Avis juridique important
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61999C0442
Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 17 mai 2001. - Cordis Obst und Gemüse Großhandel GmbH contre Commission des Communautés européennes et République française. - Pourvoi - Organisation commune des marchés - Bananes - Importations des Etats ACP et des pays tiers - Demande de certificats d'importation - Mesures transitoires - Règlement (CEE) nº 404/93 - Principe d'égalité de traitement. - Affaire C-442/99 P.
Recueil de jurisprudence 2001 page I-06629
Conclusions de l'avocat général
1. Cordis Obst und Gemüse Großhandel GmbH (ci-après «Cordis») a formé un pourvoi contre l'arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes (cinquième chambre) du 28 septembre 1999, Cordis/Commission (T-612/97, Rec. p. II-2771, ci-après l'«arrêt attaqué»).
I - Le cadre juridique
2. S'agissant du cadre juridique, le Tribunal a constaté:
«1 Le règlement (CEE) n° 404/93 du Conseil, du 13 février 1993, portant organisation commune des marchés dans le secteur de la banane (JO L 47, p. 1, ci-après règlement n° 404/93), a mis en place un système commun d'importation de bananes qui s'est substitué aux différents régimes nationaux. Pour assurer une commercialisation satisfaisante des bananes récoltées dans la Communauté ainsi que des produits originaires des États d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) et des autres pays tiers, le
règlement n° 404/93 prévoit l'ouverture d'un contingent tarifaire annuel pour les importations des bananes pays tiers et des bananes non traditionnelles ACP. Les bananes non traditionnelles ACP correspondent aux quantités exportées par les pays ACP qui dépassent les quantités exportées traditionnellement par chacun de ces États, telles qu'elles sont fixées en annexe au règlement n° 404/93.
2 Chaque année est établi un bilan prévisionnel de la production et de la consommation de la Communauté, ainsi que des importations et des exportations. La répartition du contingent tarifaire déterminé sur la base de ce bilan prévisionnel est effectuée entre les opérateurs établis dans la Communauté en fonction de la provenance et des quantités moyennes de bananes qu'ils ont vendues au cours des trois dernières années pour lesquelles des données statistiques sont disponibles. Cette répartition donne
lieu à la délivrance de certificats d'importation qui permettent aux opérateurs d'importer des bananes sans acquitter de droits ou à des tarifs douaniers préférentiels.
3 Le vingt-deuxième considérant du règlement n° 404/93 est rédigé comme suit:
considérant que la substitution de cette organisation commune de marché aux différents régimes nationaux lors de l'entrée en vigueur du présent règlement risque d'entraîner une perturbation du marché intérieur; qu'il convient dès lors de prévoir, dès le 1er juillet 1993, la possibilité pour la Commission de prendre toutes les mesures transitoires nécessaires pour surmonter les difficultés de mise en oeuvre du nouveau régime.
4 L'article 30 du règlement n° 404/93 prévoit:
Si des mesures spécifiques sont nécessaires, à compter de juillet 1993, pour faciliter le passage des régimes existant avant l'entrée en vigueur du présent règlement à celui établi par ce règlement, en particulier pour surmonter des difficultés sensibles, la Commission [...] prend toutes les mesures transitoires jugées nécessaires.»
II - Les faits
3. Quant aux faits à l'origine du recours, le Tribunal a relevé que:
«5 [Cordis] a été créée le 1er novembre 1990, postérieurement à la réunification de l'Allemagne, et est établie sur le territoire de l'ex-République démocratique allemande (ci-après ex-RDA). Elle a pour activité le commerce de fruits en gros ainsi, notamment, que le mûrissement et l'emballage de bananes.
6 L'économie planifiée et centralisée de l'ex-RDA attribuait le monopole de l'importation des bananes à un organisme d'État et celui du mûrissement à des entreprises nationalisées. Les mûrisseries de l'ex-RDA ont ensuite été vendues à des succursales de sociétés fruitières de la République fédérale d'Allemagne.
