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24/03/1998 | CJUE | N°C-232/96

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Alber présentées le 24 mars 1998., République française contre Commission des Communautés européennes., 24/03/1998, C-232/96


Avis juridique important

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61996C0232

Conclusions de l'avocat général Alber présentées le 24 mars 1998. - République française contre Commission des Communautés européennes. - FEOGA - Apurement des comptes - Exercices 1992 et 1993 - Viande bovine - Céréales. - Affaire C-232/96.
Recueil de jurisprudence 199

8 page I-05699

Conclusions de l'avocat général

A - Introduction

1 La ...

Avis juridique important

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61996C0232

Conclusions de l'avocat général Alber présentées le 24 mars 1998. - République française contre Commission des Communautés européennes. - FEOGA - Apurement des comptes - Exercices 1992 et 1993 - Viande bovine - Céréales. - Affaire C-232/96.
Recueil de jurisprudence 1998 page I-05699

Conclusions de l'avocat général

A - Introduction

1 La présente affaire a pour objet des réductions forfaitaires des fonds du FEOGA (1) attaquées par la requérante. Ces réductions concernent, d'une part, des mesures d'intervention en faveur de la viande bovine et, d'autre part, des mesures d'intervention dans le cadre du stockage public des céréales. Il est préférable de traiter ces deux points séparément.

2 En ce qui concerne les mesures d'intervention dans le secteur de la viande bovine, la Commission, partie défenderesse, justifie cette réduction en indiquant que les autorités nationales ont accepté, dans le cadre des achats à l'intervention, des offres multiples (offres groupées ou associées), de nature illicite (2). Celles-ci pourraient présenter un caractère spéculatif. Elle souligne en effet que, lorsque de grandes quantités de viande bovine sont proposées à l'intervention, il devient
nécessaire de réduire ces quantités par application d'un coefficient (3). Les soumissionnaires restant cependant désireux de vendre la totalité de leur viande à l'organisme d'intervention, ils spéculent, indique la Commission, en déposant des offres surévaluées. Tablant sur la fixation d'un certain coefficient de réduction, le soumissionnaire offre une quantité d'autant supérieure à l'intervention. Qu'un coefficient inférieur à celui qu'avait prévu le soumissionnaire soit alors fixé et celui-ci doit
livrer à l'organisme d'intervention plus de viande qu'il n'en dispose réellement. S'il n'est pas en mesure de remplir le contrat passé avec l'organisme d'intervention à concurrence d'une proportion égale, selon le cas, à 85 ou à 95 %, il perd tout ou partie de la garantie constituée pour le montant total (4).

3 Que le soumissionnaire divise toutefois son offre initiale en plusieurs offres, proposées par l'intermédiaire d'hommes de paille, et le risque de perdre la garantie se réduit. S'il est incapable de livrer la totalité de la quantité proposée, il lui est tout au moins possible, dans l'hypothèse d'offres distinctes de faible volume, d'en exécuter certaines de façon suffisante pour ne pas perdre la garantie. Il est vrai que la garantie reste acquise pour les offres restantes, qu'il ne peut plus
exécuter; celle-ci n'est toutefois pas calculée sur le montant total des offres qu'il a faites, mais uniquement sur la base, plus réduite, de chacune de ces offres. Le montant de la garantie perdue est ainsi inférieur et généralement dépassé par le bénéfice réalisé.

4 Selon la Commission, il en ressort clairement que le dépôt de plusieurs offres favorise la spéculation, car l'effet du dépôt de garantie se réduit.

5 Elle estime que faire croire fallacieusement à l'existence de plus grandes quantités tout en spéculant est contraire à l'esprit de l'intervention. Cette dernière vise - lorsque les cours tombent en dessous d'un certain montant - à stabiliser le marché et à éviter ou à atténuer une baisse importante des prix, au moyen, par exemple, d'achats effectués par les organismes d'intervention (5). Elle précise que le règlement n_ 859/89 (6) a instauré un système d'achats par voie d'adjudications (7), dans
le cadre duquel les prix et les quantités sont fixés sur la base des offres reçues (8).

6 Les offres spéculatives, qui étaient favorisées - comme indiqué - par le dépôt d'offres multiples, ont empêché, selon la Commission, la mise en oeuvre réussie des mesures d'intervention. Une quantité de viande supérieure à celle réellement disponible sur le marché étant proposée, les prix et les quantités, qui sont fixés sur la base des offres reçues, ne pouvaient plus, souligne-t-elle, être déterminés en fonction des conditions du marché. Elle estime donc que les offres spéculatives l'ont
empêchée d'avoir une vision précise de la situation du marché. De ce fait, elle soutient qu'il faut considérer comme quasi certain que, sous l'effet de ces offres spéculatives et des offres «multiples» qui les favorisaient, les organismes d'intervention ont acheté des quantités supérieures de viande à des prix plus élevés. Elle souligne également la nécessité de tenir compte du fait que la remise de plusieurs offres permet aussi une spéculation sur le prix. En achetant des quantités excessives, le
FEOGA aurait exposé des frais supérieurs à ceux nécessaires au soutien du marché.

7 En ce qui concerne les mesures d'intervention dans le cadre du stockage public des céréales, la Commission justifie la réduction prévue dans ce domaine en indiquant qu'elle a constaté, lors de contrôles, des carences dans le stockage public de céréales.

B - Faits et dispositions légales

Mesures d'intervention en faveur de la viande bovine

8 La République française conclut sur ce point à l'annulation de la décision de la Commission de ne pas prendre en charge une somme de 76 041 440 FF au titre des dépenses engagées par la République française pour l'exercice 1992 dans le cadre des achats de viande bovine (9) (ci-après la «décision»). La non-reconnaissance de ces dépenses résulte de l'annexe I de la décision. Cette somme correspond à une correction forfaitaire de 2 % des dépenses pour 1992.

9 Dans son rapport de synthèse (10), la Commission justifie cette réduction en indiquant que le comportement de l'autorité française compétente n'était pas compatible avec les dispositions communautaires et qu'il avait opéré une discrimination à l'égard des opérateurs ayant respecté les règles.

10 Dans ce rapport, la Commission a également indiqué, au sujet des offres multiples, qu'il résultait des pièces que des offres présentées par diverses sociétés mentionnaient souvent la même adresse, les mêmes numéros de téléphone et de fax, et qu'elles avaient parfois été signées par la même personne. Elle a ajouté que les factures envoyées par ces différentes entreprises portaient des numéros consécutifs. La Commission en déduit que l'autorité française a dû, dès l'origine, avoir connaissance des
agissements des soumissionnaires. La République française n'a pourtant, indique-t-elle, effectué aucun contrôle à cet égard, alors même qu'elle y aurait été obligée.

11 La requérante estime en revanche que toutes les dispositions dans le cadre de l'intervention ont été respectées. Elle affirme que les autorités françaises ont adopté des dispositions nationales qui garantissaient le respect de la réglementation selon laquelle les participants à l'adjudication ne peuvent déposer qu'une seule offre par catégorie et adjudication.

12 La réglementation sur laquelle repose ce litige figure à l'article 9 du règlement n_ 859/89, qui, en son paragraphe 1, dispose: «Le soumissionnaire ne peut participer à l'adjudication que s'il s'engage par écrit à respecter l'ensemble des dispositions relatives aux achats en cause» (11).

13 Le paragraphe 2 énonce: «Les intéressés participent à l'adjudication auprès de l'organisme d'intervention des États membres où celle-ci est ouverte, soit par dépôt de l'offre écrite contre accusé de réception, soit par tout moyen de communication écrite avec accusé de réception accepté par l'organisme d'intervention; ils ne peuvent déposer qu'une seule offre par catégorie et adjudication» (12).

14 La distinction entre les notions de «soumissionnaire» et d'«intéressé» est ici d'importance selon la Commission. Le choix de termes différents indique, selon elle, que les intéressés ne sont pas assimilables aux soumissionnaires. La notion d'intéressés ne définirait pas seulement ceux qui sont effectivement intervenus et ont déposé une offre. Elle engloberait un groupe de personnes beaucoup plus large; l'interdiction de déposer plus d'une offre ne concernerait donc pas uniquement le seul
soumissionnaire - c'est-à-dire celui qui dépose effectivement une offre. Elle viserait au contraire tous ceux qui proposent la même quantité de viande.

