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30/03/2000 | CJUE | N°C-403/98

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 30 mars 2000., Azienda Agricola Monte Arcosu Srl contre Regione Autonoma della Sardegna, Organismo Comprensoriale nº 24 della Sardegna et Ente Regionale per l'Assistenza Tecnica in Agricoltura (ERSAT)., 30/03/2000, C-403/98


Avis juridique important

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61998C0403

Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 30 mars 2000. - Azienda Agricola Monte Arcosu Srl contre Regione Autonoma della Sardegna, Organismo Comprensoriale nº 24 della Sardegna et Ente Regionale per l'Assistenza Tecnica in Agricoltura (ERSAT). - Demande de décision p

réjudicielle: Tribunale civile e penale di Cagliari - Italie. - Agricul...

Avis juridique important

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61998C0403

Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 30 mars 2000. - Azienda Agricola Monte Arcosu Srl contre Regione Autonoma della Sardegna, Organismo Comprensoriale nº 24 della Sardegna et Ente Regionale per l'Assistenza Tecnica in Agricoltura (ERSAT). - Demande de décision préjudicielle: Tribunale civile e penale di Cagliari - Italie. - Agriculture - Exploitant agricole à titre principal - Notion - Société à responsabilité limitée. - Affaire C-403/98.
Recueil de jurisprudence 2001 page I-00103

Conclusions de l'avocat général

Cadre juridique

1. L'article 2, paragraphe 5, du règlement (CEE) n° 797/85 du Conseil, du 12 mars 1985, concernant l'amélioration de l'efficacité des structures de l'agriculture (ci-après le «règlement») prévoit:

«Les États membres définissent la notion d'exploitant à titre principal aux fins du présent règlement.

Pour les personnes physiques, cette définition comprend au moins la condition que la part du revenu provenant de l'exploitation agricole soit égale ou supérieure à 50 % du revenu global de l'exploitant et que le temps de travail consacré aux activités extérieures à l'exploitation soit inférieur à la moitié du temps de travail total de l'exploitant.

Pour les personnes autres que les personnes physiques, les États membres définissent ladite notion en tenant compte des critères indiqués au deuxième alinéa.»

2. Le texte de cette disposition, qui reprenait elle-même le texte de l'article 3 de la directive 72/159/CEE du Conseil, du 17 avril 1972, concernant la modernisation des exploitations agricoles , a été intégralement reproduit à l'article 5, paragraphe 5, du règlement (CEE) n° 2328/91 du Conseil, du 15 juillet 1991, concernant l'amélioration de l'efficacité des structures de l'agriculture .

3. La loi italienne n° 153, du 9 mai 1975, prévoit en son article 13 que:

«Peuvent bénéficier des subventions prévues par le présent titre, outre les personnes physiques, les coopératives agricoles constituées sur base de la législation sur la coopération, les associations d'entrepreneurs agricoles qui présentent un plan commun de développement pour la restructuration et la modernisation de l'exploitation ou d'entraide entre exploitations également pour la conduite en commun des exploitations, pourvu que les associés tirent de l'activité de l'exploitation et de
l'association au moins 50 % de leurs revenus et qu'ils engagent dans l'activité de l'exploitation et dans l'association au moins 50 % de leur temps de travail. Dans tous les cas, les investissements doivent être prévus dans le cadre d'un plan de développement de l'exploitation ou de développement de l'entraide entre exploitations et l'engagement à tenir la comptabilité agricole doit être tenu. Pour les fonds concédés en métayage et en colonie, les subventions sont versées au métayer et au colon, ou
bien conjointement au métayer et au colon et au concédant pourvu que tous deux se trouvent dans les conditions subjectives et qu'ils satisfassent les conditions objectives dont il est question aux articles 11 et 12 de la présente loi. Les métayers et les colons peuvent présenter le plan de développement de l'exploitation, même s'ils ne parviennent pas à un accord avec le concédant. Pourvu que le plan de développement ait été approuvé par la Région, le plan peut être mis en oeuvre indépendamment du
consentement du concédant en reconnaissant au métayer et au colon la direction pour la mise en oeuvre du plan et les facultés pour les améliorations qui sont reconnues au locataire par la loi du 11 février 1971, n° 11.»

