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16/05/2002 | CJUE | N°C-282/00

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 16 mai 2002., Refinarias de Açúcar Reunidas SA (RAR) contre Sociedade de Indústrias Agricolas Açoreanas SA (Sinaga)., 16/05/2002, C-282/00


Avis juridique important

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62000C0282

Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 16 mai 2002. - Refinarias de Açúcar Reunidas SA (RAR) contre Sociedade de Indústrias Agricolas Açoreanas SA (Sinaga). - Demande de décision préjudicielle: Tribunal Judicial da Comarca de Ponta Delgada - Portugal. - Sucre -

Décision 91/315/CEE - Programme Poséima - Mesures spécifiques en faveur de...

Avis juridique important

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62000C0282

Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 16 mai 2002. - Refinarias de Açúcar Reunidas SA (RAR) contre Sociedade de Indústrias Agricolas Açoreanas SA (Sinaga). - Demande de décision préjudicielle: Tribunal Judicial da Comarca de Ponta Delgada - Portugal. - Sucre - Décision 91/315/CEE - Programme Poséima - Mesures spécifiques en faveur des Açores et de Madère - Règlement (CEE) nº 1600/92 - Expédition vers le reste de la Communauté de sucre blanc produit aux Açores à partir de betteraves
récoltées sur place ou à partir de sucre brut de betterave importé en exonération de prélèvement et/ou de droit de douane - Notion de 'transformation de produits' - Notion d''expéditions traditionnelles vers le reste de la Communauté'. - Affaire C-282/00.
Recueil de jurisprudence 2003 page I-04741

Conclusions de l'avocat général

1 En se donnant comme ambition la réalisation d'un grand marché intérieur, les auteurs des traités n'ont nullement entendu nier l'existence de situations économiques très disparates au sein de l'espace couvert par ce marché.

2 Bien au contraire, puisque, déjà dans le préambule du traité de Rome, ses signataires s'affirment «soucieux de renforcer l'unité de leurs économies et d'en assurer le développement harmonieux en réduisant l'écart entre les différentes régions et le retard des moins favorisées.»

3 Cette volonté, clairement affirmée, de ne pas laisser certaines régions au bord du chemin de la croissance économique s'est traduite, par exemple, par le régime des aides d'État que fixe l'article 92 du traité CE (devenu, après modification, article 87 CE).

4 Cette disposition, en même temps qu'elle pose le principe de l'interdiction de ces aides, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, range, en effet, parmi les aides qui peuvent être considérées comme compatibles avec le marché commun, «les aides destinées à favoriser le développement économique des régions dans lesquelles le niveau de vie est anormalement bas ou dans lesquelles sévit un grave sous-emploi».

5 C'est également à cette volonté qu'il faut rattacher la création, en 1975, du Fonds européen de développement régional (1), dont la vocation affichée est de «corriger les principaux déséquilibres régionaux dans la Communauté». L'adoption de l'Acte unique européen, en 1986, sera l'occasion d'inscrire dans la troisième partie du traité, consacrée à la politique de la Communauté, un nouveau titre, le titre V, relatif à la cohésion économique et sociale, dans lequel s'insère l'article 130 A, aux
termes duquel, «[a]fin de promouvoir un développement harmonieux de l'ensemble de la Communauté, celle-ci développe et poursuit son action tendant au renforcement de sa cohésion économique et sociale. En particulier, la Communauté vise à réduire l'écart entre les diverses régions et le retard des régions les moins favorisées». Ce dernier alinéa a été, depuis, enrichi à deux reprises, puisque, après s'être vu adjoindre une référence aux zones rurales par le traité de Maastricht, en 1992, il se lit
comme suit dans la version issue du traité d'Amsterdam: «[e]n particulier, la Communauté vise à réduire l'écart entre les niveaux de développement des diverses régions et le retard des régions ou îles les moins favorisées, y compris les zones rurales» [article 130 A du traité CE (devenu, après modification, article 158 CE)].

Les textes applicables

6 Les institutions communautaires n'ont, cependant, pas attendu ces modifications du traité pour mettre en oeuvre des programmes spécifiques visant à permettre à certaines régions ultrapériphériques de surmonter leurs handicaps, tout en étant pleinement intégrées dans le marché intérieur. C'est ainsi que, après la décision 89/687/CEE du Conseil, du 22 décembre 1989, instituant un programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité des départements français d'outre-mer (POSEIDOM) (2),
est intervenue la décision 91/315/CEE du Conseil, du 26 juin 1991, instituant un programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité de Madère et des Açores (POSÉIMA) (3).

7 Il était ainsi donné suite à l'invitation, figurant dans une déclaration commune annexée à l'acte relatif aux conditions d'adhésion du royaume d'Espagne et de la République portugaise et aux adaptations des traités (4), formulée par les États membres à l'intention des institutions communautaires pour qu'elles accordent une attention particulière aux politiques de développement des deux archipels de manière à ce que ces derniers puissent surmonter les handicaps découlant de leur situation
géographique éloignée du continent européen, de leur orographie particulière, de leurs graves insuffisances d'infrastructures et de leur retard économique.

8 Dans les considérants de la décision 91/315, il est énoncé que:

«[...] ce programme doit se fonder sur le double principe de l'appartenance des Açores et de Madère à la Communauté et de la reconnaissance de leur réalité régionale liée à leur situation géographique particulière;

[...] les mesures figurant dans ce programme doivent permettre la prise en compte des spécificités et des contraintes des Açores et de Madère sans porter atteinte à l'intégrité et à la cohérence de l'ordre juridique communautaire; [...] à ce titre les effets économiques des mesures spécifiques devront rester limités au territoire des Açores et de Madère sans affecter directement le fonctionnement du Marché commun;

[...]

[...] la situation géographique exceptionnelle des Açores et de Madère par rapport aux sources d'approvisionnement de produits en amont de certains secteurs de l'alimentation, essentiels à la consommation courante ou à la transformation dans les deux archipels, impose à ces régions des charges qui handicapent lourdement ces secteurs; [...] il convient à cet égard de prévoir un régime spécifique d'approvisionnement dans les produits en cause dans les limites des besoins du marché des deux archipels
concernés et compte tenu des productions locales et des courants d'échanges traditionnels.»

