ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)
17 février 1998 ( *1 )
«Fonctionnaires — Concours général — Modalités pratiques d'organisation — Perte d'une épreuve écrite — Non-admission à l'épreuve suivante»
Dans l'affaire T-91/96,
Nicole Hankart, fonctionnaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Rhode-Saint-Genèse (Belgique), représentée par Mes Jean-Noël Louis, Thierry Demaseure, Ariane Tornei et Véronique Leclercq, avocats au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de la fiduciaire Myson SARL, 30, rue de Cessange,
partie requérante,
contre
Conseil de l'Union européenne, représenté par M(tm) Thérèse Blanchet, membre du service juridique, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Alessandro Morbilli, directeur général de la direction des affaires juridiques de la Banque européenne d'investissement, 100, boulevard Konrad Adenauer,
partie défenderesse,
ayant pour objet une demande d'annulation de la décision du jury du concours général Conseil/C/360, du 13 mars 1996, de ne pas admettre la requérante à la deuxième partie des épreuves écrites dudit concours,
LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre),
composé de Mme V. Tiili, président, MM. C. P. Briët et A. Potocki, juges,
greffier: Mme B. Pastor, administrateur principal,
vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 27 novembre 1997,
rend le présent
Arrêt
Faits à l'origine du litige
1 La requérante, agent qualifié de grade D 3 auprès du service commun «interprétation-conférences» de la Commission des Communautés européennes, a été informée, par lettre du 12 octobre 1995, de la décision du jury du concours général Conseil/C/360 de l'admettre à participer aux épreuves écrites dudit concours organisé en vue de constituer une réserve de recrutement de secrétaires d'expression française (avis de concours publié au JO 1994, C 345 A, version française uniquement, p. 3).
2 L'avis de concours prévoyait trois séries d'épreuves. La première consistait en trois épreuves manuscrites obligatoires, à savoir une dictée, une rédaction en français de textes simples et une épreuve linguistique sous la forme d'un questionnaire à choix multiples sur un texte rédigé dans une langue communautaire autre que le français. Il était précisé que, pour être admis à la deuxième série d'épreuves, les candidats devaient avoir obtenu au moins 60 % de la note maximale prévue pour chacune des
épreuves manuscrites obligatoires. La deuxième série comprenait deux épreuves obligatoires sur équipement informatique et une épreuve facultative de sténographie. La troisième comportait deux épreuves orales obligatoires.
3 La première partie des épreuves s'est déroulée le 17 novembre 1995, simultanément à Bruxelles et à Paris. A Bruxelles, 1147 candidats, dont la requérante, se sont présentés aux épreuves. Ils ont été placés dans la salle en blocs, par ordre alphabétique. A la fin de chaque épreuve, ils ont été invités à remettre aux surveillants de leur bloc leurs textes manuscrits et le texte de l'épreuve qui leur avait été distribué. Ils ont dû jeter les éventuels brouillons dans des corbeilles à papier situées à
côté des surveillants et laisser le papier non utilisé sur leurs tables.
4 A l'issue des première et deuxième épreuves, les surveillants de chaque bloc ont, sur place et pendant qu'avait lieu l'épreuve suivante, vérifié que le nombre d'épreuves rendues correspondait au nombre de candidats de leur bloc et ont pu identifier les candidats qui n'avaient pas rendu l'une ou l'autre épreuve. En revanche, pour la troisième et dernière épreuve, ils n'ont fait le décompte et la vérification qu'après le départ des candidats.
5 Selon la liste de présence, la requérante aurait remis les deux premières épreuves, mais pas la troisième. En conséquence, la mention «abandon» a été ajoutée à côté de son nom et celui-ci a été barré.
6 Par lettre du 12 janvier 1996, signée par M(tm) P., du service de recrutement du Conseil, la requérante a été informée de la décision du jury de ne pas l'admettre à «participer aux épreuves orales, étant donné qu'[elle] n'favait] pas participé à toutes les épreuves écrites obligatoires de ce concours».
7 Les 1er et 11 mars 1996, la requérante a écrit à Mme P. qu'elle confirmait avoir participé à toutes les épreuves écrites obligatoires et demandait qu'il fût procédé aux vérifications nécessaires pour l'établir.