7 Lors du démarrage de la requérante, la possibilité d'approvisionnement en bananes était faible dans sa région d'attraction commerciale, et la demande de bananes était supérieure à l'offre ainsi qu'à sa capacité de mûrissement. La requérante a donc décidé, en 1991, de s'agrandir et a construit de nouvelles installations de mûrissement. À cet effet, la requérante n'a bénéficié d'aucune subvention sur fonds publics.
8 Selon la requérante, ses nouvelles installations étaient utilisées en dessous de leur capacité. À cet égard, elle fait valoir que, en application du règlement n° 404/93, l'importation de bananes vertes se trouvant soumise à l'obtention de certificats, la répercussion de leur coût par ses fournisseurs sur le prix des bananes a freiné la consommation. Dès lors, ces certificats étant attribués en fonction des quantités de bananes vendues, elle-même n'aurait pu obtenir que des certificats
d'importation portant sur des quantités insuffisantes.
9 C'est dans ces circonstances que, le 7 avril 1996, en vertu de l'article 30 du règlement n° 404/93, la requérante a demandé à la Commission de lui attribuer, à bref délai, des certificats supplémentaires à titre de mesures transitoires destinées à compenser une situation de rigueur excessive due à la réglementation instituée dans le règlement n° 404/93.
10 Par décision du 24 octobre 1997, la Commission a rejeté la demande de la requérante (ci-après décision attaquée), en se fondant, notamment, sur les motifs suivants (septième, huitième, neuvième et onzième considérants):
[...]
considérant que Cordis n'a pas démontré qu'elle avait été dans l'impossibilité d'obtenir des quantités de bananes à mûrir suffisantes pour que la mûrisserie fonctionne à plein rendement auprès d'autres opérateurs ou d'autres sources plutôt que de les importer elle-même; que l'organisation commune des marchés dans le secteur de la banane n'empêche pas une telle démarche; que Cordis a effectivement obtenu des quantités importantes de bananes à mûrir auprès d'autres opérateurs ou d'autres sources sans
les importer elle-même; que, par conséquent, il n'a pas été démontré que toute prétendue sous-utilisation de la mûrisserie et toutes prétendues stagnations du chiffre d'affaires dans le secteur de la banane, perte de clientèle et suppression de personnel qui s'en sont suivies étaient dues au passage des dispositions existant avant l'entrée en vigueur du règlement à l'organisation commune des marchés;
considérant que Cordis n'a pas démontré qu'elle disposait, avec certitude, d'une source d'approvisionnement de bananes à mûrir avant les investissements effectués dans la mûrisserie; que Cordis a accepté le risque qu'elle pourrait ne pas être en mesure d'obtenir suffisamment de bananes à mûrir pour que l'installation fonctionne à plein rendement; que, par conséquent, nonobstant les paragraphes précédents, même si Cordis n'a pas été en mesure d'obtenir des quantités de bananes à mûrir suffisantes
pour que l'installation fonctionne à plein rendement auprès d'autres opérateurs ou d'autres sources sans les importer elle-même, cela est dû à un manque de diligence de la part de Cordis qui ne s'est pas assurée des approvisionnements avant les investissements effectués dans la mûrisserie;
considérant que Cordis a obtenu de Dole des quantités importantes de bananes à mûrir; qu'elle a obtenu des bananes mûres en quantités suffisantes pour couvrir les besoins de sa clientèle; que le mûrissement de bananes n'est que l'une des multiples activités de Cordis; que, par conséquent, Cordis n'a pas démontré que toute réduction prétendue de ses activités de mûrissement constituait une difficulté menaçant sa survie;
[...]
considérant que Cordis n'a pas démontré qu'elle avait entrepris d'autres démarches avant les dates précitées qui ont conduit à un cas de rigueur excessive au sens de l'arrêt de la Cour de justice dans l'affaire C-68/95 en raison de difficultés inhérentes au passage menant à l'abandon des régimes nationaux qui existaient avant l'entrée en vigueur du règlement en question;
[...]».