9 Ces orientations se traduisent dans l'annexe de ladite décision, c'est-à-dire dans le programme Poséima proprement dit, par les dispositions suivantes:

«Titre I

Principes généraux

4. Les mesures et actions prévues par le programme Poséima doivent permettre de prendre en compte les spécificités et contraintes des Açores et de Madère sans porter atteinte à l'intégrité et à la cohérence de l'ordre juridique communautaire.

[...]

Titre IV

Mesures spécifiques visant à pallier la situation géographique exceptionnelle

9.2. Pour les produits agricoles essentiels à la consommation ou à la transformation dans les deux régions, cette action communautaire consistera, dans les limites des besoins du marché des Açores et de Madère, compte tenu des productions locales et des courants d'échanges traditionnels et en veillant à préserver la part des approvisionnements des produits du reste de la Communauté, à:

- exonérer du prélèvement et/ou du droit de douane et des montants, prévus à l'article 240 de l'acte d'adhésion, les produits originaires des pays tiers,

- permettre, à des conditions équivalentes et sans application des montants prévus audit article 240, la fourniture de produits communautaires mis à l'intervention ou disponibles sur le marché de la Communauté.

La mise en oeuvre de ce système reposera sur les principes suivants:

- les quantités faisant l'objet de ce système d'approvisionnement seront déterminées annuellement dans le cadre de bilans prévisionnels,

- dans le but d'assurer la répercussion de ces mesures sur le niveau des coûts de production et sur celui des prix à la consommation, il conviendra de prévoir un mécanisme de contrôle de cette répercussion jusqu'à l'utilisateur final,

- s'agissant de l'approvisionnement des Açores en sucre brut, le système sera applicable jusqu'au moment où le développement de la production locale de betteraves à sucre permettra de satisfaire les besoins du marché des Açores et de façon à ce que le volume total de sucre raffiné aux Açores ne dépasse pas 10 000 tonnes,

[...]

Titre V

Mesures spécifiques en faveur des productions de Madère et des Açores

14.4. D'autres mesures visant à contribuer au soutien de la production locale des Açores pourront prendre la forme:

- pour les betteraves à sucre:

- d'une aide forfaitaire à l'hectare pour le développement de la production locale dans la limite d'un volume correspondant à une production de sucre de 10 000 tonnes;

- d'une aide spécifique à la transformation en sucre blanc des betteraves produites localement afin de stabiliser les coûts d'approvisionnement,

[...]»

10 Pour la mise en oeuvre du programme Poséima est intervenu le règlement (CEE) n_ 1600/92 du Conseil, du 15 juin 1992, relatif à des mesures spécifiques concernant certains produits agricoles en faveur des Açores et de Madère (5). Ses considérants font état, notamment, de ce que:

«[...] les quantités de produits qui bénéficient du régime spécifique d'approvisionnement doivent être déterminées dans le cadre de bilans prévisionnels établis périodiquement et révisables en cours d'exercice en fonction des besoins essentiels des marchés de ces régions et en prenant en considération les productions locales et les courants d'échanges traditionnels;

[...] les effets économiques de ce régime doivent se répercuter sur le niveau des coûts de production et abaisser les prix jusqu'au stade de l'utilisateur final; [...] il convient de prévoir les mesures appropriées pour contrôler cette répercussion;

[...] afin d'éviter tout détournement de trafic, les produits bénéficiant du régime précité ne peuvent donner lieu à une réexpédition vers le reste du marché communautaire, ou à une réexportation vers les pays tiers; [...] il convient, toutefois, de déroger à ce principe pour les produits qui font l'objet d'une transformation dans les archipels et qui sont réexpédiés ou réexportés traditionnellement, dans la limite des courants d'échanges habituels;

[...]

[...] afin de contribuer au soutien de la production intérieure et de satisfaire les habitudes de consommation, il convient de prévoir des aides pour certaines cultures et certaines productions spécifiques;

[...]

[...] pour les Açores, ces mesures doivent contribuer notamment à améliorer les conditions de production de la betterave sucrière et les conditions de compétitivité de l'industrie sucrière locale dans la limite de quantités déterminées; [....]»

11 Dans le titre I du règlement n_ 1600/92, intitulé «Régime spécifique d'approvisionnement», l'article 3 dispose que:

«1. Aucun prélèvement ou droit de douane n'est appliqué lors de l'importation directe dans les régions des Açores et de Madère des produits faisant l'objet du régime spécifique d'approvisionnement, originaires des pays tiers, dans la limite des quantités déterminées dans les bilans d'approvisionnement.

2. Pour garantir la satisfaction des besoins établis conformément à l'article 2 en termes de quantités, de prix et de qualité, et en veillant à préserver la part des approvisionnements à partir de la Communauté, l'approvisionnement des régions précitées est réalisé également par la fourniture de produits communautaires détenus en stocks publics, en application de mesures d'intervention, ou disponibles sur le marché de la Communauté à des conditions équivalant, pour l'utilisateur final, à l'avantage
résultant de l'exonération des droits à l'importation pour les produits originaires des pays tiers.

Les conditions de ces fournitures sont arrêtées en prenant en considération les coûts des différentes sources d'approvisionnement ainsi que les prix pratiqués à l'exportation vers les pays tiers.

3. Le régime prévu au présent article est mis en oeuvre de manière à tenir compte, sans préjudice du paragraphe 4, en particulier:

- des besoins spécifiques des régions concernées et, s'agissant des produits destinés à la transformation, des exigences précises de qualité requises,

- des courants d'échanges traditionnels avec le reste de la Communauté.

4. Pour l'approvisionnement des Açores en sucre brut, l'évaluation des besoins est opérée en prenant en compte le développement de la production locale de betterave à sucre. Les quantités bénéficiant du régime d'approvisionnement sont déterminées de telle sorte que le volume total annuel de sucre raffiné aux Açores ne dépasse pas 10 000 tonnes.

L'article 9 du règlement (CEE) n_ 1785/81 n'est pas applicable aux Açores.»

12 Toujours dans le même titre, l'article 8 énonce que:

«Les produits qui bénéficient du régime spécifique d'approvisionnement établi au présent titre ne peuvent pas faire l'objet d'une réexportation vers les pays tiers ni d'une réexpédition vers le reste de la Communauté.

En cas de transformation des produits en cause dans les régions des Açores et de Madère, l'interdiction ne s'applique ni aux exportations traditionnelles ni aux expéditions traditionnelles vers le reste de la Communauté.»

