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21/03/2002 | CJUE | N°C-395/00

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 21 mars 2002., Distillerie Fratelli Cipriani SpA contre Ministero delle Finanze., 21/03/2002, C-395/00


Avis juridique important

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62000C0395

Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 21 mars 2002. - Distillerie Fratelli Cipriani SpA contre Ministero delle Finanze. - Demande de décision préjudicielle: Tribunale di Trento - Italie. - Directive 92/12/CEE - Article 20 - Exportation dans des pays tiers de produ

its en régime suspensif - Produits devant être considérés comme n'étant...

Avis juridique important

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62000C0395

Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 21 mars 2002. - Distillerie Fratelli Cipriani SpA contre Ministero delle Finanze. - Demande de décision préjudicielle: Tribunale di Trento - Italie. - Directive 92/12/CEE - Article 20 - Exportation dans des pays tiers de produits en régime suspensif - Produits devant être considérés comme n'étant pas arrivés à destination en raison de la falsification du document d'accompagnement - Lieu de l'infraction ou de l'irrégularité inconnu - Détermination
de l'État membre d'exigibilité du droit. - Affaire C-395/00.
Recueil de jurisprudence 2002 page I-11877

Conclusions de l'avocat général

Introduction

1. La Cour a été saisie par le Tribunale di Trento (Italie) d'un renvoi préjudiciel concernant des produits alcooliques ayant circulé sous le régime de la suspension des droits d'accise.

Les dispositions communautaires applicables

2. Conformément à l'article 3, paragraphe 1, de la directive 92/12/CEE du Conseil, du 25 février 1992, relative au régime général, à la détention, à la circulation et aux contrôles des produits soumis à accise (ci-après la «directive»), celle-ci est applicable à l'alcool et aux boissons alcooliques.

3. En vertu de l'article 4, sous a), de la directive, on entend par «entrepositaire agréé» la personne physique ou morale autorisée par les autorités compétentes d'un État membre, dans l'exercice de sa profession, à produire, transformer, détenir, recevoir et expédier des produits soumis à accise en suspension de droits d'accises dans un entrepôt fiscal. Selon l'article 4, sous c), on entend par «régime suspensif» le régime fiscal applicable à la production, à la transformation, à la détention et à
la circulation des produits en suspension de droits d'accises.

4. Aux termes de l'article 15, paragraphe 3, de la directive:

«Les risques inhérents à la circulation intracommunautaire sont couverts par la garantie constituée par l'entrepositaire agréé expéditeur telle que prévue à l'article 13 ou, le cas échéant, par une garantie solidaire entre l'expéditeur et le transporteur. Le cas échéant, les États membres peuvent exiger une garantie auprès du destinataire. Les modalités de la garantie sont fixées par les États membres. La garantie doit être valable dans toute la Communauté.»

5. En vertu de l'article 18, paragraphe 1, de la directive, nonobstant l'utilisation éventuelle de procédures informatisées, tout produit soumis à accise, circulant en régime de suspension entre les territoires des différents États membres, est accompagné d'un document établi par l'expéditeur. Ce document peut être soit un document administratif, soit un document commercial. La forme et le contenu de ce document sont définis selon la procédure prévue à l'article 24 de la directive.

6. L'article 19, paragraphe 4, de la directive prévoit que, «[l]orsque les produits soumis à accise qui circulent sous le régime suspensif tel que défini à l'article 4 point c) sont exportés, ce régime est apuré par la certification établie par le bureau de douane de sortie de la Communauté que les produits ont bien quitté la Communauté. Ce bureau doit renvoyer à l'expéditeur l'exemplaire certifié du document d'accompagnement qui lui est destiné». Conformément au paragraphe 5 du même article, «[e]n
cas de défaut d'apurement, l'expéditeur est tenu d'en informer les autorités fiscales de son État membre dans un délai à fixer par lesdites autorités fiscales. Ce délai ne peut néanmoins excéder trois mois après la date d'expédition des marchandises».

7. L'article 20 de la directive est rédigé comme suit:

«1. Lorsqu'une irrégularité ou une infraction a été commise en cours de circulation entraînant l'exigibilité de l'accise, l'accise est due dans l'État membre où l'irrégularité ou l'infraction a été commise, auprès de la personne physique ou morale qui a garanti le paiement des droits d'accises conformément à l'article 15 paragraphe 3, sans préjudice de l'exercice des actions pénales.

Lorsque le recouvrement de l'accise s'effectue dans un État membre autre que celui de départ, l'État membre qui procède au recouvrement informe les autorités compétentes du pays de départ.

