Avis juridique important
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61998C0034
Conclusions jointes de l'avocat général La Pergola présentées le 7 septembre 1999. - Commission des Communautés européennes contre République française. - Affaires C-34/98 et C-169/98. - Sécurité sociale - Financement - Législation applicable.
Recueil de jurisprudence 2000 page I-00995
Conclusions de l'avocat général
I - L'objet des présents recours
1 La Commission des Communautés européennes (ci-après la «Commission») a demandé à la Cour, par recours distincts introduits les 12 février 1998 (C-34/98) et 7 mai 1998 (C-169/98), de constater, sur le fondement de l'article 169 du traité CE (devenu article 226 CE), que la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 48 et 52 du traité CE (respectivement devenus, après modification, articles 39 CE et 43 CE) et en vertu de l'article 13 du règlement (CEE) n_
1408/71 (1),
1) en appliquant la contribution pour le remboursement de la dette sociale (ci-après la «CRDS») aux revenus d'activité et de remplacement des travailleurs qui résident en France mais travaillent dans un autre État membre et qui, en vertu du règlement, ne sont pas soumis à la législation française de sécurité sociale; et
2) en appliquant la contribution sociale généralisée (ci-après la «CSG») aux revenus d'activité et de remplacement des travailleurs qui résident en France mais qui, en vertu du règlement, ne sont pas soumis à la législation française de sécurité sociale.
Dans les deux procédures, la Commission a demandé que la République française soit condamnée aux dépens.
2 Ces contentieux touchent au problème de la fiscalisation progressive du financement des régimes de sécurité sociale. Le financement de la protection sociale atteint des montants non négligeables, puisqu'ils représentent environ 20 à 30 % du produit intérieur brut de la plupart des États membres, et provient en grande partie (mais dans des proportions très diverses, selon les États membres concernés) des cotisations obligatoires qui sont dues sur les revenus des activités professionnelles, d'une
part, et du produit des impôts, d'autre part (2). Selon les perspectives qui ont vu le jour à la suite d'un débat ouvert dans les années 70, le recours croissant au produit de l'impôt (fiscalité directe, générale ou à but spécifique, et indirecte) a plusieurs causes: la nécessité de faire face à l'accroissement des dépenses de la protection sociale (on pense ici au vieillissement progressif de la population, combiné à la réduction de la durée de la vie active, et à l'augmentation des prestations de
retraite) (3) ainsi que le besoin de rendre plus équitables les modalités de ce financement. Comme nous allons le voir, les deux réglementations qui forment l'objet des présents recours se veulent une réponse à cette problématique. Nous avons écrit en introduction que les deux affaires que nous examinons aujourd'hui «touchent» à la fiscalisation du financement des régimes de sécurité sociale. Une précision est nécessaire. Dans le cadre de ces contentieux, il est admis que les États membres sont
libres de pourvoir à ce financement par le biais de mesures de nature «fiscale» pesant sur l'ensemble des contribuables. L'objet des deux recours ne vise pas la liberté de «taxation» en général, mais ne la concerne que dans la mesure où les prélèvements pèsent sur les revenus d'une catégorie bien définie de contribuables: celle des travailleurs migrants résidant dans un État membre qui, par l'exercice d'une des libertés fondamentales de circulation garantie par le traité, se trouvent ou se sont
trouvés soumis à la législation (de sécurité sociale) d'un ou de plusieurs États membres.
II - Les dispositions applicables en droit communautaire
3 Les articles 48 et 52 du traité garantissent la liberté de circulation pour les travailleurs salariés et non salariés. Le Conseil a également pris pour base légale l'article 51 du traité CE (devenu, après modification, article 42 CE) (4) en adoptant le règlement qui a pour but de coordonner dans une large mesure les législations nationales de sécurité sociale et d'éliminer autant que possible les entraves constituées par ces législations à la libre circulation de tous les travailleurs, salariés ou
non salariés (5).
Selon l'article 1er («Définitions»), sous j), du règlement, «le terme `législation' désigne pour chaque État membre les lois, les règlements, les dispositions statutaires et toutes autres mesures d'application, existantes ou futures, qui concernent les branches et régimes de sécurité sociale visés à l'article 4 paragraphes 1 et 2 ...».
L'article 2, paragraphe 1, du règlement («Champ d'application personnel») prévoit que «le présent règlement s'applique aux travailleurs salariés ou non salariés qui sont ou ont été soumis à la législation de l'un ou de plusieurs États membres et qui sont des ressortissants de l'un des États membres ou bien des apatrides ou des réfugiés résidant sur le territoire d'un des États membres ainsi qu'aux membres de leur famille et à leurs survivants».
Quant à l'article 4, paragraphe 1, du règlement («Champ d'application matériel»), il dispose que «le présent règlement s'applique à toutes les législations relatives aux branches de sécurité sociale qui concernent:
a) les prestations de maladie et de maternité;
b) les prestations d'invalidité, y compris celles qui sont destinées à maintenir ou à améliorer la capacité de gain;
c) les prestations de vieillesse;
d) les prestations de survivants;
e) les prestations d'accident du travail et de maladie professionnelle;
f) les allocations de décès;
g) les prestations de chômage;
h) les prestations familiales».
L'article 4, paragraphe 2, du règlement précise que «le présent règlement s'applique aux régimes de sécurité sociale généraux et spéciaux, contributifs et non contributifs ...».
L'article 13, paragraphe 1, du règlement («Règles générales»), qui figure sous le titre II relatif à la «détermination de la législation applicable», prévoit que «les personnes auxquelles le présent règlement est applicable ne sont soumises qu'à la législation d'un seul État membre ...».
Sous réserve des articles 14 et 17 du règlement (régissant des cas particuliers), l'article 13, paragraphe 2, du règlement prévoit enfin que:
«a) la personne qui exerce une activité salariée sur le territoire d'un État membre est soumise à la législation de cet État, même si elle réside sur le territoire d'un autre État membre ou si l'entreprise ou l'employeur qui l'occupe a son siège ou son domicile sur le territoire d'un autre État membre;
b) la personne qui exerce une activité non salariée sur le territoire d'un État membre est soumise à la législation de cet État membre même si elle réside sur le territoire d'un autre État membre».
III - La réglementation nationale en cause dans l'affaire C-34/98: la CRDS
4 La CRDS a été instaurée par l'article 14-I de l'ordonnance n_ 96-50, du 24 janvier 1996, relative au remboursement de la dette sociale (6) (ci-après l'«ordonnance 96-50»). Sont redevables de la CRDS toutes les personnes physiques ayant leur domicile fiscal en France aux fins de l'établissement de l'impôt sur le revenu (7). Elle est due (pour ce qui nous intéresse ici) sur certains revenus d'activité (tels les salaires) et sur quelques revenus de remplacement (comme les pensions de retraite et
indemnités de chômage) (8). En vertu de l'article 15-III, point 1 de l'ordonnance 96-50 sont également assujettis à la CRDS les revenus d'activité et de remplacement de source étrangère qui sont soumis en France à l'impôt sur le revenu, dans le respect bien entendu des conventions fiscales conclues en vue d'éviter les doubles impositions. Les formulaires préimprimés de déclaration de revenu des personnes physiques comportent une rubrique pour les revenus «étrangers» soumis à la CRDS (9). La CRDS sur
les revenus de source étrangère est liquidée, recouvrée et contrôlée par l'administration fiscale de la République française selon les mêmes procédures et avec les mêmes garanties, privilèges et sanctions que l'impôt sur le revenu (10). La CRDS, dont le taux est fixé à 0,5 % du revenu imposable (11), est prélevée sur les revenus (internes ou non) perçus entre le 1er février 1996 et le 31 janvier 2009 (12).
5 En vertu de l'article 6-I de l'ordonnance 96-50, le produit de la CRDS est affecté à la Caisse d'amortissement de la dette sociale (13) (ci-après la «Cades»), établissement public soumis à la tutelle du ministre de l'Économie et des Finances et du ministre de la Sécurité sociale (14). L'article 2 de l'ordonnance 96-50 donne principalement pour mission à la Cades d'apurer la dette sociale de 137 milliards de FF (15) accumulée par l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ci-après:
l'«ACOSS»), telle que constatée à la date du 31 décembre 1995, vis-à-vis de la Caisse des dépôts et consignations (ci-après la «CDC») (16). Cette dette a pour origine le financement par la CDC des pertes générées par la gestion du régime général de la sécurité sociale en 1994 et 1995, outre celles anticipées pour l'exercice 1996. Pour s'acquitter de cette mission, la Cades, qui s'est vu transférer la dette de l'ACOSS (voir article 4-I) à compter du 1er janvier 1996, doit effectuer une série de
versements destinés à apurer la dette sociale; en particulier, entre 1996 et 2008, elle doit verser chaque année au budget général de l'État la somme de 12,5 milliards de FF (17). En outre, elle a dû effectuer, pour la seule année 1996, un versement dans la limite de 3 milliards de FF (18) au profit de la Caisse nationale d'assurance maladie et maternité des travailleurs non salariés des professions non agricoles (ci-après la «Canam»), au titre du remboursement (au moins partiel) de la dette
constatée au 31 décembre 1995 et pour le financement du déficit prévisionnel de l'exercice 1996 (voir article 4-II). Les fonds permettant à la Cades d'effectuer ces versements ne se limitent pas à la CRDS prélevée sur les revenus d'activité et de remplacement (c'est-à-dire l'impôt qui fait l'objet de la présente procédure), mais comprennent également, par exemple, le produit de la CRDS prélevée sur les revenus du patrimoine (article 15-I), le produit de la CRDS prélevée sur les ventes de certains
métaux précieux, pierres et objets d'art (article 17-I), les produits de l'émission d'obligations (article 5-I) ainsi que de la gestion et de la vente du patrimoine immobilier des organismes de sécurité sociale (article 9) (19).
IV - La réglementation nationale en cause dans l'affaire C-169/98: la CSG
6 La CSG a été créée par l'article 127 de la loi de finances pour 1991 n_ 90-1168, du 29 décembre 1990 (20). Sont redevables de la CSG, comme de la CRDS, toutes les personnes physiques considérées comme ayant leur domicile fiscal en France aux fins de l'établissement de l'impôt sur le revenu (21). Applicable depuis le 1er février 1991 (voir article 127 de la loi 90-1168), la CSG est due (pour ce qui nous intéresse ici) sur tous les revenus d'activité et de remplacement (y compris ceux de source
étrangère ou perçus à l'étranger) qui sont visés aux articles L 136-2 et suivants du code de la sécurité sociale (ex-articles 128 et suivants de la loi 90-1168): cela signifie qu'à l'heure actuelle, depuis l'élargissement de l'assiette décidé, dans un second temps, avec la loi 96-1160 (voir la note 8), la CSG a pratiquement la même assiette que la CRDS. Naturellement, les revenus soumis à la CSG sont ceux qui sont imposables en France, dans le respect, en cas de revenus perçus à l'étranger, des
dispositions des conventions fiscales internationales applicables conclues en vue d'éviter les doubles impositions.
7 Toutefois, à la différence de la CRDS, la CSG prélevée sur les revenus d'activité et de remplacement est directement perçue par les institutions chargées du recouvrement des cotisations obligatoires au régime général de la sécurité sociale, par application des procédures, garanties et sanctions afférentes au recouvrement des cotisations au régime général sur les mêmes catégories de revenus (22). Selon la requête introductive de la Commission, afin que les dispositions relatives à la CSG puissent
être appliquées aux travailleurs non affiliés au régime de sécurité sociale français, en raison de leur activité professionnelle exercée dans un autre État membre, ces derniers se sont vu inviter à déposer une déclaration auprès des Unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (ci-après l'«URSSAF») (23). Toutefois, à la suite de difficultés rencontrées dans le recouvrement de ce prélèvement, et dans le but d'améliorer ses modalités de perception, la
République française a unilatéralement décidé, le 28 novembre 1994, de suspendre le prélèvement de la CSG dans le chef de ceux qui perçoivent des revenus d'activité ou de remplacement de source étrangère (24).
8 Le taux ordinaire de la CSG, initialement fixé à 1,1 % du revenu imposable, a été successivement porté à 2,4 % en 1993, 3,4 % en 1996 et 7,5 % (6,2 % pour les revenus de remplacement) en 1997 (25). À l'origine, le produit de la CSG était intégralement reversé à la Caisse nationale des allocations familiales (ci-après la «CNAF») (26). Actuellement, par application des dispositions de l'article L 136-8, IV, du code de la sécurité sociale, le produit de la CSG prélevée sur les revenus (d'activité et
de remplacement) est versé respectivement à la CNAF pour la part correspondant au taux de 1,1 %, au Fonds de solidarité vieillesse (27) (ci-après le «FSV») pour la part correspondant au taux de 1,3 %, et aux régimes obligatoires d'assurance maladie pour la part correspondant à 5,1 % (CSG sur les revenus d'activité) ou à 3,8 % (CSG sur les revenus de remplacement). La loi de finances pour 1997 a rendu partiellement déductible du revenu imposable la CSG perçue sur les revenus d'activité et de
remplacement (28).
9 En se substituant progressivement aux cotisations de sécurité sociale à caractère dégressif, la CSG entend établir une forme de progressivité «contributive» qui soit fonction du revenu imposable (ou plutôt de la capacité contributive de chacun). L'optique de la loi qui a créé cet impôt est de renforcer l'équité, la solidarité et la justice sociale. À l'universalité des droits à la couverture des risques assurés vient ainsi correspondre l'universalité des obligations de financement: «[avec la CSG],
l'État a cherché à accentuer les tendances redistributives du système» (29). Reposant sur le principe selon lequel à revenu égal doit correspondre une contribution égale, la CSG constitue par conséquent un outil permettant d'adapter les modalités de financement de la sécurité sociale, répondant à une nouvelle conception de la solidarité, à présent qualifiée «d'universelle», qui se trouve à la base du système de sécurité sociale français. La CSG se substitue ainsi en partie à des cotisations de
sécurité sociale qui, jusqu'à sa création, pesaient de façon excessive sur les revenus modestes, tout en ayant pour effet d'augmenter les ressources destinées aux dépenses de la sécurité sociale (30). La progressivité qui caractérise la CSG doit en outre permettre d'abaisser le taux des cotisations de sécurité sociale (31). Comme l'a observé le gouvernement français, la CSG représente la première étape d'une fiscalisation partielle du financement de la sécurité sociale, constituant ainsi une phase
de transition par rapport à un régime traditionnel qui se caractérise par l'importance limitée de l'intervention de l'État, en raison du choix du législateur de s'abstenir de toute initiative, même en présence d'un déficit du régime général (32).
