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27/06/2000 | CJUE | N°C-75/99

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 27 juin 2000., Edmund Thelen contre Bundesanstalt für Arbeit., 27/06/2000, C-75/99


Avis juridique important

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61999C0075

Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 27 juin 2000. - Edmund Thelen contre Bundesanstalt für Arbeit. - Demande de décision préjudicielle: Bundessozialgericht - Allemagne. - Sécurité sociale - Articles 6 et 7 du règlement (CEE) nº 1408/71 - Applicabilité d'un

e convention entre Etats membres sur l'assurance chômage. - Affaire C-75/99.
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Avis juridique important

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61999C0075

Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 27 juin 2000. - Edmund Thelen contre Bundesanstalt für Arbeit. - Demande de décision préjudicielle: Bundessozialgericht - Allemagne. - Sécurité sociale - Articles 6 et 7 du règlement (CEE) nº 1408/71 - Applicabilité d'une convention entre Etats membres sur l'assurance chômage. - Affaire C-75/99.
Recueil de jurisprudence 2000 page I-09399

Conclusions de l'avocat général

I - Cadre juridique du litige

A - Dispositions communautaires

1 Aux termes de l'article 6 du règlement (CEE) n_ 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, tel que modifié par le règlement (CEE) n_ 1248/92 du Conseil, du 30 avril 1992 (1) (ci-après le «règlement»):

«Dans le cadre du champ d'application personnel et matériel du présent règlement, celui-ci se substitue, sous réserve des dispositions des articles 7, 8 et de l'article 46, paragraphe 4, à toute convention de sécurité sociale liant:

a) soit exclusivement deux ou plusieurs États membres;

b) soit au moins deux États membres et un ou plusieurs autres États, pour autant qu'il s'agisse de cas dans le règlement desquels aucune institution de l'un de ces derniers États n'est appelée à intervenir.»

2 Les articles 7 et 8 du règlement disposent que celui-ci ne porte pas atteinte à certaines dispositions internationales et que les États membres peuvent conclure entre eux des conventions fondées sur les principes et l'esprit dudit règlement. Quant à l'article 46, paragraphe 4, il précise les conditions dans lesquelles, en matière de pensions ou rentes d'invalidité, de vieillesse ou de survie, les dispositions d'une convention multilatérale de sécurité sociale visée à l'article 6, sous b),
s'articulent avec celles du règlement.

3 Le chapitre 6 du titre III du règlement, relatif aux prestations de chômage, comporte notamment la disposition suivante:

«Article 67

1. L'institution compétente d'un État membre dont la législation subordonne l'acquisition, le maintien ou le recouvrement du droit aux prestations à l'accomplissement de périodes d'assurance tient compte, dans la mesure nécessaire, des périodes d'assurance ou d'emploi accomplies en qualité de travailleur salarié sous la législation de tout autre État membre, comme s'il s'agissait de périodes d'assurance accomplies sous la législation qu'elle applique, à condition toutefois que les périodes d'emploi
eussent été considérées comme périodes d'assurance si elles avaient été accomplies sous cette législation.

2. L'institution compétente d'un État membre dont la législation subordonne l'acquisition, le maintien ou le recouvrement du droit aux prestations à l'accomplissement de périodes d'emploi tient compte, dans la mesure nécessaire, des périodes d'assurance ou d'emploi accomplies en qualité de travailleur salarié sous la législation de tout autre État membre, comme s'il s'agissait de périodes d'emploi accomplies sous la législation qu'elle applique.

3. Sauf dans les cas visés à l'article 71 paragraphe 1 point a) ii) et point b) ii), l'application des dispositions des paragraphes 1 et 2 est subordonnée à la condition que l'intéressé ait accompli en dernier lieu:

- dans le cas du paragraphe 1, des périodes d'assurance,

- dans le cas du paragraphe 2, des périodes d'emploi,

selon des dispositions de la législation au titre de laquelle les prestations sont demandées.