4. Le décret ministériel italien du 12 septembre 1985 prévoit en son article 2:

«Bénéficiaires

1. Peuvent bénéficier des mesures d'intervention visées au titre 1 du règlement précité, pour autant qu'ils satisfassent aux critères d'ordre personnel énoncés à l'article 2, paragraphe 1, de ce même règlement, les exploitants agricoles suivants:

a) les cultivateurs directs, qu'ils soient propriétaires ou locataires, métayers ou fermiers, et ce que ce soit en l'absence d'accords avec le cédant ou, au contraire, de concert avec l'exploitant cédant, les emphytéotes, les membres de la famille aidant l'exploitant de manière régulière et permanente;

b) les propriétaires, usufruitiers et locataires exploitants;

c) les coopératives agricoles constituées conformément aux dispositions de la législation sur la coopération;

d) les associations de cultivateurs directs, emphytéotes, fermiers, membres de la famille de l'exploitant l'aidant de manière régulière et permanente, propriétaires et locataires exploitants;

e) les sociétés de personnes qui gèrent directement des exploitations agricoles dont elles sont propriétaires ou dont elles disposent de quelque manière que ce soit. Les régions et les provinces autonomes définissent, dans les limites stipulées à l'article 6 du règlement, les conditions de recevabilité.

2. La condition d'exploitant agricole à titre principal et celle relative à la capacité professionnelle visée à l'article 2, paragraphe 1, lettres a) et b), du règlement susmentionné sont définies sur la base des dispositions législatives régionales édictées en application de la directive 72/159/CEE. À défaut, les articles 12 et 13 de la loi n° 153, du 9 mai 1975, sont d'application.

3. Les coopératives mentionnées à la lettre c) du présent article, ayant pour objet exclusif la gestion d'exploitations agricoles, peuvent prétendre à l'obtention des aides aux investissements prévues au titre 1 du règlement, et ce même si seulement 20 % de leurs associés remplissent les conditions d'ordre personnel prescrites.»

5. La loi n° 17 de la Région Sardaigne, du 27 septembre 1992, a prévu la création d'un nouveau registre des exploitants agricoles à titre principal tout en précisant que les critères de fonctionnement du registre devaient être déterminés par la Giunta Regionale.

6. À la date où le Tribunale civile e penale di Cagliari a rendu son ordonnance de renvoi, à savoir le 26 mars 1998, les critères de fonctionnement du registre n'avaient pas encore été arrêtés, et aucune disposition législative régionale n'était intervenue en vue de définir à quelles conditions une société de capitaux pouvait se voir octroyer le statut «d'exploitant agricole à titre principal».

7. C'est, en effet, seulement le 27 mai 1998 que la Giunta Regionale de la Région Sardaigne a adopté la décision n° 2515 arrêtant les «modalités d'application dans la Région autonome de la Sardaigne du régime des aides aux investissements dans les entreprises agricoles prévues par le règlement (CE) n° 950/97 du Conseil des Communautés européennes, du 27 mai 1997».

8. Le paragraphe 5, point 5, dernier tiret, de cette décision prévoit que, pour les personnes morales, la qualité d'exploitant agricole à titre principal appartient aux entités qui remplissent les conditions suivantes:

«- s'il s'agit d'une société de capitaux, au moins 50 % du revenu doit provenir d'activités agricoles et l'administrateur délégué doit consacrer au moins 50 % de son temps à la gestion de l'exploitation agricole.»

Cadre factuel

9. Azienda Agricola Monte Arcosu (ci-après «Monte Arcosu») est une société à responsabilité limitée qui a été constituée en vue de l'exercice d'activités agricoles.

10. Monte Arcosu a acquis plusieurs domaines agricoles en Sardaigne. Elle a fait préciser dans l'acte notarié d'achat vouloir obtenir le statut d'exploitant agricole à titre principal et a, par conséquent, demandé à bénéficier d'un taux moins élevé pour les droits d'enregistrement.

11. Il ressort de l'ordonnance de renvoi que Monte Arcosu a, par la suite, demandé son inscription au registre des exploitants agricoles à titre principal, auprès de l'Organismo Comprensoriale n. 24 della Sardegna.

12. Cette demande a été rejetée par décision du 11 septembre 1991, au motif que la réglementation régionale ne prévoyait pas la possibilité d'inscription au registre pour les sociétés commerciales.

13. Monte Arcosu a donc assigné la Regione Autonoma della Sardegna, l'Organismo Comprensoriale n. 24 della Sardegna et l'Ente Regionale per l'Assistenza Tecnica in Agricoltura (Ersat) afin d'obtenir son inscription au registre des exploitants agricoles à titre principal sur la base de l'article 2, paragraphe 5, du règlement n° 797/85 ou de l'article 5, paragraphe 5, du règlement n° 2328/91.