10 Rappelons maintenant brièvement les caractéristiques essentielles de la CRDS et de la CSG. En droit français, il s'agit d'impôts dans un cas comme dans l'autre. Ils sont «directs», tout comme l'impôt sur le revenu des personnes physiques, et «à but spécifique» puisque leur produit se voit affecter une destination spéciale. Les deux contributions doivent, même si c'est de façon différente, «alimenter» le régime de sécurité sociale français: d'une façon générale pour la CRDS puisqu'elle est
destinée à apurer le passif accumulé par ce régime dans son ensemble (33), et de façon plus spécifique pour la CSG qui intéresse les branches des prestations familiales (dont est chargée la CNAF), des prestations de vieillesse (dont est responsable le FSV), et des prestations de maladie. La CRDS et la CSG pèsent (de façon pratiquement concordante) sur l'ensemble (pour ce qui nous intéresse ici) des revenus d'activité et de remplacement ayant leur source (ou étant perçus) dans un autre État membre
(et soumis à l'impôt en France, en application du droit interne ou des dispositions des conventions fiscales conclues en vue d'éviter les doubles impositions) de tous ceux qui sont considérés comme ayant leur domicile en France aux fins de l'établissement de l'impôt sur le revenu. Enfin, si le recouvrement de la CRDS due sur les revenus de source étrangère incombe à l'administration fiscale, avec les mêmes modalités et sanctions que pour l'impôt sur le revenu, la CSG, quant à elle, est directement
recouvrée par les organismes de sécurité sociale, selon les procédures et avec les sanctions prévues pour la perception des cotisations obligatoires. Toutefois, cet aspect spécifique de la CSG n'a pas empêché le Conseil constitutionnel de la considérer, à plusieurs reprises, comme un véritable impôt. En raison des similitudes évidentes entre les deux affaires, nous avons estimé opportun de les examiner ensemble, en présentant une seule série de conclusions pour les deux recours.
V - Synthèse des arguments des parties
11 Pour les raisons déjà exposées, les deux recours introduits par la Commission sur le fondement de l'article 169 du traité CE (devenu article 226 CE), tout comme les arguments avancés, pour sa défense, par la République française ont inévitablement de nombreux aspects communs, que nous allons voir ci-après.
12 Le désaccord entre les parties trouve principalement sa source dans l'absence, dans le règlement, d'une définition des termes «cotisation de sécurité sociale». La Commission estime que la CRDS et la CSG sont moins des impôts (au sens de la qualification qu'en donne le droit interne, défendue par le gouvernement français dans les deux procédures) que des cotisations ordinaires de sécurité sociale, et affirme que, en tant que telles, elles relèvent du champ d'application du règlement. Elle fonde sa
position sur des caractéristiques objectives telles que l'objet et l'affectation des prélèvements pécuniaires en question (34). S'agissant de leur objet, la Commission rappelle que leur assiette est constituée des mêmes revenus (d'activité ou de remplacement), fruits de la mobilité des travailleurs à l'intérieur de la Communauté, que ceux sur lesquels sont déjà prélevées les cotisations sociales obligatoires acquittées dans un autre État membre en vertu de l'article 13 du règlement. Quant à leur
affectation, en dépit des distinctions qu'il convient d'établir, les deux «contributions» sont l'une et l'autre spécialement destinées à alimenter le régime de la sécurité sociale. La Commission soutient que la CRDS intéresse ce régime dans son ensemble et, par conséquent, profite incontestablement aux branches énumérées à l'article 4, paragraphe 1, du règlement (35). Il est certes vrai, ajoute-t-elle, que la CSG n'intéresse que certaines branches de la sécurité sociale française, mais ces dernières
coïncident avec un certain nombre de branches visées au même article 4, paragraphe 1, du règlement: les prestations de maladie [sous a)], les prestations de vieillesse [sous c)], et les allocations familiales [sous h)]. Elle indique en outre que la CSG est non seulement partiellement déductible du revenu imposable brut aux fins de la liquidation de l'impôt sur le revenu, mais également directement collectée par les mêmes institutions de sécurité sociale et selon les mêmes modalités que les
cotisations obligatoires.
13 La Commission estime également que ces contributions, prélevées sur les revenus d'activité ou de remplacement de source étrangère (ou perçus à l'étranger) dans le chef de tous ceux qui sont considérés comme ayant leur domicile fiscal en France aux fins de l'établissement de l'impôt sur le revenu, grèvent en définitive les revenus des travailleurs qui relèvent du champ d'application personnel du règlement, et, par conséquent, de tous ceux qui «ont été soumis à la législation d'un ou plusieurs
États membres et sont ressortissants d'un des États membres» (article 2, paragraphe 1, du règlement). Il s'agit essentiellement des travailleurs qui, tout en ayant leur résidence en France, perçoivent des revenus propres (d'activité ou de remplacement) d'un autre État membre, dans lequel ils exercent (ou ont exercé) des activités professionnelles, parce qu'ils ont fait usage de la liberté de circulation qui leur est garantie par le traité. La Commission observe ensuite que l'ensemble des
travailleurs qui relèvent du règlement et sont concernés par les deux recours qu'elle a introduits ne se limite assurément pas aux travailleurs frontaliers tels que définis à l'article 1er, sous b), du règlement (36) ni, comme le voudrait le gouvernement français (voir ci-après), aux catégories de travailleurs «frontaliers» prévues dans les conventions que la République française a conclues avec les États membres limitrophes en vue d'éviter les doubles impositions (37).
14 En vertu de l'article 13, précité, du règlement - règle de conflit servant, comme le souligne la Commission, à déterminer la législation applicable -, les travailleurs qui relèvent du champ d'application du règlement ne sont soumis qu'à la loi de l'État membre dans lequel ils exercent leur activité (ou, s'il s'agit d'un travailleur salarié, de l'État membre dans lequel l'entreprise ou l'employeur dont il relève a son siège ou domicile). Cette disposition implique par conséquent que les
travailleurs qui sont fiscalement domiciliés en France tout en exerçant (ou ayant exercé) leur activité (ou tout en étant ou ayant été employés par des entreprises ayant leur siège ou domiciliées) dans un autre État membre de la Communauté ne peuvent se voir prélever des cotisations obligatoires sur les revenus en question que dans ce dernier État. Or la Commission estime que la perception de la CRDS et de la CSG, en plus des cotisations déjà prélevées dans un autre État membre sur la même assiette
(38), porte atteinte à la coordination résultant de l'article 13 du règlement, puisqu'elle revient à effectuer un double prélèvement «contributif», et contraire, en tant que tel, au principe rappelé plus haut de l'unicité de la législation applicable. En assujettissant à ce prélèvement «contributif» les revenus «étrangers» des travailleurs «migrants», la République française aurait exercé un pouvoir qui ne lui appartenait pas (voir article 13, paragraphe 2, du règlement). Enfin, le fait que les
mêmes dispositions s'appliquent indistinctement à des personnes - les résidents français sédentaires et les résidents français qui exercent ou ont exercé une activité professionnelle dans un autre État membre - se trouvant dans des situations objectivement différentes au regard de la législation de sécurité sociale applicable (celle qui inclut les dispositions relatives aux prélèvements contributifs) serait constitutif, selon la Commission, d'une discrimination contraire aux articles 48 et 52 du
traité.
15 Pour sa part, le gouvernement français expose que le règlement, fondé sur l'article 51 du traité, se contente de prévoir une coordination des législations nationales de sécurité sociale sans ôter aux États membres leur liberté d'organisation en la matière, liberté dont ils font usage en l'absence de mesures communautaires d'harmonisation (ce qui s'applique d'ailleurs, ajoute le gouvernement français, dans le domaine de la fiscalité). Dans sa configuration actuelle, la coordination laisserait en
effet subsister d'importantes différences entre les diverses législations nationales. À ce propos, la République française observe que le règlement fournit des définitions du champ d'application matériel et personnel de la coordination des divers régimes nationaux de sécurité sociale, mais ne comporte aucune définition de la notion de «cotisation de sécurité sociale». Dès lors que «l'article 51 laisse subsister des différences de procédure et de fond entre les régimes de sécurité sociale des États
membres» (39), l'omission ainsi relevée est significative, pour le gouvernement français, dans la mesure où elle révèle la volonté du Conseil, en adoptant le règlement, de ne pas intervenir dans le choix des modalités de financement de ces régimes, ce qui l'aurait, dans le cas contraire, conduit à soumettre au règlement toute une série de dispositions à caractère fiscal. Il faudrait donc nécessairement en conclure que les dispositions litigieuses, à caractère purement fiscal, même si elles servent à
financer au sens large un régime de sécurité sociale, restent en dehors du champ d'application du règlement et continuent de relever des compétences propres des États membres. Le gouvernement français défend ainsi la nature proprement fiscale de la CRDS et de la CSG et, par conséquent, leur caractère étranger aux branches de la sécurité sociale énumérées à l'article 4 du règlement, rappelant que leur fait générateur est uniquement constitué par le domicile fiscal, indépendamment du statut de
«travailleurs» des contribuables et indépendamment de leur adhésion (ou affiliation) au régime de sécurité sociale français (40). Dans le cas de la CRDS, en particulier, non seulement son paiement s'effectue selon les modalités prévues pour l'impôt ordinaire sur le revenu, mais, en outre, il n'ouvrirait droit à aucune contrepartie (ce qui caractérise d'ordinaire les cotisations obligatoires) puisque son produit est exclusivement destiné à apurer le déficit social en général (et ne contribue donc pas
au financement concret d'une branche spécifique de la sécurité sociale en vue du versement de prestations de sécurité sociale) et il est, en dernière analyse, versé au budget de l'État, après avoir simplement «transité» par la Cades. D'ailleurs, la Cades, premier destinataire de la CRDS, n'est pas une institution de sécurité sociale mais un organisme à caractère financier, qui n'a certainement pas pour objet de verser des prestations de quelque nature que ce soit. De la même manière, à propos de la
CSG, le gouvernement français tire argument de l'absence de toute contrepartie directe en termes de prestations sociales (situation comparable à celle qui résulte du paiement de l'impôt sur le revenu).
16 La République française soutient, en outre, que l'incidence des impôts en question sur la circulation des personnes est minime en raison de la relative faiblesse du taux, surtout pour la CRDS. Enfin, à propos également du champ d'application personnel des prélèvements litigieux, le gouvernement français exclut que la CRDS et la CSG puissent concerner tous les travailleurs migrants ayant maintenu leur résidence fiscale en France (comme le voudrait la Commission) puisque la plupart d'entre eux
échappent en tout état de cause à l'impôt français (dont la CRDS et la CSG) sur le revenu de source étrangère, par application de la règle générale, contenue dans les conventions fiscales conclues en vue d'éviter les doubles impositions, qui veut que l'État d'imposition soit l'État d'emploi. Cela a pour conséquence, si nous comprenons bien, que la solution quant à la loi fiscale applicable coïncide par un alignement avec le principe prévu, de manière générale, par l'article 13 du règlement. Ce n'est
qu'à titre exceptionnel, et au surplus à la demande spécifique des intéressés tenant au caractère favorable de la fiscalité française, que les conventions fiscales bilatérales auxquelles la République française est partie prévoient d'imposer en France les travailleurs «frontaliers» (voir la note 37) résidant en France mais exerçant leur activité professionnelle dans un autre État membre, pour les revenus de cette activité: ce sont là les seuls travailleurs «migrants» qui sont concernés par les
prélèvements litigieux. Par ailleurs, pour le gouvernement français, le fait que le régime fiscal prévu par les conventions conclues en vue d'éviter les doubles impositions s'applique naturellement à la CRDS et à la CSG vient confirmer la nature purement fiscale et non contributive de celles-ci. Enfin, la CRDS et la CSG ne seraient pas discriminatoires, même si elles touchent aussi bien les travailleurs «sédentaires» que les travailleurs «migrants», car elles sont prélevées sur la base d'un critère
objectif commun à tous les intéressés, leur résidence fiscale sur le territoire français (fait générateur de l'impôt), indépendamment de la nationalité du contribuable (41).
VI - Appréciation juridique
A - La suspension de la perception de la CSG par les autorités françaises est dépourvue d'incidence
17 Faisons tout d'abord une observation préliminaire sur un aspect qui, bien qu'évoqué par la Commission, ne figure pas dans les mémoires du gouvernement français, au sujet de la CSG. Nous sommes en présence d'un recours introduit sur le fondement de l'article 169 du traité et il est parfaitement dépourvu d'incidence que l'État membre intéressé ait unilatéralement décidé de suspendre le prélèvement de cet impôt à l'égard des travailleurs «frontaliers» (voir le point 7) au lendemain de la réception
de la lettre de mise en demeure de la Commission ouvrant la procédure précontentieuse du recours C-169/98. La suspension du prélèvement fiscal ne peut suffire à purger l'éventuel manquement commis par l'État membre intéressé si, dans son ordre juridique, il subsiste une réglementation contraire aux dispositions communautaires d'effet direct. Il y aurait maintien d'une situation de fait ambiguë plaçant les justiciables dans un état d'incertitude quant aux possibilités qui leur sont réservées de faire
appel au droit communautaire (42). Nous observerons d'ailleurs que le gouvernement français a motivé la suspension de la perception de la CSG par référence à son intention d'arrêter de nouvelles modalités de perception (ce qui laisse supposer que le prélèvement aura quand même lieu, tôt ou tard), et non pas au motif qu'il était convaincu du bien-fondé des observations de la Commission auxquelles, du reste, il s'oppose fermement dans les mémoires produits dans le cadre des présents recours.