15 La requérante estime par contre que les notions de soumissionnaire et d'intéressé visent la même personne. Le choix de deux notions différentes n'aurait eu pour seul motif que la volonté d'éviter la répétition du mot soumissionnaire.

16 Selon la requérante, des conditions spécifiques concernant la validité des offres ne découleraient que de l'article 11, paragraphe 3, du règlement (CEE) n_ 2456/93 de la Commission, du 1er septembre 1993, portant modalités d'application du règlement n_ 805/68 en ce qui concerne les mesures générales et des mesures spéciales d'intervention dans le secteur de la viande bovine (13), qui n'était pas encore en vigueur à l'époque des faits. Cette disposition prévoit:

«Chaque intéressé ne peut déposer qu'une seule offre par catégorie et adjudication.

Chaque État membre s'assure que les intéressés sont indépendants du point de vue de leur direction, de leur personnel et de leur fonctionnement.

Lorsque des indices sérieux indiquent que tel n'est pas le cas, ou qu'une offre ne correspond pas à la réalité économique, la recevabilité de cette offre est subordonnée à la présentation par le soumissionnaire de preuves appropriées du respect de la disposition du deuxième alinéa.

Lorsqu'il est établi qu'un intéressé a présenté plus d'une demande, toutes les demandes sont irrecevables.»

17 La requérante, qui, à l'inverse de la Commission, estime avoir parfaitement respecté l'article 9, paragraphe 2, deuxième phrase, du règlement n_ 859/89, a saisi l'organe de conciliation (14) en octobre 1995. Selon les déclarations de la requérante, cet organe a, dans sa conclusion provisoire figurant à l'annexe de son rapport final, exprimé l'avis suivant: il est vrai que les États membres n'ont pas pris l'initiative de lutter contre la pratique des offres multiples, qui - d'un point de vue
économique - émanent en fait d'un seul et même opérateur. Bien que les services de la Commission aient dû eux-mêmes en avoir connaissance, ils n'auraient pas réagi avant 1993. Dans ces conditions - toujours selon l'organe de conciliation -, et étant donné que cette pratique n'a apparemment causé aucun préjudice financier au Fonds, la correction de 2 % des dépenses totales est difficile à justifier.

18 A ce propos, la Commission souligne que, à la différence des autorités nationales, elle n'a pas eu immédiatement connaissance de ces informations. Les offres lui étant communiquées de façon anonyme, son attention n'aurait été attirée sur ces irrégularités que dans le cadre des contrôles qu'elle a effectués.

Mesures d'intervention dans le cadre du stockage public de céréales

19 A cet égard, la République française conclut à l'annulation de la décision de la Commission en tant qu'elle a rejeté 84 061 448 FF de dépenses éligibles au titre des mesures d'intervention dans le secteur des céréales. Ce montant correspond à 2 % des dépenses pour frais techniques, frais financiers et autres frais exposés durant l'exercice 1992. La Commission justifie cette réduction par des carences dans le stockage public de céréales.

20 A l'occasion d'un contrôle effectué au cours des mois de juin et de juillet 1993, la Commission a constaté des carences dans la gestion du système d'intervention. Elle en a informé les autorités françaises, tout en annonçant, selon les déclarations de la requérante, des conséquences financières lors de l'apurement des comptes 1993. Dans leur réponse de décembre 1993, les autorités françaises ont énuméré une liste de mesures qu'elles adopteraient afin d'améliorer le système de stockage public de
céréales.

21 Selon les déclarations de la requérante, la Commission a ensuite indiqué, à la lumière, en particulier, des améliorations qui devaient être apportées au système de gestion, qu'aucune sanction financière globale ne serait exigée. Elle a cependant confirmé - ce que ne conteste pas la requérante - que des corrections financières seraient appliquées s'il s'avérait que des produits stockés dans le cadre de l'intervention avaient été remplacés par des céréales du marché.

22 A l'occasion d'un nouveau contrôle, effectué en juin et en juillet 1994, la Commission a constaté que les autorités françaises n'avaient pas corrigé les carences qui avaient été établies lors du premier contrôle. Elle a informé les autorités que des corrections financières seraient décidées à partir de l'exercice 1992. A la suite d'un nouvel échange de lettres avec la Commission, la requérante a finalement saisi l'organe de conciliation. Selon les déclarations de la requérante, celui-ci est
parvenu à la conclusion, dans son rapport définitif, que la correction financière était justifiée. Il est certainement regrettable, relève-t-il, que les services de la Commission donnent le sentiment d'avoir modifié leur intention première. Mais il souligne que les autorités françaises ne contestent pas avoir dû modifier leur système antérieur pour se conformer aux exigences de la Commission.

Recours et conclusions en réponse

23 A la suite de la décision de la Commission, la République française a finalement saisi la Cour de justice des Communautés européennes d'un recours et conclu à ce qu'il plaise à celle-ci:

- déclarer la décision 96/311/CEE de la Commission (15) relative à l'apurement des comptes des États membres au titre des dépenses financées par le FEOGA, section «garantie», pour l'exercice financier 1992 ainsi que de certaines dépenses pour l'exercice 1993, nulle et non avenue, en tant que la Commission a rejeté, au titre de l'année 1992, pour la France:

- 76 041 440 FF de dépenses éligibles correspondant aux mesures d'intervention dans le secteur de la viande bovine en ce qui concerne la présentation des offres dans le cadre de la procédure d'adjudication;

- 86 061 448 FF de dépenses éligibles correspondant aux mesures d'intervention dans le cadre du stockage public des céréales;

- considérer à titre subsidiaire que le montant de ces corrections est disproportionné;

- condamner la défenderesse aux dépens.

24 La Commission a conclu à ce qu'il plaise à la Cour:

1) rejeter le recours,

2) condamner la République française aux dépens.

C - Analyse

Mesures d'intervention dans le secteur de la viande bovine

Effet utile de l'article 9, paragraphe 2, deuxième phrase, du règlement n_ 859/89

25 La requérante fait valoir, en premier lieu, que la Commission a mal interprété l'article 9, paragraphe 2, deuxième phrase. Cette disposition exige simplement, indique-t-elle, que toute personne physique ou morale intervenant devant l'autorité en qualité de soumissionnaire ne remette qu'une seule offre. Quant aux liens éventuels entre les différents soumissionnaires, qu'il pourrait être obligatoire de prendre en considération, le règlement n_ 859/89 n'en dirait rien. Selon elle, la validité des
offres n'est pas soumise à des conditions particulières. La requérante souligne que l'autorité nationale a vérifié si les différents soumissionnaires constituaient bien chaque fois des personnes morales immatriculées. Quant à savoir si les différentes entreprises ayant remis une offre appartenaient éventuellement au même groupe, ce point n'a pas fait l'objet de contrôles en France, précise la requérante, car il n'y en avait pas la nécessité.

26 Même s'il avait été procédé à un tel contrôle, le règlement n_ 859/89 n'aurait, selon la République française, offert aucune base légale pour rejeter ces offres associées.

27 Elle rappelle que, conformément à la jurisprudence de la Cour, il appartient aux États membres de prouver que les conditions d'obtention du financement sont remplies. Se référant au système de contrôle national, la requérante soutient qu'il peut être démontré que chaque soumissionnaire est une entreprise distincte et autonome. La Commission ne le contesterait d'ailleurs pas. Celle-ci considérerait toutefois ce point comme insuffisant en arguant qu'une intervention réussie aurait pour condition
nécessaire que les sociétés soient économiquement indépendantes les unes des autres.

28 La requérante estime que, dans un tel cas, la charge de la preuve repose sur la Commission. Cette dernière n'aurait pas montré que la pratique suivie en France a provoqué une perturbation de l'intervention.

29 Il ressort de la jurisprudence de la Cour que «seules sont financées par le FEOGA les restitutions accordées et les interventions entreprises selon les règles communautaires, dans le cadre de l'organisation commune des marchés agricoles...» (16). A cet égard, il appartient à la Commission de prouver l'existence d'une violation des règles de l'organisation commune des marchés agricoles (17).

30 La Cour a par ailleurs jugé, en ce qui concerne les exigences relatives au libellé des dispositions, que: «Une règle dont l'inobservation doit entraîner des conséquences financières devant être suffisamment claire et précise, la Commission ne pouvait se fonder sur les termes de la sous-position ... pour imposer, au moment de l'apurement des comptes du FEOGA, une interprétation que le sens habituel des mots employés n'imposait pas» (18).