III - L'arrêt attaqué
4. Il résulte de l'arrêt attaqué que, par requête déposée au greffe du Tribunal le 29 décembre 1997, Cordis a demandé l'annulation de la décision attaquée. Par ordonnance du 6 juillet 1998, la République française a été admise à intervenir à l'appui des conclusions de la Commission.
5. À l'appui de son recours devant le Tribunal, Cordis avait invoqué deux moyens tirés, d'une part, d'une violation de l'article 30 du règlement n° 404/93 et d'un détournement de pouvoir et, d'autre part, d'une violation de l'obligation de motivation.
6. Par l'arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté le recours de Cordis. Le raisonnement suivi par le Tribunal en réponse au premier moyen de Cordis - raisonnement que Cordis conteste dans le cadre du présent pourvoi - est le suivant:
«32 L'article 30 du règlement n° 404/93 confère à la Commission le pouvoir de prendre des mesures transitoires spécifiques pour faciliter le passage des régimes existant avant l'entrée en vigueur du [...] règlement à celui établi par ce règlement, en particulier pour surmonter des difficultés provoquées par ce passage. Selon une jurisprudence constante, ces mesures transitoires sont destinées à faire face à la perturbation du marché intérieur qu'entraîne la substitution de l'organisation commune des
marchés aux différents régimes nationaux et ont pour but de résoudre les difficultés auxquelles sont confrontés les opérateurs économiques à la suite de l'établissement de l'organisation commune des marchés, mais ayant pour origine les conditions qui existaient sur les marchés nationaux avant l'entrée en vigueur du règlement n° 404/93 (voir ordonnance Allemagne/Conseil, précitée, points 46 et 47, arrêts de la Cour T. Port, précité, point 34, et du 4 février 1997, Belgique et Allemagne/Commission,
C-9/95, C-23/95 et C-156/95, Rec. p. I-645, point 22, ainsi que l'ordonnance Camar/Commission, précitée, point 42).
33 La Cour a énoncé que la Commission doit prendre en considération, à cet égard, la situation d'opérateurs économiques qui ont adopté, dans le cadre d'une réglementation nationale antérieure au règlement n° 404/93, un certain comportement sans avoir pu prévoir les conséquences que ce comportement aurait après l'instauration de l'organisation commune des marchés (voir arrêt T. Port, précité, point 37).
34 Il s'ensuit que l'objectif de cet article est de faciliter le passage à l'organisation commune des marchés dans le secteur de la banane pour les entreprises qui ont rencontré de ce fait des problèmes particuliers et imprévisibles.
35 Il convient donc d'examiner si les problèmes rencontrés par la requérante sont dus au passage à l'organisation commune des marchés.
36 À cet égard, il y a lieu d'observer que la société requérante a été créée le 1er novembre 1990, postérieurement à la réunification de l'Allemagne. Elle a donc décidé, en 1991, de s'agrandir en construisant de nouvelles installations de mûrissement sans ignorer la situation existante en Allemagne consécutivement à la réunification.
37 Or, force est de constater qu'elle n'a présenté aucun argument permettant d'établir que les problèmes structurels relatifs à la réunification de l'Allemagne ont produit, en ce qui la concerne, un problème particulier et imprévisible résultant de l'instauration de l'organisation commune des marchés dans le secteur des bananes. Il convient d'ajouter que les parties ont confirmé lors de l'audience que, antérieurement à l'établissement de l'organisation commune des marchés, les entreprises de
mûrissage de l'ex-RDA ne pouvaient pas importer elles-mêmes des bananes. La Commission est donc fondée à affirmer que la mise en place de l'organisation commune des marchés n'a pas aggravé les désavantages structurels invoqués par la requérante (voir point 27 ci-dessus).
38 La requérante considère cependant que l'intervention de la Commission est nécessaire afin d'assurer le respect du principe d'égalité de traitement. Le règlement n° 404/93, par sa méthode d'attribution des certificats d'importation en fonction du volume de bananes écoulées pendant la période de référence, aurait figé la situation concurrentielle initiale en empêchant les entreprises nouvelles de réduire leur handicap.
