Avis juridique important
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61999A0067
Arrêt du Tribunal de première instance (cinquième chambre) du 27 juin 2000. - K contre Commission des Communautés européennes. - Fonctionnaires - Obligation d'assistance incombant à l'administration - Article 24 du statut - Portée - Limites. - Affaire T-67/99.
Recueil de jurisprudence - fonction publique 2000 page IA-00127
page II-00579
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif
Parties
Dans l'affaire T-67/99,
K, fonctionnaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Bruxelles (Belgique), représenté par Me É. Boigelot, avocat au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Me L. Schiltz, 2, rue du Fort Rheinsheim,
partie requérante,
contre
Commission des Communautés européennes, représentée par M. G. Valsesia, conseiller juridique principal, et Mme F. Clotuche-Duvieusart, membre du service juridique, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. C. Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,
partie défenderesse,
ayant pour objet une demande d'annulation de la décision de la Commission du 15 mai 1998 portant rejet de la demande d'assistance introduite par le requérant sur la base de l'article 24 du statut des fonctionnaires des Communautés européennes, en vue d'obtenir la prise en charge des frais liés à une procédure pénale à la suite d'une plainte transmise au parquet de Bruxelles,
LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
(cinquième chambre),
composé de M. R. García-Valdecasas, président, Mme P. Lindh et M. J. D. Cooke, juges,
greffier: M. J. Palacio González, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 22 février 2000,
rend le présent
Arrêt
Motifs de l'arrêt
Cadre juridique du litige
1 L'article 24, premier et deuxième alinéas, du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après le «statut») énonce:
«Les Communautés assistent le fonctionnaire, notamment dans toute poursuite contre les auteurs de menaces, outrages, injures, diffamations ou attentats contre la personne et les biens, dont il est, ou dont les membres de sa famille sont l'objet, en raison de sa qualité et de ses fonctions.
Elles réparent solidairement les dommages subis de ce fait par le fonctionnaire dans la mesure où celui-ci ne se trouve pas, intentionnellement ou par négligence grave, à l'origine de ces dommages et n'a pu obtenir réparation de leur auteur.»
Faits à l'origine du litige
2 Le requérant est entré au service de la Commission le 1er mai 1988 en qualité de fonctionnaire. En 1998, il exerçait ses fonctions au sein de la direction générale «Personnel et administration» (DG IX).
3 Son fils, âgé de 2 ans et neuf mois au moment des faits, était admis depuis le mois de septembre 1996 à la crèche Clovis, qui est l'un des sites du Centre de la petite enfance ouvert aux enfants des agents des institutions européennes.
4 Cette crèche accueille des enfants âgés de 4 ans au plus, depuis son ouverture en septembre 1995. Sa gestion était assurée par une société de droit belge, la SA Esedra (ci-après l'«Esedra») constituée par les sociétés italiennes Aristea et CIR. Le contrat de gestion qui a été conclu avec l'Esedra, à la suite de l'appel d'offres de la Commission publié au Journal officiel des Communautés européennes du 22 décembre 1994, est entré en vigueur le 1er août 1995.
5 La Commission est propriétaire de l'immeuble, sis boulevard Clovis, n_ 75, à Bruxelles, dans lequel se trouve la crèche Clovis. La Commission met à la disposition de celle-ci l'équipement nécessaire à son fonctionnement et prend en charge les frais liés à l'infrastructure. Les services de la Commission assurent le contrôle aux entrées du bâtiment, ces tâches étant confiées au bureau de sécurité. La Commission organise également le service médical, gère l'admission des enfants, contrôle
l'alimentation et les conditions d'hygiène et supervise le programme pédagogique appliqué au sein de la crèche Clovis.
6 Le fils du requérant aurait subi dans cette crèche, durant le mois de mai 1997, des agressions et des viols répétés. Le requérant et son épouse ont porté plainte contre X. Le parquet de Bruxelles a ouvert une instruction.
7 Le 20 mars 1998, le requérant a adressé au directeur général de la DG IX une demande d'assistance au titre de l'article 24 du statut.
8 Cette demande mentionne, notamment, ce qui suit:
«[...]