14. Estimant que la solution du litige pendant devant elle dépendait de l'interprétation des dispositions précitées, le Tribunale civile e penale di Cagliari a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1) Dans le silence du législateur italien, est-il néanmoins possible de donner une portée concrète, pour les personnes autres que les personnes physiques, et en particulier pour les sociétés dotées de la personnalité morale, aux dispositions du droit communautaire en question?

2) Quelles sont, en cas de réponse affirmative à la première question, les conditions nécessaires et suffisantes pour que soit reconnu le statut d'exploitant agricole à titre principal aux personnes autres que les personnes physiques et, en particulier, aux sociétés dotées de la personnalité morale?»

Analyse

Quant à la recevabilité des questions

15. La Commission s'interroge, tout d'abord, sur la recevabilité des questions posées par la juridiction de renvoi.

16. Elle note, à cet égard, que celle-ci est appelée à appliquer une disposition fiscale nationale qui réserve des avantages spécifiques aux opérateurs ayant le statut d'exploitant agricole à titre principal (ci-après «EATP») au sens de la loi italienne n° 153, du 9 mai 1975, dont la Cour aurait déjà considéré qu'elle ne coïncidait pas sur ce point avec les dispositions communautaires.

17. La Commission ajoute que la Cour a souligné, au point 26 de l'arrêt Tenuta il Bosco , que la «réduction du droit d'enregistrement sur les acquisitions de terrains agricoles par des exploitants agricoles ... n'entre pas dans le champ d'application du règlement n° 797/85». Or, ce serait à l'occasion de l'achat de terres et afin d'obtenir un taux réduit pour les droits d'enregistrement que Monte Arcosu aurait sollicité son inscription au registre des EATP.

18. La Commission parvient cependant à la conclusion que les questions posées sont recevables. Je partage ce point de vue.

19. Rappelons, tout d'abord, que, dans l'arrêt Tenuta il Bosco, précité, le fait que la question posée ne concernait que l'application du droit d'enregistrement en cas de transfert de propriété portant sur des terrains agricoles n'a pas empêché la Cour d'y répondre.

20. Il y a lieu, ensuite, de noter que, en l'espèce, les questions sont formulées en termes généraux et ne se réfèrent pas exclusivement à la législation fiscale, ce qui tendrait à confirmer que le litige pendant devant la juridiction de renvoi ne porte pas sur la question des droits d'enregistrement mais bien sur l'inscription au registre des EATP en tant que telle.

21. Enfin, le refus d'inscrire la requérante au principal au registre des EATP n'a pas seulement pour effet de l'empêcher de bénéficier d'un taux réduit du droit d'enregistrement, mais est également susceptible de lui rendre plus difficile l'accès aux aides prévues dans le cadre de la législation communautaire.

22. Il y a donc lieu de répondre aux questions posées par le Tribunale civile e penale di Cagliari.

Quant au fond

23. C'est à juste titre que la Commission attire, tout d'abord, notre attention sur le fait que les notions d'«agriculteur» et d'«exploitation agricole» n'ont pas un contenu uniforme en droit communautaire, et que leur signification varie selon les objectifs poursuivis par le législateur. La réponse de la Cour ne vaudra donc qu'aux fins de l'application des règlements relatifs à l'amélioration des structures de l'agriculture, ce que confirme d'ailleurs le libellé de la disposition pertinente desdits
règlements, citée ci-dessus, qui dispose clairement que la définition d'EATP est fournie exclusivement aux fins desdits règlements.

24. La Commission nous fournit également certaines précisions relatives à l'objet des questions posées par la juridiction de renvoi.

25. Celle-ci nous interroge sur la possibilité d'accorder, malgré le silence du législateur national, le statut d'EATP aux «personnes autres que les personnes physiques», et en particulier aux «sociétés dotées de la personnalité morale».

26. Il ressort du dossier qu'il existe des dispositions nationales régissant les conditions d'octroi du statut d'EATP à certains sujets de droit autres que les personnes physiques. Tel est le cas des sociétés de personnes, qui ne jouissent pas en droit italien de la personnalité morale, ainsi que de certaines coopératives et associations, qui, dans certains cas, jouissent de la personnalité morale.