39 Or, cet argument ne peut être retenu. En effet, l'article 30 du règlement n° 404/93, qui doit être interprété restrictivement en tant que dérogation au régime général applicable, ne peut pas permettre de compenser le désavantage concurrentiel des entreprises nouvelles, lié aux différences d'opportunités existant en Allemagne. En effet, ce désavantage n'est pas dû à l'établissement de l'organisation commune des marchés.
40 De surcroît, s'il est vrai que toutes les entreprises ne sont pas affectées de la même manière par le règlement n° 404/93, la Cour a déjà jugé dans son arrêt du 5 octobre 1994, Allemagne/Conseil (C-280/93, Rec. p. I-4973, points 73 et 74), que ce traitement différencié apparaît comme inhérent à l'objectif d'une intégration de marchés jusqu'alors cloisonnés, compte tenu de la situation distincte dans laquelle se trouvaient les différentes catégories d'opérateurs économiques avant l'instauration de
l'organisation commune des marchés.»
IV - Le pourvoi
7. Par requête déposée au greffe de la Cour le 22 novembre 1999, Cordis a formé un pourvoi contre l'arrêt attaqué.
8. À l'appui de son pourvoi, Cordis soulève deux moyens tirés, respectivement, de la méconnaissance des conditions d'application de l'article 30 du règlement n° 404/93 et de violation du principe d'égalité de traitement.
Quant à la méconnaissance des conditions d'application de l'article 30 du règlement n° 404/93
Arguments des parties
9. Cordis observe que l'arrêt attaqué méconnaît les conditions d'application de l'article 30 du règlement n° 404/93. En particulier, le point 37 de l'arrêt T. Port - auquel le Tribunal se réfère au point 33 de l'arrêt attaqué - ne saurait être interprété en ce sens que l'application de l'article 30 du règlement n° 404/93 en faveur d'un opérateur économique exige la présence de problèmes particuliers et imprévisibles pour l'opérateur concerné, résultant de l'instauration de l'organisation commune des
marchés (ci-après l'«OCM») dans le secteur des bananes.
10. En effet, selon la requérante, l'article 30 du règlement n° 404/93 s'applique lorsque des mesures communautaires sont nécessaires pour faciliter le passage des régimes nationaux en matière de bananes à l'OCM. Les conditions sont donc que les mesures facilitent le passage à l'OCM et qu'il soit nécessaire de le faciliter.
11. Selon elle, l'article 30 du règlement n° 404/93 ne comporte pas de critères généraux précisant quand il est nécessaire de faciliter le passage des régimes nationaux en matière de bananes à l'OCM. Il n'exige donc pas que les perturbations créent des problèmes imprévisibles pour les opérateurs économiques. En se référant à l'arrêt T. Port, précité, le Tribunal lui aurait appliqué une jurisprudence de la Cour ayant trait au cas de rigueur excessive, alors que celui-ci n'est qu'un des cas de figure
auxquels s'applique l'article 30, et qu'elle ne se trouvait pas dans ce cas.
12. En revanche, Cordis estime que le point 41 de l'arrêt T. Port, précité, apporte davantage de lumière sur les critères qui doivent être appliqués au comportement de l'opérateur économique. Elle déclare que, «dans le cas d'espèce, les difficultés transitoires ne résultaient pas [de son] comportement [...] - cette appréciation constitue l'erreur fondamentale de l'arrêt attaqué - mais étaient des difficultés structurelles qui étaient apparues pour les entreprises nouvelles telles que la requérante
et qui avaient été aggravées par la mise en place de l'organisation commune des marchés de la banane. Le comportement de la requérante avant l'entrée en vigueur du règlement n° 404/93 [...] ne joue absolument aucun rôle en l'espèce». Or, poursuit la requérante, le Tribunal estime à tort «que les désavantages structurels invoqués par la requérante n'ont pas été aggravés parce que les entreprises de mûrissage de l'ex-RDA ne pouvaient pas importer elles-mêmes des bananes antérieurement à
l'établissement de l'OCM».
