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06/12/2000 | CJUE | N°C-481/98

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 6 décembre 2000., Commission des Communautés européennes contre République française., 06/12/2000, C-481/98


Avis juridique important

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61998C0481

Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 6 décembre 2000. - Commission des Communautés européennes contre République française. - Manquement d'Etat - Sixième directive TVA - Articles 12, paragraphe 3, sous a), et 28, paragraphe 2, sous a) - Taux réduit. - Affair

e C-481/98.
Recueil de jurisprudence 2001 page I-03369

Conclusions de l'...

Avis juridique important

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61998C0481

Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 6 décembre 2000. - Commission des Communautés européennes contre République française. - Manquement d'Etat - Sixième directive TVA - Articles 12, paragraphe 3, sous a), et 28, paragraphe 2, sous a) - Taux réduit. - Affaire C-481/98.
Recueil de jurisprudence 2001 page I-03369

Conclusions de l'avocat général

1. Par le recours soumis à notre examen, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en introduisant et en maintenant en vigueur l'article 281 octies du code général des impôts, qui prévoit un taux de 2,1 % de taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») pour les médicaments remboursables, alors que les autres médicaments sont frappés du taux de 5,5 %, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 12 de la sixième
directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (ci-après la «sixième directive»).

2. Ledit article 12 prévoit en son paragraphe 3, sous a), dans la rédaction découlant de la directive 92/111/CEE , que:

«Le taux normal de la taxe sur la valeur ajoutée est fixé par chaque État membre à un pourcentage de la base d'imposition qui est le même pour les livraisons de biens et pour les prestations de services. À partir du 1er janvier 1993 et jusqu'au 31 décembre 1996, ce pourcentage ne peut être inférieur à 15 %.

[...]

Les États membres peuvent également appliquer soit un, soit deux taux réduits. Ces taux sont fixés à un pourcentage de la base d'imposition qui ne peut être inférieur à 5 % et ils s'appliquent uniquement aux livraisons de biens et aux prestations de services des catégories visées à l'annexe H.»

3. Les médicaments constituent une catégorie de biens inscrite dans cette annexe H.

4. L'existence de taux de TVA inférieurs à 5 % est cependant admise par l'article 28, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive, dans la rédaction découlant de la directive 92/77/CEE . Celui-ci dispose, en effet, que, pendant une période transitoire, qui n'est pas close à ce jour, nonobstant l'article 12, paragraphe 3:

«Les exonérations avec remboursement de la taxe payée au stade antérieur et les taux réduits inférieurs au taux minimal fixé à l'article 12 paragraphe 3 en matière de taux réduits, qui étaient applicables au 1er janvier 1991 et qui sont en conformité avec la législation communautaire et qui répondent aux critères visés à l'article 17 dernier tiret de la deuxième directive du 11 avril 1967, peuvent être maintenus.

[...]»

5. En vertu desdits critères de l'article 17, il faut que ces taux réduits aient été fixés «pour des raisons d'intérêt social bien définies et en faveur des consommateurs finals».

6. Pour la Commission, l'existence en France de deux taux de TVA différents pour les médicaments, suivant qu'ils sont ou non remboursables par la sécurité sociale, ne saurait être admise, parce qu'il n'est pas satisfait à au moins l'une des conditions posées par l'article 28, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive, dans la rédaction découlant de la directive 92/77.

7. De son point de vue, en effet, le fait que les médicaments ne sont pas tous soumis au même taux de TVA n'est pas en conformité avec la législation communautaire.

8. Tous les médicaments sont, selon elle, des produits semblables, de sorte que l'existence de deux taux de TVA différents se heurte au principe de l'uniformité de la taxe, inscrit à l'article 12, paragraphe 3, précité, et va à l'encontre des principes essentiels du régime communautaire de TVA, la neutralité fiscale et l'élimination des distorsions de concurrence.

9. La Commission concède que le régime organisé par les directives communautaires comporte des entorses limitées à ces principes, notamment du fait que l'article 28, paragraphe 2, sous i), de la sixième directive, dans la version résultant de la directive 96/42/CE du Conseil, du 25 juin 1996 , autorise les États membres à appliquer un taux réduit de TVA au bois lorsqu'il est destiné au chauffage et que l'annexe H de la sixième directive, dans la rédaction issue de la directive 92/77, autorise
l'application d'un taux réduit de 5 % minimum, au lieu du taux normal de 15 % minimum, à la livraison de logements, lorsqu'il s'agit de logements sociaux, et à la prestation de services et à la livraison des biens, lorsqu'elles sont le fait d'organismes reconnus comme ayant un caractère social par les États membres et engagés dans des oeuvres d'aide et de sécurité sociale.

