CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
M. JEAN MISCHO
présentées le 3 octobre 2002(1)
Affaire C-8/01
Assurandør-Societetet, agissant pour Taksatorringen,
contre
Skatteministeriet
[demande de décision préjudicielle formée par l'Østre Landsret (Danemark)]
«Sixième directive TVA – Article 13, A, paragraphe 1, sous f), et 13, B, sous a) – Exonération des prestations de services effectuées par des groupements autonomes non susceptibles de provoquer des distorsions de concurrence – Exonération des opérations d'assurance et prestations de services afférentes à ces opérations effectuées par les courtiers et les intermédiaires d'assurance – Évaluations des dommages causés à des véhicules à moteur effectuées par une association pour le compte des sociétés
d'assurances membres de cette association»
1. Le système communautaire de taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») a, lors de son introduction, réussi cet exploit peu commun, s’agissant d’un système fiscal, de susciter un très large consensus.
2. Celui-ci tient sans doute, pour une part, aux défauts criants qui caractérisaient dans la plupart des cas les systèmes fiscaux archaïques dont il a pris la relève.
3. Mais, pour l’essentiel, son origine est à rechercher dans les vertus propres de la TVA et en particulier dans la neutralité qui la caractérise. Le mécanisme de la TVA veut, en effet, que la charge de l’imposition repose sur le consommateur final et soit identique, quelle que soit la complexité du circuit qu’a suivi la marchandise ou le service avant d’être acquis par celui-ci.
4. Ce résultat est obtenu en imposant systématiquement toutes les transactions, mais en appliquant simultanément un mécanisme de déduction, lequel autorise l’assujetti à ne verser au Trésor public que la différence entre le montant de la taxe qu’il a lui-même acquittée à ses fournisseurs et le montant de la taxe, à la charge de son client, qu’il a perçue à l’occasion de l’encaissement du prix des ventes qu’il a facturé.
5. Cette belle harmonie n’est, cependant, plus garantie si des entorses sont faites au principe de l’application généralisée de la taxation, que ce soit au niveau des opérateurs assujettis ou à celui des opérations taxables.
6. Le risque d’apparition de distorsions est, en effet, grand lorsqu’est brisée la chaîne qui, en associant taxation et déductibilité, conduit jusqu’au consommateur final, et ce quelles que soient les modalités selon lesquelles s’opère cette rupture.
7. En effet, l’opérateur qui n’est pas assujetti, ou qui réalise une opération exonérée, parce qu’il ne perçoit pas de TVA ne pourra pas non plus en déduire. Or, sauf exception, c’est-à-dire sauf s’il opère dans un secteur placé intégralement, tant pour ses achats que pour ses ventes, en dehors du système de TVA, il aura, pour pouvoir déployer son activité, réalisé auprès de tiers des achats de biens ou de services à l’occasion desquels il aura dû acquitter de la TVA, qui restera
définitivement à sa charge.
8. Relever ces inconvénients ne signifie, évidemment, pas condamner les exceptions apportées à l’application généralisée de la taxation, au nom d’un purisme qui n’a pas vocation à se substituer à la responsabilité des autorités politiques dans l’agencement du système fiscal.
9. Les exonérations, tout comme les non-assujettissements, peuvent répondre à des préoccupations parfaitement compréhensibles, tenant notamment au coût final devant être supporté par le consommateur, par exemple s’agissant des prestations médicales et hospitalières.
10. Pour compréhensibles et légitimes qu’elles puissent être, les exonérations qu’a prévues le législateur communautaire dans la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires ─ Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (2) (ci-après la «sixième directive»), ne sont pas, et nul ne s’en étonnera, sans susciter, tout au moins au niveau de leur application,
des contestations, dans la mesure où leurs effets ne sont pas identiques pour tous les opérateurs, certains en tirant pleinement profit, alors que d’autres, pour des raisons diverses, ne sont pas en situation d’en bénéficier au même degré.
11. Tel est précisément le cas dans l’affaire relative aux exonérations prévues à l’article 13, A, paragraphe 1, sous f), et B, sous a), de la sixième directive portée devant l’Østre Landsret (Danemark) et qui oppose Assurandør-Societetet, agissant pour Taksatorringen (ci-après «Taksatorringen»), au Skatteministeriet, c’est-à-dire au ministère des Impôts et Accises.
12. Taksatorringen est une association créée par de petites et moyennes sociétés d’assurances habilitées à souscrire des contrats d’assurance automobile au Danemark. Elle compte environ 35 membres.
13. L’objet de Taksatorringen est d’évaluer des dommages causés à des véhicules à moteur au Danemark, pour le compte de ses membres. Ces derniers sont tenus de faire évaluer par Taksatorringen les dommages aux véhicules survenus au Danemark.
14. Les dépenses liées à l’activité de Taksatorringen sont réparties entre ses membres, de telle sorte que les paiements acquittés par chaque membre pour les prestations de l’association correspondent exactement à sa part dans les dépenses communes.
15. Les affiliés peuvent se retirer de Taksatorringen moyennant un préavis de six mois.
16. Lorsqu’un véhicule appartenant à un assuré a été endommagé et qu’il doit être réparé pour le compte d’une société affiliée à Taksatorringen, l’assuré remplit une déclaration de sinistre qu’il remet, avec le véhicule endommagé, au garagiste de son choix. Le garagiste examine le véhicule endommagé et sollicite après cet examen une expertise par un agent évaluateur (ci-après l’ «expert») appartenant à l’une des centrales locales de Taksatorringen.
17. L’expert évalue le dommage causé au véhicule à moteur après en avoir débattu avec le garagiste. L’expert rédige un rapport d’expertise détaillé qui comporte un descriptif des travaux à effectuer et des informations sur les pièces de rechange, le coût de la main-d’oeuvre, les travaux de peinture, ainsi que l’ensemble des frais nécessaires à la remise en état. Cette dernière doit s’effectuer dans les conditions prévues par le rapport d’expertise. Au cas où le garagiste s’aperçoit, au cours
des travaux, que les informations figurant dans le rapport d’expertise ne correspondent pas aux dégâts réels, il est tenu de contacter l’expert pour trouver un accord précis quant à d’éventuelles modifications de l’évaluation.
18. Si les frais nécessités par la remise en état du véhicule endommagé sont inférieurs à 20 000 DKK, la société d’assurances verse directement au garagiste le montant calculé dans le rapport d’expertise, immédiatement après la date de fin des travaux. Le rapport d’expertise vaut facture pour les travaux en cause. Si les frais de remise en état excèdent 20 000 DKK, le garagiste établit une facture qui doit être approuvée par l’expert avant que la société d’assurances ne l’acquitte au profit du
garagiste.
19. En cas de «sinistre total», à savoir de dégâts impliquant des frais de réparation supérieurs à 75 % de la valeur commerciale du véhicule, l’expert convient avec l’assuré d’un montant d’indemnisation, correspondant à la valeur d’une nouvelle acquisition. L’expert établit alors un décompte d’indemnisation sur la base duquel la société d’assurances indemnise l’assuré. Après que l’expert a sollicité une offre pour le véhicule endommagé, veillé à l’enlèvement du véhicule et adressé le produit de
la vente à la société d’assurances, l’affaire est clôturée en ce qui concerne Taksatorringen.
20. Les experts employés par Taksatorringen utilisent, pour l’évaluation des dommages subis par les véhicules accidentés, un système informatique auquel recourent, en accord avec les professionnels de la réparation automobile, toutes les compagnies d’assurances qui commercialisent au Danemark des polices d’assurance automobile.
21. Le droit d’utiliser ce système, adapté d’un système international, propriété d’une société suisse qui concède des licences, appartient pour le Danemark à Forsikring & Pension, une association sectorielle regroupant des sociétés d’assurances-dommages, étant précisé que rien ne s’opposerait à ce qu’une société d’assurances membre de cette dernière cède à un sous-traitant, effectuant des évaluations pour son compte, le droit de l’utiliser, moyennant éventuellement le paiement d’une redevance.
22. Taksatorringen a, dans un premier temps, en 1992, reçu l’autorisation des services fiscaux d’exercer son activité sans devoir acquitter la TVA. Cette autorisation lui a été par la suite retirée en 1993.
