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23/01/2001 | CJUE | N°C-378/98

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Tizzano présentées le 23 janvier 2001., Commission des Communautés européennes contre Royaume de Belgique., 23/01/2001, C-378/98


Avis juridique important

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61998C0378

Conclusions de l'avocat général Tizzano présentées le 23 janvier 2001. - Commission des Communautés européennes contre Royaume de Belgique. - Manquement d'Etat - Aides d'Etat - Article 93, paragraphe 2, deuxième alinéa, du traité CE (devenu article 88, paragraphe 2, deuxième

alinéa, CE) - Obligation de récupérer les aides accordées dans le cadre de...

Avis juridique important

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61998C0378

Conclusions de l'avocat général Tizzano présentées le 23 janvier 2001. - Commission des Communautés européennes contre Royaume de Belgique. - Manquement d'Etat - Aides d'Etat - Article 93, paragraphe 2, deuxième alinéa, du traité CE (devenu article 88, paragraphe 2, deuxième alinéa, CE) - Obligation de récupérer les aides accordées dans le cadre des opérations Maribel bis et Maribel ter - Impossibilité d'exécution. - Affaire C-378/98.
Recueil de jurisprudence 2001 page I-05107

Conclusions de l'avocat général

1. Par recours introduit le 21 octobre 1998, conformément à l'article 93, paragraphe 2, deuxième alinéa, du traité CE (devenu article 88, paragraphe 2, deuxième alinéa, CE), la Commission a demandé à la Cour de déclarer que le royaume de Belgique ne s'est pas conformé à la décision 97/239/CE de la Commission du 4 décembre 1996, concernant les aides prévues par la Belgique dans le cadre de l'opération Maribel bis/ter (ci-après: la «décision»).

2. La Commission a notamment reproché au royaume de Belgique de ne pas avoir adopté dans les délais impartis les mesures nécessaires pour récupérer auprès des entreprises bénéficiaires les aides illégalement accordées dans le cadre de l'opération précitée. Selon la Commission, le royaume de Belgique a ainsi manqué aux obligations qui lui incombent, en vertu de l'article 189, quatrième alinéa, du traité CE (devenu article 249, quatrième alinéa, CE) et des articles 2 et 3 de la décision.

Faits et procédure

3. Comme cela résulte de la décision, le gouvernement belge avait adopté en 1981 une loi établissant «les principes généraux de la sécurité sociale des travailleurs salariés» sur le fondement de laquelle «les employeurs occupant des travailleurs manuels bénéficient pour chacun de ceux-ci d'une réduction de paiement des cotisations de sécurité sociale» (opération dite «Maribel»). La décision précise que, «eu égard à son caractère général et automatique, cette mesure n'avait pas été considérée comme
une aide tombant sous l'application de l'article 92, paragraphe 1, du traité CE» . Entre 1993 et 1994, la mesure en cause a fait l'objet de modifications successives destinées à augmenter les réductions des cotisations pour les entreprises exerçant leurs activités dans les secteurs les plus exposés à la concurrence internationale (Maribel bis/ter).

4. L'octroi de ces réductions supplémentaires a été porté à l'attention de la Commission par différentes entreprises qui ont critiqué leur nature d'aide d'État incompatible avec le marché commun. Après une première évaluation, la Commission a par conséquent engagé, avec les parties concernées, la procédure contradictoire prévue à l'article 93, paragraphe 2, du traité, en vue d'examiner de manière plus approfondie les mesures mises en cause.