31 Il convient donc d'apprécier si la formulation de l'article 9, paragraphe 2, deuxième phrase, du règlement n_ 859/89 satisfait à ces exigences, c'est-à-dire autorise une interprétation telle que celle à laquelle procède la Commission. A cet égard, il apparaît utile d'examiner préalablement la façon dont la Commission souhaite interpréter l'article 9, paragraphe 2, deuxième phrase. Les mémoires parlent le plus souvent d'«offres multiples». Il ne peut s'agir là d'offres déposées sous un nom par un
seul et même soumissionnaire. En effet, de telles offres ne sont pas non plus licites en France. Comme il ressort en outre des mémoires, la Commission ne condamne d'ailleurs pas toute forme de lien entre les différentes offres. Ainsi déclare-t-elle par exemple que, lorsqu'une personne exploite deux abattoirs indépendamment l'un de l'autre, chacun d'eux peut soumettre une offre. Comme l'a déclaré la Commission à l'audience, l'article 9, paragraphe 2, deuxième phrase, n'interdit, selon elle, que les
offres se rapportant à la même quantité de viande. Qu'un intéressé ne se borne pas à proposer lui-même sa viande, mais le fasse également par l'intermédiaire d'hommes de paille, voilà ce qu'interdisent les dispositions communautaires et qu'il appartient aux États membres de faire cesser.

32 La Commission souligne que, en vertu de la jurisprudence de la Cour, une disposition doit être interprétée non sur la seule base de son libellé, mais aussi en fonction de sa nature et des objectifs qu'elle poursuit (19). La Commission en déduit que la disposition litigieuse serait privée de son effet utile s'il était possible de présenter plusieurs offres par l'intermédiaire d'hommes de paille et de contourner ainsi l'interdiction.

33 La pratique suivie lors des achats à l'intervention en France compromet, selon la Commission, le régime d'intervention - ainsi qu'il a déjà été montré. L'achat de quantités plus importantes entraînerait des coûts supérieurs à ceux nécessaires au soutien du marché. En outre, l'égalité d'accès de tous les intéressés, qu'exige l'article 6, paragraphe 6, du règlement n_ 805/68, tel que modifié par le règlement n_ 571/89, ne serait pas assurée.

34 Selon elle, l'article 9, paragraphe 2, deuxième phrase, du règlement n_ 859/89 doit donc être interprété à la lumière de son effet utile, de telle manière qu'il n'y ait pas d'entrave possible aux mesures d'intervention. Les offres se rapportant à la même quantité de viande proviennent en réalité, souligne-t-elle, d'un seul soumissionnaire. Elle en déduit que de telles offres sont illicites.

35 Selon la Commission, l'examen du libellé conduit à une conclusion identique. On soulignera à cet égard que l'emploi de termes distincts aux paragraphes 1 et 2 de l'article 9 serait parfaitement susceptible d'indiquer une signification distincte. On pourrait en déduire qu'il ne suffit pas de contrôler si celui qui soumet effectivement l'offre n'en dépose qu'une seule, c'est-à-dire si c'est bien chaque fois une personne (morale) indépendante qui intervient. Par intéressé, on pourrait donc entendre
une personne qui est intéressée à vendre sa viande à l'intervention. Celle-ci ne doit pas nécessairement - comme on l'a vu - être identique au soumissionnaire, c'est-à-dire à celui qui dépose effectivement l'offre. Si, par exemple, la viande est proposée par l'intermédiaire d'hommes de paille, il y a un intéressé, mais plusieurs soumissionnaires. Si l'on examine toutefois la façon dont ces deux notions sont employées dans d'autres règlements relatifs aux mesures d'intervention dans le secteur de la
viande bovine, on constate que la distinction qui vient d'être exposée n'est pas toujours respectée. Ainsi le premier considérant du règlement (CEE) n_ 2271/90 (20), par exemple, précise-t-il qu'il y a lieu de prévoir «que le soumissionnaire ne peut déposer qu'une seule offre ... par catégorie et adjudication». Par ailleurs, la version allemande de l'article 11, paragraphe 3, du règlement n_ 2456/93, qui a remplacé l'article 9 du règlement n_ 859/89, utilise, dans le contexte de la soumission des
offres, d'une part, la notion d'intéressé et, d'autre part, celle de soumissionnaire (21).

36 La distinction faite à l'article 9 entre soumissionnaire et intéressé ne permet donc pas de tirer d'autres conclusions.

37 L'examen des règles ayant précédé celles qui sont ici litigieuses est, en revanche, plus riche d'enseignements. Ainsi la possibilité a-t-elle été instituée, en 1990, de soumettre plusieurs offres à différents prix. Le règlement (CEE) n_ 1282/90 (22) a modifié l'article 9, paragraphe 2, deuxième phrase, comme suit:

«Ils peuvent déposer plusieurs offres, à prix différents, par catégorie et adjudication.»

38 Ce règlement a cependant été de nouveau abrogé dès août 1990. Le règlement n_ 2271/90, qui a procédé à cette abrogation, soulignait en son premier considérant: «à la lumière de l'expérience acquise, il y a lieu ... de prévoir que le soumissionnaire ne peut déposer qu'une seule offre ... par catégorie et adjudication».

39 Selon la requérante, on ne peut pas tirer de conclusions de ces différentes versions. Elle précise que le règlement n_ 1282/90 avait pour objectif d'améliorer la réglementation existante et de permettre à un même soumissionnaire de déposer des offres distinctes à des prix différents. Elle ajoute que, depuis l'abrogation de ces dispositions, le règlement n_ 859/89 se borne simplement à prévoir qu'un même soumissionnaire ne peut déposer qu'une seule offre. Il n'y aurait pas d'autres conditions. Il
est cependant établi, depuis l'abrogation du règlement n_ 1282/90, que le soumissionnaire ne peut plus déposer plusieurs offres se rapportant à la même quantité de viande. L'effet utile de la disposition ici litigieuse, à savoir l'article 9, paragraphe 2, deuxième phrase, est donc en tout état de cause d'empêcher qu'une certaine quantité de viande soit offerte plusieurs fois. Cette réglementation perd tout son sens si elle peut être aisément contournée par l'intervention d'hommes de paille.

40 La requérante elle-même doit en avoir eu conscience en enregistrant les offres. D'une part, il est constant que toute règle perd son objet lorsqu'elle est contournée de telle sorte, par exemple, que la même viande est offerte par plusieurs personnes - comme il est ici allégué. D'autre part, la requérante avait elle-même connaissance de l'effet utile de l'intervention. Dans cette mesure, il ne doit pas lui avoir échappé qu'il était contraire à l'objectif de l'intervention que la viande disponible
sur le marché soit proposée plusieurs fois.

41 De surcroît, la Cour a jugé que, même dans les cas d'application objectivement erronée du droit communautaire, basée sur une interprétation adoptée de bonne foi par les autorités nationales, les articles 2 et 3 du règlement (CEE) n_ 729/70 (23) exigent que ces coûts soient à la charge des États membres (24). Cette interprétation stricte des conditions de prise en charge des dépenses par le FEOGA s'impose, selon la Cour, en raison de la finalité du règlement n_ 729/70. En effet, la gestion de la
politique agricole commune dans des conditions d'égalité entre les opérateurs économiques des États membres s'oppose à ce que les autorités nationales d'un État membre, par le biais d'une interprétation large d'une disposition déterminée, favorisent les opérateurs de cet État, au détriment de ceux des autres États membres où une interprétation plus stricte est maintenue (25).

42 La requérante souligne certes à bon droit que l'article 9, paragraphe 2, deuxième phrase, du règlement n_ 859/89 ne contient aucune disposition tendant à définir les différents soumissionnaires et à régir l'organisation de leurs relations réciproques. Ce n'est toutefois pas indispensable. Il résulte de l'effet utile de l'article 9, paragraphe 2, deuxième phrase, qu'il est interdit de proposer de la viande par l'intermédiaire d'hommes de paille. La requérante ne saurait se satisfaire d'indiquer
que le libellé de l'article 9 ne l'oblige pas à contrôler les éventuels liens entre différents soumissionnaires. Ce dernier point ne concerne que la question de savoir comment le respect d'une interdiction, telle que celle de l'article 9, paragraphe 2, deuxième phrase, peut être contrôlé.

43 Il convient donc d'approuver la Commission lorsqu'elle soutient que l'article 9, paragraphe 2, deuxième phrase, interdit également les offres qui, bien qu'émanant de personnes morales différentes, concernent pourtant la même viande, de sorte que l'on peut considérer qu'elles ont été déposées par des hommes de paille.