27. Il en découle que les «sociétés dotées de la personnalité morale» auxquelles se réfère la juridiction de renvoi sont les sociétés de capitaux pour lesquelles, en effet, les dispositions de droit interne applicables au litige au principal ne prévoient pas la possibilité d'attribution du statut d'EATP.

28. Cette interprétation est d'ailleurs confirmée par le fait que la requérante au principal, à laquelle est refusé le bénéfice du statut d'EATP du fait de l'absence de dispositions applicables à son cas, est une société à responsabilité limitée, c'est-à-dire une société de capitaux.

29. Par sa première question, la juridiction de renvoi nous interroge sur la possibilité de «donner une portée concrète» aux dispositions du droit communautaire, dans le cas des sociétés de capitaux. Ceci revient à nous demander s'il est possible, pour un juge national, d'octroyer, en l'absence de dispositions de droit interne applicables, le statut d'EATP auxdites sociétés.

30. Il faut donc examiner s'il est possible de déterminer les conditions auxquelles de telles sociétés devraient satisfaire pour bénéficier du statut d'EATP.

31. Ces conditions font précisément l'objet de la seconde question, qui est donc indissolublement liée à la première. Je vous proposerai, par conséquent, de les analyser conjointement.

32. Tant la Commission que Monte Arcosu exposent que la réglementation communautaire interdit aux États membres d'exclure les sociétés de capitaux du seul fait de leur forme juridique. Elles citent en ce sens l'arrêt Villa Banfi , dont il découlerait que l'exclusion de certains types de personnes autres que les personnes physiques, sur la base d'un critère purement formel, ne serait pas conforme à la législation communautaire qui ne définirait pas de condition formelle en la matière.

33. Je partage cette analyse. Il ressort en effet du libellé même de l'article 2, paragraphe 5, troisième alinéa, du règlement que les États membres ont non seulement le droit mais également l'obligation de définir des critères d'attribution du statut d'EATP à des personnes autres que des personnes physiques.

34. Dans l'arrêt Villa Banfi, précité, la Cour avait effectivement déjà constaté que les dispositions italiennes litigieuses ne mettaient pas en oeuvre de façon correcte la réglementation communautaire. En effet, celle-ci «non seulement n'exclut pas les personnes morales mais les inclut expressément dans son champ d'application» , dès lors qu'elles remplissent les conditions prévues. Or, celles-ci sont indépendantes de la forme juridique dans laquelle est constituée une personne morale.

35. La Cour en a déduit que la réglementation communautaire empêche un État membre de refuser à une société de capitaux le statut d'EATP du seul fait de sa forme juridique.

36. Le droit d'une telle société d'obtenir l'octroi dudit statut ne saurait cependant être inconditionnel puisque, comme nous l'avons vu, la réglementation communautaire impose aux États membres de définir des critères d'octroi. Il s'ensuit nécessairement que sa pleine application dépend de l'intervention d'une réglementation nationale.

37. En l'espèce, il n'est pas contesté qu'aucune disposition de droit interne applicable n'avait fixé les critères requis au moment où Monte Arcosu a introduit sa demande.

38. Il y a donc lieu de déterminer si cette carence est susceptible d'être comblée par le juge national.

39. Selon Monte Arcosu, tel est incontestablement le cas. En effet, les autorités nationales devraient donner effet au règlement, dont elle rappelle qu'il est obligatoire dans tous ses éléments, en vertu de l'article 189 du traité CE (devenu article 249 CE). En outre, elles auraient l'obligation de ne pas traiter les personnes morales de façon plus défavorable que les personnes physiques.

40. Or, il leur suffirait de s'inspirer des critères énoncés par l'article 2, paragraphe 5, deuxième alinéa, du règlement, comme le troisième alinéa de la même disposition leur en ferait d'ailleurs l'obligation.

41. Elles devraient en conséquence appliquer les conditions de durée et de revenu du travail agricole à la société elle-même, en tant que sujet de droit exerçant l'activité d'exploitant agricole et entièrement distinct des associés qui la constituent.

42. Cette solution s'imposerait logiquement parce que la société de capitaux jouit de la personnalité juridique. Elle a donc une existence juridique propre, distincte de celle des associés. De plus, l'associé d'une société de capitaux ne gérerait en règle générale pas l'activité sociale. Enfin, la qualité d'associé serait liée à la détention de parts caractérisées par leur caractère cessible. Imposer des conditions particulières aux associés serait donc déraisonnable et contraire à la nature même de
la société de capitaux.