2. Lorsque, en cours de circulation, une infraction ou une irrégularité a été constatée sans qu'il soit possible d'établir le lieu où elle a été commise, elle est réputée avoir été commise dans l'État membre où elle a été constatée.

3. Sans préjudice de l'article 6, paragraphe 2, lorsque les produits soumis à accise n'arrivent pas à destination et lorsqu'il n'est pas possible d'établir le lieu de l'infraction ou de l'irrégularité, cette infraction ou cette irrégularité est réputée avoir été commise dans l'État membre de départ qui procède au recouvrement des droits d'accises au taux en vigueur à la date d'expédition des produits, à moins que dans un délai de quatre mois à partir de la date d'expédition des produits, la preuve
ne soit apportée, à la satisfaction des autorités compétentes, de la régularité de l'opération ou du lieu où l'infraction ou l'irrégularité a été effectivement commise.

4. Si, avant l'expiration d'un délai de trois ans à compter de la date d'établissement du document d'accompagnement, l'État membre où l'infraction ou l'irrégularité a effectivement été commise vient à être déterminé, cet État procède au recouvrement de l'accise au taux en vigueur à la date d'expédition des marchandises. Dans ce cas, dès que la preuve de ce recouvrement est fournie, l'accise initialement perçue est remboursée.»

Le litige au principal et les questions préjudicielles

8. La société Distillerie Fratelli Cipriani SpA (ci-après «Cipriani») exerce des activités de distillerie d'alcool depuis plusieurs années. En tant qu'entrepositaire agréé expéditeur visé à l'article 15, paragraphe 3, de la directive, Cipriani a effectué, entre décembre 1996 et novembre 1997, différentes opérations impliquant la circulation en régime de suspension de droits d'accises de produits alcooliques destinés à l'exportation vers des pays extracommunautaires en passant par un ou plusieurs
États membres. Ces produits étaient assortis du document administratif d'accompagnement (ci-après le «DAA») prévu par la directive.

9. L'autorité fiscale italienne a demandé aux autorités allemandes une expertise d'un certain nombre de DAA dans le cadre de la coopération administrative dans le secteur des accises. À la suite des vérifications entreprises, il s'est avéré que l'empreinte du timbre apposé sur ces DAA pour attester la sortie de la marchandise du territoire de la Communauté avait été falsifiée. Ce fait étant constitutif d'une irrégularité au sens des dispositions nationales applicables, par avis notifié le 16 mars
1998, l'Ufficio Tecnico di Finanza di Trento a demandé à Cipriani de s'acquitter de la somme de 6 448 573 296 ITL, à titre d'accise (au taux en vigueur à la date de l'expédition des produits) relative à vingt envois d'alcool neutre de mélasse circulant en régime suspensif. Pour les mêmes raisons, le 6 avril 1998, deux autres avis ont été notifiés à Cipriani lui demandant respectivement le paiement des sommes de 19 044 116 432 ITL et 947 034 352 ITL, relatives à soixante-deux envois supplémentaires
d'alcool neutre de mélasse.

10. Il ressort du dossier que ce n'était que postérieurement à la notification des avis de paiement des droits d'accises par l'administration fiscale italienne que Cipriani a pris connaissance de la falsification de l'empreinte apposée sur les DAA. Cette notification est intervenue après la forclusion du délai de quatre mois courant à partir de la date d'expédition, fixé à l'article 20, paragraphe 3, de la directive.

11. Cipriani a saisi la juridiction de renvoi d'une action visant à contester, en premier lieu, l'exigibilité des droits d'accises au motif que la mise à la consommation des produits sur le territoire de l'État membre de départ (en l'espèce, l'Italie) n'était pas établie, en second lieu, l'applicabilité de la disposition nationale mettant en oeuvre l'article 20 de la directive au motif que les droits d'accise peuvent uniquement être exigés lorsque l'irrégularité ou l'infraction peut être imputée et,
en troisième lieu, la compétence de l'administration italienne de procéder au recouvrement, étant donné qu'elle n'avait pas fourni la preuve qu'elle avait vérifié, avec un résultat négatif, la destination effective des produits. Cipriani a également contesté, pour les mêmes raisons, les deux avis de paiement notifiés en avril 1998.