23. Elle a, en conséquence, exercé des recours pour obtenir son rétablissement, en se fondant sur l’article 13, paragraphe 1, point 20, de la loi nationale transposant la sixième directive, en vertu duquel sont exonérées de TVA:«[l]es prestations de services effectuées par des groupements autonomes de personnes exerçant une activité exonérée ou pour laquelle elles n’ont pas la qualité d’assujetti, en vue de rendre à leurs membres les services directement nécessaires à l’exercice de cette
activité, lorsque ces groupements se bornent à réclamer à leurs membres le remboursement exact de la part leur incombant dans les dépenses engagées en commun, à condition que cette exonération ne soit pas susceptible de provoquer des distorsions de concurrence.»
24. Ces recours n’ayant pas abouti, Taksatorringen s’est adressée à l’Østre Landsret. Celui-ci, estimant que la solution du litige était commandée par l’interprétation à donner à la sixième directive, a utilisé la procédure de l’article 234 CE pour poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
« 1)
Les dispositions de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires, notamment l’article 13, B, sous a), doivent-elles être interprétées en ce sens que les évaluations effectuées par une entreprise pour le compte de ses membres relèvent de la notion d’ ‘opération d’assurance’, au sens de cette disposition, ou de la notion de ‘prestations de services afférentes à ces
opérations effectuées par les courtiers et les intermédiaires d’assurance’?
2)
L’article 13, A, paragraphe 1, sous f), de la sixième directive TVA doit-il être interprété en ce sens qu’il y a lieu d’accorder l’exonération de TVA pour des prestations du genre de celles fournies par une entreprise ─ remplissant au reste les conditions d’exonération fixées par cette disposition ─ pour le compte de ses membres, s’il ne peut être démontré que l’exonération engendre actuellement ─ ou risque concrètement d’engendrer ─ une distorsion de concurrence et que l’on est simplement
en présence d’une possibilité à cet égard?
3)
Au cas où l’éventualité d’une distorsion de concurrence devrait être réputée lointaine ─ par exemple, dans l’hypothèse où l’éventualité d’une distorsion n’apparaît pas réaliste ─, une telle circonstance revêt-elle de l’importance aux fins de la réponse à la deuxième question?
4)
Pour autant qu’il soit possible en droit national d’accorder une exonération temporaire en application de l’article 13, A, paragraphe 1, sous f), de la sixième directive dans les cas où il y a un doute sur le point de savoir si l’exonération est susceptible d’entraîner, ultérieurement, une distorsion de concurrence, une telle modalité est-elle incompatible avec la disposition précitée?
5)
La circonstance que les évaluations effectuées pour les plus importantes sociétés d’assurances soient le fait d’experts recrutés par les sociétés d’assurances elles-mêmes, et soient par là même exonérées de la taxe, revêt-elle une importance aux fins de la réponse aux questions 1 et 2? »
25. La demande préjudicielle a été enregistrée par le greffe de la Cour le 10 janvier 2001 sous le numéro C-8/01 et des observations écrites ont été présentées par, outre les deux parties au litige au principal, le gouvernement du Royaume-Uni et la Commission.
26. Avant d’aborder l’examen de ces questions, il nous faut rappeler le contenu des dispositions de la sixième directive à propos desquelles nous interroge le juge national.
27. L’article 13, A, paragraphe 1, sous f), de la sixième directive dispose:
« Sans préjudice d’autres dispositions communautaires, les États membres exonèrent, dans les conditions qu’ils fixent en vue d’assurer l’application correcte et simple des exonérations prévues ci-dessous et de prévenir toute fraude, évasion et abus éventuels:
[...]
f)
les prestations de services effectuées par des groupements autonomes de personnes exerçant une activité exonérée ou pour laquelle elles n’ont pas la qualité d’assujetti, en vue de rendre à leurs membres les services directement nécessaires à l’exercice de cette activité, lorsque ces groupements se bornent à réclamer à leurs membres le remboursement exact de la part leur incombant dans les dépenses engagées en commun, à condition que cette exonération ne soit pas susceptible de provoquer des
distorsions de concurrence ».
28. L’article 13, B, sous a), de la sixième directive énonce:
« Sans préjudice d’autres dispositions communautaires, les États membres exonèrent, dans les conditions qu’ils fixent en vue d’assurer l’application correcte et simple des exonérations prévues ci-dessous et de prévenir toute fraude, évasion et abus éventuels:
a)
les opérations d’assurance et de réassurance, y compris les prestations de services afférentes à ces opérations effectuées par les courtiers et les intermédiaires d’assurance ».
Quant à la première question
29. Par sa première question, la juridiction nationale nous pose en réalité deux questions, puisqu’elle nous demande de confronter les activités de Taksatorringen à deux notions figurant dans l’article 13, B, sous a), de la sixième directive, celle d’ «opérations d’assurance» et celle de «prestations de services afférentes à ces opérations effectuées par les courtiers et les intermédiaires d’assurance».
30. Commençons donc par essayer de cerner la notion d’opération d’assurance, et constatons immédiatement, comme l’a déjà fait la Cour dans un arrêt relatif lui aussi à l’exonération dont bénéficient les opérations d’assurance, l’arrêt CPP (3) , mis en avant par Taksatorringen, que la sixième directive n’en précise aucunement le contenu.
31. Dans l’arrêt CPP, précité, la Cour a jugé qu’ «une opération d’assurance se caractérise, de façon généralement admise, par le fait que l’assureur se charge, moyennant le paiement préalable d’une prime, de procurer à l’assuré, en cas de réalisation du risque couvert, la prestation convenue lors de la conclusion du contrat» (point 17).
32. Taksatorringen en déduit qu’une opération d’assurance ne se limite pas à la couverture d’un risque, mais s’étend au versement d’une indemnité à l’assuré en cas de réalisation du risque et argue que l’évaluation du dommage subi par l’assuré, étape nécessaire avant le versement de l’indemnité, ne saurait être dissociée de l’exercice de l’activité d’assurance et devrait rentrer dans la notion d’opération d’assurance.
33. À tout le moins, l’activité de Taksatorringen devrait être considérée comme une prestation accessoire de la couverture du risque et suivre, en tant que telle, comme l’a jugé la Cour au point 30 de l’arrêt CPP, précité, confirmé sur ce point par l’arrêt Commission/France (4) , le régime fiscal auquel est soumise l’opération de couverture du risque, c’est-à-dire bénéficier de l’exonération prévue à l’article 13, B, sous a), de la sixième directive.
34. Toujours à l’appui de sa thèse, Taksatorringen fait remarquer que l’exonération de ses prestations s’inscrit dans la logique de l’exonération prévue pour les opérations d’assurance, dont la raison d’être est, comme l’a rappelé l’arrêt CPP, précité, de ne pas pénaliser le consommateur final, qui se trouve déjà devoir supporter la taxe spéciale sur les assurances que les États membres sont en droit d’instituer.
35. En effet, si Taksatorringen devait voir ses prestations soumises à la TVA, il en résulterait un coût qui, d’une manière ou d’une autre, viendrait renchérir le coût des assurances.
36. L’arrêt CPP, précité, est encore invoqué à un autre titre par Taksatorringen. Elle y voit, en effet, dès lors que la Cour y a admis qu’ «un assujetti n’ayant pas la qualité d’assureur, qui, dans le cadre d’une assurance collective dont il est le preneur, procure à ses clients, qui sont les assurés, une couverture d’assurance en ayant recours à un assureur qui prend en charge le risque couvert, effectue une opération d’assurance au sens [de l’article 13, B, sous a), de la sixième directive]»
(point 25), la preuve de ce que le fait qu’elle n’est pas elle-même une compagnie d’assurances ne saurait faire obstacle à ce que ses prestations soient exonérées.
37. Pareille solution aurait, d’ailleurs, été dégagée, pour les exonérations prévues à l’article 13, B, sous d), points 3 et 5, de la sixième directive, c’est-à-dire pour les opérations, y compris les négociations, concernant les dépôts de fonds, comptes courants, paiements, virements, créances, chèques et autres effets de commerce et les opérations portant sur les actions, par l’arrêt SDC (5) .