44 Contrairement à l'argumentation de la requérante, il existe donc une base pour refuser de telles offres, à savoir l'article 9, paragraphe 2, deuxième phrase.

Obligation de contrôle de l'État membre

45 La Commission justifie la réduction à laquelle il a été procédé dans le cadre de l'apurement des comptes par le fait que la requérante n'a pas veillé au respect de cette réglementation.

46 Il est établi que le contrôle des offres en France s'est limité à la question de savoir si elles émanaient de personnes morales distinctes. Il n'a pas été procédé à des contrôles plus approfondis. Il convient donc maintenant d'examiner si ces faits constituent une raison suffisante pour admettre le non-respect d'une réglementation communautaire par la requérante, car la Commission n'a cité aucun exemple concret d'offres effectivement remises par des hommes de paille.

47 La Commission ne peut toutefois apporter une telle preuve, car la requérante n'a effectué aucun contrôle à cet égard. Les vérifications ont simplement porté sur le point de savoir si les offres émanaient bien de personnes (morales) distinctes. La Commission ne disposait donc d'aucune information pour apprécier précisément la situation. La Commission peut certes procéder elle-même à des contrôles, mais, selon la jurisprudence de la Cour, la gestion du financement du FEOGA repose principalement sur
les administrations nationales chargées de veiller à la stricte observation des règles communautaires. La Cour a ajouté: «ce régime, établi sur la confiance, ne comporte aucun contrôle systématique de la part de la Commission, que celle-ci serait d'ailleurs matériellement dans l'impossibilité d'assurer ... En effet, seul l'État membre est en mesure de connaître et de déterminer avec précision les données nécessaires à l'élaboration des comptes du FEOGA, la Commission ne jouissant pas de la proximité
nécessaire pour obtenir les renseignements dont elle a besoin auprès des agents économiques» (26).

48 La Commission dépendant donc, dans le cadre de l'apurement des comptes du FEOGA, des informations recueillies par les États membres, il lui est ici impossible de produire un exemple concret de violation commise lors des adjudications. Elle peut - et doit - simplement prouver que la requérante n'a pas contrôlé l'ensemble des conditions nécessaires au respect de la disposition en cause. La Commission a apporté cette preuve, et d'autant que la requérante elle-même ne conteste pas qu'il est
impossible d'empêcher, même en cas d'immatriculation des entreprises, que des personnes juridiquement distinctes puissent déposer des offres associées grâce aux liens économiques existant entre elles.

49 En examinant la question de savoir si ces éléments suffisent à démontrer que la requérante a enfreint le droit communautaire, il convient également de vérifier si la requérante avait l'obligation d'effectuer un contrôle plus poussé. On renverra ici au règlement n_ 729/70. Il est entre autres indiqué, dans les considérants de ce règlement, «que des mesures doivent être prises pour prévenir ... toutes irrégularités...» (27). Le huitième considérant précise «que les dépenses de la Communauté doivent
faire l'objet de contrôles approfondis; que, en complément des contrôles que les États membres effectuent de leur propre initiative et qui demeurent essentiels, il y a lieu de prévoir des vérifications par des agents de la Commission ainsi que la faculté pour celle-ci de faire appel aux États membres».

50 L'article 8 du règlement, qui répond à ces considérations, dispose en son paragraphe 1:

«Les États membres prennent, conformément aux dispositions législatives, réglementaires et administratives nationales, les mesures nécessaires pour:

- s'assurer de la réalité et de la régularité des opérations financées par le Fonds,

- prévenir et poursuivre les irrégularités,

- récupérer les sommes perdues à la suite d'irrégularités ou de négligences.

...»

51 En vertu de la jurisprudence de la Cour, il appartient aux autorités nationales de veiller au strict respect des dispositions communautaires (28). C'est dans son arrêt Exportslachterijen van Oordegem que la Cour a précisé la portée que revêtait cette obligation des États membres dans le cadre du financement du FEOGA. Elle y indique, à propos de l'article 8, paragraphe 1, du règlement n_ 729/70:

«Cette disposition, qui constitue, dans ce domaine particulier, une expression des obligations imposées aux États membres par l'article 5 du traité, définit, selon la jurisprudence de la Cour, les principes selon lesquels la Communauté et les États membres doivent organiser la mise en oeuvre des décisions communautaires d'intervention agricole financées par le FEOGA ainsi que la lutte contre la fraude et les irrégularités en rapport avec ces opérations (voir arrêt BayWa, précité, point 13).

Ainsi cet article impose-t-il aux États membres l'obligation générale de prendre les mesures nécessaires pour s'assurer de la réalité et de la régularité des opérations financées par le FEOGA, même si l'acte communautaire spécifique ne prévoit pas expressément l'adoption de telle ou telle mesure de contrôle (voir arrêt du 12 juin 1990, Allemagne/Commission, C-8/88, Rec. p. I-2321, points 16 et 17)» (29).

52 Il en résulte que les États membres peuvent être soumis à une obligation de contrôle même si une telle obligation n'est pas expressément prévue par la réglementation en cause.

53 Se pose donc la question de savoir si la requérante était obligée, dans le cas concret de la présente espèce, de procéder à des contrôles plus poussés; autrement dit, aurait-elle dû ou pu faire plus, et, si oui, quoi?

54 Ainsi que l'a exposé la Commission, le désavantage que subit le Fonds vient du fait que la remise de plusieurs offres par un intéressé, utilisant le canal d'hommes de paille, favorise le dépôt d'offres spéculatives. Si toutefois on examine le comportement de la Commission à l'encontre d'offres spéculatives en soi, on peut se demander si la requérante était obligée de prendre des mesures plus approfondies.

55 Afin d'empêcher les offres spéculatives consistant, dans l'attente de la fixation d'un certain coefficient de réduction, à proposer une plus grande quantité de viande que celle existant réellement, l'article 10, paragraphe 1, a institué une garantie (30), qui doit «assurer le sérieux des offres et le respect des conditions prévues» (31). Autrement dit, les États membres sont simplement tenus, à cet égard, de veiller au dépôt de la somme correspondant au montant de la garantie. Il ne leur est pas
imposé de contrôler si le soumissionnaire a offert une quantité de viande supérieure à celle dont il dispose.

56 En l'espèce, toutefois, il s'agissait d'une réglementation supplémentaire qui devait être respectée et non contournée: un intéressé souhaitant vendre sa viande à l'intervention ne devait pas déposer plusieurs offres. L'esprit de l'intervention l'exigeait. Certes, l'idée ne s'est concrétisée qu'ultérieurement, dans le règlement n_ 2456/93 (32). Mais cela n'enlève rien au fait qu'elle aurait déjà dû - dans son esprit - être connue antérieurement.

57 Il convient donc de maintenir que la requérante aurait dû procéder à des contrôles plus approfondis afin de constater si les offres déposées émanaient bien d'un seul et même soumissionnaire. Cette obligation s'imposait a fortiori au regard des indices clairs, déjà mentionnés, qui signalaient l'existence de liens entre les différents soumissionnaires. Même si l'on ne pouvait pas en conclure avec certitude qu'il y avait eu violation de l'article 9, paragraphe 2, deuxième phrase, du règlement n_
859/89, les indices étaient cependant tels qu'un contrôle plus précis pouvait et devait apparaître nécessaire, et c'est la seule chose qui importait.

58 La requérante a soutenu qu'un tel contrôle ne pouvait être effectué au motif que les dates d'abattage étaient postérieures au dépôt de l'offre. Elle estime donc qu'il était impossible de déterminer où se trouvait la viande faisant l'objet des offres, puisque celle-ci n'existait pas encore sous forme de viande. Elle était encore sur les prés. On objectera à cet argument que ce n'était pas là l'unique façon de vérifier si l'offre émanait ou non d'un homme de paille. On pouvait également contrôler,
par exemple, la nature des liens unissant les différents soumissionnaires et si chacun d'entre eux était bien en mesure de proposer une viande qui lui était propre. Ainsi le règlement n_ 2456/93 prévoit-il que les États membres s'assurent que les intéressés sont indépendants du point de vue de leur direction, de leur personnel et de leur fonctionnement (33). Un tel contrôle aurait pu être également effectué avant l'entrée en vigueur du règlement de 1993. Ainsi qu'il a été montré, l'obligation
générale de contrôle qui pèse sur les États membres peut entraîner l'obligation et la possibilité d'effectuer un contrôle concret même si les modalités de ce contrôle ne sont pas expressément prévues dans la réglementation correspondante. Cette obligation découlait ici de l'esprit de l'intervention, bien avant le règlement n_ 2456/93. L'important, à cet égard, est que l'État membre s'assure que les quantités de viande proposées sont bien distinctes. Quant aux modalités de ces contrôles, il est libre
de les déterminer. Il n'est pas nécessaire que la Commission adopte une réglementation expresse à cette fin. C'est pourquoi on ne saurait davantage considérer que - comme le prétend la requérante - la Commission entend faire une application rétroactive du règlement n_ 2456/93 aux présents faits.