12. Le Ministero delle Finanze a soutenu, d'une part, que la falsification des DAA équivalait à la mise des produits à la consommation sur le territoire de l'État et qu'il s'agissait donc d'une sortie irrégulière du régime de suspension, de sorte que l'accise devient exigible. D'autre part, il a fait valoir que l'obligation de paiement de l'accise pesait sur Cipriani, en sa qualité d'expéditeur garant et que la République italienne avait le pouvoir d'exiger le paiement. En outre, le Ministero delle
Finanze a soutenu que la charge de la preuve de la régularité de l'opération ou du lieu de la mise à la consommation pesait sur l'expéditeur et fondait la compétence des autorités italiennes à recouvrer l'accise, en tant qu'État membre de départ et celui dans lequel l'irrégularité ou l'infraction a été établie à l'échéance du délai de quatre mois. Une fois passé ce délai, l'expéditeur ne pourrait plus fournir ladite preuve pour contester la compétence de l'État de percevoir l'accise.

13. Considérant que la solution du litige dont elle était saisie exigeait l'interprétation de la directive, la juridiction de renvoi a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1) L'article 20, paragraphe 3, de la directive 92/12/CEE du Conseil, du 25 février 1992, doit-il être interprété en ce sens - dans le cas de la circulation de produits en régime suspensif au sens de l'article 4, sous c), de la même directive, destinés à l'exportation via un ou plusieurs États membres mais non arrivés à destination, et de l'impossibilité d'établir le lieu où l'irrégularité ou l'infraction a été commise - que l'État membre de départ peut uniquement procéder au recouvrement des droits
d'accises sis l'opérateur qui a garanti le paiement a été mis en mesure en temps opportun de savoir que l'apurement du régime suspensif n'a pas eu lieu, de façon à fournir dans le délai de quatre mois de la date d'expédition des produits la preuve, à la satisfaction de l'autorité, de la régularité de l'opération ou du lieu où l'irrégularité ou l'infraction a effectivement été commise?

2) S'il faut répondre par l'affirmative à la première question, la même interprétation s'applique-t-elle aussi, lorsque l'État membre de départ est le même que l'État membre dans lequel l'infraction ou l'irrégularité a été constatée, ou bien la présomption visée à l'article 20, paragraphe 2 de la directive s'applique-t-elle dans ce cas, en présence de la même hypothèse; dans cette dernière éventualité, la preuve de la régularité de l'opération ou du lieu où l'irrégularité ou l'infraction a
effectivement été commise est-elle permise et cette preuve est-elle soumise ou non au délai prévu au paragraphe 3?

3) S'il faut répondre par la négative à la première question, l'article 20, paragraphe 3, de la directive 92/12/CEE du Conseil, du 25 février 1992, doit-il être interprété en ce sens, dans la même hypothèse, que l'opérateur qui a garanti le paiement des droits d'accises, qui n'a pas été mis en mesure en temps opportun de savoir que l'apurement du régime suspensif n'a pas eu lieu, peut fournir la preuve de la régularité de l'opération ou du lieu où l'irrégularité ou l'infraction a effectivement été
commise, même lorsque le délai de quatre mois à compter de la date d'expédition des produits est dépassé?»

Appréciation

Quant à la première question

14. Par sa première question, la juridiction de renvoi vise, en substance, à savoir si, lorsque l'opération n'a pas été menée à bonne fin, l'autorité compétente qui est habilitée à procéder au recouvrement des droits d'accises doit avertir au préalable l'expéditeur du fait que l'apurement du régime suspensif n'a pas eu lieu, afin que celui-ci puisse fournir, dans le délai de quatre mois fixé à l'article 20, paragraphe 3, de la directive, la preuve de la régularité de l'opération ou du lieu où
l'infraction a été effectivement commise.

15. Cipriani estime qu'un tel avertissement doit être envoyé à l'expéditeur et s'appuie, à cet égard, sur l'arrêt Lensing & Brockhausen dans lequel la Cour a interprété les dispositions applicables en matière de transit communautaire lorsque les marchandises ne sont pas présentées au bureau de destination. En effet, comme la Commission, Cipriani insiste sur l'analogie entre le régime du transit communautaire et celui de la circulation des marchandises en régime suspensif des droits d'accises.

16. Or, dans cet arrêt, la Cour a jugé que la réglementation applicable au transit communautaire devait être interprétée en ce sens que l'État membre dont dépend le bureau de départ ne peut procéder au recouvrement des droits à l'importation que s'il a indiqué au principal obligé que celui-ci disposait d'un délai de trois mois pour apporter la preuve de la régularité de l'opération de transit ou du lieu où l'infraction ou l'irrégularité a été effectivement commise.

17. Tant Cipriani que la Commission font valoir que ce principe devrait être étendu au régime suspensif des droits d'accises, compte tenu des analogies que celui-ci présente avec le régime du transit communautaire.

18. Force est toutefois d'observer que ce dernier présente deux différences importantes par rapport à la directive relative aux accises.

