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14/03/2000 | CJUE | N°C-225/98

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Alber présentées le 14 mars 2000., Commission des Communautés européennes contre République française., 14/03/2000, C-225/98


Avis juridique important

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61998C0225

Conclusions de l'avocat général Alber présentées le 14 mars 2000. - Commission des Communautés européennes contre République française. - Manquement - Marchés publics de travaux - Directives 71/305/CEE, telle que modifiée par la directive 89/440/CEE, et 93/37/CEE - Construct

ion et maintenance de bâtiments scolaires menées par la Région Nord-Pas-de-...

Avis juridique important

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61998C0225

Conclusions de l'avocat général Alber présentées le 14 mars 2000. - Commission des Communautés européennes contre République française. - Manquement - Marchés publics de travaux - Directives 71/305/CEE, telle que modifiée par la directive 89/440/CEE, et 93/37/CEE - Construction et maintenance de bâtiments scolaires menées par la Région Nord-Pas-de-Calais et par le département du Nord. - Affaire C-225/98.
Recueil de jurisprudence 2000 page I-07445

Conclusions de l'avocat général

I - Introduction

1 Dans le présent recours en manquement, la Commission fait grief à la République française d'avoir manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité CE (article 59, devenu après modification article 49 CE) et de la directive 71/305/CEE, telle que modifiée par la directive 89/440/CEE, notamment ses articles 12, 26 et 29) ou 93/37/CEE, notamment ses articles 8, 11, 22 et 30 portant coordination des procédures de passation des marchés publics en ne mettant pas en oeuvre, dans les règles
prévues, certaines procédures pour la passation de marchés publics de travaux concernant la construction et la maintenance de bâtiments scolaires menées par la région Nord-Pas-de-Calais et le département Nord. Les griefs de la Commission portent sur différentes infractions aux règles de publication - concernant notamment la procédure de pré-information et le nombre des soumissionnaires - ainsi que l'application d'un critère illicite pour l'attribution de marchés; la Commission critique en outre
l'emploi de spécifications techniques discriminatoires dans la désignation des lots, et les preuves discriminatoires d'expérience professionnelle et de capacité technique; elle met par ailleurs en cause l'omission d'une post-information et la non-communication des procès-verbaux.

II - Le cadre juridique

A - Directive 71/305/CEE du Conseil, du 26 juillet 1971, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (1) dans la version modifiée par la directive 89/440/CEE du Conseil, du 18 juillet 1989 (2) ainsi que directive 93/37/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (3).

2 Après avoir été modifiée à plusieurs reprises sur des points essentiels, la directive 71/305 a été codifiée par la directive 93/37 «dans un souci de clarté et de rationalité» - ainsi que cela est indiqué dans le premier considérant -. Les règles de la directive 71/305 applicables dans la présente affaire sont, à l'exception de quelques modifications d'ordre rédactionnel, identiques à celles de la directive 93/37. Puisque la directive 93/37 n'est applicable que depuis le 14 janvier 1993 mais que la
Commission critique des infractions qui ont été commises en partie avant cette date, ces deux directives trouvent application dans la présente affaire. L'article 36 de la directive 93/37 qui abroge la directive 71/305 dispose que les références faites à la directive abrogée s'entendent comme faites à la nouvelle directive.

Les articles qui sont cités ci-après sans indication de directive sont ceux de la directive 93/37.

a) Sur la procédure d'adjudication

3 Les termes de l'article 8 - qui correspond à l'article 5 a de la directive 71/305 - sont les suivants

«(1) à (2)...

(3) Pour chaque marché passé, les pouvoirs adjudicateurs établissent un procès-verbal comportant au moins:

- le nom et l'adresse du pouvoir adjudicateur, l'objet et la valeur du marché,

- les noms des candidats ou soumissionnaires retenus et la justification de leur choix,

- les noms des candidats ou soumissionnaires exclus et les motifs de leur rejet,

- le nom de l'adjudicataire et la justification du choix de son offre ainsi que - si elle est connue - la part du marché que l'adjudicataire a l'intention de sous-traiter à des tiers,

- en ce qui concerne les procédures négociées, l'indication des circonstances visées à l'article 7 qui justifient le recours à ces procédures.

Ce procès-verbal ou ses principaux points sont communiqués à la Commission à sa demande».

b) Sur la procédure de pré-information et de post-information

4 L'article 4 - qui correspond à l'article 12 de la directive 71/305 - est rédigé comme suit:

«(1) Les pouvoirs adjudicateurs font connaître, au moyen d'un avis indicatif, les caractéristiques essentielles des marchés de travaux qu'ils entendent passer et dont les montants égalent ou dépassent le seuil indiqué à l'article 6 paragraphe 1 (4).

(2) à (4) ...

(5) Les pouvoirs adjudicateurs qui ont passé un marché en font connaître le résultat au moyen d'un avis. ...

(7) Les avis prévus aux paragraphes 1 à 5 sont envoyés par les pouvoirs adjudicateurs dans les meilleurs délais et par les voies les plus appropriées à l'Office des publications officielles des Communautés européennes. ...

(8) à (13)...»

c) Sur les conséquences de la pré-information sur le délai de remise des offres

5 L'article 12 - qui correspond à l'article 13 de la directive 71/305 est rédigé comme suit:

«(1) Dans les procédures ouvertes, le délai de réception des offres, fixé par les pouvoirs adjudicateurs, ne peut être inférieur à cinquante-deux jours à compter de la date d'envoi de l'avis.

(2) Le délai de réception des offres prévu au paragraphe 1 peut être réduit à trente-six jours si les pouvoirs adjudicateurs ont publié l'avis prévu à l'article 11, paragraphe 1, établi en conformité avec le modèle qui figure à l'annexe IV, partie A, au Journal officiel des Communautés européennes.

(3) à (5) ...»

6 L'article 13 - qui correspond à l'article 14 de la directive 71/305 - est rédigé comme suit:

«(1) à (2) ...

(3) Dans les procédures restreintes, le délai de réception des offres, fixé par les pouvoirs adjudicateurs, ne peut être inférieur à quarante jours à compter de la date d'envoi de l'invitation écrite.

