction arbitraire d'éléments nutritifs essentiels aux aliments et, partant, réduire les risques qui découlent pour la santéde l'ingestion excessive desdits éléments, ou encore de carences ou d'apports déséquilibrés. Contribuer par là à empêcher des pratiques susceptibles d'induire le consommateur en erreur ou de le tromper» .
72. Dans la partie relative aux définitions, on peut, ensuite, lire ce qui suit:
«2.5 Enrichissement: l'adjonction à un aliment de un ou plusieurs éléments nutritifs essentiels qui sont ou non normalement contenus dans cet aliment, à l'effet de prévenir ou de corriger une carence démontrée en un ou plusieurs éléments nutritifs dans la population ou dans des groupes spécifiques de population» .
73. Selon la section 3, «principes de base»:
«3.11[d]es éléments nutritifs essentiels peuvent être ajoutés aux aliments aux fins de:
3.1.11restitution;
3.1.22équivalence nutritionnelle d'un aliment de remplacement;
3.1.33enrichissement;
3.1.44garantir la composition adéquate en éléments nutritifs d'un aliment spécial.
3.22L'élément nutritif essentiel devrait être présent à une concentration qui ne se traduira pas par une ingestion excessive ou insignifiante de l'élément ajouté, compte tenu des apports d'autres sources dans le régime alimentaire.
[...] »
74. La section 6, intitulée «adjonction d'éléments nutritifs aux fins d'enrichissement», est rédigée comme suit:
«6.11L'enrichissement des aliments devrait être du ressort des autorités nationales puisque le type et les quantités d'éléments nutritifs essentiels à ajouter et les aliments à enrichir seront fonction des problèmes nutritionnels à résoudre, des caractéristiques des populations-cibles et des habitudes alimentaires de la région.
6.22Les conditions suivantes doivent être remplies lors de tout programme d'enrichissement:
6.2.11La nécessité d'augmenter l'apport d'un élément nutritif essentiel dans un ou plusieurs groupes de population devrait être démontrée. Peuvent être fournies comme justificatifs des symptômes cliniques ou subcliniques de carence, des évaluations indiquant un faible taux d'ingestion des éléments nutritifs ou attestant les carences pouvant résulter de modifications des habitudes alimentaires.
6.2.22L'aliment choisi en tant que vecteur du ou des éléments nutritif(s) essentiel(s) doit être consommé par la population exposée au risque de carence.
6.2.33L'apport de l'aliment choisi comme vecteur devrait être stable et uniforme et les niveaux maxima et minima d'apport devraient être connus.
[...]» .
75. En tenant compte de tout ce qui précède, je suis donc d'avis qu'il n'y a pas de raison de considérer que l'adjonction de vitamines dans les denrées alimentaires ordinaires se présente comme étant un exercice plus sûr d'un point de vue scientifique qu'il y a vingt ans quand la Cour a rendu son arrêt Sandoz, précité.
76. Il en est de même des minéraux qui n'ont pas fait l'objet dudit arrêt mais dont la Commission n'allègue pas qu'ils devraient être traités différemment des vitamines et à propos desquels elle ne conteste pas non plus les explications scientifiques fournies par le gouvernement danois. Par ailleurs, le législateur communautaire lui aussi traite les minéraux sur le même pied que les vitamines dans la directive 2002/46 .
77. Face à une telle situation, à propos de laquelle le gouvernement danois démontre, selon moi, à suffisance de droit qu'elle n'est pas sensiblement différente de celle qui était à la base de l'arrêt Sandoz, précité, ce gouvernement me paraît se situer parfaitement dans la ligne de la jurisprudence de la Cour en vérifiant si l'absorption de la quantité de vitamines ou de minéraux contenus dans un aliment précis vise à satisfaire un besoin nutritionnel.