10. Mais elle estime que l'existence de ces dérogations instituées par le législateur communautaire ne saurait, en aucune manière, être invoquée par le gouvernement français pour en justifier d'autres, telle celle qu'il a unilatéralement instituée.

11. Le fait même que le législateur communautaire est intervenu pour les instituer prouverait d'ailleurs que, faute d'une volonté expresse de celui-ci, aucune dérogation ne saurait être admise.

12. La Commission n'est par ailleurs pas convaincue que le taux de 2,1 % pour les médicaments remboursables corresponde effectivement à des raisons d'intérêt social bien définies, car, derrière cette mesure, elle voit un but économique, l'allégement des charges de la sécurité sociale, mais elle estime inutile de s'étendre longuement sur ce point, dans la mesure où fait, de toute manière, défaut la conformité avec la législation communautaire.

13. Pour le gouvernement français, le recours doit être rejeté, parce que toutes les conditions de l'article 28, paragraphe 2, sous a), sont remplies. Le taux de 2,1 % existait antérieurement à la date du 1er janvier 1991, ce que ne conteste d'ailleurs pas la Commission.

14. Les médicaments remboursables et ceux qui ne le sont pas constituent des produits différents, de sorte qu'il est faux d'affirmer qu'il y aurait violation des principes invoqués par la Commission et dont il est vrai qu'ils sont essentiels dans le régime communautaire de TVA.

15. L'existence du taux de 2,1 % correspond bien à un intérêt social, puisqu'elle permet de faciliter aux assurés sociaux l'accès aux soins de santé.

16. Compte tenu de la manière dont le litige s'est décanté au cours de la procédure écrite et des positions adoptées par les parties au cours de l'audience, il apparaît que la solution du litige dépend de la question de savoir si tous les médicaments doivent être considérés comme des produits semblables au regard du système communautaire de TVA, ou si l'on peut considérer que ceux qui sont remboursables se distinguent, au regard de ce même système, des autres.

17. La Commission reconnaît que c'est en vain que l'on rechercherait dans les différentes directives relatives à la TVA une disposition explicitant la notion de produits semblables et admet, en conséquence, que l'on se trouve dans une situation où le recours au raisonnement par analogie à partir d'autres branches du droit communautaire est admissible.

18. Mais, alors que le gouvernement français entend tirer des analogies de la directive 65/65/CEE du Conseil, du 26 janvier 1965, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives, relatives aux spécialités pharmaceutiques , du tarif douanier commun, de la jurisprudence relative à l'admissibilité, au regard des articles 30 et 36 du traité CE (devenus, après modification, articles 28 CE et 30 CE), d'une règle nationale interdisant aux pharmaciens d'exécuter
l'ordonnance d'un médecin en substituant un médicament à un autre et du droit de la concurrence, la Commission estime que le seul raisonnement par analogie pouvant être légitimement opéré dans la présente affaire est celui empruntant à la jurisprudence de la Cour sur la notion de produits similaires au sens de l'article 95, paragraphe 1, du traité CE (devenu, après modification, article 90, paragraphe 1, CE).

19. Signalons, tout de suite, que la Commission ne fait nullement porter sa critique sur la manière dont les autorités françaises procèdent à l'inscription d'un médicament sur la liste des médicaments remboursables.

20. Elle ne conteste nullement que cette inscription intervient en application de critères objectifs et s'effectue dans le respect des règles posées par la directive 89/105/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, concernant la transparence des mesures régissant la fixation des prix des médicaments à usage humain et leur inclusion dans le champ d'application des systèmes nationaux d'assurance-maladie .

21. Pour la Commission, le classement des médicaments en deux catégories ne saurait cependant revêtir la moindre pertinence au regard de l'application du régime communautaire de TVA, car le fait qu'il y ait des médicaments remboursables et d'autres qui ne le sont pas ne permet pas de conclure que, au regard dudit régime, il s'agit de produits différents, pouvant se voir appliquer des taux différents sans qu'il y ait violation du principe de neutralité fiscale et de l'interdiction de créer des
distorsions de concurrence.