38. Dans cet arrêt, la Cour a, en effet, jugé que l’exonération prévue par ces dispositions «n’est pas subordonnée à la condition que les opérations soient effectuées par un certain type d’établissement, par un certain type de personne morale ou, en tout ou en partie, d’une certaine manière électronique ou manuelle» (point 38), et que «l’exonération [...] n’est pas subordonnée à la condition que la prestation soit effectuée par un établissement qui se trouve en relation juridique avec le client
final de la banque. Le fait qu’une opération, visée par lesdites dispositions, soit effectuée par un tiers mais se présente pour le client final de la banque comme une prestation de la banque n’empêche pas l’exonération de cette opération» (point 59).
39. Taksatorringen ne cherche, par ailleurs, pas à occulter le fait qu’un arrêt ultérieur de la Cour, Skandia (6) , tout en partant de la notion d’opération d’assurance dégagée dans l’arrêt CPP, précité, précise cette dernière dans un sens qui ne conforte pas ses prétentions.
40. En effet, dans cet arrêt, la Cour a jugé que «l’identité du destinataire de la prestation a une importance aux fins de la définition du type de services visés par l’article 13, B, sous a), de la sixième directive et qu’une opération d’assurance implique par nature l’existence d’une relation contractuelle entre le prestataire du service d’assurance et la personne dont les risques sont couverts par l’assurance, à savoir l’assuré» (point 41), ce qui l’a conduite à juger que «l’engagement d’une
compagnie d’assurances d’exercer, en contrepartie d’une rémunération calculée sur la base du prix du marché, les activités d’une autre compagnie d’assurances, qui est sa filiale à 100 % et qui continuerait de conclure les contrats d’assurance en son nom propre, ne constitue pas une opération d’assurance au sens de l’article 13, B, sous a), de la sixième directive» (point 44).
41. Taksatorringen estime, cependant, que la solution retenue dans cet arrêt ne saurait s’appliquer à son cas, car, en ce qui la concerne, elle ne facture pas ses prestations au prix du marché, se contentant de répercuter ses coûts de fonctionnement sur les compagnies membres de l’association, chacune se voyant réclamer autant de fois le prix unitaire moyen d’une intervention qu’elle a fait intervenir l’association.
42. Cette analyse de la jurisprudence est contestée dans les autres observations soumises à la Cour.
43. Celles-ci font unanimement valoir que, en tant qu’instituant une dérogation au principe de l’imposition des prestations de services, l’article 13, B, sous a), de la sixième directive ne saurait recevoir une interprétation extensive, la Commission signalant à ce propos que, dans son arrêt D. (7) , la Cour a considéré que l’exonération dont bénéficient, en vertu de l’article 13, A, paragraphe 1, sous c), de la sixième directive, les prestations de soins effectuées dans le cadre de l’exercice
des professions médicales et paramédicales ne pouvait s’appliquer aux prestations médicales consistant non pas à prodiguer des soins, mais à établir par des analyses biologiques l’affinité génétique d’individus, puisque font défaut en pareille hypothèse la prévention, le diagnostic ou le traitement de maladies qui caractérisent l’activité de soins à la personne.
44. Elles insistent toutes sur le fait que tant l’arrêt CPP, précité, que l’arrêt Skandia, précité, accordent une importance décisive au destinataire de la prestation et à l’existence d’un lien juridique entre le prestataire qui effectue une opération d’assurance et le destinataire de celle-ci, l’assuré en l’occurrence, et relèvent que Taksatorringen non seulement n’assure aucune couverture aux assurés, mais n’a aucun lien juridique avec ceux-ci.
45. Taksatorringen ne serait qu’un prestataire de services auquel les compagnies d’assurances sous-traitent la mission d’évaluation des dommages indemnisés, qui est, certes, une opération nécessaire à la fourniture de la garantie, mais qui n’en reste pas moins distincte de celle-ci.
46. Même si l’on devait analyser les prestations de Taksatorringen comme des prestations afférentes aux opérations d’assurance, encore faudrait-il, pour qu’elles puissent être exonérées, que Taksatorringen ait la qualité de courtier ou d’intermédiaire d’assurance, ce que contestent également, comme on le verra plus loin, ces observations.
47. La Commission fait également remarquer que l’activité de Taksatorringen doit s’analyser, au sens de la sixième directive, comme la réalisation d’expertises de biens meubles corporels, expressément visée par l’article 9, paragraphe 2, sous c), de la sixième directive en ce qui concerne le lieu de la prestation de services, ce qui démontrerait qu’elle ne saurait être confondue avec l’opération d’assurance que vise l’article 13, B, sous a), de ladite directive.
48. Cette volonté du législataire communautaire de distinguer les opérations d’expertise des opérations d’assurance ressortirait également, selon le gouvernement du Royaume-Uni, de l’article 28, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive.
49. En effet, cet article prévoyait une exonération transitoire, à laquelle a mis fin la dix-huitième directive 89/465/CEE du Conseil, du 18 juillet 1989, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires ─ Suppression de certaines dérogations prévues à l’article 28 paragraphe 3 de la sixième directive 77/388 (8) , en faveur des «services des experts ayant trait à l’évaluation des indemnités d’assurances».
50. Si ces opérations relevaient des opérations d’assurance au sens de l’article 13, B, sous a), de la sixième directive, il n’aurait pas été nécessaire de les exonérer en vertu d’une disposition spéciale.
51. Pour trancher entre les thèses qui s’opposent, il nous semble que l’argument suivant lequel l’article 13, B, sous a), de la sixième directive doit, en tant qu’il a introduit une dérogation à la règle d’application généralisée de la TVA aux prestations de services effectuées à titre onéreux, être interprété restrictivement (voir arrêt Skandia, précité, point 32), ne saurait peser d’un poids décisif.
52. En effet, comme lルa souligné l’avocat général Fennelly dans ses conclusions dans l’affaire CPP, précitée (point 24), cette règle d’interprétation ne signifie pas qu’une exonération établie sans ambiguïté doit être interprétée de manière particulièrement étroite.
53. Décisifs nous apparaissent, en revanche, les arrêts CPP et Skandia, précités, qui, bien qu’ils aient abouti à des conclusions opposées quant à l’existence in concreto d’un droit à l’exonération revendiquée par la demanderesse devant la juridiction nationale, procèdent de la même logique et forment un tout parfaitement cohérent.
54. Dans ces deux arrêts, c’est le même contenu qui a été donné à la notion d’opération d’assurance et c’est l’existence d’un engagement de celui qui revendique l’exonération vis-à-vis du preneur d’assurance qui a été retenue comme critère.
55. Dans l’arrêt CPP, précité, la Cour relève que «CPP est le preneur d’une assurance collective dont ses clients sont les assurés. Elle procure à ces derniers moyennant rétribution, en son nom propre et pour son propre compte [...] une couverture d’assurance en ayant recours à un assureur» (point 21).
56. Dans l’arrêt Skandia, précité, la Cour relève, au contraire, que «Skandia n’entretiendrait aucune relation contractuelle avec les assurés de Livbologet et n’assumerait aucun risque découlant des activités d’assurance, tous les risques reposant intégralement sur Livbologet qui continuerait d’agir en qualité d’assureur» (point 40).
57. Ces deux situations juridiques radicalement différentes, l’une dans laquelle il y a contrat du prestataire avec le preneur d’assurance, l’autre dans laquelle il n’y a de contrat du prestataire qu’avec une compagnie d’assurances, doivent, ainsi qu’en a décidé la Cour, être traitées différemment lorsqu’il s’agit de définir le champ d’application d’une exonération réservée aux opérations d’assurance.
58. La première doit être considérée comme correspondant à une opération d’assurance, puisque le prestataire procure une assurance au consommateur qui entend être couvert contre certains risques, la seconde ne peut l’être, puisque l’on est en présence d’un prestataire qui fournit à un assureur un service facilitant à ce dernier l’exercice de son activité, mais en restant totalement étranger au contrat d’assurance proprement dit.