D'ailleurs, dans sa duplique, la République française a encore confirmé que la prorogation de la suspension pour les cinq dernières années de la perception de la CSG est due en réalité à l'attente de l'arrêt de la Cour sur cette question. Cette suspension, décidée en 1994, n'est donc pas destinée à remédier aux objections de la Commission (et ne le peut pas).
B - La CRDS et la CSG sont-elles des impôts directs ou des cotisations de sécurité sociale? Absence de pertinence de la question
18 Passons à présent au fond. De l'étude des thèses des parties, il résulte que leur principal point de désaccord est la qualification de la CRDS et de la CSG permettant de les soumettre ou non au régime du règlement. Il nous semble, cependant, que le problème dont la Cour est ici saisie se pose dans des termes différents de ce qu'ont admis les parties - pour parvenir néanmoins à des solutions opposées.
19 Tout d'abord, la ligne de défense du gouvernement français ne nous paraît pas acceptable. Nous n'ignorons certes pas le principe selon lequel «le droit communautaire ne porte pas atteinte à la compétence des États membres pour aménager leurs systèmes de sécurité sociale» (43). Il faut néanmoins rappeler une jurisprudence constante de la Cour de justice selon laquelle, «s'il est vrai que la fiscalité directe relève de la compétence des États membres, ces derniers doivent toutefois exercer cette
compétence dans le respect du droit communautaire» (44). De plus, dans l'exercice de leur pouvoir d'aménagement de leurs régimes de sécurité sociale, les États membres restent tenus de respecter les dispositions du droit communautaire en vigueur (45) même si les règles dans le domaine de la sécurité sociale (tout comme celles de la fiscalité directe) ne sont pas harmonisées (46). En outre, toujours selon la Cour, même «le fait qu'une disposition figure dans une loi qui chappe au champ d'application
du règlement n'implique pas nécessairement que cette règle y échappe également» (47). Il ne nous paraît donc pas possible de confirmer l'assertion selon laquelle les impôts directs, en tant que tels, ne peuvent jamais porter atteinte à l'application de l'article 13 du règlement. Cet article énonce une règle fondamentale de la coordination communautaire des régimes de sécurité sociale, mise en oeuvre grâce au règlement qui vise à établir la libre circulation des travailleurs (voir article 51),
principe s'inscrivant parmi les fondements de la Communauté (48). Les États membres ne peuvent adopter des mesures d'ordre fiscal ou social qui vont à l'encontre, entravent ou dissuadent l'exercice de cette liberté fondamentale du travailleur (49). Contrairement au gouvernement français, nous exclurons par conséquent l'existence, dans le domaine de la sécurité sociale, d'une sorte d'«immunité fiscale» au profit des États membres.
20 D'autre part, l'argumentation de la Commission qui vise à démontrer que, dans certains cas, l'application de la CRDS et de la CSG par le législateur français est incompatible avec l'article 13 du règlement nous laisse également perplexe. La Commission aboutit à cette conclusion en attribuant aux prélèvements en cause la nature de cotisations et non un caractère fiscal. Cependant, en raisonnant ainsi, on introduit dans l'analyse de l'affaire une complication inutile. La notion de cotisation de
sécurité sociale n'est, effectivement, pas définie par le règlement. La nature de cotisation des charges prévues par la législation française au regard de critères d'appréciation tels que l'affectation des sommes versées s'inspire uniquement, à cet égard, d'une certaine jurisprudence de la Cour, relative aux prestations de sécurité sociale ou aux taxes sur le chiffre d'affaires. Cette jurisprudence repose cependant sur des définitions fournies par le législateur communautaire lui-même (50). Quoi
qu'il en soit, on ne peut considérer comme confirmée avec certitude par la jurisprudence de la Cour l'idée selon laquelle un prélèvement pécuniaire se présente comme une cotisation sociale ou de sécurité sociale en raison de l'objet auquel est destiné son produit. Dans l'affaire AGF Belgium (51), la Cour a en réalité déclaré que le seul fait que des impôts directs, tels que les suppléments de primes obligatoires pour les assurances automobiles, soient destinés à contribuer au financement
d'organismes poursuivant une finalité d'ordre social ne permet pas de les considérer comme des cotisations sociales (point 15). Non seulement la thèse qui est ici avancée par la Commission ne peut pas s'appuyer sur des définitions textuelles, alors que c'est sur de telles définitions que reposent les arrêts rendus par votre Cour et auxquels la Commission se réfère, mais nous sommes également en présence d'une question qui intéresse un domaine complexe de la législation où la coordination est certes
prévue mais certainement pas au point d'éliminer les différences profondes de fond et de procédure entre les solutions retenues au niveau national (52). Le principe de la sécurité juridique d'ailleurs invoqué à plusieurs reprises par le gouvernement français s'oppose à ce que l'interprète puisse forger des catégories à l'aide de critères qui seraient, en l'occurrence, celui de l'objet ou de l'affectation du prélèvement, pour qualifier le cas d'espèce et modeler en conséquence le champ d'application
du règlement en fonction du modèle catégoriel qu'il préfère. Ne perdons pas de vue, en outre, que les modalités de financement des régimes de sécurité sociale forment un ensemble de données fournies et variées: la tentative d'insérer des types isolés de prélèvements dans les catégories générales peut s'avérer ici infructueuse (53). Il suffit de rappeler certaines décisions de cette Cour à ce sujet. Dans l'affaire Klomp (54), la Cour a en effet jugé qu'«une cotisation affectée au financement d'un
système de sécurité sociale [peut être effectuée] dans des formes empruntées à la perception des redevances fiscales». Dans l'arrêt Rousseau Wilmot (55), la Cour a qualifié de «taxe à caractère non fiscal» une «contribution sociale de solidarité» créée à des fins purement de sécurité sociale et mise à la charge des sociétés commerciales à concurrence de 0,1 % du chiffre d'affaires. Plus récemment, dans l'arrêt AGF Belgium, la Cour a qualifié de «ressources fiscales» certains prélèvements que le juge
de renvoi était enclin à considérer comme «des cotisations sociales» (56). Les experts qui se sont penchés sur la question du financement des régimes de sécurité sociale ont, en outre, constaté que les États adoptent «des techniques à la frontière entre les cotisations et taxes ... au point de rendre complexe leur distinction» (57), précisant que l'«on trouve des exemples de ces tendances en Grande-Bretagne, en France et en Hollande» (58). Il faut ajouter que la Cour, parfaitement consciente du fait
que les prestations de nature sociale ne sont pas financées exclusivement au moyen des cotisations obligatoires (59), a jugé que le mode de financement des prestations de sécurité sociale n'a pas d'incidence sur leur qualification finale aux fins de l'application du règlement (60).
21 Quelle conclusion peut-on tirer des observations qui précèdent? Les États membres doivent en tout état de cause exercer leurs compétences en matière de fiscalité directe dans le respect du droit communautaire. Nous ne voyons donc pas la nécessité de démontrer, à titre préliminaire, pour une éventuelle constatation d'un manquement à l'article 13 du règlement, qu'un impôt direct constitue en réalité une cotisation proprement dite, alors que, en vertu d'une jurisprudence de la Cour de justice,
dénuée d'ambiguïté et rappelée au point 19 ci-dessus, l'examen de l'éventuelle existence d'une violation des dispositions précitées est indépendant de la nature - d'«impôt» ou de «cotisation» - du prélèvement en question. Cette jurisprudence impose dans tous les cas aux États membres de respecter le droit communautaire (y compris le règlement) qu'ils exercent leurs compétences dans le domaine de la fiscalité directe ou dans celui de la sécurité sociale.
C - Le champ d'application du règlement et, par conséquent, de l'article 13
22 Cela étant dit, il nous semble que la solution du problème qui oppose la Commission et la République française réside davantage dans une autre lecture du règlement pris dans son ensemble, et de l'article 13 en particulier, qui émerge des requêtes introductives dans les deux présentes affaires. La Commission, tout en insistant sur la nature de «cotisation» des prélèvements en question, ne manque pas, toutefois, de faire référence en même temps à la large notion de «législation» prévue par le
règlement, à la finalité première de l'article 13 du règlement et au fait que, compte tenu de sa base juridique (voir, en particulier, l'article 51 du traité), le règlement vise à faciliter la libre circulation des personnes. On aboutit évidemment à cette conclusion que tout ce qui est contraire à l'esprit (et naturellement à la lettre) de l'article 13 constitue, en dernière analyse, une violation des articles 48 et 52 du traité (61). Par le passé, la Cour a suivi un raisonnement interprétatif
comparable pour se prononcer sur des questions sur lesquelles le règlement était, comme ici, silencieux. Nous pensons notamment à l'arrêt Aldewereld qui concernait la situation - qui n'était prévue directement par aucune des dispositions du titre II du règlement, au nombre desquelles figure l'article 13 - du travailleur qui exerce son activité en dehors du territoire de la Communauté. La Cour avait, dans cette affaire, résolu la question de la législation applicable en se fondant sur la «finalité
poursuivie» par les dispositions en question (62). Cela étant dit, nous estimons devoir vérifier si - indépendamment de leur qualification - les deux prélèvements en cause peuvent d'une manière ou d'une autre entrer dans le champ d'application du règlement et, par conséquent, de l'article 13. Nous rappelons que le règlement (et, par conséquent, l'article 13) ne fournit aucune définition utile pour résoudre directement les questions qui opposent la Commission et la République française, mais que cela
n'exclut pas que la Cour puisse rechercher si l'État membre défendeur a commis un manquement. «Le recours en manquement a [en effet] un caractère objectif et, dans le cadre d'un tel recours, il appartient à la Cour de constater si le manquement reproché existe ou non» (63), en se fondant naturellement sur les éléments concrets fournis par la partie requérante.
23 Parmi les dispositions communautaires invoquées par la Commission figure l'article 1er, sous j), du règlement. Celui-ci comporte une définition générale du terme «législation» qui constitue le point central de l'article 13 (voir ci-dessus, le point 3). Il s'agit de toute mesure qui «concerne» les branches et les régimes de sécurité sociale auxquels s'applique le règlement. En outre, selon la Cour, «cette définition [de la législation] se caractérise par son contenu large ... et doit être comprise
comme visant l'ensemble des mesures nationales applicables en la matière» (64). Il faut y ajouter que, toujours selon la jurisprudence constante de la Cour, non seulement les dispositions du titre II du règlement (dont fait partie l'article 13) ont «pour but d'éviter l'application simultanée de plusieurs législations nationales et les complications qui peuvent en résulter» (65), mais elles «constituent un système de règles de conflit dont le caractère complet a comme effet de soustraire au
législateur de chaque État membre le pouvoir de détermination de l'étendue et des conditions d'application de sa législation nationale, quant aux personnes qui y sont soumises et au territoire à l'intérieur duquel elle produit son effet» (66).
24 Il faut par conséquent tenir compte de l'obligation pour les États membres de respecter - dans l'exercice de leurs pouvoirs d'aménagement de leurs régimes de sécurité sociale - les dispositions du droit communautaire en vigueur (voir la note 45); du caractère très large de la notion de «législation» définie à l'article 1er, sous j), du règlement; de la finalité de l'article 13 qui est d'éviter que le travailleur migrant ne souffre, en étant soumis à plus d'une réglementation, de quelque
complication que ce soit (qui ferait obstacle à la liberté garantie par le traité) (67); ainsi que de «l'effet» précité que les règles de conflit ont sur les compétences des États membres en matière de sécurité sociale. S'il en est ainsi, nous sommes enclin à considérer que doit relever du champ d'application du règlement (et, par conséquent, de l'article 13) une mesure qui, en dépit de sa qualification de mesure «fiscale» en droit interne, présente par nature des aspects liés au régime de la
sécurité sociale, ou le «concerne» au sens de l'article 13. Il faut y ajouter que, contrairement aux autres cas envisagés (68), d'une part, les mesures de financement ne sont pas exclues par l'article 1er, sous j), du règlement de la notion de «législation»; et, d'autre part, elles ne font pas l'objet d'autres dispositions spécifiques du règlement (69). En d'autres termes, il ne nous semble pas permis de séparer les mesures de financement «par l'impôt» de l'ensemble des mesures qui,
incontestablement comprises dans le champ d'application du règlement, aménagent un régime déterminé de sécurité sociale, au nombre desquelles figurent les mesures de financement «contributif» ainsi que l'admet la République française. La bonne application du règlement commande d'interpréter, dans toute la mesure du possible, de manière cohérente les dispositions relatives à la détermination de la législation applicable (70). Comme on le voit, nous faisons abstraction de la qualification attribuée
par le droit interne à ces mesures de financement. Une telle interprétation de l'article 13 n'est certainement pas contredite par la jurisprudence de la Cour qui tend à interpréter les dispositions du règlement de façon tout sauf restrictive (voir la note 64). Ce n'est pas tout. La même jurisprudence de la Cour a souvent précisé, justement à propos de l'interprétation du règlement, que «l'exigence d'une application uniforme du droit communautaire à l'intérieur de la Communauté implique que les
notions auxquelles se réfère ce droit ne varient pas en fonction des particularités de chaque droit national, mais reposent sur des critères objectifs, définis dans un cadre communautaire» (71). En l'espèce, compte tenu de la difficulté que rencontre l'interprète en la matière (voir le point 20), le critère objectif à adopter réside à notre avis dans la recherche de l'existence d'un lien direct entre les mesures en question et le régime de sécurité sociale français.