13 Dans le titre II, intitulé «Mesures en faveur des productions des Açores et de Madère», l'article 25, inséré dans la section 3, intitulée «Mesures en faveur des productions des Açores», prévoit que:

«1. Une aide forfaitaire à l'hectare est accordée pour le développement de la production de betterave à sucre dans la limite d'une superficie correspondant à une production de sucre blanc de 10 000 tonnes par an.

Le montant de l'aide est de 500 écus par hectare de superficie ensemencée et récoltée.

2. Une aide spécifique est accordée pour la transformation en sucre blanc des betteraves récoltées aux Açores, dans la limite d'une production globale annuelle de 10 000 tonnes de sucre raffiné.

Le montant de l'aide est de 10 écus par 100 kilogrammes de sucre raffiné. Il peut être adapté selon la procédure visée au paragraphe 3.

3. Les modalités d'application du présent article sont arrêtées selon la procédure prévue à l'article 41 du règlement (CEE) n_ 1785/81.»

Le litige au principal et les questions préjudicielles

14 Une seule raffinerie de sucre, la Sociedade de Indústrias Agricolas Açoreanas SA (ci-après «Sinaga»), est implantée aux Açores et c'est donc, si on laisse de côté le consommateur final, à elle seule que profitent tant le régime spécifique d'approvisionnement pour le sucre brut que l'aide spécifique à la transformation en sucre blanc des betteraves récoltées aux Açores.

15 Sinaga a procédé, en 1998, à une vente de sucre blanc à une entreprise établie dans la partie continentale du Portugal.

16 Ayant été informée de cette vente et estimant que Sinaga n'était pas en droit de vendre sur le territoire de la partie continentale du Portugal du sucre produit dans le cadre du programme Poséima, une entreprise établie dans la partie continentale du Portugal et produisant elle-même du sucre blanc, Refinarias de Açúcar Reunidas SA (ci-après «RAR»), a assigné Sinaga devant le Tribunal Judicial da Comarca de Ponta Delgada (Portugal).

17 RAR demande à cette juridiction de faire usage de son pouvoir d'ordonner des mesures provisoires pour enjoindre à Sinaga «de s'abstenir de commercialiser dans la partie continentale du Portugal le sucre raffiné provenant du sucre brut qu'elle a importé en exemption du prélèvement au titre du programme Poséima, ou ayant bénéficié de l'aide à la transformation établie dans ce programme».

18 Le juge national, estimant qu'il est essentiel pour la solution du litige dont il est saisi de dégager le sens exact que le législateur communautaire a entendu donner à certaines dispositions du règlement n_ 1600/92, a, par une ordonnance en date du 11 juillet 2000, posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1) L'article 8, deuxième alinéa, du règlement (CEE) n_ 1600/92 du Conseil, du 15 juin 1992, s'applique-t-il:

a) au sucre transformé obtenu à partir de sucre brut (sucre proprement dit, provenant, soit de betteraves produites sur place, soit de sucre brut importé), ou

b) seulement au sucre incorporé à des produits qui en contiennent (pâtisseries, boissons, etc.), autrement dit: que recouvre l'expression `transformation de produits' figurant dans cette disposition?

2) Les ventes mentionnées sous le point 3 ci-dessus peuvent-elles relever des notions de `courants d'échanges traditionnels', `exportations traditionnelles' ou `expéditions traditionnelles' vers `le reste de la Communauté', figurant aux articles 3, paragraphe 3, second tiret, et 8, second alinéa, du règlement précité?

3) Indépendamment de la réponse aux questions précédentes, les dispositions du droit applicable depuis septembre 1998 jusqu'à ce jour permettent-elles que Sinaga puisse vendre dans la partie continentale du Portugal du sucre qu'elle a produit à partir de betteraves cultivées aux Açores et pour la production desquelles elle bénéficie d'aides communautaires au titre du programme Poséima?

4) Toujours indépendamment de la réponse aux questions précédentes, les dispositions du droit applicable depuis septembre 1998 jusqu'à ce jour permettent-elles que Sinaga puisse vendre dans la partie continentale du Portugal du sucre qu'elle a produit à partir de sucre brut importé en exemption de prélèvement, au titre du même programme Poséima?»

19 Avant d'entrer dans le détail de ces questions et d'exposer les réponses qu'elles appellent de notre point de vue, nous voudrions faire, à titre liminaire, deux remarques.

20 Durant la procédure écrite, tant Sinaga que le gouvernement portugais ont exposé, avec beaucoup d'insistance, que, puisque le règlement n_ 1600/92 a pour objet de concrétiser le programme Poséima, lequel vise à permettre aux Açores de surmonter leurs divers handicaps, il y aurait lieu, dans l'interprétation dudit règlement, de privilégier systématiquement, entre diverses interprétations possibles, celle allant dans le sens des intérêts açoréens en général et des intérêts de Sinaga en particulier,
s'agissant de tout ce qui touche à la production et à la commercialisation du sucre.

21 Pareille approche, qui reviendrait à raisonner à partir d'un préjugé, au sens propre du terme, ne nous semble pas devoir inspirer le raisonnement de la Cour.

22 Il ne saurait, certes, pas non plus être question de tomber dans l'autre extrême et de privilégier une interprétation visant à limiter autant que faire se peut l'impact du programme Poséima.

23 Il est indéniable, en effet, que, en arrêtant et en mettant en oeuvre ledit programme, le législateur communautaire a entendu accorder aux Açores, et donc aux agents économiques, qu'ils soient producteurs ou consommateurs, établis sur ce territoire, un certain nombre d'avantages puisant, à ses yeux, leur légitimité dans les conditions concrètes, peu favorables, que connaissent les Açores au regard de leur aspiration au développement économique.

24 Mais cela ne signifie pas pour autant que ce même législateur aurait entendu que l'interprétation du règlement n_ 1600/92 doive obéir à des règles particulières, autres que celles qui caractérisent habituellement la démarche du juge communautaire.

25 Les règles particulières arrêtées pour les Açores ne sont que des règles communautaires parmi d'autres, qui doivent être appréhendées sans a priori d'aucune sorte.

26 Ce n'est pas vouloir contrarier la volonté du législateur communautaire que d'appliquer les règles traditionnelles en matière d'interprétation lorsqu'il s'agit d'examiner de quelles conditions sont assortis les avantages accordés aux opérateurs économiques açoréens et quelles sont les limites qu'a entendu poser le législateur.

