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11/07/2000 | CJUE | N°C-473/98

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour du 11 juillet 2000., Kemikalieinspektionen contre Toolex Alpha AB., 11/07/2000, C-473/98


Avis juridique important

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61998J0473

Arrêt de la Cour du 11 juillet 2000. - Kemikalieinspektionen contre Toolex Alpha AB. - Demande de décision préjudicielle: Kammarrätten i Stockholm - Suède. - Libre circulation des marchandises - Interdiction nationale de principe de l'emploi du trichloréthylène - Article 36 du

traité CE (devenu, après modification, article 30 CE). - Affaire C-473/9...

Avis juridique important

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61998J0473

Arrêt de la Cour du 11 juillet 2000. - Kemikalieinspektionen contre Toolex Alpha AB. - Demande de décision préjudicielle: Kammarrätten i Stockholm - Suède. - Libre circulation des marchandises - Interdiction nationale de principe de l'emploi du trichloréthylène - Article 36 du traité CE (devenu, après modification, article 30 CE). - Affaire C-473/98.
Recueil de jurisprudence 2000 page I-05681

Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés

Libre circulation des marchandises - Restrictions quantitatives - Mesures d'effet équivalent - Interdiction d'utiliser du trichloréthylène à des fins professionnelles assortie d'un système de dérogations - Justification - Protection de la santé publique

(Traité CE, art. 30 et 36 (devenus, après modification, art. 28 CE et 30 CE))

Sommaire

$$Une réglementation nationale qui prévoit, d'une part, une interdiction de principe d'utiliser du trichloréthylène à des fins professionnelles et, d'autre part, un système de dérogations individuelles et conditionnées constitue une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative au sens de l'article 30 du traité (devenu, après modification, article 28 CE), qui est justifiée au titre de l'article 36 du traité (devenu, après modification, article 30 CE) par des raisons de protection de la
santé des personnes.

Compte tenu des derniers travaux de la recherche médicale en la matière, mais aussi des difficultés de détermination, en l'état actuel de cette recherche, du seuil critique à partir duquel l'exposition au trichloréthylène constituerait un risque sérieux pour la santé humaine, il n'apparaît pas qu'une telle réglementation va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre le but visé. Notamment, le système de dérogations individuelles et conditionnées qu'elle prévoit apparaît adéquat et proportionné
dans la mesure où il permet d'améliorer la protection des travailleurs tout en tenant compte des exigences de continuité des entreprises. (voir points 35, 45-46, 49 et disp.)

Parties

Dans l'affaire C-473/98,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), par le Kammarrätten i Stockholm (Suède) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Kemikalieinspektionen

et

Toolex Alpha AB,

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation des articles 30 et 36 du traité CE (devenus, après modification, articles 28 CE et 30 CE),

LA COUR,

composée de MM. G. C. Rodríguez Iglesias, président, J. C. Moitinho de Almeida, D. A. O. Edward, L. Sevón et R. Schintgen, présidents de chambre, J.-P. Puissochet, G. Hirsch, P. Jann, H. Ragnemalm, M. Wathelet (rapporteur) et Mme F. Macken, juges,

avocat général: M. J. Mischo,

greffier: Mme L. Hewlett, administrateur,

considérant les observations écrites présentées:

- pour la Kemikalieinspektionen, par Me L. Lindström, avocat à Stockholm, et M. C. M. von Quitzow, docteur en droit,

- pour Toolex Alpha AB, par M. H. Lindberg, maître en droit,

- pour le gouvernement suédois, par Mme L. Nordling, rättschef au ministère des Affaires étrangères, et M. A. Kruse, departementsråd au même ministère, en qualité d'agents,

- pour la Commission des Communautés européennes, par Mme L. Ström, conseiller juridique, en qualité d'agent,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les observations orales de Toolex Alpha AB, du gouvernement suédois et de la Commission à l'audience du 8 février 2000,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 21 mars 2000,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt

1 Par ordonnance du 17 décembre 1998, parvenue à la Cour le 21 décembre suivant, le Kammarrätten i Stockholm (cour d'appel administrative de Stockholm) a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), une question préjudicielle relative à l'interprétation des articles 30 et 36 du traité CE (devenus, après modification, articles 28 CE et 30 CE).

2 Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige opposant la Kemikalieinspektionen (inspection des produits chimiques) à Toolex Alpha AB (ci-après «Toolex») au sujet du droit pour cette dernière d'utiliser du trichloréthylène à des fins professionnelles.