4. Lorsque la durée d'octroi des prestations dépend de la durée des périodes d'assurance ou d'emploi, les dispositions du paragraphe 1 ou du paragraphe 2 sont applicables, selon le cas.»

B - Stipulations bilatérales

4 Aux termes de l'article 7, premier alinéa, première phrase, de la convention relative à l'assurance chômage conclue le 19 juillet 1978 entre la République fédérale d'Allemagne et la république d'Autriche (ci-après la «convention»):

«Les périodes d'emploi soumises à l'obligation de cotiser qui ont été accomplies selon les dispositions de la législation de l'autre État cocontractant sont prises en compte pour apprécier si les conditions d'acquisition des droits sont remplies et pour déterminer la durée du droit aux prestations, pour autant que le demandeur possède la nationalité de l'État cocontractant dans lequel les prestations sont demandées et qu'il séjourne habituellement sur le territoire de cet État.»

C - Dispositions nationales

5 En Allemagne, en vertu de l'article 100 de l'Arbeitsförderungsgesetz (loi en faveur de l'emploi, ci-après l'«AFG»), a droit à l'allocation de chômage quiconque satisfait à une série de conditions, dont celles relatives à la durée d'affiliation.

6 Celles-ci découlent des dispositions combinées des articles 104, paragraphe 1, première phrase, et 106, paragraphe 1, première phrase, de l'AFG, dont il résulte que, pour avoir droit à l'allocation de chômage de 156 jours, il faut avoir occupé pendant 360 jours, au cours de la période de référence, un emploi soumis à l'obligation de cotiser au sens de l'article 168 de la même loi. Selon l'article 104, paragraphes 2 et 3, de l'AFG, la période de référence, qui est de trois ans, précède
immédiatement le premier jour de la période de chômage, à partir duquel les autres conditions ouvrant droit à l'inscription comme demandeur d'emploi sont réunies.

II - Le litige au principal

7 M. Thelen, de nationalité allemande, a vécu de 1986 à 1996 en Autriche, où il a exercé une activité professionnelle soumise à l'obligation de cotiser à l'assurance chômage du 18 juillet 1991 au 15 juin 1993, du 1er au 20 décembre 1993 et du 1er février 1994 au 31 janvier 1996. À la suite de son divorce, il s'est installé avec sa fille, dont il avait obtenu la garde, dans une maison héritée de ses parents à Trèves, où il a demandé le 4 mars 1996 à l'office pour l'emploi le bénéfice de l'allocation
de chômage. Il s'est avéré par la suite qu'il a été en chômage du 4 mars au 31 juillet 1996, et c'est sur cette période que porte le litige au principal. Sa demande a été rejetée au motif qu'il ne remplissait pas les conditions de durée d'affiliation requises. Par la suite, sa réclamation, puis son recours contentieux devant le Sozialgericht Trier ont également été rejetés.

8 En appel, le Landessozialgericht Rheinland-Pfalz a constaté que les périodes d'emploi accomplies par M. Thelen depuis le 1er janvier 1994, date d'entrée en vigueur de l'accord instituant l'Espace économique européen, à la suite duquel le règlement est devenu applicable en Autriche, ne devaient pas, en principe, être prises en considération en raison de la substitution à cette date du règlement à la convention, et que les conditions requises par l'article 67, paragraphe 3, ou par l'article 71 du
règlement n'étaient pas remplies. Mais il a estimé que les périodes d'emploi en cause devaient être prises en compte conformément à l'article 7 de la convention, parce que les articles 48, paragraphe 2, du traité CE (devenu, après modification, article 39, paragraphe 2, CE) et 51 du traité CE (devenu, après modification, article 42 CE) ne permettent pas que, par l'effet de l'entrée en vigueur du règlement, les travailleurs perdent des avantages conférés par une convention entre États membres. Il a
donc fait droit à la demande de l'intéressé.