27 En fait, c'est au contraire s'incliner devant la volonté du législateur que de contenir lesdits avantages dans les limites qu'il a lui-même tracées, après avoir examiné ce qu'il était possible de consentir comme exception en faveur du développement de ce territoire, sans pour autant remettre en cause le délicat équilibre qui caractérise la politique agricole commune.

28 Le programme Poséima ne procède pas d'une vision suivant laquelle le développement des Açores serait le mieux assuré en plaçant ce territoire hors du champ d'application du droit communautaire, il part, au contraire, de la prémisse que c'est en permettant aux Açores, moyennant certains aménagements transitoires, de s'intégrer dans le marché intérieur qu'on pourra en assurer le développement durable, pour le plus grand profit de leurs habitants.

29 Toujours à titre liminaire, nous voudrions aussi indiquer que la discussion sur l'articulation précise du règlement n_ 1600/92 avec l'organisation commune des marchés dans le secteur du sucre, et donc avec le règlement (CEE) n_ 1785/81 du Conseil, du 30 juin 1981, portant organisation commune des marchés dans le secteur du sucre (6), à laquelle a donné lieu la procédure écrite, ne nous paraît pas occuper une position centrale dans le débat que méritent les questions préjudicielles que pose la
juridiction nationale.

30 À partir du moment où nul ne soutient que les Açores sont purement et simplement soustraites au champ d'application des règles de l'organisation commune, il ne nous apparaît, en effet, pas nécessaire, au regard des questions précises auxquelles il nous faut répondre, de se demander si le règlement n_ 1600/92 institue des règles dérogatoires applicables aux Açores ou ne fait qu'introduire des règles spécifiques applicables uniquement à ce territoire.

31 Ce qui nous importe, c'est de déterminer l'interprétation qu'il convient de donner à certaines dispositions du règlement n_ 1600/92, applicables à la production et à la commercialisation du sucre aux Açores, dispositions qui sont, nul n'en disconvient, particulières, en ce sens que ce ne sont pas les règles posées par le règlement n_ 1785/81. Qu'elles soient qualifiées de dérogatoires ou de spécifiques ne nous semble pas de nature à modifier l'interprétation que commandent leurs termes et leur
articulation avec les autres dispositions, dont l'ensemble forme le programme Poséima.

32 Le choix de l'une de ces qualifications plutôt que de l'autre nous apparaît reposer sur une appréciation essentiellement subjective. Il est justifiable de conclure de l'importance de la différence qui sépare les règles de l'organisation commune des marchés applicables dans le reste de la Communauté et les règles applicables aux Açores - nous songeons ici notamment à l'inapplicabilité aux Açores du mécanisme d'intervention que pose l'article 3, paragraphe 4, du règlement n_ 1600/92 - que ces
dernières sont placées sous un régime dérogatoire. Mais il est tout aussi admissible de soutenir que l'application de quelques règles spécifiques, pour importantes qu'elles soient, ne doit, en aucune manière, faire perdre de vue que le règlement n_ 1785/81 est, en tant que tel, et pour autant qu'il ne se heurte à aucune disposition du règlement n_ 1600/92, applicable aux Açores au même titre qu'au reste de la Communauté.

Sur la première question

33 S'agissant de la première question, RAR est seule à affirmer que, pour l'application de l'article 8 du règlement n_ 1600/92, le sucre raffiné ne peut être considéré comme un produit issu d'un processus de transformation, et donc que le sucre blanc produit aux Açores à partir du sucre brut ayant bénéficié du régime spécifique d'approvisionnement, défini à l'article 3 dudit règlement, n'est pas visé à l'article 8, second alinéa, en vertu duquel, «[e]n cas de transformation des produits en cause
dans les régions des Açores et de Madère, l'interdiction ne s'applique ni aux exportations traditionnelles ni aux expéditions traditionnelles vers le reste de la Communauté».

34 Ce ne serait que lorsqu'il est incorporé dans des produits tels que les boissons, pâtisseries, chocolats et sucreries diverses que le sucre raffiné pourrait être considéré comme ayant fait l'objet d'une transformation au sens de l'article 8, second alinéa.

35 À l'appui de cette affirmation, RAR fait valoir que, puisque le sucre, sous toutes ses formes, est considéré, aux fins de l'application du traité, comme un produit agricole et que le régime spécifique d'approvisionnement s'applique aux produits agricoles, le sucre blanc doit être considéré comme un produit ayant bénéficié dudit régime et ne pouvant être réexporté ou réexpédié en vertu de l'article 8, premier alinéa.

36 Cette position ne nous semble pas pouvoir être sérieusement soutenue.

37 Sans même qu'il soit nécessaire d'entrer dans le détail des arguments avancés par Sinaga, le gouvernement portugais et la Commission, on peut y opposer les deux considérations suivantes. D'une part, ce que prohibe l'article 8, premier alinéa, c'est la réexportation ou la réexpédition des produits mêmes qui ont bénéficié du régime spécifique d'approvisionnement, or, le sucre blanc n'est pas du sucre brut. D'autre part, le sucre blanc est précisément issu de la transformation de sucre brut, ce qui
en fait indubitablement, par rapport au produit ayant bénéficié du régime précité, un produit transformé.

38 Le fait que certains produits de première transformation, tel le sucre blanc, soient considérés, pour l'application du traité, comme des produits agricoles est totalement indifférent au regard de l'application du programme Poséima, qui ne vise, au titre du régime spécifique d'approvisionnement et des interdictions qui s'y attachent, que des produits précisément déterminés et non l'ensemble des produits agricoles.

39 À cela on peut ajouter qu'il n'y a aucun risque que des entreprises ayant bénéficié du régime spécifique d'approvisionnement tirent profit de celui-ci pour améliorer leur situation concurrentielle sur le marché du reste de la Communauté ou à l'exportation, puisque, même après la transformation du sucre brut en sucre blanc, des exportations ou des expéditions restent interdites, sauf si elles s'inscrivent dans le cadre de courants d'échanges traditionnels.

40 On remarquera d'ailleurs que, même pour ces ventes dans le cadre d'échanges traditionnels, le législateur a veillé à éviter toute distorsion de concurrence, puisque l'article 9 du règlement n_ 1600/92 prévoit qu'un produit transformé, puis exporté, ne peut bénéficier d'aucune restitution à l'exportation.