19. En premier lieu, le régime du transit communautaire prévoit que, lorsqu'un envoi n'a pas été présenté au bureau de destination, ce bureau avertit le bureau de départ. Il appartient alors à celui-ci de donner notification de ce fait au principal obligé.

20. L'article 19, paragraphe 4, de la directive prévoit, au contraire, que le bureau de douane de sortie de la Communauté doit renvoyer l'exemplaire certifié du DAA directement à l'expéditeur et non au bureau compétent de l'État membre de départ.

21. Ce renvoi doit se faire au plus tard dans les quinze jours qui suivent le mois de la réception du DAA par le bureau de douane de sortie. S'il n'est pas opéré dans ce délai - ce qui signifie que l'opération n'a pas été apurée - c'est l'expéditeur qui est tenu d'en aviser les autorités fiscales de son État membre dans un délai à fixer par lesdites autorités fiscales. En vertu de l'article 19, paragraphe 5, de la directive, ce délai ne peut excéder trois mois après la date d'expédition des
marchandises.

22. L'expéditeur est donc le premier informé du défaut d'apurement du régime suspensif des droits d'accises, et c'est lui qui doit transmettre cette information aux autorités fiscales compétentes de son État membre. La logique du système exclut, par conséquent, la nécessité d'un avertissement adressé par l'autorité fiscale compétente à l'opérateur économique.

23. En second lieu, dans le cadre du régime du transit communautaire, le texte pertinent, à savoir l'article 11 bis du règlement n° 1062/87, prévoit que, lorsque le bureau de départ notifie au principal obligé que l'envoi n'a pas été présenté au bureau de destination et que le lieu de l'infraction ou de l'irrégularité ne peut être établi, il doit en même temps indiquer le délai dans lequel la preuve de la régularité de l'opération de transit ou du lieu où l'infraction ou l'irrégularité a été
commise, peut être apportée à ce bureau de départ.

24. Comme la fixation d'un tel délai n'est pas prévue par le système instauré par la directive et qu'elle ne correspond pas à la logique de celui-ci, qui prévoit une liaison directe entre le bureau de sortie et l'expéditeur, l'autorité fiscale compétente de l'État membre de départ ne doit pas avertir l'expéditeur ni lui fixer un délai commençant à courir à partir de cet avertissement.

25. Mais cette règle peut-elle encore s'appliquer dans l'hypothèse visée par la première question du Tribunale, c'est-à-dire lorsque le mécanisme prévu n'a pas fonctionné correctement parce que l'exemplaire du DAA, renvoyé à l'expéditeur, avait fait l'objet d'une falsification et que l'expéditeur n'était pas en mesure de s'en apercevoir? Ceci nous amène à la troisième question, qui est à ce point liée à la première que nous préférons la traiter avant la deuxième et répondre conjointement aux
première et troisième questions.

Quant à la troisième question

26. Par cette question, la juridiction de renvoi vise, en substance, à savoir si le délai de quatre mois dans lequel un opérateur doit avoir fourni la preuve de la régularité de l'opération ou du lieu où l'irrégularité ou l'infraction a été commise peut être opposé à un opérateur qui n'a pas été informé, en temps opportun, qu'un apurement régulier du régime suspensif n'avait pas eu lieu.

27. Il convient, à titre liminaire, de rappeler de nouveau que l'expéditeur est normalement informé de l'existence d'une infraction ou d'une irrégularité lorsque l'exemplaire du DAA qui lui est destiné ne lui est pas renvoyé par le bureau de douane de sortie.

28. Si le document ne lui parvient pas, il doit nécessairement conclure que les marchandises ne sont pas arrivées à destination et doit immédiatement s'efforcer de clarifier la situation. Puisqu'il est, dans cette hypothèse, avisé de l'existence probable de l'infraction dans le délai de quatre mois à partir de la date d'expédition, la directive prévoit qu'il doit aussi apporter la preuve de la régularité de l'opération ou du lieu où l'infraction ou l'irrégularité a été effectivement commise dans ce
délai.

29. Tout autre est cependant le cas d'espèce. En effet, l'opérateur concerné a reçu un DAA muni des timbres et signatures devant normalement y figurer. Il a donc pu supposer que tout était en règle et qu'il n'avait aucune initiative à prendre.

30. L'ordonnance de renvoi souligne, à cet égard, que Cipriani n'avait aucune raison de douter de l'authenticité du document. Elle conclut qu'il lui était objectivement impossible de se rendre compte de l'existence d'une irrégularité, à savoir la falsification de tampons figurant sur le DAA.