9 L'administration défenderesse ayant formé un pourvoi en révision contre cette décision devant le Bundessozialgericht, celui-ci s'est interrogé sur la possibilité de tenir compte, nonobstant l'entrée en vigueur du règlement, des stipulations de la convention dans les conditions définies par la jurisprudence de la Cour (2). Il a notamment relevé que ces arrêts portent sur des régimes de retraite et que la solution qui en ressort n'est pas nécessairement transposable à un régime d'assurance chômage,
qui présente des caractéristiques particulières en ce qui concerne la durée d'affiliation.

10 Estimant que la solution du litige dépendait ainsi de l'interprétation des articles 6 et 7 du règlement, le Bundessozialgericht a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Les articles 6 et 7 du règlement (CEE) n_ 1408/71 du Conseil doivent-ils être interprétés en ce sens qu'ils ne font pas obstacle à ce que, au nom du principe de la libre circulation des travailleurs, une convention interétatique en matière d'assurance chômage plus avantageuse pour l'assuré continue à s'appliquer, bien qu'il ne soit plus possible, du fait de la période de référence, d'invoquer un droit à des prestations d'assurance chômage fondé sur la période antérieure à l'entrée en vigueur du
règlement?»

III - Analyse

11 L'ensemble des parties intervenantes partagent l'analyse opérée par la juridiction de renvoi selon laquelle M. Thelen ne saurait s'appuyer sur les dispositions du règlement n_ 1408/71 pour obtenir les prestations qu'il réclame.

12 En effet, elles font valoir, à juste titre selon moi, qu'il ressort de l'article 67, paragraphe 3, dudit règlement, que, pour pouvoir obtenir la prise en compte de périodes d'assurance accomplies dans un autre État membre, le demandeur d'emploi doit avoir accompli sa dernière période d'assurance dans l'État membre où les prestations sont demandées, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

13 Or, en l'absence de prise en considération des périodes d'assurance accomplies par M. Thelen en Autriche, celui-ci ne remplit pas la condition fixée par la loi allemande relative à la durée d'affiliation de 160 jours, à l'intérieur d'une période de référence de trois ans. L'ordonnance de renvoi expose en effet que, en l'espèce, la période de référence s'étend du 4 mars 1993 au 3 mars 1996 et que, durant ce laps de temps, M. Thelen n'a pas été affilié pendant 160 jours au régime d'assurance
allemand.

14 Il est vrai que l'article 71 du règlement prévoit la possibilité qu'un travailleur perçoive des allocations de chômage versées par un État autre que celui de sa résidence. Il vise cependant des situations différentes de celles du demandeur au principal.

15 Il s'ensuit que, comme le constatent la juridiction de renvoi et les parties intervenantes, c'est uniquement sur les dispositions de la convention, et en particulier de son article 7, précité, que M. Thelen pourrait s'appuyer pour obtenir le versement des prestations qu'il réclame.

16 Or, comme l'exposent d'ailleurs également la juridiction de renvoi et les parties, il découle de l'article 6 du règlement que celui-ci s'est substitué à la convention bilatérale germano-autrichienne, précitée, à partir du 1er janvier 1994, date d'entrée en vigueur de l'accord sur l'Espace économique européen.

17 Le règlement ne prévoit pas la possibilité de continuer à appliquer l'article 7 de la convention après l'entrée en vigueur du règlement. En effet, les exceptions à la substitution que le règlement prévoit n'incluent pas cette disposition et ne sont pas pertinentes dans le cas d'espèce.

18 Il y a, dès lors, lieu de déterminer si la convention bilatérale concernée est susceptible d'être applicable, non pas en vertu d'un renvoi qui y serait fait par le règlement, mais sur le fondement de la jurisprudence, précitée, de la Cour, selon laquelle les dispositions du traité relatives à la libre circulation des travailleurs entraînent dans certains cas l'obligation de laisser subsister des effets des conventions bilatérales antérieures auxquelles le règlement s'est pourtant substitué.