22. Pour étayer son affirmation, selon laquelle les médicaments remboursables sont différents des médicaments non remboursables, de sorte que les principes du régime communautaire de TVA n'imposent pas qu'ils soient taxés au même taux, le gouvernement français avance différents arguments tendant à démontrer que la catégorie des médicaments, telle qu'appréhendée par le droit communautaire, est loin d'être homogène.

23. Certains de ces arguments ne résistent, à notre avis, manifestement pas à l'examen et peuvent donc être rapidement écartés.

24. C'est, en premier lieu, le cas de l'argument tiré de la directive 65/65. Selon le gouvernement français, l'existence de différentes catégories de médicaments est consacrée par cette directive, puisqu'il y est prévu qu'un produit peut être défini comme un médicament à partir de différents critères, et il est vrai que, pour faire entrer un produit dans la catégorie des médicaments, la directive retient, à côté de sa fonction, sa présentation. Mais cela n'enlève rien au fait, souligné par la
Commission, que ce que vise la directive, lorsqu'elle énonce les différentes hypothèses dans lesquelles un produit est à considérer, pour son application, comme un médicament, c'est uniquement à opérer une distinction entre les médicaments et les autres produits.

25. Un produit peut être un médicament à divers titres, mais, une fois qu'il est reconnu comme médicament, c'est un régime unique qui s'applique à lui et, en tout état de cause, rien dans la directive ne donne appui à la thèse suivant laquelle tous les médicaments ne seraient pas des produits semblables au regard de la TVA.

26. N'est pas davantage pertinent le fait, souligné par le gouvernement français, que, toujours en vertu de la directive 65/65, deux médicaments, dont la composition en principes actifs est identique, peuvent faire l'objet de deux autorisations de mise sur le marché différentes.

27. En fait, ce n'est pas parce que deux spécialités pharmaceutiques, vendues sous des marques et une présentation différentes, doivent faire l'objet d'autorisations de mise sur le marché distinctes qu'ils ne peuvent pas être des produits semblables au regard de la TVA.

28. En effet, la raison d'être de deux autorisations de mise sur le marché doit vraisemblablement être recherchée dans la nécessité de vérifier, chaque fois qu'un fabriquant entend mettre un médicament sur le marché, de quel produit il s'agit exactement et de s'assurer qu'il ne pourrait pas se révéler préjudiciable au regard des exigences de la santé publique.

29. Ceci est tout à fait étranger aux exigences de neutralité fiscale du régime communautaire de TVA.

30. C'est aussi, de manière encore plus évidente, le cas de la définition du médicament retenue par le tarif douanier commun, que le gouvernement français invoque comme illustration de l'absence d'homogénéité de la catégorie des médicaments.

31. En effet, si, du point de vue de l'application du tarif douanier commun, sont retenus comme médicaments à la fois des produits dont les propriétés curatives sont avérées et d'autres pour lesquels ces propriétés sont simplement annoncées ou supposées à travers leur mode de présentation et de commercialisation, tous les médicaments relèvent de la même subdivision du tarif douanier commun et les sous-catégories que connaît celle-ci n'ont aucun rapport avec le remboursement par la sécurité sociale.

32. C'est enfin également le cas de l'arrêt du 18 mai 1989 . Dans cet arrêt, la Cour a admis que: «une disposition nationale d'un État membre selon laquelle un pharmacien est tenu, pour exécuter une ordonnance désignant un produit médical par sa marque ou son nom déposé, de délivrer exclusivement un produit portant cette marque ou ce nom peut être justifiée par des raisons de protection de la santé publique, au titre de l'article 36 du traité, même lorsque cette disposition a pour effet d'empêcher
le pharmacien de vendre un produit de valeur thérapeutique équivalente, autorisé par les autorités nationales compétentes en vertu de dispositions adoptées conformément à l'arrêt de la Cour du 20 mai 1976 dans l'affaire 104/75, et fabriqué par la même société ou le même groupe de sociétés, ou encore par le titulaire d'une licence de cette société, mais revêtu d'une marque ou d'un nom utilisés pour ce produit dans un autre État membre, différents de ceux mentionnés dans l'ordonnance».