5. Cette procédure s'est terminée par la décision précitée du 4 décembre 1996. Dans cette décision, la Commission a déclaré que les mesures en cause constituaient une aide d'État illégale, étant donné qu'elles n'avaient pas été notifiées préalablement à la Commission, conformément aux dispositions de l'article 93, paragraphe 3, du traité. La Commission considérait, par ailleurs, que l'aide en cause était incompatible avec le marché commun, conformément aux dispositions de l'article 92, paragraphe 1,
du traité CE (devenu, après modification, article 87, paragraphe 1, CE), puisqu'elle ne pouvait bénéficier des dérogations à cette interdiction prévues aux paragraphes 2 et 3 dudit article 92 (article 1er de la décision). Par conséquent, selon la décision, le royaume de Belgique était «tenu de prendre les mesures appropriées pour mettre fin sans délai à l'octroi des réductions majorées des cotisations sociales, visées à l'article 1er», et de «récupérer auprès des entreprises bénéficiaires les aides
illégalement versées». Le remboursement devait être effectué conformément aux procédures et aux dispositions de la loi belge, avec un intérêt jusqu'à la date de remboursement effectif calculé, à compter de la date d'octroi des aides, à un taux égal à la valeur en pourcentage à cette date du taux de référence servant au calcul de l'équivalent-subvention net des aides régionales en Belgique (article 2). Enfin, l'article 3 faisait obligation au royaume de Belgique d'informer la Commission, dans un
délai de deux mois à compter de la date de notification de la décision, des mesures qu'il prendrait pour s'y conformer (article 3).

6. La décision a été notifiée aux autorités belges le 20 décembre 1996. Elle a été mise en cause dans les délais prévus par le royaume de Belgique par recours introduit le 19 février 1997 (affaire C-75/97), mais n'a pas fait l'objet d'une demande de sursis à exécution telle que prévue par l'article 185 du traité CE (devenu article 242 CE). Pour ce qui nous intéresse ici, il y a lieu de souligner que parmi les moyens de recours l'impossibilité absolue de récupérer les aides Maribel bis/ter était
invoquée.

7. Alors que le recours précité était déjà pendant devant la Cour, le gouvernement belge a informé la Commission, le 5 mars 1997, de son intention de modifier le régime des cotisations Maribel bis/ter, en mettant en place un nouveau système (dit «Maribel quater») de manière à éliminer le caractère sélectif du régime mis en cause par la décision. Par lettre du 15 avril 1997, ce système a été expressément approuvé par la Commission dans la mesure où il s'agissait, selon elle, d'une mesure générale,
laquelle ne relevait pas à ce titre du champ d'application de l'article 92, paragraphe 1, du traité. La Commission a convenu par conséquent avec les autorités belges que l'introduction du régime Maribel quater mettrait fin au régime d'aides mis en cause dans la décision.

8. Aucun accord n'a été par contre obtenu sur la récupération des aides accordées entre-temps au titre de l'opération Maribel bis/ter et c'est justement le fait que ces aides n'ont pas été récupérées qui est à l'origine de la présente affaire. Les positions des parties, telles qu'elles ont été exposées dans le cadre des différentes réunions entre les autorités belges et les services de la Commission, ainsi que dans un important échange de correspondance, peuvent être résumées brièvement comme suit.

9. Les autorités belges faisaient valoir, d'une part, que le calcul exact de la somme à récupérer auprès de chaque entreprise était rendu difficile par tout un ensemble de circonstances. Parmi celles-ci, notamment: la disparition ou la faillite de certaines entreprises; la confusion entre les réductions de cotisations Maribel bis et ter; la prise en compte des différentes formes de financement auxquelles les entreprises auraient eu droit si elles n'avaient pas bénéficié de ces réductions; les
difficultés comptables liées à une éventuelle déduction des nouvelles réductions des cotisations prévues au titre de l'opération Maribel quater des sommes à rembourser; le nombre important d'entreprises bénéficiaires, pour lesquelles les réductions auraient dû être calculées, trimestre par trimestre, en fonction du nombre des travailleurs employés; et, en substance, le coût élevé et la charge de travail intolérable qu'une telle opération aurait entraînés pour l'administration compétente. Pour
surmonter ces difficultés, les autorités belges estimaient qu'il était nécessaire de recourir à un calcul forfaitaire du montant des aides à récupérer, mais s'abstenaient de fournir des indications plus précises à cet égard. Elles faisaient en tout état de cause valoir qu'en application de la règle dite «de minimis» les entreprises dont le nombre de salariés est inférieur à 50 étaient exclues de l'obligation de restituer les aides en cause.