41 Il est vrai que, dans le cas d'une réexpédition vers un autre point du territoire communautaire, le sucre blanc produit à partir du sucre brut ayant bénéficié du régime spécifique d'approvisionnement pourra éventuellement se trouver en situation concurrentielle favorable, encore que l'existence de coûts de transport non négligeables puisse en faire douter, mais, en tout état de cause, cette réexpédition doit rester dans le cadre d'échanges traditionnels. On voit, cependant, mal comment la mise en
place du programme Poséima, qui vise, rappelons-le, à permettre aux Açores de s'intégrer dans de bonnes conditions au marché intérieur, aurait pu s'accompagner de la suppression des échanges traditionnels.

42 À la première question de la juridiction nationale, il y a donc lieu, de tout évidence, de répondre que, pour l'application de l'article 8, second alinéa, du règlement n_ 1600/92, le sucre blanc est à considérer comme un produit issu d'une transformation.

Sur la deuxième question

43 Nous en arrivons ainsi à la deuxième question, par laquelle la juridiction nationale nous demande si, au vu des données d'un tableau statistique figurant dans sa décision, il y a lieu de considérer qu'il est possible de faire état de courants d'échanges traditionnels de sucre blanc, au sens de l'article 3, paragraphe 3, second tiret, du règlement n_ 1600/92, d'exportations traditionnelles ou d'expéditions traditionnelles vers le reste de la Communauté, au sens de l'article 8, second alinéa, du
même règlement.

44 Remarquons, tout de suite, que le tableau en question ne renseigne que sur des ventes à destination du Portugal continental et de Madère, et que nous ne voyons donc pas comment nous pourrions nous prononcer sur l'existence d'exportations traditionnelles, entendues comme des ventes vers des pays tiers, lesquelles sont, d'ailleurs, totalement étrangères au litige à l'occasion duquel nous interroge la juridiction nationale.

45 Cette précision apportée, que nous indique ce tableau?

46 Disons, dès l'abord, qu'il n'est pas facile à exploiter. En effet, s'il remonte jusqu'à 1907 et englobe l'année 1992, il ne renseigne pas sur certaines années, par exemple de 1948 à 1961, de 1970 à 1974, 1982 et 1983 ou de 1986 à 1989.

47 Mais, même pour les années qu'il prend en compte, ce tableau manque de clarté dans la mesure où il comporte trois colonnes, intitulées respectivement «Madère», «Portugal continental», «Madère/Portugal continental», sans que soit précisé à quoi est relative la colonne Madère/Portugal continental.

48 On pourrait supposer que, pour chaque année, figure dans cette colonne le total de ce qui est inscrit dans les deux autres. Or, tel n'est manifestement pas le cas. En effet, alors que pour les années 1907 à 1947 des chiffres apparaissent dans la colonne Portugal continental, rien n'est, pour ces mêmes années, inscrit dans cette troisième colonne.

49 Peut-être faut-il alors considérer que cette colonne Madère/Portugal continental renseigne sur des ventes effectuées soit vers Madère, soit vers le Portugal continental, sans qu'ait pu être identifiée leur destination exacte. En effet, comme pour les années à propos desquelles cette colonne fait état de ventes rien n'apparaît dans les deux autres colonnes, on pourrait être porté à en conclure que pendant toute une période les autorités chargées de l'établissement des statistiques du commerce
açoréen se contentaient de prendre note des expéditions, sans se soucier de leur destination, ce qui laisse néanmoins quelque peu perplexe. Mais, même ainsi interprétée, cette colonne n'est pas véritablement exploitable pour déterminer s'il y a eu, et avec quel volume, des expéditions traditionnelles vers le reste de la Communauté au sens de l'article 8, second alinéa.

50 Quoi qu'il en soit, on doit constater que, si la colonne Portugal continental fait état de ventes régulières, encore que très variables en volume, entre 1907 et 1947, plus rien n'apparaît dans cette colonne pour les années postérieures, si ce n'est pour les années 1984 et 1985, durant lesquelles les ventes auraient porté, respectivement, sur 3 024 000 et 6 175 250 kg, ce qui n'est pas négligeable au regard des 10 000 tonnes que ne doit pas dépasser, en vertu du règlement n_ 1600/92, la production
de Sinaga.

51 Pour la colonne Madère, rien n'apparaît avant 1981. Pour cette année sont répertoriés 2 236 850 kg. Pour l'année 1990 il est fait état de 184 660 kg, pour 1991 de 258 700 kg et, enfin, pour 1992 de 30 000 kg.

52 La colonne Madère/Portugal continental fait état de ventes variant de 300 000 à 6 081 440 kg entre 1962 et 1970, ainsi que de ventes de 1 500 kg par an entre 1975 et 1979, ventes identifiées par la juridiction de renvoi comme correspondant en réalité à des cadeaux de Noël.

53 Au cours de la procédure écrite, il a été affirmé par RAR et la Commission que les chiffres des ventes vers le Portugal continental apparaissant subitement en 1984 et en 1985, après une interruption de celles-ci depuis 1948, correspondraient à une levée de l'interdiction des ventes de sucre des Açores vers le marché du Portugal continental, qu'aurait connue auparavant la législation portugaise.

54 À l'audience, Sinaga a nié l'existence d'une telle interdiction en affirmant que, pour les années en cause, est intervenue non pas la levée d'une interdiction mais la suppression d'une taxation à l'importation.

55 Mais quelle que soit la cause de l'interruption de ventes de 1948 à 1983, cette interruption n'est pas contestée, pas plus que ne l'est l'absence de toute vente vers le Portugal continental à partir de 1986.

56 Si, comme le suggère pertinemment la Commission, la notion de tradition doit être comprise au sens d'actions répétées dans le temps ou dans le passé, comportant une idée de continuité et de régularité dans le temps, il nous paraît bien difficile de considérer que le tableau présenté par la juridiction nationale permet d'identifier des courants d'échanges traditionnels.

57 Deux années comportant des expéditions clairement identifiées vers le Portugal continental pour l'ensemble de la période allant de 1948 à 1992 peuvent difficilement être considérées comme l'expression d'une tradition. Il en va de même, s'agissant des expéditions incontestablement dirigées vers Madère, où, sur la période allant de 1907 à 1992, des exportations sont relevées pour quatre années, dont seules trois sont consécutives (avec des volumes allant de 30 000 à 258 700 kg).