8 Par lettre du 13 mars 1996 (ci-après «décision litigieuse»), le président du jury du concours a rejeté la réclamation de la requérante dans les termes suivants:
«Il s'avère qu'une des épreuves écrites n'a pas été rendue aux organisateurs du concours qui étaient sur place. Je dois donc conclure que vous n'avez pas participé à toutes les épreuves stipulées par l'avis de concours.
Pour cette raison, le jury n'est pas en mesure d'évaluer la note à vous attribuer et en tant que président du jury je regrette de vous informer que vous ne serez pas admise aux épreuves pratiques [...]»
Procédure et conclusions
9 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 13 juin 1996, la requérante a introduit le présent recours.
10 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale. Dans le cadre des mesures d'organisation de la procédure, il a posé certaines questions écrites à la partie défenderesse, laquelle a dûment répondu.
11 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales du Tribunal à l'audience publique du 27 novembre 1997.
12 La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
— annuler la décision litigieuse de ne pas l'admettre à la deuxième partie des épreuves écrites du concours;
— condamner la partie défenderesse aux dépens.
13 La partie défenderesse conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
— rejeter le recours comme non fondé;
— condamner la requérante aux dépens de l'instance.
Sur le fond
Argumentation des parties
14 La requérante soutient, en substance, que la décision litigieuse l'excluant de la suite des épreuves du concours est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation en ce que le jury du concours a conclu qu'elle n'avait pas participé à la troisième épreuve au motif qu'elle n'aurait pas remis la copie correspondante, alors qu'aucune mesure destinée à contrôler le dépôt effectif des copies de la troisième épreuve n'avait été prise.
15 Selon elle, il appartient à l'administration de l'institution de garantir la régularité du déroulement des épreuves écrites, notamment en arrêtant une procédure permettant de vérifier la remise par chaque candidat de toutes les épreuves écrites auxquelles il a participé.
16 Or, en l'espèce, de nombreux problèmes d'organisation se seraient présentés lors des épreuves. La collecte de celles-ci se serait faite dans un «désordre total». En n'adoptant pas les mesures propres à assurer un bon déroulement des épreuves, qui auraient permis d'éviter la perte de la copie remise par la requérante, la défenderesse aurait commis une faute de service et violé son devoir de sollicitude, ce qui l'aurait conduit à commettre l'erreur manifeste d'appréciation reprochée.
17 La partie défenderesse rappelle qu'il faut reconnaître au jury un large pouvoir d'appréciation quant aux modalités et au contenu détaillé des épreuves d'un concours et que le juge communautaire ne saurait censurer les modalités du déroulement d'une épreuve, sauf dans la mesure nécessaire pour assurer le traitement égal des candidats et l'objectivité du choix entre ceux-ci (arrêt de la Cour du 24 mars 1988, Goossens e.a./Commission, 228/86, Rec. p. 1819, point 14).
18 En l'espèce, les modalités fixées au préalable par le jury auraient été respectées par les surveillants et tous les candidats auraient dû se déplacer pour remettre leurs épreuves aux surveillants, de sorte que les principes d'égalité et d'objectivité auraient pleinement été respectés. Le Conseil ne pourrait être tenu responsable du fait que la requérante ne s'est pas conformée à la procédure en ce qui concerne la troisième épreuve.
19 S'agissant d'un concours à forte participation, il ne pourrait être exigé de l'institution qu'elle suive une procédure très détaillée et minutieuse, voire demande à chaque candidat de contresigner en regard de son nom à chaque étape du concours, car de telles mesures mettraient à mal la fluidité du déroulement des épreuves.
20 La partie défenderesse affirme que la collecte des épreuves ne s'est pas faite dans un «désordre total», parce qu'un membre du jury est intervenu pour corriger la situation.
21 A titre subsidiaire, dans sa réponse à une question écrite du Tribunal et à l'audience, elle a indiqué que le jury du concours a corrigé les deux premières épreuves de la requérante après la réclamation, en appliquant les mêmes critères de correction que ceux utilisés lors de la correction des épreuves d'autres candidats. Or, selon elle, les notes attribuées à la requérante étaient en toute hypothèse inférieures aux notes requises par l'avis de concours pour être admis à participer à l'épreuve
suivante.
Appréciation du Tribunal
22 Afin de vérifier si la décision du jury de concours est entachée de l'erreur manifeste d'appréciation alléguée par la requérante, il convient d'examiner les conditions dans lesquelles les copies ont été remises, étant souligné que l'annexe III du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après «statut»), relatif à la procédure de concours, ne contient pas de dispositions sur les modalités pratiques du déroulement des épreuves.