31. Il s'ensuit que, en l'espèce, l'opérateur n'a aucune responsabilité dans le fait que ce n'est qu'après l'expiration du délai de quatre mois qu'il a découvert l'existence d'une irrégularité, à la suite de l'envoi d'un avis de recouvrement de l'autorité nationale compétente, envoi qui n'a eu lieu qu'après l'expiration du délai.

32. On pourrait, certes, objecter ici que, selon la jurisprudence de la Cour relative aux droits de douane , c'est à l'opérateur économique, et non à la collectivité, qu'il appartient de supporter les conséquences d'éventuelles défaillances de ses cocontractants. Il en va, en outre, de même lorsque cet opérateur a été abusé par de faux certificats.

33. Force est, cependant, de souligner que cette jurisprudence concernait une question différente, à savoir celle de la possibilité pour ledit opérateur d'échapper au paiement des droits dans les circonstances décrites ci-dessus.

34. Or, ce qui est en cause ici, est la question de savoir si, dans une telle situation, l'opérateur économique conserve ses droits procéduraux élémentaires. La question de son obligation de payer ne se pose qu'ultérieurement. Il n'y a donc pas lieu d'étendre l'application de cette jurisprudence au cas d'espèce. En effet, le fait que l'opérateur continue, selon ces arrêts, à supporter le risque financier inhérent aux transactions en cause n'a aucune incidence sur le sort de ses droits procéduraux.

35. Je partage donc le point de vue exprimé tant par la Commission que par le gouvernement portugais et Cipriani, qui ont tous fait valoir qu'un délai qui a déjà expiré au moment où l'opérateur, dont la diligence et la bonne foi ne sont pas en cause, est informé de la survenance d'une irrégularité ou d'une infraction ne saurait que difficilement être qualifié de raisonnable.

36. Il ressort, en effet, d'une jurisprudence constante que le principe fondamental du respect des droits de la défense exige, même en l'absence de règles procédurales spécifiques, qu'une personne à l'encontre de laquelle doit être prise une mesure lui portant préjudice doit avoir été mise en mesure de faire valoir utilement son point de vue .

37. Tel est, comme le souligne à juste titre la Commission, également le cas si la mesure en cause est prise par une autorité nationale mettant en oeuvre, dans le cadre d'une compétence liée, le droit communautaire.

38. Il s'ensuit que, dans l'hypothèse où il était objectivement impossible à l'opérateur garant du paiement des accises de se rendre compte, en temps utile, de l'existence d'une irrégularité ou d'une infraction présumée, on ne saurait lui opposer le délai prévu à l'article 20, paragraphe 3, de la directive.

39. Il en découle qu'un tel opérateur doit disposer d'un nouveau délai qui commencera à courir à partir du moment où l'autorité fiscale l'aura informé officiellement de ce que l'apurement du régime suspensif n'a pas été effectué régulièrement.

40. À cet égard, il est à souligner, avec la Commission, que ce n'est pas l'existence même d'un délai qui pose problème. En effet, tant l'efficacité du droit fiscal que la sécurité juridique exigent que, après un délai raisonnable, l'opérateur qui n'a pas réussi à apporter la preuve requise par la réglementation ne soit plus en droit de s'opposer au paiement des accises. En effet, dans le cas contraire, la perception de celles-ci deviendrait illusoire.

41. Ce n'est, d'ailleurs, pas non plus la longueur du délai qui constitue l'origine de la difficulté. En effet, ainsi qu'il a été exposé ci-dessus et comme le souligne, d'ailleurs, la Commission, en d'autres circonstances, le fait de disposer de quatre mois afin d'apporter la preuve requise n'est pas déraisonnable, même s'il convient d'observer, à cet égard, que, en pratique, un opérateur disposera d'une période plus courte puisqu'il lui faut laisser s'écouler le temps durant lequel les produits
sont transportés jusqu'au destinataire et tenir compte du fait que la directive laisse à celui-ci un certain délai pour renvoyer le DAA.

42. Il s'ensuit que le véritable problème que pose l'article 20, paragraphe 3, de la directive est le dies a quo du délai de quatre mois.

43. La Commission estime pouvoir y apporter une solution par le biais d'une interprétation de la directive. En d'autres termes, il n'y aurait pas lieu de considérer celle-ci comme invalide mais uniquement, en quelque sorte, incomplète et donc susceptible d'être interprétée en un sens conforme au principe fondamental du respect des droits de la défense.

44. Dans ce contexte, elle invoque deux arguments.

45. La Commission souligne, en premier lieu, que l'application littérale de la directive entraîne l'imposition d'un délai qui, compte tenu des réalités de la vie des affaires, sera la plupart du temps expiré avant que l'opérateur n'ait eu la possibilité de s'en réclamer. Il s'ensuit qu'une telle interprétation remettrait en cause l'effet utile de l'article 20, paragraphe 3, de la directive.