La réglementation communautaire

3 La réglementation communautaire pertinente est composée de trois actes:

- la directive 67/548/CEE du Conseil, du 27 juin 1967, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à la classification, l'emballage et l'étiquetage des substances dangereuses (JO 1967, 196, p. 1, ci-après la «directive `classification'»);

- la directive 76/769/CEE du Conseil, du 27 juillet 1976, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à la limitation de la mise sur le marché et de l'emploi de certaines substances et préparations dangereuses (JO L 262, p. 201, ci-après la «directive `mise sur le marché'»); et

- le règlement (CEE) n_ 793/93 du Conseil, du 23 mars 1993, concernant l'évaluation et le contrôle des risques présentés par les substances existantes (JO L 84, p. 1, ci-après le «règlement `évaluation des risques'»).

4 La directive «classification» poursuit deux objectifs qui sont, d'une part, la sauvegarde de la population, notamment des travailleurs qui emploient des substances et préparations dangereuses (premier considérant), et, d'autre part, l'élimination des entraves aux échanges de ces substances et préparations (deuxième considérant). Modifiée à de nombreuses reprises, elle établit les principes généraux de classification, d'emballage et d'étiquetage des substances et préparations dangereuses, laissant
à des directives ultérieures le soin de rapprocher les dispositions relatives à l'utilisation desdites substances et préparations (cinquième considérant).

5 Le trichloroéthylène, communément appelé trichloréthylène, est classé comme cancérogène, catégorie 3, dans les phrases R40 (nocif) et R52/53 (dangereux pour l'environnement). La catégorie de danger «cancérogène» comprend trois sous-catégories parmi lesquelles la catégorie 3 correspond au risque le plus léger. La phrase R40 signifie «possibilité d'effets irréversibles» et la phrase R53 «peut entraîner des effets néfastes à long terme pour l'environnement aquatique».

6 L'article 112 de l'acte relatif aux conditions d'adhésion de la république d'Autriche, de la république de Finlande et du royaume de Suède et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l'Union européenne (JO 1994, C 241, p. 21, et JO 1995, L 1, p. 1), lu en combinaison avec les dispositions de l'annexe XII du même acte, a prévu une période transitoire de quatre ans à compter de la date d'adhésion, prolongée jusqu'au 31 décembre 2000 par la directive 1999/33/CE du Parlement européen et du
Conseil, du 10 mai 1999, modifiant la directive 67/548 en ce qui concerne l'étiquetage de certaines substances dangereuses en Autriche et en Suède (JO L 199, p. 57), pendant laquelle la classification suédoise du trichloréthylène reste en vigueur, alors qu'elle utilise une phrase R supplémentaire non prévue dans la classification communautaire.

7 La directive «mise sur le marché» concerne les limitations apportées à la mise sur le marché ou à l'utilisation de substances et préparations dangereuses. Aux termes de l'article 2 de ladite directive:

«Les États membres prennent toutes les mesures utiles pour que les substances et préparations dangereuses indiquées à l'annexe ne puissent être mises sur le marché ou utilisées qu'aux conditions qui y sont prévues...».

8 Le trichloréthylène ne figure pas dans la liste reprise à l'annexe des substances et préparations dangereuses.

9 Le règlement «évaluation des risques» prévoit que, sur la base des informations communiquées par les fabricants et les importateurs en vertu des articles 3 et 4 du même règlement et sur la base de listes nationales de substances prioritaires, la Commission, en consultation avec les États membres, dresse régulièrement des listes de substances ou de groupes de substances prioritaires nécessitant une attention immédiate du fait des effets potentiels qu'elles pourraient avoir sur l'homme et
l'environnement (article 8, paragraphe 1).

10 Pour chacune des substances figurant sur les listes prioritaires, un État membre est désigné comme responsable de son évaluation. Il désigne, parmi les autorités compétentes visées à l'article 13, le rapporteur pour ladite substance (article 10, paragraphe 1, du règlement «évaluation des risques»).

11 Sur la base de l'évaluation des risques et de la stratégie recommandées par le rapporteur pour limiter ces risques, la Commission décide, si nécessaire, de proposer des mesures communautaires dans le cadre de la directive «mise sur le marché» ou dans le cadre d'autres instruments communautaires existants appropriés (article 11 du règlement «évaluation des risques»).