78. Les considérations qui précèdent pourraient suffire pour conclure au rejet du recours de la Commission.
c) Examen du problème sous l'angle de l'analyse des risques
79. La Commission suggère, cependant, que l'approche suivie par la Cour dans l'arrêt Sandoz, précité, n'est plus à jour.
80. Elle estime, en effet, que «l'arrêt de la Cour [AELE, précité,] doit être considéré comme un élément d'une évolution du droit. Depuis l'arrêt rendu dans l'affaire 174/82, Sandoz, il y a pratiquement vingt ans, les méthodes utilisées pour déterminer les risques de santé ont considérablement évolué. Le fait que l'analyse de risque soit devenue un outil de détermination de risques concrets pour la santé entraîne que des décisions générales relatives à la santé, et notamment d'éventuelles
interdictions, peuvent être prises sur une base objective et documentée, qui tienne compte des circonstances concrètes de chaque cas. L'arrêt de la Cour [AELE, précité,] reflète cette évolution».
81. Le gouvernement danois, quant à lui, observe, dans sa duplique, «qu'il est en désaccord avec [l'arrêt de la Cour AELE, précité,] et qu'on ne peut pas dire qu'[il] soit conforme à la jurisprudence de la Cour de justice européenne».
82. Il paraît donc que chacune des parties choisit son approche pour défendre sa thèse - le gouvernement danois, l'approche résultant de l'arrêt Sandoz, précité, et la Commission, l'approche résultant de l'arrêt de la Cour AELE, précité, - et qu'à leurs yeux ces deux approches sont inconciliables.
83. Mais le sont-elles réellement?
84. J'ai déjà indiqué, référence à la doctrine à l'appui, que, selon moi, l'arrêt Sandoz, précité, constitue une application avant la lettre du principe de précaution . D'autres commentateurs, également, placent l'arrêt Sandoz, précité, dans un contexte d'analyse de risque .
85. La question mérite, cependant, un examen plus approfondi qui doit commencer par une compréhension exacte de la notion d'analyse de risque.
86. À cet égard, je prendrai comme point de départ l'arrêt de la Cour AELE, précité, dont il découle, selon la Commission, que «[l]'interdiction de l'enrichissement en vitamines suppose que l'État membre effectue une analyse de risque complète des conséquences pour la santé de l'adjonction de certaines vitamines à des denrées alimentaires».
87. À la base de cet arrêt se trouvait un refus de la part des autorités norvégiennes d'autoriser la commercialisation de corn flakes enrichis par certaines vitamines et par du fer. Ce refus était motivé par l'absence, au sein de la population norvégienne, d'un besoin nutritionnel pour un tel enrichissement.
88. La Cour AELE a retenu un manquement aux obligations prévues à l'article 11 de l'accord sur l'Espace économique européen, et cela pour deux raisons:
- le royaume de Norvège avait eu une attitude inconséquente parce que, tout en interdisant la commercialisation de corn flakes fortifiés par du fer, il avait admis qu'un certain type de fromage contenant une forte adjonction de fer pouvait être vendu librement dans le pays ;
- il ne s'était pas livré, pendant la phase administrative, à une «évaluation globale du risque» («comprehensive risk assessment») que pouvait comporter l'ajout de fer aux denrées alimentaires .
89. La première des deux raisons précitées n'est évidemment pas pertinente dans la présente affaire, la situation de fait n'étant pas la même. Quant à la seconde, il convient de mieux comprendre la notion de «évaluation globale du risque» et, plus particulièrement, la relation de cette notion avec celle de «analyse de risque».
90. L'analyse de risque constitue, effectivement, à l'heure actuelle, une démarche omniprésente. Le gouvernement danois nous rappelle qu'elle se compose de trois étapes: l'évaluation du risque, la gestion du risque et la communication du risque. Elle est définie par la Commission dans sa communication, du 30 avril 1997, sur la santé des consommateurs et la sûreté alimentaire comme étant «une démarche systématique intégrant l'évaluation scientifique des dangers et de leur probabilité d'apparition
dans un contexte donné (évaluation des risques), l'appréciation de l'ensemble des mesures permettant d'atteindre un niveau de protection approprié (gestion du risque), et l'échange d'information avec toutes les parties concernées: les décideurs, les contrôleurs, les consommateurs et les producteurs, pour expliquer les raisons et justifier les mesures de gestion proposées (communication du risque)».