2. Nous demandons donc à la [DG IX] d'accepter les demandes énumérées ci-après:
a) Remboursement immédiat des honoraires que nous avons déjà payés jusqu'à cette date au cabinet d'avocats Renchon et Coppens et au cabinet Hirsch et Hirsch.
b) Prise en charge, à l'avenir et jusqu'à la fin de la procédure judiciaire en cours, de tous les honoraires que nous devrons verser aux cabinets de Me Renchon et de Me Hirsch et à tout autre avocat nommé par nous pour nous représenter et défendre nos intérêts, dans tous les volets de cette même affaire: responsabilité pénale, responsabilité civile, plainte(s) éventuelle(s) pour diffamation.
c) Prise en charge des éventuels frais judiciaires liés au suivi du dossier jusqu'à sa conclusion définitive.
3. Nous demandons également une décision de portée générale sur tout autre droit, juridique ou moral, basé sur les mêmes faits. Du point de vue financier, nous pouvons déjà signaler, sans être forcément exhaustif: dédommagements, indemnités, coûts directs et indirects de notre adaptation familiale à la nouvelle situation créée, inscriptions actuelle et future de notre enfant dans un centre d'enseignement autre que les crèches et écoles européennes.
Par conséquent, en complément des demandes urgentes et spécifiques énumérées sous le point 2 ci-dessus, nous prions la Commission d'honorer son devoir d'assistance en acceptant aussi de prendre ou d'appuyer toutes les mesures, actuelles ou futures, financières ou autres, de nature à réparer, pour autant que possible, l'outrage, la souffrance et les dommages subis par notre enfant et par nous-mêmes. Malheureusement, il s'agira d'un très long processus de récupération et de normalisation qui ne finira
pas avant l'adolescence de la victime abusée physiquement.
[...]»
9 Par lettre du 15 mai 1998, le directeur général de la DG IX a répondu au requérant:
«Conformément à votre demande, cette assistance devrait revêtir la forme, d'une part, d'un remboursement et d'une prise en charge de tous les frais d'avocats et judiciaires que vous avez déjà encourus ou que vous devez encore encourir dans le cadre de la procédure en question à laquelle vous avez décidé de vous porter partie civile et ceci jusqu'à sa clôture définitive et, d'autre part, d'une réparation de tous les dommages subis par votre famille et vous-même en raison des faits à l'origine de
l'affaire pénale.
[...]
Or, dans le cas d'espèce, il apparaît clairement que les agressions pour lesquelles vous avez porté plainte devant la justice belge ne rentrent pas dans le champ d'application de l'article 24 du statut du fait de l'absence de liens avec votre qualité et vos fonctions.
[...]»
10 Le 18 mai 1998, le secrétariat général de la Commission a envoyé une lettre au requérant par laquelle il l'a informé qu'il a enregistré, le 7 mai 1998, sa demande du 20 mars 1998 et qu'elle a été transmise aux services compétents afin qu'une réponse puisse lui être communiquée dans les meilleurs délais.
11 Le 4 août 1998, le requérant a introduit une réclamation à l'encontre de la décision de la Commission contenue dans la lettre du 15 mai 1998.
12 Le 23 novembre 1998, l'autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l'«AIPN») a adopté une décision de rejet de la réclamation du requérant, dont celui-ci a accusé réception le 4 décembre 1998.
Procédure et conclusions des parties
13 C'est dans ces circonstances que le requérant, par requête déposée au greffe du Tribunal le 4 mars 1999, a introduit le présent recours.
14 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (cinquième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale.
15 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l'audience publique du 22 février 2000.
16 Le requérant conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
- déclarer le recours recevable et fondé;
- annuler la décision du 15 mai 1998 portant refus de sa demande d'assistance au titre de l'article 24 du statut;
- annuler la décision du 23 novembre 1998 portant rejet de sa réclamation;
- condamner la Commission aux dépens.
17 La partie défenderesse conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
- rejeter le recours comme non fondé;
- statuer sur les dépens comme de droit.
En droit
18 Le requérant invoque, en substance, deux moyens tirés de la violation, premièrement, de l'article 24 du statut et, deuxièmement, de principes généraux de droit.