46. Or, selon une jurisprudence constante, une des règles d'interprétation du droit communautaire est l'interprétation conforme à l'effet utile d'une norme. Il s'agirait donc de donner à celle-ci une interprétation de nature à sauvegarder son effet utile.

47. La Commission ajoute, en second lieu, qu'il est également de jurisprudence constante qu'une norme doit recevoir une interprétation de nature à la rendre compatible avec le traité et donc, a fortiori, avec les principes fondamentaux du droit communautaire, dont fait partie le respect des droits de la défense.

48. Ces arguments, pour séduisants qu'ils soient, ne sont cependant indiscutables qu'en apparence. En effet, ils nous indiquent clairement ce que l'on pourrait juger souhaitable mais pas nécessairement ce qui est possible.

49. Il ressort, en effet, de la jurisprudence de la Cour , à laquelle se réfère la Commission, qu'il convient de donner à une norme une interprétation conforme au principe de l'effet utile et aux droits fondamentaux, lorsque cela est possible.

50. En revanche, cette jurisprudence, qui concernait des cas dans lesquels la norme litigieuse n'était pas aussi claire qu'en l'espèce, ne nous indique pas quand il faut considérer que tel est le cas.

51. Or, l'argumentation de la Commission elle-même suscite le doute à cet égard.

52. La Commission se contredit, en effet, en faisant valoir que, dans un cas normal, rien ne s'oppose à l'application littérale de l'article 20, paragraphe 3, de la directive, tout en exposant, au titre de son argument tiré de l'effet utile, qu'une telle interprétation ferait que cette disposition resterait «lettre morte» dans de nombreux cas.

53. En tout état de cause, le fait que la réglementation puisse s'appliquer dans un certain nombre de cas ne me semble pas pertinent, quelle que soit par ailleurs l'ampleur de ce nombre. En effet, le fait que l'incompatibilité de la réglementation avec les droits fondamentaux soit due à son caractère simplement incomplet ou à une autre cause n'enlève rien à l'existence ni à la gravité de l'incompatibilité. La portée de celle-ci est indépendante de la question de savoir si la violation des droits
fondamentaux est le résultat de ce qui figure dans le texte ou de ce qui n'y figure pas.

54. Une violation grave des droits fondamentaux peut ainsi parfaitement être le résultat du fait que le législateur a simplement omis de prévoir un cas de figure, fût-il peu fréquent. La Cour a ainsi déjà jugé une disposition invalide du fait de ce qu'elle ne prévoyait pas, plutôt que d'une partie quelconque de son texte .

55. Il convient de souligner, en outre, que la solution proposée par la Commission sur le fondement des arguments analysés ci-dessus est loin d'être au-dessus de toute critique au regard du respect des droits fondamentaux. Elle suggère, en effet, l'application de la règle normale, à savoir un délai de quatre mois à compter de l'expédition des produits, dès lors que l'opérateur a été informé, d'une manière ou d'une autre, de l'existence de l'infraction ou de l'irrégularité avant l'expiration de ce
délai. En revanche, s'il n'en a été informé qu'après ledit délai, il devrait, selon la Commission, bénéficier d'un délai de quatre mois commençant à courir à partir de la date à laquelle l'opérateur a effectivement eu connaissance de l'infraction ou de l'irrégularité.

56. Il apparaît immédiatement que cette solution crée une différence de traitement considérable entre les opérateurs, selon le moment où ils ont pris connaissance de l'irrégularité ou de l'infraction. Or, on ne voit aucune justification à cette différence de traitement.

57. Ainsi, un opérateur qui serait informé une semaine avant l'expiration du délai de quatre mois à compter de la date d'expédition des marchandises disposerait en tout et pour tout d'une semaine pour tenter d'apporter la preuve que requiert la réglementation. En revanche, un opérateur averti une semaine plus tard, juste après l'expiration du délai, bénéficierait, quant à lui, de quatre mois pour apporter la même preuve.

58. La Commission n'invoque aucun argument pour justifier une telle différence de traitement et l'on serait bien en peine d'en trouver.

59. Est-ce à dire pour autant que la voie de l'interprétation est, en l'espèce, exclue et que la Cour ne peut que constater l'invalidité de l'article 20, paragraphe 3, de la directive? Tel est mon point de vue.