13. La requérante explique que le désavantage structurel qu'elle subissait en tant qu'entreprise nouvelle des nouveaux Länder - comme celui de toutes les autres entreprises nouvelles - résidait dans le fait qu'elle n'avait pas pu réaliser des opérations de mûrissement au cours de la période de référence fixée par le règlement n° 404/93 pour les années 1993 et 1994, à savoir au cours des années 1989 et 1990.
14. Dans l'ex-République démocratique allemande, il n'y avait que des «entreprises du peuple» («Volkseigene Betriebe»), de sorte qu'une activité privée de commerce de gros et de mûrissement, telle qu'elle était exercée par la requérante depuis 1991, était impossible avant 1990. En ce qui concerne les mûrisseries de la République démocratique allemande, il y avait environ 40 entreprises de commerce de gros dotées de mûrisseries. Dans la mesure où ces entreprises de gros ont mûri des bananes au cours
de la période de référence, ces opérations de mûrissement ont servi de référence pour l'attribution de certificats d'importation propres conformément à l'article 3, paragraphe 1, sous c), du règlement (CEE) n° 1442/93 de la Commission, du 10 juin 1993, portant modalités d'application du régime d'importation de bananes dans la Communauté .
15. Cordis insiste, à cet égard, sur le fait que les opérations de mûrissement sont distinctes des opérations d'importation; celles-ci étaient effectuées par le monopole d'État en matière de commerce extérieur de la République démocratique allemande. Le Tribunal n'a probablement pas pris en considération l'article 3, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 1442/93 lorsqu'il s'est fondé sur les importations et non pas sur le mûrissement de bananes par les mûrisseries. Or, si les activités
d'importation et de mûrissement de bananes peuvent coïncider, tel n'est pas nécessairement le cas.
16. La Commission estime que le Tribunal a correctement déterminé le champ d'application de l'article 30 du règlement n° 404/93, eu égard en particulier à la jurisprudence T. Port, précitée (points 35 à 41). D'une part, les mesures adoptées au titre de l'article 30 servent exclusivement à faciliter le passage des régimes nationaux à l'OCM et se limitent à résoudre les difficultés rencontrées après la mise en place de l'OCM, mais trouvant leur origine dans l'état des marchés nationaux antérieur au
règlement n° 404/93 tout en étant imprévisibles pour les opérateurs concernés. D'autre part, lesdites mesures doivent être nécessaires à la résolution de telles difficultés.
17. La Commission estime, dès lors, que le Tribunal a correctement interprété, au point 34 de l'arrêt attaqué, l'objectif poursuivi par l'article 30 du règlement n° 404/93.
18. Pour ce qui concerne l'argument de la requérante selon lequel les désavantages structurels liés à la réunification ont été aggravés par l'OCM, la Commission observe que le Tribunal l'a correctement examiné aux points 35 à 37 de l'arrêt attaqué.
19. Elle estime que le premier grief de la requérante conduit à un simple réexamen de la requête déposée devant le Tribunal et doit, par conséquent, être déclaré irrecevable.
20. À titre subsidiaire, la Commission met en avant le caractère non pertinent du reproche formulé par la requérante, selon lequel le Tribunal aurait méconnu le fait qu'il s'agissait, en l'espèce, non pas de l'importation mais du mûrissement de bananes. Ce point a été correctement analysé au point 37 de l'arrêt attaqué qui constate que l'OCM a amélioré les possibilités de développement des mûrisseries se trouvant dans la situation de la requérante. La Commission rappelle, à cet égard, que l'OCM n'a
nullement entravé l'activité des mûrisseries qui ont pu se livrer aux activités de mûrissement même sans certificats d'importation propres. Seules celles voulant importer elles-mêmes des bananes pour ensuite les mûrir ont besoin de certificats. Or, Cordis reconnaît qu'il était impossible d'importer des bananes avant l'instauration de l'OCM, de sorte que sa situation ne s'est pas détériorée par la suite. Par ailleurs, grâce à l'OCM, les mûrisseries ont pu se constituer des quantités de référence
propres s'agissant des bananes pays tiers ou non traditionnelles mûries dans leurs installations [articles 3, paragraphe 1, sous c), et 5, paragraphe 2, du règlement n° 1442/93].