58 À la vérité, plutôt que de courants d'échanges traditionnels, il s'agit d'échanges épisodiques, puisque font défaut tant la constance que la régularité. On parviendrait à la même conclusion si l'on se ralliait au point de vue de RAR, selon laquelle, pour que l'on puisse parler de courants d'échanges traditionnels au sens du règlement n_ 1600/92, il faudrait constater que des échanges ont eu lieu durant les cinq ou éventuellement les trois années précédant l'entrée en vigueur dudit règlement.

59 Ce seraient, en effet, de telles périodes qui seraient traditionnellement prises en compte en matière de politique agricole commune lorsqu'il s'agit d'attribuer des quotas ou des contingents à des opérateurs dont on entend éviter que leur accès au marché ne soit remis en cause par leur soumission à des règles communautaires qui, auparavant, ne leur étaient pas applicables.

60 Ce serait, en particulier, sur de telles bases qu'auraient été attribués les quotas de production de sucre au moment de l'adhésion de nouveaux États membres.

61 Cette approche nous semble raisonnable en ce sens que, lorsque le législateur communautaire a entendu réserver les courants d'échanges traditionnels, ce n'est pas dans le but de reconnaître des droits historiques, que pourraient attester des expéditions s'étalant de 1907 à 1947, mais beaucoup plus prosaïquement, comme le souligne la Commission, pour éviter d'ôter d'une main aux producteurs des Açores ce qui leur était consenti de l'autre, ou, si l'on préfère, pour que la mise en place du régime
spécifique d'approvisionnement, conçu dans l'intérêt de l'archipel, ne se retourne pas contre celui-ci du fait de la perte de marchés sur lesquels s'écoulaient régulièrement ses productions avant la mise en oeuvre du programme Poséima, étant entendu que le régime spécifique d'approvisionnement ne devait pas non plus perturber le fonctionnement du marché communautaire, en ouvrant aux producteurs açoréens des marchés qu'ils auraient abordés avec un avantage concurrentiel indéniable.

62 Ce que vise le règlement n_ 1600/92, c'est le maintien du statu quo, lequel ne comporte manifestement pas, au vu du tableau que nous examinons, une expédition traditionnelle de sucre blanc vers le Portugal continental.

63 Cette absence de courants d'échanges traditionnels avec le reste de la Communauté dans le cas particulier du sucre blanc n'est pas en contradiction avec la reconnaissance, par l'article 3, paragraphe 3, second tiret, du règlement n_ 1600/92, de la nécessité de tenir compte desdits courants.

64 Cette disposition vise, rappelons-le, tous les produits bénéficiant du régime spécifique d'approvisionnement, et non le seul sucre, de sorte que la conclusion à laquelle nous sommes parvenu concernant ce dernier n'a nullement pour conséquence de la priver de tout effet utile.

65 Elle peut, en effet, s'appliquer à d'autres produits, pour lesquels pourraient effectivement être identifiés des courants d'échanges traditionnels.

66 Nous ne pouvons cependant pas souscrire, il nous semble utile de le mentionner, même si cela n'a pas de conséquences pratiques quant à la solution de l'affaire dont est saisie la juridiction nationale, à la thèse de RAR, suivant laquelle le paragraphe 3 de l'article 3 ne s'appliquerait pas au sucre, lequel relèverait du seul paragraphe 4 du même article.

67 En effet, lorsque le paragraphe 3 énonce des dispositions «sans préjudice du paragraphe 4», il n'entend nullement soustraire le sucre à son application, il entend uniquement indiquer que, pour le sucre, l'évaluation des besoins en matière d'approvisionnement doit, d'une part, s'opérer non seulement au vu des besoins des régions concernées et des courants d'échanges traditionnels, mais aussi au vu de la production locale de betteraves, et, d'autre part, s'inscrire dans une limite de 10 000 tonnes
de sucre raffiné par an aux Açores.

68 L'interprétation de RAR méconnait tant le sens ordinaire de l'expression «sans préjudice» que la logique suivant laquelle s'articulent les paragraphes 3 et 4.

69 L'évaluation des besoins d'approvisionnement en sucre brut ne peut pas se faire uniquement à partir de la production locale de betteraves à sucre, car cela reviendrait à prétendre, curieusement, évaluer la demande à partir de l'offre. Elle doit nécessairement prendre en compte, comme le prévoit le paragraphe 3, les besoins spécifiques des régions concernées en matière de consommation, la betterave à sucre locale étant prise en compte parce qu'elle permet de satisfaire à une partie de ces besoins.

70 Le sucre brut importé doit permettre de combler le déficit en sucre blanc que fait apparaître une comparaison entre la consommation et l'approvisionnement assuré à travers le raffinage des betteraves récoltées sur place.

71 Pour toutes ces raisons, nous vous proposons de répondre par la négative à la deuxième question.

Sur la quatrième question

72 Nous passerons maintenant immédiatement à l'examen de la quatrième question, car celle-ci, bien qu'elle soit posée «indépendamment de la réponse aux questions précédentes», trouve sa réponse dans les constatations que nous venons d'opérer quant à la deuxième question.

73 Rappelons, en effet, que l'article 8 du règlement n_ 1600/92 pose, dans son premier alinéa, une interdiction absolue de réexpédition ou de réexportation des produits importés aux Açores au titre du régime spécifique d'approvisionnement. Celle-ci ne connaît qu'une exception, celle qu'énonce le deuxième alinéa, en vertu duquel, «en cas de transformation des produits en cause dans les régions des Açores et de Madère, l'interdiction ne s'applique ni aux exportations traditionnelles ni aux expéditions
traditionnelles vers le reste de la Communauté». Il découle, dès lors, nécessairement de la constatation que nous venons d'opérer quant à l'absence de courants d'échanges traditionnels de sucre blanc vers le Portugal continental que Sinaga ne peut vendre dans la partie continentale de ce dernier du sucre qu'elle a produit à partir du sucre brut acquis en exemption de prélèvement au titre du programme Poséima.

74 L'article 8 ne comporte en effet pas la moindre équivoque ou ambiguïté à partir de laquelle pourrait naître un doute quant au caractère absolu des interdictions qu'il édicte.

75 Cela n'a, cependant, pas empêché Sinaga de soutenir, au point 82 de ses observations, que «le cadre juridique existant, qu'on le considère du point de vue de la lettre des dispositions applicables ou de l'économie du système n'est compatible qu'avec une interprétation qui fonde le droit de Sinaga de vendre au Portugal continental le sucre qu'elle a produit à partir du sucre brut importé au titre du régime spécifique d'approvisionnement, cette commercialisation pouvant relever de la disposition
applicable `aux expéditions traditionnelles vers le reste de la Communauté'».