33. Le raisonnement de la Cour est, en effet, un raisonnement en termes de protection de la santé publique. En admettant la limitation du pouvoir de substitution du pharmacien entre les produits de marques différentes, la Cour a visé, en réalité, à préserver le pouvoir de prescription du médecin et à éviter les risques pouvant découler de la remise au malade d'un produit qui n'est pas exactement celui que lui a prescrit son médecin, si ce n'est qu'au niveau de l'apparence.

34. Il nous paraît, dès lors, difficile de soutenir que, ce faisant, la Cour aurait consacré la possibilité de considérer comme des produits différents au regard de l'application de la TVA deux produits faisant appel aux mêmes principes actifs.

35. Dès lors que son raisonnement se situait strictement dans le cadre de l'article 36 du traité, la discussion sur le point de savoir si la Cour a considéré que la spécialité commercialisée par un laboratoire et son concurrent générique sont ou non semblables me semble assez vaine.

36. Beaucoup plus en rapport avec la question que la Cour est appelée à trancher, et méritant donc un examen très approfondi, nous apparaissent les arguments que le gouvernement français tire de l'article 95 du traité et du droit de la concurrence.

37. S'agissant de l'article 95 du traité, la Commission elle-même admet que le raisonnement par analogie, à partir de l'abondante jurisprudence qu'il a suscitée, est légitime, puisque, tout comme le régime communautaire de TVA, ledit article vise à garantir la neutralité fiscale et à éviter des distorsions de concurrence.

38. La Commission considère, cependant, que ce raisonnement ne se révèle d'aucun secours pour le gouvernement français, puisque ladite jurisprudence a toujours privilégié une conception très large de la similarité des produits, considérant que celle-ci ne doit pas s'apprécier en fonction d'un critère d'identité rigoureuse, mais d'analogie et de comparabilité dans l'utilisation .

39. A fortiori, deux produits présentant des caractéristiques objectives identiques devraient-ils être considérés comme des produits similaires au sens de l'article 95, paragraphe 1, du traité.

40. Et, de fait, ce n'est pas en raison de différences intrinsèques entre eux que les médicaments sont inscrits sur la liste des produits remboursables ou en sont exclus.

41. D'une part, l'inscription n'intervient que sur demande du fabricant et un fabricant peut, pour un produit donné, ne pas voir d'intérêt à cette inscription, dans la mesure où le fait que son produit aura été inscrit lui imposera un certain nombre de contraintes. Il perdra la liberté d'en fixer le prix et ne pourra le faire bénéficier d'une publicité à destination du grand public.

42. Mais il est tout à fait envisageable qu'un autre fabricant, pour un produit intrinsèquement identique, opère un choix différent, estimant que les avantages de l'inscription l'emportent sur les contraintes dont elle s'accompagne.

43. D'autre part, même si les fabricants de deux médicaments intrinsèquement identiques sollicitent tous deux l'inscription, les règles applicables en France ne garantissent pas qu'ils l'obtiendront tous deux.

44. En effet, aux termes de l'article R 163-3 du code de la sécurité sociale, les médicaments remboursables sont ceux qui apportent soit une amélioration du service médical rendu en termes d'efficacité thérapeutique ou, le cas échéant, d'effet secondaire, soit une économie dans le coût du traitement médicamenteux.

45. Un médicament nouveau et qui n'apporte pas d'éléments thérapeutiques nouveaux, ou qui est cher, pourra donc être exclu du remboursement, sans être pour autant intrinsèquement différent d'un médicament remboursable ayant le même usage.

46. Le gouvernement français fait cependant valoir que la similarité des produits ne s'apprécie pas uniquement, selon la jurisprudence relative à l'article 95, paragraphe 1, du traité, en fonction des caractéristiques intrinsèques des marchandises. Elle suppose, également, que les produits soient substituables, en ce sens qu'ils doivent répondre aux mêmes besoins des consommateurs.

47. Dans l'arrêt John Walker, précité, la Cour a, en effet, jugé que:

«[...] Pour l'appréciation du caractère de similitude, il importe donc de prendre en considération, d'une part, un ensemble de caractéristiques objectives des deux catégories de boissons, telles que leur origine, leurs procédés de fabrication, leurs qualités organoleptiques, notamment leur goût et leur teneur en alcool, et, d'autre part, le fait que les deux catégories de boissons sont susceptibles ou non de répondre aux mêmes besoins des consommateurs» (point 11).