59 Il y a donc lieu de maintenir que la requérante aurait dû procéder à un contrôle plus approfondi, mais qu'elle s'en est abstenue.

Démonstration d'un préjudice subi par le FEOGA - Charge de la preuve

60 Il nous faut maintenant examiner si les faits justifient une réduction dans le cadre de l'apurement des comptes, tel que l'a effectué la Commission. Soutenant que le Fonds n'a subi aucun préjudice, la requérante estime cette réduction injustifiée.

61 Il convient, pour répondre à cette question, de se référer à la jurisprudence de la Cour sur la démonstration du préjudice et la charge de la preuve dans le cadre de l'apurement des comptes du FEOGA. Ainsi la Cour a-t-elle déclaré que seules sont financées par le FEOGA les restitutions accordées et les interventions entreprises selon les règles communautaires, dans le cadre de l'organisation commune des marchés agricoles (34). Enfin - ajoute la Cour -, lorsque la Commission refuse de mettre à la
charge du FEOGA certaines dépenses, au motif qu'elles ont été provoquées par des infractions à la réglementation communautaire imputables à un État membre, il appartient à cet État de démontrer que les conditions sont réunies pour obtenir le financement refusé par la Commission (35).

62 La question qui se pose à cet égard est celle des exigences auxquelles est soumis l'exposé de la Commission en ce qui concerne la naissance d'un préjudice financier. Selon la jurisprudence de la Cour, dans l'hypothèse où il se révélerait impossible d'établir avec certitude la mesure dans laquelle une mesure nationale incompatible avec le droit communautaire a provoqué une augmentation des dépenses figurant sur un poste budgétaire du FEOGA, la Commission n'a «d'autre choix» que de refuser le
financement de la totalité des dépenses en question, autrement dit, non pas à hauteur d'un certain pourcentage (36).

63 Ce pourrait être le cas en l'espèce, car il était impossible à la Commission, en l'absence des contrôles nécessaires, d'établir la mesure dans laquelle le comportement de la requérante a causé un préjudice au FEOGA. On ne peut ici que formuler des considérations hypothétiques sur les coûts qui eussent été évités si la requérante avait procédé à des contrôles réguliers.

64 D'autre part, dans un cas où la Commission avait mis en doute l'exactitude des chiffres communiqués par l'État membre, la Cour a déclaré: «En effet, la Commission est tenue non pas de démontrer d'une façon exhaustive l'irrégularité des données transmises par les États membres, mais de présenter un élément de preuve du doute sérieux et raisonnable qu'elle éprouve à l'égard des chiffres communiqués par les administrations nationales. Cet allégement de l'exigence de la preuve pour la Commission
s'explique par le fait que ... c'est l'État qui est le mieux placé pour recueillir et vérifier les données nécessaires à l'apurement des comptes du FEOGA, et auquel il incombe, en conséquence, de présenter la preuve la plus détaillée et complète de la réalité de ses chiffres et, le cas échéant, de l'inexactitude des calculs de la Commission» (37).

65 Cette affaire n'est certes pas directement comparable avec la présente espèce, car la Commission ne fait pas grief à la requérante d'avoir communiqué des chiffres faux. La vérité est que les chiffres auraient pu être différents si la requérante avait effectué des contrôles suffisants. Ici non plus, cependant, la Commission ne s'est pas bornée à exposer que le FEOGA avait subi un préjudice. Au contraire, elle a montré que la requérante avait enfreint le droit communautaire et précisé les formes
qu'avait revêtues cette violation. Elle a en outre précisé la façon dont cette violation pourrait avoir favorisé une spéculation de la part des soumissionnaires. Enfin, elle a expliqué que ce comportement pourrait avoir provoqué une appréciation erronée du marché et donc l'achat de quantités excessives de viande bovine, éventuellement à des prix plus élevés. Elle a donc en tout état de cause apporté un élément de preuve du préjudice que le FEOGA avait pu subir.

66 On ne saurait imposer à la Commission une obligation plus lourde en matière de preuve, car les motifs susmentionnés qui commandent l'allégement de la charge de la preuve sont également constitués en l'espèce. On ne peut pas non plus exclure avec certitude que le comportement de la requérante ait compromis le fonctionnement de l'organisation commune de marché.

67 Il appartient donc à la requérante - ainsi qu'il ressort de l'arrêt cité au point 61 - de démontrer que le comportement dont il lui est fait grief n'a pas provoqué une augmentation des dépenses dans le cadre du FEOGA. La requérante soutient que la réduction de 2 % ne peut être justifiée par le fait que les achats à l'intervention auraient donné lieu à une spéculation sur les prix. Elle indique que les offres multiples n'ont pas déclenché une spirale des prix à la baisse lors des achats à
l'intervention. Ce n'est toutefois pas ce qu'affirme la Commission. Elle a au contraire exposé que, du fait des spéculations, la viande avait été achetée par l'organisme d'intervention à des prix plus élevés que nécessaire.

68 La requérante fait en outre valoir que le risque pris lors de spéculations est toujours élevé et qu'il n'est pas lié au dépôt d'offres multiples. Elle relève que la garantie à verser pour une certaine quantité de viande est toujours identique, qu'une ou plusieurs offres aient été déposées. Cela n'est pas contestable. Ce dont la requérante ne tient pas compte, toutefois, c'est que le montant de la garantie restant acquise est susceptible de se réduire dans l'hypothèse d'offres multiples - ainsi
qu'il a été montré ci-dessus.

69 La requérante soutient encore que la Commission n'a pas montré que le Fonds avait été exposé à un risque véritable. Elle n'aurait présenté que des considérations hypothétiques et théoriques. Mais, comme on l'a vu, la Commission ne pouvait et ne devait pas faire plus.

70 La requérante précise que les prix communiqués à la Commission ne présentaient pas non plus un caractère excessif. Les offres étaient au contraire, selon elle, contenues dans une large fourchette entre le prix du marché et le prix maximal fixé par la Commission. Elle en déduit que la Commission était tout à fait en mesure d'apprécier la situation du marché. Si cela n'avait pas été le cas, les achats à l'intervention auraient dû provoquer une hausse du prix du marché. Or, indique-t-elle, cela ne
s'est pas produit.

71 Comme l'expose à bon droit la Commission, l'intervention a pour mission de soutenir le marché. Dans cette mesure, il n'est pas sûr que ses effets puissent être de nature telle qu'ils soient susceptibles de provoquer une pareille montée des cours - même en cas d'achat accru. De surcroît, la requérante ne se réfère ici qu'à la question du prix d'achat. Il est au moins aussi important, sinon même plus significatif, de savoir si une quantité de viande supérieure à celle nécessaire au soutien du
marché a été achetée. Indépendamment du prix, les offres multiples peuvent à cet égard conduire à une appréciation erronée.

72 On ne saurait davantage suivre la requérante lorsqu'elle prétend que la Commission pouvait contrôler les prix d'achat et quantités acquises en fixant un coefficient de réduction. La Commission a certes cette possibilité. Mais le coefficient de réduction est lui-même fonction de la quantité de viande proposée. A cet égard, il n'est pas de nature à empêcher une appréciation erronée, mais peut éventuellement en constituer l'expression.

73 La requérante n'a donc pas été en mesure de démontrer que le dépôt d'offres multiples ne conduisait pas à un risque accru pour le Fonds. A ce propos, il convient également de souligner que la requérante a même déclaré à l'audience que le risque de perte de la garantie est plus réduit en cas d'offres multiples.

74 La Commission ayant ainsi au moins apporté un élément de preuve de ce que le comportement de la requérante pouvait avoir causé un préjudice au FEOGA, il appartient à la requérante de démontrer qu'il n'en est pas allé de la sorte.