12 En vertu du règlement «évaluation des risques», le trichloréthylène a fait l'objet d'une évaluation des risques. Selon celle-ci, il convient de limiter les risques auxquels sont exposés les travailleurs, les consommateurs et la population par l'entremise de l'environnement. L'analyse de risque écologique a également constaté qu'une certaine contamination des plantes peut exister. Une stratégie de réduction du risque est actuellement en cours d'élaboration.

La réglementation nationale

13 La lagen (1985:426) om kemiska produkter (loi suédoise sur les produits chimiques) habilite le gouvernement, ou l'autorité administrative que celui-ci a désignée, à interdire le traitement, l'importation ou l'exportation d'un produit chimique, s'il existe des raisons spécifiques de protection de la santé ou de l'environnement.

14 Sur la base de cette habilitation, le gouvernement suédois a promulgué le förordningen (1991:1289) om vissa klorerade lösningsmedel (règlement suédois relatif à certains solvants contenant du chlore). L'article 2 de ce règlement interdit la vente, la cession ou l'utilisation, à des fins professionnelles, des produits chimiques composés entièrement ou partiellement de trichloréthylène. Cette interdiction est entrée en vigueur le 1er janvier 1996.

15 L'article 3 du même règlement permet cependant à la Kemikalieinspektionen de prévoir, outre des dérogations générales justifiées par des motifs spécifiques, des dérogations individuelles motivées par des raisons «particulières».

16 Sur le fondement de cet article, la Kemikalieinspektionen a arrêté les Kemikalieinspektionens föreskrifter om undantag från förbud i förordningen (1991:1289) om vissa klorerade lösningsmedel, KIFS 1995:6 (instruction de la Kemikalieinspektionen concernant les dérogations aux interdictions contenues dans le règlement 1991:1289, ci-après les «KIFS 1995:6»), également applicables à partir du 1er janvier 1996.

17 Aux termes de l'article 4 des KIFS 1995:6, une entreprise qui connaissait des difficultés transitoires pouvait utiliser du trichloréthylène pour le dégraissage et le séchage durant l'année 1996 sous certaines conditions. Il fallait, notamment, qu'elle n'eût pas commencé à utiliser cette substance avant d'avoir reçu l'accusé de réception de sa demande et eût acquitté les droits afférents et que la demande indiquât, entre autres, pour chaque poste de travail, l'évaluation de la quantité de produit
utilisée, les méthodes utilisées et les difficultés transitoires rencontrées ainsi que la manière selon laquelle la requérante comptait les résoudre et le délai dans lequel elle comptait y parvenir.

18 L'article 5 des KIFS 1995:6 prévoyait que la Kemikalieinspektionen notifierait une décision indiquant les cas dans lesquels l'utilisation de trichloréthylène déclarée en application de l'article 2 pourrait également être autorisée après le 31 décembre 1996.

19 Les KIFS 1995:6 ont été modifiées en 1996 et en 1997 par, respectivement, les KIFS 1996:8 et 1997:3. Elles ont depuis été remplacées par les dispositions des KIFS 1998:8, section 4, chapitre 9.

20 À la suite de la modification des KIFS 1995:6 intervenue en 1996, les sociétés qui avaient déclaré connaître des difficultés transitoires et qui avaient reçu une confirmation écrite de la Kemikalieinspektionen ont pu continuer à utiliser du trichloréthylène pour le dégraissage et le séchage jusqu'au 31 mars 1997.

21 Les KIFS 1997:3, entrées en vigueur le 1er avril 1997, ont introduit dans les KIFS 1995:6 un nouvel article 1a en vertu duquel l'existence de raisons particulières doit être en principe admise lorsque l'entreprise requérante prouve:

«1. qu'elle cherche en permanence des alternatives plausibles;

2. qu'aucune alternative applicable n'est encore disponible pour apporter une solution à son problème;

3. que l'utilisation qu'elle fait [du trichloréthylène] n'entraîne pas d'expositions inacceptables.»

En revanche, la Kemikalieinspektionen n'exige plus, comme c'était le cas pour les demandes introduites antérieurement, que le demandeur présente un plan indiquant quand et comment le trichloréthylène sera éliminé.