25 Dans le cas d'espèce, la Commission a démontré à suffisance qu'il existe entre la CSG et la CRDS, d'une part, et le régime de sécurité sociale, d'autre part, un lien qui les fait appartenir de plein droit à la «législation» de sécurité sociale au sens de l'article 1er, sous j), du règlement. Ce lien est essentiellement constitué par l'affectation spéciale des produits de la CSG et de la CRDS. Cette affectation ne saurait être plus claire. Si l'on analyse précisément leur finalité, les deux
impositions peuvent être considérées comme «concernant» des branches de la sécurité sociale relevant du champ d'application matériel du règlement. Pour la bonne application du règlement, la même Cour s'est en outre référée aux «buts poursuivis» par une mesure nationale déterminée, lorsqu'elle échappe à une classification rigide qui en permettrait avec certitude l'assujettissement aux dispositions du règlement (72). Pour illustrer ensuite le fait que la Cour, pour apprécier si le règlement est
applicable, fait abstraction des classifications et s'attache plutôt à la nature des mesures nationales soumises à son examen, rappelons qu'elle a décidé que même une disposition nationale qui échappe à l'application du règlement ne peut se soustraire à l'application de la réglementation communautaire si la disposition en cause présente avec «les lois qui régissent les branches de sécurité sociale énumérées à l'article 4 du règlement n_ 1408/71 [un] lien qui doit être direct et suffisamment
pertinent» (73). En l'espèce, pour les motifs déjà indiqués, nous estimons qu'il existe effectivement un lien de cette nature.
26 Toutefois, à propos du lien existant entre les prélèvements en question et le régime de sécurité sociale qui forme l'objet du présent litige, le gouvernement français a opéré des distinctions. S'il admet en principe que la CSG contribue aux disponibilités financières actuelles de certaines branches de la sécurité sociale, il a précisé que l'on ne peut en dire autant de la CRDS, dans la mesure où cet impôt, en dernière analyse, est destiné au budget général, afin d'apurer le déficit accumulé
globalement par le système de sécurité sociale français (un «simple mécanisme de remboursement d'une dette financière»). La thèse avancée par l'État défendeur ne parvient pas à nous convaincre. S'il est vrai que la Cades est un organisme purement financier, qui n'est pas chargé de gérer des fonds de sécurité sociale au sens strict et qui est tenu de verser chaque année le produit de la CRDS au budget de l'État, ces versements ont néanmoins pour objectif de combler un passif financier des organismes
de sécurité sociale ou de toute façon responsables de la gestion de fonds de sécurité sociale et de pensions, tels que l'ACOSS et la CDC; et ce passif, transféré par l'effet de la loi à la Cades avant la création de la CRDS, est la conséquence, en particulier, du versement des prestations de sécurité sociale au cours des années 90. À défaut de financement «fiscal», ce passif aurait vraisemblablement dû être couvert par le biais d'un financement «contributif» (une augmentation des cotisations de
sécurité sociale) ou, si l'on maintenait constant ce financement, à travers une réduction ou limitation du versement des prestations de sécurité sociale. C'est d'ailleurs précisément ce qui se passe avec la CSG: celle-ci s'est en partie substituée aux cotisations de sécurité sociale (qui ont baissé), répondant aux besoins financiers croissants du système de sécurité sociale français tout en évitant l'introduction d'augmentations de ces mêmes cotisations (voir le point 9). Il nous semble donc que
l'«artifice» qui consiste à transférer à la Cades la dette sociale accumulée par l'ACOSS ne suffit pas à modifier la nature profonde du «mécanisme financier» en question et ne peut ni ne doit soustraire la CRDS au champ d'application du règlement: ce réaménagement des instruments de financement d'un régime de sécurité sociale continue de relever du principe général de l'article 13 du règlement qui, dans le cas contraire, resterait privé de tout effet utile. Considérer les modes de financement, tels
que la CSG et la CRDS, comme totalement étrangers au règlement permettrait de voir l'émergence d'un système «de cotisations» alternatif remettant en cause les objectifs du présent règlement.
27 Il faut ensuite observer que l'ordonnance 96-50, qui a créé la CRDS, s'insère dans le contexte d'une réforme générale du système de sécurité sociale français, jugée indispensable en raison du passif accumulé dans les années 90. Or, selon les indications expresses du législateur, cette réforme, comme l'a relevé la Commission, permet d'assurer l'«équilibre futur» et l'«efficacité sociale et économique» de la protection sociale française (voir la note 19): cela signifie que, à l'heure actuelle, sans
initiative structurelle telle que l'institution de la CRDS, ce système de sécurité sociale ne serait plus en mesure de faire face efficacement à ses propres obligations. Il nous semble que le résultat obtenu à travers l'institution de la CRDS - c'est-à-dire de permettre le bon fonctionnement d'un système de sécurité sociale et le maintien du versement des prestations correspondantes aux ayants droit - est la preuve du lien direct qui existe entre l'instrument spécifique de financement en question
(impôt doté d'une affectation déterminée) et le système de sécurité sociale français dans son ensemble. D'ailleurs, pour qu'un instrument tel que la CRDS entre dans le champ d'application du règlement, il suffit qu'il «concerne» les branches et régimes de sécurité sociale visés à l'article 4, paragraphes 1 et 2, du règlement. Enfin, il nous faut rejeter fermement l'objection du gouvernement français selon laquelle la CRDS échapperait au règlement parce qu'elle ne concerne spécifiquement aucune des
branches visées à l'article 4, mais intéresse le système de la sécurité sociale dans son ensemble. Encore une fois, l'approche de l'État défendeur nous semble très formelle. Il nous paraît au contraire évident que, si une mesure intéresse le système de sécurité sociale dans son ensemble, elle «concerne» aussi nécessairement chacune des branches énumérées dans le règlement pour la définition de son champ d'application matériel. Nous pensons que la solution inverse permettrait d'éluder trop facilement
les dispositions telles que l'article 13. Notre conclusion est donc que la CRDS et la CSG constituent en substance et aux fins du règlement des «cotisations sociales» relevant de la «législation» française de sécurité sociale (74).
D - L'absence de contrepartie directe au prélèvement de la CRDS et de la CSG
28 Toujours en vue de démontrer la nature proprement fiscale de la CRDS et de la CSG et, par conséquent, leur caractère étranger au règlement, la République française insiste sur l'absence de toute contrepartie directe en termes de prestations de sécurité sociale: seules les véritables cotisations ouvriraient droit à une contrepartie de ce type. Nous sommes, pour notre part, d'un autre avis.
29 Comme nous l'avons déjà vu, relèvent également de l'article 13 du règlement les mesures d'aménagement d'un régime de sécurité sociale donné adoptées en vue de son financement; peu importe qu'elles aient une nature purement fiscale ou de cotisation ou qu'il s'agisse d'un système à la frontière des deux catégories. De même, l'existence ou l'absence d'une contrepartie directe n'a pas d'importance; il est vrai que, dans le cas de la «fiscalisation» de ce financement, il n'existe pas en face du
prélèvement en question de véritable contrepartie directe, mais cela ne signifie pas pour autant qu'une mesure fiscale qui intéresse ou «concerne» la sécurité sociale au sens indiqué ci-dessus peut échapper aux règles de conflit permettant de déterminer la loi applicable. En aucun cas la jurisprudence de la Cour rappelée par le gouvernement français, selon laquelle ne peuvent être considérés comme des «cotisations» que les prélèvements qui constituent la contrepartie d'une prestation, n'autorise à
tirer une telle conclusion (75). Et ce pour plus d'une raison. En premier lieu, la jurisprudence AGF Belgium citée par la République française ne semble pas pertinente: portant sur la distinction entre une taxe destinée à faire face aux charges générales de l'administration publique et une taxe qui constitue la contrepartie d'un service déterminé, elle ne vise pas en réalité une «cotisation de sécurité sociale» (76) mais diverses catégories de prélèvements ayant tous un caractère fiscal. En second
lieu, comme nous l'avons vu plus haut, les mesures nationales instituant des «prélèvements contributifs» ne sortent pas, s'agissant d'instruments de financement des régimes de sécurité sociale, du cadre de la «législation» particulière visée à l'article 13 du règlement. En troisième lieu, étant donné que la CSG se substitue en partie à des cotisations proprement dites et permet d'éviter le relèvement des cotisations existantes, et que la CRDS permet, probablement, d'éviter l'augmentation des
cotisations ou la réduction ou limitation du versement des prestations de sécurité sociale (voir le point 26), suivre la thèse du gouvernement français conduirait, paradoxalement, à légitimer l'imposition ex novo de «charges sociales» aux travailleurs migrants non affiliés au régime de sécurité sociale français (c'est-à-dire non tenus d'acquitter des cotisations en France), avec pour conséquence que les travailleurs migrants soumis au règlement pourraient être assujettis à une taxe (dépourvue de
contrepartie) destinée, de façon générale, à alléger les cotisations (avec contrepartie) dues par les travailleurs français sédentaires (77).
30 En outre, en ce qui concerne plus particulièrement la CSG, la thèse du gouvernement français comporte une contradiction. D'un côté, l'État défendeur cherche à démontrer le caractère fiscal du prélèvement en cause en invoquant le fait que, contrairement à une cotisation ordinaire de sécurité sociale, il n'ouvre droit à aucune contrepartie directe; mais, de l'autre, il fait valoir que cet impôt constitue un «outil de solidarité nationale où tous les revenus sont appelés à contribuer à la protection
sociale de tous et de chacun», le tout dans une optique générale tendant à rétablir une progressivité «contributive» en fonction du revenu imposable de chacun («à revenu égal contribution égale»; (voir le point 9) (78). Or, si tel est le cas, la protection sociale se caractérise de moins en moins par le lien direct que la République française cherche à mettre en évidence entre les cotisations acquittées par les travailleurs français et les prestations correspondantes (79).
E - L'examen de la compatibilité de la CRDS et de la CSG avec l'article 13 du règlement
31 Cela étant, il est clair que les charges sociales en question sont contraires à l'article 13. D'une part, elles touchent, comme l'a précisé la Commission, tous ceux qui sont fiscalement résidents en France, y compris le cas échéant les travailleurs migrants qui relèvent du champ d'application personnel du règlement. D'autre part, la CRDS et la CSG sont perçues sur la même assiette que les cotisations sociales de l'État membre auprès duquel ces travailleurs exercent (ou ont exercé) une activité
professionnelle. Cette base imposable constitue le fruit de l'exercice de la liberté de circulation garantie par le traité. Dans l'arrêt Perenboom, la Cour a jugé que «le fait pour le travailleur d'être grevé, pour une même rémunération du travail, de charges sociales découlant de l'application de plusieurs législations nationales, alors qu'il ne peut revêtir la qualité d'assuré qu'au regard d'une seule de ces législations, expose ce travailleur à une double cotisation, contraire à [l'article 13 du
règlement]. ... La rémunération perçue par le travailleur pour ce travail ne constitue pas une base de cotisation imposable, même partiellement, au titre de [la] législation [de l'État membre de résidence] et échappe, de ce fait, aux charges sociales découlant de son application» (80). Quant aux travailleurs qui ont définitivement cessé toute activité professionnelle (et qui ont droit à un revenu de remplacement, également soumis à la fois à la CRDS et à la CSG), la règle applicable est que,
toujours sur la base des dispositions du titre II du règlement, «[le titulaire d'une pension de retraite ou d'une rente] ne peut se voir réclamer, du fait qu'il y réside, des cotisations d'assuré obligatoire pour la couverture des prestations prises en charge par une institution d'un autre État membre» (81).
32 Nous le répétons, considérer les prélèvements en question comme échappant au champ d'application du règlement et, par conséquent, comme affranchis des exigences imposées par l'article 13 priverait cet article, tel qu'interprété dans les arrêts Perenboom et Noij, de tout effet utile (82). Les dispositions permettant de désigner la loi applicable en matière de sécurité sociale (parmi lesquelles figure l'article 13) «doivent être interprétées à la lumière de leur objectif, qui est de contribuer, en
matière de sécurité sociale, à l'établissement d'une liberté de circulation aussi complète que possible des travailleurs migrants, principe qui s'inscrit parmi les fondements de la Communauté» (83). D'autre part, selon la jurisprudence constante de la Cour, les dispositions nationales en matière de protection sociale qui ont pour effet de défavoriser ou de poser des conditions désavantageuses à l'exercice d'une activité professionnelle en dehors du territoire de l'État membre intéressé sont
contraires aux articles 48 et 52 du traité (84); cela vaut, bien évidemment, également pour les dispositions nationales qui concernent le financement de la protection sociale (85). Cela dit, il nous paraît indiscutable que la perception de «charges sociales» - de quelque nature qu'elles soient - de la part d'un État membre autre que celui dans lequel le travailleur migrant exerce (ou a exercé) une activité professionnelle constitue toujours une entrave à la liberté de circulation des travailleurs,
dans la mesure où elle les dissuade de faire usage des droits qui leur sont garantis par le traité.
F - Appréciation des effets de la CRDS et de la CSG
33 Selon la République française, il faut relativiser l'importance d'une éventuelle entrave considérée comme résultant de l'application des deux prélèvements en question. À ce propos, elle insiste sur la valeur modérée du taux (celui de la CRDS est égal à 0,5 % tandis que celui de la CSG, égal à 7,5 % ou à 6,2 %, en fonction de la base d'imposition, est toujours inférieur au taux normal des cotisations) et sur le fait que les deux prélèvements touchent seulement une partie minime des travailleurs
migrants qui, tout en exerçant une activité professionnelle à l'étranger, ont conservé leur domicile fiscal en France. Les conventions fiscales internationales conclues par la République française en vue d'éviter les doubles impositions, selon le modèle de convention fiscale d'impôt sur le revenu et sur le patrimoine établi par l'Organisation pour la coopération et le développement économique, prévoient, en règle générale, que les revenus du travail salarié ou indépendant sont imposables dans l'État
membre contractant dans lequel ils trouvent leur source, ou dans l'État dans lequel est exercée l'activité professionnelle (voir articles 14 et 15). Cela signifie que les revenus d'une activité professionnelle exercée dans un autre État membre par des travailleurs qui ont conservé leur domicile fiscal en France ne peuvent être assujettis aux deux prélèvements litigieux. Ce n'est qu'à titre exceptionnel que les conventions fiscales conclues par la République française avec les États membres
limitrophes prévoient que les revenus d'une catégorie particulière de contribuables migrants, à savoir les «frontaliers» (voir la note 37) sont imposables dans l'État de résidence et non dans l'État d'emploi (voir le point 13). Selon le gouvernement français, cependant, la CRDS et la CSG n'intéressent qu'une partie infime des travailleurs couverts par le règlement, ce qui impliquerait, si nous comprenons bien, que les deux prélèvements doivent être à l'abri de toute critique.