(4) Le délai de réception des offres prévu au paragraphe 3 peut être réduit à vingt-six jours si les pouvoirs adjudicateurs ont publié l'avis prévu à l'article 11 paragraphe 1, établi en conformité avec le modèle qui figure à l'annexe IV partie A, au Journal officiel des Communautés européennes.

(5) à (7)...»

En ce qui concerne le nombre des soumissionnaires

7 L'article 22 - qui correspond à l'article 22 de la directive 71/305 dans la version modifiée par la directive 89/440 - prévoit que:

«(1) ...

(2) Lorsque les pouvoirs adjudicateurs passent un marché par procédure restreinte, ils peuvent prévoir la fourchette à l'intérieur de laquelle se situera le nombre des entreprises qu'ils envisagent d'inviter. Dans ce cas, la fourchette est indiquée dans l'avis. Elle est déterminée en fonction de la nature de l'ouvrage à réaliser. Le chiffre le moins élevé de la fourchette ne doit pas être inférieur à cinq. Le chiffre supérieur de la fourchette peut être fixé à vingt.

En toute hypothèse, le nombre de candidats admis à soumissionner doit être suffisant pour assurer une concurrence réelle.

(3) à (4) ...»

e) Sur la preuve de capacités techniques

8 L'article 27 - qui correspond à l'article 26 de la directive 71/305 - est rédigé comme suit:

«(1) La justification des capacités techniques de l'entrepreneur peut être fournie:

a) par des titres d'études et professionnels de l'entrepreneur ou/et des cadres de l'entreprise et, en particulier du ou des responsables de la conduite des travaux;

b) par la liste des travaux exécutés au cours des cinq dernières années, cette liste étant appuyée de certificats de bonne exécution pour les travaux les plus importants. Ces certificats indiqueront le montant, l'époque et le lieu d'exécution des travaux et préciseront s'ils ont été effectués selon les règles de l'art et menés régulièrement à bonne fin. Le cas échéant, ces certificats seront transmis directement à l'adjudicateur par l'autorité compétente;

c) par une déclaration mentionnant l'outillage, le matériel et l'équipement technique dont l'entrepreneur disposera pour l'exécution de l'ouvrage;

d) par une déclaration mentionnant les effectifs moyens annuels de l'entreprise et l'importance de ses cadres pendant les trois dernières années;

e) par une déclaration mentionnant les techniciens ou les organismes techniques, qu'ils soient ou non intégrés à l'entreprise, dont l'entrepreneur disposera pour l'exécution de l'ouvrage.

(2) Le pouvoir adjudicateur précise, dans l'avis ou dans l'invitation à soumissionner, celles de ces références qu'il entend obtenir.»

f) Sur les critères d'adjudication

9 L'article 30 - qui correspond à l'article 29 de la directive 71/305 - prévoit ce qui suit:

«(1) Les critères sur lesquels le pouvoir adjudicateur se fonde pour attribuer les marchés sont:

a) soit uniquement le prix le plus bas;

b) soit, lorsque l'attribution se fait à l'offre économiquement la plus avantageuse, divers critères variables suivant le marché en question: par exemple, le prix, le délai d'exécution, le coût d'utilisation, la rentabilité, la valeur technique.

(2) Dans le cas visé au paragraphe 1, point b), le pouvoir adjudicateur mentionne, dans le cahier des charges ou dans l'avis de marché, tous les critères d'attribution dont il prévoit l'utilisation, si possible dans l'ordre décroissant de l'importance qui leur est attribuée.

(3) à (4) ...»

III - Genèse de la procédure et faits de l'affaire

10 L'objet de la présente affaire en manquement est le résultat de deux procédures précontentieuses indépendantes l'une de l'autre.

11 Premièrement: Au début de l'année 1993, l'attention de la Commission a été attirée par une plainte d'un soumissionnaire qui avait été écarté d'une procédure d'adjudication d'un marché public de travaux lancé par procédure ouverte. Cette procédure concernait la construction d'un lycée polyvalent à Wingles (Région Pas de Calais). L'avis de marché a été publié au Journal officiel des Communautés européennes du 21 janvier 1993. La Commission a émis quelques critiques en ce qui concerne cet avis de
marché. Dans sa lettre de mise en demeure du 27 septembre 1993, elle a reproché aux autorités françaises d'avoir fixé un délai trop court pour la réception des offres ainsi que l'insuffisance d'un classement des lots faisant uniquement référence à des spécifications techniques utilisées en France; elle a également souligné qu'il était illégal d'exiger des preuves concernant les capacités techniques des entreprises fondées sur des certificats utilisés uniquement en France tout comme le fait que les
critères d'attribution faisaient référence à une loi nationale. Enfin, la Commission a mis en cause le refus des autorités françaises de transmettre à la Commission le procès-verbal de la procédure litigieuse. La réponse des autorités françaises en date du 20 décembre 1993 n'était, de l'avis de la Commission, pas suffisante. Elle a par conséquent adressé le 8 septembre 1995 un avis motivé à la République française. Cet avis motivé est resté sans réponse.

12 Deuxièmement: Entre-temps, la Région Nord-Pas de Calais a publié au JOCE du 18 février 1995 quatorze avis dans le cadre du programme «Plan Lycée» pour un montant total d'environ 1,4 milliard FRF. Il s'agissait de procédures restreintes portant sur la réalisation de marchés de travaux de réhabilitation et de gros entretien pour une période de 10 ans. Ces annonces ont précisé les critères d'attribution. A cet égard, il a été introduit un «critère additionnel» visant à favoriser le développement
d'emplois. Ce critère avait pour fondement une circulaire ministérielle du 29 décembre 1993.

13 Par lettre du 21 novembre 1995, la Commission a mis les autorités françaises en demeure de présenter des observations sur plusieurs irrégularités relevées dans les appels d'offres, comme par exemple, l'absence de pré-information, l'introduction d'un «critère additionnel» visant à favoriser le développement d'emplois, le fait d'avoir admis un nombre insuffisant de soumissionnaires à présenter une offre ainsi que l'utilisation de critères de qualification discriminatoires.

14 La Commission a étudié la pratique suivie par la Région Nord-Pas de Calais en matière d'attributions de marchés sur une période de trois ans. Elle a adressé le 8 mai 1996 une nouvelle lettre de mise en demeure aux autorités françaises. Par lettre du 9 août 1996, les autorités françaises ont répondu qu'elles avaient l'intention d'améliorer la procédure de passation de marché pour les nouveaux contrats.