Sur le premier moyen, tiré de la violation de l'article 24 du statut
Arguments des parties
19 Le requérant rappelle, tout d'abord, que la demande d'assistance en cause est liée aux agressions et aux viols répétés dont son fils a été victime. Ces actes relèveraient, à l'évidence, de la liste indicative de l'article 24 du statut.
20 Ainsi, il existerait, contrairement à ce qu'affirme la Commission, un lien entre la qualité et les fonctions du requérant et les agressions dont a été victime son fils. En effet, l'enfant aurait été admis à la crèche Clovis, créée par la Commission au profit des enfants de ses agents, en raison de la qualité de fonctionnaire du requérant et des missions qui lui sont confiées. Le requérant constate également que c'est à la suite d'un contrat passé par la Commission avec l'Esedra que les auteurs
des agressions étaient sur place et ont été en mesure de les commettre.
21 Toutefois, le requérant précise que l'objet du présent recours n'est pas de mettre en cause la responsabilité de la Commission.
22 Il dénonce l'interprétation restrictive par la Commission de l'expression «en raison de sa qualité et de ses fonctions», qui serait contraire à l'esprit de l'article 24 du statut. Ainsi, l'article 24 du statut s'inscrirait manifestement dans la volonté du législateur communautaire de traduire la relation étroite de confiance liant l'administration aux fonctionnaires à son service dans le cadre d'une «grande famille». En outre, l'article 24 du statut trouverait à s'appliquer pour des faits autres
que ceux visés dans la liste qu'il contient, en raison du caractère indicatif de celle-ci, et pas seulement, contrairement à ce que soutient la Commission, dans des cas extrêmes comme la prise en otage de l'enfant d'un fonctionnaire en raison des missions qu'exerce son parent au sein de l'institution.
23 Le requérant conteste, à cet égard, le caractère irrationnel de la position de la Commission selon laquelle un fonctionnaire pourrait solliciter de l'AIPN aide ou assistance, sur un plan moral ou pécuniaire, pour agir contre une personne coupable, envers lui ou un membre de sa famille, de diffamation, mais non pour faire poursuivre un tiers qui aurait violé son enfant dans le cadre d'un service de garde au sein d'une crèche créée par l'institution.
24 Or, la règle serait que les Communautés assistent le fonctionnaire lorsque, en raison de sa qualité ou de ses fonctions, il, ou un membre de sa famille, a subi certains dommages. La jurisprudence aurait répondu à cette préoccupation en considérant que l'article 24 du statut ne peut être invoqué «à l'occasion de mesures de coercition prises par les autorités nationales de police sur la personne d'un fonctionnaire et motivées par le comportement personnel de ce dernier, poursuivi pour un délit
étranger à l'exercice de ses fonctions» (voir arrêt de la Cour du 5 octobre 1988, Hamill/Commission, 180/87, Rec. p. 6141). Selon le requérant, cette jurisprudence, bien que devant être approuvée, ne correspond aucunement à la présente situation.
25 À cet égard, le requérant affirme que, en l'espèce, les dispositions de l'article 24 du statut doivent être conciliées avec les conditions dans lesquelles l'application de celui-ci est sollicitée. Il rappelle ainsi que les faits en cause se sont produits au sein d'une crèche réservée aux enfants des agents des institutions européennes. La mise en place de crèches au sein de ces institutions répondrait à la volonté «de développer des mesures permettant aux hommes et aux femmes de concilier leurs
obligations professionnelles et familiales» (recommandation du Conseil du 31 mars 1992). En outre, il ressortirait de la jurisprudence que «l'existence d'un service de crèche adapté aux besoins spécifiques des fonctionnaires et agents des Communautés européennes constitue un aspect essentiel d'une politique visant à assurer l'égalité des chances entre travailleurs masculins et féminins» (voir arrêt du Tribunal du 29 janvier 1997, Vanderhaeghen/Commission, T-297/94, RecFP p. I-A-7 et II-13).
26 D'ailleurs, la Commission ne contesterait pas devoir, pour les besoins des fonctions exercées par ses fonctionnaires, mettre à leur disposition une crèche pour recevoir leurs enfants durant les heures de travail et, à ce titre, la demande d'assistance serait justifiée.