Le litige au principal

22 Toolex, qui fabrique des pièces d'outils servant à la production de disques compacts, utilise du trichloréthylène pour éliminer la graisse provenant des résidus de fabrication. À l'instar de quelque 220 entreprises, elle a sollicité le droit d'utiliser du trichloréthylène au-delà du mois de mars 1997.

23 Par décision du 18 juin 1996, la Kemikalieinspektionen a rejeté la demande de Toolex, essentiellement au motif que cette dernière, comme environ 90 % des entreprises requérantes, ne pouvait pas présenter un plan de suppression de l'usage du trichloréthylène. Toolex a formé un recours devant le länsrätten i Stockholmslän (tribunal administratif du département de Stockholm). Celui-ci a annulé la décision attaquée au motif que la législation suédoise était en conflit sur ce point avec le droit
communautaire.

24 La Kemikalieinspektionen a fait appel de la décision du länsrätten auprès du Kammarrätten i Stockholm, qui a déféré à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Une interdiction d'utiliser du trichloréthylène à des fins professionnelles comme celle décrite dans l'ordonnance de renvoi est-elle, eu égard à sa finalité, une disposition compatible avec l'article 36 du traité CE et avec son application en droit communautaire, même lorsqu'elle est incompatible avec les dispositions de l'article 30?»

Observations liminaires

25 À titre liminaire, il convient de rappeler que, si le recours à l'article 36 du traité permet de maintenir des restrictions nationales à la libre circulation des marchandises justifiées par certaines raisons qui constituent des exigences fondamentales reconnues par le droit communautaire, ce recours n'est toutefois plus possible lorsque des directives communautaires prévoient l'harmonisation des mesures nécessaires à la réalisation de l'objectif spécifique que poursuivrait le recours à l'article
36 (voir, en ce sens, arrêt du 23 mai 1996, Hedley Lomas, C-5/94, Rec. p. I-2553, point 18).

26 Aussi, avant de répondre à la question préjudicielle relative à l'interprétation des articles 30 et 36 du traité posée par la juridiction nationale, il convient de déterminer si les États membres demeurent habilités à réglementer l'utilisation professionnelle du trichloréthylène, compte tenu des actes de droit dérivé rappelés aux points 3 à 12 du présent arrêt.

Sur la portée de la réglementation communautaire

27 La Commission soutient que la combinaison des directives «classification» et «mise sur le marché» et du règlement «évaluation des risques» constitue une réglementation communautaire relative au trichloréthylène apte à satisfaire à des exigences sévères de sécurité et suffisamment développée pour rendre inutile toute interdiction nationale d'utiliser du trichloréthylène.

28 Ce point de vue ne saurait être admis.

29 La directive «classification» a, en effet, un domaine bien délimité, à savoir la notification, la classification, l'emballage et l'étiquetage des substances dangereuses. S'agissant de l'utilisation desdites substances, la directive «classification» se borne à imposer l'apposition sur les emballages de conseils de prudence destinés à informer le grand public sur les mesures à adopter lors de la manipulation de ces substances. En revanche, cette directive n'harmonise nullement les conditions de
mise sur le marché et d'utilisation de ces substances dangereuses, alors que ces questions constituent précisément l'objet d'une réglementation nationale telle que celle en cause au principal.

30 La directive «mise sur le marché» n'énonçant, quant à elle, que des dispositions minimales, ainsi que cela ressort de son article 2, rappelé au point 7 du présent arrêt, elle ne fait évidemment pas obstacle à la réglementation, par un État membre, de la mise sur le marché de substances qu'elle ne vise pas, telles que le trichloréthylène.

31 Enfin, le règlement «évaluation des risques» ne s'oppose pas non plus, en lui-même, à l'exercice d'une telle compétence par un État membre. Son objet consiste à mettre en place une procédure d'évaluation des risques liés aux substances existantes et d'identification des substances prioritaires nécessitant une attention immédiate au niveau communautaire du fait de leurs effets potentiels sur l'homme et l'environnement. S'il entend faciliter la gestion de tels risques au niveau communautaire, le
règlement «évaluation des risques» n'impose pas d'obligations et n'harmonise pas les réglementations relatives à l'utilisation de substances en général et du trichloréthylène en particulier.

32 Si, conformément à l'article 11, paragraphe 3, du règlement «évaluation des risques», il appartient à la Commission, sur la base de l'évaluation des risques et de la recommandation de stratégie faites conformément aux dispositions de ce règlement, de proposer, le cas échéant, des mesures communautaires dans le cadre de la directive «mise sur le marché» ou dans le cadre d'autres instruments communautaires appropriés, force est de constater qu'elle n'a pas encore fait usage de cette faculté en ce
qui concerne le trichloréthylène.