91. On retrouve des références explicites à l'analyse de risque, par exemple, dans la communication de la Commission, du 2 février 2000, sur le recours au principe de précaution ; dans la position commune (CE) n° 2/2002 du 17 septembre 2001 arrêtée par le Conseil, statuant conformément à la procédure visée à l'article 251 du traité instituant la Communauté européenne, en vue de l'adoption d'un règlement (CE) du Parlement européen et du Conseil établissant les principes généraux et les prescriptions
générales de la législation alimentaire, instituant l'Autorité alimentaire européenne et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires ; sur un plan international, dans le protocole de Cartagena sur la prévention des risques biotechnologiques, relatif à la convention sur la diversité biologique , approuvé par le Conseil, au nom de la Communauté européenne, par la décision 2002/628/CE ; ainsi que, tout récemment, dans les arrêts du Tribunal du 11 septembre 2002, Pfizer Animal
Health/Conseil et Alpharma/Conseil .
92. Les deux phases de l'analyse de risque qui nous intéressent dans le cadre de la présente affaire sont l'évaluation du risque et la gestion du risque.
93. Bien que la frontière entre ces deux phases ne soit pas toujours facile à tracer , celles-ci traduisent bien une double exigence: d'une part, celle d'introduire la science dans le politique et, d'autre part, celle de garder l'autonomie du politique par rapport à la science .
94. Le Tribunal a analysé ces deux phases en détail dans ses arrêts précités Pfizer Animal Health/Conseil et Alpharma/Conseil.
95. Pour ce qui concerne la phase «scientifique», c'est-à-dire l'évaluation du risque proprement dite, le Tribunal juge que «[l]'évaluation scientifique des risques est communément définie, tant au niveau international [...] qu'au niveau communautaire [...], comme un processus scientifique qui consiste à identifier et à caractériser un danger, à évaluer l'exposition et à caractériser le risque» et qu'elle «doit, dans le respect des dispositions applicables, être confiée par l'autorité publique
compétente à des experts scientifiques qui lui fourniront, à l'issue de ce processus scientifique, des avis scientifiques».
96. Quant à la phase «politique», c'est-à-dire la fixation du niveau de risque jugé acceptable, le Tribunal rappelle que:
«[...] il appartient aux institutions communautaires de fixer le niveau de protection qu'elles estiment approprié pour la société. En conséquence de celui-ci, elles doivent alors [...] déterminer le niveau de risque - c'est-à-dire le seuil critique de probabilité des effets adverses pour la santé humaine et de la gravité de ces effets potentiels - qui ne leur semble plus acceptable pour cette société et qui, une fois dépassé, nécessite, dans l'intérêt de la protection de la santé humaine, le recours
à des mesures préventives malgré l'incertitude scientifique subsistante (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 11 juillet 2000, Toolex, C-473/98, Rec. p. I-5681, point 45). La détermination du niveau de risque jugé inacceptable comporte donc pour les institutions communautaires la définition des objectifs politiques poursuivis dans le cadre des compétences qui leur sont attribuées par le traité.
S'il leur est défendu d'adopter une approche purement hypothétique du risque et d'orienter leurs décisions à un niveau de risque zéro [...], les institutions communautaires doivent toutefois tenir compte de leur obligation, en vertu de l'article 129, paragraphe 1, premier alinéa, du traité, d'assurer un niveau élevé de la protection de la santé humaine qui, pour être compatible avec cette disposition, ne doit pas nécessairement être techniquement le plus élevé possible (arrêt de la Cour du 14
juillet 1998, Safety Hi-Tech, C-284/95, Rec. p. I-4301, point 49) .»
97. Même si, concrètement, ce jugement du Tribunal a trait aux institutions communautaires, il n'y a pas de doute qu'il s'applique également aux États membres.
98. Il est, en effet, de jurisprudence constante que, dans la mesure où des incertitudes subsistent dans l'état actuel de la recherche scientifique quant à la nocivité des additifs alimentaires, il appartient aux États membres, à défaut d'harmonisation complète, de décider du niveau auquel ils entendent assurer la protection de la santé et de la vie des personnes, tout en tenant compte des exigences de la libre circulation des marchandises à l'intérieur de la Communauté .
99. Par ailleurs, la Cour a, tout récemment, jugé, au point 47 de l'arrêt du 24 octobre 2002, Hahn , que «[...] les articles 28 CE et 30 CE ne s'opposent [pas] à l'application de règles nationales établissant une tolérance égale à zéro quant à la présence de la listeria monocytogenes dans des produits à base de poisson non conservés par un procédé chimique», confirmant ainsi que les États membres disposent effectivement d'une large marge d'appréciation pour déterminer le niveau de protection de la
santé.