10. Pour sa part, la Commission, tout en n'écartant pas en principe l'application de la règle de minimis et une éventuelle compensation entre les sommes à restituer et le montant des nouvelles réductions prévues au titre de l'opération Maribel quater, a demandé à plusieurs reprises aux autorités belges de présenter une proposition concrète quant à la récupération des aides en cause. Elle faisait notamment valoir le caractère très vague du calcul forfaitaire envisagé pour les sommes à récupérer et a,
par conséquent, exclu toute hypothèse de calcul qui ne tiendrait pas compte des réductions de cotisations dont les entreprises avaient effectivement bénéficié.

11. Il est important de noter que les discussions relatives à l'exécution de la décision se sont poursuivies pendant de nombreux mois, durant lesquels les autorités belges n'ont apparemment fait aucune tentative pour récupérer les aides en cause et n'ont, en tout état de cause, pas présenté de proposition concrète pour surmonter les difficultés qu'elles déclaraient rencontrer dans le calcul de ces aides. Elles ont au contraire suscité à plusieurs reprises des doutes sur leurs intentions, comme
lorsqu'elles ont indiqué, par lettre du 10 avril 1998, que certains modèles de calcul proposés précédemment et acceptés par la Commission était purement théoriques et n'étaient pas utilisables.

12. Pour débloquer la situation, la Commission a enjoint par conséquent aux autorités belges, par lettres des 10 mars et 4 mai 1998, de présenter dans un bref délai (respectivement de 20 et de 15 jours ouvrables) des propositions concrètes relatives à la récupération des aides. Dans les deux lettres, il était précisé que, si la Commission n'avait pas reçu une telle proposition dans le délai imparti, elle serait contrainte de saisir la Cour de justice pour défaut d'exécution de la décision.

13. N'ayant pas considéré que les réponses du gouvernement belge à ces questions étaient suffisantes, la Commission s'est résolue, le 21 octobre 1998, à introduire le présent recours. Dans sa requête elle a reproché au royaume de Belgique: (a) de ne pas avoir pleinement satisfait aux obligations de coopération loyale que lui impose l'article 5 du traité CE (devenu article 10 CE) pour rechercher en accord avec la Commission une solution satisfaisante pour la récupération des aides Maribel bis/ter;
(b) de ne pas avoir pris d'initiatives pour chercher à récupérer lesdites aides auprès des entreprises bénéficiaires, et (c) de ne pas avoir proposé de modalités alternatives d'exécution de la décision permettant de surmonter les difficultés rencontrées pour la récupération desdites aides.

14. Le royaume de Belgique a répondu par un mémoire en défense du 4 février 1999, dans lequel il a fait valoir qu'il avait agi avec diligence pour procéder à la récupération des aides en cause, mais qu'il avait rencontré des difficultés insurmontables pour le calcul exact - trimestre par trimestre - des réductions des cotisations dont avaient bénéficié les diverses entreprises. Selon les autorités belges, seul un calcul forfaitaire du montant à récupérer aurait permis de surmonter ces difficultés,
mais cette hypothèse avait été écartée par la Commission. Dans le mémoire en défense, le gouvernement belge a reproché, en outre, à la Commission de ne pas avoir coopéré de manière constructive à la recherche d'une solution acceptable au problème de la récupération, en soulignant que l'obligation de coopération loyale impose des obligations aussi bien aux institutions communautaires qu'aux États membres. Enfin, le gouvernement belge a souligné que, en l'absence d'une solution de caractère général à
ce problème, il ne pouvait pas exécuter la décision vis-à-vis de quelques-unes seulement des entreprises en cause, sans enfreindre le principe de la parité de traitement.