60. Il convient, en effet, de constater que la démarche proposée par la Commission revient à ajouter à cette disposition un alinéa supplémentaire qui couvrirait, par voie d'exception à la règle générale, l'hypothèse qui fait l'objet de la présente affaire.

61. Or, une telle démarche me semble aller clairement au-delà de ce que l'on doit entendre par la notion d'interprétation. Force est de rappeler ici que le texte en cause est extrêmement clair. Le sens même des mots ne laisse place, en l'espèce, à aucun doute. Le législateur n'a pas fait la distinction que propose la Commission et il n'existe aucun indice de son intention d'y procéder.

62. La situation serait autre s'il avait opéré à une distinction qu'il conviendrait de clarifier. Là, nous serions indubitablement dans le domaine de l'interprétation. En revanche, il n'appartient pas au juge, sous prétexte d'interprétation, de se substituer au législateur en introduisant dans la norme litigieuse des distinctions auxquelles celui-ci n'a pas procédé.

63. Le vieil adage romain «Ubi lex non distinguit nec nos distinguere debemus» n'a rien perdu de sa pertinence.

64. J'estime, dès lors, que la tentative de la Commission d'«interpréter» ce texte plutôt que d'en constater l'invalidité est vouée à l'échec.

65. Il est vrai que la juridiction de renvoi ne fait allusion qu'à l'interprétation de la norme et non à sa validité. Il ressort toutefois d'une jurisprudence constante que la Cour est en droit de requalifier une question afin de pouvoir donner au juge national une réponse utile à la solution du litige. En l'espèce, une telle réponse ne peut être donnée qu'en examinant la validité de la norme en cause, même si la juridiction de renvoi ne fait allusion qu'à son interprétation.

66. Puisqu'il appartient à la Cour de dégager les éléments de droit communautaire nécessaires pour donner une réponse utile à cette juridiction, elle ne saurait être liée, à cet égard, par le choix de cette juridiction de poser une question en interprétation plutôt qu'en appréciation de validité .

67. Il découle de ce qui précède que la juridiction de renvoi doit écarter l'application de l'article 20, paragraphe 3, de la directive, du fait de son incompatibilité avec le principe fondamental du respect des droits de la défense, ladite incompatibilité n'étant pas susceptible d'être écartée par la voie de l'interprétation conforme proposée par la Commission.

68. Cette incompatibilité n'étant pas due à la fixation d'un délai en tant que telle, mais au choix de son dies a quo, il appartient, en conséquence, à la juridiction de renvoi de faire courir le délai accordé par la directive à l'opérateur pour apporter la preuve qu'elle requiert à compter de la date où il a été avisé par l'autorité fiscale, par exemple par le biais d'un avis d'imposition, du fait que l'apurement régulier n'a pas eu lieu.

69. Observons encore que, pour régler le problème à l'avenir, il appartiendra, le cas échéant, au législateur communautaire de tirer les conséquences de l'arrêt de la Cour.

70. Au vu de ce qui précède, il est proposé de donner la réponse suivante aux première et troisième questions préjudicielles:

Le principe fondamental du respect des droits de la défense exige que l'opérateur qui a garanti le paiement des accises, mais qui n'a pas été en mesure de savoir, dans le délai de quatre mois à compter de la date d'expédition des marchandises, que l'apurement du régime suspensif n'a pas été effectué régulièrement, soit officiellement informé de ce fait par l'autorité compétente, et que le délai de quatre mois pour apporter la preuve de la régularité de l'opération ou du lieu où l'infraction ou
l'irrégularité a été effectivement commise ne commence à courir qu'à compter de cette information. L'article 20, paragraphe 3, de la directive 92/12/CEE du Conseil, du 25 février 1992, relative au régime général, à la détention, à la circulation et aux contrôles des produits soumis à accise, est invalide dans la mesure où il ne prévoit pas de possibilité, pour un tel opérateur, d'apporter cette preuve.

Quant à la deuxième question

71. Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi vise, en substance, à déterminer si la possibilité pour l'opérateur de prouver la régularité de l'opération ou de démontrer en quel lieu l'infraction ou l'irrégularité a été commise, prévue à l'article 20, paragraphe 3, de la directive, existe également en cas d'application du paragraphe 2 de cette disposition.

72. En d'autres termes, c'est, en quelque sorte, d'une application cumulative des paragraphes 2 et 3 dudit article 20 qu'il s'agit en l'espèce.

73. Il convient, à cet égard, de procéder à un examen systématique de l'article 20 de la directive.

74. En effet, l'objectif de celui-ci est de prévenir les conflits de compétence entre États membres qui entendent taxer les produits ayant fait l'objet de l'infraction. Il désigne donc un État compétent dans chacune des hypothèses qu'il envisage.