15 La Commission a envoyé à la République française le 7 avril 1997 un avis motivé résumant ses griefs lequel est resté sans réponse de la part des autorités françaises. La Commission a en conséquence introduit le 18 juin 1998 le présent recours qui a été inscrit au registre de la Cour le 22 juin 1998.

16 La Commission conclut à ce qu'il plaise à la Cour:

- constater que, à l'occasion des différentes procédures d'adjudication de marchés publics de travaux concernant la construction et la maintenance de bâtiments scolaires menées par la Région Nord-Pas de Calais et le département du Nord relevées sur une période de trois ans, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 59 du traité CE (devenu, après modification, article 49 CE), ainsi que de la directive 71/305, telle que modifiée par la directive 89/440,
en particulier ses articles 12, 26 et 29, et de la directive 93/37, et en particulier ses articles 8, 11, 22 et 30.

La Commission conclut en outre dans son mémoire en réplique à ce qu'il plaise à la Cour

-- condamner la République française aux dépens.

17 La République française conclut au rejet du recours.

18 Il y aura lieu de revenir sur les arguments des parties et d'autres détails de l'affaire dans le cadre de la discussion des différents griefs.

19 Il en va de même en ce qui concerne les questions que la Cour a posées à la Commission sur les conséquences juridiques de l'absence de procédure de pré-information et de pratique de la pré-information par les pouvoirs adjudicateurs de la Communauté et s'agissant de la réponse du gouvernement français aux questions posées par la Commission.

IV - Sur les différents griefs

20 La Commission fonde le recours sur plusieurs griefs qui peuvent être regroupés comme suit. Nous les traiterons dans l'ordre dans lequel ils apparaissent dans la requête.

A - Sur l'infraction à l'article 12 de la directive 71/305, ou à l'article 11 de la directive 93/37 en raison du défaut de procédure de pré-information (En ce qui concerne le libellé de ces articles, voir points 4 à 6)

Les arguments des parties

21 La Commission estime que les autorités françaises ont enfreint l'article 12 de la directive 71/305 ou l'article 11 de la directive 93/37 en ne respectant que très rarement l'impératif de pré-information. Il résulte des articles précités que la procédure de pré-information constitue une condition contraignante pour toute procédure d'adjudication qu'il y a lieu d'organiser selon la directive. Les autorités françaises n'auraient, selon la Commission, pas contredit cette affirmation dans son
principe.

22 Toutefois, la région Nord-Pas de Calais a publié le 18 février 1995 quatorze avis de marché sans avoir eu recours à la procédure d'information préalable prévue par la disposition en cause. La Commission fait valoir par ailleurs que la procédure de pré-information n'a été que très rarement respectée au cours des années 1993-1995. En ce qui concerne le département Nord, la Commission relève qu'aucun avis de pré-information n'a été publié au Journal Officiel des Communautés européennes pendant la
période concernée. Une procédure de pré-information n'est intervenue que pour le lycée de Wingles et un centre de formation pour apprentis.

23 Le gouvernement français ne conteste pas que l'article 11, paragraphe 1, de la directive lui impose une obligation. Il fait valoir que compte-tenu des articles 12 et 13 de la directive, il y a lieu de relativiser le caractère obligatoire de la publicité d'un avis de pré-information. L'article 12, paragraphe 1, et l'article 13, paragraphe 3 de la directive prévoient en principe un délai de 52 jours ou de 40 jours pour la réception des offres. Le pouvoir adjudicateur peut, selon le gouvernement
français, ramener ce délai, conformément à l'article 12, paragraphe 2 et à l'article 13, paragraphe 4 s'il publie au Journal Officiel des Communautés européennes un avis tel qu'il est prévu à l'article 11, paragraphe 1. Il soutient que si la publication d'un avis de pré-information était obligatoire dans tous les cas, toutes les procédures satisferaient à la condition de réduction du délai. Il en résulte, selon le gouvernement français, une incompatibilité entre d'une part, l'article 11 et d'autre
part, les articles 12 et 13. Il y aurait, par conséquent, plusieurs lectures possibles, selon que l'on se fonde sur le caractère obligatoire de la procédure de pré-information, conformément à l'article 11, paragraphe 1 ou sur son caractère facultatif en application des articles 12 et 13. Les autorités françaises indiquent qu'elles ont opté pour cette deuxième interprétation. Par ailleurs, la Région Nord-Pas de Calais a publié une nouvelle fois les avis d'adjudication litigieux, en respectant cette
fois l'obligation de pré-information.

24 La Commission considère que l'argument invoqué par les autorités françaises, à savoir le caractère facultatif de la pré-information est inexact. Il est sans importance, selon la Commission, que les pouvoirs adjudicateurs n'aient pas eu l'intention de profiter de la réduction des délais au sens des articles 12 et 13 pour la réception des offres.

Analyse

25 Du fait que la Région Nord-Pas de Calais a tenu compte des critiques formulées par la Commission dans sa lettre de mise en demeure, avant l'expiration du délai fixé par l'avis motivé - sans toutefois en informer la Commission -, le recours pourrait être devenu irrecevable sur ce point.

26 La procédure de recours en manquement a pour objet de faire constater que l'État membre concerné a manqué à ses obligations et qu'il n'a pas mis fin à cette infraction dans le délai prévu dans l'avis motivé. Selon la jurisprudence constante, il y a lieu d'apprécier l'existence d'un manquement au vu de la situation dans laquelle se trouvait l'État membre dans le délai prévu dans l'avis motivé. A cette date, le gouvernement français avait déjà publié les pré-informations dans la mesure où une telle
publication était encore possible. Les autorités françaises ont par conséquent satisfait aux obligations qui leur ont été imposées par la Commission avant l'expiration du délai fixé dans l'avis motivé. Une condition essentielle pour la recevabilité d'un recours en manquement fait donc défaut.

27 Cependant, la République française a également soutenu lors de la procédure devant la Cour que cette pré-information au sens de l'article 11 de la directive n'est pas obligatoire. Elle n'a donc pas reconnu au fond la violation du traité qui lui a été reprochée. Il continue donc d'y avoir par conséquent un intérêt à faire constater qu'il y a divergence dans l'interprétation de l'article 11 en liaison avec les articles 12 et 13 de la directive de telle sorte que le recours est recevable à cet
égard. S'ajoute à cela le fait que les modifications en cause n'ont pas été communiquées à la Commission.