43. Tout aussi logiquement, la condition de capacité professionnelle ne pourrait s'appliquer qu'à la personne physique chargée d'exercer l'activité pour le compte de la société, et en particulier à celle qui est chargée de la gestion de l'entreprise.

44. Monte Arcosu ajoute que l'approche qu'elle préconise serait confirmée par des décisions du Consiglio di Stato et de la Corte suprema di cassazione, ainsi que par les mesures adoptées par diverses autorités législatives ou administratives.

45. La Commission, quant à elle, souligne que nous ne sommes pas dans une hypothèse où, conformément à la jurisprudence de la Cour, il appartiendrait au juge national d'écarter une disposition de droit interne contraire au droit communautaire. En l'espèce, il s'agit en effet de suppléer à l'absence des dispositions nationales mettant en oeuvre la réglementation communautaire.

46. Or, la mise en oeuvre du droit communautaire suppose, selon la Commission, un choix technique par l'État membre, qui a donc un certain pouvoir discrétionnaire. On concevrait, dès lors, difficilement que le juge se substitue aux autorités qui ont la responsabilité d'effectuer de tels choix.

47. La Commission estime cependant que, même en l'espèce, le principe d'interprétation du droit national conformément au droit communautaire permet au juge d'appliquer les dispositions nationales de façon à combler les lacunes du droit national qui constituent des violations de la législation communautaire.

48. À cet égard, elle expose, en premier lieu, que, puisque la législation nationale comporte des critères d'attribution du statut d'EATP à des personnes autres que les personnes physiques, à savoir les sociétés de personnes, le juge national devrait examiner dans quelle mesure ces critères pourraient être étendus aux sociétés de capitaux, nonobstant la différence de nature entre sociétés de personnes et sociétés de capitaux.

49. La Commission met l'accent, en second lieu, sur d'autres façons de procéder, en l'espèce, à l'interprétation conforme du droit national. Elle rappelle en effet que la législation de la Région Sardaigne a entre-temps fixé les critères requis pour octroyer le statut d'EATP aux sociétés de capitaux. Si le juge de renvoi pouvait interpréter cette disposition en lui conférant une valeur rétroactive, il pourrait combler la lacune en cause. Il empêcherait ainsi l'État membre, qui a transposé certaines
dispositions avec un retard de plusieurs décennies, d'opposer aux particuliers un refus qui découlerait de son propre manquement.

50. La Commission ajoute, en troisième lieu, que, s'il s'avérait impossible d'étendre les principes de l'interprétation du droit national conformément au droit communautaire et du nemo auditur suam turpitudinem allegans invoqué par la Cour à propos des directives non transposées, il ne resterait aux particuliers pas d'autre solution que d'invoquer la responsabilité de l'État pour violation du droit communautaire.

51. Elle admet qu'en l'espèce, à défaut de règles nationales ayant déterminé en temps utile les critères d'octroi du statut d'EATP, un tel recours en responsabilité se heurte à l'impossibilité de déterminer les opérateurs qui auraient eu droit au statut d'EATP et qui ont donc été lésés par la transposition tardive du droit communautaire.

52. La Commission estime toutefois que, en se référant aux dispositions nationales qui ont ultérieurement défini les entités susceptibles d'obtenir le statut d'EATP, il est possible de déterminer le cercle des «victimes» de la mise en oeuvre tardive du droit communautaire et donc de réparer le dommage.

53. La Commission conclut en exposant qu'elle ne sous-estime pas les difficultés inhérentes aux solutions qu'elle propose. Elle estime cependant que, si l'on n'y recourait pas, «il faudrait admettre que l'effet direct de l'interdiction d'opérer une discrimination à l'égard des sociétés de capitaux au seul motif de leur forme juridique - effet reconnu par la Cour depuis l'arrêt Villa Banfi - reste, en définitive, subordonné à une intervention du législateur italien qu'il a fallu attendre plus de
vingt-six ans après l'adoption de la directive 72/159/CEE dans le cas de la Région Sardaigne».

54. Que faut-il penser de ces différentes solutions?

55. Dans son arrêt Villa Banfi, précité, la Cour a jugé que la réglementation communautaire interdisait à un État membre de refuser le statut d'EATP à un opérateur au seul motif de sa forme juridique.

56. L'approche proposée par Monte Arcosu a le mérite d'empêcher un tel refus par l'État membre, et donc de s'inscrire dans la droite ligne de cette jurisprudence.