27 Ainsi, l'objectif de l'instauration de crèches serait conforme à celui de l'article 24 du statut, à savoir, comme l'AIPN l'énonce elle-même dans le rejet explicite de la réclamation, «la préservation des conditions de travail que le fonctionnaire est en droit d'exiger». Parallèlement, le fonctionnaire serait également en droit, d'une part, d'avoir toute confiance dans l'établissement qui accueille son enfant et d'attendre que cet établissement fasse l'objet de contrôles rigoureux de la part de
l'institution qui le met en place et, d'autre part, de requérir l'assistance de l'institution lorsque son enfant y est victime d'agressions.
28 Les crèches seraient donc nécessaires au fonctionnement des institutions européennes, de telle sorte que l'assimilation, par la Commission, de la situation présente à celle d'une agression perpétrée dans un cercle de loisirs réservé aux fonctionnaires serait déplacée.
29 En outre, le requérant allègue qu'il ressort de la jurisprudence que l'obligation d'assistance, énoncée à l'article 24 du statut, vise la défense des fonctionnaires par les Communautés contre les agissements de tiers (voir, notamment, arrêts du Tribunal du 30 juin 1992, Gómez González e.a./Conseil, T-24/91, Rec. p. II-1881, du 13 juillet 1995, Saby/Commission, T-44/93, RecFP p. I-A-175 et II-541, et du 23 novembre 1995, Benecos/Commission, T-64/94, RecFP p. I-A-257 et II-769). Or, en l'espèce, il
s'agirait bien d'agissements de tiers contre un membre de la famille d'un fonctionnaire et la Commission ne contesterait pas cet état de fait.
30 En conclusion, le requérant considère que la Commission devait l'assister financièrement dans le combat judiciaire et extrajudiciaire qu'il mène. À cet égard, il trouve inadmissible que la Commission n'ait pas pris l'initiative de telles actions. Celle-ci aurait ainsi dû se constituer partie civile afin de limiter les actions du requérant et en assumer la charge financière.
31 La Commission soutient que les agressions dont le fils du requérant aurait été victime n'entrent pas dans le cadre de l'article 24 du statut parce qu'il n'est pas établi qu'elles auraient été commises en raison des fonctions exercées par le requérant au service des Communautés. Leur perpétration dans une crèche dépendant des institutions serait inopérante à cet égard. La Commission expose en outre que, en tout état de cause, l'engagement de sa propre responsabilité en ce qui concerne le
fonctionnement de cette crèche est incompatible avec la demande d'assistance litigieuse.
Appréciation du Tribunal
32 Il résulte de l'article 24 du statut et de la jurisprudence y afférente que les institutions des Communautés ne sont tenues, en vertu de cette disposition, d'assister leurs fonctionnaires qu'à l'occasion d'agissements de la part de tiers et dont les fonctionnaires sont l'objet en raison de leur qualité et de leurs fonctions (voir, notamment, arrêt Hamill/Commission, précité, point 15).
33 En l'espèce, il est constant que les conditions d'application de l'article 24 du statut liées à l'auteur de l'acte incriminé et à la qualité de la victime sont réunies. En effet, il s'agit manifestement d'agissements de tiers dont aurait été victime le fils d'un fonctionnaire de la Commission.
34 Toutefois, l'article 24 du statut requiert également que la qualité de fonctionnaire du requérant et ses fonctions soient à l'origine des agissements en cause. À cet égard, c'est en raison de cette qualité et de ces fonctions que doivent avoir été perpétrés les actes à la suite desquels l'assistance est sollicitée, l'institution visant tant à la protection de son personnel qu'à la sauvegarde de ses propres intérêts.
35 La Cour a d'ailleurs jugé, dans un contexte, certes, différent de celui en l'espèce, que la finalité de l'article 24 du statut est de donner aux fonctionnaires et agents en activité une sécurité pour le présent et l'avenir, dans le but de leur permettre, dans l'intérêt général du service, de mieux remplir leurs fonctions (voir arrêt de la Cour du 12 juin 1986, Sommerlatte/Commission, 229/84, Rec. p. 1805, point 19).