28 Dans le cadre d'une analyse des dispositions au fond, il est constant entre les parties que l'article 11, paragraphe 1, considéré isolément fait obligation au pouvoir adjudicateur de publier préalablement les caractéristiques essentielles des avis de marché. On peut toutefois se demander s'il y a lieu de relativiser cette interprétation à la lumière des articles 12, paragraphe 2 et 13, paragraphe 4. La formulation «...si les pouvoirs adjudicateurs ont publié l'avis prévu...» figurant à l'article
12, paragraphe 2 et à l'article 13, paragraphe 4 pourrait militer en ce sens. Contre cette interprétation plaide cependant le fait que l'article 11 d'une part, les articles 12 et 13 d'autre part réglementent deux choses tout à fait différentes: l'article 11 impose au pouvoir adjudicateur de publier les avis de marché alors que les articles 12 et 13 réglementent les délais pour la réception des offres. Il serait contraire au système prévu de penser que les articles 12, paragraphe 2 et 13, paragraphe
4 entendent en outre réglementer la question de la publication des pré-informations, alors que cette question l'a déjà été auparavant sans équivoque.

29 En outre, l'esprit et la finalité de la directive militent en faveur d'une obligation générale de publication des pré-informations. La directive doit instituer une réelle concurrence dans le domaine des marchés publics. Cet objectif rend nécessaire de donner à un groupe illimité de soumissionnaires provenant de tous les États membres la possibilité de s'informer à temps et de manière complète sur les avis de marché qui vont être passés. Il n'est toutefois satisfait à cette obligation de diffuser
largement l'information que si le pouvoir adjudicateur peut lui même décider sous quelle forme la publication doit avoir lieu - même s'il ne s'agit que d'une pré-information-.

30 L'argument du gouvernement français, à savoir que cette interprétation doit régulièrement entraîner une réduction des délais de 52 à 36 jours ou de 37 à 26 n'emporte pas la conviction. Bien qu'il existe une obligation générale de publication d'une pré-information, les règles figurant dans les articles 12, paragraphes 1 et 2 et 13, paragraphes 1 et 4 ne deviennent pas sans objet. La réduction des délais ne peut être appliquée que s'il y a eu une pré-information telle que prévue par la directive.
La réduction des délais n'est cependant qu'une possibilité à laquelle le pouvoir adjudicateur n'est pas tenu de recourir. Le calcul différent des délais constitue une dérogation, laquelle est subordonnée, dans la mesure où elle consiste en une réduction desdits délais, à la condition d'une pré-information effectuée selon les modalités prévues.

31 Il est exact que l'on peut déduire de la formulation de la directive, à savoir que les délais ne peuvent être réduits que si une pré-information est intervenue au préalable, qu'en dépit d'une obligation générale de pré-information, il est possible d'envisager des cas dans lesquels la pré-information n'a pas eu lieu. La Commission a également attiré l'attention au cours de la procédure orale sur le fait qu'une pré-information n'est pas toujours possible pour des raisons objectives. Ainsi, des
contraintes budgétaires peuvent être responsables du fait qu'une pré-information n'a pu avoir lieu assez tôt puisque la passation officielle du marché dépend des moyens existants dont la disponibilité peut être différente à différentes périodes.

32 La Commission a attiré l'attention lors de la procédure orale sur le fait que ce problème avait été pris en considération lors de la modification de l'article 12 de la directive 71/305. Il avait été suggéré à l'époque d'inclure dans le texte de la directive une restriction au sens «sauf quand cela n'est pas possible». Cette formulation ou une autre n'ont cependant pas été reprises dans le texte de la directive.

33 La pré-information est par conséquent obligatoire en règle générale. Si cette pré-information n'a pas lieu, le pouvoir adjudicateur doit être mesure d'indiquer les raisons pour lesquelles tel n'a pas été le cas. Le respect d'un délai plus important pour la réception des offres est une suite logique du non-respect de la procédure de pré-information. Il ne s'agit toutefois pas d'automatisme en ce sens que lorsque des délais plus longs sont fixés pour la réception des offres, on peut renoncer à une
pré-information au sens de l'article 11 de la directive, mais une réduction du délai n'est au contraire possible que si une pré-information est intervenue auparavant.

34 Le premier moyen est par conséquent recevable et fondé.

B - Sur l'infraction à l'article 30 de la directive 93/97 - lequel correspond à l'article 29 de la directive 71/305 - en raison de l'utilisation d'un critère d'attribution illicite (en ce qui concerne le libellé de cet article, voir point 9)

35 Il ressort des annexes jointes au dossier que les pouvoirs adjudicateurs français ont mentionné plusieurs fois expressément dans les avis, à la rubrique intitulée «critères d'attribution», le critère relatif à l'emploi comme «critère additionnel» en sus du prix, délai d'exécution etc...

Arguments des parties

36 La Commission est d'avis que la République française a enfreint l'article 30 en faisant du critère de développement de l'emploi un critère d'attribution. De l'avis de la Commission, cet aspect ne devrait être pris en compte que comme critère d'exécution. La Commission se fonde à cet égard sur la jurisprudence de la Cour dans l'arrêt Beentjes (5).

37 La Commission attire l'attention sur le fait que, dans la présente affaire, le critère additionnel de développement de l'emploi a pour fondement une circulaire ministérielle du 29 décembre 1993. Selon cette circulaire, il est possible de prendre des mesures locales de lutte contre le chômage et pour l'insertion professionnelle dans le cadre des procédures de passation de marchés.

38 L'article 30 de la directive 93/37 ne prévoit cependant que deux critères possibles d'attribution, d'une part, le critère du prix le plus bas, d'autre part, le critère de l'offre économiquement la plus avantageuse. Par conséquent, selon la Commission, les autorités françaises ont enfreint l'article 30 en tenant expressément compte du critère de l'emploi lors de la décision d'attribution du marché.