33 Le droit communautaire dérivé ne faisant pas obstacle à ce qu'un État membre réglemente l'utilisation professionnelle du trichloréthylène, il convient d'aborder la question de l'interprétation des articles 30 et 36 du traité.

Sur les articles 30 et 36 du traité

34 Par sa question, la juridiction de renvoi demande en substance si les articles 30 et 36 du traité doivent être interprétés en ce sens qu'ils font obstacle à une réglementation nationale qui contient, d'une part, une interdiction de principe de l'usage du trichloréthylène à des fins professionnelles et, d'autre part, institue un système de dérogations individuelles.

35 En premier lieu, il convient de relever qu'une réglementation nationale telle que celle en cause au principal constitue en principe une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative au sens de l'article 30 du traité.

36 En effet, d'une part, l'interdiction de principe de l'usage du trichloréthylène à des fins professionnelles est susceptible d'entraîner une restriction du volume des importations de trichloréthylène.

37 D'autre part, si des dérogations individuelles peuvent être accordées par l'autorité nationale compétente, la notion de mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative s'étend à l'obligation imposée à un opérateur économique de demander une exemption ou une dérogation à une mesure nationale constituant elle-même une restriction quantitative ou une mesure d'effet équivalent (voir, notamment, arrêts du 24 janvier 1978, Van Tiggele, 82/77, Rec. p. 25, point 19, et du 8 novembre 1979,
Denkavit Futtermittel, 251/78, Rec. p. 3369, point 11). Au demeurant, il ressort des mémoires déposés et des observations à l'audience que les dérogations sont transitoires, l'objectif à long terme du législateur suédois restant de supprimer totalement l'utilisation du trichloréthylène à des fins professionnelles.

38 En second lieu, il y a lieu de rappeler que, parmi les biens ou intérêts protégés par l'article 36 du traité, la santé et la vie des personnes occupent le premier rang (voir arrêt du 10 novembre 1994, Ortscheit, C-320/93, Rec. p. I-5243, point 16).

39 À cet égard, il n'a pas été soutenu qu'une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui vise à interdire tout usage professionnel du trichloréthylène pourrait être fondée sur des considérations autres que la protection de la santé et de la vie des personnes ou la protection de l'environnement. Il résulte d'ailleurs de la classification donnée au trichloréthylène sur le fondement de la directive «classification» que la dangerosité de ce produit a été reconnue au niveau
communautaire.

40 Toutefois, une réglementation ou une pratique nationale qui a ou est de nature à avoir un effet restrictif sur les importations de produits n'est compatible avec le traité que pour autant qu'elle est nécessaire pour protéger efficacement la santé et la vie des personnes. Une réglementation ou une pratique nationale ne peut donc bénéficier de la dérogation de l'article 36 du traité lorsque la santé et la vie des personnes peuvent être protégées de manière aussi efficace par des mesures moins
restrictives des échanges communautaires (voir, s'agissant des produits pharmaceutiques, arrêts du 7 mars 1989, Schumacher, 215/87, Rec. p. 617, point 18; du 21 mars 1991, Delattre, C-369/88, Rec. p. I-1487, point 53; du 16 avril 1991, Eurim-Pharm, C-347/89, Rec. p. I-1747, point 27, et Ortscheit, précité, point 17).

41 Le gouvernement suédois expose que le trichloréthylène affecte le système nerveux central, le foie et les reins. Sa très grande volatilité contribuerait à multiplier les situations d'exposition qui pourraient facilement avoir des effets négatifs sur la santé. Son inhalation pourrait provoquer de la fatigue, des maux de tête ainsi que des troubles de la mémoire et de la concentration.

42 Au cours des dernières années, les appréhensions se seraient renforcées. Notamment, l'Agence internationale de recherche sur le cancer (ci-après l'«AIRC»), instituée par l'Organisation mondiale de la santé, aurait présenté des preuves limitées du caractère cancérogène du trichloréthylène ressortant d'études épidémiologiques sur l'homme et des preuves suffisantes ressortant d'études expérimentales menées sur des animaux.