36 Or, les actes gravissimes dont le fils du requérant aurait été victime n'ont pas été perpétrés en raison de la qualité et des fonctions du requérant.
37 Il convient, d'ailleurs, de constater que le requérant énonce dans sa réclamation:
«Bien sûr, [mon fils] n'a pas été agressé ou violé parce que je suis un fonctionnaire (mais ce ne sera jamais le cas, à l'évidence), mais il a subi ces outrages et attentats dans le cadre de l'institution où il se trouvait placé du fait de ma qualité.
[...]»
38 À cet égard, le seul fait que l'enfant ait été admis à la crèche Clovis en raison de l'appartenance de son père à la fonction publique communautaire ne permet pas de considérer que le lien, au sens de l'article 24 du statut, entre les agissements des tiers en cause et la qualité de fonctionnaire du requérant soit établi.
39 En effet, le fait que le requérant ait bénéficié de l'opportunité que lui conférait sa qualité de fonctionnaire de pouvoir disposer d'un service de crèche mis en place par l'institution n'est pas pertinent, les fonctionnaires demeurant toujours libres de recourir à une autre structure.
40 Ainsi, sans qu'il soit contestable que l'article 24 du statut ait pour objectif la préservation des conditions de travail des fonctionnaires et que l'instauration d'un système de crèches et d'écoles communautaires vise également à la réalisation de cet objectif, il ne saurait être considéré que les agissements de tiers dans l'enceinte de celles-ci ont nécessairement pour cause la qualité de fonctionnaire des parents et les missions qui leur incombent en cette qualité.
41 À cet égard, il a été précédemment constaté que ce n'est pas en raison de la qualité et des fonctions du requérant que les agissements en cause ont été perpétrés.
42 Il s'ensuit que la Commission n'était pas tenue d'assister le requérant au sens de l'article 24 du statut.
43 Cette conclusion ne saurait être infirmée par l'allégation du requérant selon laquelle les auteurs des agressions en cause avaient été en mesure de les commettre du fait du contrat conclu par la partie défenderesse avec l'Esedra.
44 En effet, l'obligation qui incombe à une institution en vertu de l'article 24 du statut vise à la défense des fonctionnaires contre des agissements de tiers et non contre des actes émanant de l'institution elle-même, dont le contrôle relève d'autres dispositions du statut (voir, notamment, arrêt du Tribunal du 5 mars 1997, Rozand-Lambiotte/Commission, T-96/95, RecFP p. I-A-35 et II-97, point 120).
45 D'ailleurs, le requérant a lui-même affirmé que le présent recours ne tendait pas à mettre en cause la responsabilité de la Commission (voir point 21 ci-dessus).
46 Il résulte de ce qui précède que le premier moyen doit être rejeté.
Sur le deuxième moyen, tiré de la violation de principes généraux de droit tels que l'obligation de motivation, le devoir de sollicitude et la protection de la confiance légitime et des droits de la défense
Arguments des parties
47 Le requérant affirme, tout d'abord, que les décisions de rejet de sa demande d'assistance et de sa réclamation sont entachées d'un défaut de motivation, tant en droit qu'en fait, en ce que leur motivation ne répond pas aux exigences de pertinence et d'exactitude. Il précise, à cet égard, que la Commission n'aurait pas dû faire une interprétation aussi restrictive de l'article 24 du statut, en considérant que l'objectif de préservation des conditions de travail n'était pas compromis en l'espèce,
que cet article ne recouvrait pas un rôle social et, enfin, en affirmant que le fait que les agressions en cause aient été commises au sein d'une crèche de l'institution était purement conjoncturel.
48 En outre, il serait inexact de prétendre que la Commission n'est tenue de prendre des mesures que lorsque les faits dénoncés sont établis. Il ressortirait, en effet, de la jurisprudence que le fonctionnaire qui invoque l'article 24 du statut doit apporter, au moins, un commencement de preuve de la réalité des attaques dont il affirme être victime. Ce ne serait qu'en présence de tels éléments qu'il appartiendrait à l'institution en cause de prendre les mesures appropriées, notamment en faisant
procéder à une enquête, afin d'établir les faits à l'origine de la plainte en collaboration avec l'auteur de celle-ci (voir arrêt de la Cour du 26 janvier 1989, Koutchoumoff/Commission, 224/87, Rec. p. 99). Or, en l'espèce, avant que la demande d'assistance ait été introduite, une information judiciaire aurait été ouverte par le parquet de Bruxelles et une communication du président de la Commission aurait été diffusée au personnel de celle-ci. La Commission aurait donc dû proposer au requérant de
l'assister dans l'établissement des faits, comme l'exige la jurisprudence susmentionnée.