39 Le gouvernement français est au contraire d'avis que l'arrêt Beentjes autorise précisément un critère supplémentaire d'attribution. Il cite à cet égard le texte des points 28 et 37, troisième tiret de l'arrêt Beentjes qui sont rédigés comme suit:

«En ce qui concerne l'exclusion d'un soumissionnaire du fait qu'il ne serait pas en mesure d'employer des chômeurs de longue durée, il convient de constater d'abord qu'une telle condition n'a trait ni à la vérification de l'aptitude des entrepreneurs ..., ni aux critères d'attribution du marché dont il est question à l'article 29 de la directive.»

«La condition de l'emploi de chômeurs de longue durée est compatible avec la directive si elle n'a pas d'incidence discriminatoire directe ou indirecte à l'égard des soumissionnaires provenant d'autres États membres de la Communauté. Une telle condition particulière supplémentaire doit être obligatoirement mentionnée dans l'avis de marché.»

40 Le gouvernement français donne toutefois à penser qu'une interprétation de l'arrêt Beentjes en ce sens qu'il doit être expressément fait référence au critère relatif à l'emploi dans la publication de l'avis de marché, ne trouve pas de fondement dans les modèles d'avis de marchés figurant à l'annexe IV de la directive 93/37 (6). Aucune rubrique de ces modèles d'avis ne prévoit une telle hypothèse.

41 Le gouvernement français observe que du reste, même si le critère d'emploi devait être considéré comme un critère d'exécution, cela ne serait pas fondé sur la directive 93/37, mais sur le droit national. En effet, l'article 30 de la directive ne serait pas pertinent et la critique formulée par la Commission serait inexacte. Le gouvernement français attire enfin l'attention sur le fait qu'il a incité les pouvoirs adjudicateurs à procéder conformément à la circulaire du 29 décembre 1993. Cette
circulaire disait clairement que le critère additionnel en ce qui concerne l'emploi ne doit pas être traité de la même manière que les critères qui ont été expressément mentionnés à l'article 30 de la directive. Il s'agirait au contraire d'un critère additionnel subsidiaire.

42 Si la Cour devait cependant suivre la conception soutenue par la Commission, le gouvernement français considère, quant à lui, que sur ce point également, son comportement était conforme à la directive.

Analyse

43 La Cour a constaté dans l'arrêt Beentjes qu'un critère d'emploi (il s'agissait dans cette affaire de la condition d'emploi de chômeurs de longue durée) n'avait rien à voir avec les critères mentionnés à l'article 29 de la directive 71/305 pour l'attribution du marché (7).

44 Il y a lieu par conséquent de vérifier si les critères visant à la promotion de l'emploi sont exclus, non seulement en tant que critères d'attribution au sens de l'article 30, paragraphe 1, sous b) de la directive 93/37 mais également comme critères subsidiaires.

45 De l'avis du gouvernement français, on peut utiliser l'emploi comme critère subsidiaire pour départager des offres équivalentes. Cette démarche aurait cependant pour conséquence que dans ces cas le critère relatif à l'emploi serait en définitive le seul critère déterminant pour l'attribution du marché, ce qui est précisément exclu au regard de l'arrêt Beentjes. Le critère relatif à l'emploi ne sert pas directement à déterminer l'offre économiquement la plus avantageuse. Il aurait sinon une
importance encore plus grande que les critères mentionnés à l'article 30, paragraphe 1, sous b) de la directive puisque l'aspect concernant l'emploi pourrait dans ce cas être déterminant à lui seul.

46 Dans la mesure où les autorités françaises ont considéré le critère relatif à l'emploi comme critère supplémentaire d'attribution, elles ont enfreint l'article 30 de la directive. Il est par conséquent également dépourvu de pertinence de savoir si le critère relatif à l'emploi est réglementé en droit national par la circulaire ministérielle du 29 décembre 1993 dans la mesure où c'est l'article 30 de la directive qui prévaut.

47 Il ne faut pas méconnaître le fait que l'aspect relatif à l'emploi se présente actuellement différemment de ce qui était le cas lors de l'adoption de la directive dont on considère aujourd'hui qu'elle prend beaucoup plus en considération des aspects économiques que des aspects sociaux. C'est cependant au législateur qu'il incomberait de modifier cette situation.

48 Il n'y aurait pas infraction à la directive si l'impératif de promotion de l'emploi était formulé comme condition - comme tel est le cas dans l'arrêt Beentjes - et qu'il revête par conséquent à cet égard le caractère d'un critère d'exécution comme l'avait exposé la Commission.

49 Il y a toutefois infraction à l'encontre de l'article 30 de la directive dans la mesure où les autorités françaises ont considéré le critère de l'emploi comme un critère distinct d'attribution.

C - Sur l'infraction à l'article 22 de la directive 93/37 résultant de la limitation du nombre des soumissionnaires autorisés (en ce qui concerne le libellé de cet article, voir point 7)

50 Si un pouvoir adjudicateur passe un marché par une procédure restreinte, il peut, conformément à l'article 22, paragraphe 2 de la directive prévoir la fourchette à l'intérieur de laquelle se situera le nombre des entreprises qu'il envisage d'inviter. Le chiffre le moins élevé de la fourchette ne doit pas être inférieur à cinq comme l'article 22, paragraphe 2, quatrième phrase l'impose expressément.

51 Les pouvoirs adjudicateurs français ont prévu dans l'avis de marché publié au JOCE du 18 février 1995 l'indication suivante au point 13: «Nombre limite de candidats pouvant être admis à présenter une offre: 5».

L'argumentation des parties

52 La Commission relève que l'indication figurant dans l'avis précité laisse penser que le nombre de soumissionnaires peut également être inférieur à cinq. Or, cela constitue une violation de l'article 22, paragraphe 2, quatrième phrase, de la directive.

53 Le gouvernement français ne partage pas ce point de vue. Il fait valoir que le fait de limiter le nombre de soumissionnaires à cinq suffit pour remplir les conditions énoncées à l'article 22, paragraphe 2, quatrième phrase, de la directive. Il n'existe dans l'article 22 aucun élément indiquant que le nombre de soumissionnaires ne peut être limité à cinq. Ce chiffre suffit, de l'avis du gouvernement français, à assurer une concurrence réelle. La Commission n'a pas apporté la preuve du contraire.