21. La Commission propose le rejet du premier moyen soit comme dénué de fondement, soit comme irrecevable.
22. Selon le gouvernement français, le pourvoi est irrecevable en ce qu'il vise à remettre en question la façon dont, aux points 35 et suivants, le Tribunal a apprécié la situation matérielle de la requérante au regard de l'OCM.
23. De surcroît, selon le gouvernement français, Cordis modifie l'objet du litige en affirmant que les difficultés de transition ne tiennent pas à l'attitude de l'entreprise mais sont de nature structurelle.
24. À titre subsidiaire, le gouvernement français observe qu'il ressort de l'arrêt T. Port, précité, que l'article 30 du règlement n° 404/93 n'a pas pour but de régler tous les problèmes auxquels peuvent être confrontées les entreprises actives dans le négoce de bananes. Cette disposition traite des cas de rigueur excessive ébranlant l'assise des opérateurs concernés et qui découlent de l'entrée en vigueur de l'OCM.
25. Le gouvernement français observe encore que l'article 30 du règlement n° 404/93 suppose un examen au cas par cas de la situation des opérateurs qui s'en réclament, mais ne peut fonder un traitement collectif d'entreprises présentant un point commun, notamment leur origine géographique. De plus, une telle approche collective contreviendrait à l'article 230 CE impliquant que le requérant est destinataire de l'acte communautaire litigieux ou bien qu'il est directement et individuellement concerné
par cet acte. Au surplus, cette approche nuirait à la sécurité juridique puisqu'elle affecterait le règlement n° 404/93.
Appréciation
26. Il ressort de l'arrêt attaqué que le Tribunal a essentiellement examiné «si les problèmes rencontrés par la requérante sont dus au passage à l'organisation commune des marchés» .
27. Selon nous, le bien-fondé d'un tel examen ne saurait être contesté à la lumière de l'article 30 du règlement n° 404/93. En effet, comme la Cour l'a rappelé dans son arrêt T. Port, précité, «[l]'application de l'article 30 est soumise à la condition que les mesures spécifiques que la Commission doit adopter visent à faciliter le passage des régimes nationaux à l'organisation commune des marchés et qu'elles soient nécessaires à cet effet» . Si l'article 30 vise à «faciliter le passage», il est,
selon nous, sous-entendu qu'il s'applique au cas où ce passage crée des difficultés. Dès lors, aussi bien le texte de l'article 30 que sa raison d'être dans le cadre du règlement n° 404/93 justifient la conclusion selon laquelle cette disposition ne sert qu'à résoudre des problèmes dus au passage à l'OCM et non pas des problèmes ayant une autre origine.
28. Or, comme nous l'avons rappelé ci-dessus, la requérante estime que le Tribunal, dans le cadre de son examen de la causalité entre les problèmes qu'elles invoquent et le passage à l'OCM, aurait dû prendre en compte «les difficultés structurelles qui étaient apparues pour les entreprises nouvelles telles que la requérante et qui avaient été aggravées par la mise en place de [l'OCM]».
29. Il convient cependant de constater que, au point 37 de l'arrêt attaqué, le Tribunal a pris en compte cet argument, sans toutefois l'accueillir.
30. L'argumentation de la requérante revient donc à contester une appréciation de fait effectuée par le Tribunal.
31. Or, comme le gouvernement français nous le rappelle, le pourvoi est limité aux questions de droit. En effet, selon une jurisprudence constante, «le Tribunal est seul compétent, d'une part, pour constater les faits, sauf dans le cas où une inexactitude matérielle de ses constatations résulterait des pièces du dossier qui lui ont été soumises, et, d'autre part, pour apprécier ces faits. L'appréciation des faits ne constitue donc pas, sous réserve du cas de la dénaturation des éléments qui lui ont
été soumis, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour» .
32. Il s'ensuit que, de même qu'une appréciation du Tribunal quant à la question de savoir si le comportement d'une institution a causé un préjudice prétendument subi par un requérant n'est pas susceptible d'être discutée devant la Cour , il n'appartient pas à la Cour, dans le cadre du présent pourvoi, de se prononcer sur l'appréciation du Tribunal selon laquelle les difficultés auxquelles Cordis était confrontée ne résultaient pas du passage à l'OCM.