15. Ces questions constituent l'objet du présent litige et seront examinées plus loin dans la partie des conclusions consacrée à l'analyse juridique. Pour être complet, nous devons toutefois signaler qu'après l'introduction du présent recours les parties ont continué à mener des discussions sur l'exécution de la décision. En réponse notamment à une question de la Cour, il a été précisé qu'entre février et mai 1999 les autorités belges ont examiné et discuté avec la Commission différentes versions
d'un «projet de protocole» proposé par les autorités belges en vue de résoudre le problème de la récupération des aides Maribel bis/ter.

16. Ce document (dans sa dernière version du 19 mai 1999) prévoyait pour l'essentiel les mesures suivantes: (a) l'aide serait récupérée dans un délai de trois ans (du 1er avril 2000 au 1er avril 2003), mais aucune récupération n'interviendrait pour les réductions de contributions inférieures au seuil de minimis; (b) il serait tenu compte dans le calcul des sommes à récupérer du fait que les cotisations qui n'avaient pas été payées en raison des réductions Maribel bis/ter étaient déductibles sur le
plan fiscal et lesdites sommes seraient par conséquent réduites de manière correspondante; (c) les intérêts acquis à partir de la date de l'octroi des aides seraient calculés au taux moyen de référence de 6, 36 %; (d) la situation des entreprises en difficulté ou soumises à un processus de restructuration ferait l'objet d'un examen spécifique, et (e) une partie importante de la somme à récupérer serait redistribuée au moyen d'une diminution généralisée des cotisations sociales et une autre partie
devrait être utilisée dans les limites autorisées par les seuils de minimis.

17. La méthodologie proposée dans le document précité a été en substance acceptée par la Commission qui s'est bornée à demander des précisions aux autorités belges. En ce qui nous concerne, il y a lieu notamment de souligner que, par lettre du 1er juillet 1999, le gouvernement belge a précisé que la somme à récupérer serait déterminée pour chaque entreprise en fonction du nombre de travailleurs effectivement employés lors de l'octroi de l'aide.

18. La récupération des aides Maribel bis/ter a été par conséquent réglementée par une loi du 24 décembre 1999 et, pour autant que nous le sachions, elle est en cours actuellement; selon les indications fournies par les autorités belges, à la date du 3 novembre 2000, la récupération avait déjà eu lieu pour les trois quarts des entreprises concernées. Certaines modalités d'une telle récupération ont cependant été contestées par la Commission, qui a indiqué aux autorités belges qu'il était nécessaire
d'apporter des modifications au texte de ladite loi. Il semble que les parties ne soient actuellement plus en désaccord que sur deux aspects spécifiques de cette loi: sur la possibilité d'appliquer la règle de minimis, en déduisant automatiquement et de manière généralisée 100 000 euros de la somme que chaque entreprise doit restituer, ainsi que sur le caractère ambigu de la loi qui semblerait consentir aux entreprises intéressées une double déduction fiscale sur les sommes à restituer.

19. Il y a lieu enfin de rappeler que, alors que la procédure écrite dans la présente affaire était encore en cours, la Cour s'est prononcée sur le recours présenté par le gouvernement belge en vue de l'annulation de la décision (affaire C-75/97). Par arrêt du 17 juin 1999 , elle a rejeté ce recours et, entre autres, le moyen tiré de l'illégalité de l'obligation de récupération qui lui avait été imposée par la décision, obligation dont «l'exécution serait, dès sa naissance, de manière objective et
absolue, impossible à réaliser» . Elle a notamment retenu que «les difficultés pratiques que le grand nombre d'entreprises concernées va incontestablement entraîner» ne «sont pas non plus de nature à permettre de considérer la récupération comme étant techniquement impossible à réaliser. En effet, rien ne prouve, malgré la présence incontestable des difficultés telles qu'énoncées par le gouvernement belge au moment même de l'injonction attaquée, d'une part, qu'il est absolument impossible de
procéder à la récupération et, d'autre part, que cette impossibilité absolue existait déjà au moment où la Commission a pris la décision attaquée» .