57. Force est cependant de constater que cette démarche revient à priver l'État membre de toute marge d'appréciation quant à la détermination des critères applicables aux sociétés de capitaux.

58. En effet, la solution proposée revient à appliquer mutatis mutandis à celles-ci les critères prévus par le législateur national, sur le fondement du droit communautaire, pour les personnes physiques.

59. Or, l'article 2, paragraphe 5, troisième alinéa, du règlement prévoit expressément que, pour les personnes autres que les personnes physiques, les États membres définissent les critères «en tenant compte» de ceux relatifs aux personnes physiques.

60. Cette expression, comme le souligne, à juste titre, la Commission, n'impose pas à un État membre de transposer purement et simplement les critères prévus au deuxième alinéa de ladite disposition. Elle lui laisse au contraire une marge de manoeuvre que l'approche proposée par Monte Arcosu revient à nier entièrement.

61. Il serait, certes, concevable en théorie que le juge national soit confronté à une situation dans laquelle chaque actionnaire de la société remplirait les critères que le droit national prévoit, sur la base du droit communautaire, pour les personnes physiques ou pour les «associations d'entrepreneurs agricoles». Aurait-il, en pareil cas, l'obligation de reconnaître le statut d'EATP à pareille société?

62. On pourrait être tenté de répondre par l'affirmative. Une telle solution reviendrait cependant à priver d'effet les termes de l'article 2, paragraphe 5, troisième alinéa, du règlement, et, comme le rappelle la juridiction de renvoi, elle se heurterait à la différence de nature entre les personnes physiques et les sociétés de capitaux, qui sont, selon les mots du juge de renvoi, «un sujet de droit entièrement distinct des personnes des associés individuels», celles-ci étant, «pour ainsi dire,
diluées».

63. Examinons maintenant les solutions envisagées par la Commission. La première proposition de la Commission implique de suggérer à la juridiction de renvoi la possibilité de transposer les critères fixés par le droit national pour certaines personnes autres que les personnes physiques au cas des sociétés de capitaux.

64. Cela reviendrait donc à appliquer aux sociétés de capitaux la règle que la loi italienne n° 153, du 9 mai 1975, prévoit, en son article 13, en ce qui concerne les «associations d'entrepreneurs agricoles», à savoir que «les associés tirent de l'activité de l'exploitation et de l'association au moins 50 % de leurs revenus et qu'ils engagent dans l'activité de l'association au moins 50 % de leur temps de travail».

65. Il apparaît immédiatement que cette solution serait, sur le fond, identique à celle que nous venons d'examiner au point précédent, puisque ces critères correspondent, en substance, à ceux qui s'appliquent aux personne physiques.

66. Les inconvénients et les difficultés d'y avoir recours sont donc les mêmes.

67. La Commission envisage en second lieu la possibilité que le juge national puisse appliquer rétroactivement le critère que la Région Sardaigne a, entre-temps, fixé pour les sociétés de capitaux.

68. Elle estime, à cet égard, que le juge national a l'obligation de vérifier si le droit italien lui permet une telle application. L'existence d'une telle obligation ne saurait être mise en doute.

69. Toutefois, le véritable problème est celui de savoir ce qu'il en est si le résultat de cette vérification s'avère négatif. Le principe de primauté du droit communautaire, dont découle celui de l'interprétation conforme du droit national, invoqué par la Commission, impose-t-il, en pareil cas, l'application rétroactive des mesures adoptées par le législateur régional en vue d'assurer l'application de la norme communautaire?

70. Rappelons, à cet égard, que la Cour a jugé à de multiples reprises que:

«l'obligation des États membres, découlant d'une directive, d'atteindre le résultat prévu par celle-ci ainsi que leur devoir, en vertu de l'article 5 du traité, de prendre toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l'exécution de cette obligation s'imposent à toutes les autorités des États membres, y compris, dans le cadre de leurs compétences, les autorités juridictionnelles. Il s'ensuit qu'en appliquant le droit national, qu'il s'agisse de dispositions antérieures ou postérieures
à la directive, la juridiction nationale appelée à l'interpréter est tenue de le faire dans toute la mesure du possible à la lumière du texte et de la finalité de la directive pour atteindre le résultat visé par celle-ci et se conformer ainsi à l'article 189, troisième alinéa, du traité» .