76 Sinaga va même jusqu'à affirmer, au point 72 de ses observations, que «la simple existence dans le passé d'opérations de vente de sucre vers le Portugal continental à partir des Açores doit être considérée comme suffisante pour invoquer l'exception à l'interdiction de commercialisation en dehors du marché açoréen». Ceci, sauf erreur de notre part, signifierait que des «opérations de vente de sucre vers le Portugal continental» suffiraient à prouver l'existence de courants d'échanges traditionnels
et que la référence faite par le législateur communautaire à cette existence n'emporterait aucune conséquence en termes de restriction des volumes pouvant être expédiés. Un tel raisonnement n'est manifestement pas acceptable car il enlève toute portée concrète au terme «traditionnels».

77 On remarquera, d'ailleurs, que le gouvernement portugais, qui, sur les autres questions, partage les analyses de Sinaga, se limite, s'agissant de cette quatrième question, à affirmer, au point 57 de ses observations, que «la République portugaise estime que l'industrie sucrière açoréenne a le droit de vendre le sucre produit à partir du sucre brut importé en exemption de prélèvement dans la partie continentale du Portugal dans les conditions définies à l'article 8, second alinéa, du règlement n_
1600/92».

78 Pour nous, répétons-le encore une fois, l'exception prévue par le législateur communautaire en faveur des courants d'échanges traditionnels vise à préserver le statu quo et rien de plus, de sorte que, dans l'hypothèse où auraient existé de tels courants, les quantités de sucre blanc produites à partir du sucre brut acquis dans le cadre du régime spécifique d'approvisionnement et pouvant être exportées ou expédiées vers le Portugal continental n'auraient, en aucune manière, pu excéder celles
correspondant auxdits courants.

79 À partir du moment où, en réponse à la deuxième question, nous avons estimé qu'il n'est pas possible de constater l'existence de tels courants s'agissant du sucre blanc, nous ne pouvons que constater que, l'expédition vers le Portugal continental de sucre blanc produit aux Açores par Sinaga à partir de sucre brut importé au titre du régime spécifique d'approvisionnement se heurte à une interdiction absolue.

Sur la troisième question

80 Il nous reste à examiner la troisième question, qui n'est pas sans poser des problèmes délicats. Comme le font remarquer Sinaga, le gouvernement portugais et la Commission, l'article 25 du règlement n_ 1600/92 n'assortit l'octroi d'une aide forfaitaire à l'hectare pour les cultures de betteraves à sucre et d'une aide spécifique à la transformation en sucre blanc des betteraves récoltées aux Açores d'aucune interdiction d'exporter ou d'expédier vers le Portugal continental le sucre blanc produit
aux Açores à partir des betteraves locales.

81 Par ailleurs, comme l'article 25 figure dans le titre II, intitulé «Mesures en faveur des productions des Açores et de Madère», on ne saurait soutenir que l'interdiction énoncée à l'article 8, qui lui-même figure dans le titre I, intitulé «Régime spécifique d'approvisionnement», s'applique également ipso facto au sucre ayant bénéficié des mesures prévues à l'article 25.

82 Rien ne permet, non plus, d'affirmer que, en règle générale, dans le cadre de la politique agricole commune, le fait qu'un produit ait bénéficié d'une aide entraînerait une interdiction de le commercialiser hors de sa zone de production.

83 Il est, enfin, vrai que le principe de libre circulation des marchandises constitue l'un des piliers du marché commun. Faut-il alors, au vu de ces éléments convergents, donner raison à Sinaga, au gouvernement portugais et à la Commission lorsqu'ils affirment que le sucre blanc ayant bénéficié des aides prévues à l'article 25 du règlement n_ 1600/92 peut être expédié sans restriction aucune vers le Portugal continental?

84 Nous ne le pensons pas. En accord avec RAR, nous estimons qu'une telle liberté de commercialiser dans la partie continentale du Portugal ruinerait la cohérence du programme Poséima.

85 En effet, s'il est vrai que le règlement n_ 1600/92 ne contient aucune disposition édictant une interdiction de commercialiser hors des Açores le sucre blanc ayant bénéficié d'aides au titre de son article 25, il n'en demeure pas moins qu'une telle interdiction peut se déduire de la décision 91/315, c'est-à-dire du programme Poséima lui-même, et plus particulièrement du point 9.2 de son annexe.

86 Cette disposition énonce, en effet, que, s'agissant de l'approvisionnement des Açores en sucre brut, le système du régime spécifique d'approvisionnement «sera applicable jusqu'au moment où le développement de la production locale de betteraves à sucre permettra de satisfaire les besoins des marchés des Açores et de façon à ce que le volume total de sucre raffiné aux Açores ne dépasse pas 10 000 tonnes».

87 Ceci signifie très clairement que le régime spécifique d'approvisionnement est, dès le départ, conçu comme provisoire et vise à pallier la faiblesse, au regard des besoins locaux, de la production de betteraves à sucre aux Açores, production dont l'accroissement devrait précisément résulter de l'aide à la production et à la transformation en sucre blanc prévue au point 14.4 de la même annexe.

88 Le programme Poséima vise, en fait, à assurer prioritairement l'autosuffisance des Açores, quitte à ce que celle-ci repose sur un certain degré d'aides en provenance du budget communautaire, mais des aides profitant dans la durée aux productions agricoles locales plutôt que des aides à l'importation pour des produits transformés ou semi-transformés importés en provenance du reste de la Communauté.

89 À consommation locale constante, les quantités de sucre brut pouvant bénéficier du régime spécifique d'approvisionnement ont donc vocation à diminuer au fur et à mesure de l'augmentation de la production de sucre produit à partir des betteraves récoltées aux Açores. Cette diminution est au coeur même de l'ensemble du système mis en place s'agissant de l'approvisionnement du marché açoréen en sucre.

90 Autoriser la soustraction du marché local açoréen du sucre produit à partir des betteraves récoltées localement reviendrait à transformer la diminution voulue des quantités de sucre brut bénéficiant du régime spécifique d'approvisionnement en opération de remplissage du tonneau des Danaïdes, c'est-à-dire en une opération vouée, dès le départ, à l'échec.