59. Si l’on applique cette dichotomie à Taksatorringen, il apparaît clairement que son activité n’est en rien comparable à celle de CPP, mais est fort analogue à celle de Skandia.
60. En effet, elle n’entretient aucun rapport juridique avec les assurés des compagnies pour lesquelles elle fournit ses services afin de leur permettre de faire face efficacement aux engagements qu’elles sont seules à avoir souscrits envers les assurés constituant leur clientèle.
61. Taksatorringen est un simple sous-traitant des compagnies d’assurances qui en sont membres, et cette sous-traitance ne porte pas sur ce qui fait l’essence de l’opération d’assurance, à savoir la fourniture d’une garantie contre un risque moyennant le versement d’une prime.
62. À cela c’est en vain que Taksatorringen entend opposer le fait que, contrairement à Skandia, précité, elle ne facture pas ses prestations au prix du marché.
63. Certes, cette précision figure dans le dispositif de l’arrêt Skandia, précité, mais c’est uniquement parce que la Cour, suivant en cela une pratique constante, a entendu donner une interprétation du droit communautaire dans le contexte factuel et juridique précis dans lequel le juge national a situé sa question préjudicielle.
64. Cette inclusion ne signifie nullement que ce mode particulier de rémunération de la prestation fournie par Skandia ait eu une influence sur la solution retenue par la Cour et, de fait, à aucun moment la lecture de l’arrêt Skandia, précité, ne fait apparaître que tel aurait été le cas.
65. On ne voit, d’ailleurs, pas en quoi cet élément aurait pu jouer un rôle quelconque, s’agissant de la mise en oeuvre du système communautaire de TVA, lequel fait entrer dans son champ d’application, sous réserve des exceptions qu’il consacre expressément, toutes les prestations de services à titre onéreux, sans opérer de distinction suivant le mode de calcul du montant facturé par le prestataire.
66. Le fait que le prestataire ne réalise pas de bénéfice ne signifie, en effet, nullement que sa prestation ne serait pas fournie à titre onéreux.
67. Ne nous convainquent pas davantage les arguments que Taksatorringen prétend tirer de l’arrêt SDC, précité.
68. Certes, cet arrêt apparaît moins exigeant, s’agissant de déterminer le champ d’application de l’exonération prévue à l’article 13, B, sous d), de la sixième directive, que les arrêts CPP et Skandia, précités, s’agissant de l’exonération prévue à l’article 13, B, sous a), de ladite directive, mais on ne saurait y voir une raison de remettre en cause l’approche retenue par ces derniers, car il ne saurait être question de raisonner à propos d’une disposition exonérant les «opérations
d’assurance» de la même manière qu’à propos d’une disposition qui exonère les opérations «concernant les virements» et qui donc, de par sa rédaction même, ouvre la voie à une interprétation faisant bénéficier de l’exonération des opérations qui ne font que concourir à la réalisation du virement.
69. La Cour a, d’ailleurs, dans l’arrêt SDC, précité, pris acte de ce que l’article 13, B, sous d), de la sixième directive comporte un libellé qui est «suffisamment large pour inclure les services fournis par d’autres opérateurs que les banques et destinés à d’autres personnes que leur client final» (point 56).
70. Doit, enfin, être écarté l’argument tiré de ce que Taksatorringen fournirait une prestation accessoire aux opérations d’assurance, devant suivre le régime fiscal de celle-ci, car, s’il est vrai que l’arrêt CPP, précité, a consacré le principe de l’application à la prestation accessoire du régime fiscal applicable à la prestation principale (voir point 32), il a envisagé des prestations qui sont toutes deux fournies au consommateur final par le même prestataire.
71. Or, rappelons-le une fois encore, Taksatorringen ne fournit pas ses prestations aux assurés mais aux compagnies d’assurances, ce qui est tout différent de l’hypothèse prise en compte dans l’arrêt CPP, précité, et interdit que ses prestations soient considérées comme accessoires par rapport aux prestations que fournissent lesdites compagnies à leurs assurés.
72. On ne peut donc que constater que la jurisprudence développée par la Cour sur la notion d’opération d’assurance au sens de l’article 13, B, sous a), de la sixième directive interdit que les prestations fournies par Taksatorringen à ses membres puissent être qualifiées d’opérations d’assurance et bénéficient à ce titre d’une exonération de TVA, sans même qu’il soit nécessaire de s’appuyer sur les arguments, faisant appel au raisonnement a contrario, qu’ont présentés le gouvernement du
Royaume-Uni et la Commission.
73. Ces arguments confirmeraient, cependant, si besoin en était, que la sixième directive distingue nettement les opérations d’évaluation des dommages des opérations d’assurance.
74. Nous en arrivons ainsi à la deuxième éventualité envisagée par la juridiction de renvoi, c’est-à-dire à la question de savoir si, tout en n’effectuant pas des opérations d’assurance, Taksatorringen ne doit pas être considérée comme relevant de la catégorie des courtiers et intermédiaires dont les prestations de services afférentes à des opérations d’assurance sont exonérées par l’article 13, B, sous a), de la sixième directive.
75. L’intéressée revendique cette qualité en s’appuyant, faute de définition fournie par la sixième directive, sur la directive 77/92/CEE du Conseil, du 13 décembre 1976, relative à des mesures destinées à faciliter l’exercice effectif de la liberté d’établissement et de la libre prestation des services pour les activités d’agent et de courtier d’assurance (ex groupe 630 CITI) et comportant notamment des mesures transitoires pour ces activités (9) .
76. L’article 2 de cette directive énonce, en son paragraphe 1:
« La présente directive s’applique aux activités suivantes pour autant qu’elles relèvent du groupe ex 630 CITI de l’annexe III du programme général pour la suppression des restrictions à la liberté d’établissement:
a)
l’activité professionnelle des personnes qui mettent en rapport des preneurs et des entreprises d’assurance ou de réassurance sans être tenues dans le choix de celles-ci, en vue de la couverture de risques à assurer ou à réassurer, préparent la conclusion des contrats d’assurance et aident éventuellement à leur gestion et à leur exécution, notamment en cas de sinistre;
b)
l’activité professionnelle des personnes chargées en vertu d’un ou de plusieurs contrats ou de procurations de présenter, de proposer et de préparer ou de conclure des contrats d’assurance ou d’aider à leur gestion et à leur exécution, notamment en cas de sinistre, au nom et pour le compte, ou uniquement pour le compte, d’une ou de plusieurs entreprises d’assurance;
c)
les activités des personnes autres que celles visées sous a) et b) mais agissant pour le compte de celles-ci, qui notamment exécutent des travaux introductifs, présentent des contrats d’assurance ou encaissent des primes, sans que ces opérations puissent comporter la prise d’engagements envers le public ou de sa part. »
77. Pour Taksatorringen, les services qu’elle fournit aux compagnies d’assurances correspondent très exactement à ce que vise l’article 2, paragraphe 1, sous b), de la directive 77/92 lorsqu’il se réfère à l’aide à la gestion et à l’exécution des contrats d’assurance, notamment, en cas de sinistre, de sorte qu’elle devrait être considérée comme un courtier ou agent d’assurance, aussi bien au regard de la directive 77/92 que de la sixième directive, dont rien n’indique qu’elle aurait entendu
s’écarter des définitions fournies par la directive 77/92.
78. La définition du courtier et de l’intermédiaire d’assurance relevant du droit communautaire, peu importerait qu’elle ne puisse revendiquer la qualité de courtier ou d’agent d’assurance au regard du droit danois.
79. Le gouvernement danois s’oppose à cette prétention. Il fait valoir que la directive 77/92 ne saurait, en aucune manière, au vu de ses dispositions, remettre en cause l’exigence que pose l’article 13, B, sous a), de la sixième directive pour que des prestations qui ne correspondent pas à des opérations d’assurance, mais sont, néanmoins, afférentes à de telles opérations, puissent bénéficier de l’exonération qu’il prévoit, à savoir que lesdites prestations soient fournies par un opérateur
exerçant une fonction d’intermédiaire entre la compagnie d’assurances et l’assuré.