71. Il s'agissait certes, dans ces hypothèses, de directives plutôt que d'un règlement, comme en l'espèce. Toutefois, ledit règlement confiant explicitement aux États membres le soin d'adopter des mesures nécessaires à son exécution, il n'y a pas lieu de le distinguer d'une directive aux fins de l'application de cette jurisprudence.

72. Plus sérieuse est l'objection selon laquelle, si le juge national devait appliquer rétroactivement les dispositions adoptées par les autorités compétentes d'un État membre en vue d'assurer la mise en oeuvre du droit communautaire, il serait susceptible de se heurter au principe fondamental de l'interdiction de l'application rétroactive de la loi.

73. Les contraintes qui pourraient découler pour le juge national de l'application d'un principe national de non-rétroactivité ne sauraient cependant aller au-delà de ce qu'exige le respect de ce principe en droit communautaire.

74. En effet, un principe de droit national, fût-il d'ordre constitutionnel, ne saurait faire échec à la primauté du droit communautaire, comme la Cour l'a déjà jugé dans son arrêt Simmenthal .

75. Il est vrai que cette affirmation doit être nuancée par le jeu du principe de l'autonomie institutionnelle des États membres, dont il découle qu'il appartient à ces derniers de définir les règles procédurales nécessaires à la mise en oeuvre du droit communautaire, sous réserve de ne pas rendre impossible ou excessivement difficile l'application du droit communautaire .

76. En l'espèce, n'est cependant pas en cause le cadre procédural défini par le droit national, mais la portée d'un principe commun au droit national et au droit communautaire, à savoir celui de la non-rétroactivité.

77. Analysons donc l'effet, dans le cas d'espèce, du principe de non-rétroactivité, tel qu'il se dégage de la jurisprudence de la Cour.

78. Il ressort de celle-ci que ce principe découle des exigences de la sécurité juridique ainsi que de celles de la protection de la confiance légitime et n'a donc pas une portée absolue.

79. Ainsi, selon une jurisprudence constante,

«si, en règle générale, le principe de la sécurité des situations juridiques s'oppose à ce que la portée dans le temps d'un acte communautaire voie son point de départ fixé à une date antérieure à sa publication, il peut en être autrement, à titre exceptionnel, lorsque le but à atteindre l'exige et lorsque la confiance légitime des intéressés est dûment respectée» .

80. Or, en l'espèce, l'application rétroactive des dispositions nationales en cause ne compromettrait en rien la protection de la confiance légitime des opérateurs concernés.

81. En effet, elle aurait pour effet de permettre de préciser suffisamment la portée d'un droit découlant pour eux de la réglementation communautaire, droit qu'il s'agit de faire valoir à l'encontre des autorités publiques et non pas d'autres particuliers.

82. En revanche, la non-application des dispositions nationales aurait pour effet de priver les opérateurs de la possibilité de bénéficier de ce droit. Ce ne serait pas leur confiance légitime qui serait ainsi protégée mais, paradoxalement, l'abstention des autorités compétentes de l'État membre restées en défaut de prendre au moment requis les dispositions qu'exigeait la mise en oeuvre du droit communautaire.

83. Nous ne sommes donc absolument pas dans une situation où le droit communautaire, en vertu du principe de la protection de la confiance légitime et de celui de la sécurité juridique, exclurait toute application rétroactive des règles nationales en cause.

84. Tel serait le cas s'il s'agissait, quod non, d'imposer rétroactivement une obligation ou une charge quelconque à des particuliers. Il ne s'agit pas non plus d'incriminer un comportement qui n'était pas punissable au moment où il a été adopté. Nous ne sommes donc pas dans une situation du type de celles où s'applique le principe de non-rétroactivité des dispositions pénales, commun à tous les ordres juridiques des États membres et consacré par l'article 7 de la convention de sauvegarde des droits
de l'homme et des libertés fondamentales.

85. Il découle de ce qui précède que l'application rétroactive par le juge national des dispositions nationales prises en exécution du règlement ne saurait se heurter en l'espèce au principe de non-rétroactivité, tel qu'il découle du droit communautaire.

86. Pour la raison indiquée au point 73 ci-dessus, le juge national ne pourrait donc pas non plus se voir opposer un principe de non-rétroactivité tiré du droit national.