Analyse juridique

Sur l'objet de la présente procédure

20. Lors de l'examen de la présente affaire, il convient à titre préliminaire de définir la portée exacte et d'évaluer la pertinence des faits postérieurs à l'introduction de la requête. En effet, il résulte d'une jurisprudence constante de la Cour dans le cadre des procédures en application de l'article 169 du traité CE (devenu article 226 CE) que «l'existence d'un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l'État membre telle qu'elle se présentait au terme du délai fixé dans
l'avis motivé et les changements intervenus par la suite ne sauraient être pris en compte par la Cour [...]. Il s'ensuit que les dispositions législatives ou réglementaires adoptées après l'expiration dudit délai ne peuvent pas être prises en compte» .

21. Cette jurisprudence consolidée doit, selon nous, trouver application également dans le cas d'un recours introduit conformément à l'article 93, paragraphe 2, deuxième alinéa, du traité, que la Cour a défini comme «une variante du recours en manquement, adaptée de manière spécifique aux problèmes particuliers que présentent les aides étatiques pour la concurrence dans le marché commun» . En effet, si le parallélisme évident institué par le traité entre les deux procédures doit avoir un sens, il
est clair que le principe selon lequel il y a lieu pour la Cour d'apprécier l'existence d'une infraction à l'échéance du délai fixé pour y mettre fin doit s'appliquer également aux recours introduits en application de l'article 93, paragraphe 2, deuxième alinéa. Puisqu'en ce qui concerne ces derniers il n'est pas prévu de phase précontentieuse, à la différence de ce qui est le cas dans les recours en manquement, et que la Commission n'émet par conséquent pas d'avis motivé imposant aux États membres
un délai pour se conformer à la décision, le délai de référence sera naturellement dans ce cas celui qui a été prévu dans la décision dont la non-exécution est contestée ou, le cas échéant, le délai que la Commission a fixé par la suite.

22. Nous en arrivons maintenant à la présente affaire. Après avoir souligné que, en tout état de cause, le manquement existait encore lors de l'introduction du recours par la Commission, nous rappelons que le gouvernement belge était tenu, en application de l'article 2 de la décision, de mettre fin, «sans délai», à l'octroi des aides et de procéder à leur récupération. Il était en outre tenu, selon son article 3, d'informer la Commission, dans un délai de deux mois, à partir de la notification de la
décision elle-même, des mesures qu'il prévoyait d'adopter pour s'y conformer. Nous avons par ailleurs déjà souligné qu'à deux reprises (le 10 mars 1998 et le 14 mai de la même année) la Commission a fixé un délai aux autorités belges (respectivement de 20 jours et de 15 jours ouvrables) pour présenter une proposition concrète de récupération des aides, en précisant que, si tel n'était pas le cas, elle saisirait la Cour. Nous considérons par conséquent que l'existence du manquement litigieux dans la
présente affaire doit être appréciée, au plus tard, à l'échéance du délai imparti par la Commission dans sa lettre du 4 mai 1998. Les initiatives prises par les autorités belges après cette date (quand ce n'est pas plusieurs mois après l'introduction de la présente procédure), parmi lesquelles notamment le «projet de protocole» sur la récupération des aides et la loi du 24 décembre 1999 ne doivent par conséquent pas être prises en considération à cette fin. Elles peuvent tout au plus être prises en
compte pour établir dans les faits si à l'échéance du délai imparti par la Commission l'impossibilité alléguée de procéder à la récupération des aides Maribel bis/ter subsistait ou non.

Sur l'impossibilité absolue de procéder à la récupération

23. Comme nous l'avons vu, il est acquis dans la présente affaire que les autorités belges n'ont pas procédé à la récupération des aides Maribel bis/ter dans le délai imparti par la Commission; les parties sont par contre en désaccord en ce qui concerne les raisons invoquées par les autorités belges pour justifier le fait que les mesures nécessaires n'aient pas été adoptées.