80. Taksatorringen ne saurait, selon lui, se prévaloir de la qualité de courtier au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive 77/92, car, même si, aux termes de cette disposition, le courtier aide éventuellement à l’exécution du contrat d’assurance en cas de sinistre, son activité se caractérise par le fait qu’il met en rapport des compagnies d’assurances et des preneurs d’assurance, ce que ne fait, en aucune manière, Taksatorringen, qui n’a pour mission que de fournir aux
compagnies d’assurances son avis sur le coût des réparations des dommages subis par un véhicule.
81. Cette approche de l’activité de courtier se retrouve, d’après le gouvernement danois, tant dans la recommandation 92/48/CEE de la Commission, du 18 décembre 1991, sur les intermédiaires d’assurances (10) , à laquelle s’est conformé le législateur danois, que dans la proposition de directive 2001/C 29 E/10 du Parlement européen et du Conseil sur l’intermédiation en assurance, présentée par la Commission le 20 septembre 2000 (11) , laquelle fait également apparaître que l’intermédiation est
inséparable de l’existence d’un rapport de droit autonome entre l’intermédiaire et le preneur d’assurance.
82. Cette exigence d’un rapport juridique avec l’assuré vaudrait aussi pour les activités visées par l’article 2, paragraphe 1, sous b), de la directive 77/92, étant donné que l’utilisation par cette disposition des expressions «au nom» et «pour le compte» impliquerait que l’intermédiaire doit être habilité à engager la compagnie d’assurances à l’égard de l’assuré. Sans cette habilitation, l’aide à la gestion ou à l’exécution d’un contrat d’assurance relève de la simple sous-traitance.
83. Le gouvernement danois récuse, enfin, l’argument que Taksatorringen entend tirer du fait que, au Royaume-Uni, les activités des experts intervenant dans l’indemnisation des dégâts causés aux véhicules seraient exonérées de la TVA en tant qu’opération réalisée par des intermédiaires d’assurance, en faisant remarquer que ce n’est que lorsque les experts disposent d’un mandat de la compagnie d’assurances pour traiter les demandes d’indemnité que l’exonération est accordée, ce qui est en
parfaite harmonie avec la conception qu’elle a développée à propos de la qualité d’intermédiaire d’assurance.
84. Le gouvernement du Royaume-Uni développe une argumentation similaire, en insistant sur le fait que, à supposer que Taksatorringen exerce certaines activités d’un courtier ou d’un intermédiaire d’assurance, cela ne fait pas encore d’elle un courtier ou un intermédiaire d’assurance au sens de la directive 77/92 ou de la sixième directive si elle n’exerce pas aussi les activités qui caractérisent cette catégorie professionnelle, à savoir la mise en relation de compagnies d’assurances et de
preneurs d’assurance et si elle n’entretient pas de rapports directs avec les assurés.
85. La Commission conteste, également, la prétention de Taksatorringen d’exercer des activités lui permettant d’être considérée comme un courtier ou un intermédiaire d’assurance au sens de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 77/92. Elle rappelle, par ailleurs, que l’article 13, B, sous a), de la sixième directive doit recevoir une interprétation stricte, en s’appuyant sur l’arrêt Commission/Allemagne (12) , dans lequel la Cour a jugé que l’exonération prévue pour les prestations
exécutées par le service public postal ne pouvait s’appliquer à des prestations effectuées par d’autres opérateurs pour ce service.
86. Cet ensemble d’arguments opposé aux prétentions de Taksatorringen nous semble devoir emporter la décision. En effet, même si la rédaction de l’article 13, B, sous a), de la sixième directive n’apparaît pas très heureuse, en ce sens qu’elle opère une distinction entre courtier et intermédiaire d’assurance, alors que, par essence, le courtier est précisément un intermédiaire d’assurance, puisqu’il lui revient de rechercher, pour le compte d’un preneur d’assurance, la compagnie susceptible de
lui proposer la couverture exactement adaptée à ses besoins, il est clair que cette disposition ne vise que les prestations effectuées par des professionnels qui sont en rapport à la fois avec la compagnie d’assurances et le preneur d’assurance.
87. Or, Taksatorringen elle-même ne soutient pas qu’elle entretiendrait un quelconque rapport juridique avec les assurés, c’est-à-dire aurait une activité d’intermédiation.
88. C’est bien pourquoi elle estime qu’il faut, pour apprécier si son activité peut néanmoins être considérée comme relevant de la profession de courtier ou d’intermédiaire d’assurance, se référer à la directive 77/92.
89. Cette référence nous paraît légitime, encore qu’il ne soit pas absolument certain qu’une directive en matière de TVA doive nécessairement être interprétée à la lumière d’une directive relative à la libre circulation des personnes. Il ne sera, cependant, pas nécessaire de trancher ce point, car la directive 77/92 ne fournit aucun appui au raisonnement développé par Taksatorringen.
90. S’agissant de l’activité que décrit l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive 77/92 et qui correspond à la profession de courtier d’après le paragraphe 2 du même article, il est, certes, indiqué qu’elle inclut l’aide à la gestion et à l’exécution des contrats d’assurance, notamment en cas de sinistre, mais il est bien précisé que cette aide vient «éventuellement» s’ajouter à l’activité qui caractérise la profession de courtier, à savoir la mise en rapport des assureurs et des
preneurs d’assurance ainsi que la préparation des contrats d’assurance.
91. S’agissant de l’activité que décrit l’article 2, paragraphe 1, sous b), de la directive 77/92 et qui correspond à la profession d’agent d’assurance d’après le paragraphe 2 du même article, le texte même de la disposition communautaire ne fait pas apparaître l’aide à la gestion et à l’exécution des contrats d’assurance, notamment en cas de sinistre, comme une activité accessoire, puisque cette aide est présentée, de par l’usage de la conjonction «ou», comme une activité placée sous le même
plan que la préparation, la proposition et la conclusion des contrats d’assurance. Mais cette aide, pour qu’elle fasse de celui qui l’apporte un agent d’assurance, doit s’inscrire dans le cadre d’un contrat ou d’une procuration et s’effectuer «au nom et pour le compte, ou uniquement pour le compte, d’une ou de plusieurs entreprises d’assurance», ce qui signifie qu’elle doit comporter le pouvoir d’engager la compagnie d’assurances vis-à-vis de l’assuré ayant subi un sinistre et, là encore, il s’agit
d’une condition à laquelle ne satisfait pas Taksatorringen.
92. Notre conclusion sur la première question soumise par la juridiction nationale sera donc que les évaluations qu’opère Taksatorringen pour le compte de ses membres ne peuvent être exonérées de la TVA au titre de l’article 13, B, sous a), de la sixième directive.
Quant aux deuxième, troisième et quatrième questions
93. Nous en arrivons ainsi à l’interprétation à donner à l’article 13, A, paragraphe 1, sous f), de la sixième directive qui fait l’objet des deuxième, troisième et quatrième questions déférées par la juridiction de renvoi, qu’il nous semble opportun de soumettre à un examen commun.
94. Toutes les observations présentées à la Cour concordent pour reconnaître que Taksatorringen est effectivement un groupement autonome de personnes exerçant une activité exonérée, ou pour laquelle elles n’ont pas la qualité d’assujetti, en vue de rendre à ses membres les services directement nécessaires à l’exercice de cette activité et qu’elle se borne à réclamer à ses membres le remboursement exact de la part leur incombant dans les dépenses engagées en commun.
95. La juridiction de renvoi nous informe, par ailleurs, que «les parties sont unanimes pour constater que, au moment où l’exonération de TVA a été refusée, il n’y avait pas de menace actuelle ou concrète qu’une exonération entraîne à ce moment-là une distorsion de concurrence».
96. Le débat se concentre donc sur le point de savoir si le législateur communautaire n’a voulu réserver l’exonération qu’aux groupements dont l’activité non seulement ne provoque pas en fait de distorsion de concurrence, mais, de par sa nature même, n’est jamais susceptible d’en provoquer.