19 La Commission, d'une part, les gouvernements allemand et espagnol, d'autre part, font sur ce point des analyses divergentes.

20 Ainsi, ce dernier fait valoir que la jurisprudence existante concernait toujours des pensions de retraite ou d'invalidité en Allemagne. Celles-ci différeraient de par leur nature des prestations de chômage en cause en l'espèce.

21 En effet, ces dernières seraient caractérisées par leur aspect instantané: leur montant ne dépendrait pas de la durée de cotisation et elles viseraient à remédier à une situation présente, supposée temporaire. Il n'y aurait donc pas de place ici pour la notion de droit acquis, qui serait fondamentale dans la jurisprudence. En revanche, en matière de vieillesse ou d'invalidité, à un moment donné, il y aurait un droit, achevé et complet, à des prestations déterminées notamment en fonction de la
durée de cotisation.

22 Le gouvernement allemand estime lui aussi que l'application de la jurisprudence pertinente de la Cour suppose qu'un droit ait été acquis avant l'entrée en vigueur du règlement, ce qui ne serait pas le cas en l'espèce.

23 La Commission expose, en revanche, que rien dans la jurisprudence de la Cour n'impliquerait qu'elle ne soit applicable qu'aux prestations de vieillesse ou d'invalidité. En effet, cette jurisprudence serait fondée sur la protection de la confiance légitime et son seul critère d'application serait le fait qu'un travailleur ait exercé son droit à la libre circulation avant l'entrée en vigueur du règlement et de la règle de substitution qu'il prévoit.

24 En outre, il n'y aurait pas de raisons de considérer que la jurisprudence en cause ne s'appliquerait qu'aux prestations acquises sur le long terme, puisque, dans certains États membres, tel ne serait pas le cas des prestations de vieillesse ou d'invalidité.

25 Je partage cette analyse.

26 En effet, il ressort de la jurisprudence, précitée, que celle-ci vise à éviter qu'un travailleur, qui a exercé son droit à la libre circulation et acquis des droits en matière d'assurances sociales, se voie privé du bénéfice de ceux-ci par l'entrée en vigueur du règlement et sa substitution aux conventions bilatérales en vertu desquelles les droits ont été acquis.

27 Comme l'a jugé la Cour dans l'arrêt Rönfeldt, précité, les dispositions du règlement doivent être lues à la lumière de l'objectif de l'article 51 du traité qui leur sert de fondement, à savoir contribuer à l'établissement d'une liberté aussi complète que possible de circulation des travailleurs migrants, principe qui constitue l'un des fondements de la Communauté. La Cour a ajouté que cet objectif ne serait pas atteint si, par suite de l'exercice de leur droit de libre circulation, les
travailleurs devaient perdre des avantages que leur assure, en tout état de cause, le droit d'un seul État membre, y compris les conventions bilatérales qui y sont incorporées (3).

28 Appliquant ces principes à l'hypothèse où une convention antérieure à l'entrée en vigueur du règlement confère aux travailleurs des avantages supérieurs à ceux qui découlent de la réglementation communautaire, la Cour en a conclu que «une interprétation ... qui tendrait à ne pas prendre en compte les dispositions de conventions conclues entre les États membres et comportant pour les travailleurs des avantages supérieurs à ceux qui découlent de la réglementation communautaire, entraînerait une
limitation substantielle de la portée des objectifs de l'article 51, dans la mesure où le travailleur qui exerce son droit à la libre circulation se trouverait placé dans une situation moins favorable que celle qu'il aurait connue s'il n'avait pas fait usage de ce droit» (4).

29 Cette jurisprudence a donc, a priori, vocation à s'appliquer dans toutes les hypothèses où un travailleur, au sens du règlement, a acquis un droit sous l'empire d'une convention bilatérale, avant que celle-ci ne soit remplacée par le règlement. Or, une telle situation peut très bien survenir dans le cas de prestations acquises à la fin d'une brève période d'affiliation, comme les prestations de chômage en cause, et n'implique pas nécessairement que soient concernés des droits acquis sur le long
terme. Il suffit, en effet, que la période en cause ait commencé avant l'entrée en vigueur du règlement et que les prestations litigieuses aient été demandées après.