Analyse

54 L'indication choisie par les pouvoirs adjudicateurs français est problématique à deux égards. D'une part, l'article 22, paragraphe 2 parle d'une «fourchette». Mais la rédaction de l'avis litigieux ne fait apparaître aucune fourchette. Il pourrait tout au plus y avoir une fourchette, si le nombre cinq impliquait une fourchette de un à cinq, ce qui serait en tout état de cause incompatible avec l'article 22, paragraphe 2.

55 Si l'on considère que l'indication du chiffre cinq en ce qui concerne le nombre de soumissionnaires à admettre, constitue une obligation absolue en ce sens qu'au moins cinq soumissionnaires doivent être incités à déposer une offre, cette indication pourrait être compatible avec les exigences de la directive. Toutefois, le gouvernement français a interprété l'indication litigieuse, en ce sens que le nombre «maximal» de candidats pouvant être admis à présenter une offre est de cinq. Il considère
que ce nombre suffit pour assurer une concurrence réelle. Cette interprétation n'est cependant pas compatible avec les exigences de la directive, qui prescrit expressément un nombre minimal de cinq. C'est par conséquent la formulation objective de cette indication lue en relation avec l'interprétation qui en est faite dans les avis d'adjudication qui la rend incompatible avec l'article 22, paragraphe 2 de la directive.

D - Sur l'infraction à l'article 29, paragraphe 2 de la directive 71/305 ou à l'article 30, paragraphe 2 de la directive 93/37 résultant de la méthode dite d'attribution par référence à une loi d'un État membre (en ce qui concerne le libellé de cet article, voir point 9)

Les arguments des parties

56 Dans sa requête, la Commission fait en outre valoir une infraction à l'article 29, paragraphe 2 de la directive 71/305 ainsi qu'à l'article 30, paragraphe 2 de la directive 93/37. Il y a infraction, au motif que, lorsqu'ils ont indiqué les critères d'attribution du marché en cause, les pouvoirs adjudicateurs ont utilisé dans la plupart des avis de marché la méthode dite d'«attribution par référence au code des marchés publics» .

57 La Commission invoque la jurisprudence de la Cour au soutien de son argumentation. La Cour a jugé au point 35 de l'arrêt Beentjes que, selon l'article 29, paragraphes 1 et 2, de la directive, les pouvoirs adjudicateurs sont tenus de mentionner ces critères, soit dans l'avis de marché, soit dans le cahier des charges. La Cour estime qu'un renvoi général à une disposition de la législation nationale ne saurait satisfaire à cette exigence de publicité.

58 Le gouvernement français fait par contre valoir d'emblée que ce grief de la Commission est apparu tardivement et qu'il est par conséquent irrecevable. La Commission a soulevé ce grief pour la première fois dans l'avis motivé. Selon la jurisprudence de la Cour (8), l'élargissement, au stade de l'avis motivé, du champ des griefs énoncés dans la lettre de mise en demeure constitue une irrégularité non susceptible d'être couverte.

59 Toutefois, si la Cour devait considérer ce grief comme recevable, le gouvernement français souligne que l'article 30, paragraphe 2, de la directive 93/37 n'exige pas que les critères d'attribution soient énumérés dans l'avis de marché, mais offre la possibilité au pouvoir adjudicateur de les faire figurer, soit dans l'avis de marché, soit dans le cahier des charges. Le gouvernement français estime que c'est à tort que ce grief a été soulevé puisque les critères en cause figurent dans le cahier
des charges et que les dispositions nationales applicables conformément au code des marchés publics sont d'un contenu largement équivalent à la directive 93/37.

60 En ce qui concerne la recevabilité du grief susmentionné, la Commission précise qu'elle avait suffisamment attiré l'attention des autorités françaises sur cette question dans sa lettre de mise en demeure du 8 mai 1996. La Commission avait rappelé dans cette lettre que, en vertu du dixième considérant de la directive 93/37/CEE, les informations contenues dans les avis de marché établis par les pouvoirs adjudicateurs doivent permettre aux entrepreneurs d'apprécier si les marchés proposés les
intéressent; qu'il convient à cet effet de leur donner une connaissance suffisante des prestations à fournir et des conditions dont elles sont assorties. En outre, la Commission indique qu'elle avait, dès le stade de la lettre de mise en demeure, également rappelé la jurisprudence de la Cour et notamment, l'arrêt Beentjes.

61 La Commission maintient que cette démarche était par conséquent conforme à la jurisprudence de la Cour, telle qu'elle résulte de l'arrêt du 28 mars 1985 dans l'affaire 274/83 (9). Elle indique par ailleurs que les autorités françaises ne lui ont à aucun moment accordé d'accès au cahier des charges sur lequel elles fondent leur argumentation.

Analyse

62 Il y a lieu d'analyser d'abord si c'est à juste titre que la Commission a fait valoir le grief précité dans le cadre de la présente procédure en manquement. La Cour a certes jugé dans son arrêt du 11 juillet 1984 dans l'affaire 51/83 que l'élargissement, au stade de l'avis motivé, du champs des griefs énoncés dans la lettre de mise en demeure constituait une irrégularité qui ne saurait être couverte (10). Il y aurait lieu, dès lors, de rejeter le recours comme irrecevable dans la mesure où il va
au delà des griefs énoncés dans la lettre de mise en demeure. La Cour a ultérieurement précisé dans son arrêt dans l'affaire 274/83 sa jurisprudence en ce sens qu'il est licite pour la Commission de détailler, dans l'avis motivé, les griefs qu'elle a déjà fait valoir de façon plus globale dans la lettre de mise en demeure (11).

63 Dans la présente affaire, la Commission a d'abord critiqué dans la lettre de mise en demeure les avis de marché en cause de manière globale. Elle a fait valoir des griefs concrets. Elle a également pris position, ce faisant, sur les critères d'attribution. Elle a attiré l'attention sur le fait que les avis devaient permettre aux entreprises de vérifier si les informations qu'ils comportent doivent permettre aux entrepreneurs d'apprécier si les marchés proposés les intéressent. Cela suppose qu'ils
soient suffisamment informés. En outre, la Commission a rappelé la jurisprudence de la Cour, notamment l'arrêt Beentjes, dans lequel la Cour s'est expressément prononcée sur les critères d'attribution des marchés. La critique des critères d'attribution effectuée par la suite par la Commission dans son avis motivé est une précision licite des griefs soulevés dans la lettre de mise en demeure. Puisque la Commission n'a soulevé aucun grief fondamentalement nouveau, le grief relatif à la méthode
d'attribution par référence à une loi d'un État membre ne constitue pas un élargissement illicite des griefs. La Commission a au contraire délimité plus précisément son grief. Elle a ainsi donné aux autorités françaises la possibilité de couvrir cette irrégularité dans le cadre de la procédure d'attribution du marché. La Commission a ainsi tenu suffisamment compte de l'objectif et de la finalité de la phase précontentieuse du recours en manquement. La lettre de mise en demeure a caractérisé l'objet
du litige de telle manière que les autorités françaises auraient déjà été en mesure d'agir.