97. C’est cette dernière thèse que la Commission défend avec une détermination particulière. Elle s’exprime, à ce sujet, de la manière suivante:
« Une interprétation de l’expression ‘susceptible de provoquer’ fondée sur le type d’activité (c’est-à-dire en examinant s’il s’agit d’un type d’activité qui ne provoque pas en soi de distorsion de concurrence) et non sur une évaluation des circonstances qui font qu’une activité donnée, nonobstant l’exonération de TVA, ne provoque pas de distorsion de concurrence au moment considéré, est plus conforme à la finalité de l’harmonisation consistant à mettre en place une base commune d’imposition dans
les États membres. »
98. Taksatorringen fait valoir, au contraire, que l’on ne peut jamais exclure avec une certitude absolue l’existence d’un risque de distorsion et que, si l’on prend en compte des possibilités purement hypothétiques de distorsion de concurrence, on aboutit à vider l’article 13, A, paragraphe 1, sous f), de la sixième directive de tout contenu.
99. Le législateur communautaire aurait, cependant, entendu instituer une exonération dont pourront effectivement bénéficier certains groupements, et non pas faire miroiter une possibilité d’exonération qui, en fait, ne pourrait jamais se concrétiser.
100. C’est pourquoi, il appartiendrait, selon Taksatorringen, à l’autorité qui entend refuser l’exonération sollicitée par un groupement remplissant, par ailleurs, toutes les conditions fixées par cette disposition de faire état d’une probabilité réelle et fondée que l’exonération entraîne une distorsion de concurrence.
101. Un parallèle pourrait utilement être établi avec le droit de la concurrence, et plus précisément l’article 81 CE qui interdit tout accord susceptible d’affecter le commerce entre États membres et que la Cour a constamment interprété en ce sens que, comme le rappelle l’arrêt Ferriere Nord/Commission (13) , «pour qu’une décision, un accord ou une entente soit susceptible d’affecter le commerce entre États membres, ils doivent, sur la base d’un ensemble d’éléments de droit ou de fait,
permettre d’envisager avec un degré de probabilité suffisant qu’ils puissent exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d’échanges entre États membres et cela de manière à faire craindre qu’ils puissent entraver la réalisation d’un marché unique entre États membres (voir arrêts du 30 juin 1966, Société technique minière, 56/65 Rec. p. 337, et du 29 octobre 1980, Van Landewyck e.a./Commission, 209/78 à 215/78 et 218/78, Rec. p. 3125, point 170)» (point 20).
102. Taksatorringen fait, enfin, valoir que l’existence d’un risque de distorsion de concurrence est pris en compte pour apporter une exception à la règle de l’exonération posée par l’article 13, A, paragraphe 1, sous f), de la sixième directive et que, en conséquence, elle devrait être interprétée de manière restrictive.
103. À ces arguments le gouvernement danois oppose que l’interprétation qu’il défend, et suivant laquelle il suffit, pour que l’exonération doive être refusée, que celle-ci comporte un risque potentiel que des tiers indépendants s’abstiennent de s’établir sur le marché de la fourniture des services en question, est non seulement conforme au sens littéral et usuel de la disposition, mais est également nécessaire pour atteindre l’objectif d’autoriser une collaboration entre entreprises fournissant
des services exonérés sans fermer à des tiers le marché des services sous-traités par ces entreprises.
104. Il ne conteste pas que son interprétation ne laisse à l’exonération prévue par l’article 13, A, paragraphe 1, sous f), de la sixième directive qu’un champ d’application limité, mais estime que cela ne prive pas ladite disposition de toute portée, car il restera des cas, par exemple dans l’hypothèse où l’existence de droits exclusifs vient par elle-même fermer l’accès au marché, où elle pourra trouver à s’appliquer.
105. Il fait, enfin, valoir que l’on ne saurait exiger des autorités nationales, parce qu’elles n’en ont pas les moyens, qu’elles se livrent à des études complexes pour déterminer le degré exact de probabilité de création d’une distorsion de concurrence.
106. En plus de l’argument que nous avons déjà cité, la Commission fait encore valoir que l’utilisation du terme «susceptible» impose de retenir les distorsions simplement potentielles, que, s’agissant d’une exonération, les conditions de son octroi doivent être interprétées de manière restrictive, que la genèse de la disposition confirme que l’ajout, par rapport à la proposition initiale, de la condition tenant à l’absence de distorsion de concurrence visait à restreindre les possibilités
d’exonération, que la fermeture du marché à des opérateurs indépendants risque de jouer, en définitive, au détriment des consommateurs et, enfin, que la nécessité d’une interprétation stricte est corroborée par la finalité de la sixième directive, qui est d’instaurer une base d’imposition harmonisée, en particulier en vue du recouvrement des ressources propres de la Communauté, et de mettre les États membres sur un pied d’égalité au regard de ce recouvrement.
107. En ce qui concerne ce dernier argument, nous nous permettons, cependant, de faire observer que l’objectif d’instaurer une base d’imposition harmonisée de la TVA n’est pas, pour sa réalisation, conditionné par le caractère strict ou large de l’interprétation de la disposition en cause. En effet, au regard de cet objectif, la seule chose qui importe est l’existence d’une interprétation uniforme, applicable à tous les États membres.
108. L’argument relatif à la genèse de la disposition n’est pas non plus très convaincant. La Commission nous rappelle qu’elle avait proposé que la dérogation de l’article 13, A, paragraphe 1, sous f), de la sixième directive fût libellée comme suit:
«les services rendus à leurs membres par les groupements autonomes professionnels à caractère médical ou paramédical , pour les besoins de leurs activités exonérées» 14 –Souligné par l’auteur..
109. La Commission explique que le texte adopté diffère de celui qui précède sur deux points.
110. D’une part, le champ d’application est élargi, puisqu’il n’est pas limité à des groupements autonomes à caractère médical ou paramédical.
111. D’autre part, le champ d’application de la disposition est réduit, puisqu’il est ajouté que l’exonération ne peut être accordée si elle est «susceptible de provoquer des distorsions de concurrence».
112. Mais, lorsqu’il s’agit de donner un exemple d’un cas où l’exonération pourrait légitimement s’appliquer, la Commission ne peut citer que «l’achat d’un scanner à des fins médicales». Or, il n’est, à notre avis, pas totalement exclu qu’un médecin individuel puisse acquérir un scanner et faire effectivement concurrence au scanner acheté en commun par plusieurs hôpitaux parce que les délais d’attente pour l’accès au scanner du groupement des hôpitaux seraient trop longs.
113. Il n’est donc pas facile d’identifier, d’une manière abstraite, «des cas où il est indéniable qu’une exonération ne provoquera ni actuellement ni potentiellement aucune distorsion de concurrence» (15) .
114. Pour ce qui est de l’intérêt des consommateurs, nous voudrions faire remarquer que le législateur a voulu faire en sorte que les contrats d’assurance ne soient pas trop onéreux. À cet effet, il n’a pas seulement exonéré les «opérations d’assurance» mais également les services de courtiers et d’intermédiaires dont l’intervention n’est pourtant pas indispensable. Les consommateurs bénéficieraient d’un avantage immédiat si cette ligne de conduite était également maintenue en ce qui concerne
l’évaluation des dommages.
115. En revanche, l’avantage que constituerait, selon la Commission, pour les consommateurs la libre concurrence ne saurait devenir une réalité dans les cas où, comme en l’espèce, aucune entreprise indépendante n’est effectivement présente sur le marché ni n’a manifesté l’intention de s’établir, et où il est douteux qu’une telle entreprise, si elle existait, pourrait fournir le même service à un moindre coût, de telle sorte à pouvoir exercer une pression sur les prix du groupement. On peut, en
effet, supposer que, si les petites et moyennes entreprises se sont regroupées, c’est précisément pour pouvoir bénéficier des évaluations à un coût moindre que si elles devaient s’adresser à des experts indépendants (ou engager leurs propres experts).
116. Loin de favoriser les consommateurs, la taxation du groupement aboutirait donc, dans un tel cas, à les pénaliser inutilement.
117. À notre avis, il y a lieu de partir de la raison d’être de l’exonération instituée par l’article 13, A, paragraphe 1, sous f), de la sixième directive et des conditions de marché créées par la présence d’un organisme qui fournit des services à ses membres en ne leur réclamant que le remboursement exact de la part leur incombant dans les dépenses encourues.