33. Dans ce contexte, il convient de relever que la requérante n'apporte aucun élément susceptible de démontrer que le Tribunal aurait dénaturé les faits. Au contraire, on doit considérer que ce que la requérante qualifie de difficulté n'a aucun rapport avec le passage à l'OCM.
34. Comme nous l'avons déjà signalé, la requérante insiste beaucoup sur le fait qu'elle n'invoque pas un problème qui lui serait particulier, mais un cas de rigueur collectif. Elle se serait trouvée devant une «difficulté structurelle» commune à toutes les entreprises établies dans les nouveaux Länder, résultant du fait qu'elle n'a pas pu réaliser des opérations de mûrissement au cours de la période de référence retenue par le règlement n° 404/93, à savoir au cours des années 1989 et 1990.
35. À l'audience, elle a souligné que le noeud du problème résidait dans le fait qu'elle avait été traitée comme n'importe quelle entreprise nouvelle de mûrisserie qui aurait entamé ses activités, n'importe où en Allemagne, le 1er novembre 1990.
36. Or, il ne saurait y avoir de doute que Cordis se trouve bien dans cette situation-là.
37. En premier lieu, elle n'est pas le successeur juridique, par voie de privatisation, d'une ancienne mûrisserie de la République démocratique allemande ayant eu le statut «d'entreprise du peuple» («Volkseigener Betrieb»).
38. En second lieu, elle n'a pas non plus repris les installations techniques d'une telle mûrisserie. Il résulte, en effet, de sa requête devant le Tribunal qu'elle a simplement engagé une partie du personnel d'une ancienne coopérative de production agricole qui n'avait pas d'activité dans le secteur de la banane.
39. En réalité, Cordis fait donc le raisonnement suivant.
40. Si notre entreprise avait existé en 1989, elle aurait mûri des bananes. Elle pourrait donc aujourd'hui se référer aux quantités de bananes commercialisées en 1989 et en 1990 pour demander des certificats. Le régime politique de la République démocratique allemande nous a cependant empêchés d'exister à ce moment-là. La Commission aurait, dès lors, dû partir de l'hypothèse que nous aurions pu exister et elle aurait dû nous accorder une quantité de référence de 5 000 tonnes de bananes.
41. À l'objection, selon laquelle toute nouvelle entreprise créée depuis novembre 1990 dans n'importe quel ancien Land pourrait, elle-aussi, se référer à ce qu'elle aurait fait si elle avait existé plus tôt, Cordis a répondu à l'audience que c'est en toute liberté que des entrepreneurs des anciens Länder ont décidé de ne pas créer plus tôt des mûrisseries additionnelles, alors qu'elle-même en a été empêchée par le régime politico-social existant dans l'ex-République démocratique allemande.
42. Mais ceci ne prouve nullement qu'en l'absence de ce régime la société Cordis aurait existé en tant que telle, qu'elle aurait déjà eu sa capacité de mûrissement actuelle et qu'elle aurait été en mesure d'exploiter pleinement celle-ci. Comme la «difficulté structurelle» invoquée par la requérante n'est donc pas prouvée, il s'ensuit, a fortiori, que l'aggravation de celle-ci par le passage à l'OCM n'est pas prouvée non plus.
43. Pour conclure, en ce qui concerne ce premier moyen, nous estimons donc que le Tribunal a correctement appliqué l'article 30 du règlement n° 404/93 en examinant si les problèmes invoqués par la requérante étaient dus au passage à l'OCM. En outre, la conclusion du Tribunal selon laquelle ces problèmes n'étaient pas dus au passage à l'OCM constitue une appréciation de fait qui sort du cadre du présent pourvoi. De toute façon, il est apparu que l'ensemble du raisonnement de la requérante fondé sur
de soi-disant difficultés structurelles n'est pas convaincant.