64 Il y a par conséquent lieu de considérer que le grief formulé par la Commission est recevable.

65 Le libellé de l'article 30, paragraphe 2 de la directive 93/37 indique déjà que «le pouvoir adjudicateur mentionne, dans le cahier des charges ou dans l'avis de marché, tous les critères d'attribution» (12). La Cour a en outre expressément constaté dans l'arrêt Beentjes à propos des critères d'attribution qu'un renvoi général à une disposition de la législation nationale ne saurait satisfaire à cette exigence de publicité (13). Il est par conséquent exclu que certains critères d'attribution
soient réglementés dans une loi nationale à laquelle il est fait référence dans l'avis de marché.

66 L'argument du gouvernement français selon lequel les règles nationales sont souvent d'un contenu équivalent à celui de la directive 93/37 est sans importance. Le renvoi général porte atteinte au principe de publicité et cette atteinte ne peut être couverte par le fait que la loi nationale présente un contenu équivalent à celui de la directive; en effet, en lisant l'avis de marché, le soumissionnaire potentiel ne peut pas discerner une éventuelle concordance entre la teneur des dispositions de la
loi nationale et de la directive.

67 Il y a lieu par conséquent de constater que le grief tiré du renvoi illicite à une disposition de la législation nationale pour fixer les critères d'attribution est recevable et fondé.

E - Sur de l'infraction à l'article 59 du traité CE résultant de l'utilisation de spécifications techniques discriminatoires dans le mode de désignation des lots et des preuves exigées en ce qui concerne la capacité technique des entreprises

Les arguments des parties

68 Dans le présent recours, la Commission fait grief au gouvernement français d'une infraction à la libre circulation des marchandises en application de l'article 59 CE. En ce qui concerne les conditions qui doivent être remplies par les soumissionnaires, les pouvoirs adjudicateurs utilisent pour la désignation des lots des spécifications techniques telles qu'elles sont utilisées par les organisations professionnelles françaises. Ainsi on trouve dans les avis des qualifications comme par exemple,
«Mandataire EFF6 CA 11...». La Commission est d'avis que les spécifications techniques retenues par les pouvoirs adjudicateurs pourraient avoir pour effet de favoriser les entreprises nationales. En effet, elles ont connaissance de ce système de certification de qualité et elles ont l'habitude de présenter des productions ou prestations conformes aux références demandées dans l'avis de marché. En revanche, ces exigences pourraient dissuader des entreprises établies dans d'autres États membres de
présenter des offres. Elles n'auraient pas la possibilité de décider a priori si leur qualification est conforme auxdites indications techniques dans la mesure où l'avis ne fournit aucune indication sur l'équivalence des qualifications. Le fait que ces qualifications techniques conformes aux spécifications nationales soient uniquement souhaitées par les autorités françaises ne sauraient en rien modifier cette appréciation.

69 Le gouvernement français considère par contre que les spécifications techniques des organismes professionnels retenues par les pouvoirs adjudicateurs ne sont que des indices et qu'elles n'ont donc pas d'effets discriminatoires. Il ne s'agit pas de préciser dans l'avis des éléments relatifs aux critères de sélection ou d'attribution du marché; en effet, de telles indications sont fournies par le cahier des charges. Ces avis doivent au contraire uniquement fournir des indications sur la nature des
lots.

70 Du reste, le gouvernement français indique que les nouveaux avis d'attribution de marchés publiés en 1996 et 1997 ne comportent plus aucune référence à des classifications établies par des organismes professionnels français.

71 S'agissant de ce dernier argument, la Commission souligne que rien n'indique que, à la date d'expiration du délai fixé dans l'avis motivé, le manquement reproché n'existait plus.

Analyse

72 Il y a lieu tout d'abord de vérifier la recevabilité de ce moyen. Dans la mesure où les autorités françaises n'ont plus fait usage des spécifications litigieuses après expiration du délai fixé dans l'avis motivé, que l'on peut par conséquent considérer qu'il a été mis fin à l'infraction, l'intérêt à faire constater cette infraction pourrait par conséquent avoir disparu.

73 Le gouvernement français fait toutefois encore valoir dans la présente procédure que les références critiquées ne sont pas de nature à avoir des effets discriminatoires.

74 Le besoin d'une clarification de ce point en droit continue par conséquent d'exister.

75 Le présent moyen pourrait cependant être irrecevable sous un autre aspect. La Commission se fonde à cet égard uniquement sur l'article 59 du traité CE, alors que l'article 26 de la directive 71/305 réglemente expressément la preuve des capacités techniques d'une entreprise. La question se pose par conséquent de savoir dans quelle mesure une réglementation de ce domaine par la directive peut être fondée sur les dispositions de droit primaire inscrites dans le traité.

76 L'article 26 de la directive 71/305 comporte une énumération des documents pouvant servir à justifier les capacités techniques. Il s'agit d'une série de documents qui sont censés fournir la preuve des capacités d'une entreprise. Le pouvoir adjudicateur est en droit de choisir lesquels de ces documents doivent lui être présentés. Selon les termes mêmes de la directive,

«Les pouvoirs adjudicateurs précisent, dans l'avis ou dans l'invitation, celles de ces références qu'ils entendent obtenir».

La détermination de certaines spécifications techniques est réglementée en toute hypothèse de manière indirecte par l'article 26 de la directive 71/305 qui doit en outre, comme toute disposition d'une directive, être interprétée au regard du traité. S'agissant de spécifications techniques ayant des effets discriminatoires, il y a par conséquent tout à fait la place pour l'utilisation de l'article 59 du traité CE.