118. L’exonération a été, à l’évidence, instituée pour éviter que les prestations que le législateur communautaire a entendu exonérer pour des raisons légitimes et diverses ne voient leur coût grevé néanmoins d’une TVA en raison du fait que l’opérateur a été amené, pour les offrir, et vraisemblablement parce que la dimension de son entreprise l’y contraignait, à collaborer avec d’autres professionnels commercialisant les mêmes services, à travers une structure commune prenant en charge certaines
activités nécessaires à l’accomplissement de la prestation.
119. On a considéré que le service acquis par un prestataire auprès d’un tel groupement devait, sous certaines conditions, être assimilé, du point de vue de son traitement fiscal, à une opération réalisée en interne.
120. D’un certain point de vue, cette exonération vise, pour paradoxal que cela puisse paraître, à unifier les conditions de concurrence sur un marché où opèrent, à la fois, de grandes entreprises, pouvant offrir leurs prestations à partir de la seule mobilisation de leurs ressources internes, et d’autres plus petites, contraintes, pour offrir les mêmes prestations, de faire appel à des concours externes.
121. Les conditions essentielles qui doivent être remplies pour que s’ouvre le droit à l’exonération sont au nombre de deux. Il faut, d’une part, que le prestataire externe autonome ne regroupe que des opérateurs exerçant une activité exonérée ou pour laquelle ils n’ont pas la qualité d’assujetti. Il est indispensable, d’autre part, que le groupement ne poursuive pas un but lucratif, en ce sens qu’il ne fait que répercuter sur ses membres les coûts qu’il a exposés pour répondre à leurs besoins,
sans réaliser le moindre bénéfice.
122. Ceci veut dire que le groupement doit être totalement transparent et ne pas présenter, du point de vue économique, le caractère d’un opérateur indépendant cherchant à se constituer une clientèle pour générer des profits.
123. Les conditions tenant à l’absence de distorsion de concurrence nous semblent avoir été ajoutées uniquement pour éviter que les aménagements prévus en faveur de ces groupements, et qui visent à unifier les conditions de concurrence entre opérateurs commercialisant des prestations exonérées, ne produisent un effet pervers à un autre niveau, celui du marché des prestations dont ces prestataires ont eux-mêmes besoin.
124. En d’autres termes, on a créé un remède à certaines inégalités sur le plan concurrentiel pouvant découler des dimensions différentes des entreprises, mais en prenant des précautions pour que celui-ci ne secrète pas des effets secondaires dont il découlerait que le remède s’avérerait pire que le mal.
125. Si l’on se penche maintenant sur le marché des prestations nécessaires à l’exercice des activités exonérées, on doit constater qu’il se présente sous un jour très particulier.
126. Sur ce marché ne seront pas présents en qualité d’acheteur les plus gros consommateurs, c’est-à-dire les grandes sociétés qui font appel à leurs ressources internes. Seront présents en qualité de vendeurs des opérateurs, les groupements que vise l’article 13, A, paragraphe 1, sous f), de la sixième directive qui s’interdisent de réaliser un quelconque profit, et dont on doit supposer que ceux qui les contrôlent font en sorte qu’ils fonctionnent au moindre coût.
127. Ces groupements, pour autant qu’ils soient efficaces, ont, de par leur organisation même, vocation à posséder une clientèle captive, celle de leurs membres.
128. Il s’agit donc, à l’évidence, d’un marché très particulier au regard d’une conception idéale de la concurrence. Dès lors que l’on accepte cette situation, dans laquelle certains opérateurs, les groupements, ont un comportement excluant toute recherche de profit, quelle peut être la place d’un opérateur indépendant mû par la recherche de profits?
129. Cet opérateur, répétons-le, ne peut espérer pénétrer sur le marché et s’y maintenir que s’il est capable d’offrir ses prestations à un prix moindre que les groupements qui s’interdisent de réaliser des profits.
130. Certes, on ne saurait tout à fait exclure que les groupements aient un fonctionnement lourd et peu efficient, rendant la prestation onéreuse bien qu’elle soit facturée à prix coûtant et bien que les frais généraux soient ventilés sur un grand nombre d’opérations. Ce que le législateur a entendu, à notre sens, éviter, c’est que de tels groupements puissent néanmoins exclure toute concurrence grâce à l’exonération de TVA que prévoit l’article 13, A, paragraphe 1, sous f), de la sixième
directive.
131. Mais si, indépendamment de toute taxation ou exonération, les groupements sont, parce qu’ils sont performants, assurés de conserver la clientèle de leurs membres, on ne saurait considérer que c’est l’exonération qui leur est accordée qui ferme le marché à des opérateurs indépendants.
132. C’est, à notre sens, ainsi qu’il faut envisager la condition d’absence de risque de distorsion de concurrence que pose l’article 13, A, paragraphe 1, sous f), de la sixième directive. Cette analyse est d’après nous, mutatis mutandis, celle opérée s’agissant de l’article 81 CE et que rappelle fort justement Taksatorringen.
133. Il ne s’agit pas de refuser l’exonération parce que, éventuellement, on peut imaginer un scénario dans lequel l’exonération du groupement et la taxation de l’opérateur indépendant seraient ensemble susceptibles de provoquer des distorsions de concurrence.
134. Il s’agit, bien plus concrètement, d’examiner si l’exonération accordée à l’un et la taxation de l’autre seraient la cause déterminante pour laquelle les opérateurs indépendants seraient, de fait, exclus du marché.
135. Si tel est le cas, l’exonération doit être refusée, car, à elle seule, elle provoque une distorsion de concurrence. Si tel n’est pas le cas, il n’y a pas de raison de la refuser, car elle ne modifie, en réalité, pas les conditions du marché.
136. Face à ce constat, les autres arguments du gouvernement danois et de la Commission ont peu de poids, certains étant même inacceptables. On ne voit ainsi pas pourquoi l’exonération devrait être refusée en raison du fait que l’évaluation du risque de distorsion imposerait une lourde charge à l’administration, lourde charge dont il serait plus simple de la décharger en lui permettant d’invoquer tout risque, même totalement hypothétique, de distorsion. Si la Commission est capable d’opérer de
telles appréciations lorsqu’il s’agit d’appliquer les articles 81 CE et 82 CE, on ne voit pas pourquoi une administration nationale ne pourrait procéder à des appréciations du même ordre.
137. On ne voit pas davantage pourquoi, au prétexte que les exonérations sont à interpréter strictement, les limites aux exonérations devraient, à l’inverse, être appréhendées de manière particulièrement extensive. C’est, en effet, perdre de vue que le législateur a institué une exonération parce qu’il l’a estimée légitime, tout en prenant des précautions pour qu’elle ne soit pas détournée de sa finalité, ce qui est autre chose que de la concevoir de manière restrictive.
138. Au vu de la conclusion à laquelle nous sommes ainsi parvenu sur la deuxième question , à savoir que l’exonération ne peut être refusée que s’il apparaît, avec à tout le moins un fort degré de probabilité, qu’elle serait, à elle seule, de nature à écarter des opérateurs indépendants du marché sur lequel opère le groupement, il n’est pas nécessaire d’apporter une réponse distincte à la troisième question de la juridiction de renvoi.
139. S’agissant de la quatrième question de ladite juridiction, la réponse qu’elle appelle devient évidente. En effet, si la législation nationale permet l’octroi d’une exonération limitée dans le temps, on ne voit pas en quoi la sixième directive s’opposerait à ce qu’il soit fait usage de cette faculté. L’efficacité d’un groupement qui suffit, à un moment donné, à écarter des concurrents potentiels, indépendamment d’un traitement fiscal différencié, peut très bien s’éroder avec le temps, de
sorte que l’on pourrait arriver à ce que le groupement jouisse d’une rente de situation uniquement due à l’exonération dont il bénéficie, exonération qui serait alors l’unique cause d’une distorsion de concurrence et à laquelle il serait alors impératif de mettre fin.