44. Nous proposons, dès lors, de rejeter le premier moyen de la requérante.
Quant à la violation du principe d'égalité de traitement
Arguments des parties
45. Sous ce second moyen, Cordis présente essentiellement les mêmes arguments que sous le premier. Selon la requérante, l'arrêt attaqué méconnaît le principe d'égalité qui n'interdit pas uniquement de traiter de manière différente des situations semblables, mais aussi de traiter de manière égale des situations différentes. Cordis précise, à cet égard, que les entreprises nouvelles situées sur le territoire de l'ex-République démocratique allemande étaient toutes dans la même situation: en raison de
la division de l'Allemagne et de la situation politique et juridique en République démocratique allemande au cours des années 1989 et 1990, elles seules n'ont pas pu réaliser des opérations de mûrissement servant de référence. Or, le principe d'égalité implique la prise en considération de ces circonstances exceptionnelles par les institutions communautaires. Si déjà la Commission ne souhaitait pas prendre en considération ce cas particulier dans le cadre du règlement n° 1442/93, elle devait au
moins adopter une mesure transitoire au titre de l'article 30 du règlement n° 404/93. Si la Commission avait adopté une telle réglementation nécessaire à la sauvegarde des droits fondamentaux des entreprises nouvelles, le passage des entreprises nouvelles à la situation résultant de l'OCM aurait été facilité et le but de l'article 30 atteint.
46. La Commission estime que, contrairement aux allégations de la requérante, le Tribunal a appliqué le principe d'égalité de traitement comme principe interdisant un traitement égal de situations inégales, de sorte que le second moyen doit être rejeté pour cette seule raison.
47. De même, contrairement aux allégations de la requérante, rien ne fonde l'affirmation selon laquelle il faudrait, en raison du principe d'égalité de traitement, prendre en considération dans le cadre de l'OCM la situation extraordinaire des entreprises créées après la réunification.
48. Le gouvernement français rappelle que, selon la jurisprudence, des traitements différenciés sont inhérents à l'objectif d'intégration de marchés jusqu'alors cloisonnés. En l'espèce, non seulement Cordis n'a pas été traitée différemment des entreprises de négoce de bananes, mais encore sa situation ne s'est pas aggravée à cause de la mise en place de l'OCM, comme l'a constaté, à juste titre, l'arrêt attaqué.
Appréciation
49. Il convient de rappeler, comme le fait Cordis, que la Cour a jugé que «[u]ne intervention des institutions communautaires s'impose, en particulier, si le passage à l'organisation commune des marchés porte atteinte aux droits fondamentaux protégés par le droit communautaire de certains opérateurs économiques, tels que le droit de propriété et le droit au libre exercice des activités professionnelles» .
50. Si l'on peut en déduire que l'opérateur a également le droit à voir protéger son droit fondamental à l'égalité de traitement, il convient cependant de constater, une nouvelle fois, que cette protection est limitée au cas où le passage à l'OCM porte atteinte à un des droits fondamentaux.
51. Or, le Tribunal ayant constaté, au point 39 de l'arrêt attaqué, que le désavantage invoqué par Cordis, et donc son traitement «inégal», n'est pas dû au passage à l'OCM, il n'a pas méconnu le principe d'égalité de traitement en jugeant que l'article 30 du règlement n° 404/93 ne peut pas permettre de compenser ce désavantage.
52. Pour autant que de besoin, nous rappelons que l'appréciation du Tribunal selon laquelle le désavantage invoqué par Cordis n'est pas dû au passage à l'OCM constitue une appréciation de fait qui sort du cadre du présent pourvoi.
53. Notons, enfin, et surtout, que Cordis n'a pas été traitée de façon moins favorable que n'importe quelle autre entreprise de mûrisserie qui aurait été créée à un autre endroit de la Communauté à la même date.
54. Nous proposons donc de rejeter le second moyen.
V - Conclusions
Nous proposons à la Cour de:
- rejeter le pourvoi;
- condamner Cordis Obst und Gemüse Großhandel GmbH à supporter ses propres dépens et ceux de la Commission des Communautés européennes;
- constater qu'il appartient à la République française de supporter ses propres dépens.