24. À cet égard, il convient de rappeler que, «conformément à une jurisprudence constante, le seul moyen de défense susceptible d'être invoqué par un État membre contre le recours en manquement, introduit par la Commission sur la base de l'article 93, paragraphe 2, du traité, est celui tiré d'une impossibilité absolue d'exécuter correctement la décision [...]. Cette condition n'est cependant pas remplie lorsque le gouvernement défendeur se borne à faire part à la Commission des difficultés
juridiques, politiques ou pratiques que présentait la mise en oeuvre de la décision, sans entreprendre quelque démarche que ce soit auprès des entreprises en cause aux fins de récupérer l'aide et sans proposer à la Commission des modalités alternatives de mise en oeuvre de la décision qui auraient permis de surmonter les difficultés» . Par ailleurs l'«impossibilité absolue ne peut reposer sur de simples suppositions mais doit, au contraire, être démontrée par l'échec de tentatives de récupération
effectuées de bonne foi, lesquelles doivent être accompagnées d'une coopération avec la Commission, conformément à l'article 5 du traité, dans le but de surmonter les difficultés rencontrées» .

25. Or, les autorités belges n'ont, selon nous, pas fourni de preuves convaincantes quant à l'impossibilité absolue de procéder à la récupération des aides Maribel bis/ter. Elles se sont bornées en pratique à dénoncer l'existence des difficultés de caractère technico-administratif que présentait une telle récupération, et qui résultaient essentiellement du nombre important d'entreprises concernées (environ 1 200) ainsi que de la nécessité de déterminer le montant des aides - trimestre par trimestre
- sur la base du nombre de travailleurs effectivement employés dans ces entreprises. Il ne résulte pas par contre du dossier qu'elles aient fait «des démarches auprès des entreprises en cause aux fins de récupérer l'aide» et que des «tentatives de récupération effectuées de bonne foi» aient échoué.

26. Il convient du reste également de souligner que la Cour a déjà eu l'occasion de préciser que les difficultés de caractère technico-administratif du type invoqué par les autorités belges ne comportent pas en elles-mêmes d'impossibilité absolue de récupérer les aides en cause. Nous nous référons notamment à l'affaire précitée, Commission/Italie (C-280/95), dans laquelle l'État défendeur avait précisément invoqué l'impossibilité de procéder à la récupération des aides accordées sous forme
d'allégements fiscaux, en faisant valoir qu'une telle récupération du crédit d'impôt aurait imposé «la détermination des bénéficiaires dans l'abstrait (environ 100 000), l'examen de chaque situation individuelle, pour une ou plusieurs années [...], la vérification du crédit d'impôt effectivement utilisé, la répartition du crédit total utilisé par chacun dans les différents postes d'impôt, la préparation des documents à l'appui de chaque demande de restitution et la demande de restitution, étant
entendu que chaque service [devrait procéder] à la récupération des impôts relevant de sa compétence, tant par référence au territoire qu'au type d'impôt» . La Cour a toutefois rejeté ces arguments, en considérant que, «à supposer même que la récupération du crédit d'impôt en cause pose des difficultés sur le plan administratif, cette circonstance n'est pas de nature à permettre de considérer la récupération comme étant techniquement impossible à réaliser» . Le simple fait de se heurter à des
difficultés pratiques ne saurait en effet mettre fin à l'obligation de récupérer des aides accordées illégalement; il faut pour cela qu'il soit objectivement et absolument impossible de récupérer les aides en cause.