75. Ainsi, l'article 20, paragraphe 2, énonce une règle générale pour le cas où une infraction ou une irrégularité a été constatée sans qu'il soit possible d'établir le lieu où elle a été commise, à savoir la compétence de l'État membre sur le territoire duquel l'infraction a été constatée.

76. L'article 20, paragraphe 3, en revanche, n'est d'application que lorsqu'une autre condition est remplie, à savoir la non-arrivée à destination des produits en cause. Dans ce cas, c'est l'État de départ qui est déclaré compétent.

77. Dès lors, comme le souligne la Commission, si on appliquait ces deux dispositions à la même espèce, on désignerait deux États membres compétents pour soumettre les produits à la taxation. Il en résulterait un conflit de compétence, si l'État membre où l'infraction est constatée n'est pas le même que l'État membre de départ des produits, alors que les deux règles d'attribution de compétence prévues à l'article 20, paragraphes 2 et 3, de la directive ont précisément pour but de prévenir et, en
toute hypothèse, de régler de tels conflits.

78. Le fait que, en l'espèce, les deux dispositions désigneraient le même État membre, à savoir l'Italie, n'implique pas qu'il soit possible de les appliquer cumulativement, en faisant abstraction tant de leur libellé que du système de la directive.

79. Il y a donc lieu de déterminer laquelle de ces deux dispositions est seule applicable au litige dont est saisie la juridiction nationale.

80. Or, celle-ci a précisé dans son ordonnance de renvoi que les produits en cause ne sont pas arrivés à destination au sens de l'article 20, paragraphe 3, de la directive. Les conditions d'application de cette disposition sont donc remplies et le paragraphe 2 de cet article n'est, par conséquent, pas applicable à la présente affaire.

81. C'est donc à titre surabondant que je formulerai les réflexions qui suivent.

82. Les paragraphes 1 et 2 de l'article 20 de la directive visent tous deux la situation dans laquelle une infraction ou une irrégularité a été commise en cours de circulation. Dans ce contexte, le paragraphe 1 concerne l'hypothèse où le lieu de ladite infraction ou irrégularité est connu, le paragraphe 2 celle où il ne l'est pas.

83. La logique même de ces paragraphes exclut donc la possibilité de démontrer la régularité de l'opération et, par conséquent, l'application des dispositions de l'article 20, paragraphe 3, de la directive, relatives à la preuve de celle-ci. En effet, la condition d'application essentielle des paragraphes 1 et 2 dudit article est l'existence d'une irrégularité ou d'une infraction.

84. Il découle de ce qui précède qu'il y a lieu de donner la réponse suivante à la deuxième question:

Lorsque les produits en cause ne sont pas arrivés à destination, l'article 20, paragraphe 2, de la directive ne s'applique pas.

Conclusions

85. Pour les raisons qui précèdent, il est proposé de donner les réponses suivantes aux questions du Tribunale di Trento:

Première et troisième questions

«Le principe fondamental du respect des droits de la défense exige que l'opérateur qui a garanti le paiement des accises, mais qui n'a pas été en mesure de savoir, dans le délai de quatre mois à compter de la date d'expédition des marchandises, que l'apurement du régime suspensif n'a pas été effectué régulièrement, soit officiellement informé de ce fait par l'autorité compétente, et que le délai de quatre mois pour apporter la preuve de la régularité de l'opération ou du lieu où l'infraction ou
l'irrégularité a été effectivement commise ne commence à courir qu'à compter de cette information. L'article 20, paragraphe 3, de la directive 92/12/CEE du Conseil, du 25 février 1992, relative au régime général, à la détention, à la circulation et aux contrôles des produits soumis à accise, est invalide dans la mesure où il ne prévoit pas de possibilité, pour un tel opérateur, d'apporter cette preuve.»

Deuxième question

«Lorsque les produits en cause ne sont pas arrivés à destination, l'article 20, paragraphe 2, de la directive ne s'applique pas.»


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-395/00
Date de la décision : 21/03/2002
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Tribunale di Trento - Italie.

Directive 92/12/CEE - Article 20 - Exportation dans des pays tiers de produits en régime suspensif - Produits devant être considérés comme n'étant pas arrivés à destination en raison de la falsification du document d'accompagnement - Lieu de l'infraction ou de l'irrégularité inconnu - Détermination de l'État membre d'exigibilité du droit.

Fiscalité

Droits d'accise


Parties
Demandeurs : Distillerie Fratelli Cipriani SpA
Défendeurs : Ministero delle Finanze.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mischo
Rapporteur ?: Macken

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2002:209

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