49 À cet égard, le requérant ajoute que l'interprétation par la Commission de l'arrêt Koutchoumoff/Commission, précité, est tendancieuse et restrictive. Il ressortirait de cet arrêt que, dans une situation comme celle de l'espèce, l'AIPN doit procéder à un examen bienveillant et intellectuellement ouvert de la demande d'assistance. Le requérant reproche à la Commission de s'être retranchée derrière le secret de l'instruction.
50 Le requérant considère ensuite que la Commission a totalement méconnu son devoir de sollicitude. En effet, au regard du drame que sa famille a vécu, les mesures prises par la Commission auraient été dérisoires. Le rapport du comité de suivi du Conseil aurait d'ailleurs dénoncé la volonté manifeste de la Commission de ne pas ébruiter les faits en cause et «la conviction [de celle-ci] que cette affaire ne sortirait jamais au grand jour».
51 Le requérant expose qu'il avait une confiance légitime dans le soutien de sa hiérarchie et de l'administration dont il dépend.
52 Concernant, enfin, la violation des droits de la défense, le requérant dénonce le fait qu'il a appris par un courrier que sa demande d'assistance était transmise aux services compétents pour examen, trois jours après avoir reçu la notification de la décision du 15 mai 1998. Cet incident démontrerait la désinvolture avec laquelle la Commission a traité cette affaire ainsi que la volonté de cette institution de l'étouffer. Il souligne que sa demande d'assistance n'a pas été débattue devant le
comité interservices.
53 À cet égard, la Commission n'aurait pas suivi la procédure précontentieuse habituelle et seule une réunion interservices aurait permis que soient exprimés les arguments des deux parties en cause.
54 La Commission rétorque que tant la décision de rejet de la demande d'assistance que la décision de rejet de la réclamation présentent une motivation adéquate.
55 Elle allègue que, dès qu'elle a eu connaissance du drame qui se serait produit au sein de la crèche Clovis, elle a proposé son assistance au requérant mais celui-ci l'aurait refusée, comme il l'a admis en octobre 1997.
56 En outre, la Commission signale qu'elle a pris les mesures appropriées non seulement en collaborant avec les enquêteurs belges et en recevant à plusieurs reprises le requérant, mais également en assistant celui-ci dans sa démarche en vue de porter plainte et en adoptant des mesures conservatoires par l'intermédiaire de son bureau de sécurité.
57 Quant aux conséquences à tirer, en l'espèce, de l'arrêt Koutchoumoff/Commission, précité, la Commission considère qu'il ne résulte pas de cet arrêt qu'elle est tenue de prendre quelque mesure que ce soit sur la base de simples allégations. Lorsque le fonctionnaire apporte un commencement de preuve de la réalité des faits qu'il dénonce, l'institution devrait prendre les mesures appropriées pour établir ces faits et, une fois ceux-ci démontrés, en tirer les conséquences en connaissance de cause.
Selon la Commission, il ne lui incombait donc pas d'accorder au requérant l'assistance financière demandée et d'aller au-delà de ce qui avait été fait avant de connaître l'issue de l'instruction pénale. Elle allègue qu'il lui était impossible, en l'espèce, de mener l'enquête et d'établir avec l'exactitude requise la réalité des faits, cette compétence étant, compte tenu du caractère pénal de cette enquête, dévolue aux autorités belges saisies.
58 La Commission précise également qu'il ne s'agit pas, en l'espèce, de croire ou non à la véracité des faits dénoncés mais de disposer des éléments permettant d'en vérifier la réalité. Ainsi, contrairement à l'allégation du requérant, la Commission n'aurait pu considérer que les faits étaient établis alors que l'instruction pénale était toujours en cours.