100. C'est dans cette phase «politique» de détermination du niveau de risque acceptable qu'intervient essentiellement le principe de précaution .
101. Au sujet de ce principe, le Tribunal, après s'être référé , notamment, aux arrêts du 5 mai 1998, National Farmers' Union e.a. , et Royaume-Uni/Commission , dans lesquels la Cour a jugé que «[...] il doit être admis que, lorsque des incertitudes subsistent quant à l'existence ou à la portée de risques pour la santé des personnes, les institutions peuvent prendre des mesures de protection sans avoir à attendre que la réalité et la gravité de ces risques soient pleinement démontrés», a jugé ce qui
suit:
«[...] [D]ans le contexte de l'application du principe de précaution, lequel correspond par hypothèse à un contexte d'incertitude scientifique, l'on ne saurait exiger d'une évaluation des risques qu'elle fournisse obligatoirement aux institutions communautaires des preuves scientifiques concluantes de la réalité du risque et de la gravité des effets adverses potentiels en cas de réalisation de ce risque (voir, dans ce contexte, les arrêts Mondiet, cité au point 115 ci-dessus, points 29 à 31, et
Espagne/Conseil, cité au point 115 ci-dessus, point 31).
Toutefois, il résulte également de la jurisprudence citée au point 139 ci-dessus qu'une mesure préventive ne saurait valablement être motivée par une approche purement hypothétique du risque, fondée sur de simples suppositions scientifiquement non encore vérifiées (voir, en ce sens, également, arrêt EFTA-Surveillance Authority/Norvège, cité au point 115 ci-dessus, notamment points 36 à 38).
Il résulte au contraire du principe de précaution, tel qu'interprété par le juge communautaire, qu'une mesure préventive ne saurait être prise que si le risque, sans que son existence et sa portée aient été démontrées pleinement par des données scientifiques concluantes, apparaît néanmoins suffisamment documenté sur la base des données scientifiques disponibles au moment de la prise de cette mesure .»
102. Ce passage des arrêts du Tribunal exprime toute la tension propre à une application du principe de précaution: d'une part, une mesure ne saurait être fondée sur un risque purement hypothétique, d'autre part, on ne saurait attendre jusqu'à ce que le risque soit établi avec certitude . Dans certains cas, une certitude absolue ne peut d'ailleurs être acquise que quand le risque s'est déjà matérialisé et, à ce moment, il peut être trop tard pour y remédier.
103. Il me paraît donc qu'un risque plausible pour la santé publique suffit pour que, en vertu du principe de précaution, un État membre puisse prendre des mesures sur la base de l'article 30 CE. Par ailleurs, plus l'incertitude scientifique est grande, plus la marge d'appréciation des États membres, à qui il incombe de protéger la santé publique, est large.
104. À la lumière de ces considérations sur le concept de «l'analyse de risque», l'arrêt Sandoz, précité, est-il devenu obsolète?
105. J'estime que tel n'est pas le cas.
106. Pour ce qui concerne le volet de l'évaluation du risque, il échet de constater que la Cour s'est laissée guider par les explications des parties sur le risque que pose une consommation excessive de vitamines.
107. À cet égard, elle a, en effet, constaté, au point 12 de l'arrêt Sandoz, précité, que:
«Il n'est pas contesté par les parties ayant présenté des observations que la concentration des vitamines contenues dans des denrées alimentaires du genre de celles litigieuses est loin d'atteindre le seuil critique de nocivité, de sorte que même la consommation excessive de ces dernières ne peut à elle seule entraîner de risque pour la santé publique. Toutefois, un tel risque ne peut être exclu dans la mesure où le consommateur absorbe en outre des quantités de vitamines incontrôlables et
imprévisibles avec d'autres aliments».
108. Il existait donc un risque plausible lié à la consommation excessive de vitamines. Le degré de ce risque n'était, cependant, pas certain, ainsi qu'il résulte du point 19 de l'arrêt Sandoz, précité. Toutefois, la Cour a admis, au point 20, l'interdiction de la commercialisation de denrées alimentaires, légalement commercialisées dans un autre État membre, auxquelles de la vitamine a été ajoutée, tout en subordonnant cette interdiction à une absence de besoin nutritionnel.