48. Cette capacité à répondre aux besoins des consommateurs nous semble introduire une part de subjectivité dans l'appréciation de la similitude et, de fait, il ne peut être exclu que même deux produits intrinsèquement identiques ne répondent pas véritablement aux mêmes besoins du consommateur, dès lors que l'on introduit cet élément tenant aux choix du consommateur, à sa vision personnelle de l'usage qu'il peut faire de chacun des deux produits et des avantages qu'il peut retirer de chacun d'entre
eux.

49. Il est certain que la position du gouvernement français serait nettement plus forte si les médicaments remboursables ne pouvaient être délivrés par le pharmacien que sur présentation d'une ordonnance médicale, alors que les médicaments non remboursables étaient tous en vente libre, c'est-à-dire relevaient de l'automédication. Mais tel n'est pas le cas.

50. En effet, dans le système français, il existe des médicaments qui ne sont délivrés que sur ordonnance, mais qui ne sont pas pour autant remboursables, par exemple parce qu'ils ont été jugés trop onéreux ou parce qu'ils sont considérés comme des médicaments de confort, dont on estime que la sécurité sociale n'a pas à supporter le coût.

51. Il existe, également, des médicaments remboursables qui peuvent être achetés dans une pharmacie sans ordonnance médicale, mais qui ne seront remboursés que s'ils ont été prescrits par un médecin.

52. Il existe, enfin, des médicaments qui ne requièrent aucune ordonnance médicale et qui ne peuvent jamais faire l'objet d'un remboursement, parce qu'ils ne figurent pas sur la liste des médicaments remboursables.

53. Malgré ces clivages, peut-on néanmoins considérer, comme le fait le gouvernement français, que l'ensemble des médicaments remboursables répond à un besoin différent de celui auquel répondent les médicaments non remboursables?

54. La Commission répond par la négative, en soulignant qu'une personne qui souffre passagèrement de légers maux de tête va vraisemblablement se rendre directement à la pharmacie et demander au pharmacien de lui vendre un médicament susceptible de soulager ses maux, et se soucie peu de savoir si le médicament est remboursable ou non, puisqu'elle n'a pas d'ordonnance.

55. Il se peut qu'elle demande au pharmacien de lui délivrer un produit remboursable, mais ce ne sera pas parce qu'il l'est, mais uniquement parce qu'elle l'a déjà utilisé sur prescription de son médecin, et qu'elle en a constaté les effets bénéfiques. Dans ce cas, si le produit est en vente libre, le pharmacien n'aura aucune raison de se refuser à le lui délivrer.

56. En pratique, il peut d'ailleurs arriver que le médicament remboursable, même lorsque le remboursement n'en peut pas être demandé, faute d'ordonnance, soit moins cher que le médicament non remboursable ayant les mêmes vertus curatives et que le taux de TVA de 2,1 % ne soit pas étranger à cette différence.

57. Toutefois, le médicament non remboursable peut aussi se révéler moins cher que le médicament remboursable, en dépit de la TVA plus élevée qu'il supporte. De plus, il ne nous semble pas possible de fonder tout notre raisonnement sur ces hypothèses particulières, car, en règle générale, les médicaments remboursables seront quand même achetés sur la base d'une ordonnance et feront l'objet d'un remboursement total ou partiel.

58. Par ailleurs, si l'on se plaçait non plus au niveau du consommateur individuel, mais au niveau de la communauté des consommateurs bénéficiant du régime français de sécurité sociale, on parviendrait plutôt à une conclusion contraire à celle de la Commission.

59. On serait, en effet, amené à considérer que cette communauté a un besoin spécifique, celui de disposer d'un ensemble complet de médicaments permettant de satisfaire aux exigences d'une médecine de qualité pouvant faire face à l'ensemble des pathologies dans des conditions économiques optimales, besoin qui serait satisfait par le recours à une pharmacopée nettement délimitée, dont la liste des médicaments remboursables serait la traduction. L'adéquation de ces médicaments au besoin ainsi défini
de l'ensemble des assurés sociaux en ferait des médicaments correspondant à un besoin spécifique des consommateurs et devant être distingués des autres médicaments, dont le remboursement ne se justifierait pas au regard de la satisfaction de ce besoin.

60. Envisagée de ce point de vue, la question de l'existence d'une distinction susceptible d'être prise en compte dans le cadre du système communautaire de TVA pourrait recevoir une réponse reconnaissant le bien-fondé de la thèse du gouvernement français.