27. En l'espèce, par conséquent, même si les autorités belges avaient effectivement rencontré - dans le cadre de tentatives infructueuses - de graves difficultés pour récupérer les aides Maribel bis/ter, elles auraient dû, en tout état de cause, «proposer à la Commission des modalités alternatives de mise en oeuvre de la décision qui [auraient permis] de surmonter les difficultés» . Cependant, il ne nous semble pas qu'une proposition semblable ait été formulée dans la présente affaire. En tout état
de cause, nous ne pensons pas que l'on puisse envisager comme telle l'hypothèse formulée en termes extrêmement vagues par les autorités belges, d'un calcul forfaitaire des aides à récupérer. Il nous semble, en effet, que le gouvernement belge n'a pas fourni à la Commission d'indications de nature à clarifier en quoi consisterait ce critère, et notamment quels éléments devraient être considérés de manière «forfaitaire». En d'autres termes, il n'a pas clarifié la question de savoir si le calcul
forfaitaire devait concerner le montant des aides reçues par chacune des entreprises (indépendamment du nombre des travailleurs effectivement employés), ou s'il devait porter sur d'autres éléments, comme par exemple le taux applicable pour calculer les intérêts légaux sur cette somme (taux qui, dans le «projet de protocole» et dans la loi postérieure du 24 décembre 1999, a été calculé sur la base des taux moyens applicables au cours de la période de référence). En l'absence d'indications plus
précises, nous considérons que la Commission ne pouvait rien faire d'autre que déclarer inacceptable un éventuel calcul forfaitaire qui n'aurait pas tenu compte du montant des réductions de cotisations dont les entreprises avaient effectivement bénéficié.

28. Mais ce qui est le plus important, c'est que l'impossibilité alléguée de calculer de manière exacte le montant des aides Maribel bis/ter semble en réalité démentie dans les faits. Cela résulte avant tout de l'engagement pris par les autorités belges dans la lettre du 1er juillet 1999 (en réponse aux critiques formulées par la Commission sur le «projet de protocole») de calculer la somme qu'il convenait de récupérer en se fondant sur le nombre de travailleurs effectivement employés dans les
entreprises bénéficiaires lors de l'attribution des réductions de cotisations; et, plus encore, cela résulte des affirmations du gouvernement belge, selon lesquelles après l'adoption de la loi du 24 décembre 1999 il a procédé en peu de mois à la récupération des aides auprès des trois quarts des entreprises concernées. Or, s'il est vrai qu'il a été possible de récupérer la plus grande partie des aides en cause dans un délai aussi bref, nous ne comprenons pas comment on pouvait sérieusement soutenir
jusqu'à peu auparavant qu'il était absolument impossible de procéder à une telle récupération.

29. En conclusion sur ce point, nous sommes d'avis que le royaume de Belgique ne saurait justifier de l'inexécution de la décision dans les délais prescrits, en alléguant une impossibilité de récupérer les aides Maribel bis/ter.

Sur l'obligation de coopération loyale

30. De ce qui vient d'être exposé, il résulte également, à notre avis, que le gouvernement belge n'a pas respecté son obligation de coopérer loyalement avec la Commission pour rechercher, dans le délai prescrit, une solution acceptable au problème de récupération des aides.

31. À dire vrai, le gouvernement belge allègue que ce n'est pas lui qui, en l'espèce, a violé l'obligation de coopération loyale découlant de l'article 5 du traité CE, mais la Commission. Il est vrai, en effet, que, selon la jurisprudence de la Cour, «les relations entre les États membres et les institutions communautaires sont régies, en vertu de l'article 5 du traité, par un principe de coopération loyale» et que «ce principe oblige non seulement les États membres à prendre toutes les mesures
propres à garantir la portée et l'efficacité du droit communautaire [...] mais impose également aux institutions communautaires des devoirs réciproques de coopération loyale avec les États membres» . Il est clair cependant qu'en l'espèce les positions du royaume de Belgique et de la Commission sont très différentes et que leurs obligations réciproques de coopération se concrétisent de manière très différente. Il en va ainsi pour deux sortes de raisons au moins.

32. En premier lieu, parce que les problèmes relatifs à la récupération des aides illégalement accordées ne se seraient pas posés si l'État belge avait respecté l'obligation de notification préalable inscrite à l'article 93, paragraphe 3, du traité. Il résulte du reste de l'arrêt précité Belgique/Commission (affaire C-75/97) que, peu après l'adoption du régime Maribel bis/ter, la Commission avait demandé aux autorités belges des éclaircissements sur ces opérations et avait souligné «que toute aide
octroyée illégalement est susceptible de faire l'objet d'une demande de remboursement», de sorte que «le gouvernement belge ne pouvait ignorer le risque d'une récupération éventuelle de l'aide illégale» (points 77 et 79). Dans cette situation, il nous semble évident que le royaume de Belgique avait une responsabilité spécifique aux fins d'éliminer les effets de distorsion de la concurrence des aides illégalement octroyées, en adoptant toute mesure utile pour surmonter les difficultés y relatives.