30 Les arrêts Naranjo Arjona e.a., précité, et Grajera Rodríguez (5) confirment cette analyse. En effet, la Cour y a appliqué sa jurisprudence Rönfeldt et a donc écarté l'application des dispositions du règlement se substituant à la convention antérieure, alors que, comme en l'espèce, le montant des prestations en cause ne dépendait pas de la durée de cotisation.

31 Il apparaît donc que la nature des prestations considérées n'est pas le critère déterminant pour l'application de la jurisprudence de la Cour et que celle-ci est en principe susceptible de s'appliquer à des prestations de chômage.

32 D'ailleurs, en l'espèce, même les intervenants qui estiment ladite jurisprudence inapplicable à l'hypothèse des prestations de chômage ne contestent pas que, si M. Thelen avait travaillé en Autriche de façon continue jusqu'après le 1er janvier 1994 et s'il avait alors demandé en Allemagne des allocations de chômage, il aurait fallu tenir compte des périodes d'affiliation en Autriche et, donc, écarter les dispositions du règlement au profit de celles de la convention. En effet, l'application du
règlement en lieu et place de la convention aurait privé le travailleur du droit aux prestations de chômage, acquis au cours de la période d'affiliation en Autriche.

33 Il n'en demeure pas moins que, comme le soulignent à la fois le gouvernement allemand et le gouvernement espagnol, l'application de la jurisprudence susmentionnée au cas d'espèce se heurte à certaines difficultés. Il se pose donc la question de savoir si, comme l'estiment ces gouvernements, elles sont insurmontables.

34 Ceux-ci rappellent, tout d'abord, que la jurisprudence relative au maintien des effets ne serait applicable que dans des hypothèses où des situations juridiques auraient déjà été acquises avant l'entrée en vigueur du règlement. Tel aurait, en particulier, été le cas dans l'arrêt Thévenon, précité, où la Cour aurait explicitement limité l'applicabilité de sa jurisprudence aux seuls travailleurs qui ont déjà exercé leur droit à la libre circulation avant l'entrée en vigueur du règlement.

35 Or, en l'espèce, M. Thelen n'aurait pas définitivement acquis de droits avant le 1er janvier 1994, date à laquelle le règlement est entré en vigueur dans le cas de la république d'Autriche. Le gouvernement allemand précise à cet égard que, certes, M. Thelen avait, à ce moment-là, droit à des allocations de chômage sur le fondement des dispositions de la convention bilatérale pertinente. Il aurait cependant reperdu ce droit, par le jeu de la période de référence de trois ans prévue par le droit
allemand, et non pas du fait de l'entrée en vigueur du règlement.

36 Le gouvernement espagnol ajoute que, en tout état de cause, la condition posée par l'arrêt Thévenon, précité, ne serait pas remplie en l'espèce, parce que M. Thelen aurait exercé son droit à la libre circulation après l'entrée en vigueur du règlement. En effet, il n'a exercé en Autriche d'activité soumise à l'obligation de cotisation que jusqu'au 20 décembre 1993 et à partir du 1er février 1994. Il y aurait donc eu interruption de l'exercice du droit de libre circulation avant l'entrée en vigueur
du règlement et nouvel exercice de ce droit après cette date.

37 La Commission fait remarquer, à cet égard, que la jurisprudence de la Cour n'opère pas de distinctions selon qu'il y ait eu, ou non, interruption dans l'exercice du droit de libre circulation, dès lors que cet exercice a commencé avant l'entrée en vigueur du règlement, ce qui serait le cas de M. Thelen.