59 Concernant le devoir de sollicitude qui lui incombe, la Commission affirme qu'elle a agi dans l'intérêt du requérant et de l'enfant de celui-ci en faisant preuve de la plus grande discrétion sur l'identité des victimes et en proposant son assistance et un accompagnement. Elle réfute, à cet égard, toute prétendue volonté de dissimulation, la relative discrétion dont elle fait preuve étant également dictée par le souci de permettre le bon déroulement de l'enquête.
60 Quant à la prétendue violation des droits de la défense, elle rappelle que la demande du requérant a été adressée directement au directeur général de la DG IX, le 20 mars 1998, et attribuée à l'unité compétente le 24 mars 1998. Elle allègue que cette demande aurait dû être communiquée au secrétariat général et être enregistrée par celui-ci. Par conséquent, à cette fin, l'unité saisie l'aurait transmise au secrétariat général le 7 mai 1998. La réponse ayant finalement été adressée au requérant le
15 mai 1998, elle n'aurait donc pas été préparée, décidée et signée en moins d'une semaine, comme celui-ci aurait pu le croire, l'instruction de la demande litigieuse ayant débuté dès la saisine initiale du service compétent.
61 Enfin, s'agissant de la réunion du groupe interservices, celle-ci viserait à permettre au requérant d'exposer pleinement, si besoin est, son point de vue en développant les arguments qui sous-tendent sa réclamation. Il s'agirait d'une simple réunion et non d'une instance de décision émettant un avis susceptible de lier l'AIPN. Son organisation ne serait d'ailleurs pas systématique.
62 À cet égard, la Commission indique que, en l'espèce, il ne lui a pas semblé utile, au vu de la clarté de la demande du requérant et de la volonté de ce dernier d'assurer la discrétion de ce dossier, de convoquer une réunion interservices. Toutefois, l'administrateur de l'unité saisie du dossier aurait eu un entretien avec le requérant et celui-ci n'aurait pas réagi lorsqu'il lui a été signifié qu'une telle réunion n'aurait pas lieu.
Appréciation du Tribunal
63 Le requérant invoque, tout d'abord, un défaut de motivation de la décision du 15 mai 1998 portant rejet de la demande d'assistance et de la décision du 23 novembre 1998 portant rejet de la réclamation.
64 Toutefois, il convient de constater que le grief du requérant porte sur la pertinence de la motivation de ces décisions et non sur la suffisance de celle-ci. Or, il y a lieu de relever que le Tribunal s'est déjà prononcé sur ce grief dans le cadre du premier moyen.
65 Par ailleurs, le Tribunal ayant considéré ci-dessus que la Commission n'était pas tenue de faire droit à la demande d'assistance litigieuse en raison de l'absence de lien, au sens de l'article 24 du statut, entre les agressions qu'aurait subies le fils du requérant et la qualité et les fonctions de ce dernier, il n'y a pas lieu non plus de se prononcer sur la question de savoir si le requérant avait apporté un commencement de preuve de la réalité des faits dénoncés. Il s'ensuit que
l'argumentation du requérant tirée de l'arrêt Koutchoumoff/Commission, précité, est inopérante.
66 Concernant, ensuite, le prétendu manquement de la Commission à son devoir de sollicitude, il convient liminairement de rappeler que le devoir d'assistance et le devoir de sollicitude incombant à l'administration à l'égard de ses agents ne sont pas des concepts parfaitement identiques. Le premier est consacré à l'article 24 du statut et impose à l'administration d'assister le fonctionnaire dans toute attaque ou menace dont celui-ci fait l'objet en raison de sa qualité et de ses fonctions. Le
second, tout en n'étant pas mentionné dans le statut, reflète l'équilibre des droits et obligations réciproques que le statut a créés dans les relations entre l'autorité publique et les agents du service public, ce qui implique notamment que, lorsqu'elle statue à propos de la situation d'un fonctionnaire, l'autorité prenne en considération l'ensemble des éléments qui sont susceptibles de déterminer sa décision et que, ce faisant, elle tienne compte non seulement de l'intérêt du service, mais aussi
de celui du fonctionnaire concerné (voir arrêt du Tribunal du 1er juin 1999, Rodríguez Pérez e.a./Commission, T-114/98 et T-115/98, RecFP p. I-A-97 et II-529, point 32).