33. En second lieu, il est bien connu qu'«il est de jurisprudence établie que, étant donné l'absence de dispositions communautaires portant sur la procédure de recouvrement des montants indûment versés, la récupération des aides irrégulièrement octroyées doit être effectuée selon les modalités prévues par le droit national» . Il en résulte qu'il incombe aux autorités nationales - bien entendu sous le contrôle de la Commission - de définir les modalités appropriées pour procéder à une telle
récupération.

34. Comme nous l'avons dit, c'est précisément pour ces motifs que la jurisprudence communautaire a précisé que si les autorités nationales rencontrent de graves difficultés pour récupérer les aides illégales, en application d'une décision de la Commission, elles sont tenues de proposer d'autres modalités d'exécution de la décision qui permettent de surmonter ces difficultés. Elles ne sauraient se libérer de cette obligation en reportant sur la Commission la charge de trouver de manière autonome une
solution aux problèmes de récupération. Il est en effet clair que ce n'est que par le biais d'une proposition concrète des autorités nationales que la Commission est mise en mesure de coopérer de manière constructive à la recherche d'une solution qui garantisse la récupération «dans le plein respect des dispositions du traité et, notamment, de celles relatives aux aides» .

35. Par conséquent, compte tenu du fait que le gouvernement belge n'a formulé dans le délai prescrit aucune proposition concrète pour surmonter les difficultés posées par la récupération des aides Maribel bis/ter, il ne saurait faire grief à la Commission de ne pas avoir coopéré à la recherche d'une solution à ces problèmes. Il ressort, du reste, du dossier de la présente affaire que la Commission a suivi avec attention les problèmes soulevés par les autorités belges, en indiquant à chaque fois ce
qu'elle en pensait. Il en résulte en outre que la Commission a demandé à plusieurs reprises aux autorités belges de présenter des propositions concrètes, en l'absence desquelles sa contribution à la solution des problèmes ne pouvait être que marginale.

36. Nous estimons donc qu'il convient également de rejeter les arguments présentés par le gouvernement belge sur ce point et, par conséquent, de faire droit au recours introduit par la Commission.

Sur les dépens

37. Conformément à l'article 69 du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s'il est conclu en ce sens. Puisque la Commission a conclu en ce sens et compte tenu de ce que nous venons de dire sur le bien-fondé du recours, il y a lieu, selon nous, de faire droit à la demande de la Commission concernant les dépens.

Conclusion

Pour les raisons ci-dessus exposées, nous proposons par conséquent à la Cour de déclarer que:

1) en ne s'étant pas conformé dans les délais prescrits à la décision 97/239/CEE de la Commission, du 4 décembre 1996, concernant les aides prévues par la Belgique au titre de l'opération Maribel bis/ter, le royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 189, quatrième alinéa, du traité CE (devenu article 249, quatrième alinéa, CE);

2) le royaume de Belgique est condamné aux dépens.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-378/98
Date de la décision : 23/01/2001
Type de recours : Recours en constatation de manquement - fondé

Analyses

Manquement d'Etat - Aides d'Etat - Article 93, paragraphe 2, deuxième alinéa, du traité CE (devenu article 88, paragraphe 2, deuxième alinéa, CE) - Obligation de récupérer les aides accordées dans le cadre des opérations Maribel bis et Maribel ter - Impossibilité d'exécution.

Aides accordées par les États

Concurrence


Parties
Demandeurs : Commission des Communautés européennes
Défendeurs : Royaume de Belgique.

Composition du Tribunal
Avocat général : Tizzano
Rapporteur ?: Colneric

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2001:48

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