38 Force est en tout état de cause de constater qu'il ne ressort pas du dossier qu'il y ait eu interruption par M. Thelen de son exercice du droit à la libre circulation, suivi d'un nouvel exercice de celui-ci. En effet, le fait que, entre décembre 1993 et février 1994, il n'ait pas eu en Autriche une activité soumise à l'obligation de cotiser n'implique pas nécessairement qu'il soit retourné en Allemagne avant le 1er janvier 1994, pour revenir en Autriche après cette date.

39 La Cour a d'ailleurs jugé dans son arrêt Kuusijärvi (6) que ne constitue pas un obstacle à l'application de la jurisprudence en cause le fait qu'un travailleur soit au chômage, et n'exerce donc pas d'activité soumise à l'obligation de cotiser, au moment de l'entrée en vigueur du règlement.

40 En tout état de cause, j'estime qu'il n'est pas nécessaire de s'interroger sur la question de savoir s'il y a, ou non, eu interruption de l'exercice par M. Thelen de son droit à la libre circulation.

41 En effet, comme nous l'avons dit, la jurisprudence de la Cour vise à soustraire aux effets de la substitution du règlement aux conventions bilatérales les situations juridiques acquises par le travailleur antérieurement.

42 Il s'ensuit nécessairement, et ceci ressort très clairement de l'arrêt Thévenon, précité, que le droit à la libre circulation doit avoir été exercé avant la substitution, c'est-à-dire avant l'entrée en vigueur du règlement. En effet, un travailleur qui n'a exercé son droit à la libre circulation qu'après l'entrée en vigueur du règlement, c'est-à-dire à un moment où celui-ci avait déjà remplacé la convention, ne peut prétendre avoir subi une perte des avantages découlant de celle-ci (7). En outre,
l'exercice du droit à la libre circulation doit avoir amené le travailleur à acquérir des droits que la substitution aurait pour effet d'anéantir.

43 Cela n'implique toutefois pas que, au moment de l'entrée en vigueur du règlement, le travailleur soit encore en train d'exercer son droit à la libre circulation. En effet, le critère déterminant est celui de savoir si, à ce moment, le travailleur a déjà acquis des droits, en vertu de la convention bilatérale, grâce à l'exercice antérieur de son droit à la libre circulation. L'arrêt Rönfeldt, précité, qui concernait un travailleur qui avait déjà mis fin à sa migration avant l'entrée en vigueur du
règlement, confirme cette conclusion.

44 Si des droits ont été acquis, la jurisprudence de la Cour, fondée, comme nous l'avons vu, sur la nécessité de donner leur plein effet aux dispositions relatives à la libre circulation des travailleurs en assurant la protection desdits droits, a vocation à s'appliquer, que le travailleur ait, ou non, continué à exercer son droit à la libre circulation au moment de l'entrée en vigueur du règlement. L'objectif est, en effet, d'empêcher que le travailleur ne se retrouve dans une situation
désavantageuse par rapport à ce qui aurait été le cas s'il n'avait pas circulé.

45 Il y a donc lieu de déterminer si M. Thelen avait acquis un droit au moment de l'entrée en vigueur du règlement.

46 À cet égard, le gouvernement allemand fait remarquer que M. Thelen avait effectivement acquis à cette date un droit à des allocations de chômage, en Allemagne, en vertu de la convention bilatérale mais qu'il aurait reperdu celui-ci du fait des conditions relatives à la durée d'affiliation prévues par le droit allemand, et non pas du fait de l'entrée en vigueur du règlement.

47 À cet égard, constatons tout d'abord que, à cette date, M. Thelen avait effectivement accumulé suffisamment de périodes d'assurance pour avoir droit, en vertu de la convention bilatérale, à des allocations de chômage en Allemagne.

48 Il est vrai que, parce que le droit allemand impose une durée d'affiliation inscrite dans une période de référence déterminée à partir de la date où commence le chômage, un travailleur est susceptible, par le simple jeu de ces dispositions et sans que l'entrée en vigueur du règlement ait une incidence à cet égard, de perdre un droit à des allocations qu'il avait obtenu à un moment donné.