34 La thèse du gouvernement français soulève toutefois deux séries d'objections. Tout d'abord, selon la jurisprudence constante de la Cour, une mesure nationale qui ne crée qu'une entrave «faible» à la libre circulation des personnes, ou à une autre liberté fondamentale garantie par le traité, ne cesse pas pour autant d'être incompatible avec le droit communautaire (voir la note 65). Ensuite, l'argument centré sur les dispositions conventionnelles auxquelles la République française est partie omet
de rendre compte de la différence de traitement réservée, par les conventions, aux revenus de remplacement par rapport à ceux des activités professionnelles. Contrairement à ces derniers, les revenus de remplacement sont, en règle générale, imposables dans l'État contractant de résidence. Tel est le cas des pensions de retraite, ou de tout autre revenu d'autres sources (que les activités) spécifiquement envisagé dans d'autres dispositions des traités (86). Cela signifie que la CRDS et la CSG
touchent les revenus de remplacement de tous les travailleurs qui ont conservé leur domicile fiscal en France, et non pas seulement des travailleurs «frontaliers».
G - L'aspect discriminatoire de la CRDS et de la CSG
35 La Commission soutient, enfin, que les prélèvements en question, applicables de la même manière à tous ceux qui ont leur résidence fiscale en France, aboutissent à discriminer les travailleurs migrants dans la mesure où il n'est pas tenu compte de la situation objectivement différente qui leur est propre. Ces travailleurs, en effet, contrairement à ceux qui n'ont pas quitté la République française pour exercer ailleurs une activité professionnelle, relèvent du champ d'application du règlement. Il
nous semble que la Commission ne fait rien d'autre que d'envisager, du point de vue des articles 48 et 52 du traité, la même infraction que celle qui a déjà été constatée par référence à l'article 13 du règlement.
36 L'article précité du règlement a pour but, en effet, de distinguer la situation du travailleur migrant de celle du travailleur sédentaire et d'éviter ainsi que le premier puisse être soumis au régime de sécurité sociale de l'État de résidence, s'il diffère de l'État dans lequel il exerce son activité professionnelle. Interdisant le cumul des législations de plusieurs États membres, le règlement entend clairement réserver un sort différent au travailleur migrant. Et ce, évidemment, dans le but
d'éviter les complications qui peuvent l'affecter si, ayant exercé son activité professionnelle dans plusieurs États membres, il se trouve ou s'est trouvé soumis à plusieurs législations (article 2, paragraphe 1, du règlement), contrairement à celui qui n'a pas quitté son propre pays d'origine. C'est le règlement lui-même, par conséquent, qui a effectué une distinction en posant le principe d'une coordination réglementaire en fonction de la situation spécifique du travailleur migrant. Sur le fond,
le dixième considérant du règlement est très clair: «pour garantir le mieux l'égalité de traitement de tous les travailleurs occupés sur le territoire d'un État membre, il est approprié de déterminer comme législation applicable, en règle générale, la législation de l'État membre sur le territoire duquel l'intéressé exerce son activité salariée ou non salariée» (c'est nous qui soulignons). L'élément retenu par le législateur communautaire pour déterminer la loi applicable n'est pas la «résidence
fiscale», mais plutôt le lieu où est (ou a été) exercée l'activité professionnelle. Il est évident, pour cette raison, que l'application indifférenciée de la CRDS et de la CSG à tous les travailleurs fiscalement domiciliés en France, y compris les travailleurs migrants qui exercent leur activité dans un autre État membre, conduit à discriminer ces derniers, contrairement à l'article 13 qui interdit le cumul des législations et, en dernière analyse, aux articles 48 et 52 du traité dont le règlement
s'inspire, en tant qu'instrument de leur mise en oeuvre (voir article 51, la base juridique).
37 Observons enfin, à ce propos, que l'on peut invoquer ici par analogie la jurisprudence de la Cour en matière d'impositions intérieures discriminatoires (interdites par l'article 95 du traité) (87). Plus précisément: s'il est vrai que, pour la CRDS comme pour la CSG, le fait générateur de l'imposition est objectif et est le même pour tous les résidents français, il n'en reste pas moins que la mise à contribution des travailleurs migrants pour financer un régime de sécurité sociale auquel ils ne
sont pas affiliés a pour effet de les discriminer par rapport aux travailleurs non migrants, qui sont les seuls à pouvoir bénéficier des prestations versées par ce régime.
VII - Conclusion
38 À la lumière des considérations développées ci-dessus, nous proposons, par conséquent, à la Cour de:
- accueillir les deux recours, en constatant que la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 48 et 52 du traité CE (devenus respectivement, après modification, articles 39 CE et 43 CE) et de l'article 13 du règlement (CEE) n_ 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté,
1) en appliquant la contribution pour le remboursement de la dette sociale aux revenus d'activité et aux revenus de remplacement des travailleurs salariés et non salariés qui résident en France mais travaillent dans un autre État membre et qui, conformément au règlement, ne sont pas soumis à la législation française de sécurité sociale;
et
2) en appliquant la contribution sociale généralisée aux revenus d'activité ou de remplacement des travailleurs qui résident en France mais qui, en vertu du règlement, ne sont pas soumis à la législation française de sécurité sociale;
et
- condamner la République française aux dépens.
(1) - Règlement du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté (JO L 149, p. 2, ci-après le «règlement»), tel que modifié et mis à jour par le règlement (CE) n_ 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996 (JO 1997, L 28, p. 1). Après consolidation, le règlement a été modifié par la suite par les règlements (CE) n_ 1223/98 du Conseil,
du 4 juin 1998 (JO L 168, p. 1); (CE) n_ 1606/98 du Conseil, du 29 juin 1998 (JO L 209, p. 1), et (CE) n_ 307/99 du Conseil, du 8 février 1999 (JO L 38, p. 1).
(2) - À titre d'exemple, en 1988, les ressources de nature fiscale ont représenté, rapportées à l'ensemble des composantes du financement de la protection sociale, 77,5 % au Danemark, 18,2 % en France, 25,2 % en Allemagne, 14,6 % aux Pays-Bas, et 43,4 % au Royaume-Uni (voir Euzeby, A., Le financement de la protection sociale dans les pays de la CEE: problèmes et perspectives, travaux du congrès «Quel avenir pour l'Europe sociale: 1992 et après?», Bruxelles, 16 et 17 novembre 1990, éd. Ciaco, 1992,
p. 133, tableau 3, notamment p. 157).
(3) - Les prestations de sécurité sociale comptent parmi les dépenses les plus décisives pour les variations du «poids» des dépenses publiques globales par rapport au produit intérieur brut des États membres de la Communauté (Sigillò Massara, G., «Il finanziamento della sicurezza sociale nella CEE: problemi e prospettive», dans Il sistema previdenziale europeo, aux soins de R. Pessi, CEDAM, Milan, 1993, p. 135 en particulier, et 136, citant les chiffres de l'OCDE).
(4) - Le règlement a d'ailleurs également été adopté sur le fondement de l'article 235 du traité CE (devenu article 308 CE).
(5) - Le règlement, qui concernait à l'origine uniquement les travailleurs salariés, a été par la suite étendu aux travailleurs non salariés par le règlement (CEE) n_ 1390/81 du Conseil, du 12 mai 1981, qui étend aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille le règlement n_ 1408/71 (JO L 143, p. 1). Étant donné que le traité CE n'a pas prévu les pouvoirs d'action spécifiques que suppose une telle extension, le règlement n_ 1390/81 a pour fondement juridique les articles 2 (devenu,
après modification, article 2 CE) et 7 (abrogé par le traité d'Amsterdam), ainsi que 51 et 235 du traité CE.
(6) - Journal officiel de la République française (ci-après «JORF») du 25 janvier 1996, p. 1226.
(7) - Voir article 14, premier alinéa, de l'ordonnance 96-50 qui renvoie à l'article L 136-1 du code de la sécurité sociale; l'actuel article L 136-1 du code de la sécurité sociale (ex-article 127 de la loi n_ 90-1168 instituant la CSG: voir ci-après, note 20) a été modifié par la loi de finances rectificative pour 1993 n_ 93-859, du 22 juin 1993. Sont considérées comme ayant leur domicile fiscal en France les personnes qui satisfont aux conditions de l'article 4 B du code général des impôts,
c'est-à-dire: «les personnes qui ont en France leur foyer ou leur lieu de séjour principal; celles qui exercent en France une activité professionnelle, salariée ou non, à moins qu'elles justifient que cette activité y est exercée à titre accessoire; celles qui ont en France le centre de leurs activités économiques». En revanche, tout comme la CSG (voir note 21), la CRDS ne s'applique pas aux revenus des activités professionnelles acquis en France par les travailleurs (salariés ou non) qui, tout en
étant soumis à la législation française de sécurité sociale, ont leur domicile fiscal dans un autre État membre.
(8) - Les revenus sur lesquels la CRDS est due sont dans une large mesure identiques à ceux qui sont soumis par ailleurs à la CSG [voir article 14-I deuxième alinéa de l'ordonnance 96-50 qui renvoie aux revenus d'activité et de remplacement cités aux articles L 136-2 à L 136-4 du code de la sécurité sociale, concernant la CSG. Les articles L 136-1 à L 136-5 du code de la sécurité sociale représentent l'intégration dans le Code des dispositions législatives ayant instauré la CSG (voir article 7 de la
loi n_ 93-936, du 22 juillet 1993, JORF du 23 juillet 1993, p. 10374, ci-après la «loi 93-936»).] À l'origine, la CRDS touchait toute une série de revenus non soumis à la CSG. Parmi les revenus d'activité exemptés de la CSG mais assujettis à la CRDS, on comptait, par exemple, les cotisations patronales aux régimes de sécurité sociale et de retraite complémentaire, les indemnités versées en cas de modification ou de rupture du contrat de travail et les allocations parentales complémentaires pour les
travailleurs ayant des enfants, tandis que parmi les revenus de remplacement exclusivement assujettis à la CRDS figuraient les allocations de chômage, de retraite ou d'invalidité des contribuables exonérés de l'impôt sur le revenu, les indemnités journalières de maladie, de maternité et d'accidents de travail et les allocations de logement (voir article 14 de l'ordonnance 96-50 et le rapport au président de la République relatif à l'ordonnance 96-50, JORF du 25 janvier 1996, p. 1225, en particulier
p. 1226). Par la suite, par l'effet des articles 9 et suivants de la loi n_ 96-1160, du 27 décembre 1996, sur le financement de la sécurité sociale pour 1997 (JORF du 29 décembre 1996, p. 19369, ci-après la «loi 96-1160»), l'assiette du calcul de la CSG a été élargie, par l'introduction d'amendements dans les articles L 136-1 et suivants du code de la sécurité sociale. Pour les revenus d'activité, cette extension a eu pour but de faire coïncider l'assiette avec celle de la CRDS, tandis que, pour les
revenus de remplacement, l'extension actuelle de la base d'imposition de la CSG reste moins compréhensive que celle de la CRDS, puisque en demeurent exclues les allocations familiales et aides au logement (voir le rapport du gouvernement illustrant les orientations de la politique de santé et de sécurité sociale et les objectifs qui déterminent les conditions générales de l'équilibre financier, annexé à la loi 96-1160: JORF p. 19376, paragraphe 3, point 2.1). L'alignement presque total de l'assiette
de la CSG avec celle de la CRDS a permis de simplifier les opérations de retenue à la source sur les salaires des travailleurs salariés pratiquées par les entreprises (ibidem).
(9) - Article 15-III, point 1, de l'ordonnance 96-50.
(10) - Voir article L 136-6, III, du code de la sécurité sociale, auquel renvoie le troisième alinéa de l'article 15-I de l'ordonnance 96-50 (disposition qui concerne en soi la CRDS sur les revenus du patrimoine qui ne fait pas l'objet du recours C-34/98), auquel renvoie, à son tour, l'article 15-III relatif à la CRDS sur les revenus «étrangers».
(11) - Article 19 de l'ordonnance 96-50.
(12) - Voir articles 14-I et 15-III de l'ordonnance 96-50. La Commission a indiqué que la loi de financement de la sécurité sociale pour 1998 aurait prorogé le champ d'application temporel de la CRDS jusqu'en janvier 2014.
(13) - La Cades a été créée par l'article 1er de l'ordonnance 96-50.
(14) - L'organisation et la gestion administrative, financière et comptable de la Cades sont régies en détail par le décret n_ 96-353, du 24 avril 1996, relatif à la caisse d'amortissement de la dette sociale (JORF du 26 avril 1996, p. 6395, ci-après le «décret 96-353»).
(15) - Soit environ 20,6 milliards d'euros. En 1996, les intérêts passifs de cette dette ont représenté 8,2 milliards de FF, soit environ 1,25 milliard d'euros (voir le rapport au président de la République, cité dans la note 8, p. 1225).