109. Or, ce critère du besoin nutritionnel est parfaitement compréhensible et justifié dans un contexte d'analyse de risque et, plus particulièrement, dans celui de la gestion du risque.
110. En effet, une fois la plausibilité du risque établie, le besoin nutritionnel intervient comme critère utilisé par les États membres dans l'exercice de leur compétence pour déterminer le niveau du risque acceptable.
111. Ce critère est d'ailleurs particulièrement apte à cet égard, dès lors que les deux parties dans la présente affaire sont d'accord pour dire que l'existence d'un besoin nutritionnel d'adjonction de vitamines peut constituer une présomption de ce que le produit ne présente pas de risque pour la santé publique.
112. Cette qualification du besoin nutritionnel comme critère de gestion du risque me paraît, en outre, confortée par la position commune n° 2/2002. À son article 6, paragraphe 3, on peut, en effet, lire ce qui suit:
«La gestion des risques tient compte des résultats de l'évaluation des risques, et notamment des avis de l'Autorité visée à l'article 22, d'autres facteurs légitimes pour la question en cause et du principe de précaution lorsque les conditions visées à l'article 7, paragraphe 1, sont applicables».
113. Or, même si le critère du besoin nutritionnel ne pouvait pas déjà être pris en considération au titre du principe de précaution, on devrait au moins pouvoir en tenir compte en tant que «facteur légitime pour la question en cause».
114. Je suis donc d'avis qu'il est parfaitement possible de concilier l'approche suivie par la Cour dans l'arrêt Sandoz, précité, avec celle résultant d'une application de l'analyse de risque.
115. La Commission répond, cependant, encore que «[l]'appréciation par les États membres du risque pour la santé publique doit s'appuyer sur des preuves scientifiques concrètes du risque présenté par l'adjonction de chaque type de vitamine en particulier». À cet égard, elle s'est référée, à l'audience, aux conclusions de l'avocat général Geelhoed du 16 mai 2002 dans les affaires Commission/Allemagne et Commission/Autriche .
116. Ces conclusions concernent une question différente, à savoir si toutes les préparations vitaminées contenant trois fois la dose journalière recommandée pouvaient automatiquement être considérées comme des médicaments.
117. Je partage l'avis exprimé par M. Geelhoed à cet égard, à savoir que, en principe, il faut procéder à un examen cas par cas, mais que l'on peut aussi «imaginer des situations dans lesquelles des réglementations générales pourraient être acceptables en ce qui concerne certains groupes ou catégories de produits. C'est en particulier le cas lorsque les produits appartenant à une telle catégorie ou à un tel groupe présentent des risques pour la santé identiques ou fortement comparables. Dans ce cas,
une appréciation par groupes ou par catégories est acceptable et présente l'avantage d'une plus grande transparence ainsi que des inconvénients de mise en oeuvre ou d'utilisation plus limités tout en ayant des effets progressivement réduits sur la libre circulation des marchandises».
118. Pour ce qui est de la présente affaire, aucune des pièces du dossier ne permet d'affirmer que le royaume de Danemark ne procéderait pas cas par cas. Il semble bien que les autorités compétentes examinent, à propos de chaque denrée alimentaire dont la commercialisation est demandée, quelles vitamines elle contient, et à quelle dose.
119. La Commission soutient, cependant, que, au-delà de la dose correspondant au besoin nutritionnel du consommateur moyen, l'État membre doit fixer des limites supérieures de sécurité pour chaque vitamine ou minéral.
120. Elle ne donne cependant pas de plus amples explications à ce sujet, mais elle se contente de renvoyer «à titre d'exemple d'une telle démarche» à la directive 2002/46, adoptée par le Conseil au mois de juin dernier.
121. Or, comme nous l'avons vu plus haut, cette directive ne fait que charger la Commission de fixer de telles limites à propos des produits appelés «compléments alimentaires».
122. Il appartiendra donc à la Commission de démontrer que la constatation faite par la Cour au point 36 de l'arrêt du 30 novembre 1983, Van Bennekom , et selon laquelle «la recherche scientifique n'est pas encore suffisamment avancée pour pouvoir déterminer avec certitude les quantités, les concentrations critiques et les effets précis» des vitamines et des minéraux n'est plus valable.