49 Tel n'est toutefois pas le cas en l'espèce. En effet, c'est uniquement s'il n'est pas possible de tenir compte des périodes d'assurance qu'il a accumulées en Autriche depuis l'entrée en vigueur du règlement, que M. Thelen ne remplit pas les conditions de durée d'affiliation fixées par le droit allemand.

50 En revanche, sans l'intervention du règlement n_ 1408/71, la convention bilatérale aurait été applicable et, sur la base de ses dispositions, il aurait été tenu compte de ces périodes d'assurance et M. Thelen aurait obtenu les allocations demandées.

51 Dès lors, ce n'est pas seulement du fait des conditions fixées par le droit allemand quant à la durée d'affiliation que M.Thelen n'est pas en mesure d'obtenir les allocations litigieuses, mais également du fait de la substitution du règlement à la convention bilatérale antérieure.

52 La considération que l'entrée en vigueur du règlement entraîne pour le travailleur un traitement moins favorable que le maintien de la convention bilatérale ne suffit cependant pas, à elle seule, à écarter l'application des dispositions du règlement, comme la Cour l'a jugé dans l'arrêt Walder (8).

53 En effet, comme nous l'avons vu ci-dessus, l'inconvénient subi par le travailleur doit pouvoir s'analyser en la perte d'un acquis antérieur à l'entrée en vigueur du règlement.

54 Or, l'impossibilité de prendre en considération les périodes d'assurance accomplies en Autriche depuis l'entrée en vigueur du règlement ne saurait, par définition, constituer la perte d'un acquis antérieur à celle-ci.

55 Faut-il en conclure que les circonstances de l'espèce excluent l'application de la jurisprudence précitée de la Cour?

56 Je ne le pense pas.

57 En effet, comme le souligne, à juste titre, la Commission, cette affaire ne concerne pas uniquement des périodes d'assurance accomplies après l'entrée en vigueur du règlement, puisque la période de référence, prévue par le droit allemand pour déterminer si les conditions relatives à la durée d'affiliation sont remplies, a comme point de départ le 4 mars 1993.

58 Or, à cette date, M. Thelen se trouvait dans la situation d'un travailleur qui a exercé son droit à la libre circulation avant l'entrée en vigueur du règlement et qui peut légitimement s'attendre à ce qu'un droit découlant pour lui de la convention, à savoir celui de voir prendre en compte, aux fins de l'octroi d'une allocation de chômage en Allemagne, les périodes d'assurance accomplies en Autriche dans les mêmes conditions que si elles avaient été accomplies en Allemagne, ne lui soit pas enlevé
du fait de l'entrée en vigueur du règlement.

59 Il y a donc lieu, dans des circonstances comme celles de l'espèce, d'écarter les dispositions du règlement et d'appliquer celles de la convention bilatérale.

60 En effet, le dernier argument présenté par le gouvernement espagnol ne me paraît pas de nature à justifier une conclusion différente.

61 Ainsi, celui-ci expose que, en appliquant les dispositions de la convention au lieu de celles du règlement, on méconnaîtrait l'effet d'attraction de celui-ci, qui ferait ainsi l'objet d'une «segmentation à la carte».

62 Force est cependant de souligner que le règlement lui-même prévoit dans ses annexes le maintien de certaines dispositions conventionnelles bilatérales, y compris de dispositions de la convention en cause en l'espèce (9). Il est donc clair que le législateur communautaire n'a pas considéré que cela était incompatible avec le plein effet du règlement.

63 Reste encore à évoquer une dernière considération, soulevée tant par la juridiction de renvoi que par la Commission. Le fait que la possibilité d'invoquer les dispositions de la convention soit réservée aux ressortissants allemands et autrichiens pourrait-il être constitutif d'une discrimination selon la nationalité?