(16) - Voir article 4-I de l'ordonnance 96-50. La CDC est un établissement public national à statut spécial, à l'origine dépositaire et gestionnaire - «légal, unique et obligatoire» - de fonds privés, devenu ensuite responsable, à titre propre et pour le compte d'autres établissements, de la gestion et de l'administration de toute une série de fonds dont la sauvegarde est considérée comme étant d'intérêt général (fonds d'épargne, de prévoyance, de retraite, à caractère social, notariaux, etc.; voir
Pomey, M., «Le régime juridique de la Caisse des dépôts et consignations», dans La Revue Administrative, 1974, n_ 157, p. 18). La CDC est également chargée de verser directement certaines prestations d'assistance (voir arrêts du 6 juin 1985, Frascogna I, 157/84, Rec. p. 1739, et du 9 juillet 1987, Frascogna II, 256/86, Rec. p. 3431).
(17) - Soit environ 1,9 milliard d'euros; voir article 4-III de l'ordonnance 96-50.
(18) - Soit environ 0,45 milliard d'euros.
(19) - Pour le détail des ressources et dépenses de la Cades, voir articles 9 et 10 du décret 96-353. La CRDS a fait suite à toute une série de mesures exceptionnelles, qui se sont révélées insuffisantes, destinées à combler le déficit de la sécurité sociale apparu au cours des années 90, et, dans le cadre d'une réforme globale du système de sécurité sociale français, a été accompagnée de mesures structurelles et urgentes de rééquilibre, telles que l'ordonnance n_ 96-51, du 24 janvier 1996, sur les
mesures urgentes destinées à rétablir l'équilibre financier de la sécurité sociale (JORF du 25 janvier 1996, p. 1230; cette ordonnance a pour objet l'équilibre financier des branches maladie et famille). Selon le rapport au président de la République sur cette ordonnance, «la réforme de la protection sociale présentée par le gouvernement comporte des mesures structurelles destinées à renforcer sur des bases solides l'équilibre futur des régimes de sécurité sociale. En effet, cet équilibre est la
garantie de la pérennité de ces régimes et de leur efficacité sociale et économique» (JORF du 25 janvier 1996, p.1229).
(20) - JORF du 30 décembre 1990 (l'article 127 figure à la p. 16387), ci-après la «loi 90-1168». Après l'institution de cette taxe, les dispositions législatives sur la CSG ont été insérées dans le code de la sécurité sociale (articles L 136-1 et suiv.) par effet de la loi 93-936 (voir note 8). À deux occasions, le Conseil constitutionnel a eu l'occasion de confirmer, en droit interne, la nature purement fiscale de la CSG [voir arrêts n_ 90-285, du 28 décembre 1990 (JORF du 30 décembre 1990, p.
16609), et n_ 96-384, du 19 décembre 1996 (JORF du 29 décembre 1996, p. 19380)].
(21) - Voir article L 136-1 du code de la sécurité sociale (ex-article 127 de la loi 90-1168). À propos des assujettis à la CSG, le gouvernement français précise que, comme la CRDS (voir note 7), l'impôt ne frappe pas les revenus d'activité professionnelle perçus en France par les travailleurs (salariés ou non) qui, tout en étant soumis à la législation de sécurité sociale française, ont leur domicile fiscal dans un autre État membre.
(22) - Voir article L 136-5, I, du code de la sécurité sociale (ex-article 131-I, de la loi 90-1168).
(23) - Conformément à l'article L 136-5, I, paragraphe 2, du code de la sécurité sociale (ex-article 131-I, paragraphe 2, de la loi 90-1168), l'URSSAF et les caisses générales de sécurité sociale sont habilitées à effectuer des contrôles sur le versement de la CSG conformément aux procédures prévues par le code de la sécurité sociale.
(24) - Le prélèvement de la CSG dans le chef: des a) travailleurs frontaliers, b) travailleurs salariés dont les employeurs ne sont pas établis en France, et c) titulaires de pension de retraite se rattachant à une activité exercée à l'étranger avait soulevé - selon le gouvernement français - quelques difficultés spécifiques, telle l'obligation de devoir s'inscrire auprès d'un organisme de sécurité sociale français (alors que la CRDS est versée directement à l'administration fiscale à qui l'on
adresse la déclaration unique de revenu) et de devoir effectuer une déclaration périodique sur les revenus perçus à l'étranger convertis en francs français.
(25) - Les différents taux du prélèvement fiscal ont été fixés respectivement par l'article 134-I de la loi 90-1168; par l'article 8-III de la loi 93-936; par l'article 37 de la loi 96-1160, et par l'article L 136-8, I et II, du code de la sécurité sociale. Pour l'exercice 1997, le rapport précité au gouvernement accompagnant la loi 96-1160 indique que l'ensemble du produit de la CSG atteint 44,2 milliards de FF (soit environ 6,7 milliards d'euros), provenant à concurrence de 74 % de la CSG sur les
revenus d'activité, 19 % de la CSG sur les revenus de remplacement et 7 % de la CSG sur les revenus du patrimoine (JORF du 29 décembre 1996, p. 19378).
(26) - Voir article 134-II de la loi 90-1168.
(27) - Le FSV a été créé par l'article 1er de la loi 93-936 et est actuellement prévu par l'article L 135-1 du code de la sécurité sociale.
(28) - Voir article 94 de la loi n_ 96-1181, du 30 décembre 1996 (JORF du 31 décembre 1996, p. 19490).
(29) - Sigillò Massara, cité, p. 166, faisant spécifiquement référence à la CSG. Le modèle français ne paraît pas isolé. Selon Williams, «au cours de la dernière partie de ce siècle, les techniques d'imposition du revenu ont été adaptées pour prélever des fonds à des fins de prévoyance» (Williams, D., «Asscher: the European Court and the power to destroy», dans EC Tax Review, 1997, p. 4, en particulier p. 6; traduction libre).
(30) - Voir Commission européenne, La protection sociale en Europe, Office des publications officielles des Communautés européennes, Luxembourg, 1994, p. 32.
(31) - Par exemple, l'augmentation d'un point en pourcentage du taux de la CSG (de 2,4 à 3,4 %, voir ci-dessus, point 8) destinée à l'assurance maladie s'est accompagnée d'une réduction simultanée de 1,3 % des cotisations de sécurité sociale correspondantes sur les revenus d'activité (voir le rapport précité du gouvernement sur la loi 96-1160, point 3.2.2, se référant aux articles 17 à 26 de cette loi).
(32) - Voir Sigillò Massara, précité, p. 144 et 145, qui observe que «la tendance à utiliser les fonds publics pour le financement des prestations versées à tous les citoyens va en s'affirmant, pour ce qui concerne les prestations familiales, dans de nombreux pays tels que l'Allemagne, le Danemark, l'Italie, l'Irlande, les Pays-Bas et le Royaume-Uni. La République française a seulement partiellement adopté cette logique, instituant - avec la loi de finances pour 1991 - la contribution sociale
généralisée (CSG), une taxe prélevée sur une large assiette dont le produit est versé au régime des allocations familiales [la CNAF] avec la cotisation patronale» (p. 163, notes omises). Dans la recherche d'une plus grande rationalité dans le choix des formes de prélèvement des ressources, certains États ont également eu recours, à des degrés divers, à des formes de fiscalité indirecte, en général avec un lien d'affectation précise. Par exemple, «en Grèce, 27 % du financement des caisses de sécurité
sociale des avocats ... proviennent de prélèvements indirects sur les tabacs, sur les recettes des loteries et des taxes automobiles. En Belgique, une partie des taxes indirectes sur le tabac et un supplément de 10 % sur les primes d'assurances des véhicules sont versés au profit des régimes de sécurité sociale des travailleurs salariés (voir l'arrêt du 28 mars 1996, dans l'affaire C-191/94, AGF Belgium, Rec. p. I-1859), alors qu'en France, les travailleurs de l'agriculture bénéficient d'une partie
des taxes imposées sur les boissons alcoolisées» (Sigillò Massara, précité, p. 160, notes omises), et, toujours en France, en 1997, des taxes indirectes ont été introduites sur le tabac et les alcools, destinées à alimenter la CNAMTS (Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés) et le FSV (voir articles 27 et suiv. de la loi 96-1160, et le rapport du gouvernement à ce sujet, JORF, p. 19380).
(33) - Semblable apurement est prévu, toujours de façon générale, pour la Canam, à qui n'est destinée qu'une part minime des fonds de la Cades (voir point 5). Comme nous allons le voir, le gouvernement français conteste l'affirmation selon laquelle la CRDS doit «alimenter» la sécurité sociale, puisqu'il soutient que le produit de cette contribution, «transitant» par la Cades, organisme financier, est destiné, en dernière analyse, au budget général de l'État.
(34) - Le critère interprétatif proposé par la Commission s'inspire de celui qui est utilisé par la Cour pour vérifier si des prestations de sécurité sociale déterminées relèvent du champ d'application du règlement: «la distinction entre prestations exclues du champ d'application du règlement n_ 1408/71 et prestations qui en relèvent repose essentiellement sur les éléments constitutifs de chaque prestation, ses finalités et ses conditions d'octroi, et non pas sur le fait qu'une prestation est
qualifiée ou non par une législation nationale comme prestation de sécurité sociale»(voir, entre autres, arrêts des 31 mai 1979, Even et ONPTS, 207/78, Rec. p. 2019, point 11; 27 mars 1985, Hoeckx, 249/83, Rec. p. 973, point 11, et Scrivner, 122/84, Rec. p. 1027, points 18 et 19; du 3 juin 1992, Paletta, C-45/90, Rec. p. I-3423, point 16; du 16 juillet 1992, Hughes, C-78/91, Rec. p. I-4839, point 14; du 10 mars 1993, Commission/Luxembourg, C-111/91, Rec. p. I-817, point 28; du 2 août 1993, Acciardi,
C-66/92, Rec. p. I-4567, point 13; du 10 octobre 1996, Hoever et Zachow, C-245/94 et C-312/94, Rec. p. I-4895, point 17, et du 5 mars 1998, Molenaar, C-160/96, Rec. p. I-843, point 19). La Cour retient une même approche, fondée sur l'analyse des «caractéristiques essentielles» de la contribution (comme son assiette et le fait qu'elle soit perçue à tous les stades de production et de distribution), pour vérifier s'il y a violation par les États membres de l'interdiction - formulée à l'article 33 de
la sixième directive TVA (sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, JO L 145, p. 1) - d'introduire des impôts, droits ou taxes qui ont «le caractère de taxe sur le chiffre d'affaires»; voir, par exemple, les arrêts du 31 mars 1992, Dansk Denkavit et Poulsen Trading (C-200/90, Rec. p. I-2217, points 12 à 14); du 7
mai 1992, Bozzi (C-347/90, Rec. p. I-2947, points 14 à 17); 1er décembre 1993, Commission/Danemark, (C-234/91, Rec. p. I-6273, point 6), et du 19 février 1998, SPAR (C-318/96, Rec. p. I-785, points 22 à 29).
(35) - Pour la Canam (voir point 5), les prestations de maladie et de maternité sont couvertes par l'article 4, paragraphe 1, sous a), du règlement.
(36) - Aux termes duquel «le terme `travailleur frontalier' désigne tout travailleur salarié ou non salarié qui exerce son activité professionnelle sur le territoire d'un État membre et réside sur le territoire d'un autre État membre où il retourne en principe chaque jour ou au moins une fois par semaine; cependant, le travailleur frontalier qui est détaché par l'entreprise dont il relève normalement ou qui effectue une prestation de services sur le territoire du même État membre ou d'un autre État
membre conserve la qualité de travailleur frontalier pendant une durée n'excédant pas quatre mois, même si, au cours de cette durée, il ne peut retourner chaque jour ou au moins une fois par semaine au lieu de sa résidence».
(37) - La définition du travailleur frontalier dans ces conventions bilatérales non seulement n'est pas uniforme, mais ne coïncide pas non plus avec celle retenue à l'article 1er, sous b), du règlement. À titre d'exemple, la Commission a observé que la convention conclue avec la République fédérale d'Allemagne reconnaît la qualité de «frontaliers» aux travailleurs français qui résident à 20 km au plus de la frontière allemande et exercent leur activité professionnelle en Allemagne à 30 km au plus de
la frontière française.
(38) - Les présents recours ne concernent par conséquent pas la CRDS et la CSG prélevées sur les revenus d'activité ou de remplacement (ou dérivant de l'activité professionnelle exercée) qui sont perçus en France. Et, s'agissant plus particulièrement de la CRDS, le recours C-34/98 ne la concerne pas dans la mesure où elle est prélevée sur d'autres types de revenus, tels que les revenus du patrimoine (voir point 5).
(39) - Arrêt du 15 janvier 1986, Pinna (41/84, Rec. p. 1, point 20).
(40) - À ce propos, pour confirmer la nature fiscale et non contributive de la CRDS et de la CSG, le gouvernement français observe qu'en sont exonérés les travailleurs qui, tout en exerçant leur activité professionnelle en France, sont fiscalement domiciliés dans un autre État membre. Cela semble significatif, dans la mesure où le traitement réservé à ces prélèvements s'écarte nettement de celui fixé pour les cotisations obligatoires qui, selon le gouvernement français, sont les seules à devoir
respecter les principes de l'article 13, paragraphes 1 et 2, du règlement (où il est prévu que les contributions sont acquittées dans l'État membre d'emploi), puisqu'elles relèvent de son champ d'application.
(41) - Conformément au principe fiscal généralement reconnu dans tous les ordres juridiques, et sous réserve de l'application des dispositions applicables des conventions fiscales conclues en vue d'éviter les doubles impositions, ceux qui ont leur résidence fiscale dans un État déterminé y sont soumis à une obligation fiscale dite «universelle» sur tous leurs revenus au niveau mondial, contrairement aux non-résidents qui sont exclusivement soumis au paiement de l'impôt sur leurs revenus perçus dans
l'État intéressé.
(42) - Voir, entre autres, arrêt du 29 octobre 1998, Commission/Grèce (C-185/96, Rec. p. I-6601, points 30 et 32).