123. J'estime, cependant, que, en attendant, les États membres ne sont pas obligés de procéder, chacun pour son compte, à cette détermination (et donc, à décréter, pour ainsi dire, la fin de l'incertitude scientifique), ni en ce qui concerne les compléments alimentaires, seuls visés par la directive 2002/46, ni en ce qui concerne les denrées alimentaires «normales», en cause dans la présente affaire.
124. Les États membres ne sont pas non plus obligés de permettre la commercialisation d'une denrée alimentaire enrichie pour la seule raison qu'un autre État membre aurait estimé pouvoir, d'ores et déjà, procéder à cette détermination . En effet, en l'absence d'une harmonisation, chaque État membre est en droit de décider du niveau auquel il souhaite protéger la santé humaine.
125. Dès lors, on ne voit pas pourquoi un État membre ne pourrait pas, en présence d'un risque plausible, dont le degré ne peut pas être fixé avec certitude, décider de retenir, en tant que limite de sécurité, le niveau du besoin nutritionnel de sa population, qu'il aura constaté sur la base des habitudes alimentaires de celle-ci et qui correspond au niveau auquel il y a une présomption d'absence de danger.
126. Certes, la Commission estime que «[l]'interdiction de commercialiser des denrées alimentaires auxquelles des vitamines ont été ajoutées est contraire au principe de proportionnalité tel qu'établi dans la jurisprudence de la Cour». À cet égard, elle se réfère au point 28 de l'arrêt de la Cour AELE, précité.
127. La Cour AELE a, en effet, jugé, au point 28 de son arrêt, que «[...] [l]a simple constatation, par une autorité nationale, de l'absence de besoin nutritionnel ne saurait justifier une interdiction des importations, mesure la plus restrictive, d'un produit librement commercialisé dans un autre État de l'[Espace économique européen]».
128. Cependant, la Cour AELE n'a pas omis d'indiquer auparavant que:
«L'impératif de sauvegarde de la santé publique a été reconnu comme un intérêt primordial et le niveau de protection choisi par les Parties contractantes ne doit pas être mis en cause. Il convient toutefois de respecter le principe de proportionnalité.
C'est dans ce contexte que la question du besoin nutritionnel auquel répondraient des compléments alimentaires pour une population déterminée peut être prise en compte de manière adéquate. [...] .»
129. Je comprends ces passages de l'arrêt de la Cour AELE comme signifiant que l'absence d'un besoin nutritionnel peut être prise en compte mais qu'elle ne peut à elle toute seule justifier une interdiction d'importation, indépendamment de toute considération relative au risque pour la santé.
130. Or, en ce sens, je ne vois pas de contradiction avec l'approche retenue par la Cour dans l'arrêt Sandoz, précité.
131. En effet, dans cette affaire, la Cour a d'abord constaté l'existence d'un risque pour la santé dont l'intensité ne pouvait pas être déterminée avec certitude. Elle en a conclu qu'une interdiction de commercialisation était dès lors justifiée, sauf si l'existence d'un besoin nutritionnel pouvait être démontrée. Le besoin nutritionnel constitue donc un critère pour gérer le risque constaté, mais pas un critère autonome pour interdire la commercialisation.
132. Sur cette même question de la proportionnalité, la Commission estime encore qu'un étiquetage approprié des denrées offre une solution de remplacement plus proportionnée à l'objectif visé que celle consistant à empêcher la libre circulation des produits concernés.
133. À ce propos, je rappelle tout d'abord que, dans l'arrêt Sandoz, précité, la Cour n'a pas retenu cette solution puisqu'elle n'a pas considéré une interdiction de la libre circulation comme étant une mesure disproportionnée. Dans ce contexte, il convient, d'ailleurs, de garder à l'esprit «[...] que, selon une jurisprudence [...] constante, parmi les biens ou intérêts protégés par l'article 36 du traité, la santé et la vie des personnes occupent le premier rang [...]».
134. Ensuite, une simple mention du contenu en vitamines d'une denrée alimentaire ne serait certainement pas suffisante. Ainsi que le gouvernement danois l'a fait remarquer, une telle indication serait plutôt comprise, par le consommateur moyen, comme une incitation à l'achat, car, à l'heure actuelle, la plupart des consommateurs pensent encore que l'addition de vitamines dans une denrée est bénéfique pour la santé.