64 Il est vrai que l'on ne saurait exclure, a priori, une telle possibilité.

65 La Commission fait cependant remarquer, à cet égard, que cette question ne pourrait se poser que dans des cas exceptionnels et qu'elle n'est pas pertinente pour la présente affaire. En effet, M. Thelen ayant la nationalité allemande, il ne serait pas nécessaire de répondre à la question de savoir ce qu'il en serait s'il ne l'avait pas.

66 Il y a lieu d'observer que la présente affaire porte sur la question de savoir si un travailleur dans la situation de M. Thelen peut se prévaloir des règles du traité relatives à la libre circulation des travailleurs, ainsi que de principes généraux du droit communautaire tels que la protection de la confiance légitime. Elle concerne donc l'étendue des droits dont un travailleur individuel, dans un cas concret, peut réclamer la protection.

67 En revanche, l'affaire n'a pas pour objet de faire survivre la convention concernée à l'entrée en vigueur du règlement et ne concerne donc pas la question de savoir si un État membre pouvait valablement conclure avec un État tiers une convention dont les dispositions ne pouvaient être invoquées que par des ressortissants des parties à la convention. La réponse à cette question ne saurait d'ailleurs, en tout état de cause, avoir pour conséquence de priver M. Thelen de droits que le droit
communautaire reconnaîtrait comme dignes de protection, mais imposerait plutôt d'examiner le problème de savoir si un travailleur ressortissant d'un autre État membre, placé dans une situation identique, ne devrait pas bénéficier, lui aussi, de ladite convention bilatérale.

68 Dès lors, il n'y a pas lieu de trancher en l'espèce la question de savoir si l'impossibilité telle qu'elle semble découler des termes de la convention, pour un travailleur ressortissant d'un autre État membre que la République fédérale d'Allemagne, de se réclamer des mêmes dispositions que M. Thelen constitue une discrimination contraire à l'article 6 du traité CE (devenu, après modification, article 12 CE).

Conclusion

69 Pour les raisons qui précèdent, je vous propose de répondre comme suit à la question du Bundessozialgericht:

«Les articles 6 et 7 du règlement (CEE) n_ 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, tel que modifié par le règlement (CEE) n_ 1248/92 du Conseil, du 30 avril 1992, doivent être interprétés en ce sens qu'ils ne font pas obstacle à ce qu'une convention interétatique en matière d'assurance chômage plus avantageuse
pour l'assuré continue à s'appliquer, bien qu'il ne soit plus possible, du fait de la période de référence, d'invoquer un droit à des prestations d'assurance chômage fondé sur la période antérieure à l'entrée en vigueur du règlement.»

(1) - JO L 136, p. 7.

(2) - Arrêts du 7 février 1991, Rönfeldt (C-227/89, Rec. p. I-323); du 9 novembre 1995, Thévenon (C-475/93, Rec. p. I-3813), et du 9 octobre 1997, Naranjo Arjona e.a. (C-31/96 à C-33/96, Rec. p. I-5501).

(3) - Arrêt Rönfeldt, précité, points 24 et 25.

(4) - Arrêt Rönfeldt, précité, point 28.

(5) - Arrêt du 17 décembre 1998 (C-153/97, Rec. p. I-8645).

(6) - Arrêt du 11 juin 1998 (C-275/96, Rec. p. I-3419).

(7) - Arrêt Thévenon, précité, point 26.

(8) - Arrêt du 7 juin 1973 (82/72, Rec. p. 599).

(9) - Annexe III, point 3, sous h).


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-75/99
Date de la décision : 27/06/2000
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Bundessozialgericht - Allemagne.

Sécurité sociale - Articles 6 et 7 du règlement (CEE) nº 1408/71 - Applicabilité d'une convention entre Etats membres sur l'assurance chômage.

Sécurité sociale des travailleurs migrants


Parties
Demandeurs : Edmund Thelen
Défendeurs : Bundesanstalt für Arbeit.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mischo
Rapporteur ?: Puissochet

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2000:347

Source

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