(43) - Arrêts du 28 avril 1998, Kohll (C-158/96, Rec. p. I-1931, point 17) et Decker (C-120/95, Rec. p. I-1831, point 21); voir également les arrêts du 12 juillet 1979, Brunori (266/78, Rec. p. 2705); du 7 février 1984, Duphar e.a., (238/82, Rec. p. 523, point 16); du 28 novembre 1991, Durighello (C-186/90, Rec. p. I-5773, point 14); du 17 février 1993, Poucet et Pistre (C-159/91 et C-160/91, point 6), et du 17 juin 1997, Sodemare e.a. (C-70/95, Rec. p. I-3395, point 27).
(44) - Arrêt du 29 avril 1999, Royal Bank of Scotland (C-311/97, non encore publié au Recueil, point 19); voir également les arrêts du 4 octobre 1991, Commission/Royaume-Uni (C-246/89, Rec. p. I-4585, point 12); du 14 février 1995, Schumacker (C-279/93, Rec. p. I-225, point 21); du 11 août 1995, Wielockx (C-80/94, Rec. p. I-2493, point 16); du 27 juin 1996, Asscher (C-107/94, Rec. p. I-3089, point 36); du 15 mai 1997, Futura Participations et Singer (C-250/95, Rec. p. I-2471, point 19); du 28 avril
1998, Safir (C-118/96, Rec. p. I-1897, point 21), et du 16 juillet 1998, ICI (C-264/96, Rec. p. I-4695, point 19).
(45) - Voir, par exemple, les arrêts du 23 septembre 1982, Koks (275/81, Rec. p. 3013, point 10) et Kuijpers (276/81, Rec. p. 3027, point 14); du 12 juin 1986, Ten Holder (302/84, Rec. p. 1821, point 21); du 10 juillet 1986, Luijten (60/85, Rec. p. 2365, point 14); Decker (point 23) et Kohll (point 19), ainsi que les conclusions qui s'y rapportent de l'avocat général Tesauro (points 17 à 25), et l'arrêt du 26 janvier 1999, Terhoeve (C-18/95, Rec. p. I-345, point 34). Voir également les arrêts du 24
septembre 1987, De Rijke (43/86, Rec. p. 3611, point 12); du 21 février 1991, Daalmeijer (C-245/88, Rec. p. I-555, point 15); du 30 janvier 1997, De Jaeck (C-340/94, Rec. p. I-461, point 36), et du 4 novembre 1997, Snares (C-20/96, Rec. p. I-6057, point 45), où la Cour a expliqué que les compétences des États membres en matière de sécurité sociale doivent s'exercer de façon à ne pas pratiquer de discriminations entre les ressortissants nationaux et ceux des autres États membres, c'est-à-dire dans le
respect d'un des principes fondamentaux de l'ordre juridique communautaire consacré par l'article 6 du traité CE (devenu, après modification, article 12 CE) et par l'article 3 du règlement.
(46) - À l'exception, pour ce qui est de la fiscalité directe, des directives 90/434/CEE, du Conseil, du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, apports d'actifs et échanges d'actions intéressant les sociétés d'États membres différents (JO L 225, p. 1), et 90/435/CEE du Conseil, du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'États membres différents (JO L 225, p. 6).
(47) - Arrêt du 18 mai 1995, Rheinhold & Mahla (C-327/92, Rec. p. I-1223, point 22, (c'est nous qui soulignons); dans le même sens, voir arrêt du 10 janvier 1980, Jordens-Vosters (69/79, Rec. p. 75, en particulier, point 8). Dans l'affaire Commission/France (arrêt du 16 janvier 1992, C-57/90, Rec. p. I-75), l'avocat général Lenz a rejeté fermement la thèse du défendeur selon laquelle le règlement ne concerne pas les modalités de financement des systèmes de sécurité sociale puisqu'il ne prévoit que
la coordination des règles nationales. Cette thèse (tout à fait semblable à celle qui est avancée par le gouvernement français dans les présentes affaires) se fondait sur l'absence dans le règlement de toute définition du terme «cotisation» et, parallèlement, sur les différences d'aménagement et de financement des régimes nationaux de sécurité sociale. L'avocat général Lenz a confirmé la position de la Commission, sur le fond, sur l'unicité de la législation et le principe de parallélisme entre
cotisations et prestations (respectivement points 18 et 19 du rapport d'audience et point 22 des conclusions du 19 septembre 1991). La Cour n'a pas pris position sur ce point parce qu'elle a estimé que les indemnités de préretraite et de retraite faisant l'objet du financement en question échappaient au règlement, et que, par conséquent, ce financement ne pouvait se voir appliquer les dispositions du titre II du règlement (point 14).
(48) - Voir arrêt du 7 mars 1991, Masgio (C-10/90, Rec. p. I-1119, point 16).
(49) - Cela dit, nous ne pouvons approuver la thèse du gouvernement français selon laquelle le Conseil se serait sciemment abstenu d'intervenir dans le financement des régimes de sécurité sociale (voir point 15). Dès l'époque de l'adoption du règlement, l'instrument fiscal était assez répandu pour acquérir par la suite une importance croissante (voir point 2); cela est du reste attesté par la jurisprudence de la Cour qui a été, plusieurs fois, amenée à se prononcer dans des affaires de sécurité
sociale caractérisées par un financement public (voir plus loin, dans cette note). Il semble par conséquent improbable que - en omettant tout simplement d'expliciter une décision en ce sens - le Conseil (qui, au cours des années suivantes, est pourtant intervenu à plusieurs reprises pour modifier ce règlement) ait eu l'intention d'exclure du champ d'application du règlement un phénomène d'importance tel que le financement fiscal des régimes de sécurité sociale (du reste, quand le législateur
communautaire a voulu exclure du règlement des éléments particuliers, il l'a fait de façon explicite: [voir, par exemple, l'article 1er, sous j), dernière partie, et l'article 4, paragraphe 2 ter)]. Parmi les arrêts dans lesquels la Cour a eu l'occasion de se pencher sur des prestations de sécurité sociale (jugées comme relevant du champ d'application matériel du règlement) alimentées par un produit fiscal, nous signalons les arrêts du 24 février 1987, Giletti e.a. (379/85 à 381/85 et 93/86, Rec. p.
955, point 3); du 12 juillet 1990, Commission/France (C-236/88, Rec. p. I-3163, point 3), et Acciardi, précité dans la note 34. Voir également l'arrêt Poucet et Pistre, où la Cour a examiné deux régimes de sécurité sociale - en partie financés «par des taxes de diverses provenances» ou «par une contribution de l'État dont le montant est fixé par la loi de finances» (voir les conclusions de l'avocat général Tesauro, respectivement points 4, cinquième alinéa, et 5, quatrième alinéa) - pour vérifier
l'éventuelle qualité d'«entreprise» au sens des articles 85 et 86 du traité CE (respectivement devenus articles 81 CE et 82 CE), et l'arrêt Duphar e.a., qui concernait un système de sécurité sociale financé en partie par «des participations financières des autorités publiques» (point 16). Rappelons enfin que, dans l'arrêt Rousseau Wilmot (arrêt du 27 novembre 1985, 295/84, Rec. p. 3759), la Cour a été saisie d'une affaire concernant un tribut, de nature parafiscale, institué spécifiquement pour
alimenter des caisses de sécurité sociale.
(50) - Pour nous limiter aux affaires de prestations de sécurité sociale, et compte tenu du fait que, selon la Cour, «la distinction entre prestations exclues du champ d'application du règlement n_ 1408/71 et prestations qui en relèvent repose essentiellement sur les éléments constitutifs de chaque prestation, notamment ses finalités et ses conditions d'octroi» (voir note 34), nous pensons aux dispositions combinées des articles 1er, sous t), u) et v) (définition des «prestations», «pensions»,
«rentes», «prestations familiales», et «allocations de décès») et 4 (champ d'application «matériel» comportant l'énumération détaillée des branches de sécurité sociale concernées) du règlement; l'article 4, en particulier, a été souvent considéré comme fondamental dans la jurisprudence de la Cour pour déterminer si une prestation donnée relève ou non du règlement (outre la jurisprudence citée à la note 34, voir les arrêts Frascogna I et Frascogna II, où la Cour a jugé qu'une prestation avait un
caractère «d'assistance» plutôt que de prestation de «sécurité sociale»).
(51) - Précité, note 32.
(52) - Sur tous ces points, voir arrêts Pinna, précité, point 20, et du 27 septembre 1988, Lenoir, (313/86, Rec. p. 5391, point 13).
(53) - Par ailleurs, la Cour, pour décider si relèvent ou non du règlement les mesures nationales ayant une double nature de sécurité sociale et d'assistance sociale, a admis que - même s'il peut paraître désirable du point de vue de l'application de la réglementation communautaire en matière de sécurité sociale d'établir une distinction nette entre les régimes législatifs relevant respectivement de la sécurité sociale et de l'assistance - on ne saurait exclure que, en raison de son champ
d'application personnel, de ses objectifs et de ses modalités d'application, une législation s'apparente simultanément à l'une et à l'autre des deux catégories, échappant ainsi à toute classification globale (arrêts du 9 octobre 1974, Biason, 24/74, Rec. p. 999, point 9, et Giletti e.a., point 9).
(54) - Arrêt du 25 février 1969, (23/68, Rec. p. 43, point 20).
(55) - Précité, note 49.
(56) - Voir points 8 et 16; nous précisons que, dans cette affaire, la Cour a procédé à une requalification du prélèvement (de cotisation de sécurité sociale en prélèvement obligatoire fiscal), en s'appuyant sur les données disponibles de l'ordre juridique de l'État membre concerné, en tenant compte de la notion (large) de taxe figurant à l'article 3 du protocole sur les privilèges et immunités des Communautés européennes (la disposition dont le juge national demandait l'interprétation), et se
référant notamment directement aux «contributions ou taxes de toute nature qui font partie des impositions intérieures au sens du droit communautaire» (point 20; mis en évidence par nos soins). La référence au «droit communautaire» doit se comprendre comme un renvoi à la jurisprudence de la Cour sur les impositions intérieures envisagées par les règles du traité, selon laquelle «la circonstance qu'une imposition ou une redevance ... constitue une taxe spéciale ou affectée à une destination
particulière ne saurait la faire échapper au champ d'application de ces dispositions [en l'espèce, l'article 95 du traité CE (devenu, après modification, article 90 CE)] (voir arrêt du 22 mars 1977, Iannelli et Volpi, 74/76, Rec. p. 557, point 19)» (arrêt AGF Belgium, précité, point 18). Comme on le voit, dans cette affaire, de la même manière que dans celles où il est question de la nature de prélèvements de sécurité sociale ou de taxes sur le chiffre d'affaires (voir note 34), la Cour a procédé à
une qualification autonome du prélèvement en question, dans la mesure où elle se trouvait en présence de notions propres à l'ordre juridique communautaire.
(57) - Sigillò Massara, précité, p. 165 (mise en relief par nos soins), citant Mouton, P., «Methods of financing social security in industrial countries: an international analysis», dans AA.VV., Financing social security: the options. An international analysis, Genève, ILO, 1984, p. 29. On lit également que «la prise de conscience de l'interdépendance croissante entre les différents instruments de financement de la sécurité sociale ... et la recherche globale de l'équité et de la convergence des
prélèvements a conduit les pays de la Communauté à intégrer la fiscalité et les cotisations sociales dans un nouvel agrégat, `le prélèvement tributaire total', pour les comparaisons internationales» (Tamburi, G., Welfare State, Sistemi di finanziamento. Politiche di convergenza dei sistemi di finanziamento della sicurezza sociale nei Paesi della Comunità europea, travaux de l'assemblée du CNEL, Rome, 19 février 1992, p. 56, cité dans Sigillò Massara, précité, p. 165). Se référant ensuite au cas des
impôts indirects à destination spécifique (toutefois non intéressés par les présents recours), Pieters a pris position essentiellement dans le même sens, indiquant qu'il est particulièrement difficile de déterminer d'une fois sur l'autre la véritable nature des prélèvements destinés à la sécurité sociale, dans la mesure où, d'une part, les «étiquettes» utilisées par les États membres répondent à des exigences de convenance politique, et où, d'autre part, leur variété semble en rendre difficile une
catégorisation («Social security, taxation and European integration», dans De sociale zekerheid her-dacht, 1992, p. 235, en particulier p. 239).
(58) - Sigillò Massara, précité, p. 165. Aux Pays-Bas, en particulier, «la perception de l'impôt sur le salaire et celle des cotisations d'assurances générales sont ... combinées, de sorte que la première tranche d'imposition comporte une composante impôt et une composante cotisation sociale» (point 3 des conclusions de l'avocat général Léger dans l'affaire Asscher, précitée). Commentant l'affaire Asscher, Williams a observé que «les cotisations de sécurité sociale hollandaises sont de deux types,
contributions spécifiques et contributions générales. Quelle que soit la nature des contributions spécifiques, les contributions générales appartiennent - toute étiquette à part - au régime fiscal général. [L'avocat général Ruiz-Jarabo Colomer a observé que les cotisations au régime général d'assurances sociales aux Pays-Bas `présentent certaines similitudes avec les impôts'; voir ses conclusions du 30 avril 1998 dans l'affaire Terhoeve, précitée dans la note 45, point 30.] Nous sommes en présence
d'un système dans lequel le gouvernement a utilisé un impôt à objet spécifique sur le revenu comme instrument de financement d'une grande partie du budget de la sécurité sociale, tout en utilisant le produit fiscal général, y compris l'impôt général sur le revenu [sans précision de destination] pour financer le reste de ce budget» (Williams, précité, p. 4; traduction libre). Williams précise qu'un système similaire vient d'être adopté en Suède, où c'est l'administration fiscale qui prélève également
les cotisations sociales (ibidem, p. 5, note 6).