87. Compte tenu des considérations que je viens d'exposer, je ne vois pas la nécessité d'invoquer la responsabilité de l'État pour violation du droit communautaire, en s'appuyant sur les principes mis en oeuvre par la Cour dans sa jurisprudence Francovich e.a. , où était en cause une situation similaire au cas présent, en ce sens que l'absence de règles nationales de transposition avait pour effet de priver certaines personnes de droits que la règle communautaire visait à leur octroyer.

88. Ce n'est donc qu'à titre subsidiaire que je formulerai les remarques suivantes.

89. La Cour a jugé que, dans une telle situation, où le plein effet des normes communautaires est subordonné à la condition d'une action de la part de l'État et où, par conséquent, les particuliers ne peuvent pas, à défaut d'une telle action, faire valoir devant les juridictions nationales les droits qui leur sont reconnus par le droit communautaire, la possibilité de réparation à la charge de l'État membre est particulièrement indispensable.

90. Cette solution était commandée, selon la Cour, par la pleine efficacité des normes communautaires ainsi que par la protection des droits qu'elles reconnaissent.

91. Les mêmes préoccupations sont ici en cause.

92. On pourrait certes objecter que se pose en l'espèce le problème de déterminer les bénéficiaires de la règle communautaire puisque ceux-ci doivent être définis par la règle nationale dont l'absence est à l'origine du litige.

93. À cet égard, j'approuve l'analyse de la Commission selon laquelle il y a lieu de se référer aux règles nationales qui mettent désormais en oeuvre la norme communautaire.

94. En effet, en adoptant celles-ci, l'État membre a exercé le pouvoir discrétionnaire que lui reconnaît la réglementation communautaire. Dès lors, en se référant à ces règles pour déterminer les bénéficiaires potentiels de la réglementation communautaire et donc les personnes en droit de faire valoir un préjudice, le juge national ne se substituerait en rien aux autorités chargées d'opérer les choix que suppose la mise en oeuvre de la réglementation en cause.

95. Il est certes vrai que, s'il avait pris les dispositions requises dans les délais, l'État membre aurait pu recourir à d'autres critères que ceux qu'il a maintenant retenus. Il n'en demeure pas moins que l'État membre s'est abstenu, en violation du droit communautaire, d'exercer cette faculté en temps utile.

96. On ne saurait dès lors admettre qu'il puisse maintenant se prévaloir de cette abstention contraire au traité et en faire supporter les conséquences par les opérateurs affectés.

97. De cette façon, le juge national serait en mesure de concilier la protection des droits découlant pour les particuliers du droit communautaire avec le respect de la marge d'appréciation que celui-ci a reconnu en l'espèce à l'État membre.

Conclusion

98. Compte tenu de ce qui précède, je vous propose de répondre comme suit aux questions posées par le Tribunale civile e penale di Cagliari:

«Il ne découle ni de l'article 2, paragraphe 5, du règlement (CEE) n° 797/85 du Conseil, du 12 mars 1985, concernant l'amélioration de l'efficacité des structures de l'agriculture, ni de l'article 5, paragraphe 5, du règlement (CEE) n° 2328/91 du Conseil, du 15 juillet 1991, concernant l'amélioration de l'efficacité des structures de l'agriculture, que le juge national est tenu d'appliquer aux sociétés de capitaux la notion d'exploitant agricole à titre principal prévue pour les personnes physiques
et les personnes autres que les personnes physiques lorsqu'un État membre n'a pas défini cette notion en se référant auxdites sociétés.

En revanche, la nécessité de donner une interprétation du droit national conforme au droit communautaire impose au juge national d'appliquer les règles nationales nécessaires pour définir la notion d'exploitant agricole à titre principal dans le contexte des sociétés de capitaux, même si ces règles sont intervenues tardivement, afin de permettre aux sociétés de capitaux d'obtenir, si elles remplissent les conditions fixées par lesdites règles et par les actes des institutions intervenus en la
matière, l'attribution du statut d'exploitant agricole à titre principal.»


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-403/98
Date de la décision : 30/03/2000
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Tribunale civile e penale di Cagliari - Italie.

Agriculture - Exploitant agricole à titre principal - Notion - Société à responsabilité limitée.

Agriculture et Pêche


Parties
Demandeurs : Azienda Agricola Monte Arcosu Srl
Défendeurs : Regione Autonoma della Sardegna, Organismo Comprensoriale nº 24 della Sardegna et Ente Regionale per l'Assistenza Tecnica in Agricoltura (ERSAT).

Composition du Tribunal
Avocat général : Mischo
Rapporteur ?: Macken

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2000:175

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