75 Une répartition de la charge de la preuve telle que celle retenue en l'espèce apparaît également appropriée au vu d'autres arrêts de la Cour en matière d'apurement des comptes. Ainsi la Cour a-t-elle jugé que, dans les cas où la réglementation communautaire n'autorisait le paiement d'une aide qu'à la condition que certaines formalités de preuve ou de contrôle aient été observées, une aide versée en méconnaissance de cette condition n'était pas conforme au droit communautaire. Le paiement y
afférent ne saurait être mis à la charge du FEOGA, même s'il est établi qu'aucune irrégularité matérielle n'a été commise (38).

76 De même la Cour a-t-elle déclaré, à propos du respect de formalités: «Il suffit de constater que, compte tenu du caractère essentiel des formalités qui n'étaient pas respectées, de l'impossibilité de contrôler le respect du délai dans lequel les produits devaient être exportés et, dès lors, de la probabilité de pertes ou même de fraudes au détriment du budget communautaire, le montant non reconnu par la Commission, limité à 2 % des dépenses concernées, ne peut être considéré comme excessif et
disproportionné» (39). Il en résulte que la simple probabilité de pertes peut elle-même servir de critère d'appréciation. Une telle probabilité est également constituée en l'espèce au regard des indices susmentionnés et des contrôles non effectués.

77 Il ne reste donc qu'à se demander si l'exposé de la requérante est de nature à démontrer que le FEOGA n'a subi aucun préjudice.

78 La requérante précise par ailleurs que les garanties déclarées acquises pendant la période indiquée n'ont concerné qu'un nombre de cas tout à fait restreint. Elle en déduit que les offres n'ont pas pu donner lieu à une importante spéculation. Selon la Commission, cet élément montre justement le succès avec lequel la pratique des offres multiples réduit le risque pour le soumissionnaire individuel.

79 On ne saurait tout à fait se rallier à cette thèse. Ainsi que l'expose la Commission, la pratique des offres dites multiples permet au soumissionnaire de spéculer au moyen de plusieurs offres, la perte liée à une spéculation erronée s'en trouvant diminuée, puisque la garantie est moins élevée lorsque la quantité est plus faible.

80 Ainsi, même selon les déclarations de la Commission, la pratique des offres dites multiples ne conduit pas nécessairement à une diminution des cas dans lesquels la garantie demeure acquise. D'un autre côté, cependant, le fait que la garantie n'ait été conservée que dans un nombre tout à fait restreint de cas n'a pas nécessairement pour conséquence que la quantité de viande vendue à l'intervention n'était pas plus élevée que nécessaire. Ceux des soumissionnaires qui avaient déposé une offre
excessive et tablé sur la fixation d'un coefficient de réduction supérieur pouvaient aussi éviter une perte de la garantie en achetant la quantité de viande manquante sur le marché. Cette pratique n'est elle-même certes pas conforme à l'esprit du régime d'intervention, mais est bel et bien suivie, comme il ressort des déclarations des parties. Ainsi, aux termes de l'article 12, paragraphe 1, du règlement n_ 859/89, une offre est refusée si le prix proposé est supérieur au prix maximal valable pour
l'adjudication concernée. Un soumissionnaire ayant proposé plus de viande qu'il n'en dispose pourrait donc acheter une quantité de viande refusée pour ce motif. La Commission y voit en outre une violation de l'article 12, paragraphe 2, du règlement n_ 859/89, qui dispose que les droits et obligations découlant de l'adjudication ne sont pas transmissibles.

81 Les déclarations de la requérante selon lesquelles les prix n'ont varié que de quelques francs lors des prétendues offres multiples ne sont pas non plus de nature à réfuter la thèse de l'existence de spéculations et d'un éventuel préjudice pour le FEOGA. La spéculation par l'indication de prix différents ne constitue que l'un des aspects critiqués par la Commission. C'est toutefois bel et bien surtout sous forme d'offres surévaluées qu'intervient la spéculation. Le fait qu'une telle spéculation
ne peut être exclue et qu'elle conduit éventuellement à un préjudice pour le Fonds ne saurait donc être infirmé par l'exposé de la requérante.

82 Il est ainsi établi que la requérante n'a pas été en mesure de réfuter les considérations de la Commission au sujet d'un préjudice financier subi par le FEOGA.

Possibilité d'un calcul forfaitaire du préjudice financier

83 La requérante conteste toutefois en outre le calcul forfaitaire qu'a fait la Commission du préjudice financier. Du fait de l'absence de relation avec un préjudice, il s'agirait ici d'une sanction.

84 A ce propos, il convient de relever que la requérante part à tort de l'hypothèse qu'il n'est ici possible de constater aucune relation avec un préjudice. Comme on l'a montré ci-dessus (40), on ne saurait exclure que le FEOGA ait subi un préjudice. Il suffit par ailleurs de renvoyer à la jurisprudence de la Cour qui évoque les cas où la Commission, au lieu de rejeter la totalité des dépenses concernées par l'infraction, s'efforce d'établir l'impact financier de l'action illégale au moyen de
calculs. Ceux-ci reposent sur l'appréciation de la situation qui se serait produite sur le marché en cause en l'absence d'infraction. Dans de tels cas - toujours selon la Cour -, il appartient à l'État membre de démontrer que les conditions sont réunies pour obtenir le financement refusé par la Commission (41). Il incombe donc ici également à la requérante de démontrer que l'appréciation effectuée par la Commission est erronée. Ainsi que nous l'avons montré, elle n'a pas été en mesure d'apporter
cette preuve.

Lignes directrices de la Commission (rapport du groupe Belle)

85 La requérante fait enfin valoir, à titre subsidiaire, que la réduction de 2 % est disproportionnée, car le Fonds n'était, selon elle, exposé à aucun risque de perte. On ne saurait la suivre sur ce point, puisqu'il existait bel et bien un risque financier pour le Fonds - ainsi qu'on l'a montré.

86 La requérante soutient en outre que la réduction est aussi disproportionnée par rapport aux autres États membres. La Commission aurait elle-même ainsi souligné que les violations étaient moins graves dans le cas de la République française que dans celui d'autres États membres. Elle n'en aurait pas moins prévu une réduction de 2 % pour tous les États membres, quoique, dans certains cas, pour deux ans, alors que celle appliquée à la République française se limite simplement à 1992. Dans ces
conditions, aucune correction n'aurait dû être retenue, d'autant que le risque de perte pour le Fonds était minime.

87 La Commission renvoie ici à bon droit à la jurisprudence de la Cour, en vertu de laquelle la prise en charge des dépenses peut être refusée à 100 % lorsqu'il n'est pas possible de quantifier précisément l'incidence financière d'une mesure contraire au droit communautaire (42).

88 Pour le cas d'une régulation forfaitaire, la Commission a adopté des lignes directrices sur proposition d'un groupe interservices (rapport du groupe Belle). Ces lignes directrices proposent de réduire le calcul forfaitaire à trois taux possibles:

- 2 %, si la carence se limite à certains éléments du système de contrôle de moindre importance ou à l'exécution de contrôles qui ne sont pas essentiels pour garantir la régularité de la dépense, de sorte qu'il peut raisonnablement être conclu que le risque de pertes pour le FEOGA était mineur;

- 5 %, si la carence concerne des éléments importants du système de contrôle ou l'exécution de contrôles qui jouent un rôle important pour la détermination de la régularité de la dépense, de sorte qu'il peut être raisonnablement conclu que le risque de pertes pour le FEOGA était significatif;

- 10 %, si la carence concerne l'ensemble ou les éléments fondamentaux du système de contrôle ou encore l'exécution de contrôles essentiels destinés à garantir la régularité de la dépense, de sorte que l'on peut raisonnablement conclure qu'il existait un risque élevé de pertes généralisées pour le FEOGA.

89 Les lignes directrices prévoient aussi de n'effectuer aucune correction lors de carences mineures dans les contrôles pour lesquels le risque de pertes est considéré comme minime. Cette dernière règle s'applique en particulier dans les cas où les autorités nationales ont pris des mesures efficaces pour remédier aux carences dès que celles-ci ont été décelées, ainsi que dans les cas où les carences proviennent de difficultés d'interprétation des textes communautaires.