135. La Commission, de son côté, semble admettre que la mention du contenu en vitamines sur l'emballage pourrait être accompagnée d'un avertissement.
136. À mon avis, un tel avertissement devrait être du type suivant: «Attention, la consommation de cette denrée peut nuire à votre santé si votre alimentation régulière comporte déjà toutes les vitamines et tous les minéraux dont votre corps a besoin. Ce risque est encore plus grand si vous consommez d'autres denrées enrichies en vitamines et en minéraux».
137. Il apparaît, cependant, tout de suite qu'un tel avertissement serait une source de confusion plus qu'autre chose. Par ailleurs, le consommateur moyen, même raisonnablement informé, aurait beaucoup de difficultés à évaluer l'ensemble des vitamines et des minéraux qu'il absorbe déjà.
138. La Commission attire également l'attention sur le fait que des comprimés vitaminés contenant des vitamines en quantités concentrées, et notamment diverses vitamines B, sont en vente libre au Danemark dans les grandes surfaces et autres points de vente.
139. Selon moi, c'est, cependant, à juste titre, que le gouvernement danois répond que, en ce qui concerne la vente de vitamines dans les supermarchés, il s'agit d'une situation tout à fait différente que l'on ne saurait confondre ni mélanger avec la vente de denrées alimentaires de base.
140. Les compléments alimentaires et les préparations vitaminées ne sont, en effet, pas considérées par les consommateurs comme des aliments et ils ne sont pas consommés en tant que tels. Il s'agit de produits faisant l'objet d'une démarche active de la part du consommateur, eu égard à leur effet supposé. Ces produits sont un instrument utile pour atteindre des groupes de la population qui ont des besoins nutritionnels spécifiques, ou qui mangent peu ou difficilement, et qui n'ont donc pas leur
quantum d'éléments nutritifs à travers leur alimentation quotidienne.
141. Une éventuelle interdiction de commercialisation que pourrait entraîner la pratique danoise litigieuse ne me paraîtrait donc pas disproportionnée par rapport à l'objectif de la protection de la santé que cette pratique cherche à atteindre.
142. La Commission n'a, de toute façon, pas allégué que le royaume de Danemark aurait rejeté une demande d'autorisation de commercialisation d'un produit concret, alors que ce rejet n'aurait pas été justifié par la protection de la santé .
143. Pour toutes ces raisons, je parviens à la conclusion que la pratique du gouvernement danois consistant à n'accorder une autorisation de commercialisation d'une denrée alimentaire ordinaire, enrichie en vitamines ou en minéraux, que si elle tombe dans l'une des catégories pour lesquelles le Codex Alimentarius prévoit un tel enrichissement et que si son taux d'enrichissement est justifié par les besoins nutritionnels de sa population est justifiée par la nécessité de protéger la santé publique au
sens de l'article 30 CE et qu'elle est proportionnée à ce but.
144. Cette pratique répond aux conditions posées par l'arrêt Sandoz, précité, conditions qui sont, selon moi, compatibles avec celles qui découlent d'une application de la théorie de l'analyse de risque.
145. Le gouvernement danois a prouvé à suffisance de droit que la situation qui était à la base de cet arrêt, et qui était celle d'une incertitude scientifique relative au risque que pose pour la santé l'adjonction de vitamines aux denrées alimentaires, persiste à l'heure actuelle. De son côté, la Commission n'a pas démontré que le raisonnement suivi par la Cour dans cet arrêt aurait été erroné ou ne serait plus valable à l'heure actuelle.
146. Enfin, le fait que d'autres États membres appliquent une politique moins rigoureuse n'est pas de nature à mettre en cause la validité de ce raisonnement. Les règles régissant la libre circulation des marchandises ne doivent, en effet, pas conduire à un nivellement par le bas du niveau de protection de la santé dans la Communauté.
147. Je vous propose, dès lors, de rejeter le recours en manquement introduit par la Commission à l'encontre du royaume de Danemark.
V - Conclusion
148. Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose de:
- rejeter le recours;
- condamner la Commission aux dépens.