67 Or, le requérant a admis, lors de l'audience, que ce grief, par rapport à celui tiré de la violation de l'article 24 du statut, n'avait pas un caractère autonome.
68 En outre, il ressort de la jurisprudence que le devoir de sollicitude ne saurait conduire l'administration à donner à une disposition communautaire un effet qui irait à l'encontre des termes clairs et précis de cette disposition (voir arrêts du Tribunal du 17 juin 1993, Arauxo-Dumay/Commission, T-65/92, Rec. p. II-597, point 37, et du 16 avril 1997, Kuchlenz-Winter/Commission, T-66/95, Rec. p. II-637, point 43).
69 Dès lors, le requérant ne peut invoquer le devoir de sollicitude afin d'obtenir des avantages que le statut ne permet pas de lui octroyer, ainsi qu'il a été jugé dans le cadre de l'examen du premier moyen.
70 Quant à la prétendue violation du principe de protection de la confiance légitime, il convient de constater qu'il ne ressort pas du dossier que la Commission ait fait naître chez le requérant des espérances fondées (voir arrêt du Tribunal du 6 juillet 1999, Séché/Commission, T-112/96 et T-115/96, RecFP p. II-623, point 160). Dès lors, ce grief n'est pas fondé.
71 Enfin, concernant l'argument du requérant tiré d'une prétendue violation des droits de la défense, il y a lieu de rappeler qu'il ressort de la jurisprudence que le respect des droits de la défense dans toute procédure ouverte à l'encontre d'une personne et susceptible d'aboutir à un acte faisant grief à celle-ci constitue un principe fondamental du droit communautaire et doit être assuré même en l'absence de toute réglementation concernant la procédure en cause (voir, par exemple, arrêt du
Tribunal du 10 juillet 1997, Gaspari/Parlement, T-36/96, RecFP p. I-A-201 et II-595, point 32).
72 Or, il convient de constater que la demande d'assistance litigieuse n'a pas été introduite par le requérant dans le cadre d'une procédure ouverte contre lui.
73 Par ailleurs, il ressort de la demande d'assistance du requérant en date du 20 mars 1998 que celle-ci n'a pas été adressée au secrétariat général de la Commission, en charge de l'enregistrement des pièces, mais directement à la DG IX, en charge du traitement au fond de la demande.
74 Il est, dans ces circonstances, admissible que, comme l'allègue la Commission, cette demande ait été transmise par la DG IX au secrétariat général afin d'y être enregistrée. Dès lors, l'envoi de la lettre du 18 mai 1998 du secrétariat général informant le requérant de ce que sa demande allait être traitée, postérieurement à l'envoi par le directeur général de la DG IX de la décision de rejet du 15 mai 1998, révèle un simple dysfonctionnement des services de la Commission mais ne préjuge pas d'une
éventuelle désinvolture de celle-ci dans le traitement de cette demande.
75 Cet argument doit donc être rejeté.
76 Concernant l'argument selon lequel une réunion interservices aurait dû avoir lieu, il y a lieu de relever que le requérant n'invoque aucune base légale à l'appui de celui-ci. En outre, en réponse à une question du Tribunal sur ce point, la Commission a affirmé, sans être contredite par le requérant, qu'elle n'est pas nécessairement tenue de procéder à l'organisation d'une telle réunion. Dès lors, cet argument doit être rejeté.
77 Il s'ensuit que, le deuxième moyen n'étant pas fondé, le recours doit être rejeté dans son intégralité.
Décisions sur les dépenses
Sur les dépens
78 Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée au dépens, s'il est conclu en ce sens. Toutefois, selon l'article 88 du même règlement, dans les litiges entre les Communautés et leurs agents, les frais exposés par les institutions restent à la charge de celles-ci. Chaque partie supportera donc ses propres dépens.
Dispositif
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL
(cinquième chambre)
déclare et arrête:
1) Le recours est rejeté.
2) Chacune des parties supportera ses propres dépens.