90 Quand bien même on pourrait considérer que les carences dans le système de contrôle sont imputables à des difficultés d'interprétation de l'article 9, paragraphe 2, deuxième phrase, du règlement n_ 859/89, il n'en faudrait pas moins souligner que la condition mentionnée dans ces lignes directrices en ce qui concerne le caractère (simplement) mineur des carences de contrôle n'est pas ici remplie. Il n'y a pas de carences mineures dans le système de contrôle; au contraire, il n'y a eu aucun
contrôle en vue de déterminer si une seule et même quantité de viande avait été proposée plusieurs fois par l'intermédiaire d'hommes de paille. Dans ces conditions, et eu égard au risque financier en résultant, le taux de correction de 2 % choisi par la Commission apparaît proportionné et approprié.

91 La requérante expose en outre que la Commission n'aurait pas dû étendre la correction de 2 % au poste du budget relatif à la dépréciation. Elle estime que le non-respect de certaines conditions de présentation des offres ne produit aucun effet sur les conditions de stockage. Une telle correction serait sans rapport avec le risque financier encouru par le Fonds.

92 La Commission expose à cet égard que le coût de la dépréciation est lié d'une façon directe à la valeur des quantités achetées, et ce dans une proportion de 50 à 55 %. On ne verrait donc pas comment dissocier les pertes dues à la dépréciation d'autres postes pertinents. Il convient de l'approuver. Plus les quantités de viande achetées à l'intervention sont importantes - à la suite, éventuellement, d'offres surévaluées - et plus les pertes liées à leur dépréciation sont élevées.

93 La requérante n'a donc pas pu démontrer le caractère erroné des appréciations de la Commission au sujet de la correction financière à appliquer dans l'apurement des comptes.

94 Il convient donc de conclure que les objections soulevées par la requérante à l'encontre de la décision de la Commission n'emportent pas la conviction.

Mesures d'intervention dans le cadre du stockage public de céréales

95 La requérante attaque à cet égard la décision de la Commission sous trois angles. En premier lieu, elle fait valoir que les mesures adoptées par les autorités françaises dans le domaine des mesures d'intervention pour les céréales étaient suffisantes. La Commission estime en revanche que le Fonds a été exposé à d'importants risques financiers du fait de carences dans le système de contrôle.

96 Au soutien de son affirmation, la requérante fait valoir que certaines des mesures exigées par la Commission ne sont pas prévues par les réglementations communautaires en vigueur.

97 Il convient à cet égard de renvoyer à l'article 6 du règlement (CEE) n_ 689/92 de la Commission, du 19 mars 1992, fixant les procédures de prise en charge des céréales par les organismes d'intervention (43). Il dispose: «Les organismes d'intervention arrêtent en tant que de besoin, des procédures et conditions de prise en charge complémentaires, compatibles avec les dispositions du présent règlement, pour tenir compte des conditions particulières existant dans l'État membre dont ils relèvent...».

98 Indépendamment de ce qui précède, il appartient toutefois aux États membres - ainsi qu'on l'a déjà vu - de procéder aux contrôles nécessaires dans le cadre du FEOGA, même si ceux-ci ne sont pas expressément prévus par les dispositions concernées.

99 La requérante expose en outre que les mesures qu'elle avait prévues étaient suffisantes et que les contrôles ont été effectués dans les règles. Il est douteux que ces affirmations soient suffisantes pour réfuter la thèse de la Commission.

100 C'est d'autant plus vrai que - comme l'expose elle-même la requérante - les autorités françaises ne contestent pas, selon les déclarations de l'office de conciliation, avoir dû modifier leur système initial afin de se conformer aux exigences de la Commission. Les améliorations annoncées n'ont cependant été mises en oeuvre, selon la requérante, qu'en 1993.

101 En vertu de jurisprudence de la Cour, la Commission est certes obligée de justifier chaque fois sa décision constatant l'absence ou les défaillances des contrôles mis en oeuvre (44). Dans l'affaire citée, la Commission avait entre autres indiqué que les autorités compétentes n'avaient pas été en mesure de fournir des renseignements sur l'intensité des contrôles sur place et sur le système de communication entre les autorités de surveillance et les agents locaux d'exécution. Elles n'avaient pas
davantage été en mesure de s'expliquer sur le défaut d'établissement d'un rapport écrit. Ces éléments suffisaient à justifier les griefs de la Commission. Il aurait alors appartenu à la requérante de prouver l'inexactitude des constatations de la Commission. La requérante ne pouvait à cet égard - toujours selon la Cour - se borner à soutenir que des contrôles administratifs avaient, en réalité, eu lieu ainsi que des contrôles sur place, sans toutefois produire le moindre élément de preuve. Celle-ci
n'ayant donc pas pu démontrer que des contrôles avaient été effectués, ces constatations constituaient des éléments susceptibles de faire naître des doutes sérieux quant à la mise en place d'un ensemble adéquat et efficace de mesures de surveillance et de contrôle (45).

102 Là encore, la requérante n'a, sur le fond, énoncé que de pures affirmations. Ce ne saurait être suffisant si l'on considère que la Commission a constaté que des céréales qui devaient être stockées sous des régimes différents ont été mélangées ou substituées les unes aux autres. Cette allégation n'a pas été contestée par la requérante. Elle s'est bornée à souligner qu'il ne s'était pas agi de céréales devant être stockées dans le cadre des mesures d'intervention. Ce point mis à part, il est
permis d'en conclure, comme l'expose à bon droit la Commission, que l'efficacité du système de contrôle devait être mise en doute et que le risque existait que des céréales stockées sous différents régimes ne soient pas séparées distinctement les unes des autres.

103 La requérante n'a donc pas pu démontrer que les mesures qu'elle a prises étaient suffisantes et qu'il n'y pas eu de violation du règlement n_ 729/70. Les autres arguments avancés par la requérante se rapportent à l'exercice 1993, qui ne peut pas être utilisé comme instrument de comparaison, puisque la requérante a déclaré que les améliorations du système, qui avaient été annoncées, ont été mises en oeuvre en décembre 1993.

104 En deuxième lieu, la requérante invoque une violation du principe de sécurité juridique. Elle se réfère à cet égard à la communication de la Commission par laquelle celle-ci avait indiqué que, en raison notamment des améliorations annoncées par les autorités françaises, aucune correction financière ne serait effectuée. Le fait d'avoir finalement procédé à une correction pour 1992 violerait la sécurité juridique.

105 Il convient, à cet égard, de remarquer que la Commission fonde principalement cette annonce sur le fait que les autorités françaises avaient, de leur côté, annoncé des améliorations. Selon la Commission, celles-ci n'ont pas été effectuées. (Ainsi la Commission a-t-elle constaté qu'il y avait eu échange ou mélange de céréales relevant d'un régime de stockage différent.)

106 A ce propos, la requérante soutient que prendre pour base d'autres dispositions que celles applicables aux mesures d'intervention viole également la sécurité juridique. Comme il a déjà été montré, on peut toutefois en déduire au minimum l'existence de carences dans le système de contrôle. La requérante aurait dû indiquer, à tout le moins, qu'une telle substitution était autorisée pour les autres modes de stockage évoqués. Ce qu'elle n'a pas fait.

107 Il convient, d'autre part, de souligner que, dans son annonce, la Commission a en outre indiqué clairement que des corrections financières très sévères seraient imposées si elle venait à constater une quantité manquante par substitution de différents stockages de céréales. Le fait que ces corrections soient finalement imposées ne saurait violer la sécurité juridique.

108 La requérante souligne en outre que la Commission n'aurait pas dû se fonder sur de simples rumeurs de substitution de différents types de stockage. Ainsi que nous l'avons déjà montré ci-dessus, les éléments exposés par la Commission à cet égard étaient suffisants.

109 Enfin, la requérante fait valoir que la Commission n'a pu citer aucun exemple de substitution de céréales relevant de régimes de stockage différents. Il convient ici de renvoyer à la jurisprudence de la Cour. Celle-ci a jugé que le fait que la Commission ne présente pas de preuves tenant à des cas individuels dans lesquels la réglementation agricole n'a pas été respectée ne signifie nullement que le système de contrôle existant dans l'État membre garantisse l'application correcte desdites
dispositions. Des cas individuels attestés constituent toutefois un élément supplémentaire qui peut corroborer les critiques de la Commission, quant à l'efficacité du système de contrôle de l'État membre (46). En outre, la requérante elle-même n'a pas contesté qu'il y avait eu de telles substitutions.