23 En l'espèce, il y a lieu de relever quatre circonstances particulières.
24 En premier lieu, en remettant leurs copies, les candidats n'ont ni reçu de récépissés, ni été invités à contresigner la liste de remise des épreuves ou à appliquer toute autre procédure ménageant la preuve de la remise, ou non, des copies.
25 En deuxième lieu, s'il est vrai que, dans la mesure où les copies des première et deuxième épreuves ont été comptées respectivement lors des deuxième et troisième épreuves, le jury a pu identifier les candidats qui n'avaient pas remis leurs première et/ou deuxième copies, il n'en a pas été ainsi de la troisième épreuve. En effet, le Conseil a expliqué que, pour celle-ci, les surveillants n'ont fait le décompte et la vérification qu'après le départ des candidats.
26 En troisième lieu, le Conseil a reconnu que certains candidats n'ont pas respecté les consignes relatives à la remise des épreuves et qu'un surveillant a dû intervenir pour rétablir l'ordre dans la collecte des copies.
27 En dernier lieu, ainsi que le Conseil l'a indiqué en réponse à une question posée à l'audience, lors de la troisième épreuve, une éventuelle perte d'une copie entre le moment de sa remise par le candidat et celui de l'apposition d'une mention en marge du nom correspondant sur la liste de présence aurait été analysée par le jury comme un abandon.
28 II apparaît ainsi que, au moment où le jury s'est prononcé, il ne disposait d'aucune procédure fiable pour conclure à l'absence de participation de la requérante à la troisième épreuve. En particulier, rien ne permet d'écarter l'hypothèse selon laquelle la copie de la requérante aurait été perdue après avoir été rendue par elle aux surveillants.
29 Dans ces conditions, dès lors que la partie défenderesse n'est pas en mesure d'établir avec certitude que la requérante n'avait pas remis sa copie et que, en conséquence, elle devait être regardée comme ayant abandonné, il y a lieu de conclure que la décision litigieuse de l'exclure de la suite des épreuves du concours est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
30 Cette conclusion n'est pas affectée par le fait que le nombre de candidats qui s'est présenté aux épreuves était élevé. En effet, compte tenu notamment de l'importance que représente, pour beaucoup de candidats, leur participation à un concours communautaire, et de la nécessité de garantir une sécurité juridique suffisante, il n'est pas disproportionné d'exiger de l'institution qu'elle puisse démontrer, le cas échéant, l'abandon d'un candidat.
31 De même, le Conseil ne peut exiger que la requérante rapporte la preuve de la remise de sa copie. Il lui appartient au contraire d'établir que la copie n'a pas été remise. En effet, compte tenu du mode d'organisation du concours analysé ci-dessus, et de son entière maîtrise par l'institution, la solution préconisée par celle-ci ferait peser sur le candidat une charge de la preuve excessivement difficile.
32 Enfin, comme le seul motif avancé dans la décision litigieuse d'exclure la requérante de la suite des épreuves du concours était son prétendu abandon dans la troisième épreuve écrite, l'argument du Conseil relatif aux notes attribuées à la requérante par le jury des première et deuxième épreuves écrites (voir point 21 ci-dessus) ne justifie de toute façon pas un autre résultat en ce qui concerne l'illégalité de la décision litigieuse. En tout état de cause, un tel argument n'aurait pu être opposé
utilement par le Conseil que si les copies de la requérante, comme celles des autres candidats, avaient été corrigées dans le respect de l'anonymat. Or, tel n'a pas été le cas, puisque les copies de la requérante ont été corrigées après sa réclamation.
33 II ressort de l'ensemble des éléments qui précèdent que la décision litigieuse de ne pas admettre la requérante à la deuxième partie des épreuves écrites du concours doit être annulée.
Sur les dépens
34 Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Le Conseil ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner à supporter l'ensemble des dépens, conformément aux conclusions en ce sens de la requérante.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (troisième chambre)
déclare et arrête:
1) La décision du jury du concours Conseil/C/360, du 13 mars 1996, de ne pas admettre Mme Hankart à la deuxième partie des épreuves écrites du concours est annulée.
2) Le Conseil supportera les dépens.
Tiili
Briët
Potocki
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 17 février 1998.
Le greffier
H. Jung
Le président
V. Tiili
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( *1 ) Langue de procédure: le français.