(59) - «Le financement des organismes sociaux peut être assuré à la fois par des cotisations spéciales et par des prélèvements fiscaux» (arrêt AGF Belgium, point 15); voir également le cas des prestations dont la charge financière incombe à l'employeur et non à un organisme de sécurité sociale (arrêt Paletta, points 3 et 18); voir également les divers arrêts cités dans la note 49, où la Cour s'est penchée sur des prestations financées par le produit de l'impôt.
(60) - Voir arrêts Giletti e.a., point 7; Paletta, point 18, et Acciardi, point 18.
(61) - Sur tous ces points, voir arrêt du 29 juin 1994, Aldewereld (C-60/93, Rec. p. I-2991), où la Cour a décidé que «les règles de droit communautaire qui visent à assurer la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté et, en particulier, les dispositions régissant la détermination de la législation nationale applicable, contenues dans le titre II du règlement n_ 1408/71, font obstacle» à un double prélèvement de cotisations de sécurité sociale (point 26; soulignement par nos
soins).
(62) - Voir point 15. Pour les autres affaires où la Cour s'est fondée sur la finalité des règles communautaires en matière de protection sociale afin de les appliquer correctement, voir, par exemple, les arrêts Pinna, précité, point 21, dernière phrase, et Paletta, précité, point 24. En outre «selon une jurisprudence constante, il y a lieu, pour l'interprétation d'une disposition de droit communautaire, de tenir compte non seulement des termes de celle-ci mais également, le cas échéant, de son
contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie», arrêt du 30 janvier 1997, Hervein et Hervillier (C-221/95, Rec. p. I-609, point 15), où il est fait référence à l'arrêt du 17 novembre 1983, Merck, (292/82, Rec. p. 3781, point 12).
(63) - Arrêt du 17 novembre 1993, Commission/Espagne (C-73/92, Rec. p. I-5997, point 19); voir également l'arrêt du 14 décembre 1971, Commission/France (7/71, Rec. p. 1003), où il est précisé que «la procédure en manquement d'État permet précisément de déterminer la portée exacte des obligations des États membres en cas de divergences d'interprétation» (points 49 à 51), conformément à ce qu'avait suggéré l'avocat général Roemer («le recours [en manquement] a une finalité purement objective; il faut
par conséquent déterminer la situation juridique et laisser de côté toute appréciation morale»; p. 1025; mis en relief par nos soins). En doctrine, voir parmi tous les auteurs, Simon, D., «Recours en constatation de manquement», dans Juris Classeur - Europe, fascicule 380, point 1, où on lit que ces «recours [sont] objectifs, fondés sur la nécessité d'assurer le respect d'un `ordre public communautaire'».
(64) - Arrêt du 31 mars 1977, Bozzone (87/76, Rec. p. 687, point 10; c'est nous qui soulignons). Dans la philosophie qui l'inspire, cet arrêt n'est pas isolé. La Cour tend à interpréter largement les dispositions du règlement, notamment l'article 13 (voir, par exemple, les arrêts Biason, points 12 à 16; du 12 janvier 1983, Coppola, (150/82, Rec. p. 43, point 11; Ten Holder, points 13 à 15; Giletti e.a., point 11; Commission/France, points 10 et 16). Rappelons que, dans l'arrêt Blottner (arrêt du 9
juin 1977, 109/76, Rec. p. 1141, points 9 à 13), la Cour, tout en constatant que la notion de «législation» visée à l'article 1er, sous j), du règlement désigne exclusivement les lois et règlements de sécurité sociale qui sont «existants ou futurs» a interprété cette disposition en ce sens que cela n'exclut pas «des dispositions qui, ayant été antérieurement en vigueur, avaient cessé de l'être au moment de l'adoption desdits règlements communautaires» car, s'il en était autrement, le but de
l'article 51 du traité, qui forme la base juridique du règlement «ne serait pas atteint». L'interprétation «large» retenue par la Cour est, à notre avis, d'autant plus significative à la lumière de la jurisprudence selon laquelle «le fait qu'une règle figure dans une loi qui échappe au champ d'application du règlement n'implique pas nécessairement que cette règle y échappe également» (arrêt Rheinhold & Mahla, point 22; voir également l'arrêt Jordens-Vosters, point 8).
(65) - Voir arrêt du 3 mai 1990, Kits van Heijningen (C-2/89, Rec. p. I-1755, point 12); voir également, entre autres, l'arrêt Luijten (point 12) et l'arrêt du 4 octobre 1991, De Paep (C-196/90, Rec. p. I-4815, point 18). Comme on le lit textuellement dans la jurisprudence de la Cour, celle-ci s'est inspirée du huitième considérant du règlement.
(66) - Arrêt Luijten, point 14; voir également, par exemple, les arrêts Kits van Heijningen, point 12, et De Paep, point 18.
(67) - Nous utilisons le terme «quelque» complication dans la mesure où la jurisprudence constante de la Cour a consacré le principe selon lequel même une entrave faible à une des libertés fondamentales est à considérer comme contraire au traité: sur la liberté de circulation des marchandises, voir les arrêts du 5 juin 1986, Commission/Italie (103/84, Rec. p. 1759, point 18), et du 5 avril 1984, Van de Haar et Kaveka de Meern (177/82 et 178/82, Rec. p. 1797, point 13); sur la liberté de circulation
des personnes, voir les arrêts du 28 janvier 1986, Commission/France, dit «Avoir fiscal» (270/83, Rec. p. 273, point 21), et du 31 mars 1993, Kraus (C-19/92, Rec. p. I-1663, point 32); sur la libre circulation des services, voir les arrêts du 25 juillet 1991, Säger (C-76/90, Rec. p. I-4221, point 12), et du 24 mars 1994, Schindler (C-275/92, Rec. p. I-1039, point 43); sur la libre circulation des capitaux, voir nos conclusions du 24 juin 1999 dans l'affaire Verkooijen (C-35/98, point 17), pendante
devant la Cour; sur les quatre libertés fondamentales, voir l'arrêt du 13 décembre 1989, Corsica Ferries France (C-49/89, Rec. p. 4441, point 8).
(68) - Par exemple, les dispositions des régimes spéciaux des travailleurs indépendants dont la création est laissée à l'initiative des intéressés.
(69) - Voir arrêt du 2 août 1993, Grana-Novoa (C-23/92, Rec. p. I-4505, point 16), où la Cour a exclu que soient couvertes par la notion de «législation» au sens de l'article 1er, sous j), du règlement les conventions internationales en matière de sécurité sociale dans la mesure où celles-ci «font l'objet de dispositions spécifiques du règlement», telles que l'article 6 qui fixe le principe selon lequel «[le règlement] se substitue à toute convention de sécurité liant soit exclusivement deux ou
plusieurs États membres ...» (point 17).
(70) - Arrêts De Jaeck, point 30, et Hervein et Hervillier, point 20.
(71) - Arrêt Jordens-Vosters, point 6; mis en relief par nos soins.
(72) - Voir arrêts Biason, point 9, et Giletti e.a., point 9.
(73) - Arrêt Rheinhold & Mahla, point 23; mis en relief par nos soins; dans le même sens, voir les conclusions de l'avocat général Gulmann, point 16.
(74) - Pour ce qui est de la CSG, rappelons comme corollaire de l'affirmation selon laquelle elle «concerne» la sécurité sociale française, que cet impôt est recouvré par des organismes et selon des modalités typiques du système de sécurité sociale. En outre, tout comme les cotisations ordinaires et à la différence de toutes les taxes ordinaires, elle est déductible, même si ce n'est que partiellement, du revenu brut imposable.
(75) - Voir arrêt AGF Belgium, points 25 à 28.
(76) - La question portant sur la nature sociale ou fiscale de la taxe en question avait été examinée par la Cour dans une autre partie de l'arrêt, qui concernait la première question préjudicielle. La Cour a jugé qu'il s'agissait d'une charge fiscale, car «les prélèvements en cause ne peuvent être assimilés aux cotisations qui sont dues par les personnes assujetties à un régime de sécurité sociale ou adhérentes d'un organisme social. Il ressort, en effet, des éléments contenus dans le jugement de
renvoi que ces suppléments de prime s'appliquent à tous les souscripteurs d'assurance automobile, y compris à ceux qui ne relèvent à aucun titre des organismes qui en sont bénéficiaires, lorsqu'ils sont donc dus indépendamment de la qualité d'assujetti ou d'adhérent à ces organismes» (point 16).
(77) - Il faut ajouter que le paiement de cotisations de sécurité sociale n'ouvre pas droit dans tous les États membres à des prestations déterminées [voir Williams, précité, p. 5 et 6, qui cite des exemples spécifiques tirés des systèmes de sécurité sociale britannique, irlandais et suédois, et ne partage pas la position de l'avocat général Léger quand il écrit, sous l'arrêt Asscher, «le versement des cotisations sociales relève d'un système d'assurances: il donne droit à des prestations
déterminées. En revanche, le paiement d'impôts, étranger à un mécanisme d'assurance, ne donne pas droit à des prestations en tant que telles» (point 82 des conclusions). Williams estime donc qu'une affirmation telle que celle de l'avocat général Léger - analogue en tous points à la thèse avancée actuellement par le gouvernement français - ne peut pas s'appliquer parfaitement aux régimes de sécurité sociale de la Communauté européenne dans son ensemble].
(78) - Notons que, comme la CSG, la CRDS comporte elle aussi, dans le fond, un aspect de solidarité dans la mesure où elle impose à chacun de contribuer en fonction de son propre revenu et indépendamment de la qualité et de la quantité des prestations reçues au cours des années qui ont vu s'accumuler le déficit d'exercices constaté, que la CRDS est destinée à combler.
(79) - La Cour, examinant les caractéristiques d'un régime de sécurité sociale s'inspirant du principe de la solidarité, en a relevé les aspects par lesquels les cotisations tendent à se fondre dans une catégorie générale comprenant également des versements qui ne présentent pas un véritable lien direct et proportionnel avec les prestations des ayants droit: «[cette] solidarité implique une redistribution du revenu entre les plus nantis et ceux qui, en l'absence d'un tel régime et compte tenu de
leurs moyens et conditions de santé, seraient privés de la couverture sociale nécessaire. Elle se traduit également par l'octroi de droits à pension sans contrepartie, de cotisations et de droits à pension non proportionnels aux cotisations versées ... [la] solidarité se manifeste entre les différents régimes de sécurité sociale, les régimes excédentaires participant au financement des régimes qui ont des difficultés structurelles» (arrêt Poucet et Pistre, points 10 à 12, mis en relief par nos
soins). Dans cette même affaire, l'avocat général Tesauro a observé que «[les] régimes [légaux de sécurité sociale] sont caractérisés, à la différence des régimes d'assurances privés, par l'absence de lien direct entre les cotisations et les prestations versées.» (point 9, in fine, des conclusions).
(80) - Arrêt du 5 mai 1977, Perenboom (102/76, Rec. p. 815, dispositif ainsi que points 13 et 14, souligné par nos soins).
(81) - Arrêt du 21 février 1991, Noij (C-140/88, Rec. p. 387, points 15 et 17, ainsi que dispositif). À titre incident, la Cour a fait entrer dans le champ d'application du règlement la situation des travailleurs qui ont définitivement cessé toute activité professionnelle nonobstant le fait que cela n'est prévu par aucune disposition du règlement (voir point 9). Compte tenu de l'objectif du règlement («contribuer à l'établissement d'une liberté de circulation des travailleurs migrants aussi complète
que possible»), la Cour a jugé contraire à cet objectif qu'un «travailleur puisse être privé d'une partie d'une pension reçue au titre de la législation d'un État membre, du simple fait qu'il est allé résider dans un autre État membre» (point 13).
(82) - Dans l'arrêt Kits van Heijningen, une considération tout à fait similaire a été jugée décisive pour retenir l'incompatibilité d'une mesure nationale avec l'article 13, paragraphe 2, sous a), du règlement (voir point 21).
(83) - Arrêt Masgio (point 16, souligné par nos soins); dans le même sens, voir l'arrêt du 25 février 1986, Spruyt (284/84, Rec. p. 685, points 18 et 19); voir également l'arrêt Noij, point 13.
(84) - Voir arrêts Spruyt, point 19; du 7 juillet 1988, Stanton (143/87, Rec. p. 3877, point 14); et Wolf e.a. (154/87 et 155/87, Rec. p. 3897, point 14); Masgio, points 16 et 17; du 4 octobre 1991, Paraschi (C-349/87, Rec. p. I-4501, point 22); du 5 octobre 1994, Van Munster (C-165/91, Rec. p. I-4661, point 27), et du 15 février 1996, Kemmler (C-53/95, Rec. p. I-703, point 11).
(85) - Terhoeve, point 35.
(86) - Voir articles 18 et 21 du modèle de convention fiscale de l'OCDE.
(87) - Selon la jurisprudence constante de la Cour (voir, par exemple, les arrêts du 16 décembre 1992, Lornoy e.a., C-17/91, Rec. p. I-6523; Claeys, C-114/91, Rec. p. I-6559; Demoor e.a., C-144/91 et C-145/91, Rec. p. I-6613; du 2 août 1993, Celbi, C-266/91, Rec. p. I-4337, et du 27 octobre 1993, Scharbatke, C-72/92, Rec. p. I-5509), «s'agissant d'une taxe qui frappe les produits nationaux et importés sur la base de critères identiques, il peut y avoir lieu ... de tenir compte de la destination du
produit de l'imposition. Ainsi, lorsque le produit d'une telle imposition est destiné à alimenter des activités qui profitent spécialement aux produits nationaux imposés, il peut en résulter que la contribution prélevée selon les mêmes critères constitue néanmoins une taxation discriminatoire, dans la mesure où la charge fiscale grevant les produits nationaux est neutralisée par des avantages qu'elle sert à financer, tandis que celle grevant les produits importés représente une charge nette» (arrêt
Claeys, point 16).