110 On ne distingue donc aucune violation de la sécurité juridique.

111 La requérante invoque enfin, à titre subsidiaire, une violation du principe de proportionnalité. Elle estime que la réduction de 2 % n'aurait pas dû être appliquée également sur le poste budgétaire 10-13, qui concerne les pertes sur les stocks vendus. Ces pertes, indique-t-elle, sont entièrement compensées par le règlement (CEE) n_ 3597/90 de la Commission, du 12 décembre 1990, relatif aux règles de comptabilisation pour les mesures d'intervention entraînant l'achat, le stockage et la vente de
produits agricoles par les organismes d'intervention (47).

112 La Commission, en revanche, relève que ce poste concerne les conséquences financières des pertes sur ventes. Elle estime que les quantités manquantes qui ont été constatées, jointes aux carences dans le système de contrôle, peuvent entraîner des pertes pour le fonds.

113 La question de savoir s'il existait effectivement des quantités manquantes est discutée par les parties. Ainsi qu'on l'a déjà montré, on peut toutefois considérer qu'il existait des carences dans le système de contrôle. On ne saurait suivre la requérante lorsqu'elle prétend que de telles pertes sur ventes seraient immédiatement compensées. Cela nécessiterait un contrôle approfondi, qui n'était cependant pas constitué. Dans cette mesure, il est également possible que surviennent des pertes dans
le cadre du poste 10-13. Il n'y a donc pas violation du principe de proportionnalité.

114 On ne discerne donc aucun motif d'annulation de la décision de la Commission.

Dépens

115 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, première phrase, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens.

D - Conclusion

116 Nous proposons en conséquence de statuer comme suit:

«1) Le recours est rejeté.

2) La République française est condamnée aux dépens de l'instance.»

(1) - Il s'agit du Fonds européen d'orientation et de garantie agricole.

(2) - Ce problème fait également l'objet, au moins pour partie, des affaires Royaume-Uni/Commission (C-209/96), Danemark/Commission (C-233/96), Irlande/Commission (C-238/96) et Italie/Commission (C-242/96).

(3) - La réglementation correspondante figure à l'article 11, paragraphe 3, du règlement (CEE) n_ 859/89 de la Commission, du 29 mars 1989, relatif aux modalités d'application des mesures d'intervention dans le secteur de la viande bovine (JO L 91, p. 5).

(4) - Article 13, paragraphe 4, du règlement n_ 859/89.

(5) - Quatrième considérant et article 5 du règlement (CEE) n_ 805/68 du Conseil, du 27 juin 1968, portant organisation commune des marchés dans le secteur de la viande bovine (JO L 148, p. 24).

(6) - Précité à la note 3.

(7) - Troisième considérant et articles 7 et suiv. du règlement n_ 859/89.

(8) - Deuxième considérant du règlement (CEE) n_ 571/89 du Conseil, du 2 mars 1989, modifiant le règlement n_ 805/68, abrogeant le règlement (CEE) n_ 1302/73 et prorogeant le règlement (CEE) n_ 4132/88 (JO L 61, p. 43).

(9) - Décision 96/311/CE de la Commission, du 10 avril 1996, relative à l'apurement des comptes des États membres au titre des dépenses financées par le Fonds européen d'orientation et de garantie agricole (FEOGA), section «garantie», pour l'exercice financier 1992 ainsi que de certaines dépenses pour l'exercice 1993 (JO L 117, p. 19).

(10) - Document VI/6355/95.

(11) - C'est nous qui soulignons.

(12) - C'est nous qui soulignons.

(13) - JO L 225, p. 4.

(14) - Institué par la décision 94/442/CE de la Commission, du 1er juillet 1994, relative à la création d'une procédure de conciliation dans le cadre de l'apurement des comptes du Fonds européen d'orientation et de garantie agricole (FEOGA), section «garantie» (JO L 182, p. 45).

(15) - Voir la note 9.

(16) - Arrêt du 10 novembre 1993, Pays-Bas/Commission (C-48/91, Rec. p. I-5611, points 13 et 14), avec d'autres références.

(17) - Arrêts Pays-Bas/Commission (précité à la note 16, point 18), avec d'autres références; du 19 février 1991, Italie/Commission (C-281/89, Rec. p. I-347, point 19), avec d'autres références; du 24 mars 1988, Royaume-Uni/Commission (347/85, Rec. p. 1749, point 16); et du 6 octobre 1993, Italie/Commission (C-55/91, Rec. p. I-4813, point 13), avec d'autres références.

(18) - Arrêt du 27 janvier 1988, Danemark/Commission (349/85, Rec. p. 169, point 16).

(19) - Arrêts du 3 décembre 1992, Contarini (C-283/91, Rec. p. I-6359, point 14), et du 29 février 1996, France et Irlande/Commission (C-296/93 et C-307/93, Rec. p. I-795, point 21).

(20) - Règlement de la Commission du 1er août 1990, modifiant le règlement n_ 859/89 (JO L 204, p. 45).

(21) - Cette distinction se retrouve également dans la version anglaise, qui parle d'«interested parties» et de «tenderer».

(22) - Règlement de la Commission du 15 mai 1990, modifiant le règlement n_ 859/89 (JO L 126, p. 31).

(23) - Règlement du Conseil du 21 avril 1970, relatif au financement de la politique agricole commune (JO L 94, p. 13).

(24) - L'article 3, paragraphe 1, du règlement n_ 729/70 dispose: «Sont financées, au titre de l'article 1er paragraphe 2 sous b), les interventions destinées à la régularisation des marchés agricoles, entreprises selon les règles communautaires dans le cadre de l'organisation commune des marchés agricoles.»

(25) - Arrêt du 7 février 1979, Pays-Bas/Commission (11/76, Rec. p. 245, points 8 et 9).

(26) - Arrêt du 10 novembre 1993, Pays-Bas/Commission (précité à la note 16, point 11).

(27) - Septième considérant du règlement n_ 729/70.

(28) - Arrêts du 10 novembre 1993, Pays-Bas/Commission (précité à la note 16, point 11); du 9 octobre 1990, France/Commission (C-366/88, Rec. p. I-3571, point 20); du 12 juin 1990, Allemagne/Commission (C-8/88, Rec. p. I-2321, point 17), et du 6 mai 1982, BayWa e.a. (146/81, 192/81 et 193/81, Rec. p. 1503, point 26).

(29) - Arrêt du 2 juin 1994, Exportslachterijen van Oordegem (C-2/93, Rec. p. I-2283, points 17 et 18).

(30) - Article 10 du règlement n_ 859/89.

(31) - Troisième considérant du règlement n_ 859/89.

(32) - Troisième considérant du règlement n_ 2456/93.

(33) - Article 11, paragraphe 3, deuxième phrase.

(34) - Arrêt du 10 novembre 1993, Pays-Bas/Commission (précité à la note 16, point 14), avec d'autres références.

(35) - Arrêts du 10 novembre 1993, Pays-Bas/Commission (précité à la note 16, point 16), et Royaume-Uni/Commission (précité à la note 17, point 14).

(36) - Arrêts du 4 juillet 1996, Grèce/Commission (C-50/94, Rec. p. I-3331, point 26); du 7 février 1979, France/Commission (15/76 et 16/76, Rec. p. 321, points 32 et suiv.), et Royaume-Uni/Commission (précité à la note 17, point 13).

(37) - Arrêt du 10 novembre 1993, Pays-Bas/Commission (précité à la note 16, point 17).

(38) - Arrêt du 25 février 1988, Pays-Bas/Commission (327/85, Rec. p. 1065, point 25).

(39) - Arrêt du 14 septembre 1995, Irlande/Commission (C-49/94, Rec. p. I-2683, point 22).

(40) - Voir les points 60 à 82.

(41) - Arrêt Royaume-Uni/Commission (précité à la note 17, points 14 et 15).

(42) - Voir la note 36.

(43) - JO L 74, p. 18.

(44) - Arrêt Allemagne/Commission (précité, à la note 28, point 23).

(45) - Arrêt Allemagne/Commission (précité à la note 28, points 26 et suiv.).

(46) - Arrêt du 10 novembre 1993, Pays-Bas/Commission (précité à la note 16, point 33).

(47) - JO L 350, p. 43.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-232/96
Date de la décision : 24/03/1998
Type de recours : Recours en annulation - non fondé

Analyses

FEOGA - Apurement des comptes - Exercices 1992 et 1993 - Viande bovine - Céréales.

Agriculture et Pêche

Viande bovine

Fonds européen d'orientation et de garantie agricole (FEOGA)

Céréales


Parties
Demandeurs : République française
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Alber
Rapporteur ?: Wathelet

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1998:125

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