43 À la suite de l'évaluation faite par l'AIRC en 1995, d'autres études épidémiologiques sur le lien entre l'exposition au trichloréthylène et le cancer chez l'homme auraient été publiées. Récemment, une étude allemande de contrôle de cas aurait démontré un lien, attesté d'un point de vue statistique, entre le cancer du rein et l'exposition au trichloréthylène. Ce résultat corroborerait une découverte communiquée dans une précédente étude, publiée en 1995, concluant également que le trichloréthylène
peut provoquer le cancer du rein chez l'homme. De plus, une nouvelle étude épidémiologique américaine donnerait des indications quant au risque aggravé de cancer du rein, notamment à la suite d'une exposition au trichloréthylène dans le cadre professionnel.

44 Il existerait également des preuves solides que l'effet cancérogène du trichloréthylène sur le rein chez le rat vaudrait également chez l'homme. Les métabolites toxiques et mutagènes qui se forment chez les animaux de laboratoire auraient également été identifiés chez l'homme. Cela renforcerait les soupçons du caractère cancérogène pour l'homme du trichloréthylène.

45 Compte tenu des derniers travaux de la recherche médicale en la matière, mais aussi des difficultés de détermination, en l'état actuel de cette recherche, du seuil critique à partir duquel l'exposition au trichloréthylène constituerait un risque sérieux pour la santé humaine, aucun élément du dossier ne permet à la Cour de constater qu'une réglementation nationale telle que celle en cause au principal va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre le but visé (voir, en ce sens, arrêt du 18
mai 1989, Association of Pharmaceutical Importers, 266/87 et 267/87, Rec. p. 1295, point 22).

46 Notamment, le système de dérogations individuelles et conditionnées qu'elle prévoit apparaît adéquat et proportionné dans la mesure où il permet d'améliorer la protection des travailleurs tout en tenant compte des exigences de continuité des entreprises.

47 D'une part, l'octroi d'une dérogation est subordonné à la condition de l'absence d'un produit de substitution moins dangereux et à l'obligation pour le requérant de rechercher à l'avenir une solution de rechange moins nocive pour la santé publique et l'environnement. Ces exigences sont conformes au principe dit de «substitution» qui se dégage notamment des directives 89/391/CEE du Conseil, du 12 juin 1989, concernant la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité
et de la santé des travailleurs au travail (JO L 183, p. 1), et 90/394/CEE du Conseil, du 28 juin 1990, concernant la protection des travailleurs contre les risques liés à l'exposition à des agents cancérigènes au travail (sixième directive particulière au sens de l'article 16 paragraphe 1 de la directive 89/391) (JO L 196, p. 1), et qui consiste à éliminer ou diminuer les risques en remplaçant une substance à risque par d'autres, moins dangereuses.

48 D'autre part, le souci d'éviter une désorganisation de l'entreprise, faute d'une solution de rechange, ne justifie la délivrance d'une dérogation que pour autant que l'exposition au trichloréthylène ne soit pas inacceptable.

49 Au vu de ces considérations, une réglementation nationale qui prévoit, d'une part, une interdiction de principe d'utiliser du trichloréthylène à des fins professionnelles et, d'autre part, un système de dérogations individuelles et conditionnées est justifiée au titre de l'article 36 par des raisons de protection de la santé des personnes.

Décisions sur les dépenses

Sur les dépens

50 Les frais exposés par le gouvernement suédois et par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Dispositif

Par ces motifs,

LA COUR,

statuant sur la question à elle soumise par le Kammarrätten i Stockholm, par ordonnance du 17 décembre 1998, dit pour droit:

Une réglementation nationale qui prévoit, d'une part, une interdiction de principe d'utiliser du trichloréthylène à des fins professionnelles et, d'autre part, un système de dérogations individuelles et conditionnées est justifiée au titre de l'article 36 du traité CE (devenu, après modification, article 30 CE) par des raisons de protection de la santé des personnes.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-473/98
Date de la décision : 11/07/2000
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Kammarrätten i Stockholm - Suède.

Libre circulation des marchandises - Interdiction nationale de principe de l'emploi du trichloréthylène - Article 36 du traité CE (devenu, après modification, article 30 CE).

Restrictions quantitatives

Mesures d'effet équivalent

Libre circulation des marchandises


Parties
Demandeurs : Kemikalieinspektionen
Défendeurs : Toolex Alpha AB.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mischo
Rapporteur ?: Wathelet

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2000:379

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