140. Étant donné qu’il est, en principe, plus facile de réexaminer périodiquement s’il y a lieu de renouveler une exonération accordée pour une durée limitée que de révoquer une décision d’exonération non assortie d’une limitation temporelle, nous ne voyons pas ce qui pourrait, en l’absence d’interdiction dans la directive quant à cette manière de procéder, être objecté à l’octroi d’une exonération temporaire.
141. Nous conclurons donc sur les deuxième, troisième et quatrième questions que l’exonération prévue à l’article 13, A, paragraphe 1, sous f), de la sixième directive ne peut être refusée au motif qu’elle serait susceptible de provoquer une distorsion de concurrence que s’il apparaît, avec à tout le moins un fort degré de probabilité, qu’elle serait à elle seule de nature à écarter des opérateurs indépendants du marché sur lequel opère le groupement. L’octroi de l’exonération peut n’être que
temporaire.
Quant à la cinquième question
142. Il reste à examiner la cinquième question, par laquelle la juridiction nationale nous interroge sur l’influence que peut avoir, pour le litige dont elle est saisie, le fait que les plus importantes des sociétés d’assurances recourent à des experts faisant partie de leur personnel en n’ayant pas acquitté de TVA sur les prestations fournies par ceux-ci en interne.
143. Sous réserve de ce que nous avons exposé à propos de la deuxième question, c’est-à-dire de l’interprétation qu’il y a lieu de donner à l’article 13, A, paragraphe 1, sous f), de la sixième directive, cette question appelle une réponse négative. En effet, en réponse à une question similaire posée dans l’affaire SDC, précitée, la Cour a fait valoir que la différence entre l’entreprise qui effectue l’ensemble de ses opérations en interne en ayant recours à ses propres salariés et celle qui
achète ses prestations à un autre opérateur économique «se situe au niveau de l’assujettissement et non pas de l’exonération prévue à l’article 13, B, sous d), points 3 et 5, de la sixième directive, laquelle est parfaitement neutre puisqu’elle résulte de la nature même des opérations» (point 28 de l’arrêt SDC, précité).
144. Elle a ainsi fait sien le raisonnement de l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer, qui expliquait, on ne peut plus clairement, dans ses conclusions que:Il n’est pas possible [...] d’admettre l’argument de la requérante en ce qui concerne la prétendue discrimination fiscale entre les entreprises bancaires, qui disposent par elles-mêmes de leurs propres moyens informatiques, et les autres qui sont tenues de s’attacher, à cet effet, les services d’un tiers. [...] c’est là la conséquence logique de
la structure fiscale qui caractérise la TVA.
Le principe de neutralité fiscale, à la base du système de la TVA, n’est pas affecté par le choix de cette option. En effet, le fait assujetti à la TVA, s’agissant d’une ’prestation de services‘, implique la présence de deux sujets fiscaux indépendants, juridiquement liés entre eux, et dont l’un effectue une opération en faveur de l’autre.
Ainsi, les travailleurs salariés qui, sous la direction de leur employeur et rémunérés par ce dernier, apportent leurs services à l’entreprise qui les emploie ne sont pas des assujettis. Dans le cadre de la prestation de tels services, il n’y a pas de fait imposable, assujetti à la TVA: en réalité, il s’agit d’un phénomène de non-assujettissement ^[ 16 –Il ne s’agit donc pas d’une exonération pure et simple. On ne peut parler à juste titre d’exonération fiscale qu’en présence d’un fait
antérieurement assujetti à l’impôt. En tant que notion, l’exonération présuppose une obligation initiale de payer l’impôt à l’égard de laquelle le législateur accorde, pour différentes raisons, une dispense de paiement. Il s’agit donc d’un bénéfice qui doit obligatoirement être expressément prévu dans la loi pour aboutir à la dispense du devoir de payer l’impôt. Avant de vérifier si une opération déterminée satisfait aux conditions pour bénéficier de l’exonération, il convient de vérifier qu’elle
entre dans le champ d’application de l’impôt. ^] dérivé a contrario de la définition positive du fait imposable au titre de la TVA et même de la nature propre à cette taxe.
Les entreprises, dans le cadre de leurs décisions de politique interne, peuvent choisir d’effectuer certaines tâches par les propres moyens de l’entreprise, cette dernière utilisant son personnel salarié. Dans un tel cas, il n’y a pas de fait imposable au titre de la TVA. Au contraire, elles peuvent choisir de passer des contrats avec des tiers, juridiquement indépendants de l’entreprise, pour la prestation de ces services: dans ce cas, il s’agit d’une opération redevable de la TVA
(points 55 à 58).
Conclusions
145. De l’ensemble des développements qui précèdent, nous concluons que les questions posées à la Cour par l’Østre Landsret appellent les réponses suivantes:
« ─
Les dispositions de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires ─ Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, notamment l’article 13, B, sous a), doivent être interprétées en ce sens que les évaluations effectuées par une entreprise pour le compte de ses membres ne relèvent pas de la notion d’opération d’assurance au sens de cette disposition ou de
la notion de prestations de services afférentes à ces opérations effectuées par les courtiers et les intermédiaires d’assurance.
─
L’article 13, A, paragraphe 1, sous f), de la sixième directive 77/388 doit être interprété en ce sens que l’exonération de taxe sur la valeur ajoutée qu’il prévoit ne peut être refusée, au motif qu’elle serait susceptible de provoquer une distorsion de concurrence, pour les prestations de services effectuées par les groupements autonomes de personnes exerçant une activité exonérée ou pour laquelle elles n’ont pas la qualité d’assujetti en vue de rendre à leurs membres les services
directement nécessaires à l’exercice de cette activité, en ce que ces groupements se bornent à réclamer à leurs membres le remboursement exact de leur part incombant dans les dépenses engagées en commun que s’il apparaît, avec à tout le moins un fort degré de probabilité, qu’une telle exonération serait, in concreto, à elle seule de nature à écarter des opérateurs indépendants du marché sur lequel le groupement revendiquant l’exonération déploie son activité. L’octroi de l’exonération peut
n’être que temporaire.
─
La circonstance que les entreprises les plus importantes fassent effectuer par leur propre personnel des opérations que d’autres entreprises de plus petite taille font effectuer par des groupements qu’ils créent à cet effet, et soient, par là même, et contrairement à ces derniers, exonérées de taxe sur la valeur ajoutée pour ces opérations, ne saurait modifier la réponse qu’appellent les questions 1 et 2. »
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1 –
Langue originale: le français.
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2 –
JO L 145, p. 1.
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3 –
Arrêt du 25 février 1999 (C-349/96, Rec. p. I-973).
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4 –
Arrêt du 11 janvier 2001 (C-76/99, Rec. p. I-249, point 27).
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5 –
Arrêt du 5 juin 1997 (C-2/95, Rec. p. I-3017).
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6 –
Arrêt du 8 mars 2001 (C-240/99, Rec. p. I-1951).
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7 –
Arrêt du 14 septembre 2000 (C-384/98, Rec. p. I-6795).
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8 –
JO L 226, p. 21.
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9 –
JO 1977, L 26, p. 14.
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10 –
JO L 19, p. 32.
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11 –
JO 2001, C 29 E, p. 245.
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12 –
Arrêt du 11 juillet 1985 (107/84, Rec. p. 2655).
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13 –
Arrêt du 17 juillet 1997 (C-219/95 P, Rec. p. I-4411).
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14 –
Souligné par l’auteur.
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15 –
Selon l’expression utilisée par la Commission.
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16 –
Il ne s’agit donc pas d’une exonération pure et simple. On ne peut parler à juste titre d’exonération fiscale qu’en présence d’un fait antérieurement assujetti à l’impôt. En tant que notion, l’exonération présuppose une obligation initiale de payer l’impôt à l’égard de laquelle le législateur accorde, pour différentes raisons, une dispense de paiement. Il s’agit donc d’un bénéfice qui doit obligatoirement être expressément prévu dans la loi pour aboutir à la dispense du devoir de payer
l’impôt. Avant de vérifier si une opération déterminée satisfait aux conditions pour bénéficier de l’exonération, il convient de vérifier qu’elle entre dans le champ d’application de l’impôt.