61. Cette approche peut, et nous en arrivons au dernier argument du gouvernement français, s'appuyer sur un raisonnement par analogie à partir du droit communautaire de la concurrence. En effet, comme l'a très justement mis en exergue le gouvernement français, la Commission, dans sa décision Glaxo/Wellcome , relative à une opération notifiée de concentration, a admis que le marché des médicaments remboursables peut être distingué de celui des médicaments qui ne le sont pas. On lit, en effet, au
point 8 de cette décision, que «[a] distinction may also be made between medicines which are wholly or partially reimbursed under the health insurance system and medicines which are not reimbursed».

62. Or, à partir du moment où l'on peut considérer que les marchés de ces deux catégories de médicaments sont distincts, il devient déjà difficilement concevable que des taux de TVA différents puissent provoquer des distorsions de concurrence.

63. La Commission invoque, certes, l'avant-dernier considérant de la première directive TVA , en vertu duquel le système communautaire de TVA doit «aboutir à une neutralité concurrentielle en ce sens qu'à l'intérieur de chaque pays les marchandises semblables supportent la même charge fiscale». Mais nous ne sommes pas persuadé que le système à deux taux, appliqué par la République française, porte effectivement atteinte à la neutralité concurrentielle.

64. En effet, même s'il existe des médicaments remboursables qui sont en vente libre dans les pharmacies, un médicament ne peut être remboursé que s'il a été prescrit par un médecin. En d'autres termes, les produits qui sont effectivement remboursés ne sont accessibles pour le consommateur que si celui-ci consulte un médecin et si ce dernier estime utile de les lui prescrire.

65. Nous sommes donc bien en présence de deux catégories de marchandises, que sépare une barrière, la prescription médicale.

66. L'une de ces catégories bénéficie d'un avantage intrinsèque, celui de pouvoir être remboursé. Le consommateur, par le truchement de son médecin prescripteur, recherche par priorité les médicaments relevant de cette catégorie, non pas parce qu'ils bénéficient d'un taux de TVA plus réduit, mais parce qu'ils ne lui coûteront en définitive rien ou très peu. Le taux de TVA plus élevé frappant les médicaments non remboursables n'est donc pas, en lui-même, de nature à provoquer un accroissement de la
consommation des médicaments remboursables aux dépens des médicaments non remboursables.

67. En résumé, comme les deux catégories de médicaments ne se trouvent pas dans une relation de concurrence dans laquelle la taxation pourrait jouer un rôle déterminant, et comme ils ne sont pas substituables selon le libre choix du consommateur, nous estimons finalement pouvoir conclure qu'il ne s'agit pas de marchandises semblables.

68. La mesure critiquée par la Commission satisfait donc, à notre avis, à la deuxième condition posée par l'article 28, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive, dans la rédaction découlant de la directive 92/77.

69. Reste alors la question de savoir si la troisième condition que pose cette disposition, à savoir que le taux réduit ait été institué au vu de raisons d'intérêt social bien définies et en faveur du consommateur final, est satisfaite.

70. Sur ce point, la Commission, comme nous l'avons déjà rappelé, ne s'est guère étendue, et il nous semble que, ce faisant, elle a eu raison. Il paraît, en effet, difficilement contestable qu'il y a bien un intérêt social, puisque le coût d'un traitement médical prescrit par un médecin est abaissé pour le malade. Par ailleurs, le consommateur final est bien bénéficiaire du faible taux de TVA, puisque, généralement, il n'obtiendra pas le remboursement intégral du montant qu'il aura dépensé.

71. Que la collectivité des assurés, et par là même des cotisants, à la sécurité sociale bénéficie aussi de la mesure n'est pas niable, mais cela ne saurait suffire pour considérer que la troisième condition n'est pas, elle aussi, remplie.

Conclusion

72. Au vu de l'ensemble des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de juger que:

- le recours est rejeté;

- la Commission est condamnée aux dépens.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-481/98
Date de la décision : 06/12/2000
Type de recours : Recours en constatation de manquement - non fondé

Analyses

Manquement d'Etat - Sixième directive TVA - Articles 12, paragraphe 3, sous a), et 28, paragraphe 2, sous a) - Taux réduit.

Taxe sur la valeur ajoutée

Fiscalité


Parties
Demandeurs : Commission des Communautés européennes
Défendeurs : République française.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mischo
Rapporteur ?: Colneric

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2000:665

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