77 Sur le plan du contenu il y a lieu de partir de l'idée que les spécifications techniques retenues sont tellement spécifiques et abstraites qu'en principe seuls des candidats français peuvent immédiatement déceler leur importance. Par conséquent, il est plus facile pour les entreprises françaises de proposer des productions ou des prestations conformes aux références codifiées figurant dans l'avis de marché. Il est par contre beaucoup plus difficile pour les soumissionnaires des autres États
membres de déposer des offres dans le bref délai imparti puisqu'ils doivent d'abord s'informer auprès des pouvoirs adjudicateurs sur les spécifications et les qualifications. Cela signifie, dans certains cas, une charge financière et de travail nettement plus importante que celle qui pèse sur les concurrents français. Les autorités françaises ont négligé de présenter les spécifications essentielles dans un texte clair et compréhensible de manière générale ou en attirant l'attention sur les règles
communautaires applicables. La désignation litigieuse des lots constitue par conséquent une discrimination déguisée.

78 L'argument du gouvernement français, à savoir que les spécifications techniques retenues ne constitueraient que des indices, alors que, en pratique, seuls des soumissionnaires français peuvent comprendre les spécifications, sans aide d'aucune sorte, est dépourvue de pertinence. Pour les soumissionnaires des autres États membres, il ne s'agit en effet pas d'indices mais de conditions de qualification qui ont pour effet de les dissuader. L'objectif du pouvoir adjudicateur de donner uniquement des
indices peut également être réalisé de manière non discriminatoire.

79 Il y a lieu de constater que le moyen de la Commission tiré de l'infraction à l'article 59 du traité commise par les autorités françaises est justifié dans son contenu

F - Sur l'infraction à l'article 59 du traité tirée de la condition d'inscription à l'ordre des architectes français dans le cadre des «conditions minimales de participation»

80 La Commission fait valoir que le département du Nord a également manqué aux obligations qu'il tire de l'article 59 du traité CE en imposant dans un certain nombre des avis de marchés des restrictions à la libre circulation des prestations de service des architectes de la Communauté, notamment en exigeant la preuve de l'inscription à l'ordre français des architectes.

81 Le gouvernement français ne contredit pas l'argument de la Commission. Il attire simplement son attention sur l'inexpérience des pouvoirs adjudicateurs dans le maniement des règles communautaires de passation des marchés publics.

82 Ce grief n'a pas besoin d'être examiné en ce qui concerne son contenu, puisqu'il a été expressément admis par le gouvernement français. Les autorités françaises ont enfreint l'article 59 du traité CE, en limitant de manière illégale la possibilité pour les architectes des autres États membres de fournir des prestations de service. Cette infraction au droit communautaire ne peut être justifiée par l'inexpérience des pouvoirs adjudicateurs. Il y a lieu également en ce qui concerne ce grief de faire
droit au recours introduit par la Commission.

G - Autres griefs en ce qui concerne la non-communication à la Commission des procès-verbaux au sens de l'article 8, paragraphe 3 de la directive 93/37 ainsi que l'omission de post-information sur la passation de marché au sens de l'article 11, paragraphe 5 de la directive 93/37 (Sur le libellé des articles en question, voir point 3 et 4)

83 Les autres griefs de la Commission en ce qui concerne l'omission de la post-information, une fois que les marchés ont été adjugés ne sont dans leur principe pas contestés par le gouvernement français et en toute hypothèse expliqués par l'inexpérience des pouvoirs adjudicateurs. Dans la mesure où ces griefs sont expressément admis, le manquement peut être constaté sans qu'il soit procédé à un examen plus approfondi du contenu du grief.

V - Dépens

84 Conformément à l'article 69, paragraphe 2 du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens. Puisque la défenderesse a succombé dans ses moyens, elle doit être condamnée aux dépens.

VI - Conclusion

85 Eu égard aux considérations qui précèdent, nous proposons

à la Cour de statuer comme suit:

1. A l'occasion des différentes procédures d'adjudication de marchés publics de travaux concernant la construction et la maintenance de bâtiments scolaires menées par la Région Nord-Pas de Calais et le département du Nord relevées sur une période de trois ans, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 59 du traité CE (devenu après modification l'article 49 CE), ainsi que de la directive 71/305, telle que modifiée par la directive 89/440, notamment, ses
articles 12, 26 et 29, et de la directive 93/37, et notamment, ses articles 8, 11, 22 et 30.

2. condamner la République française aux dépens.

(1) - JO L 185, p.5.

(2) - JO L 210, p. 1.

(3) - JO L 199 du 9 août 1993, p. 54.

(4) - Le seuil mentionné à l'article 6, paragraphe 1 est de 5 millions d'ECU.

(5) - Arrêt du 20 septembre 1988, Beentjes, (31/87, Rec. p. 4635)

(6) - A l'annexe IV sont énumérées, selon le type d'appel d'offres, entre 7 et 18 rubriques qui doivent être indiquées dans l'avis.

(7) - Voir point 28 de l'arrêt Beentjes (cité à la note 5)

(8) - Arrêt du 11 juillet 1984, Commission/Italie, (51/83, Rec. p. 2793)

(9) - Voir affaire 274/83 (Commission/Italie, Rec. 1985, p. 1077).

(10) - Voir affaire 51/83 (citée à la note 8, points 6 et 7).

(11) - Voir l'arrêt dans l'affaire 274/83 (cité à la footnote 9, point 21).

(12) - C'est nous qui soulignons.

(13) - Voir arrêt Beentjes (cité à la footnote 5), point 35.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-225/98
Date de la décision : 14/03/2000
Type de recours : Recours en constatation de manquement - fondé, Recours en constatation de manquement - non fondé

Analyses

Manquement - Marchés publics de travaux - Directives 71/305/CEE, telle que modifiée par la directive 89/440/CEE, et 93/37/CEE - Construction et maintenance de bâtiments scolaires menées par la Région Nord-Pas-de-Calais et par le département du Nord.

Rapprochement des législations

Libre prestation des services

Droit d'établissement


Parties
Demandeurs : Commission des Communautés européennes
Défendeurs : République française.

Composition du Tribunal
Avocat général : Alber
Rapporteur ?: Skouris

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2000:121

Source

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