91 En effet, il est évident que, si Sinaga avait la possibilité d'expédier hors des Açores, avec un avantage concurrentiel certain, le sucre ayant bénéficié des aides prévues à l'article 25, elle ne manquerait pas de le faire. Ceci aurait pour conséquence que, lors de l'établissement annuel du bilan d'approvisionnement, les autorités compétentes seraient forcées de constater que le maintien, voire l'accroissement, des quantités de sucre bénéficiant du régime spécifique d'approvisionnement est
indispensable pour approvisionner le marché local açoréen dans les conditions voulues par le programme Poséima pour les consommateurs açoréens.

92 En fait, c'est à une véritable perversion du système que l'on aboutirait immanquablement, et ceci nous semble devoir être résolument empêché.

93 Reste à savoir comment y parvenir, c'est-à-dire comment faire en sorte que Sinaga ait à respecter, au titre des règles de droit communautaire régissant ses activités, une interdiction d'exporter ou d'expédier le sucre ayant bénéficié des aides prévues à l'article 25 du règlement n_ 1600/92.

94 Pour notre part, nous ne voyons que deux possibilités. Soit la Cour estime que, bien que pareille interdiction ne figure explicitement nulle part dans le règlement n_ 1600/92, l'interprétation de ce dernier en fonction de ce que prévoit la décision 91/315, qui en constitue la base juridique, conduit, néanmoins, à la conclusion qu'il comporte nécessairement, même si ce n'est qu'en filigrane, ladite interdiction.

95 Cette solution présenterait, il ne faut pas se le dissimuler, l'inconvénient d'obliger la Cour à s'engager sur le terrain d'une interprétation prêtant le flanc à une critique qu'elle ne souhaite vraisemblablement pas encourir.

96 Cette critique porterait sur le fait que, alors qu'elle a toujours proclamé le caractère fondamental du principe de libre circulation des marchandises, et considéré que les exceptions à ce principe doivent recevoir une interprétation restrictive, la Cour innoverait subitement, en mettant à jour des restrictions implicites, ou en tout cas non écrites, audit principe.

97 L'éventualité, pour ne pas dire la probabilité, de cette critique ne nous apparaît, cependant, pas comme devant constituer un obstacle insurmontable, dans la mesure où, si elle n'est pas inscrite dans le règlement n_ 1600/92, l'interdiction se déduit cependant, sans aucune manipulation des textes, de l'annexe de la décision 91/315.

98 Soit la Cour, plutôt que d'interpréter le règlement de manière à ce qu'il n'apparaisse pas incohérent par rapport à la décision, prend acte de l'incohérence que constitue l'absence d'interdiction dans ce règlement d'une quelconque interdiction de commercialiser ailleurs que sur le marché açoréen le sucre ayant bénéficié des aides prévues à son article 25 et, se plaçant sur le terrain de la validité, juge que cette absence d'interdiction constitue une violation du point 9.2 de l'annexe de la
décision 91/315.

99 Ce passage de l'interprétation à l'appréciation de validité, sur lequel l'attention a été attirée lors de la procédure orale, peut se prévaloir de précédents dans la jurisprudence de la Cour (7). Il aurait l'avantage, outre d'éviter l'inconvénient évoqué ci-dessus, de s'inscrire dans la ligne jurisprudentielle très claire du respect par un texte d'application des limites tracées par le texte en constituant la base juridique.

100 Quelle que soit la voie que vous choisirez, nous ne voyons pas comment vous pourriez échapper à la constatation que le sucre blanc ayant bénéficié de l'aide à la transformation des betteraves à sucre récoltées aux Açores ne peut être commercialisé hors du marché local des Açores.

Conclusions

101 De tout ce qui précède, il résulte que nous proposons à la Cour de répondre de la manière suivante aux questions de la juridiction de renvoi:

«1) Pour l'application de l'article 8, second alinéa, du règlement (CEE) n_ 1600/92 du Conseil, du 15 juin 1992, relatif à des mesures spécifiques concernant certains produits agricoles en faveur des Açores et de Madère, le sucre blanc obtenu à partir du sucre brut importé est à considérer comme un produit issu d'une transformation.

2) Les données communiquées par la juridiction de renvoi ne font pas apparaître l'existence de courants d'échanges traditionnels ou d'expéditions traditionnelles vers le reste de la Communauté au sens des articles 3, paragraphe 3, second tiret, et 8, second alinéa, du règlement n_ 1600/92.

3) Le sucre blanc produit aux Açores à partir de betteraves récoltées aux Açores et ayant bénéficié des aides prévues à l'article 25 du règlement n_ 1600/92 ne peut être commercialisé en dehors du marché local açoréen.

4) Le sucre blanc produit aux Açores à partir de sucre brut importé dans le cadre du régime spécifique d'approvisionnement institué par le titre I du règlement n_ 1600/92 ne peut être expédié vers le Portugal continental, faute d'expéditions traditionnelles au sens de l'article 8, second alinéa, dudit règlement.»

(1) - Règlement (CEE) n_ 724/75 du Conseil, du 18 mars 1975 (JO L 73, p. 1).

(2) - JO L 399, p. 39.

(3) - JO L 171, p. 10.

(4) - JO 1985, L 302, p. 23.

(5) - JO L 173, p. 1.

(6) - JO L 177, p. 4.

(7) - Voir, notamment, arrêts du 1er décembre 1965, Schwarze (16/65, Rec. p. 1081), et du 15 octobre 1980, Roquette Frères (145/79, Rec. p. 2917).


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-282/00
Date de la décision : 16/05/2002
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Tribunal Judicial da Comarca de Ponta Delgada - Portugal.

Sucre - Décision 91/315/CEE - Programme Poséima - Mesures spécifiques en faveur des Açores et de Madère - Règlement (CEE) nº 1600/92 - Expédition vers le reste de la Communauté de sucre blanc produit aux Açores à partir de betteraves récoltées sur place ou à partir de sucre brut de betterave importé en exonération de prélèvement et/ou de droit de douane - Notion de 'transformation de produits' - Notion d''expéditions traditionnelles vers le reste de la Communauté'.

Agriculture et Pêche

Sucre

Structures agricoles


Parties
Demandeurs : Refinarias de Açúcar Reunidas SA (RAR)
Défendeurs : Sociedade de Indústrias Agricolas Açoreanas SA (Sinaga).

Composition du Tribunal
Avocat général : Mischo
Rapporteur ?: von Bahr

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2002:299

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